Discours à l'occasion de la 42ème Rencontre annuelle des Secrétaires Généraux des Conférences épiscopales d'Europe (French only)
Strasbourg, Friday 20 June 2014

Vos Excellences, Mesdames (ou Madame), Messieurs,

C'est un grand honneur de parler à vous aujourd'hui. Malheureusement, mon agenda ne me permettra pas de rester jusqu'à la fin de cette rencontre, mais je vous souhaite un excellent débat, d'autant plus que les sujets dont vous discutez sont au cœur des préoccupations des Européens. 

Notre Secrétaire Général, M. Sawicki, vous parlera du travail et des activités de l'Assemblée Parlementaire. Dans ma brève intervention j'aimerais plutôt me concentrer sur l'importance du dialogue interculturel et de sa dimension religieuse – sujet qui m'est particulièrement cher et qui me paraît très actuel.

A la toute fin de la Guerre froide, dans son Centesimus Annus, le Pape Jean Paul II a souligné que « quand une culture se ferme sur elle-même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l'homme, elle devient stérile et va vers la décadence » (§50). Cet appel au dialogue interculturel, mais aussi à l'ouverture culturelle, reste non moins important aujourd'hui.

Avant d'avoir eu l'honneur de présider cette Assemblée, j'étais engagée dans la promotion du dialogue interculturel au niveau parlementaire, ainsi que dans les débats sur le rôle que les religions jouent et devraient jouer pour qu'un tel dialogue soit sincère, respectueux et fructueux. En avril 2011, après six mois de préparation, j'ai présenté à l'Assemblée parlementaire le rapport sur la Dimension religieuse du dialogue interculturel. Des représentants des confessions majeures de l'Europe, dont Son Eminence le Cardinal Tauran, ont contribué au débat sur ce rapport lors de la session plénière.

« Retrouvons ce qui nous unit, savourons ce qui nous distingue, évitons ce qui nous sépare ». Cette citation de Boutros Boutros Ghali de 2002 résume la teneur de ce rapport.

Mon travail comme Rapporteure a eu comme point de départ l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, concernant la liberté de pensée, de conscience et de religion. Dans de nombreux discours et prises de décision, cet article semble, malheureusement, être oublié ou refoulé. Si le texte de l'article 9 de la Convention était respecté par tous, nous n'aurions plus à en débattre.

Vos Excellences, Mesdames (ou Madame), Messieurs,

Depuis Cicéron, nombreux étaient les penseurs qui ont tenté de définir la religion. En 1912  Emile Durkheim a écrit : « La religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée Eglise tous ceux qui y adhèrent. » Je partage cependant l'avis de tous ceux qui pensent que l'on ne peut et que l'on ne doit pas définir la croyance spirituelle, car il s'agit d'une approche très personnelle et très individuelle pour chaque croyant.

Cette quête personnelle et individuelle de spiritualité a, malheureusement, au cours des siècles, été récupérée et instrumentalisée pour des raisons de pouvoir, de puissance, de domination et d'enrichissement, et a mené à des tensions, des conflits, des atrocités, voire des actes de barbarie.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une recrudescence des manifestations d'intolérance, de rejet et de violence ; la cohésion sociale risque d'en pâtir. Il est urgent d'établir un nouveau paradigme du vivre ensemble. Chacun doit non seulement accepter l'existence de sensibilités diverses, religieuses ou non, mais aussi les respecter. Feindre l'indifférence est inapproprié ; se sentir menacé est une erreur.

La responsabilité des autorités publiques est engagée, tout comme celle des autorités religieuses et des responsables des mouvements des non-croyants. Ainsi, nous devrons à l'avenir mettre en exergue non pas ce qui nous sépare mais ce qui nous unit. Voilà, en fait, le principal message de mon rapport, message que je continue à réitérer en tant que Présidente de l'Assemblée.

Ce sont les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe qui doivent constituer la base de ce qui nous unit. Aussi est-il indispensable que les diverses églises et communautés religieuses défendent la Convention européenne des droits de l'homme, et affirment l'égale dignité de toutes les personnes ainsi que leur adhésion sans réserve aux principes démocratiques et aux droits de l'homme.

Je me réfère à cet effet au paragraphe 18 de mon rapport : « L'importance que, historiquement et sociologiquement, les religions ont en Europe, leur donne un rôle et une responsabilité tout à fait particuliers dans la promotion et le développement d'une culture de compréhension et de tolérance. Toutes les autorités religieuses devraient condamner ouvertement et sans réserve l'intolérance, la discrimination, la haine et la violence : la religion et la foi – de même que les convictions laïques – ne sauraient ni admettre ni justifier des comportements dictés par le mépris de l'autre et nous devons tous œuvrer pour les éradiquer. »

De nombreux textes de communautés religieuses abondent dans le même sens. La Charta Oecumenica, signée ici, à Strasbourg, en 2001 par la Conférence des Églises Européennes et votre Conseil des Conférences Épiscopales d'Europe, est exemplaire de ce point de vue. Comme vous le savez, cette Charte reconnait explicitement la liberté de religion et de conscience.  Elle comporte l'engagement de «défendre les valeurs fondamentales contre toutes les atteintes»; et de «[s']opposer à toute tentative d'abuser de la religion et de l'Eglise à des fins ethniques et nationalistes». Elle tend à garantir à tous la pratique libre de religion et de conception du monde – « dans le cadre du droit en vigueur ».

Un autre exemple d'une telle approche est la Déclaration islamique universelle des droits de l'homme de 1981 qui, dans son article 12 sur le droit à la liberté de croyance, de pensée et des paroles, dispose, au paragraphe e. : « Personne ne doit mépriser ni ridiculiser les convictions religieuses d'autres individus ni encourager l'hostilité publique à leur encontre. Le respect des sentiments religieux des autres est une obligation pour tous les musulmans. » Et l'article 13 portant sur le droit à la liberté religieuse indique : « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de culte conformément à ses convictions religieuses. »

La question qui est souvent posée est celle de savoir si le Conseil de l'Europe doit s'engager dans le dialogue interreligieux ou interconvictionnel. Il faut souligner, une fois encore, que l'autorité publique ne peut et ne doit pas s'immiscer dans des discussions théologiques et de croyance. Je suis cependant d'avis, étant donné qu'il s'agit de défendre ensemble les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe, qu'il importe que notre Organisation contribue à l'organisation d'un dialogue interconvictionnel sur la base d'une plate-forme stable. Cette plate-forme réunirait les représentants des églises, des mouvements de non-croyants et des autorités publiques.

S'il est indispensable d'assurer le dialogue interconvictionnel au niveau institutionnel international, il est important également de favoriser les échanges sur le plan régional et local. Les membres de l'Assemblée doivent veiller à ce que des espaces de rencontre soient créés dans leurs pays respectifs.

Le rôle de l'éducation doit également être souligné. Nous insistons sur l'importance de la formation des enseignants en général et des cadres religieux en particulier. Chaque enseignant, toutes matières et branches confondues, devrait, au cours de sa formation, suivre un module sur le fait religieux, ainsi que sur les principes de base des religions monothéistes. Cela lui permettrait de mieux connaître et de mieux comprendre ses élèves dans leur diversité.

Les institutions religieuses ont par ailleurs l'importante responsabilité de former leurs cadres. Nous, membres de parlements, respectons leur autonomie, mais nous leur demandons de réfléchir à la manière appropriée de former les cadres religieux à la connaissance et à la compréhension des autres religions, à l'ouverture au dialogue avec les autres communautés, au respect des droits fondamentaux et de l'Etat de droit, comme assise commune à ce dialogue et à cette collaboration.

Pour conclure, j'aimerais encore une fois réitérer mon message principal concernant le dialogue interculturel et sa dimension religieuse. Nous devons apprendre à être plus humbles et à respecter l'autre. Nos convictions ne sont pas les seules valables. Nous ne devons pas imposer notre manière de voir aux autres. Nous devons contribuer à construire une société dans laquelle chaque individu trouve sa place selon ses aspirations et ses convictions. Dans cette société, chacun aura non seulement le droit mais aussi la possibilité réelle de vivre selon ses convictions en respectant l'Etat de droit et ceux qui ont une autre approche, religieuse ou pas. Soyons plus humbles et plus humanistes pour construire une société non seulement du « vivre ensemble », mais du « bien vivre ensemble ».

C'est dans cette perspective que j'aimerais réitérer l'invitation de mon prédécesseur, M. Jean-Claude Mignon, l'invitation qu'il avait adressée à Sa Sainteté le Pape François pour qu'il vienne s'exprimer devant l'Assemblée Parlementaire. Sa Sainteté s'est prononcé à plusieurs occasions en faveur des droits de l'homme, valeur fondamentale de notre Assemblée. J'espère que je peux compter sur votre soutien dans cette démarche, parce que l'intervention de Sa Sainteté devant l'Assemblée pourrait constituer une contribution très importante au dialogue interculturel sur la base des valeurs qui nous unissent.