Allocution d'ouverture, Partie de la session de janvier 2017
Strasbourg, lundi 23 janvier 2017

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Tout d'abord, je tiens à vous remercier de la confiance que vous m'avez témoignée en me réélisant à la présidence. Je ferai tout pour conduire cette Assemblée du mieux possible en ces temps difficiles, pas seulement pour l'Europe.

Je remercie aussi le Comité des Ministres et les ambassadeurs pour leur excellente coopération et les échanges de vues francs et ouverts que nous avons eus au cours de l'année écoulée. Je ne doute pas qu'ils se poursuivront. Ma gratitude va aussi au Secrétaire Général et à la Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l'Europe pour leur contribution et leur soutien aux travaux de l'Assemblée, pas seulement dans l'hémicycle et au Bureau, mais aussi dans le cadre des commissions. Je voudrais aussi exprimer mes remerciements au président du Congrès, au Commissaire aux droits de l'homme, au président de la Commission de Venise, ainsi qu'aux nombreux responsables du Conseil de l'Europe avec lesquels j'ai eu le privilège de travailler.

Enfin, permettez-moi de remercier tout spécialement le Secrétaire Général de l'Assemblée parlementaire, M. Sawicki, et son équipe. Sans leur compétence et leur dévouement, nous ne pourrions pas atteindre nos buts et nos objectifs.

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Chers collègues,

Avant de commencer mon intervention, permettez-moi d'évoquer un événement tragique qui s'est passé pendant le week-end : un autocar transportant des étudiants hongrois s'est écrasé en Italie. J'ai été profondément touché par cette tragédie et je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances aux familles des victimes et au peuple hongrois.

Chers collègues,

Il y a un an, je vous faisais part de mes profondes inquiétudes sur l'état de notre continent en insistant sur quatre aspects :

– le terrorisme international, la crise des réfugiés, les conflits en Europe et la montée dangereuse du populisme.

Nous ne nous doutions guère alors des nouveaux événements qui viendraient mettre au défi nos valeurs, nos institutions et nos normes, comme le coup d'État manqué en Turquie, et ses conséquences.

Permettez-moi d'évoquer quelques-unes de nos réponses à ces défis.

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« Vous n'aurez pas ma haine ! »

Ces mots d'Antoine Leiris, un journaliste français qui a perdu son épouse dans l'attentat terroriste du Bataclan, m'ont profondément marqué.

A l'heure où nous pleurons les victimes du terrorisme  - et je tiens à exprimer une fois de plus mes condoléances à la Turquie, l'Allemagne et la Russie, qui récemment ont été ciblés par les terribles attentats terroristes - nous devons nous défendre et défendre notre mode de vie contre le terrorisme qui cherche à détruire nos sociétés. Mais nous ne devons pas tomber dans la paranoïa et des extrémités sécuritaires. Nous devons dire clairement NON à la peur et à la haine, qui sont le terreau du terrorisme.

L'initiative #NiHaineNiPeur que nous avons lancée en juin dernier est un outil important pour y parvenir. Elle a obtenu le soutien de nombreux parlementaires, chefs d'État, ministres et hauts fonctionnaires, parmi lesquels le Secrétaire général de l'ONU.

Je suis à la fois rempli de fierté et d'humilité en voyant ce que nous avons accompli en six mois, surtout lorsque je vois que l'initiative #NiHaineNiPeur est soutenue par des personnes qui ont une expérience directe du terrorisme, comme Antoine Leiris, Luciana Milani, mère d'une victime italienne du Bataclan, ou Bjorn Ihler, survivant de la tuerie d'Utøya, pour n'en citer que quelques-uns.

Ils ont surmonté ce traumatisme avec une foi accrue dans les valeurs de l'humanité et de la démocratie. Leur expérience nous pousse à continuer. Ensemble, nous pouvons faire de l'initiative #NiHaineNiPeur un véritable mouvement de base à l'échelle de toute la société et je compte sur votre soutien.

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Chers collègues,

Pour illustrer la gravité du drame des réfugiés, je voudrais vous rappeler notre visite en Grèce. Elle a complètement transformé ma vision du défi migratoire.

Voir des enfants dans des écoles improvisées sous des toiles de tente a été une expérience bouleversante.

Cette expérience a renforcé ma conviction que la gestion des migrations et la crise des réfugiés sont le problème de tout le monde : aucun pays ne peut y faire face seul.

L'Europe doit adopter une approche globale de la gestion des migrations et de la crise des réfugiés, fondée sur les principes de solidarité, de partage des responsabilités et de respect des droits de l'homme et des engagements internationaux. Nous formons la plus grande Assemblée parlementaire d'Europe et, à ce titre, nous devons engager une réflexion globale prenant en compte tous les aspects sur les moyens d'y parvenir, en nous appuyant en particulier sur les délibérations de la Conférence européenne des Présidents de Parlement, qui s'est tenue en septembre dernier.

C'est pourquoi je souhaite organiser, pour la partie de session de juin 2017, un grand débat sur la crise des réfugiés et la problématique des migrations. Je compte sur vous et sur le soutien de vos commissions pour préparer cet événement important.

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Mesdames et Messieurs,

Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à résoudre les situations de conflits entre nos États membres.

En avril 2016, nous avons assisté à une dangereuse escalade des hostilités sur la ligne de contact dans la région du Haut-Karabakh et la situation à ce jour reste explosive.

Le conflit en Ukraine et les violations du cessez-le-feu dans le Donbass se poursuivent.

Les tensions refont surface dans les Balkans.

Nous avons appris de la longue et tumultueuse histoire de l'Europe que les conflits ne se résolvent pas par des moyens militaires.

Notre rôle de parlementaires est crucial à cet égard. La diplomatie parlementaire est un important outil de dialogue et notre Assemblée doit en exploiter pleinement le potentiel.

Il est regrettable que, pour la deuxième année consécutive, l'un de nos États membres, la Russie, n'envoie pas de délégation à l'Assemblée. Depuis mon élection, j'ai multiplié les consultations avec les présidents des chambres du Parlement russe ainsi qu'avec des parlementaires russes. J'ai invariablement insisté sur le fait que les délégations de tous les États membres doivent prendre part aux travaux de l'Assemblée, car nous sommes une Assemblée de 47, pas de 46.

Le fait qu'une délégation ne participe pas à nos travaux n'est bon pour personne.

Je ne baisserai pas les bras car j'ai constaté que le Parlement russe et ses membres sont ouverts au dialogue et à la coopération pour sortir de l'impasse actuelle.

J'espère que nous pourrons nous servir des plateformes interparlementaires pour maintenir le contact avec les parlementaires russes. Dans ce cadre, je souhaiterais organiser une audition sur la diplomatie parlementaire, peut-être à Valence, ma ville d'origine. J'espère vraiment pouvoir travailler à cette idée avec les commissions compétentes de l'Assemblée.

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Chers collègues,

Le quatrième défi que j'ai mentionné concerne la mise à mal de nos valeurs et de nos normes. Je dois ici commencer par évoquer la tentative de coup d'État en Turquie.

Grâce à la large mobilisation des citoyens turcs, la démocratie l'a emporté et le putsch a échoué. Aujourd'hui, la Turquie a besoin de notre solidarité et de notre soutien, que nous lui avons apportés par des déclarations publiques sans ambiguïté, des visites et l'offre d'une expertise appropriée.

Dans le même temps, il est de notre devoir de rappeler à nos collègues et amis turcs que la meilleure défense contre les attaques visant la démocratie est de renforcer le pluralisme de nos institutions démocratiques, de les rendre plus inclusives et de défendre l'état de droit et les libertés fondamentales. La Turquie est confrontée à de gigantesques défis, pas seulement en raison des attentats terroristes provenant de divers horizons, mais aussi à cause de la situation des réfugiés. Cependant, en tant que politiciens responsables, nous devons nous conformer strictement aux règles et engagements internationaux. J'espère que nos discussions de cette semaine nous aideront à progresser dans cette voie.

Un autre défi de taille pour nos valeurs et nos normes est l'existence de prisonniers politiques.

Dès mon élection à la présidence de cette Assemblée, j'ai décidé de me consacrer à cette question. J'ai fait pression pour obtenir la libération de Nadiya Savtchenko et de Giorgi Ugulava et j'ai engagé des pourparlers avec les autorités azerbaïdjanaises pour faire libérer les prisonniers politiques. Ces initiatives, que je n'ai pas conduites seul, ont produit des résultats. En Russie et en Géorgie, Mme Savtchenko et M. Ugulava ont été libérés et un nombre considérables de militants de la société civile et de journalistes ont aussi été relâchés en Azerbaïdjan, ce dont je me félicite.

Certains sont cependant toujours en détention, comme notre collègue et ami Ilgar Mammadov en particulier. Son maintien en détention, en violation d'un jugement définitif de la Cour européenne des droits de l'homme, est une vraie déconvenue et j'appelle une nouvelle fois les autorités azerbaïdjanaises à le libérer. Je continuerai d'aborder ce sujet avec les autorités, en étroite coordination avec le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

De même, je suis avec une grande inquiétude la situation des parlementaires détenus en Turquie. L'arrestation de parlementaires est une mesure exceptionnelle. Elle restreint non seulement leur droit et leur liberté de participer au processus politique, mais elle a aussi un effet dissuasif sur la démocratie et le pluralisme en général. J'espère que nos collègues turcs suivront les recommandations de l'Assemblée et relâcheront les parlementaires du HDP. Je continuerai d'intervenir en ce sens.

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Chers collègues,

Nous sommes ici dans la maison de la démocratie, où se réunissent des parlementaires de toute l'Europe et au-delà. Nous avons des représentants de tout le spectre politique et donc une pluralité de vues. Il peut y avoir des désaccords fondamentaux entre pays, groupes politiques ou même entre personnes, mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer à nous parler et à nous écouter. Nous devons nous respecter mutuellement et montrer ce respect, dans cette maison de la démocratie.

Nous devons respecter les votes et les décisions de l'Assemblée, même lorsque nous ne les approuvons pas; c'est le principe élémentaire de la démocratie.

Récemment j'ai constaté que certains membres de cette maison de la démocratie ont utilisé leur statut pour mener une campagne visant à discréditer des opposants politiques au moyen d'insultes, d'intimidation et de coercition.

Je ne peux pas accepter que l'honneur de cette Assemblée ou de l'un quelconque de ses membres soit bafoué.

Je ne peux pas permettre que cette Assemblée soit utilisée abusivement pour livrer des batailles contre des Etats que certains voient comme des rivaux ou des ennemis.

Je ne peux pas permettre des campagnes de haine, d'agressions verbales, de chantage ou de pression, orchestrées par ceux qui ne sont pas satisfaits des résultats d'un vote.

En démocratie, lorsqu'un vote est perdu, ceci doit être accepté. Nous devons accepter la victoire et la défaite car c'est précisément l'une des conditions nécessaires de la vie en démocratie. L'Assemblée doit par conséquent montrer l'exemple à cet égard, en favorisant le respect et la tolérance à l'intérieur comme à l'extérieur de ses murs.

Chacun est responsable de ses propres paroles et actions. Il est important de comprendre que les atteintes illégales à l'honneur et la réputation d'une personne peuvent exiger une défense devant les tribunaux.

Chers collègues,

Avant de conclure cette déclaration, je voudrais mentionner un autre événement qui m'est particulièrement cher. Cette année, mon pays, l'Espagne, célébrera le 40e anniversaire de son adhésion au Conseil de l'Europe.

Il y a quarante ans, mon pays embrassait pleinement la démocratie et la bonne gouvernance, ce qui a apporté à tous mes concitoyens la prospérité, la liberté et le respect des droits de l'homme.

C'est pourquoi nous voulons rendre hommage à cette Organisation d'avoir réuni 47 pays européens sous un seul et même toit en s'appuyant solidement sur la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans le cadre de nos célébrations, j'aurai le plaisir d'accueillir le Bureau et la Commission permanente de l'Assemblée à Madrid au mois de mars. J'espère vous voir nombreux en Espagne !

Je vous remercie de votre attention. Passons maintenant à l'ordre du jour de cette partie de session.