Allocution d'ouverture pour la Partie de session de juin 2015
Strasbourg, lundi 22 juin 2015

Avant de commencer, permettez-moi de proposer d'observer une minute de silence en mémoire de M. Charles Kennedy qui nous a quittés le 1er juin. Nous nous souviendrons de lui comme d'un politicien doué, doté d'une éloquence et d'un sens du bien et du mal, étant un vrai Européen. Merci.

Mesdames, messieurs,
Chers collègues,

En 2014, la guerre et la violence ont provoqué le déplacement de plus de 50 millions de personnes.

Il y a deux semaines, le Haut-Commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies, M. António Guterres, m'a fait savoir qu'en 2015, ce nombre atteindrait 60 millions, soit l'équivalent de la population d'un grand pays européen.

L'Europe est aux premières loges du drame des réfugiés et de ce flux migratoire mixte. Pour des millions de gens qui tentent de gagner l'Europe, la Méditerranée est devenue un « charnier ». A cela s'ajoute le fléau des réfugiés provenant de Syrie et d'Iraq, qui franchissent la frontière vers la Turquie et se comptent, non pas par milliers, ni par centaines de milliers, mais par millions.

Il faut davantage de solidarité et de partage des responsabilités. Protéger les réfugiés relève de la responsabilité internationale et on a parfois tendance à oublier  que l'accueil d'un réfugié par un Etat ne met pas fin à la responsabilité internationale des autres Etats. La question des réfugiés, qui est globale, appelle une réponse globale. L'Europe se doit d'assumer ses responsabilités.

Le respect de la dignité humaine est une valeur universelle fondamentale. La solidarité relève aussi de notre responsabilité, en tant qu'êtres humains, vis-à-vis de ceux qui sont les plus vulnérables parce qu'ils fuient la guerre, les conflits, la pauvreté et les difficultés économiques. La solidarité découle aussi de la nécessité politique de s'attaquer, de manière globale, au défi de la migration.

La semaine dernière, je me suis rendue en Turquie avec une délégation de 25 membres de l'Assemblée pour visiter les camps de réfugiés et les projets locaux d'intégration à la frontière syrienne. C'était la deuxième fois que je me rendais dans cette région et je tiens à saluer une fois encore l'extrême générosité de la Turquie et de son peuple, ainsi que les efforts considérables consentis par les autorités turques pour faire face à cet afflux massif de réfugiés.

Notre visite a été particulièrement bouleversante. Nous nous trouvions à un centaine de mètres à peine de la frontière syrienne. Ici, la guerre n'était plus un événement survenant dans un pays étranger lointain, la souffrance des gens ne s'étalait plus sur un écran ou un bout de papier ; elle était suffisamment proche pour pouvoir la toucher, l'entendre, la voir. Nous avons entendu des témoignages sur le conflit qui sévit de l'autre côté de la frontière et sur les grandes souffrances qui en résultent, mais nous avons aussi pu constater la dignité, l'espoir, la générosité et la solidarité.

J'espère que, lorsqu'ils seront rentrés dans leurs pays respectifs, ceux qui se sont rendus dans les trois camps d'Elbeyli, de Nizip 1 et Nizip 2, ainsi qu'à Kilis et Gaziantep, sauront traduire en mots ce qu'ils ont compris et ce qu'ils ont vu pour sensibiliser sur la situation des réfugiés en  Turquie et sur ses conséquences pour l'Europe et les réponses à apporter par celle-ci.

Nous devons bien comprendre que l'Europe est moins confrontée à un défi qu'à un phénomène. Cette distinction est importante ; un défi est en effet quelque chose qu'il faut surmonter et régler. Or, c'est un phénomène auquel nous sommes confrontés aujourd'hui. Un phénomène peut causer de plus ou moins grandes difficultés, mais il ne disparaît pas. En effet, la situation aux frontières de l'Europe de l'est et du sud ne s'améliorera pas dans un futur proche puisque les conflits traînent en longueur et que les difficultés économiques perdurent.

Nous devons réformer nos politiques et notre législation en matière d'asile pour faire en sorte que tous ceux qui demandent une protection internationale puissent y accéder dans les meilleures conditions possibles. Nous devons partager – de manière équitable – la responsabilité qui nous incombe de prendre des mesures en faveur des réfugiés pour qu'ils puissent vivre dignement, pour qu'ils  puissent croire en l'avenir et pour qu'ils ne deviennent pas désenchantés, marginalisés, furieux et frustrés. L'éducation des jeunes réfugiés est essentielle pour prévenir leur radicalisation. Nous devons en même temps aider les pays d'origine à stabiliser leurs gouvernements et leurs institutions, et à promouvoir le développement économique.

Les hommes politiques doivent briser les stéréotypes négatifs et détruire les mythes qui entourent les réfugiés et les migrants. Nous devons nous employer au contraire à mettre en avant tout ce qu'ils peuvent apporter à nos sociétés et nous devons prendre acte de nos responsabilités à leur égard. A l'heure où les discours populistes et xénophobes se multiplient, c'est ce qui importe le plus aujourd'hui. Il importe aussi que toutes les forces politiques démocratiques s'élèvent contre la haine et l'intolérance.

Chers collègues,

Je voudrais vous demander, lorsque vous serez de retour chez vous, dans vos parlements respectifs, de nourrir le débat sur les migrations, comme je l'ai déjà demandé dans une lettre adressée aux présidents des parlements auxquels appartiennent ceux qui se sont rendus en Turquie la semaine dernière.

Le débat d'actualité proposé sur la nécessité d'une réponse européenne concertée aux problèmes découlant de la migration  sera l'occasion de passer en revue toutes ces questions et de faire des propositions concrètes. J'espère pouvoir compter sur votre soutien lorsqu'il s'agira d'adopter le projet d'ordre du jour pour cette partie de la session.

* * *

Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,

Comme beaucoup d'entre vous le savent, je suis de près les compétitions sportives. J'admire l'engagement des athlètes et leur volonté sans faille de progresser et d'atteindre à l'excellence. J'appuie fermement les valeurs consacrées par la Charte olympique qui a pour but de « mettre le sport au service du développement harmonieux de l'humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver le respect de la vie humaine ».

C'est également le but du Conseil de l'Europe.

Il y a une semaine, alors que j'assistais à l'ouverture des premiers Jeux européens à Bakou, j'ai souhaité le meilleur aux nombreux athlètes qui avaient fait le déplacement depuis toute l'Europe jusqu'en Azerbaïdjan pour participer à cette compétition. En même temps, je ne pouvais pas m'empêcher de penser au sort des nombreux défenseurs des droits de l'homme, militants politiques et journalistes qui sont actuellement détenus dans le pays.

La plupart des interlocuteurs et partenaires du Conseil de l'Europe se trouvent soit en prison, soit en détention préventive, condamnés ou accusés des chefs de fraude, d'évasion fiscale, d'organisation de troubles généralisés ou, ce qui est pour le moins surprenant, d'incitation au suicide.

Des journalistes respectés, qui travaillent pour des journaux comme le Guardian au Royaume-Uni, et des défenseurs des droits de l'homme d'organisations de premier plan comme Human Rights Watch et Amnesty International, sont actuellement interdits de territoire. Quant au bureau de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), il a été fermé.

Les voix critiques sont réduites au silence et les militants politiques emprisonnés. Comme la Cour européenne des droits de l'homme l'a relevé dans son arrêt rendu en l'affaire Ilgar Mammadov, il s'agit de réduire au silence et de punir. Il est à noter que les autorités azerbaïdjanaises n'ont, jusque-là, nullement tenu compte de cette décision.

Cette situation est-elle compatible avec les idéaux de la Charte olympique et avec les valeurs et normes du Conseil de l'Europe? Pour insister sur notre point de vue, j'ai écrit au Président du Comité olympique européen, M. Patrick Hickey, pour appeler son attention sur la situation des droits de l'homme.

Nous devons donc aborder ces problèmes de manière directe parce que notre mission est de défendre les valeurs qui sous-tendent les fondations de notre Organisation. Il nous appartient d'agir comme des « amis critiques » et qu'il me soit permis d'insister sur le mot « AMIS ». Cela signifie qu'il nous appartient de traiter les problèmes de manière ouverte, de proposer des améliorations et de fournir une aide.

Tel est l'objectif du débat sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan qui se tiendra demain. Avec nos collègues azerbaïdjanais, nous devons concevoir un plan concret pour améliorer la situation avant les élections législatives qui se tiendront à l'automne.

J'espère que ce débat y contribuera.

* * *

Chers collègues,

Je me dois d'évoquer un autre défi auquel nous sommes confrontés depuis des mois, le conflit en Ukraine.

Malgré l'accord de cessez-le-feu, les hostilités s'étendent à l'est du pays, le taux de mortalité est à la hausse et le nombre de personnes déplacées va croissant.

Nous devrons donc maintenir la situation en Ukraine au centre de notre attention pour fournir aux autorités le soutien le plus approprié. En effet, certaines questions doivent être traitées. 

La situation des droits de l'homme est alarmante : il est fait état de violations graves des droits de l'homme dans les régions touchées par le conflit; l'impunité des auteurs de ces violations n'a pas cessé et on ne peut accepter aucune impunité; la sécurité des journalistes reste à conquérir et les violations du droit international humanitaire se poursuivent de tous les côtés.

La situation en Crimée, après son annexion, est extrêmement inquiétante : des cas d'arrestations, de mauvais traitements, d'actes de torture et d'intimidation contre des opposants politiques continuent d'être signalés.

L'incidence du conflit sur les droits économiques et sociaux des civils demeure dramatique.

En même temps, nous devons également prendre acte des progrès accomplis: les réformes suivent leur cours, mais plus lentement qu'on pourrait le souhaiter. Ce matin nous avons été informés que le Parlement ukrainien compte adopter les amendements à la constitution en première lecture avant la fin de la session actuelle du Parlement.

Loin de baisser les bras, nous devons donc continuer d'aider l'Ukraine. Non seulement sur le front des réformes - aspect sur lequel le Conseil de l'Europe a été très actif – mais aussi en ce qui concerne les conséquences humanitaires du conflit.

Nous pouvons et devons faire des progrès sur un certain nombre de points, parmi lesquels l'identification des personnes disparues et l'aide aux familles. C'est pourquoi le débat que nous tiendrons sur ces sujets plus tard cette semaine est crucial.

Nous sommes bien entendu conscients de la complexité du défi. Nous savons tous trop combien le rôle de la Russie dans cette crise est essentiel pour mettre fin à la guerre et trouver une solution durable.

Et je voudrais réitérer notre appel à libérer notre collègue Nadiia Savchenko qui malheureusement cette fois-ci encore n'est pas en mesure d'être parmi nous à cause de sa détention.

Aussi, à titre de suivi de notre décision de janvier, nous nous pencherons mercredi sur la question des pouvoirs de la délégation russe à l'Assemblée. Quand j'ai appris que deux de nos membres, MM. Bob Walter et Karl-Georg Wellmann, ainsi que d'anciens membres, figuraient sur la liste noire établie par la Russie, j'ai immédiatement contacté son Ambassadeur pour en savoir davantage sur les raisons pour lesquelles nos collègues étaient interdits d'accès au territoire russe, et sur les conséquences en découlant pour nos travaux. Nous y reviendrons certainement pendant le débat.

* * *

Mesdames et Messieurs,

Pour conclure, quelques mots sur ceux qui seront nos invités cette semaine.

Je suis fière que notre Assemblée continue de jouer un rôle déterminant en tant que plate-forme pan-européenne de dialogue et de coopération.

Cette semaine, nous recevons deux chefs d'Etat, – Son Excellence Madame Louise Coleiro Preca, Présidente de Malte, et son Excellence M. Mladen Ivanic, Président de la présidence de la Bosnie-Herzégovine.

Nous avons aussi le grand privilège de recevoir le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M Ban Ki-moon, qui prendra la parole demain devant l'Assemblée.

Je suis convaincue que ces hautes personnalités contribueront à la richesse des échanges avec l'Assemblée.

Un grand merci pour votre attention.