Josef

Klaus

Chancelier fédéral de la République d'Autriche

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 2 octobre 1969

Eminente Assemblée, Représentants des citoyens de l’Europe: C’est pour moi un honneur et un privilège de m’adresser à vous en cette année du vingtième Anniversaire du Conseil de l’Europe. Je vous remercie d’avoir donné au Chancelier fédéral d’Autriche l’occasion de procéder ici, devant cette «conscience de l’Europe», au moyen d’un dialogue entre un chef de gouvernement et les représentants de l’ensemble des citoyens européens, à un examen de conscience européen.

Beaucoup d’organisations se qualifient à juste titre d’européennes, mais aucune, me semble-t-il, ne mérite autant ce qualificatif que le Conseil de l’Europe, seule organisation politique à laquelle participent à la fois les Etats membres de la Communauté Economique Européenne et les Etats membres de l'A.E.L.E.

Qu’il me soit permis d’exprimer surtout ma gratitude et mon respect à l’éminent Président de cette Assemblée, M. le Professeur Olivier Reverdin, qui a eu l’amabilité de m’inviter à prendre la parole devant vous.

Si nous nous reposons sur nos réalisations, si nous ralentissons le rythme de notre évolution, non seulement notre avenir économique, mais aussi notre liberté seront compromis.

Je salue en même temps en lui le citoyen d’une république voisine de la nôtre qui, en tant que professeur au vrai sens du terme, humaniste et Européen convaincu, a toujours été un exemple pour nous tous.

Je dois aussi remercier le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, le Dr Toncic Sorinj; vous ne me taxerez certainement pas de chauvinisme si j’exprime, en même temps que ma gratitude, la joie que j’éprouve à voir un de mes compatriotes occuper un poste de responsabilité dans l’action européenne. Permettez-moi également, à cette occasion, d’adresser à son prédécesseur, M. Peter Smithers, les remerciements et la reconnaissance du Gouvernement fédéral autrichien pour l’œuvre méritoire et fructueuse qu’il a accomplie au service de l’idéal européen. Je vous apporte à tous le salut de mon pays, l’Autriche, ce vieux pays situé au cœur de notre patrie européenne commune.

Vingt ans après la création du Conseil de l’Europe, il me semble indiqué de faire le bilan de notre action, d’examiner si nous avons tiré parti de nos talents, de faire notre examen de conscience en nous demandant si nous avons mis en œuvre toutes les ressources dont nous disposions pour traduire dans les faits les idées de ces grands Européens que furent Churchill, Schuman, de Gasperi et Adenauer.

Si nous examinons les différents postes de ce bilan, nous pouvons à juste titre nous estimer satisfaits de ce qui a été réalisé. Cinquante ans après la conclusion des Traités de St-Germain et de Versailles, et près de 25 ans après l’effondrement spirituel et matériel de notre continent, les Etats membres du Conseil de l’Europe entretiennent des relations amicales. D’anciennes «inimitiés héréditaires» ont cédé la place à des relations de confiance mutuelle. Le rapprochement économique et, dans une certaine mesure, politique des pays membres du Conseil de l’Europe a beaucoup progressé, le bien-être de nos citoyens s’est amélioré, la paix s’est consolidée. Certes, il y a encore malheureusement des problèmes de caractère ethnique et religieux qui exigent que nous soyons entièrement disposés à prendre des responsabilités et à agir pour régler les conflits au sein de notre propre maison européenne si nous voulons, en tant qu’Européens, exprimer un avis valable au sujet des conflits qui surviennent en dehors de notre continent.

Cependant, Mesdames et Messieurs, nous éprouvons un sentiment de malaise lorsque nous devons constater combien notre continent est encore loin d’atteindre le degré d’unité qui seul permettrait que nous répondions ensemble aux défis des années 70. Nous devons être pleinement conscients que cette prochaine décennie va être déterminante pour la destinée de l’Europe. Elle sera, nous le savons, décisive: ou bien l’Europe se rappelant la puissance créatrice de notre continent s’organisera, ou bien elle sera définitivement réduite à l’état de fantoche sur la scène internationale.

Le 20 juillet 1969, même ceux qui n’en avaient pas conscience jusqu’à présent, ont dû se rendre à l’évidence: par la concentration de ses forces et sa capacité d’organisation, l’Amérique, fille de l’Europe, a franchi le seuil de l’ère planétaire en envoyant des astronautes sur la Lune. Le fait que l’esprit européen ait aussi soufflé sur le berceau de cette aventure de l’humanité peut nous inspirer une certaine fierté mélancolique, mais ne peut pas nous faire oublier en dernier appel qu’il nous faut faire face à l’avenir.

Nous avons effectivement une chance, si nous créons de nouvelles structures, si nous comblons, non seulement l’écart technologique, mais aussi l’écart dans les méthodes de gestion si, faisant appel à notre puissance créatrice, nous cessons de nous diviser entre Européens minimalistes et maximalistes, bref si nous réveillons en nous l’homme européen. «Sic itur ad astra», ainsi atteint-on les étoiles, dit Virgile dans l’Enéide, et le nom du projet lunaire «Apollo» devrait nous stimuler et nous inciter, en tant qu’Occidentaux, à tenir notre rang sur un pied d’égalité dans la compétition entre l’Atlantique et le Pacifique.

Nous voyons tous, Mesdames et Messieurs, que le continent européen a commencé à prendre conscience de son rôle. Je vous remercie en cette occasion, en votre qualité de parlementaires européens, pour votre dévouement infatigable à la cause de l’Europe, pour les avertissements et les exhortations que vous avez adressés aux gouvernements et pour votre foi inébranlable en notre idée européenne.

Vous avez aussi été les premiers à comprendre que l’existence de l’Europe reposait sur le dialogue. Ceci est vrai depuis trois mille ans, car c’est justement ici, sur ce sol, que les influences celtique, romaine, latine et germanique ont contribué, pendant deux mille ans, à établir les fondements de la civilisation dans cette région centrale de l’Europe. En dernière analyse, l’Europe, tout en étant indépendante, a toujours tourné ses regards vers l’extérieur. C’est probablement grâce à cette attitude ouverte qu’elle dispose d’un dynamisme potentiel qui a fait maintes fois ses preuves au cours de l’histoire.

C’est en fait cette attitude qui nous permet de dépasser aujourd’hui l’idée que l’Etat-nation constitue la forme suprême d’organisation de la société humaine. Il est vrai cependant que les nations représentent, comme par le passé, des réalités solides. Mais l’expérience des années 1960 doit nous servir de leçon. Personne n’y a rien gagné, nous y avons tous, au contraire, perdu quelque chose – au moins beaucoup de temps précieux. Le réveil du nationalisme serait hors de saison et aurait des effets nuisibles.

Nous savons aussi que certaines branches de l’économie et certaines sociétés industrielles hésitent encore entre les opérations de reconversion et de modernisation nécessaires, et l’attitude habituelle impliquant le refus de se poser des problèmes et la crainte de la libre concurrence. Mais certains signes permettent enfin d’entrevoir également le début d’un renouveau dans le domaine de l’économie.

Mais nous sommes en même temps conscients du fait que l’Europe doit être autre chose qu’une grande société par actions ou la somme des économies nationales. Une telle conception de l’Europe équivaudrait à la négation de l’esprit européen. Il est des facteurs qui sont pour l’Europe d’une importance prépondérante: ses ressources naturelles dans toute leur diversité et le rôle qu’elles ont joué au cours de l’histoire.

Si nous passons en revue notre histoire commune, nous arrivons à conclure que le fédéralisme est la base la plus favorable à une vie commune pour les nations occidentales. Le libre citoyen en tant que «zoon politikon» est la cellule de base de la cité, qui est, à son tour, un des éléments constituants du système fédéraliste. Ce système a de tous temps favorisé une saine compétition, condition sine qua non de toute œuvre créatrice. C’est le système qui permet le plus sûrement d’envisager les problèmes à un niveau supra-national. Si nous voulons gagner la bataille pour l’avenir de l’Europe, nous devons donc, Mesdames et Messieurs, la mener dans un esprit de coopération fédéraliste.

Nous avons le sentiment que les gouvernements et les citoyens de notre communauté européenne des nations ont pris conscience des besoins de l’heure. Ici et là, les vieux schémas organisationnels et les anciens systèmes de coopération sont abandonnés pour faire place à de nouvelles structures qui devront permettre de tirer des ressources de notre continent le meilleur parti possible.

Vous connaissez certainement tous, Mesdames et Messieurs, les sombres pronostics assortis à l’idée que l’Europe pourrait faillir à sa mission. En dépit de toute la prudence que nous devons observer, à cet égard, ces pronostics ne peuvent manquer de nous frapper. N’est-il pas en effet saisissant de constater que la comparaison, entre les statistiques internationales concernant les brevets américains et les brevets européens, révélait encore en 1938 une proportion de 3 pour 1 en faveur de l’Europe et qu’en 1964 cette proportion était inversée? Ne devrions-nous pas être affectés par le fait qu’on prévoit, si cette tendance devait se confirmer, que les Etats-Unis posséderont d’ici la fin de ce siècle le monopole de la recherche dans le monde démocratique? Mais si nous considérons ce que notre continent est capable de produire si ses ressources intellectuelles et économiques sont mises en commun, ne serait-ce qu’en partie, il ne convient plus alors de désespérer, mais seulement d’agir.

Nous ne pouvons pas oublier que nous possédons une matière première dont la valeur est aujourd’hui supérieure à celle des minéraux les plus précieux: nous disposons de ressources intellectuelles qui peuvent sans aucun doute garantir à l’Europe ses chances pour l’avenir. Néanmoins, nous devons cesser d’offrir à une jeune génération à la fois critique et idéaliste, le triste spectacle de nos considérations étroites et des survivances de l’égoïsme nationaliste. Prenant conscience de cet état de choses, les économies nationales européennes ont, sans même attendre que notre continent ait pu parfaire son unité, amorcé des réformes de structure qui permettent de très bien augurer de l’essor futur d’une Europe organisée.

Permettez-moi, Mesdames et Messieurs, d’illustrer ces affirmations par une description de la situation de mon pays. Quand, en 1965, j’ai eu le privilège de m’adresser à votre Assemblée, j’ai pu présenter un rapport favorable à ce sujet. La communauté sociale du peuple autrichien a réalisé depuis un progrès remarquable. Les changements structuraux qui ont affecté l’industrie, l’artisanat, et encore davantage l’agriculture, ont eu un résultat positif. Ce fait est encore souligné par le rapport de l’O.C.D.E. sur l’Autriche, qui est cette fois très favorable. Le Gouvernement autrichien a mis en application les mesures relatives à la modernisation de l’économie du pays telles qu’elles étaient prévues dans un plan établi par le professeur Koren, ministre des Finances d’Autriche. La réorganisation et la réadaptation de l’économie qui devaient en être la conséquence sont en plein essor. Notre économie naturelle se prépare, à l’aide de ses propres ressources à une intégration européenne sur une grande échelle. Si vous considérez que le taux moyen de développement économique prévu pour la période 1966 à 1970 était de 4 % par an, alors que celui qui a été réalisé jusqu’ici a été en fait de 4,7 %, vous reconnaîtrez alors que nous nous sommes acquittés de nos obligations européennes dans toute la mesure de nos capacités, pour le bénéfice de l’ensemble de notre Communauté européenne naissante. Je puis ajouter que cette évolution a eu lieu grâce au maintien d’un climat optimum de paix industrielle et politique.

En conséquence, nous autres Autrichiens, non seulement croyons être très bien préparés en vue de la grande Europe, mais nous réservons aussi le droit de coopérer, dans les limites de l’observation des principes de notre statut de neutralité permanente, à la création d’une structure européenne de grande envergure. Les décisions récemment prises par les communautés européennes, la conférence prévue pour les chefs d’Etats et de gouvernements des pays de la Communauté Economique Européenne et les déclarations que des hommes d’Etat éminents ont faites à ce sujet intéressent l’Europe dans son ensemble. Nous sommes tous convaincus que les tendances qui se sont manifestées récemment conduiront vraiment dans un proche avenir à des négociations incluant aussi les pays comme l’Autriche qui ne demandent pas à devenir membres complets du Marché commun et ont ainsi proposé à l’approbation de la Communauté certains arrangements particuliers.

Au cours du débat sur l’élargissement de la Communauté, il se révélera certainement utile, en ce qui concerne les pays qui, sans vouloir devenir membres de la Communauté Economique Européenne désirent néanmoins coopérer à l’œuvre d’édification d’une grande Europe, d’examiner si, eu égard au caractère mineur des problèmes techniques qui se posent, il serait ou non opportun de hâter la conclusion de ces arrangements. Les négociations avec ces pays devraient en tous cas être menées de manière à être achevées en même temps que les négociations entre la Communauté et les pays qui ont posé leur candidature de membre.

Ceci apparaît aussi nécessaire du fait que le besoin de coopération entre les pays du Conseil de l’Europe dans le domaine des politiques économique et monétaire s’est fortement manifesté récemment.

Mesdames et Messieurs, en abordant le sujet de l’élargissement des communautés européennes, il semble utile de penser à la fois à l’avenir proche et à l’avenir lointain et par conséquent d’envisager un schéma d’unification progressive de l’Europe permettant de tenir compte des conditions particulières qui prévaudront dans les différents pays, notamment les pays neutres.

Ce n’est guère le rôle d’un Etat neutre de faire à d’autres pays européens des propositions relatives au système de coopération politique à l’échelle européenne. Bien qu’une telle unification ait fait l’objet d’un certain nombre de projets intéressants et utiles, ce n’est que dans l’avenir que l’on pourra étudier sous quelle forme elle pourra être réalisée et quelles structures juridiques on pourra lui donner. Nous pouvons cependant reconnaître dès maintenant que le Conseil de l’Europe est une organisation au sein de laquelle on peut aisément parvenir à coordonner des objectifs dans divers domaines tels que les secteurs juridiques, économiques et culturels, la politique sociale et la planification et l’aménagement régional, pour ne citer que quelques exemples.

J’ai le sentiment que les possibilités qu’offre le Conseil de l’Europe, non seulement en tant qu’organisation de coopération intergouvernementale dans différents domaines technologiques, mais aussi en tant qu’instrument d’échanges d’opinions, n’ont pas été jusqu’ici pleinement exploitées. Le Gouvernement autrichien fera donc, jusqu’à l’élargissement des Communautés et continuera de faire par la suite des efforts accrus en vue d’assurer la pleine utilisation des possibilités du Conseil de l’Europe.

Nous ne pouvons pas oublier, Mesdames et Messieurs, que le Conseil de l’Europe est en fait l’instrument essentiel d’une politique active de détente. Le programme de travail conçu avec tant de succès par le précédent Secrétaire Général montre qu’il existe aussi pour les pays qui ne font pas partie du Conseil de l’Europe, des domaines étrangers à toute discussion politique, dans lesquels une coopération peut être jugée utile, voire nécessaire. Le Conseil de l’Europe est une institution particulièrement apte à traiter des problèmes quotidiens de la vie européenne. A notre époque, l’Europe entière est confrontée avec les mêmes problèmes concrets. Les questions de nature scientifique et technologique ne connaissent pas de frontières. Le programme de travail auquel je viens de faire allusion pourrait apporter une base appropriée pour l’élaboration d’études qui seraient utiles à tous les pays du continent.

Dans l’exposé que j’ai fait en 1965 devant vous, Mesdames et Messieurs, j’ai exprimé l’idée que nous, Autrichiens, ne pouvons nous défendre de considérer l’avenir que bâtit l’Europe comme un édifice imparfait et inachevé tant qu’il n’aurait qu’une façade centrale et une aile occidentale et que l’aile orientale restera négligée. Le Gouvernement autrichien apporte donc son appui à tous les efforts entrepris par le Conseil de l'Europe en vue de promouvoir la paix et la détente en améliorant les contacts avec les pays situés dans la partie orientale de notre continent, bien que nous ayons été, évidemment, profondément préoccupés par les événements de Tchécoslovaquie.

Conscients de la nécessité d’une détente sur notre continent, le Gouvernement autrichien s’est plusieurs fois montré favorable à l’organisation d’une conférence sur les problèmes de sécurité concernant l’ensemble de l’Europe. Afin que soient assurées les meilleures chances de succès, une telle conférence devrait être préparée avec soin et ouverte à tous les pays désireux d’y participer. En outre, elle devrait avoir lieu dans une atmosphère de confiance réciproque.

Pour créer une telle atmosphère, il serait très utile que, dès à présent, la coopération scientifique, technologique et culturelle entre les pays du Conseil de l’Europe et les pays européens non-membres soit intensifiée tant à l’échelon bilatéral qu’à l’échelon européen. Le 27 avril 1967, M. Leonide Brejnev faisait une déclaration sur ce point à la Conférence de Karlsbad. Dans son exposé, M. Brejnev citait à titre d’exemples de la coopération scientifique et technologique: la construction d’un gazoduc d’un bout à l’autre du continent; la mise au point d’un système de télévision en couleurs couvrant l’Europe entière et l’utilisation pacifique de l’énergie atomique; en outre, une action commune sur les problèmes de purification des eaux intérieures européennes et des mers et des océans bordant l’Europe; la mise en commun des efforts de chaque pays pour enrayer des maux tels que le cancer, les maladies cardio-vasculaires, etc. Bien que plus de deux années se soient écoulées depuis cette déclaration, nous nous félicitons du fait que la coopération scientifique et technologique qu’elle suggère soit envisagée au profit du continent européen dans son ensemble et loin de toute arrière-pensée de conséquences politiques possibles.

Je me suis servi des mots «façade centrale de l’Europe» et je voudrais ajouter que nous devrions redonner de la valeur aux termes «Europe centrale»? Nous nous sommes trop habitués à voir le continent divisé en hémisphère occidental et en hémisphère oriental pour des raisons idéologiques étroites et à perdre de vue la notion d’Europe centrale.

Quand nous envisageons l’évolution future de notre continent, il nous faut autant tenir compte de l’histoire des pays d’Europe centrale que de leur fonction spirituelle et géographique. L’Europe centrale doit être une zone de détente. Mais sa renaissance ne peut s’achever que grâce à une nouvelle détente. L’Autriche neutre, qui est devenue en plein cœur du continent un facteur de stabilisation reconnu par toutes les puissances, est disposée à poursuivre ses efforts dans l’intérêt de la détente et de la coopération en Europe centrale.

En dépit du fait qu’aucun détail sur l’évolution future de la Communauté européenne n’ait été précisé, les pays membres du Conseil de l’Europe devraient travailler inlassablement à créer les conditions de base nécessaires à la réalisation des objectifs et à la mise en place des institutions et des méthodes de la future unification européenne. Nous pourrions dès maintenant définir clairement les pouvoirs des futures institutions intereuropéennes et renforcer la base d’une action commune. Les efforts faits par le Conseil de l’Europe en vue de promouvoir une politique structurelle et une planification régionale commune en Europe illustrent ces possibilités 
			(1) 
			La liste remarquable
des Conventions du Conseil de l’Europe dans les domaines mentionnés
plus haut montre l’étendue de l’œuvre déjà accomplie..

Nous reconnaissons tous que l’intégration européenne resterait fragmentaire si une politique commune n’était pas mise en œuvre dans les domaines de la recherche et de la technologie et si toutes les énergies n’étaient pas mobilisées dans ce but. En dehors des possibilités mentionnées ci-dessus pour l’ensemble de l’Europe, la participation des zones Atlantique et Pacifique, rendue possible par l’O.C.D.E., peut amener une coopération plus étroite entre le Conseil de l’Europe et l’O.C.D.E. dans les secteurs scientifiques et technologiques. Un tel renforcement économique de l’hémisphère Nord, suivi par des projets d’aide au développement accrus et spécifiques, profiterait également à la partie méridionale du globe.

Mesdames et Messieurs, nous serions des Européens chauvinistes, si, confrontés avec tous les problèmes qui nous concernent, nous en arrivions à oublier ceux qui concernent la famille des nations tout entière. L’Autriche a donc de tout temps défendu l’idée que le Conseil de l’Europe ne devrait pas s’isoler, mais devrait avoir une attitude ouverte à l’égard du reste du monde. Le fait qu’un grand nombre de non-Européens aient pris la parole ici devant vous atteste que vous êtes pénétrés d’un véritable esprit européen. L’Autriche suggère aussi que soient intensifiées les relations entre le Secrétariat du Conseil de l’Europe et celui des Nations-Unies, sans oublier ceux des institutions spécialisées des Nations-Unies. Ainsi, le Conseil de l’Europe démontrerait de façon encore plus manifeste qu’il joue le rôle d’une institution régionale solide au sein de la famille des nations.

A notre époque, nous devrions nous poser continuellement la question de savoir si nous nous efforçons avec assez de vigueur de relever le défi de l’avenir. A cet égard, il faudrait en toute priorité garantir à notre jeunesse la meilleure éducation possible. Il est en vérité du moins compréhensible qu’il existe une certaine agitation chez une partie des jeunes d’Europe. Cette agitation provient de l’inquiétude que suscite le doute quant à la capacité de nos institutions scientifiques et les structures technologiques, économiques et d’organisation dans leur ensemble de donner aux jeunes toutes les qualifications dont ils ont besoin pour assurer leur avenir dans les dix années décisives qui viennent.

Puisqu’une réforme des universités est actuellement en cours dans tous les pays, je pense qu’il serait opportun de donner à cette réforme une physionomie inspirée de la meilleure tradition des universités européennes, à savoir de leur caractère international. A mon sens, la création d’une université européenne est moins importante que la mise au point de niveaux d’étude européens dans nos universités grâce à un réajustement indispensable des programmes d’étude et à la reconnaissance réciproque des diplômes. A cet égard, l’œuvre du Conseil de l’Europe est exemplaire: les Conventions européennes sur l’équivalence des diplômes donnant accès aux établissements universitaires et sur l’équivalence des périodes d’études universitaires, ainsi que la Convention européenne sur l’équivalence des qualifications universitaires sont des témoignages éloquents de ses activités.

Parallèlement à la promotion de la coopération dans les secteurs scientifique, technologique et culturel, nos jeunes doivent être éduqués dans un nouvel esprit européen. Ce n’est que par les actes et par notre exemple que nous pourrons convaincre nos jeunes savants, ingénieurs et techniciens de l’intérêt de consacrer tous leurs efforts à l’édification d’un nouvel ordre en Europe. Ce n’est que grâce aux mesures que prendront les hommes d’Etat responsables et leurs représentants que nous pourrons ranimer chez notre jeunesse la flamme de l’idéalisme pour ce nouvel ordre. Ceci implique également l’établissement des contacts les plus étroits entre les jeunes générations d’Europe. La décision du Conseil de l’Europe de faire construire à son quartier général un Centre de la jeunesse où les animateurs de la jeunesse européenne seront formés dans ce nouvel esprit, nous a encouragés à soumettre à votre examen, Mesdames et Messieurs, le projet suivant: L’Autriche, en tant que pays neutre d’Europe centrale, situé sur la ligne de démarcation entre deux blocs idéologiques, propose aux organisations de jeunes de tous les pays européens, de l’Est et de l’Ouest, d’établir en Autriche une Académie internationale des jeunes. Des jeunes originaires de l’Est et de l’Ouest y trouveront une occasion d’examiner les problèmes communs et essentiels de notre continent dans un esprit européen de fraternité et de poser les fondations de leur avenir. Nous autres Européens d’aujourd’hui ne pourrions trouver de meilleure manière d’honorer la mémoire d’un des Européens les plus éminents, le Prince Eugène de Savoie, qu’en donnant pour abri à cette université une demeure située aux abords de Vienne qui fut autrefois construite pour cet illustre Savoyard.

Mesdames et Messieurs, à l’époque des ordinateurs, nous ne pouvons éluder la question du développement de l’informatique. Aucune action raisonnable ne peut être entreprise aujourd'hui sans la possibilité de produire rapidement les données nécessaires à la prise de décision. Nous devrions donc envisager la création, dans nos pays, de banques de données et mettre finalement au point une banque européenne des données qui serait ouverte à tous les gouvernements, savants et chercheurs. En Autriche, nous sommes actuellement en train de construire un nouveau Bureau central de statistique qui répondra à cette nécessité de notre époque. Je suis convaincu que la création d’une Banque européenne des données serait une étape décisive vers l’élaboration des nouvelles structures indispensables pour faire face aux problèmes des années 1970. Notre meilleure volonté et nos conceptions les plus hardies deviendraient à moitié efficaces si nous tardions à moderniser notre technique de l’information. Je suggère donc qu’une initiative appropriée dans ce sens prenne corps au sein du Conseil de l’Europe.

Or, Mesdames et Messieurs, ceci me ramène aux principes du Conseil de l’Europe. Toute planification pour l’avenir, toute extension de la Communauté européenne et, en résumé, toute sorte de coopération devrait s’appuyer sur la démocratie, la constitutionnalité et les droits de l’homme. La loi règne sur tous. En s’appuyant sur la vérité, le Conseil de l’Europe sera confronté avec la haute mission de protéger la position de l’homme à l’âge de la technologie contre l’intervention inhumaine et tyrannique des ordinateurs. Nous sommes arrivés à un tournant décisif du siècle, en ce qui concerne l’individu et sa liberté. Ou bien l’individu perdra sa liberté de décision sous la domination des ordinateurs, ou il participera au progrès tout en sauvegardant sa liberté. Grâce à une tradition de respect de l’individu remontant à plusieurs siècles, l’Europe devrait être en mesure de faire face au développement de nouvelles structures tout en protégeant la liberté humaine. Ceci m’apparaît, Mesdames et Messieurs, comme une des responsabilités les plus nobles et des plus urgentes pour le Conseil de l’Europe dans l’avenir. Le fait que le Conseil de l’Europe a reconnu les nécessités de notre époque est corroboré par sa recommandation sur les droits de l’homme et les réalisations scientifiques et technologiques, et en particulier sa recommandation concernant l’emploi des ordinateurs en relation avec la protection de la vie privée.

Nous avons maintenant pris un aperçu de notre avenir sur le continent européen. Celui qui se tourne vers le passé, et qui dépense ses dernières ressources d’énergie pour sauver les survivances du passé manquera certainement l’avenir. Si nous nous reposons sur nos réalisations, si nous ralentissons le rythme de notre évolution, non seulement notre avenir économique, mais aussi notre liberté seront compromis. Il nous incombe de créer un nouvel ordre où l’être humain pourra décider de son propre destin en citoyen adulte. Toutes les actions entreprises par n’importe lequel d’entre nous sont empreintes de la responsabilité de relever le défi de l’avenir. A cet effet, nous devons compter sur la jeunesse – jeunesse non seulement de corps mais également d’esprit. L’Europe souffre d’un grand mal dont nous avons tous été responsables d’une manière ou d’une autre: pour des raisons diverses nous n’avons pas fait assez dans nos pays pour engager nos jeunes, la jeune génération d’Europe, assez tôt dans la responsabilité du présent et de l’avenir proche et lointain. La compréhension et la lucidité à cet égard ne suffisent pas. Nous devons certainement jeter des ponts entre les générations. Le lien de compréhension entre les générations est la voie de l’avenir pour notre communauté européenne. Si elle est continuellement régénérée par sa jeunesse, l’Europe pourra bâtir son avenir sur une volonté résolue, sur le courage plutôt que sur la pusillanimité et sur l’énergie plutôt que sur l’indolence. Il nous incombe de créer un ordre de paix. Il nous incombe de défendre nos idéaux. Ces nouveaux idéaux européens devraient nous aider à atteindre notre but. Mettons-nous au travail, mettons les bouchées doubles, comblons les fossés. Construisons des ponts entre les pays et les générations et contribuons à la réalisation de l’éternel idéal de l’Europe en ces dix années décisives, avec l’aide de jeunes bras et de cœurs jeunes, conscients de notre mission de sauvegarder la civilisation occidentale.

(Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Chancelier, je vous remercie de votre exposé. Vous avez présenté des propositions et souligné certains aspects de nos travaux futurs. Ils seront examinés, bien entendu, par la commission compétente. Etes-vous disposé à répondre à quelques questions? M. le Chancelier Klaus est disposé à répondre aux questions qu’on voudra bien lui poser. La parole est à M. Capelle.

M. CAPELLE (France)

Comme membre de la commission de l’éducation et de la culture, je voudrais dire à M. le Chancelier Klaus combien ses propos ont suscité de résonance à nos oreilles et dans nos cœurs, après les travaux de notre commission et les discours que nous venons d’entendre dans cette enceinte.

Nous sommes heureux de voir l'importance qu’il a donnée aux problèmes de la jeunesse, à l’actualité de la rénovation des moyens par lesquels nos jeunes s’insèrent dans la société moderne.

Comme universitaire, je voudrais le remercier en particulier d’avoir souligné l’importance d’une évolution de nos universités depuis une époque trop longtemps prolongée où, en dépit des traditions du Moyen Age, le nationalisme était de règle. Nous le remercions d’avoir évoqué ce retour aux sources, que doit être pour l’ensemble de nos universités la prise de conscience d’une vocation européenne.

Monsieur le Chancelier, vous avez ouvert des perspectives optimistes et courageuses, en dépit des difficultés du moment, sur la nécessité de comprendre l’Europe des clercs, l’Europe académique, l’Europe de la jeunesse, au-delà des limites des territoires représentés dans cette enceinte. Nous savons, par beaucoup de contacts personnels, Monsieur le Chancelier, que cet appel est entendu dans cette partie de l’Europe liée à notre histoire, mais qui ne trouve pas aujourd’hui toutes les conditions de l’expression des libertés fondamentales.

Monsieur le Chancelier, encore une fois merci pour les membres de notre commission.

M. BRÜCK (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Monsieur le Chancelier, j’accueille favorablement votre suggestion d’établir à Vienne un centre d’échanges pour la jeunesse où les jeunes de l’Est et de l’Ouest pourraient se réunir. Vous nous dites qu’un bâtiment a déjà été mis à la disposition de ce centre; je vous serais très reconnaissant de nous dire qui doit patronner cet établissement et d’après quelles orientations il sera organisé, car je trouve votre proposition très intéressante.

M. LE PRÉSIDENT

Quelqu’un demande-t-il encore la parole?... La parole est à M. le Chancelier.

M. Klaus, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (traduction)

Monsieur le Président, Messieurs. Je suis très heureux de voir que M. Capelle accorde à cet appel à la jeune génération l’intérêt qu’il mérite dans le présent et pour l’avenir de l’Europe.

Pourrais-je simplement répondre à la deuxième question de M. Brück et vous informer qu’à mon avis et d’après quelques conversations préliminaires, les organisations européennes de jeunesse, avec l’appui de leur pays, mais suivant leur propre initiative, devraient aider à créer et à organiser cette académie de la jeunesse. Il me semble que l’esprit de coopération, de compréhension, de stabilité et de paix qui règne en Autriche, à la frontière de l’Est et de l’Ouest, pourrait offrir une atmosphère appropriée et inciter les jeunes à assumer les responsabilités de leur avenir.

M. LE PRÉSIDENT

Merci beaucoup, M. Klaus.