Allocution d'ouverture, Partie de la session d'octobre 2016
Strasbourg, lundi 10 octobre 2016

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

La peur est omniprésente dans nos sociétés. La peur du terrorisme, la peur de la guerre, la peur de « l'autre » – des étrangers ou des migrants qui viennent chez nous. La combinaison de ces différentes peurs a créé une vague d'anxiété qui se développe rapidement dans le monde entier.

Lorsque la peur apparaît, les tensions entre nations font plus rapidement surface. Lorsque les Etats se détournent les uns des autres, les formes extrêmes de nationalisme gagnent du terrain.

Lorsque le nationalisme revient sur le devant de la scène, les manifestations de démagogie et de xénophobie resurgissent en s'accompagnant de risques considérables.

C'est l'une des raisons qui nous ont incités à lancer l'initiative #NiHaineNiPeur qui, en à peine plus de trois mois, a reçu le soutien de cette Assemblée ainsi que de personnalités de premier plan et de dizaines de parlements et de gouvernements d'Etats membres. J'ai aussi partagé des informations concernant cette initiative avec nos partenaires de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, du Parlement européen, de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation de coopération économique de la mer Noire et de l'Assemblée interparlementaire de la CEI – ils ont tous et toutes manifesté un soutien enthousiaste.

Cela prouve, une fois encore, que notre Assemblée a une capacité qu'elle est seule à avoir pour relever les défis du XXIe siècle. Je compte sur vous pour soutenir et promouvoir davantage encore cette initiative, et j'espère que vous assisterez à l'audition que j'organise avec les commissions des questions politiques et juridiques demain à 14 heures. Antoine Leiris, journaliste à France Info qui a perdu son épouse lors de l'attentat au Bataclan et dont le message qui incite à ne pas céder à la haine et à la peur est au cœur de cette initiative, y participera aussi.

Mesdames et Messieurs,

Aujourd'hui, dans de trop nombreuses parties du monde, y compris sur notre continent, la peine de mort reste en vigueur. Alors même qu'elle a été abolie dans de nombreux pays, il y a malheureusement de plus en plus de voix qui s'élèvent en faveur de son rétablissement.

Cela témoigne, au moins en partie, de la crise générale que connaissent les valeurs des droits de l'homme et de la démocratie, ainsi que de l'échec de nos institutions s'agissant de protéger les populations et d'assurer le respect de leurs droits fondamentaux.

Nous célébrons aujourd'hui la Journée mondiale contre la peine de mort. En tant que membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous sommes fiers d'avoir réussi à créer en Europe une zone sans peine de mort qui réunit 47 Etats. Mais nous devons aussi nous rappeler que l'abolition de la peine de mort est une lutte continuelle pour faire respecter les valeurs que nous partageons, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de nos frontières. Nous devons résister et nous opposer publiquement à toutes les tentatives des mouvements extrémistes et populistes qui cherchent à porter atteinte à nos acquis en matière de droits de l'homme. Nous ne devons pas oublier non plus que deux de nos Etats observateurs – les Etats-Unis et le Japon – appliquent encore la peine de mort. Nous devons poursuivre nos efforts pour les convaincre d'abandonner cette pratique qui est incompatible avec les acquis modernes en matière de droits de l'homme. Nous devons continuer à travailler avec la délégation de la Jordanie qui est notre Partenaire pour la démocratie, afin de nous assurer que le moratoire sur les exécutions soit appliqué systématiquement, conformément à l'engagement pris vis-à-vis de l'Assemblée.

Chers collègues,

Aujourd'hui, en partenariat avec la Bibliothèque Václav Havel et la Fondation Charte 77, ainsi qu'avec le Gouvernement de la République tchèque, nous décernons le Prix des Droits de l'Homme Václav Havel qui récompense des actions exceptionnelles dans la défense des droits de l'homme en Europe et au-delà de nos frontières. J'aurai le grand honneur de vous donner tout à l'heure, à 12 h 30, le nom du lauréat (ou de la lauréate) du Prix.

Chers collègues,

Cet été, un coup terrible a été porté à l'Europe, à nos institutions et à nos valeurs.

La nuit du 15 juillet, la Turquie, l'un de nos Etats membres, a vécu un coup d'Etat militaire qui a menacé la démocratie et l'état de droit. Des chars ont envahi les rues, écrasant au passage la population ; des hélicoptères et des véhicules militaires ont ouvert le feu sur des civils ; le Parlement a été bombardé.

241 citoyens ont perdu la vie et plus de 2 000 ont été blessés.

Grâce à la vaste mobilisation des citoyens turcs, grâce à leurs actes héroïques cette nuit-là, cette tentative de coup d'Etat a échoué. Par conséquent, la solidarité avec la Turquie et avec le peuple turc est pour nous une question prioritaire. La meilleure défense contre les attaques visant la démocratie réside dans davantage de démocratie et de respect des droits de l'homme et de l'état de droit. Cette Assemblée – de même que tous les organes et institutions du Conseil de l'Europe – doit impérativement apporter son soutien à la Turquie et mettre à sa disposition ses meilleures compétences pour l'aider à y parvenir et à surmonter les conséquences du coup d'Etat.

Ceci est particulièrement important alors que la Turquie doit affronter des défis sans précédent, notamment la crise des réfugiés et le terrorisme. Hier, une autre attaque mortelle a été perpétrée en Turquie du Sud-Est ; je l'ai condamnée avec force et j'ai exprimé mes condoléances et ma solidarité aux familles des victimes, aux blessés, aux autorités et au peuple turc.

L'un des enseignements que nous avons tirés des événements du 15 juillet c'est que le coup d'Etat a échoué en raison de la détermination du peuple turc à défendre la démocratie et l'ordre constitutionnel – les principes fondamentaux qui définissent notre modèle politique et institutionnel. Il ne faut jamais prendre la démocratie pour acquise. Il ne faut pas non plus l'idolâtrer. Il faut prendre soin d'elle et la renforcer quotidiennement. C'est pourquoi, en tant que responsables politiques, nous avons pour objectif commun d'offrir au sein de nos Etats un environnement où les institutions démocratiques puissent prospérer. Nous devons assurer le respect de l'état de droit, des droits de l'homme et du pluralisme politique et garantir des freins et contrepoids ainsi que des élections libres et équitables. C'est un défi permanent.

Mesdames et Messieurs,

J'ai déjà dit dans mon discours inaugural, le 25 janvier 2016, que nous devions nous considérer les uns les autres comme étant « l'un d'entre nous ».

Si nous mettons l'accent sur « l'altérité » des autres, nous aurons du mal à maintenir des politiques communes.

Notre ordre du jour actuel transcende l'Etat nation et ne saurait être géré tout seul sans une large coopération interétatique : les flux de réfugiés qui cherchent à s'échapper d'Etats défaillants ou en pleine déliquescence ; la lutte contre le terrorisme international ; les menaces qui pèsent sur la paix et la stabilité mondiales ; l'essor de l'islamisme radical et la radicalisation et l'extrémisme violent qui l'accompagnent ; les questions environnementales ; l'univers non régulé et potentiellement clivant du cyberespace ; et bien plus encore.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe occupe une place unique dans l'ordre mondial multilatéral.

C'est pourquoi, lorsque je me rends dans des Etats membres, je ne cesse de répéter le message de la responsabilité partagée, de la coopération par la négociation et du respect de nos principes et valeurs.

Depuis la dernière session, j'ai eu l'occasion de rencontrer, dans leurs capitales respectives, les dirigeants politiques de la Russie, de la Géorgie, de la Turquie, de l'Islande et de la Serbie. La Conférence européenne des Présidents de Parlement a été aussi une occasion précieuse de rencontrer les Présidents des Parlements de quasiment tous nos Etats membres, d'écouter leurs points de vue et leurs idées, de mieux comprendre leurs préoccupations.

Je suis convaincu que, sans alliés et partenaires capables, aucun Etat et aucune institution ne peut efficacement relever seul(e) les défis qui nous sont lancés. 

Chers collègues,

Pour apaiser les tensions et venir à bout des conflits, il est crucial d'éradiquer la défiance entre nations et de se parler directement.

Nous devons écouter. Nous devons comprendre. Nous devons anticiper et non pas seulement réagir.

Telle est l'une des leçons que nous avons apprises de Shimon Peres, ancien Président, ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères d'Israël, qui est décédé il y a deux semaines. Shimon Peres s'était adressé à notre Assemblée à deux reprises – en 1986 et en 2002. Nous avons perdu un ami, et je tiens à renouveler mes sincères condoléances à la famille de Shimon Peres et au peuple d'Israël.

Son souvenir et ce qu'il nous a légué doivent nous inspirer pour ramener la confiance parmi nos Etats membres ainsi qu'au sein de notre Assemblée parlementaire qui a la mission politique de garantir la paix et la stabilité sur notre continent et d'offrir une tribune politique pour le dialogue entre parlementaires des 47 Etats membres, qui représentent 820 millions d'Européens.

Je suis convaincu qu'une situation dans laquelle un de nos Etats membres – la Russie – n'est pas présent à l'Assemblée n'est bonne pour personne : ni pour cette Assemblée, ni pour la Russie, ni pour aucun des 46 autres Etats membres.

Vous n'ignorez pas que, depuis mon élection à la présidence, j'ai pris des mesures pour rétablir le dialogue avec le Parlement russe. Je l'ai fait en parfaite transparence, en faisant toujours participer à mes discussions les dirigeants de nos groupes politiques et en informant les membres du Bureau.

Bien trop souvent, j'ai vu des actions essentielles en faveur du dialogue bloquées par de petits groupes. Nous devons certes écouter chacun et tenir dûment compte des intérêts et préoccupations exprimés, mais nous ne devons pas perdre de vue l'objectif d'ensemble : surmonter les divisions et œuvrer de concert pour résoudre les problèmes auxquels nous nous heurtons. Ce n'est pas en excluant quelqu'un des discussions que l'on favorise les progrès. Bien au contraire : on s'aliène encore plus ses interlocuteurs et l'on stimule une rhétorique conflictuelle qui peut aisément être exploitée par les populistes, les nationalistes et les xénophobes.

Il a été convenu que, pendant cette session, les dirigeants des groupes politiques, fassent des consultations dans leurs groupes respectifs concernant cette question.

J'aimerais que nous réfléchissions tous à cette question, dans le cadre d'un débat transparent, franc et sans exclusive aucune.

Parallèlement, je me dois de souligner que l'objectif de la poursuite du dialogue entre nos 47 Etats ne saurait en aucun cas porter atteinte à nos principes. Nous devons continuer à défendre nos valeurs et à dénoncer toute violation du droit international. Il est impératif de préserver l'intégrité territoriale des Etats – de TOUS LES ÉTATS, je tiens à le souligner – et de faire respecter le principe selon lequel il convient de s'abstenir de la menace ou de l'usage de la force. Les frontières ne sauraient être modifiées unilatéralement ou par la force. En conséquence, le conflit en Ukraine et l'annexion illégale de la Crimée, les conflits en Géorgie, en République de Moldova et en Azerbaïdjan sont inadmissibles. En tant qu'Européens, nous devons résoudre les conflits qui existent au sein de notre espace vital commun, et la diplomatie parlementaire est un instrument adéquat pour engager des négociations politiques. Nous devons discuter des problèmes qui nous divisent, en toute franchise et face à face dans cet Hémicycle, afin de trouver ensemble des solutions.

De même, nous devons adhérer strictement à nos principes et à nos règles chaque fois que nous sommes confrontés à des violations de nos normes au sein de nos Etats membres. Bien que chaque situation soit particulière et nécessite une réponse adaptée, notre approche doit toujours suivre la même ligne, sans qu'il y ait deux poids deux mesures.

Nous devons réagir avec fermeté chaque fois que quelqu'un qui relève de notre juridiction se heurte à des persécutions en raison de ses opinions ou activités politiques ; en effet, l'existence de prisonniers politiques en Europe est inadmissible.

Les dérogations à la Convention européenne des droits de l'homme en raison d'une situation d'urgence doivent être exceptionnelles et leurs effets et conséquences doivent impérativement être examinés très attentivement, quelles que soient les raisons qui obligent les autorités à recourir à une mesure aussi grave.

Les Etats membres ne peuvent pas choisir comme bon leur semble les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme qu'ils veulent bien exécuter. Des obstacles touchant à la souveraineté nationale ou à l'ordre constitutionnel ne sauraient servir d'excuse car l'exécution des arrêts de la Cour est une obligation qui s'impose à eux en vertu de l'article 46 de la Convention.

Toute personne relevant de notre juridiction doit absolument jouir du même niveau de protection des droits de l'homme. Toute discrimination pour quelque motif que ce soit est inadmissible.

Notre Assemblée doit impérativement suivre ces principes et je compte sur vous pour soutenir cette approche.

Chers collègues,

L'accroissement des inégalités dans un contexte de mondialisation croissante favorise la corruption, perpétue la pauvreté, provoque des troubles au sein de la population, renforce la xénophobie, accentue le découragement individuel et porte atteinte à la confiance du public dans la démocratie et l'économie de marché.

Ainsi que vous pouvez le constater, il n'y a pas de réponses simples dans un monde complexe.

Cependant, bien souvent, tout cela est simplifié à outrance et dangereusement par le populisme.

Nous ne pouvons pas résoudre efficacement les problèmes qui se posent à nous en demandant simplement à nos citoyens de choisir entre deux ou trois options à l'occasion d'un référendum qui leur serait proposé chaque fois que des questions graves et complexes seraient sur la table.

La compréhension approfondie des problèmes est le premier pas vers la compréhension de leurs solutions.

La gestion de la crise des réfugiés et du phénomène migratoire en est une bonne illustration ; elle doit se faire dans le cadre d'une approche globale fondée sur le droit international et les engagements internationaux.

A l'issue de négociations très complexes, la Turquie et l'Union européenne ont mis en œuvre un accord très strict mais indispensable pour maîtriser l'afflux de réfugiés. Cet accord donne aux personnes qui ont besoin d'une protection internationale la possibilité de l'obtenir officiellement. Il a abouti en mer Egée à une diminution radicale des flux de réfugiés et, ce qui est encore plus important, des morts. Cela n'a pas résolu le problème, en particulier sur les côtes méridionales de l'Europe, mais c'est un pas en avant et un exemple de la manière dont on peut parvenir à des accords même dans les conditions les plus compliquées.

En revanche, des projets comme « le grand mur de Calais » transmettent le message inverse : défense d'entrer. Cela est contraire tant à l'esprit européen qu'aux normes qui sont les nôtres. Et cela ne facilitera pas la résolution du problème.

Dans ce contexte, aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'un engagement international fort afin d'établir un nouveau cadre mondial pour la gestion des réfugiés. Notre Assemblée doit jouer un rôle de premier plan en offrant un forum politique pour les débats. J'ai la ferme conviction qu'à 47 nous pouvons parvenir à ce qui paraît irréaliste au sein d'un groupe plus petit. En effet, à 47 nous sommes bien plus forts sur la scène internationale et mondiale.

Dans le prolongement de ce que nous avons déjà accompli, je crois que notre Assemblée devrait envisager la possibilité de tenir un grand débat consacré à la question des migrations et à la gestion de la crise actuelle des réfugiés. Eu égard à la nature transversale de ce défi, nous devrions faire participer toutes nos commissions concernées à l'examen des différents aspects des questions en jeu. Nous devrions rechercher le concours d'autres organes du Conseil de l'Europe, en particulier du Secrétaire Général et de son Représentant spécial sur les migrations et les réfugiés ainsi que de nos organes indépendants de suivi. Nous devrions faire porter l'essentiel de nos efforts sur l'analyse de l'expérience, des points de vue et de la position de tous les Etats membres du Conseil de l'Europe, afin de proposer des recommandations concrètes et – je l'espère – des solutions. J'espère que vous serez favorables à cette idée.

Chers collègues,

Notre Assemblée continue à être une tribune de premier plan pour le dialogue politique au niveau européen. Cette semaine, nous avons le très grand privilège de recevoir dans cet Hémicycle des personnalités politiques aussi éminentes que le Président de la République française, M. François Hollande, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, M. Mevlüt Cavusoglu, le ministre fédéral des Affaires étrangères de l'Allemagne, M. Frank-Walter Steinmeier, ainsi que le Président du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, le ministre des Affaires étrangères de l'Estonie, M. Jürgen Ligi. Leurs déclarations nous fourniront largement – j'en suis sûr – matière à réflexion et à action dans le cadre de notre travail.

Je vous souhaite une bonne session et un travail fructueux durant cette semaine.

Je vous remercie de votre attention.