Discours d'ouverture de la 2e partie de la Session ordinaire de 2017
Strasbourg, lundi 24 avril 2017

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Pour commencer, je voudrais dire quelques mots au sujet de ma récente visite en Syrie, que j'ai effectuée en qualité de Sénateur espagnol, avec deux autres membres de cette Assemblée parlementaire. Vous avez été nombreux à vous poser des questions et à me faire part de vos préoccupations au sujet de cette visite. Je dois dire que je les comprends, car cette visite, ainsi que la manière dont elle a été couverte par les médias, a placé notre Assemblée et l'Organisation dans une situation délicate.

Je m'en suis expliqué oralement et par écrit à la réunion du Bureau de ce matin. Un document avec les réponses écrites aux questions des membres du Bureau a également été préparé. Je demanderai cet après-midi au Bureau de le déclassifier afin que vous ayez tous accès à ces explications.

Dans le même temps, je tiens à vous dire ceci : cette visite était une erreur ; je m'en suis rendu compte en en voyant les conséquences.

Ma première erreur a été de sous-estimer la réaction à cette visite au sein même de l'Assemblée. Depuis le début de mon mandat, j'ai effectué une cinquantaine de visites officielles et comme aucune n'a donné lieu à la moindre question, j'ai pensé qu'il en serait de même avec ma visite en Syrie.

Je suis un fervent défenseur du dialogue et j'ai estimé que plus les appels lancés à Bachar el-Assad pour mettre un terme à la violence et respecter les droits de l'homme seraient nombreux, mieux ce serait pour l'avenir de la Syrie et du peuple syrien.

Je suis profondément préoccupé par la crise humanitaire en Syrie et je cherche aussi des solutions à cette guerre pour éviter une nouvelle crise des réfugiés. C'est pourquoi je pensais que cette visite serait l'occasion d'apporter ma contribution.

Ma deuxième erreur a été de ne pas informer à l'avance les présidents des groupes politiques de ma visite. Cela ne signifie pas pour autant que je n'en ai pas informé d'autres personnes. Comme j'ai entrepris ce voyage en tant que membre du Sénat espagnol, j'en ai au préalable avisé mon gouvernement.

Ma troisième erreur, même si je n'y suis pour rien, a été la manière dont cette visite a été manipulée par certains médias russes. Les seules déclarations que j'ai faites en Syrie ont consisté à préciser que je faisais cette visite en tant que sénateur espagnol et que je n'étais pas là pour soutenir le régime d'el-Assad. À ce propos, je tiens à dire clairement que la politique actuelle de Bachar el-Assad est condamnable et que les droits de l'homme et les libertés fondamentales doivent être mieux respectés en Syrie.

Notre Assemblée a exprimé cette condamnation dans plusieurs de ses résolutions, auxquelles je souscris pleinement.

Je tiens à ce que ce soit bien clair, car cette visite, ainsi que la manière dont elle a été rapportée dans les médias, ne devraient pas être utilisées pour discréditer le Conseil de l'Europe et les valeurs que défend notre organisation.

Mesdames et Messieurs, Chers collègues,

Permettez-moi à présent de poursuivre avec mon discours d'ouverture.

Nous vivons des temps très difficiles, où les démocraties européennes et du reste du monde sont confrontées à de nombreuses menaces. Sur le plan extérieur, elles doivent faire face à la radicalisation violente et au terrorisme, à des guerres, à des conflits et des altercations sur la scène internationale. Au niveau national, il y a l'érosion des valeurs démocratiques, un espace qui se réduit de plus en plus pour les droits de l'homme, ainsi que la montée des mouvements populistes, nationalistes et xénophobes aux deux extrémités du spectre politique.

La menace populiste est, à mes yeux, l'un des plus grands dangers, car elle détruit nos valeurs et nos institutions de l'intérieur. En ces temps difficiles, nous devons nous rappeler les origines du Conseil de l'Europe et sa raison d'être : la paix, le dialogue, la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit. Le populisme menace directement ces valeurs, qu'il est de notre responsabilité commune de défendre.

Je suis intimement convaincu que nous allons dans le bon sens. La récente victoire des forces politiques démocratiques traditionnelles aux Pays-Bas, en Autriche, en Allemagne et en Espagne me renforce dans cette conviction.

Les populistes sont en perte de vitesse car leur ascension repose essentiellement sur le vote de protestation de citoyens qui cherchent, assez naturellement, des solutions rapides et simples à leurs problèmes de tous les jours. Mais en simplifiant à l'excès des problèmes complexes, ils n'ont que des promesses et des mots à offrir ; ils sont incapables d'apporter des solutions réelles. C'est à ce stade que les forces politiques traditionnelles, qui ont de l'expérience ainsi que le sens des responsabilités et celui de l'État, devraient reprendre pied sur la scène politique.

Hier, la démocratie a gagné une nouvelle bataille en France, mais nous ne devons pas baisser la garde. Le second tour de l'élection présidentielle française ainsi que les prochaines élections législatives en France, au Royaume-Uni et en Allemagne seront autant de tests importants pour les forces politiques démocratiques.

En tant que politiciens responsables, attachés aux valeurs démocratiques, nous devons affronter les populistes dans un débat politique ouvert, réaliste et démocratique. Nous devons répondre aux questions, aux préoccupations et aux attentes de nos concitoyens. Mais nous devons aussi dénoncer les actes et manifestations qui sont en contradiction avec les fondements mêmes du projet européen : le nationalisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'islamophobie.

Ce matin, le Bureau a approuvé la proposition de tenir un débat d'actualité sur ce sujet et je vous invite instamment à en faire de même lors de l'adoption de l'ordre du jour de notre partie de session.

Chers collègues,

Chaque nouvel attentat terroriste vient mettre à l'épreuve les fondations de notre société et les valeurs d'ouverture et de tolérance, qui sont essentielles à la vitalité de la démocratie.

Ces derniers mois, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Turquie, la Suède et la Russie ont été le théâtre d'attentats odieux.

Ces événements apportent de l'eau au moulin de ceux qui font l'amalgame, comme les populistes, entre terroristes et immigrants et réfugiés.

Plus inquiétant encore, le profil des terroristes est en train de changer. Le principal danger ne vient plus de groupes terroristes organisés mais, de plus en plus souvent, d'individus isolés ou de petits groupes d'individus qui se sont radicalisés sur internet ou par l'intermédiaire des réseaux sociaux.

Cette situation ne fait que renforcer la peur et les angoisses de nos citoyens, qui ne ne se sentent plus à l'abri nulle part. Nous devons leur apporter tout notre soutien.

C'est pourquoi cette Assemblée et, au-delà, l'ensemble des forces démocratiques, doivent envoyer un message clair aux terroristes : vous ne pourrez jamais gagner car les valeurs communes qui unissent nos sociétés – la démocratie, la liberté, les droits de l'homme et l'État de droit – ne céderont pas face à la peur et à la haine.

Je vous appelle à vous dresser avec fermeté contre la haine et la peur que les terroristes cherchent à répandre en soutenant l'initiative #NiHaineNiPeur.

Je vous demande instamment de vous faire les ambassadeurs de cette initiative et de propager ce message dans vos parlements et vos circonscriptions. Un stand photo NiHaineNiPeur, animée par un photographe professionnel, sera à votre disposition toute la journée de mardi à l'extérieur de l'hémicycle. N'oubliez pas non plus la mediabox, également située dans le foyer, où vous pourrez enregistrer vos interviews ou des messages durant toute la semaine.

Je compte sur votre soutien.

Mesdames et Messieurs,

J'en viens maintenant à un débat crucial que nous aurons au cours de cette session. Il concerne l'un de nos États membres, la Turquie.

La Turquie est un acteur majeur du Conseil de l'Europe ; elle fait partie de notre famille, unie par les valeurs de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit.

Nous apprécions hautement son engagement envers le Conseil de l'Europe ; elle est d'ailleurs, depuis 2016, également l'un des grands contributeurs au budget de notre Organisation.

Nous apprécions aussi grandement son rôle dans la gestion de la crise des réfugiés et des flux migratoires mixtes, ainsi que l'aide généreuse qu'elle apporte à plus de trois millions de réfugiés.

Nous reconnaissons le droit légitime de la Turquie et son obligation de défendre l'État et sa population contre le terrorisme, dans le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme.

Nous avons pleinement conscience des blessures profondes que la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 a infligées aux institutions et à la société. Nous comprenons parfaitement la nécessité pour l'État démocratique turc d'enquêter sur les événements de l'été dernier, de traduire en justice les responsables et de protéger les institutions et la société pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise.

Cependant, tout en témoignant de notre entière compréhension et de notre soutien total, nous ne pouvons garder le silence lorsque les principes démocratiques et les libertés et droits fondamentaux font l'objet de restrictions qui vont au-delà d'une réponse normale, nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.

Nous ne pouvons garder le silence lorsque nous entendons des déclarations qui remettent en cause les principes fondamentaux du Conseil de l'Europe, comme l'abolition de la peine de mort.

Nous ne pouvons garder le silence lorsque des réformes de fond, modifiant en profondeur le système de gouvernance et la séparation des pouvoirs, sont adoptées à marche forcée par le parlement et lorsque les observateurs de l'OSCE et de l'Assemblée parlementaire font part de leurs profondes inquiétudes, comme lors de la consultation populaire qui s'est tenue récemment.

Le débat de demain sera l'occasion de discuter, avec nos collègues et amis turcs, des difficultés auxquelles les institutions démocratiques du pays sont confrontées. Nous devons avoir un débat franc et respectueux, basé sur des faits objectifs et sur les normes juridiques de notre Organisation. Mettons de côté nos émotions et efforçons-nous d'être pragmatiques et d'établir une feuille de route pour coopérer sur les points qui posent problème, afin de pouvoir soutenir au mieux la Turquie, en nous appuyant sur les normes et l'expertise du Conseil de l'Europe.

J'espère que ce débat sera à la hauteur des enjeux.

Chers collègues, chers amis,

Je prends très au sérieux les allégations de corruption, aussi bien au sein de cette Assemblée qu'à l'extérieur.

Ce matin, le Bureau de l'Assemblée a adopté une série d'initiatives visant à prévenir les affaires et les comportements douteux d'un point de vue déontologique.

Notre Assemblée, qui prône la démocratie, les droits de l'homme et le respect de l'État de droit, se doit d'être exemplaire.

Aujourd'hui plus que jamais, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est une plateforme sans équivalent pour maintenir le dialogue entre les parlementaires des États membres.

Aujourd'hui plus que jamais, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est un forum de débat sans équivalent pour préserver l'unité du continent dans cette période tourmentée.

Aujourd'hui plus que jamais, nous, membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, devons être à la hauteur des messages et des recommandations que nous envoyons à nos États membres pour qu'ils améliorent la qualité de leur démocratie.

Nous ne pouvons pas exiger le respect de la séparation des pouvoirs,

Nous ne pouvons pas exiger le respect de la présomption d'innocence,

Nous ne pouvons pas exiger le respect de l'indépendance de la justice,

Et nous ne pouvons pas exiger le respect de l'autonomie des parlementaires,

Si ces principes sont ensuite bafoués par n'importe lequel d'entre nous.

En tant que Président de cette Assemblée, je défendrai toujours les droits et les obligations de chacun et chacune d'entre nous en sa qualité de représentant des citoyens de son pays.

Nous avons un ordre du jour et des délais. En conséquence, je n'admettrai ni intrusion inacceptable, ni mandat impératif venant de l'extérieur et qui constituerait une violation de l'autonomie de chacun et chacune d'entre nous.

Cette Assemblée est plus que jamais un interlocuteur vital dans les débats sur les défis immenses que l'Europe doit relever. Preuve m'en a été donnée il y a deux semaines, lorsque la chancelière Angela Merkel m'a félicité pour le travail que l'Assemblée accomplit sur la crise des réfugiés.

Mesdames et Messieurs,

Pour conclure ce discours d'introduction, j'ai l'honneur de vous annoncer que notre Assemblée accueillera cette fois encore des hôtes de haut rang au cours de la semaine : le Président de la République hellénique, M. Prokopis Pavlopoulos, le Président du Comité des Ministres et ministre des Affaires étrangères de Chypre, M. Ioannis Kasoulides, ainsi que Sa Majesté le Roi d'Espagne. Leurs avis et points de vue sont d'une grande importance pour nous.

Comme vous pouvez l'imaginer, je suis personnellement très honoré que la visite à Strasbourg de Sa Majesté le Roi d'Espagne ait lieu pendant mon mandat de Président de l'Assemblée. Ce sera sa première visite au Conseil de l'Europe depuis son accession au trône, il y a presque trois ans. De plus, cette visite revêt une valeur symbolique particulière, puisque nous célébrons cette année le 40e anniversaire de l'adhésion de l'Espagne au Conseil de l'Europe.

Il s'adressera à cette Assemblée trente-sept ans après le discours que son père, Sa Majesté Juan Carlos, y a prononcé, en octobre 1979, à l'occasion du trentième anniversaire du Conseil de l'Europe.

Je l'ai dit à maintes occasions, mais je le redis une fois encore : l'Espagne est très attachée aux valeurs et principes du Conseil de l'Europe. Elle veut montrer que les valeurs que nous défendons tous sont, après presque 70 ans d'existence de l'Organisation, toujours aussi pertinentes qu'elles l'étaient en 1949.

Nous vivons une époque d'incertitude et d'angoisse pour nos sociétés. Nous avons besoin d'entendre, en Europe, l'appel à l'unité et à la solidarité lancé par de nombreux chefs d'État, premiers ministres et ministres, qui, ensemble, sont une force pour ceux qui croient en l'unité de l'Europe.

Je vous remercie de votre attention.