Allocution d'ouverture pour la Partie de session de janvier 2015
Strasbourg, lundi 26 janvier 2015

Mesdames, Messieurs, cher(e)s collègues,

Il y a une année vous m'avez fait honneur en m'élisant Présidente de notre Assemblée. Aujourd'hui, vous m'avez de nouveau témoigné votre confiance, et je vous en remercie. Je suis reconnaissante pour votre soutien infaillible dans notre mission commune qui devient de moins en moins facile. La coopération avec les collègues du Comité des Présidents a été particulièrement fructueuse. J'aimerais également remercier le Secrétaire Général de l'Assemblée M. Wojciech Sawicki et le secrétariat de l'Assemblée, des délégations nationales et des groupes politiques, pour leur professionnalisme, leur disponibilité et leur engagement. Nous avons la chance de pouvoir travailler avec une équipe aussi compétente. Je tiens également à remercier Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs pour l'excellente coopération avec le Comité des Ministres et à l'occasion de nos nombreuses entrevues bilatérales. Aussi voudrais-je saluer la bonne coordination avec le Secrétaire Général M. Thorbjørn Jagland, ainsi qu'avec la Secrétaire Générale adjointe Mme Gabriella Battaini-Dragoni et le personnel qu'ils dirigent.

L'année 2014 n'a décidément pas été une bonne année pour les principes fondamentaux que nous défendons en Europe. Dans certains pays de notre continent, la société civile subit une attaque sans précédent. De nombreux partenaires du Conseil de l'Europe, intellectuels, défenseurs des droits de l'homme et journalistes reconnus au niveau international pour leur engagement en faveur de la liberté, se trouvent en prison. D'autres doivent faire face, dans le cadre de leurs activités professionnelles, à des pressions considérables, des perquisitions, des arrestations, des interdictions ou des refus de coopération. L'attribution du Prix Vaclav Havel 2014 à Anar Mammadli a confirmé notre engagement d'être aux côtés de la société civile quand elle est menacée et muselée. Le 15 janvier dernier nous avons lancé l'appel aux candidats pour la nouvelle édition du Prix – nous continuerons de soutenir ceux qui mènent le combat pour les droits de l'homme sur le terrain. La date limite de soumission des candidatures est fixée au 30 avril.

Dans certains de nos pays, le prétexte du retour aux « valeurs traditionnelles » sert à dépouiller les citoyens des droits pour lesquels des générations avaient combattu. La corruption qui continue à gangrener nos sociétés reste un grand défi. Notre plateforme contre la corruption lancée en avril dernier peut contribuer à affronter ce défi, et je vous invite à y participer activement.

Les populations qui fuient les guerres et la misère continuent d'échouer sur les côtes méditerranéennes. Nous comptons les morts par milliers, ceux qui survivent doivent souvent faire face à l'indifférence et au mépris. A travers l'Europe et ailleurs ressurgissent des mouvements extrémistes de tous bords, qui se nourrissent de la xénophobie, de la haine, du malaise social et de l'intolérance. Ces mouvements voient dans la diversité, qui constitue la richesse inestimable de nos sociétés, une menace ; ces mouvements sont un risque énorme pour nos valeurs communes.

Nous avons vu la terreur et la violence émerger dans de nombreux pays européens, dont la France qui accueille le siège de notre Organisation. Les actes terroristes à Paris sont une attaque contre nos valeurs fondamentales. Ces évènements tragiques nous rappellent qu'il faut continuer notre combat quotidien, qu'il faut surmonter les clivages politiques pour dire non à l'intolérance et pour défendre nos démocraties, le vivre ensemble et la liberté d'expression. Nous ne pouvons que saluer l'immense élan de solidarité à travers toute l'Europe après les crimes barbares perpétrés en France. Maintenant il s'agira de faire de cet élan de solidarité un mouvement durable contre la haine. Il est de notre responsabilité de faire durer cet engagement.

Dans son adresse au Conseil de l'Europe en novembre dernier, Sa Sainteté le Pape François a proposé de créer une nouvelle agora comme plateforme de dialogue et d'échange interreligieux. Cette proposition est dans la lignée de notre travail de longue date sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, et nous avons déjà proposé de créer une telle plateforme stable en 2011. Nous devons mettre en œuvre cette idée aujourd'hui, car les solutions répressives ne seront pas suffisantes pour affronter la montée de l'intolérance. L'Alliance parlementaire contre la haine, que nous lancerons officiellement ce jeudi, devra elle aussi devenir un instrument efficace dans notre combat contre la violence et contre l'intolérance si nous nous y engageons réellement. L'instauration de la Journée européenne des victimes de crimes de haine que nous avons soutenue durant la session de septembre est d'autant plus importante dans le contexte actuel.

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

En 2014, nous avons tous dû nous colleter avec d'énormes problèmes. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes face à une tentative unilatérale de redessiner la carte de l'Europe. L'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie constitue une violation majeure et flagrante du droit international. C'est un dangereux précédent qui risque de replonger notre continent dans des temps où la guerre définissait les frontières. L'Europe a besoin que la Russie soit un partenaire fiable et un pouvoir responsable mais la Russie doit respecter ses obligations internationales pour qu'il y ait la paix, la sécurité et la stabilité en Europe.

Aujourd'hui, le peuple ukrainien continue de souffrir. D'après les dernières informations émanant des Nations Unies, plus de 5 000 personnes ont perdu la vie depuis le début du conflit, notamment lors des récentes tragédies survenues près de Volnovakha, à Donetsk et à Marioupol. Nous pleurons les victimes. Plus d'un million de personnes ont fui leur foyer à cause des combats. Cette catastrophe nous rappelle, un siècle après le début de la Première Guerre mondiale, le danger de faire prévaloir la géopolitique sur les valeurs démocratiques, l'Etat de droit et même la vie humaine. La profonde crise économique et l'absence d'institutions nationales fortes et fiables aggravent encore la situation complexe et difficile qui prévaut en Ukraine. En compagnie des Présidents des groupes politiques, je me suis rendue à Kiev il y a dix jours. Nos interlocuteurs ont déclaré d'une seule voix que le respect de l'Accord de Minsk était une première étape incontournable vers la paix et la réconciliation. L'échange de prisonniers de guerre et d'otages est l'un des éléments de l'accord. A cet égard, il est extrêmement préoccupant de constater que Mme Nadia Savtchenko, qui est actuellement membre de la Verkhovna Rada et, depuis ce matin, confirmée comme membre de notre Assemblée, est détenue en Russie. J'espère que sa situation sera réglée rapidement et qu'elle sera en mesure de nous rejoindre très bientôt dans cet hémicycle.

La primauté du droit et le respect des droits de l'homme sont les principes qui doivent nous guider dans l'adoption de mesures. Il faut poursuivre en justice les responsables de violations des droits de l'homme, de quelque bord qu'ils soient et indépendamment du fait que les événements se sont produits pendant le conflit dans la région orientale du pays, au cours des événements liés à Maïdan ou bien lors de la tragédie de mai à Odessa. 

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Nous savons que ce que nous observons, ce n'est pas la fin de l'histoire ; malheureusement, la page d'histoire que nous vivons et écrivons n'est pas heureuse. Nous vivons dans un monde où des forces déstabilisatrices sont à l'œuvre et s'emploient à saper les droits fondamentaux sur le continent européen.

L'année dernière, on m'a souvent demandé si j'étais optimiste ou pessimiste quant à l'avenir de l'Europe. Pour répondre à cette question, j'ai évoqué les pères fondateurs du Conseil de l'Europe qui étaient convaincus que nous pouvions et devions surmonter notre histoire, pétrie de conflits et d'injustices, afin de construire un avenir commun fondé sur les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit. Les fondateurs du Conseil de l'Europe n'étaient ni optimistes, ni pessimistes. C'étaient des hommes et des femmes qui avaient choisi de s'engager à construire ensemble une Europe pacifique et unie en dépit des profondes blessures et de la défiance ambiante laissées par une guerre épouvantable. J'estime qu'aujourd'hui, nous devons nous inspirer de leur exemple. Nous devons nous efforcer de trouver des solutions qui ne soient pas motivées par des considérations à court terme ; nous devons placer notre mission dans une perspective à moyen et long termes.

De quel type d'instruments disposons-nous pour relever les défis d'aujourd'hui en Europe ? Notre force principale, c'est la diplomatie parlementaire et le dialogue dans le respect mutuel. Cependant, dialoguer ne signifie pas fermer les yeux sur les manquements et les violations. Notre devoir est d'avoir le courage de dire la vérité. Parfois, il faut critiquer et, parfois, il faut accepter d'être critiqué.

Les problèmes qui se posent à nous sont considérables mais nous ne devons pas renoncer à les résoudre. L'immensité de ces problèmes montre que l'engagement de chacun d'entre nous est plus important que jamais. Il est de notre responsabilité, en tant que représentants des parlements des 47 Etats, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger les valeurs de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit.

Nous devons le faire avant tout dans nos pays respectifs mais aussi dans cet hémicycle. Nous ne pouvons réussir que si nous travaillons ensemble. Je ne renoncerai pas et avec votre soutien, je ne relâcherai pas mes efforts pour changer le cours des choses. Je sais que vous non plus, vous n'y renoncerez pas et je vous en remercie.