Robert

Kocharian

Président de l’Arménie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 23 juin 2004

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, Mesdames et Messieurs, je suis sincèrement très content d’avoir l’occasion de vous adresser la parole. La dernière fois que j’étais à cette tribune, c’était un jour très important pour l’Arménie: le jour de l’adhésion de l’Arménie au Conseil de l’Europe.

Trois ans de réformes intenses qui ont touché tous les domaines des activités vitales de la république, exigeant la mobilisation maximale de nos efforts, se sont écoulés. Aujourd’hui, je déclare que l’Arménie a déjà respecté la majorité écrasante des obligations dont elle s’est chargée lors de son adhésion au Conseil de l’Europe. Pour le reste, il y a un plan d’action établi en commun avec le Conseil de l’Europe qui prévoit une finalisation du respect des obligations et engagements jusqu’à la fin de l’année en cours. Mais l’acquisition la plus importante selon moi, ce sont les changements fondamentaux dans la mentalité de la société arménienne concernant son propre avenir. Les gens sont de plus en plus concernés par la vie quotidienne du pays. Il y a de plus en plus d’attachement aux valeurs de liberté et de démocratie. On est dans un processus actif de formation d’une société civile.

Cela signifie-t-il que l’Arménie a atteint le niveau désiré de liberté démocratique? Evidemment, non. Dans tout pays avec une pauvreté sensible, la démocratie a un chemin difficile à parcourir. Un niveau minimal de garanties sociales est indispensable pour une participation complète des gens au processus démocratique. C’est justement la raison pour laquelle nous avons cherché à synchroniser les réformes concernant à la fois l’économie, le système politique, les sphères judiciaires et sociales. En fait, le démontage de l’ancien système centralisé du pouvoir et de l’économie permettant le contrôle total de la société est achevé en Arménie.

Le pays a connu des changements radicaux dans toutes les branches de la structure de l’économie, y compris dans le secteur privé. Le volume et la profondeur des réformes ont favorisé pleinement les relations de l’économie de marché. Aujourd’hui plus de 85 % du PIB en Arménie revient au secteur privé, 38 % étant pour les PME. La croissance moyenne du PIB durant les trois dernières années a été de 12 % malgré le blocus imposé par 2 deux pays partenaires du Conseil de l’Europe.

La dynamique de la croissance économique a permis d’élaborer une stratégie à long terme de lutte contre la pauvreté. Pour la première fois en Arménie, ce programme gouvernemental a été effectué non seulement en coopération avec les institutions financières internationales mais aussi en incluant toutes les couches de la société. A présent, ce document sert de base pour l’adoption des décisions politiques et dans la définition des priorités budgétaires.

Le pas suivant vers la mise en place de la démocratie effective est la lutte contre la corruption. Les autorités arméniennes considèrent la corruption comme un mal qu’il est impossible de déraciner par de simples déclarations ou par des procès démonstratifs. Nous nous concentrons sur des changements de système qui éliminent les raisons mêmes de la corruption. C’est justement pourquoi nous sommes entrés dans le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) où nous pouvons étudier l’expérience des autres pays dans ce domaine. Par le biais d’une large discussion avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la Banque mondiale et le Fond monétaire international, nous avons élaboré une stratégie globale contre la corruption. Il y a quelques semaines, j’ai décrété la création d’un conseil de lutte contre la corruption.

Parmi les mesures immédiates contre la corruption en Arménie, je citerai l’approfondissement des réformes du système judiciaire, l’amélioration de l’administration fiscale et douanière, la mise en place d’un service public efficace, c’est-à-dire la création des instruments de la politique contre la corruption.

Concernant les risques de corruption, je voudrais souligner l’importance de l’établissement d’un milieu concurrentiel, de la crédibilité de l’action du gouvernement, de la simplification et de la transparence des procédures ainsi que du contrôle public. Ce sont aujourd’hui nos priorités, visant à rendre irrévocables les réformes économiques et le processus de la démocratisation en Arménie.

Mesdames, Messieurs, je pense que plusieurs d’entre vous voudraient savoir ce qui s’est passé en Arménie au printemps dernier. Quelle est la raison de cet élan de l’opposition remplaçant l’activité parlementaire par les manifestations révolutionnaires? Récemment, en janvier, le groupe de suivi du Conseil de l’Europe a constaté un progrès significatif de l’Arménie en matière de respect des engagements et des obligations auprès de l’Organisation. Et cela, avant tout, concernant les réformes de renforcement de la démocratie. Récemment, la Résolution 1361 de l’Assemblée a été adoptée, soulignant les progrès de l’Arménie. Toutes les évaluations de la part de toutes les institutions financières internationales sont plus qu’optimistes. Les chiffres de la croissance économique et l’excédent budgétaire en Arménie ne laissent aucune place pour une quelconque révolution. De plus, il reste trois ans jusqu’aux prochaines élections législatives, il n’y a donc aucune raison pour une intensification de l’activité politique dans le pays. Qu’est-ce qui s’est passé, alors?

La réponse est simple. L’opposition s’est inspirée de la «révolution des roses» en Géorgie voisine et a décidé de la reproduire dans la réalité arménienne qui pourtant n’avait rien de commun. L’opposition n’a pas tenu compte du fait que l’économie de l’Arménie, à la différence de la Géorgie, se développe avec intensité, et que le gouvernement se montre ferme dans l’acquisition des valeurs démocratiques, y compris pour le système judiciaire assurant la sécurité publique.

L’Histoire nous apprend que l’inspiration par les révolutions d’autrui ne mène à rien de bien. Mais, malheureusement, les gens s’appuient sur leur propre expérience. C’est ce qui s’est passé chez nous. En quittant le parlement, l’opposition a entrepris des manifestations qui avaient ouvertement pour but de déstabiliser la situation dans le pays, d’attaquer une quantité maximale de gens, de cerner la résidence présidentielle et de m’obliger à démissionner.

En découvrant le manque d’intérêt de la société pour les manifestations, l’opposition a décidé de compliquer les choses pour attirer de toute évidence plus d’attention. Elle a bloqué l’une des avenues centrales d’Erevan, empêchant le fonctionnement normal non seulement des transports publics mais aussi celui de l’Assemblée nationale, de l’administration présidentielle et de la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, sur la même avenue sont situées quatre ambassades, l’Académie nationale des sciences et l’une des plus grandes écoles de la ville. Les organisateurs de la manifestation faisaient appel à la désobéissance civile. La police n’avait plus le choix et l’ordre a été rapidement rétabli et sans dommages.

La nécessité d’une telle intervention policière n’est jamais souhaitable. Mais les autorités doivent toujours défendre la société contre l’extrémisme politique. Surtout dans une jeune démocratie n’ayant pas de traditions d’une culture politique de la légalité. Et cela dans un pays où une partie de la population vit dans la pauvreté et reste accessible pour des manipulations de genre populiste.

Je tiens à souligner que, pendant tout ce temps, les partis de la coalition au pouvoir ont, à plusieurs reprises, tendu la main à une collaboration. Malheureusement, ces propositions ont été refusées par l’opposition, qui de toute évidence, pensait qu’une telle collaboration pouvait faire baisser l’élan révolutionnaire. Nos propositions ont été annoncées dans la presse et à la télévision, mais elles ont été rejetées.

Le pays est en pleine phase de développement, et je suis sûr qu’il y a plusieurs domaines exigeant des efforts communs. Nous avons proposé à l’opposition une coopération dans les domaines les plus importants – notamment les réformes constitutionnelles et le Code électoral. Ces propositions restent en vigueur mais il faut les discuter au parlement et pas dans la rue.

Je n’aurais pas parlé de tout cela s’il n’y avait pas la dernière résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’Arménie. Je regrette que certains de nos députés aient impliqué l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans cette discussion. Je suis sûr que la tribune du Conseil de l’Europe n’est pas la meilleure place pour décider des relations entre le pouvoir et l’opposition. Cela doit se passer au sein de son propre parlement.

Monsieur le Président, maintenant je voudrais revenir sur une autre question prioritaire pour l’Arménie. Au moment de son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Arménie s’est engagée dans la résolution pacifique du conflit du Haut-Karabakh. Nous avons accepté un tel engagement car nous accordons une haute valeur aux relations amicales entre pays voisins. Mais pour trouver une solution efficace à long terme, il faut connaître en détail le conflit. Je voudrais parler de deux facteurs importants caractérisant le conflit du Haut-Karabakh.

Premièrement, le Karabakh n’a jamais fait partie de l’Azerbaïdjan indépendant. Après la chute de l’URSS, sur le territoire de l’ex-République soviétique d’Azerbaïdjan deux Etats se sont créés: la République du Haut-Karabakh et celle d’Azerbaïdjan. Les bases juridiques de l’existence de ces Etats sont identiques. L’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan n’a désormais rien à voir avec la République du Haut-Karabakh. Et nous sommes prêts à discuter la question du règlement du conflit sur le terrain juridique.

Deuxièmement, la guerre de 1992-1994 a été le résultat de l’agression des autorités azéries visant à la purification ethnique du territoire du Haut-Karabakh. La situation créée de facto est le résultat de la lutte des Arméniens du Haut-Karabakh pour le droit d’exister sur leur propre terre. C’est un exemple classique de la réalisation de l’autodétermination d’une part, et d’autre part de l’utilisation du principe de l’intégrité territoriale pour effectuer des purifications ethniques.

Le peuple du Karabakh a défendu son droit à vivre librement dans une société démocratique. L’indépendance de fait du Haut-Karabakh existe depuis seize ans. Il y a déjà une nouvelle génération qui n’imagine pas un autre statut pour le pays. Aujourd’hui, la République du Karabakh est un Etat accompli répondant à tous les critères d’appartenance au Conseil de l’Europe. C’est une réalité qu’il est impossible de contourner. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur sa participation directe dans le processus des négociations où l’Arménie prend une part active.

Le règlement doit se fonder sur le caractère même du conflit et non sur le renforcement éventuel de l’Azerbaïdjan grâce aux pétrodollars, formule de la confrontation et non du compromis. L’Arménie est prête à maintenir et à renforcer le régime du cessez-le- feu. Nous sommes prêts aux négociations sérieuses pour le règlement global du conflit. C’est justement pour cela que nous avons donné notre accord aux deux dernières propositions des intermédiaires qui ont été malheureusement refusées par l’Azerbaïdjan.

Je voudrais souligner particulièrement l’importance du développement de la coopération régionale au Caucase du Sud. Le spectre de la coopération éventuelle pourrait aller de l’harmonisation législative jusqu’au rétablissement du réseau de transports à des projets énergétiques communs. Nous sommes également convaincus que la coopération régionale est une bonne condition préalable pour les règlements des conflits.

Le Caucase du Sud en tant que zone de coopération économique peut signifier beaucoup plus que ce à quoi peuvent rêver les pays de la région séparément. Nous croyons en la paix et la coopération.

Le Caucase du Sud a toujours été une région sensible aux influences extérieures. Elle se trouve au carrefour des civilisations et, compte tenu de son potentiel en matière d’énergie et de transit, a toujours représenté un intérêt particulier. Ce facteur nous a accompagné dans l’élaboration de notre politique extérieure de «complémentarité». Cette politique se base sur l’accord des pouvoirs régionaux et mondiaux, et non sur leur désaccord. Nous devons porter la responsabilité de la stabilité régionale et régler les problèmes au lieu de les compliquer encore davantage. Cette approche nous a permis de créer des relations de confiance avec les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Iran, tout en gardant les liens traditionnels avec la Fédération de Russie.

Je voudrais revenir d’une façon particulière sur les relations arméno-turques, surtout sur l’absence de ces relations. La réalité est telle que ces relations sont chargées de l’héritage du passé – le génocide, ses conséquences et l’absence de repentance. Aujourd’hui la situation se complique avec le blocus de l’Arménie par la Turquie. Je tiens à faire appel à deux principes indispensables à mon avis pour sortir de l’impasse.

D’abord la mise en place des liens pratiques et l’examen des discussions des problèmes hérités doivent se situer sur des niveaux différents, sans interdépendance. Ensuite, les relations arméno-turques ne doivent pas dépendre de nos relations avec un pays tiers. Toute tentative d’imposer des conditions préalables remet à zéro toute perspective.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, en conclusion, je voudrais vous assurer que l’Arménie voit son avenir dans l’intégration étroite avec la famille européenne. Il y a quelques jours l’Union européenne a pris la décision d’inclure l’Arménie dans l’initiative du «nouveau voisinage». Cela renforcera notre détermination à correspondre aux critères européens, à apporter notre contribution et à profiter des avantages de la coopération entre nos Etats et nos peuples. Nous poursuivons ce chemin avec une conviction profonde et nous sommes reconnaissants pour tout soutien dans ce chemin complexe. Merci de votre attention.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur Kotcharian, nous vous adressons tous nos remerciements pour ce discours des plus intéressants. Certains membres de l’Assemblée ont exprimé le désir de vous poser des questions. Je leur rappelle que la formulation de chaque question doit se limiter à trente secondes. Nos collègues doivent simplement poser leur question, et non pas faire un discours.

J’autoriserai des questions supplémentaires à l’issue de cette première série de questions, et uniquement si nous disposons de suffisamment de temps. La première question émane de M. Jaskiernia. Monsieur Jaskiernia, vous disposez de trente secondes.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Monsieur le Président, vous avez évoqué les réformes démocratiques qui ont lieu en Arménie. Je voudrais personnellement revenir sur la question de la réforme constitutionnelle et de la réforme du système électoral, cette dernière revêtant une importance toute particulière pour le bon fonctionnement des élections dans votre pays. Pouvez-vous nous dire à quel moment ces objectifs de réforme seront atteints et si l’opposition pourra participer au dialogue sur les projets législatifs majeurs?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

indique que la réforme du Code électoral devrait être adoptée avant la fin de l’année. Le projet de réforme de la Constitution sera également prêt dans sa forme définitive. Un référendum devrait être organisé en 2005, ce qui nécessite l’élaboration d’un document définitif pour la fin 2004. L’opposition a été invitée à collaborer à ces réformes, ce qui justifie d’ailleurs le retard pris. Elles s’accompagneront d’une réforme des pouvoirs locaux ainsi que du système judiciaire. Le processus sera irréversible.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, lors de notre dernière partie de session, en avril 2004, le Président Aliyev a clairement affirmé que l’Azerbaïdjan ne pouvait pas être favorable à l’indépendance du Karabakh. Et, si, au sein du Conseil de l’Europe, nous défendons tous le principe de l’autodétermination, aucun Etat membre de notre Organisation ne pourrait soutenir ou reconnaître l’indépendance du Karabakh. Par conséquent, pourriez- vous promouvoir et soutenir une autre option, telle qu’une autonomie maximale, inspirée de systèmes ayant déjà fait leurs preuves dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

répète que le Haut-Karabakh n’a jamais fait partie de la république indépendante d’Azerbaïdjan. La question de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ne se pose donc pas. Du temps de l’Union soviétique, ces régions faisaient partie d’un Etat unitaire. Le Haut-Karabakh y jouissait d’un statut particulier. Après le démantèlement de l’URSS, deux Etats ont vu le jour: celui d’Azerbaïdjan et celui du Haut-Karabakh. Si l’on estime que les droits revendiqués par le Haut-Karabakh ne sont pas fondés, il faut en tout cas trouver une explication autre que celle de l’intégrité territoriale. L’Arménie privilégie le principe de l’autodétermination.

M. ROCHEBLOINE (France)

Monsieur le Président, en 2001 les accords conclus lors des négociations à Paris et transcrits par la suite dans un document à Key West inspiraient beaucoup d’optimisme pour un règlement prochain du conflit du Haut- Karabakh, d’autant que ces accords prévoyaient la résolution d’une des questions les plus importantes, à savoir le statut du Karabakh.

Avec le nouveau Président de l’Azerbaïdjan, est-il possible, Monsieur le Président, de continuer les négociations sur la base des progrès précédemment enregistrés?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

a affirmé en présence du Président Chirac que l’Arménie comptait poursuivre le processus de négociation sur la base des propositions faites par le précédent Président de l’Azerbaïdjan. Actuellement, le cessez-le-feu est dû à la parité des forces dans la zone d’affrontement. Ce statu quo est moins dangereux que toute tentative de déstabilisation qui réduirait à néant, de façon extrêmement dommageable, un fragile équilibre. Il est primordial d’aboutir à un règlement global tenant compte de tous les paramètres. Les rencontres qui ont lieu avec le nouveau Président de l’Azerbaïdjan permettent d’espérer que les négociations se poursuivront de façon constructive. M. Kotcharian tient cependant à répéter que l’Arménie n’acceptera pas de formule dans laquelle les pétrodollars de l’avenir permettront à l’Azerbaïdjan d’imposer une autre solution.

M. SALLES (France)

Monsieur le Président, aujourd’hui, alors que les négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne font l’objet de discussions et que les pays du Caucase du Sud, particulièrement l’Arménie, sont en train d’être inclus dans la politique du nouveau voisinage de l’Europe élargie, comme vous l’avez rappelé, les frontières entre l’Arménie et la Turquie continuent à rester fermées.

D’après vous, dans ce contexte, quelles pourraient être les attentes de l’Union européenne vis-à-vis de la Turquie?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

a évoqué le problème de la fermeture des frontières entre la Turquie et l’Arménie dans son intervention. La volonté manifestée par la Turquie d’adhérer à l’Union européenne suppose que ce pays réponde aux normes exigées de la part des Etats candidats. Le règlement des problèmes de voisinage fait partie de ces conditions. On peut espérer que la Turquie sera ainsi motivée pour négocier des relations de bon voisinage avec l’Arménie, qui ne met aucune condition préalable susceptible de mener à une impasse. L’Arménie examinera la question des relations avec la Turquie sans faire référence aux problèmes du passé. Si la Turquie accepte cette voie pragmatique, il sera alors possible de dénouer la situation.

M. CHERNYSHENKO (Fédération de Russie) (interprétation)

rappelle que l’Arménie a ratifié le Protocole no 6 concernant l’abolition de la peine de mort. Or l’opinion publique n’est pas toujours disposée à accepter cette réforme et l’on assiste même parfois à des propositions en vue de la rétablir. Qu’en est-il en Arménie?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

indique que, en Arménie, le débat sur l’abolition de la peine de mort a été difficile. Outre les partis, différents mouvements politiques, les ONG, les représentants du monde de l’art et de la science y ont participé. Mais maintenant que la décision a été prise, elle n’est plus contestée. La société a intégré la nécessité de cette abolition. Il faut souligner que les engagements souscrits par l’Arménie à l’égard du Conseil de l’Europe ont été approuvés par l’ensemble des parlementaires, ce sont des engagements du pays. Si certains partis essaient d’utiliser le débat sur la peine de mort pour engranger des dividendes politiques, ce n’est pas honnête de leur part.

LE PRÉSIDENT

Merci. Mmes Durrieu et Vermot-Mangold n’étant pas là, je donne la parole à M. Kirilov.

M. KIRILOV (Bulgarie) (traduction)

Je souhaite vous poser une question que j’ai également posée au Président de l’Azerbaïdjan. Il est évident qu’il y a là un problème très sérieux. Tous les membres de l’Assemblée parlementaire suivent attentivement ce conflit et en souhaitent vivement le règlement, ou, tout au moins, un état de paix. Les mesures dites «de confiance» revêtent une grande importance car elles créent un climat propice à une avancée. Que proposeriez-vous dans le cadre de telles mesures? Par exemple, quelle est votre réponse aux propositions de progrès dans le domaine des communications?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

estime effectivement indispensable de prendre de telles mesures et elles sont discutées depuis longtemps dans le cadre des négociations entre les deux pays. La République d’Arménie a, pour sa part, déjà pris des mesures unilatérales pour faciliter les communications. L’Azerbaïdjan défend une position différente: il estime qu’il faut d’abord résoudre le conflit avant d’engager une coopération concrète. L’Arménie reste convaincue qu’une coopération, même sur des points de détail, crée des intérêts communs de nature à détendre les relations.

M. SEYIDOV (Azerbaïdjan) (traduction)

Je déplore vivement le fait que, malgré la reconnaissance, par le monde entier, de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, celle-ci soit encore refusée par un pays, et un seul. Ma question prolonge celle que mon collègue vient de poser. Pensez-vous qu’au-delà du territoire du Nagorny-Karabakh, la libération de sept des territoires occupés, en Azerbaïdjan, pourrait constituer l’avancée la plus importante dans le sens de la confiance, et que cela contribuerait véritablement à l’intégration de l’Arménie dans les structures euro-atlantiques, conformément aux annonces officielles de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie en ce qui concerne les priorités liées à l’Otan et aux Nations Unies?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

relève que si l’Azerbaïdjan avait signé le document de compromis élaboré en 1998 par le Groupe de Minsk visant à créer un Etat conjoint, la plupart des questions actuellement en suspens seraient résolues. L’Arménie souhaite une résolution d’ensemble des conflits territoriaux: disjoindre les questions ne renforcerait pas la motivation des parties pour un règlement global.

En ce qui concerne l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, l’Arménie la reconnaît, tout comme les autres Etats. Cependant, la République du Haut- Karabakh n’a jamais fait partie de l’Azerbaïdjan. Elle a acquis son indépendance lors de la dissolution de l’ex-Union soviétique et sur la base des mêmes textes que d’autres républiques autonomes.

M. MOONEY (Irlande) (traduction)

Monsieur le Président, outre les réformes impressionnantes déjà entreprises par votre pays, envisagez-vous des mesures visant à renforcer la confiance à l’égard de la Commission nationale de la radio et de la télévision d’Arménie et du Conseil de surveillance de la radio et de la télévision, qui réexamine actuellement la question de sa composition, et visant également à ce que la nomination de nouveaux membres se fasse dans la transparence et dans un esprit de responsabilité, comme l’exige le récent amendement à la loi relative à la radio et à la télévision? La disparition de la chaîne de télévision A1+ du paysage audiovisuel arménien, et le rejet, à plusieurs reprises, par la commission nationale, de la demande de licence de cette chaîne ont porté atteinte au principe de diversité et de pluralisme dans le domaine des médias électroniques, en Arménie. Finalement, reconnaissez-vous le fait que l’une des bases de toute démocratie est l’existence de médias libres, transparents à l’égard du public, et, en un mot, indépendants du gouvernement?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

répond que c’est une mauvaise interprétation de la situation des médias en Arménie. Le pays compte actuellement quarante sociétés privées de radio et douze chaînes de télévision, dont une seule est une télévision d’Etat. L’auteur de la législation en vigueur sur l’autorité de régulation est un membre de l’opposition qui représente l’Arménie au Conseil de l’Europe. Peut-être convient-il d’améliorer cette législation, mais il ne faut pas dire que le gouvernement a cherché à favoriser ses intérêts. La liberté d’expression en Arménie est beaucoup plus large que le parlementaire ne semble le dire. Du reste, la commission de suivi a discuté de ce problème et a abordé la question du retrait de la licence à une chaîne de télévision. Le Gouvernement arménien propose qu’elle effectue une enquête afin de vérifier si l’opposition a ou non accès aux médias.

M. BINDIG (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, le Conseil de l’Europe demande à l’Arménie, entre autres, d’instaurer une alternative au service militaire qui rendrait possible l’objection de conscience. Voici ma question: quand cette mesure sera-t-elle effective, et avez-vous la certitude qu’elle ne prendra pas la forme d’une punition, avec un service civil qui durerait peut-être deux fois plus longtemps que le service militaire?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

reconnaît que cette question a été l’une des plus difficiles à traiter pour l’Arménie, mais une législation a été adoptée pour instaurer un service de substitution. Sa durée fait, certes, l’objet de critiques. Toutefois, elle n’est pas liée à une volonté de discrimination des minorités religieuses ou autres mais aux graves problèmes de sécurité qu’affronte le pays. Une libéralisation serait envisageable si l’Azerbaïdjan prenait des mesures analogues.

M. AZZOLINI (Italie) (traduction)

Monsieur le Président, dans votre intervention que j’ai beaucoup appréciée, vous avez abordé le thème de la corruption. Ce problème, avec celui du terrorisme international et de la criminalité organisée, constitue une menace pour la stabilité démocratique, surtout dans les pays d’Europe orientale. Quelles sont les mesures prises par votre pays et les autorités arméniennes pour contenir et combattre ces problèmes?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

relève que, dans le système soviétique centralisé, la corruption était liée principalement à la gestion par l’Etat des ressources du pays. Actuellement, le PIB est produit à 85 % par des sociétés privées, ce qui exclut cette forme de corruption. En outre, le système judiciaire a été réformé de façon à ce que l’Etat ne soit pas à la fois juge et partie. La solution au problème de la corruption, c’est le transfert de la gestion des ressources matérielles au secteur privé et la réduction du rôle de l’administration publique. Il convient également de créer des instruments de lutte contre la corruption: des réformes concernant l’administration douanière et fiscale ainsi que la police sont en cours à cette fin. Du reste, les institutions financières internationales ont constaté une amélioration de la situation en Arménie et relevé sa note de deux points.

M. TOSHEV (Bulgarie) (traduction)

Monsieur le Président, nous vous souhaitons de nouveau la bienvenue dans cette Assemblée. Vous n’ignorez pas que, récemment, avec d’autres éminents parlementaires membres de cette assemblée – dont quatre dirigeants de groupes politiques -, j’ai déposé une proposition de recommandation visant à la création d’un pacte de stabilité pour la région du Caucase. Le Bureau a soumis cette proposition à la commission des questions politiques, aux fins de rapport. Je crois savoir que, sur ce point, vous aviez une position similaire il y a quelques années. Quelle est votre position aujourd’hui, au sujet de cette initiative du Conseil de l’Europe, et quel est l’engagement de votre gouvernement à cet égard?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

répond que cette idée est également défendue par l’Arménie et qu’il a été question de la discuter au Sommet d’Istanbul. Malheureusement, cette initiative n’a pas abouti. La région du Caucase du Sud est très complexe et a toujours été un enjeu pour les puissances régionales et mondiales. Un pacte les conduirait à prendre des engagements qui stabiliseraient la situation.

M. RAMOUDT (Belgique) (interprétation)

rappelle que la Commission européenne a proposé de conclure des accords de bon voisinage avec les Etats limitrophes de l’Union afin d’éviter de créer de nouvelles lignes de fracture en Europe.

L’extension de ces accords à l’Arménie permettrait- elle de trouver une solution au conflit du Haut- Karabakh?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

répond que l’Arménie a toujours souhaité être intégrée dans le champ de ces accords. S’il en était ainsi, l’Arménie et les pays du Caucase du Sud apprendraient à mieux se connaître, appliqueraient les mêmes modèles économiques et sociaux et seraient plus prévisibles les uns pour les autres. Cela n’aurait pas d’influence directe sur le conflit du Haut-Karabakh, mais vraisemblablement une influence indirecte positive par le rétablissement de la confiance.

M. Mevlüt ÇAVUSOGLU (Turquie) (interprétation)

demande à M. Kotcharian si l’Arménie compte élaborer un plan, dans le cadre du Conseil de l’Europe dont elle est membre, pour régler les conflits qui l’opposent à ses voisins et, particulièrement, si elle entend retirer ses forces du territoire azéri qu’elle occupe.

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

a le sentiment d’avoir déjà répondu à cette question. Un plan existe: ce sont les Accords de Key West, eux-mêmes issus de l’Accord de Paris. L’Arménie était toute disposée à signer ces accords, mais l’Azerbaïdjan les a rejetés. Il convient donc de retravailler ce plan, mais il n’est pas question d’en élaborer un autre. Quelles que soient les divergences d’opinion, il n’est pas de «superplan» possible, puisque les paramètres demeurent inchangés et que le conflit est le même. Pour ce qui la concerne, l’Arménie est prête à reprendre les négociations sur cette base, dès demain. De la même manière, elle est prête à négocier, dès demain, et sans condition préalable, avec la Turquie; mais la Turquie y est-elle prête? La balle est dans son camp.

M. TEKELIOGLU (Turquie) (interprétation)

demande à M. Kotcharian s’il pense que l’Arménie a atteint un degré de démocratisation suffisant pour contribuer efficacement au règlement des conflits régionaux. S’agissant des relations entre la Turquie et l’Arménie, pourquoi toujours revenir sur le passé? Pourquoi les autorités arméniennes refusent-elles de rencontrer les représentants du Gouvernement turc?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

dit que les autorités arméniennes n’ont jamais refusé de rencontrer leurs homologues turques. Non seulement les ministres des Affaires étrangères se sont entretenus mais le Président Kotcharian lui-même a, par deux fois, rencontré l’ancien Président Demirel dans le cadre de l’OSCE. Quant au passé, nul ne peut contraindre à l’oublier, c’est impossible et cela ne se décrète pas par directive. Les relations entre l’Arménie et la Turquie ne doivent pas nécessairement être liées à ce passé, mais au moins faut-il en discuter puisqu’il n’a pas été surmonté. Après quoi, on pourra établir des relations pratiques de voisinage normal.

M. Kotcharian croit avoir compris que la première partie de la question de son interlocuteur portait sur le Haut-Karabakh, mais il n’en est pas certain...

LE PRÉSIDENT (traduction)

La règle veut que chaque orateur ne pose qu’une seule question; par conséquent, je dois vous interrompre. A présent, avec votre accord, j’autoriserai une seule et dernière question.

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

tient à souligner que l’Arménie ne comprend pas l’attitude de la Turquie à son égard: 1915, c’est le passé; il faut désormais surmonter une barrière psychologique qui complique inconsidérément les relations entre les deux pays. Or, on constate un blocage que la Turquie ne fait rien pour surmonter et qui se traduit par une absence délibérée de contacts et le refus de toutes relations diplomatiques. L’Arménie peut évidemment se passer de la Turquie et se développer sans elle, mais de telles relations entre des voisins sont anormales.

M. Rafael HUSEYNOV (Azerbaïdjan) (traduction)

Monsieur Kotcharian, nous connaissons vos déclarations à divers grands médias au sujet du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Permettez-moi de rappeler vos propos sur l’«incompatibilité ethnique» entre Arméniens et Azéris – déclaration aussitôt condamnée par le Conseil de l’Europe. Dans le discours que vous avez prononcé à Khankedi, en mars 2004, vous disiez votre fierté d’avoir participé à la prise de la ville de Shusha. Et, en février 1992, vous aviez pris part à l’attaque lancée contre la ville de Khojaly, au cours de laquelle plusieurs centaines d’Azéris furent massacrés. A la lumière de ces faits, pouvez-vous dire que vous êtes personnellement et véritablement engagé dans le sens du règlement du conflit entre deux Etats membres du Conseil de l’Europe?

M. Kocharian, Président de l’Arménie (interprétation)

suppose que la déclaration à laquelle il est fait allusion a été faite devant l’Académie diplomatique de Moscou. Il s’agissait des méthodes de résolution des conflits en général. L’assassinat, à l’arme blanche, d’un officier arménien dans sa chambre d’hôtel à Budapest, au seul motif qu’il était arménien, prouve une inimitié persistante qu’il faut dépasser pour aller de l’avant. Un dialogue doit s’instaurer à cette fin. M. Kotcharian tient à signaler qu’il est né au Haut-Karabakh, et que ses trois enfants n’ont pas eu d’enfance, puisque de 1991 à 1994, ils ont dû vivre dans des caves, sous les bombardements constants des forces azéries. Autant dire que, oui, M. Kotcharian est fier des combats auxquels il a participé et du résultat obtenu.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Kotcharian. Il nous faut à présent interrompre cette séance de questions à M. Kotcharian. Au nom de l’Assemblée parlementaire, je le remercie très vivement pour son allocution et les réponses qu’il a apportées aux questions des parlementaires. Monsieur le Président, merci de votre présence aujourd’hui. Enfin, je remercie également l’ensemble de votre délégation.

Je rappelle aux membres de l’Assemblée que le scrutin est en cours en vue de l’élection de deux juges à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ce scrutin sera clos à 18 heures. Tous ceux qui n’ont pas encore voté peuvent donc le faire en se rendant dans l’espace réservé à cet effet, derrière le fauteuil présidentiel.