Jens Otto

Krag

Premier ministre du Danemark

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 27 septembre 1966

Monsieur le Président, c’est un grand honneur pour moi que de prendre aujourd’hui la parole devant l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe.

Depuis sa création, le Conseil de l’Europe n’a cessé d’être une tribune ouverte à de grands débats sur l’organisation future de notre continent et sur la place qui lui revient dans le monde.

Ces débats retiennent d’ailleurs aussi l’attention hors des frontières de l’Europe. Ils jouent un rôle important dans le développement et le renforcement progressifs de la solidarité des peuples européens. A bien des égards, le Conseil de l’Europe est devenu le dépositaire du concept d’unité européenne.

Comme le disait le président Kennedy citant Shakespeare, il y a une marée dans les affaires des hommes et la vie du Conseil de l’Europe a naturellement connu, elle aussi, des hauts et des bas. A ses débuts, l’organisation avait le ferme espoir qu’en peu d’années l’unité prendrait corps. Mais un des grands mérites du Conseil de l’Europe a été de savoir s’adapter aux circonstances et d’avoir réussi progressivement à aborder les problèmes européens de façon réaliste sans perdre de vue l’objectif final.

A cet égard, je tiens à dire combien j'apprécie le programme de travail pour les activités intergouvernementales que le Comité des Ministres a adopté le 2 mai dernier et que nous suivons, au Danemark, avec un vif intérêt.

Unir l’Europe est la grande tâche de notre génération. Le progrès économique et technique transformera, par lui-même, l’Europe en un continent où l’individu ne pourra plus être seulement le citoyen d’un pays déterminé: qu’il le veuille ou non, il lui faudra également se considérer comme un membre d’une communauté européenne plus vaste. Ce faisant, il ne saurait oublier qu’il vit sous le régime de la Convention européenne des Droits de l’Homme, due à l’initiative du Conseil de l’Europe, qui a fait œuvre de pionnier dans ce domaine.

Il est essentiel que nous ayons toujours présents à l’esprit ces objectifs ultimes, tout en comprenant qu’il n’y a pas de réponse toute faite et définitive à la question de la forme que doit revêtir la coopération européenne.

Nous aspirons à une coopération européenne fondée sur le libre-échange des marchandises, le développement de la production et du commerce et la libre circulation des hommes et des capitaux. Nous croyons que les progrès qui seront réalisés dans ce sens conduiront d’eux-mêmes à la création des institutions appropriées.

L’Europe est sur la voie d’une coopération plus étroite, et peut-être sur la voie de l’union.

La forme ultime de cette union ne peut être déterminée à l’avance. Mais le but à atteindre, selon notre conception de l’Europe, est de créer les meilleures conditions possibles pour la survie et l’amélioration de notre mode de vie démocratique commun pour la paix et la liberté. Nous aspirons à une Europe démocratique jouissant d’un niveau de vie élevé, d’une bien plus grande justice sociale, d’une culture et d’un développement scientifique qui puissent demeurer un modèle pour le reste du monde.

Seule une Europe orientée vers la coopération pourra permettre aux pays européens de maintenir la place de notre vieux continent dans le monde – non pas en opposition avec les Etats-Unis, mais de concert avec nos amis américains. Une Europe qui ne coopérerait pas avec les Etats-Unis est inconcevable et nous ne voudrions d’ailleurs jamais être témoins d’un tel fait. Parler d’une Europe de l’«Atlantique à l’Oural» n’est pas réaliste, mais il est conforme au bon sens de parler d’une Europe attachée à la coopération, qui entretienne en même temps de bonnes relations avec les Etats-Unis tout comme avec l’Union Soviétique.

Il n’est pas surprenant que l'unification de l’Europe pose de difficiles problèmes. Ce que nous avons entrepris, c’est de concilier de grandes et vieilles civilisations qui présentent des divergences fondamentales dans les habitudes de vie et les modes de penser et où se manifestent des conflits majeurs d’intérêts. Nous savons tous que le clavier de l’Europe est riche en variations du Cap Nord à la Sicile, et qu’au cours de l’histoire les courants de la civilisation ont cheminé dans des directions multiples. Les peuples européens ont également leurs traditions de rivalité nationale. Ils se sont dominés à tour de rôle les uns les autres, en considérant les autres peuples européens comme des étrangers. H faut du temps pour modifier les idées des peuples, pour faire un pas en avant et pour accepter de considérer les autres comme des partenaires égaux.

Dans l’actuelle conjoncture économique et technique, aucun pays européen – même s’il fait partie de ceux qu’on avait coutume d’appeler les grandes puissances de l’Europe occidentale – ne peut conserver une indépendance absolue sur le plan mondial.

L’idée de l’unité européenne gagne du terrain parmi les peuples d’Europe. Depuis la dernière guerre mondiale se fait jour parmi eux, lentement mais sûrement, une tendance à comprendre et à accepter la nécessité de l’unification de l’Europe. L’idée demande encore à mûrir, mais le processus est en cours.

Quelques observations maintenant sur les relations avec l’Europe de l’Est, dont les pays appartiennent à la famille des nations européennes. Nous connaissons tous les problèmes qui ont provoqué la division entre l’Europe orientale et l’Europe occidentale. Mais j’apprécie l’attitude positive du Conseil de l’Europe quant à l’extension de nos relations avec les pays de l’Europe orientale. Nous pouvons également relever avec satisfaction que les divers pays de l’Est manifestent un intérêt croissant pour le développement de leurs contacts avec l’Europe occidentale. Nous devons toujours être prêts à saisir chaque occasion réelle de renforcer la compréhension mutuelle avec les pays de l’Est. C’est le moyen de parvenir à une amélioration progressive des relations Est-Ouest et de préparer la voie à des négociations entre les deux grands groupements. C’est peut-être aussi celui d’améliorer les possibilités de trouver une solution au problème allemand.

Une Europe qui coopère est également une condition indispensable pour permettre à notre vieux continent de contribuer à la solution des problèmes qui se posent aux pays en voie de développement et d’aider à résoudre le plus important, en définitive, de tous les problèmes internationaux: le fossé entre pays riches et pauvres.

Où en est aujourd’hui la coopération européenne? Elle a été fructueuse pendant de longues années. D’importants résultats ont été obtenus, surtout à l’époque de l’O.E.C.E. Mais il est indéniable qu’elle marque le pas depuis 1963. A maintes reprises, les gouvernements européens ont été déçus dans leurs espoirs de nouveaux résultats, parce que le nationalisme demeure une force puissante. La division de l’Europe occidentale en deux groupements économiques, l’A.E.L.E. et la Communauté Economique Européenne, engendre des problèmes de plus en plus sérieux et aucune solution ne paraît être en vue. De nombreuses initiatives ont été prises pour tenter de sortir l’Europe de l’impasse où elle se trouve depuis la rupture des négociations de Bruxelles en janvier 1963. Jusqu’à présent, ces initiatives ont échoué. Mais ce n’est pas une raison, à mon sens, pour n’en pas prendre de nouvelles. C’est la volonté de persévérer dans de nouvelles initiatives qui a permis les résultats acquis dans le passé et l’expérience montre que la stagnation est le plus grand des maux. Quelle que soit l’ampleur apparente des difficultés, il ne faut pas que les choses restent au point mort.

Pour mon pays, il est capital que cette impasse dans la coopération européenne prenne fin, et le plus tôt sera le mieux. Pendant toute la période de l’après-guerre, une des règles essentielles de la politique étrangère du Danemark a été de s’associer à toutes les initiatives favorables à la réalisation d’une coopération en Europe occidentale.

Comment nous, Danois, pouvons-nous contribuer à relancer la coopération européenne? C’est là une question dont on discute abondamment dans mon pays. Peut-être les pays nordiques sont-ils à même de jouer un rôle à cet égard.

Nous avons constaté avec satisfaction que les Six ont surmonté leurs difficultés internes. Nous estimons que c’est là une condition préalable à de nouveaux progrès, mais nous ne pouvons nous défendre d’une certaine crainte, car aucun nouveau développement ne semble s’amorcer.

La division de l’Europe en deux groupements économiques différents cause de plus en plus de difficultés aux petits pays européens. Le Danemark se trouve dans une situation particulièrement précaire. Si la scission persiste, l’Europe se trouvera elle-même dans une situation extrêmement dangereuse. Les problèmes ne pourront que s’aggraver.

Dans cette conjoncture, l’impatience grandit: nous ne pouvons attendre indéfiniment.

Aussi est-il parfaitement naturel que nous suivions de très près ce qui se passe chez nos voisins de Scandinavie.

Je ne crois pas qu’une entrée isolée du Danemark dans le Marché commun résoudrait les problèmes danois. Cette formule ne serait pas non plus souhaitable pour l’Europe en général. Mais nous devons rester attentifs à toute occasion qui permettrait de parvenir à une solution des problèmes du marché européen. Nous avons l’intention de confronter nos vues avec celles de la Suède au cours de la visite que le Premier Ministre de Suède doit faire au Danemark au début d’octobre. A mon sens, la question devrait être examinée par l’ensemble des pays nordiques lors de la prochaine session du Conseil Nordique, en février 1967.

Une initiative nordique – en admettant qu’elle se révèle possible – pourrait avoir une utilité en soi, et aussi en ce sens qu’elle constituerait un appel au Royaume-Uni et à la France pour que soient rétablis les contacts rompus en janvier 1963 et reprises les négociations auxquelles le Danemark, entre autres pays, avait participé.

Telle est la clef de l’avenir de l’Europe.

(Applaudissements.)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je remercie Monsieur le Premier Ministre.

Je demanderai à présent à un membre de notre Bureau de se faire l’interprète des sentiments de l’Assemblée auprès de l’orateur et de prendre la parole dans le débat. La parole est à M. Petersen.

M. PETERSEN (Norvège) (traduction)

C’est un très agréable devoir pour moi que d’exprimer les remerciements les plus chaleureux du Bureau à M. Krag, Premier Ministre du Danemark, pour avoir bien voulu venir à Strasbourg et prendre la parole devant l’Assemblée. Ainsi que je l’ai dit hier en présentant le rapport d’activité, la participation aux travaux de l’Assemblée d’hommes d’Etat dirigeants de leurs pays est extrêmement précieuse pour elle et rehausse son prestige. M. Krag est le bienvenu dans notre Assemblée. Nous savons tous qu’il est un bon Européen. Aussi n’est-il pas surprenant que les représentants aient écouté l’exposé du Premier Ministre avec le plus grand intérêt. Il a évoqué avec beaucoup de perspicacité des questions qui présentent un intérêt capital pour nous tous et les vues qu’il a exposées à cœur ouvert apporteront, sans aucun doute, une contribution très utile à notre débat. Je vous remercie vivement, Monsieur le Premier Ministre.

En tant que Norvégien, j’aimerais à présent formuler quelques observations au sujet de ce que le Premier Ministre danois a appelé une «initiative nordique». Il semble qu’il s’agisse d’une initiative en plusieurs étapes. Pour l’instant elle paraît être uniquement danoise. En octobre, après la visite du Premier Ministre de Suède au Danemark, elle deviendra peut-être dano-suédoise, puis en février 1967, il se peut qu’elle soit reprise par le Conseil Nordique, d’après ce que nous a appris M. Krag et qu’elle devienne une initiative vraiment nordique – c’est une possibilité, je le répète.

En tant que membre du Conseil Nordique, je suis prêt à discuter sérieusement de toute initiative destinée à trouver une solution aux problèmes européens et je crois qu’il en est ainsi pour tous mes collègues norvégiens au Conseil Nordique. Il convient d’étudier tous les moyens susceptibles de permettre un règlement des problèmes européens. Mais il ne faut pas que de nouvelles initiatives suppriment la possibilité d’une solution générale. Je pense que toute initiative susceptible d’être prise par des groupes spéciaux doit s’entourer d’extrêmes précautions. Je ne vois pas très bien quelles seraient, dans la situation actuelle, les chances de succès d’une initiative nordique. Cependant, n’hésitons surtout pas à examiner de près l’intérêt qu’elle pourrait présenter.

A propos d’initiatives, je crois que c’est surtout la France qui pourrait apporter une contribution. Pour dire les choses carrément, c’est la France qui bloque l’intégration de l’Europe. S’il n’en était pas ainsi, nous aurions probablement, à l’heure qu’il est, un Marché commun étendu à toute l’Europe. Dans ces conditions, je pense qu’il n’est que juste de demander au Gouvernement français de préciser explicitement et sans équivoque quelles sont ses objections à l’intégration. Nous saurions alors, ainsi que tous les autres pays, à quoi nous en tenir. Nous saurions ce que l’on attend de nous pour parvenir à une solution. Je crois que nous sommes tous prêts à contribuer à un règlement, à faire des concessions: encore faudrait-il que nous sachions exactement en quoi elles doivent consister. Or, il semble que seule la France puisse nous le dire.

M. BLENKINSOP (Royaume-Uni) (traduction)

Nous avons tous écouté avec le plus vif intérêt le discours de M. Krag. Je me félicite, moi aussi, des précisions qu’il nous a données au sujet de l’attitude de son Gouvernement face à la question d’une meilleure intégration des pays de l’Ouest. Nous sommes un certain nombre à penser, avec M. Petersen, qu’aucun pays de l’A.E.L.E. ne devrait prendre une initiative sans consulter tous les autres Membres de l’Association et je conclus de ce que nous a dit M. Krag que tous les efforts seront déployés pour maintenir un contact aussi étroit que possible avec les autres pays. S’il peut nous en donner confirmation, nous accueillerons tous avec plaisir toute forme d'initiative. Le fait que leurs chances de succès soient plus ou moins grandes ne doit pas nous empêcher de tenter de nouvelles démarches. J’espère que M. Krag pourra compléter ses déclarations en nous donnant quelques précisions à ce sujet.

J’apprécie également certaines des remarques qu’il a faites à propos des relations entre l'Est et l’Ouest. Je les ai trouvées plus positives que celles de mon collègue, Lord Gladwyn, dont le discours était plutôt déprimant à certains égards. Je pense qu’il est normal que Lord Gladwyn ait cherché à élucider certains points du rapport dont la terminologie présentait, en effet, certaines incertitudes. Je pense aussi que les inquiétudes qu’il a exprimées au sujet du maintien de la présence et des intérêts américains en Europe n’ont peut-être pas été entièrement dissipées par le discours de M. Federspiel, bien que celui-ci ait précisé qu’il reconnaissait, tout comme les autres membres de la commission, l’importance de la contribution américaine.

Les vues plutôt négatives de Lord Gladwyn sur les possibilités d’étendre des contacts entre l'Est et l’Ouest m'ont également semblé déprimantes. Je préfère de beaucoup le point de vue de M. Krag et celui qu’a exprimé devant l’Assemblée mon collègue, M. Patrick Gordon Walker, lorsqu’il a soutenu qu’il convenait de renforcer la position occidentale en coordonnant les efforts des deux groupes occidentaux sans pour autant ménager aucun effort pour parvenir à une meilleure entente avec l’Europe orientale. Il est certain que le Conseil de l’Europe devra se préoccuper, à un moment donné, de l’ensemble de l’Europe et non seulement de l’Europe occidentale, en dépit de l’importance du problème.

Je ne suis pas aussi pessimiste que Lord Gladwyn quant aux perspectives et aux possibilités d’améliorer les contacts avec l’Europe orientale et quant à l’utilité des tentatives faites actuellement dans cette direction.

J’aimerais préciser deux points seulement. Premièrement, je suis entièrement d’accord avec notre ami, M. Czemetz, qui a mentionné l’importance que revêt pour nous la guerre du Vietnam. Nous reconnaissons naturellement que le rôle que nous pouvons jouer à cet égard en Europe est très limité. Mais il faut également reconnaître que cette tragédie a certainement pour effet de rendre une entente entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale beaucoup plus difficile, et il est un facteur sur lequel j’aimerais tout particulièrement appeler votre attention.

Comme un certain nombre de mes collègues, j’ai eu l’occasion d’avoir des entretiens sur ces questions tant aux Etats-Unis que dans certains pays d’Europe orientale. Il convient de préciser un point à ce sujet. J’ai constaté que l’on craignait, dans certains milieux américains, que l’on puisse interpréter en Europe occidentale un retrait des troupes américaines du Vietnam comme un signe de refus de la part des Américains d’apporter leur soutien moral à la tradition démocratique. Or, il serait bon que nous fussions aussi nombreux que possible à souligner que, loin d’être accueilli avec inquiétude dans de nombreux pays d’Europe occidentale, un retrait des Etats-Unis au Vietnam – qui ferait naturellement suite à des négociations – serait considéré, au contraire, comme un moyen de faire progresser les relations entre l’Est et l’Ouest.

Nous accueillons naturellement avec satisfaction certains des discours prononcés récemment par M. Goldberg aux Nations Unies et nous continuons d’espérer que ces initiatives trouveront un écho plus encourageant dans l’autre camp. Nous ne devons naturellement pas attribuer la responsabilité de la situation à un seul camp et nous devons souhaiter que Hanoï réponde à certaines de ces initiatives. Mais nous ne devons pas craindre de dire à nos amis américains que nous estimons que des négociations auraient une importance capitale pour nous en Europe parce qu’elles contribueraient forcément à améliorer la situation sur notre propre continent.

Le deuxième point concernant l’amélioration des relations entre l’Est et l’Ouest, est que nous devons encourager par tous les moyens le travail qu’effectue déjà notre Secrétariat et favoriser les contacts officieux qui ont lieu au cours de certaines conférences de caractère technique; il convient, en particulier, de relever qu’à la conférence démographique qui a obtenu un très grand succès, le nombre de représentants des pays d’Europe orientale était plus élevé qu’autrefois. Je crois que tous les encouragements possibles devraient être donnés à ce type de coopération pratique et technique. H serait bon d’encourager le Secrétariat à prendre d’autres initiatives de ce genre.

Des changements d’une importance capitale se produisent, notamment dans le domaine économique, en Europe orientale – en Tchécoslovaquie, en Roumanie et en Pologne pour ne citer que quelques-uns de ces pays. Ceux qui ont lieu en Yougoslavie méritent aussi de retenir plus particulièrement notre attention. Ces changements ne concernent pas seulement la situation économique: ils ont inévitablement une répercussion dans le domaine politique. Us se traduisent, non seulement par une plus grande souplesse dans les méthodes de travail sur le plan économique, mais aussi par un début de souplesse dans l’attitude politique des pays en question. C’est pourquoi, il est si important pour le Conseil de l’Europe de saisir toutes les occasions de contacts sur le plan économique et d’encourager en Europe orientale les tendances favorables à un changement.

J’espère qu’on ne pensera pas que les observations quelque peu déprimantes de Lord Gladwyn et de certains autres orateurs reflètent le point de vue de l’ensemble des membres du Conseil de l’Europe, car si nous sommes naturellement soucieux de renforcer la position de l’Europe occidentale et de ne renoncer à aucun des fondements démocratiques de notre existence, nous tenons encore plus à nous acheminer vers cette Europe plus vaste qui fait l’objet de toutes nos préoccupations.

M. BOHY (Belgique)

Monsieur le Président, je me joindrai à tous ceux qui ont dit avec quelle joie et quel intérêt nous avons entendu tout à l’heure M. le Premier Ministre du Danemark.

Mais mon propos est d’intervenir sur le rapport de M. Federspiel. Et puis-je dire à l’honorable M. Federspiel combien j’ai été agréablement surpris par son discours d’hier?

Agréablement, d’abord parce que je puis marquer un accord presque total avec ses propos; plus agréablement encore, parce qu’il m’a paru qu’il corrigeait d’une manière radicale l’impression fâcheuse que m’avait laissée la lecture des pages 8 et 9 de son exposé des motifs, que je me vois contraint de contredire de bout en bout.

J’ai toujours estimé que, si le traité de l’Atlantique Nord avait répondu à une nécessité d’urgence, excellemment soulignée hier par notre collègue turc, M. le président Erim, il était mal équilibré parce que – c’est un propos que je m’excuse de répéter, l’ayant déjà tenu – à partir du moment où une alliance se scelle entre une très grande puissance et une série de puissances moyennes ou petites, la grande puissance exerce dans cet ensemble une pesée, même involontaire, qui répond aux lois mêmes de la gravitation et que, quoi qu’on fasse, une espèce de satellisme se produit, qui peut-être n’est pas voulu par celui qui entraîne ses satellites.

Mais j’estime que l’équilibre doit être recherché, non pas dans une renonciation à l’œuvre existante ou dans son ébranlement ou dans sa destruction, mais dans la correction de ce manque d’équilibre en faisant qu’en face de la grande puissance se trouve une autre grande puissance.

Cette autre grande puissance, nous essayons de la construire; cette autre grande puissance, c’est une Europe unifiée et suffisamment solidaire pour faire, à l’autre grande puissance, le contrepoids qui doit nous conduire à une alliance véritable, parce que d’un côté il y aura l’Amérique et de l’autre côté l’Europe, que leurs voix auront le même retentissement, parce que leur valeur en population, en matières premières, en puissance industrielle, se balance, s’équilibre, et que, dès lors, et non par d’autres manières, que cet équilibre est atteint, il n’est plus question de ces propos désagréables que nous trouvons dans le rapport où l’on parle de «protection américaine que certains supportent avec impatience».

Je la supporte peut-être avec la même impatience, mais je crois qu’on peut la corriger par d’autres voies que celles que certains ont cru devoir choisir.

«Renouer solennellement», indique le rapport, après qu’on aura détruit. Quelle singulière idée! C’est de l’intérieur que l’on modifie les institutions que l’on trouve imparfaites, et c’est une illusion dangereuse de croire que c’est en ébranlant que l’on consolide.

De plus, en abordant alors l’autre partie du rapport concernant le rapprochement entre l’Est et l’Ouest, je crains que l’on n’ait retardé la naissance d’un grand espoir. Bien sûr, je suis sentimentalement sensible à des rapprochements entre deux pays qui font encore partie de blocs et qui, il y a quelques années, se trouvaient, par le fait même, dressés l’un contre l’autre; bien sûr, lorsque dernièrement des parlementaires polonais sont venus en visite officieuse à Bruxelles et que certains parlementaires belges ont pris avec eux des contacts qui ont été réconfortants – car nous nous sommes aperçus qu’il y avait un certain nombre de points sur lesquels nous pouvions nous entendre – je suis touché par la chose, mais ce n’est pas la vraie méthode, la bonne méthode! Je crains même que, par la dispersion de ces rapprochements particuliers, certains ne caressent l’espérance d’un retour à cette politique des alliances particulières qui a valu aux hommes de ma génération deux guerres déjà.

Je préfère, et de loin, même s’il doit être plus lent et plus difficile, le rapprochement entre les deux blocs existants, dans leur ensemble. Je préfère que peu à peu l’apaisement naisse dans les esprits, que sans peut-être que la confiance soit déjà présente, tout au moins la méfiance soit moins violente et moins profonde. Je préfère, en réalité, l’organisation de la paix du monde à l’organisation des ententes particulières.

Je crois à un rapprochement progressif, forcément prudent, des deux blocs, parce que chaque pays en particulier à l’intérieur de ces blocs se sent, par le fait même, après avoir connu les périodes d’inquiétude qui s’inscrivent dans les années passées, dans une certaine sécurité qui lui donne la possibilité de causer.

J’ai l’impression aussi – pourquoi ne pas le dire? – que, sous la pression des inquiétudes que nous cause la politique chinoise, tout cela peut aboutir, comme première étape, à un pacte de non-agression couvrant l’hémisphère nord tout entier.

Voilà la perspective qu’en ébranlant le Pacte atlantique on retarde au lieu de rapprocher. Voilà le regret que j’exprime: l’on retarde ainsi une espérance qui était, peut-être, plus proche que certains ne peuvent l’imaginer. A l’intérieur de l’Europe même, cette politique de dislocation de l’O.T.A.N., je la crois dangereuse à un autre point de vue – c’est par là, Monsieur le Président, que dans deux minutes j’en aurai terminé.

Mesdames, Messieurs, j’ai eu l’honneur de présider en 1948 une organisation qui s’appelait l’Union parlementaire européenne et que nous avions fondée à quelques-uns dont certains sont encore ici, en 1947, à Gstaad, alors que la plupart d’entre nous, appartenant à des pays qui avaient été du même côté pendant la guerre, ayant eu des résistants et des prisonniers politiques, nous avions senti que la paix devait être construite à tout prix, que, sans nécessairement oublier le passé, il fallait regarder en face l’avenir et qu’il n’y avait point d’Europe possible sans l’Allemagne. Cette organisation que je présidais était la première organisation internationale à inviter une délégation allemande, à l’heure où la République Fédérale n’existait pas encore. Cette délégation, composée de membres des différents Lander de l’actuelle République Fédérale, était conduite par celui que nous honorons tous, M. Adenauer.

J’ai lutté, parce que je croyais que c’était la condition de la paix, pour l’égalité des droits de l’Allemagne dans l’Europe reconstruite. Mais je n’ai pas lutté pour la suprématie militaire de l’Allemagne dans cette Europe reconstruite, ni pour la suprématie de personne, d’ailleurs.

Or, à partir du moment où ceux qui sont les tenants du Pacte atlantique sont conscients, qu’ils soient américains ou européens, de ce que la ligne de défense se situe sur l’Elbe, ils doivent comprendre que tout naturellement les Américains sont contraints de fortifier les positions militaires allemandes, et je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que cette circonstance reçoive le plein agrément de tous les Allemands, car elle fait peser sur eux aussi des charges militaires qui commencent parfois à les impatienter.

Tout cela est de nature à faire renaître les inquiétudes en Europe et à donner une apparence de vérité à la crainte souvent politiquement implantée dans les pays de l’Est, qui ne cessent d’accuser l’Allemagne de renaissance militariste.

Cet état de choses ne sert donc pas la détente, ni la paix, et c’est dans ces conditions, Monsieur le rapporteur, que je vous dis combien j’ai été heureux d’entendre votre discours, parce que aucun des propos mentionnés dans votre rapport et que je viens de critiquer ne s’y est retrouvé. Ne prenez pas cela en mauvaise part, je dirai même qu’au contraire, votre discours contredisait votre rapport, ce pourquoi je vous témoigne ma profonde gratitude.

M. PATIJN (Pays-Bas) (traduction)

M. Federspiel nous a fait un exposé si brillant, aussi bien dans son rapport que dans son discours, et il a dit tant de choses dont nous devons lui être reconnaissants qu’il n’est guère poli de relever le seul point sur lequel on n’est pas entièrement d’accord avec lui; c’est néanmoins ce que je ferai par manque de temps, et je suivrai de près l’argumentation de M. Bohy qui a démontré à nouveau que ce n’est pas seulement du point de vue économique que les pays du Benelux ont des liens très étroits. Le rapport de M. Federspiel contient un passage qui, de prime abord, m’a frappé comme étant particulièrement important. Toutefois, la suite du texte m’a déconcerté. A la page 9 on lit:

«En effet, aujourd’hui l’on tend parfois à poser le problème en termes inexacts: Europe atlantique ou nationalisme anachronique.»

Ceci m’a paru tout à fait exact, mais plus loin j’ai trouvé une phrase qui m’a inquiété:

«On devrait tendre à éliminer progressivement de l’alliance atlantique tout ce qui en elle peut apparaître comme «protection américaine.»

C’est là que je ne le suis plus. Je pense que M. Federspiel s’engage là dans une direction assez inquiétante et qu’il est illusoire de concevoir, du moins pour l’instant, une Europe sans protection américaine. Je ne pense pas qu’il appartienne au Conseil de l’Europe de déclarer, sous quelque forme que ce soit, que les Américains doivent rentrer chez eux et nous ne devons en aucun cas imiter les tentatives du général de Gaulle destinées à paralyser l’alliance atlantique en nous attaquant à son aspect le plus important qui est, naturellement, la présence américaine sur le continent européen. La protection américaine est nécessaire à l’Europe à tous les points de vue, ainsi que la participation américaine aux affaires européennes. Nous avons besoin aussi bien de la protection que de la participation des Etats-Unis. C’est pourquoi j’ai été très heureux d’entendre le Premier Ministre du Danemark déclarer que l’Europe est inconcevable sans la coopération avec les Etats-Unis. Je crois que ceci vaut pour nous tous.

Je dirai, à l’appui de cette affirmation, que l’O.T.A.N. était et continue d’être une manifestation, un témoignage, une incarnation pourrait-on dire de cette grande communauté d’intérêts entre nos pays et les Etats-Unis, qui nous ont apporté à tous la paix et la stabilité, et qui ont permis l’extraordinaire redressement de l’Europe dont la situation était désastreuse en 1945. Nous avons toutes les raisons de formuler des vœux pour que cette alliance atlantique et la protection qu’elle nous assure soient maintenues. Une coopération étroite entre nous est nécessaire aussi pour l’avenir. Pourquoi? L’Union Soviétique n’a pas encore nettement choisi entre la poursuite de la guerre froide et l’amitié avec les pays européens. La méfiance est toujours profonde, la conception internationale du communisme n’a pas varié. L’Union Soviétique continue de maintenir l’Allemagne divisée. Le poids de la présence américaine sera nécessaire à l’équilibre politique européen aussi longtemps que l’incertitude au sujet des intentions soviétiques subsistera.

M. Federspiel a dit que la philosophie de la dissuasion avait perdu son pouvoir initial. Je ne vois pas très bien ce qu’il veut dire par le mot «initial». Je suis convaincu que la dissuasion n’a rien perdu de son pouvoir dans la mesure où il s’agit d’empêcher un chantage nucléaire soviétique, une intervention soviétique à Berlin ou une intervention soviétique dans les affaires de l’Europe occidentale ou du monde entier. N’oublions pas que la dernière crise de Berlin remonte à quatre ans seulement et que la crise de Cuba est survenue, elle aussi, il y a quatre ans, donc il n’y a pas bien longtemps encore. Est-ce bien le moment de dire que la force de dissuasion nucléaire a perdu son pouvoir et sa signification? Je ne suis pas de cet avis. Elle nous sera nécessaire aussi longtemps que l’Europe ne sera pas capable de faire contrepoids à la puissance des Etats-Unis. Or, cela prendra beaucoup de temps, en admettant qu’elle y parvienne jamais.

L’aide et la coopération des Etats-Unis nous sont nécessaires pour l’avenir politique de l’Europe. Ceci ne veut pas dire que nous voulons une Europe atlantique. Je ne vois d’ailleurs pas très bien ce que l’on entend par là. Toujours est-il qu’il y a de bonnes raisons pour que les Etats-Unis continuent à participer à l’élaboration des décisions européennes. Je n’en mentionnerai que deux. Premièrement, nous n’aurions pas gagné la dernière guerre sans l’aide des Etats-Unis et nous ne serions pas davantage en mesure de conclure une paix définitive sans les Etats-Unis. En effet, le problème de la réunification de l’Allemagne se pose toujours, et pour son règlement final il nous faudra une nouvelle Conférence de Yalta à l’échelle mondiale, et toute une série de questions devront être réglées en même temps. Pourquoi aurons-nous besoin d’un cadre aussi vaste? Parce qu’il n’est pas possible aux Allemands eux-mêmes de proposer de vraies concessions. Ils n’ont pas de grandes concessions à faire, et seule l’alliance mondiale de l’O.T.A.N. et surtout les Etats-Unis disposent d’une marge de manœuvre suffisante pour négocier le règlement d’affaires mondiales s’inscrivant dans un contexte très vaste. Tout règlement européen d’une telle importance devra porter la signature des Etats-Unis, car nous aurons besoin nous-mêmes et les Soviétiques, de la garantie américaine pour ce nouveau Yalta.

La deuxième raison pour laquelle il est nécessaire que les Etats-Unis continuent à participer étroitement à nos affaires est la suivante: il est, à mon avis, peu probable que l’Union Soviétique permette jamais à l’Allemagne d’avoir sa propre force de frappe nucléaire. De ce fait, la Grande-Bretagne et la France se verront peut-être obligées de renoncer elles-mêmes, à longue échéance, à l’idée d'une force nucléaire nationale. A la longue, il faudra qu’une égalité complète règne entre l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne dans tous les domaines, y compris les affaires nucléaires; s’il n’est pas possible aux Allemands de disposer de ces armes, je ne puis croire que la Grande-Bretagne et la France puissent elles-mêmes conserver, en définitive, une force de frappe nationale.

Nous avons donc besoin de la protection nucléaire américaine en vue du règlement final des affaires européennes: elle est indispensable, à titre permanent, au maintien de la paix en Europe, mais il est bien entendu qu’elle devra s’exercer sous une forme qui permettra aux nations européennes de participer réellement aux responsabilités et aux décisions. Il est évident, à mon avis, que l’Europe n’a pas intérêt, comme l’affirme le rapport, à éliminer tout ce qui peut être considéré comme protection américaine, car seule la protection et la participation américaines nous permettront de parvenir à un règlement avec les Soviétiques et de régler nos propres affaires. C’est pourquoi je tenais à lancer ce petit avertissement à propos d’une certaine tendance du rapport de M. Federspiel que cette Assemblée ne devrait pas adopter sans réserver très clairement sa position sur ce point.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Une ou deux questions directes ont été posées à M. Krag dans cette partie du débat, et il a très aimablement accepté d’y répondre. Il doit nous quitter sous peu, car il a un autre engagement important. J’avais l’intention de donner la parole à M. Edwards mais, à moins qu’il désire lui-même poser des questions à M. Krag, auquel cas je l’inviterai à le faire, je donnerai la parole aux autres membres de l’Assemblée qui ont des questions directes à poser à M. Krag. Après avoir invité ce dernier à y répondre, je donnerai la parole à M. Edwards. M. Edwards a-t-il des questions à poser à M. Krag?

M. EDWARDS (Royaume-Uni) (traduction)

J’avais l’intention de poser un certain nombre de questions au cours de mon discours. J’ai écouté très attentivement le discours extrêmement intéressant du Premier Ministre du Danemark et je suis certain que nous sommes tous intéressés par ce qu’il appelle la possibilité d’une initiative nordique. Ce qu’il a dit à cet égard présente un grand intérêt pour ceux d’entre nous qui représentent le Parlement britannique, et j’aimerais demander au Premier Ministre de nous donner quelques précisions au sujet de cette initiative.

A mon avis, les initiatives qui s’imposent en ce moment ne devraient pas venir d’un groupe de petits pays, même très importants; elles devraient être prises par la France qui devrait déclarer très clairement qu’elle ne mettra pas son veto à l’entrée de la Grande-Bretagne au Marché commun, et par la Grande-Bretagne qui devrait se déclarer prête à signer le Traité de Rome sans réserves et à engager un dialogue ensuite. Il me serait très agréable d’avoir une réponse de M. Krag sur ce point et je suis certain que mes collègues aussi écouteront cette réponse avec un vif intérêt, car cette question est importante pour nous tous.

Les partis politiques britanniques se sont engagés à insister sur le fait que nous n’accepterions d’entrer au Marché commun que si les intérêts économiques de tous les pays membres de l’A.E.L.E. étaient sauvegardés. Nous supposons que nos amis Scandinaves partagent ces idées et ces principes.

M. KERSHAW (Royaume-Uni) (traduction)

Ma question est, en gros, la même que celle de M. Edwards: j’aimerais avoir quelques précisions sur les conditions dans lesquelles sera entreprise l’initiative nordique. Le Premier Ministre est-il d’accord pour estimer qu’il est très important de ne pas s’exposer, la prochaine fois, aux mêmes rebuffades qu’en 1963? A-t-il des raisons de supposer que le général de Gaulle a changé d’avis? Prendra-t-il soin de s’en assurer, par la voie diplomatique, avant d’entreprendre des démarches publiques qui pourraient se heurter à une fin de non-recevoir et avoir pour résultat d’aggraver la situation? Le Premier Ministre admet-il qu’une initiative des Six, qui serait soigneusement préparée par les ambassadeurs et les diplomates, serait assortie de la garantie que le veto a été retiré et orientera-t-il ses efforts dans cette voie?

M. SILKIN (Royaume-Uni) (traduction)

J’aimerais poser au Premier Ministre du Danemark une question qui, je l’espère, ne paraîtra pas trop brutale car je la crois nécessaire. Si à la suite d’une initiative nordique, la Communauté ou un Membre de la Communauté devait déclarer qu’il est impossible à la Grande-Bretagne d’entrer au Marché commun au stade actuel, en raison de la situation de sa balance des paiements, tout en précisant que cette réserve ne s’applique pas à d’autres pays tels que les pays Scandinaves, ces derniers seraient-ils en droit d’entrer au Marché commun avant la Grande-Bretagne, de l’avis du Premier Ministre?

M. Krag, Premier ministre du Danemark (traduction)

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt le débat de ce matin au cours duquel ont été abordés un grand nombre de problèmes sur lesquels j’aurais voulu donner mon point de vue, mais il vaut mieux que je me borne à répondre aux observations faites à propos de mon propre discours.

Je tiens d’abord à remercier très cordialement M. Petersen, Représentant norvégien, de ses paroles aimables. A la suite des remarques personnelles qu’il a faites en tant que Norvégien, il me faut bien admettre que ce qu’on a appelé une initiative nordique n’est, jusqu’à présent, qu’une initiative danoise. Je pense que ce n’est pas là le pire qu’on puisse en dire. Je suis heureux que M. Petersen se soit déclaré prêt, en tant que membre du Conseil Nordique, à discuter sérieusement d’une initiative de ce genre au cas où elle serait envisagée par le Conseil Nordique. Vous avez indiqué qu’il ne serait pas facile de parvenir à un accord nordique ou Scandinave sur cette question et je pense que vous avez raison; néanmoins, je crois que nous devrions essayer de faire de notre mieux. Je suis parfaitement conscient des difficultés qui peuvent surgir, mais, comme le disait ce matin Lord Gladwyn, la tension n’est pas toujours une mauvaise chose. Elle peut, parfois, engendrer un nouvel élan, et c’est ce dont l’Europe a besoin en ce moment.

Certains des orateurs ont émis le vœu que toute nouvelle initiative dans le domaine du Marché commun européen soit prise en contact étroit avec les autres pays de l’A.E.L.E. M. Blenkinsop s’est fait l’interprète de ce point de vue et M. Edwards a posé une question dans le même sens. Je suis entièrement d’accord avec eux, mais j’aimerais donner quelques précisions à ce sujet. Je pense qu’aucun Membre de l’A.E.L.E. ne devrait entamer de négociations, quelles qu’elles soient, avec d’autres pays européens ou avec les institutions de Bruxelles sans consultation étroite et sans discussion préalable avec les autres Membres de l’A.E.L.E. Tout Etat membre de l’A.E.L.E. a l’obligation de rester en contact avec les autres Membres de l’Association et de les tenir parfaitement au courant de toutes les démarches envisagées et de tous les problèmes susceptibles de se poser au cours des négociations. Je pense que ceci est très important.

Un des distingués Représentants m’a demandé quelles seraient, à mon avis, les réactions des gouvernements membres du Marché commun à une telle initiative. Je ne puis imaginer qu’une initiative du genre de celle qui a été évoquée ici aujourd’hui se heurte à une fin de non-recevoir. Je pense que tous les Membres de la Communauté des Six lui réserveraient un accueil favorable, et je suis tout à fait certain qu’il en serait ainsi pour le Président de la République Française.

M. Edwards m’a demandé quelle importance j’attribuais aux réactions que susciterait en France et au Royaume-Uni une initiative dite nordique et je lui répondrai en me citant moi-même. Je reprends les dernières lignes de mon discours:

«Une initiative nordique – en admettant qu’elle se révèle possible – pourrait avoir une utilité en soi, et aussi en ce sens qu’elle constituerait un appel au Royaume-Uni et à la France pour que soient rétablis les contacts rompus en janvier 1963 et reprises les négociations auxquelles le Danemark, entre autres pays, avait participé.

Telle est la clef de l’avenir de l’Europe.»

(Applaudissements.)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

M. le Premier Ministre, nous vous sommes extrêmement reconnaissants de la contribution si utile que vous avez apportée à la discussion; en fait, vous avez participé à nos débats. En venant ici aujourd'hui vous nous avez non seulement honorés, mais informés. Nous vous en remercions vivement.