Allocution d'ouverture pour la Partie de session de juin 2014
Strasbourg, lundi 23 juin 2014

Mesdames et Messieurs, Chères/Chers collègues,

Durant cette partie de session, nous commémorons le centenaire du début de la Première Guerre Mondiale, un conflit mondial qui a fait plus de 18 millions de morts et plus de 20 millions de blessés, civils et militaires. Un conflit qui a donné lieu à des combats d'une violence inouïe, qui a engendré à l'échelle mondiale les horreurs indicibles d'une guerre totale.

Pourtant, il a fallu une Seconde Guerre Mondiale, encore plus meurtrière et dévastatrice que la première, pour comprendre qu'il ne suffit pas de gagner une bataille - même de remporter la victoire - pour obtenir la paix. Ce qu'il faut surtout, c'est de construire la paix ensemble – entre vainqueurs et vaincus – et construire cette paix sur des bases solides. C'est à partir de cette idée que le Conseil de l'Europe a été créé.

Aujourd'hui, alors que nous commémorons les événements tragiques du début du siècle dernier, je ne peux (pas) m'empêcher de me poser la question de savoir si nous avons tiré les enseignements de l'Histoire.

Lors de notre dernière partie de session, nous avons été contraints de réagir avec fermeté à la violation, par l'un de nos Etats membres, de ses engagements et de ses obligations envers le Conseil de l'Europe. Toutefois, en adoptant des sanctions à l'encontre de la délégation de la Fédération de Russie, nous n'avons pas voulu fermer la porte au dialogue. Il est évident que c'est ensemble que nous pourrons trouver la solution à la crise ukrainienne.

Pourtant, la situation ne semble pas s'améliorer. Au cours de ces dernières semaines nous avons suivi, avec beaucoup d'inquiétude, l'escalade de la violence. Nous avons discuté de la situation en Ukraine et aux frontières de l'Ukraine, lors de la réunion du Comité des Présidents à Luxembourg, en appelant toutes les parties prenantes à mettre un terme à la violence et à entamer d'urgence un large dialogue national.

De mon côté, durant la 124ème session ministérielle à Vienne, je me suis brièvement entretenue avec le Ministre des affaires étrangères de la Russie, M. Lavrov. Plus récemment, j'ai longuement discuté au téléphone avec le Président de la Douma d'Etat, M. Narychkine, ainsi qu'avec le Président de la Verkhovna Rada, M. Tourchinov.

Mon message est clair : face à l'escalade de la violence, la première priorité est de faire cesser les affrontements et nous devons tous y contribuer en assumant pleinement les responsabilités qui sont les nôtres.

Soyons francs : la désescalade implique non seulement le retrait des troupes russes de la frontière et la reprise des contacts politiques et diplomatiques entre les deux Etats – ce qui a été le cas – mais aussi la prise de mesures adéquates afin d'assurer que les séparatistes à l'est de l'Ukraine ne reçoivent aucun soutien militaire ou autre de l'extérieur. Je suis profondément alarmée par les informations faisant état de transfert aux rebelles d'équipement militaire lourd, y compris de chars d'assaut qui auraient traversé la frontière ukrainienne du côté de la Russie.

En même temps, afin de laisser la place au dialogue, il incombe aux forces armées ukrainiennes de mettre fin aux opérations militaires, qui ont déjà fait de trop nombreuses victimes, militaires et civiles. La situation humanitaire dans les zones touchées par le conflit est accablante : il y a des informations faisant état de milliers de réfugiés et de personnes déplacées, de cas d'enlèvements et de prises d'otages d'enfants ainsi que de moniteurs de l'OSCE, de menaces contre la vie des journalistes.

Il est urgent d'arrêter les violences et de trouver la réponse aux problèmes humanitaires. De même, les principaux acteurs doivent faire face à leurs responsabilités politiques, faire preuve de retenue et éviter les provocations.

Dans ce contexte, les propositions présentées récemment par le Président de l'Ukraine, Monsieur Petro Poroshenko, notamment l'instauration d'un cessez-le-feu, d'une amnistie et d'une réforme constitutionnelle, sont porteurs d'espoir.

Après l'élection de Monsieur Poroshenko à une très forte majorité et avec un taux de participation élevé, dans un scrutin qui s'est déroulé conformément à nos standards, je suis profondément convaincue que nous disposons d'une opportunité réelle d'amorcer un processus de normalisation en Ukraine, ainsi qu'entre la Russie et l'Ukraine. Il est donc essentiel de procéder à la mise en œuvre des initiatives du Président de l'Ukraine le plus rapidement possible, y compris dans le domaine des réformes politiques et institutionnelles. Les autorités ukrainiennes peuvent compter sur notre soutien. 

Lors de la conversation téléphonique que j'ai eue avec le Président de la Verkhovna Rada jeudi dernier, j'ai réitéré notre invitation au Président de l'Ukraine de s'adresser à l'Assemblée durant cette partie de session. Je suis très satisfaite que le Président ait accepté de venir jeudi. Je suis convaincue que notre échange de vues nous permettra d'identifier des pistes concrètes de coopération. De même, la tenue d'un débat d'actualité sur les conséquences politiques et humanitaires de la crise en Ukraine, proposée par les Présidents de tous les Groupes politiques, nous offre la possibilité d'examiner la situation dans toute sa complexité et identifier des pistes de réaction.

De notre côté, l'Assemblée devrait également jouer son rôle de plateforme de dialogue. Dans ma récente conversation téléphonique avec Monsieur Narychkine, Président de la Douma d'Etat, j'ai regretté le fait que la délégation russe ait décidé de ne pas participer aux activités de l'Assemblée. Nous avons longuement discuté de ce qui pourrait être fait pour changer cette situation. J'avoue que nous n'avons pas fait de progrès, mais nous avons convenu de nous parler et, éventuellement, de nous rencontrer. Je tiens beaucoup à poursuivre ces contacts et j'espère que nous allons prochainement arriver à trouver la solution. 

Chères/Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

La crise en Ukraine et à ses frontières ne doit pas détourner notre attention d'autres Etats membres qui ont besoin de notre soutien. Je pense en particulier à l'Azerbaïdjan, à la Géorgie, à la République de Moldova et à Chypre, qui sont tous en proie à des difficultés liées à la résolution des conflits gelés sur leur territoire. Le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale est l'un de nos principes fondamentaux. L'indépendance et la sécession d'une région à l'égard de l'Etat dont elle fait partie ne peuvent être que le résultat d'un processus légal et pacifique, et non la conséquence d'un conflit armé conduisant à l'annexion de facto de ce territoire par un autre Etat.

Dans ce contexte, je suis particulièrement préoccupée par l'appel lancé par la région géorgienne d'Abkhazie et la région moldave de Transnistrie à rejoindre la Fédération de Russie. L'annexion de la Crimée par cette dernière a créé un dangereux précédent ; nous devons donc tous unir nos efforts pour éviter que cela ne se reproduise. Parmi nos Etats membres, nombreux sont ceux qui ont acquis une expérience dans la résolution de conflits, expérience précieuse que nous pourrions mettre à profit sur le terrain. En particulier, à l'issue de ma récente visite à Dublin, j'ai instamment demandé aux autorités irlandaises et aux députés irlandais d'utiliser l'expérience tirée des moments difficiles de leur histoire pour aider à résoudre certains conflits actuels en Europe.

Nous suivons également, avec beaucoup d'inquiétude, les conflits dans la région du voisinage. La situation en Iraq est plus qu'inquiétante et je soutiens l'idée de la Commission politique d'examiner cette problématique et, éventuellement, de proposer un projet de déclaration pour le Bureau que nous allons examiner ce vendredi.

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Aider les Etats membres à respecter leurs obligations et leurs engagements envers le Conseil de l'Europe est l'une des priorités de mon mandat en qualité de Présidente de l'Assemblée.

L'Azerbaïdjan, qui préside actuellement le Comité des Ministres, a besoin de notre soutien aujourd'hui plus que jamais, car le pays doit entreprendre des réformes de grande envergure pour respecter ses engagements et ses obligations. Au cours de la réunion de la Commission permanente à Bakou, j'ai eu l'occasion de faire part de nos inquiétudes, de manière franche et ouverte, en particulier en ce qui concerne la liberté d'expression, la liberté d'association, l'indépendance de la justice, le pluralisme politique et la lutte contre la corruption.

J'ai aussi soulevé – au plus haut niveau politique – la question de l'intimidation et des pressions à l'encontre de journalistes, de militants politiques et de personnalités de l'opposition. J'ai exprimé le souhait de rencontrer certains d'entre eux, notamment Ilgar Mammadov, directeur de l'Ecole d'études politiques parrainée par le Conseil de l'Europe à Bakou, ainsi que plusieurs journalistes et personnalités de la société civile de premier plan, si leur maintien en détention devait se poursuivre. Je nourris l'espoir que le récent arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Ilgar Mammadov, confirmant qu'il y a eu violation de la Convention, permettra de le faire libérer. J'attends avec intérêt de poursuivre nos échanges de vues sur ces questions, ainsi que sur d'autres, avec le Président de l'Azerbaïdjan, M. Ilham Aliev, que nous accueillerons demain.

N'oublions pas, pour autant, qu'en tant qu'organisation paneuropéenne, nous devons apporter à tous nos Etats membres le soutien dont ils ont besoin pour respecter leurs engagements et leurs obligations. Nous le savons tous, face aux flux migratoires sur les rives de la Méditérranée, certains de nos Etats membres sont mis à rude épreuve, notamment pour ce qui est du respect des droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés. Lors de ma récente visite en Grèce, j'ai pu mesurer, personnellement, l'étendue du problème. La protection des demandeurs d'asile et des réfugiés passe nécessairement par un partage des responsabilités entre les Etats. Le grand débat auquel nous participerons demain matin nous aidera, je l'espère, à progresser sur cette question.

Mesdames et Messieurs, Chères/Chers collègues,

Demain, nous serons appelés à élire le ou la futur(e) Secrétaire Général(e) du Conseil de l'Europe. Le candidat ou la candidate qui sera élu(e) devra gérer, dès le début de son mandat, un programme politique complexe : crise politique en Ukraine et à ses frontières, réforme des mécanismes de monitoring du Conseil de l'Europe, contraintes budgétaires, développement de nos relations avec le Voisinage, pour ne citer que quelques-uns des défis qui nous attendent. En ce moment crucial, l'Assemblée parlementaire, en tant qu'organe statutaire du Conseil de l'Europe, doit être un partenaire majeur du Secrétaire Général et du Comité des Ministres pour la défense de nos valeurs et de nos normes. C'est pourquoi nous devons confier à notre futur(e) Secrétaire Général(e) un mandat politique fort pour les cinq années à venir, qui nous permettra de relever ensemble les nombreux défis qui nous attendent.

Chères/Chers collègues,

Alors que mes remarques liminaires touchent à leur fin, permettez-moi de vous rappeler que, suite à l'annulation par les autorités azerbaïdjanaises, du visa de l'un de nos membres et vice-présidents, Monsieur Rouquet, et conformément à notre pratique établie, le Bureau de l'Assemblée a décidé, le 22 mai 2014, de ne plus tenir de réunions de commission en Azerbaïdjan au cours des deux années à venir à moins que, bien sûr, les autorités nous donnent la garantie que la liberté de circulation des membres de l'Assemblée sera respectée lorsqu'ils voyageront pour le compte de l'Assemblée. C'est une mesure regrettable mais nous devons nous en tenir aux règles fixées.

Malgré l'adoption de cette décision, nous poursuivrons notre collaboration étroite et constructive avec les autorités azerbaïdjanaises dans les mois qui viennent.

Chères/Chers collègues,

En conclusion, permettez-moi d'accueillir à l'hémicycle notre collègue, le président du Parlement de la République kirghize, M. Asylbek Jeenbekov. Depuis la partie de session d'avril, le Parlement kirghize jouit du statut de partenaire auprès de notre Assemblée, et nous avons le plaisir de vous accueillir, M. le président, ainsi que votre délégation parlementaire, dans cette enceinte, qui désormais est aussi la vôtre. A l'issue de la séance de ce matin se déroulera une cérémonie pour célébrer l'octroi du statut de Partenaire pour la démocratie à votre parlement, et je vous invite tous à nous rejoindre dans le foyer de l'hémicycle.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite à tous une très bonne session !