Henri

Grand-duc de Luxembourg

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 29 septembre 2015

Madame la Présidente, chère Madame Brasseur, la Grande-Duchesse et moi-même voulons vous exprimer notre profonde reconnaissance pour votre accueil si chaleureux et vos paroles de bienvenue empreintes de tant de cordialité.

Madame la Présidente, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Excellences, Mesdames et Messieurs, c’est assurément un grand honneur pour moi que de pouvoir m’adresser aux représentants élus de plus de 800 millions d’habitants d’un continent s’étendant de l’Atlantique à l’Oural – et même au-delà –, mais cet honneur se double d’une fierté rare, puisqu’il m’est donné de prendre la parole devant des visages si familiers, occupant les fonctions les plus prestigieuses.

À ceux qui s’inquiéteraient de la mainmise de mes compatriotes sur les institutions du Conseil de l’Europe, je rétorquerais qu’une conjonction exceptionnelle est malheureusement en train de prendre fin, puisque tant Mme Brasseur que M. le juge Spielmann achèveront leur mission dans quelque temps, non sans avoir donné le meilleur d’eux-mêmes au bénéfice de l’intérêt général. Qu’ils en soient d’ailleurs remerciés du fond du cœur.

« Cette crise constitue pour nous un formidable révélateur de notre capacité à nous montrer solidaires en Europe et à rester fidèles à notre héritage commun »

À ceux qui auraient plutôt tendance à s’en féliciter, je répondrais avec un brin de malice que le Luxembourg cumule en plus la présidence du Conseil de l’Union européenne lors de ce semestre.

Pourtant, la satisfaction légitime que nous pouvons ressentir en tant que Luxembourgeois pèse vraiment peu face au poids des responsabilités qui incombent à certains de nos compatriotes. En effet, la période très troublée que nous traversons appelle d’abord des vertus comme le service aux autres, l’engagement désintéressé, ainsi que l’abnégation. Le temps n’est pas à la célébration de gloires individuelles.

Alors que notre gouvernement et ses administrations se sont beaucoup investis pour préparer un programme de présidence axé autour d’une Union œuvrant d’abord pour le bien-être de ses citoyens, l’irruption soudaine de la crise des réfugiés et des migrants a bousculé les agendas politiques.

Le flot continu de réfugiés fuyant la guerre, les massacres ou les camps insalubres a quelque chose de profondément déstabilisant, tant pour ceux qui sont aux responsabilités que pour l’opinion publique.

L’urgence nous force à agir très vite. L’ampleur du phénomène nous oblige à nous mettre d’accord, tous ensemble, pour trouver des solutions communes. L’enjeu commande d’agir au-delà de l’immédiat pour aller à la racine des problèmes. Voilà bien des défis considérables.

Mon propos ne sera pas de décrire une problématique qu’il est difficile de maîtriser tant elle est complexe. Je me bornerai plutôt à deux remarques.

La première, c’est de constater qu’après avoir été pendant des siècles une terre d’émigration, notre continent est appelé à attirer une immigration conséquente au cours des prochaines décennies, s’il ne veut pas connaître un déclin démographique puis économique inéluctables. Beaucoup de pays, dont je salue ici les représentants, subiront dans les prochaines années une baisse de leur population, parfois même dans des proportions considérables, pouvant aller jusqu’à 25 %.

Comme la déflation en économie, une tendance démographique à la baisse entraîne à terme des conséquences désastreuses pour une nation. Seul l’apport de nouvelles populations pourra en amortir les effets. Que chaque Etat, selon son histoire ou sa géographie, ait ses propres conceptions en matière d’immigration, avec des politiques plus ou moins volontaristes, cela ne change pas grand-chose à cette donnée fondamentale.

La seconde remarque, c’est que cette crise des réfugiés constitue pour nous un formidable révélateur de notre capacité à nous montrer solidaires en Europe et à rester en même temps fidèles à notre héritage commun.

C’est en période de difficultés et de crise qu’il importe de se serrer les coudes, de montrer que ce qui lie est beaucoup plus important que ce qui divise et de tracer la voie vers cette véritable communauté de destin que nous appelons de nos vœux pour notre continent.

Les réponses face à la crise des migrants nous concernent tous, bien au-delà des limites de l’Union européenne. Voilà pourquoi l’enceinte de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe nous paraît bien le lieu idoine pour en débattre. Il serait heureux que l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe, qui sont en même temps des partenaires fidèles de l’Union européenne, apportent leur contribution à la résolution des défis immédiats comme à des solutions plus durables. Ce n’est pas seulement une question d’efficacité; c’est surtout une affaire de principes.

En effet, les valeurs du Conseil de l’Europe constituent l’ancrage essentiel pour guider notre action. Il était important, dans le contexte actuel, que M. le Secrétaire Général Jagland rappelât à ses 47 Etats membres une série de conseils sur le traitement à réserver aux migrants et aux demandeurs d’asile, afin de garantir le respect des droits de l’homme.

N’oublions pas que les réfugiés menaient une vie paisible et parfois confortable avant que la guerre civile ne les conduise à tout quitter pour se retrouver sur les routes, ballottés par le sort. Face à une telle détresse, notre devoir moral tout comme nos engagements juridiques nous imposent de les traiter avec respect et dignité.

La peur de l’étranger est le pire des ennemis. Les réfugiés sont des personnes comme nous. Aussi les valeurs que nous défendons ne peuvent fluctuer au gré des circonstances. C’est justement pour cela qu’elles ont été érigées en principe.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les parlementaires, l’Europe est connue dans le monde comme la patrie de l’humanisme. Cet humanisme est le fruit millénaire de notre civilisation gréco-latine et de nos racines judéo-chrétiennes. La démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit en sont la traduction politique et juridique contemporaine. Ce triptyque fonde l’action du Conseil de l’Europe et lui donne toutes ses lettres de noblesse.

En 2002, alors qu’il m’était déjà donné de m’exprimer devant cette Haute Assemblée, j’avais fait la remarque suivante: «Ce qui m’attire le plus dans la façon d’être du Conseil de l’Europe, c’est sa foi en l’avenir et son opiniâtreté à croire dans le meilleur de l’homme. Etrangère au domaine du purement spectaculaire, la plus ancienne organisation politique de l’après-guerre de notre continent est une force tranquille œuvrant pour le bien de tous. Patiente et persévérante, elle réunit toutes les qualités d’un bâtisseur, et ce depuis plus d’un demi-siècle. Son avantage réside dans la persuasion, le dialogue, la coopération et l’assistance.» Ces phrases, je le crois, ont gardé toute leur validité. Aujourd’hui comme hier, le Luxembourg se veut un partenaire exemplaire du Conseil de l’Europe. Ses valeurs résonnent en lui du fait de son histoire mouvementée. Nos habitants ressentent au plus profond ce que le respect des principes démocratiques de l’Etat de droit et des droits de l’homme ont apporté au pays.

Ces trois piliers, nous entendons aussi les renforcer dans notre action présente et future au sein de ces institutions. Nous apportons ce qui fait notre originalité, à savoir, tout d’abord, notre ouverture aux autres, comme le prouve notre capacité à intégrer des dizaines de milliers d’immigrés et de réfugiés politiques depuis des décennies. Cela nous vaut d’être souvent considérés comme un laboratoire de la nouvelle Europe. Ou encore, notre plurilinguisme: atout ancien, mais toujours aussi précieux dans un continent où l’apprentissage de la langue des pays voisins ne progresse que difficilement.

Notre rôle, nous le concevons avec sérieux et humilité. Ainsi, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ont conduit à des modifications en droit interne fondamentales, comme lors de la refonte de nos juridictions administratives. Les rapports de surveillance du Conseil de l’Europe retiennent également toute notre attention.

Être un élève méritant, ou plutôt essayer de l’être, c’est avoir la capacité d’écouter et d’apprendre afin de progresser. Ce n’est pas avoir la science infuse, mais c’est être disposé à s’amender. Alors qu’il nous appartient de mettre en conformité des principes fondateurs avec des réalités mouvantes, n’est-ce pas là la meilleure disposition d’esprit pour construire l’Europe de demain?

Pour vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires, la valeur de votre action tient surtout à l’échange et à la discussion qui, en fin de compte, apportent des idées neuves. La priorité n’est pas d’avoir raison, mais de raisonner et de dialoguer ensemble afin de faire avancer les choses.

En 2014, en ce même endroit, le pape François aspirait à ce que notre continent, en redécouvrant son patrimoine historique et la profondeur de ses racines, retrouve sa jeunesse d’esprit qui l’a rendu fécond et grand.

Voilà le plus bel objectif qui soit pour cette vieille Europe qui ne rend pas les armes. Je formule à mon tour le souhait que votre Assemblée, comme l’ensemble de vos institutions, contribue au rayonnement d’une Europe toujours jeune, car toujours prête à se réinventer. Cette ambition, nous la devons à nous-mêmes comme au reste du monde.

LA PRÉSIDENTE

Merci infiniment pour vos paroles de soutien à nos actions et pour votre engagement personnel en faveur des valeurs du Conseil de l’Europe. Je retiens en particulier ce passage très fort de votre discours sur le défi migratoire qui nous attend et auquel nous devons travailler ensemble. Il s’agit avant tout de la dignité humaine: c’est un message que nous devons porter devant nos parlements nationaux afin de trouver ensemble des solutions et des actions concrètes. Soyez-en infiniment remercié, Monseigneur.

Son Altesse Royale ayant accepté de répondre aux questions des groupes politiques, je donne la parole à M. Agramunt pour poser la première question au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. AGRAMUNT (Espagne) (interprétation)

Monseigneur, je souhaite en premier lieu vous féliciter à l’orée de votre quinzième anniversaire de règne au Luxembourg.

Comme vous le savez, la grande crise des réfugiés en Europe retient toute l’attention des dirigeants et de la société européenne. En tant que chef d’un Etat membre de l’Union européenne, le Luxembourg, comment entendez-vous intégrer dans votre pays les personnes provenant de pays tels que la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan?

Son Altesse Royale, Grand-duc de Luxembourg

Merci, Monsieur le député, pour vos vœux d’anniversaire: quinze ans, cela fait en effet un certain temps!

J’aimerais replacer votre question dans le contexte historique du Luxembourg afin de bien comprendre la position de mon pays face à l’afflux actuel de réfugiés. Au XIXe siècle, le Luxembourg était un pays extrêmement pauvre. Il a connu une énorme émigration: presque un tiers de notre pays a émigré vers les Etats-Unis et le Brésil, ce qui représentait à l’époque entre 60 000 et 70 000 personnes, les Etats-Unis ayant attiré la plupart de ces migrants.

Le problème migratoire ne date pas d’aujourd’hui: il date déjà d’une bonne centaine d’années, et même plus. Il faut se souvenir que l’Europe a été un continent d’émigration très forte. Nous étions très contents, à cette époque, de trouver un pays d’asile comme les Etats-Unis.

Avec l’industrialisation et la découverte de minerai de fer dans le sud, cette courbe d’émigration s’est complètement inversée, notre pays connaissant des vagues d’immigration avec tout d’abord les Italiens. L’un des membres de notre délégation, M. Mars Di Bartolomeo, président de la Chambre des députés du Luxembourg, est une preuve vivante de cette migration du début du siècle dernier qui venait d’Italie pour travailler dans les mines et dans la sidérurgie luxembourgeoises.

Les Portugais ont constitué la deuxième vague d’immigrés au Luxembourg, qui compte actuellement environ 100 000 Portugais ou personnes d’origine portugaise, soit un cinquième de la population luxembourgeoise. Dans les années 1990, à la suite de la guerre des Balkans, nous avons reçu plusieurs dizaines de milliers de réfugiés issus de l’ex-Yougoslavie.

Aujourd’hui, 49 % de la population résidente est étrangère. S’ajoutent 160 000 frontaliers qui viennent tous les jours travailler chez nous. Nous sommes donc riches d’une expérience en matière d’immigration et d’intégration.

Pour moi, la cohésion sociale est un problème essentiel qu’il nous appartient de résoudre.

L’intégration se fait par l’école, par l’apprentissage de la langue ou des langues du pays, par le travail, mais aussi par l’acquisition de la nationalité. À cet égard, le Luxembourg a adopté il y a quelques années une loi autorisant la double nationalité après un temps de résidence de sept ans sur son territoire.

Notre longue expérience d’intégration nous permet aujourd’hui d’accueillir cette nouvelle vague de réfugiés. Je suis très fier de mon pays, de ses autorités politiques et de notre population qui ont accueilli à bras ouverts cette nouvelle vague de migrants qui arrivent de divers endroits du monde où les situations économique et de guerre sont épouvantables.

Le Gouvernement luxembourgeois a œuvré pour les accueillir. Je salue Mme la ministre de l’Intégration et de la Famille ici présente, qui œuvre sans relâche pour trouver des solutions adéquates. De nombreuses communes ont ouvert leurs centres polyvalents afin de permettre aux réfugiés d’y passer quelque temps et de retrouver une atmosphère de chaleur et de bien-être.

Forts de notre expérience, je peux vous dire que les immigrés sont souvent très motivés pour réussir et sont extrêmement travailleurs. Les enfants même travaillent extrêmement bien à l’école et apprennent très rapidement les langues.

Remarquons que les immigrés sont un enrichissement culturel pour le Luxembourg, dont l’économie ne serait pas cette économie développée que nous connaissons sans l’apport considérable de l’ensemble des immigrés. En outre, cette population issue du monde entier permet à notre population d’être l’une des plus jeunes d’Europe et donc l’une des plus dynamiques.

Aussi, je le répète avec force, n’ayons pas peur de l’étranger. Les immigrés sont pour nous tous un enrichissement.

M. GROSS (Suisse), porte-parole du Groupe socialiste

Votre Altesse Royale, je vous remercie de votre disponibilité. J’aimerais que vous expliquiez aux républicains que nous sommes la raison d’être d’une monarchie en ces temps où le modèle qui prévaut est celui de régimes démocratiques.

Son Altesse Royale, Grand-duc de Luxembourg

Je vous remercie de votre question.

La Suisse étant l’une des républiques les plus anciennes au monde, je comprends – ou presque – votre question, qui est légitime. Vous me placez toutefois dans une situation quelque peu embarrassante, car, en l’occurrence, je suis juge et partie. Je ne suis pas ici pour défendre la monarchie ni pour me faire le chantre de ce système politique. Pour autant, si vous le permettez, je présenterai quelques remarques.

Il existe des régimes républicains démocratiques, il en est d’autres qui ne le sont pas. Il existe des régimes monarchiques qui sont démocratiques, il en est d’autres qui ne le sont pas. L’Europe compte une dizaine de monarchies, ce qui n’est pas négligeable, qui sont toutes des monarchies constitutionnelles et parlementaires. On ne peut donc séparer la notion de monarchie, en tout cas en Europe, de la notion de démocratie. Elles se marient parfaitement, je vous l’assure. Vous pouvez interroger les Luxembourgeois ici présents. Je crois qu’ils vous répondraient que ce n’est pas si mal; c’est un système qui fonctionne!

J’ajoute que la mère de la démocratie est l’Angleterre, qui est une monarchie. Je ne vois donc pas où se situe le problème.

Si je reviens au Luxembourg, ma grand-mère a été plébiscitée par référendum à 80 % pour devenir Grande Duchesse du Luxembourg. Sa légitimité repose par conséquent sur un fondement démocratique.

Je terminerai par un dernier exemple. Lors du putsch militaire en Espagne, le roi a conservé les institutions démocratiques. Une monarchie peut donc être un défenseur des institutions et de la démocratie.

LA PRÉSIDENTE

Merci, Monseigneur, de votre réponse. Vous avez indiqué que vous étiez à la fois juge et partie. Au Conseil de l’Europe, il faut déclarer les conflits d’intérêts possibles lorsque l’on accepte un mandat. Vous avez suivi en quelque sorte cette recommandation que nous adressons à nos parlementaires…

M. XUCLÀ (Espagne), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Monseigneur, je vous salue au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

Il est vrai qu’un premier ministre libéral dirige le pays. Je vous salue en ce temple de la démocratie, de la prééminence du droit et des droits de l’homme. Ainsi que vous l’avez déclaré, nous sommes la force tranquille de l’Europe. C’est cette force tranquille qui construit cette instance démocratique qui réunit aujourd’hui 47 Etats membres.

Vous avez évoqué le multilinguisme. Vous-même, à l’instar de notre Présidente, Mme Brasseur, maîtrisez plusieurs langues. Les Luxembourgeois s’expriment très bien en français et en allemand. Votre pays prouve qu’il est possible de fonctionner en plusieurs langues. Et mon excellent ami, le professeur Tarrach illustrait également ce plurilinguisme.

Comment étendre ce plurilinguisme dans les Etats membres?

Son Altesse Royale, Grand-duc de Luxembourg

Il s’agit là d’une question extrêmement intéressante, à l’heure de l’élargissement de l’Union européenne. À ce sujet, je vous livrerai une anecdote. Il y a environ 25 ans, à l’occasion d’une visite d’Etat du Président François Mitterrand au Luxembourg, je me suis retrouvé, au dîner de gala, assis à côté d’un ministre, dont je tairai le nom, mais avec qui j’ai parlé éducation et apprentissage de langues étrangères. Je lui expliquais la situation peu ordinaire du Luxembourg et comment, dès leur très jeune âge, nous entraînions les enfants à «se faire une oreille en entendant plusieurs langues» afin qu’ils deviennent plus facilement polyglottes. Le ministre s’est étonné de cette facilité d’apprentissage, arguant que les Français en étaient incapables. Je lui ai alors demandé pourquoi les Luxembourgeois seraient plus intelligents que les Français – il n’a pas beaucoup aimé cette réflexion. Mais je voulais dire par là, que certaines personnes ne se pensent pas capables d’apprendre une langue étrangère.

Au Luxembourg, étant donné la taille de notre pays, nous sommes obligés d’apprendre, au moins, les langues de nos voisins, à savoir l’allemand et le français, ainsi que l’anglais, la langue internationale.

Si je parle quatre langues, mon épouse ici présente parle quant à elle six langues. De sorte que nos enfants en parlent déjà cinq ou six. Dans une journée, les Luxembourgeois passent d’une langue à l’autre en permanence; c’est une gymnastique que nous avons appris à réaliser.

Le Luxembourg a toujours soutenu les initiatives du Conseil de l’Europe dans le domaine des langues, la diversité linguistique européenne étant très importante; je sais, Monsieur Xuclà, qu’en tant qu’Espagnol et Catalan, vous comprenez de quoi je parle. Je pense réellement que notre cerveau est programmé pour apprendre une ou deux langues supplémentaires. Les ministres européens de l’Education nationale s’intéressent de plus en plus à cette question et les parents souhaitent que leurs enfants parlent plusieurs langues.

Alors oui, je pense que maîtriser plusieurs langues est important pour la communication.

M. CHOPE (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Je voudrais, au nom de mon groupe, remercier son Altesse Royale le Grand-Duc de Luxembourg pour son intervention et ses réponses très intéressantes; cela montre l’avantage de recevoir les questions bien en avance.

Son Altesse Royale le Grand-Duc de Luxembourg est-elle d’accord avec moi pour dire qu’une identité nationale forte au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe est essentielle pour assurer la sécurité et la démocratie de notre continent? Comment réaliser cet objectif?

Son Altesse Royale, Grand-duc de Luxembourg (interprétation)

Effectivement, j’ai reçu vos questions il y a une semaine, et ces sept jours m’ont permis de répondre précisément à ce genre de questions!

(Poursuivant en français) La sécurité démocratique en Europe doit avant tout être un effort collectif et une responsabilité partagée des Etats membres du Conseil de l’Europe. L’identité nationale est cependant une notion positive quand il s’agit de culture, de langue ou de traditions. Il n’y a rien de plus beau que la diversité culturelle en Europe. Chaque pays est très différent. La Grande-Bretagne, par exemple, est très différente du Luxembourg ou de l’Italie. Cet enrichissement est précieux et nous devons tout faire pour garder cette diversité culturelle.

Mais nous avons surtout des valeurs communes, notamment celles du Conseil de l’Europe: démocratie, prééminence du droit et respect des droits de l’homme. Des valeurs indiscutables. Et nous devons travailler ensemble pour que ces valeurs soient communes aux 47 pays du Conseil de l’Europe.

M. KOX (Pays-Bas), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Il est vrai que nous avons envoyé nos questions par écrit, ce qui n’est pas la procédure habituelle. Originaire des Pays-Bas, je suis tout à fait conscient que le rôle d’un chef d’Etat, quel que soit le régime politique en vigueur dans son pays, n’est pas simple. Et j’espère qu’à l’avenir la reine du Royaume-Uni viendra elle aussi répondre à nos questions.

La force du Conseil de l’Europe et de notre Assemblée parlementaire est d’œuvrer depuis toujours pour faire tomber les murs qui séparent nos pays afin de travailler tous ensemble. Mais depuis l’éclatement du conflit en Ukraine, les discussions avec la Fédération de Russie se sont interrompues, et ces dernières années le Royaume-Uni a vivement critiqué le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous avons vu aussi récemment l’Azerbaïdjan refuser d’exécuter ses arrêts.

Comment surmonter ces difficultés et renforcer les décisions du Conseil de l’Europe pour l’avenir?

Son Altesse Royale, Grand-duc de Luxembourg

Je répondrai à votre question par une analogie, ne pouvant pas entrer aujourd’hui en détail dans les difficultés que rencontre le Conseil de l’Europe avec certains pays membres.

Le Conseil de l’Europe peut être considéré comme une grande famille. Or dans une famille, parfois, un membre ne se comporte pas bien, ne respecte pas les règles et se dispute avec d’autres membres. Mais le père et la mère doivent tout faire pour maintenir le dialogue; le dialogue est essentiel pour garder l’unité familiale.

Le dialogue est donc pour moi essentiel pour maintenir cette unité familiale.

Pourquoi, au fond, a-t-on instauré les grandes organisations internationales: l’Organisation des Nations Unies, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe…? La première raison, c’était la paix. Quand on considère les Nations Unies, par exemple, on songe, pour reprendre le mot du général de Gaulle, à un énorme «machin». Cette organisation est pourtant essentielle, car elle permet en son sein la diplomatie des couloirs, souvent bien plus efficace que ce qui se passe dans une enceinte comme cet hémicycle.

Nous devons toujours essayer de trouver un endroit où nous rencontrer et échanger. Nous l’avons tout à l’heure évoqué avec Mme Brasseur qui s’est montrée vraiment extraordinaire en insistant auprès des pays qui rencontraient des difficultés pour qu’ils s’efforcent de rechercher des compromis.

L’autorité morale du Conseil de l’Europe est pour moi essentielle et se trouve renforcée par son bras juridique, la Cour européenne des droits de l’homme. Il s’agit donc d’une institution très forte.

Souvent, nous parvenons à ramener progressivement dans notre giron les pays qui se sont quelque peu écartés de notre façon de voir. Mais combien de temps nous a-t-il fallu, à nous, pour devenir des démocraties? Il faut donc donner un peu de temps à ces pays afin que s’y enracine cette culture démocratique. Aussi est-il important qu’ils soient membres du Conseil de l’Europe pour apprendre ce que la démocratie nous a apporté.

LA PRÉSIDENTE

Je vous remercie, Monseigneur, d’avoir bien voulu répondre aux questions des parlementaires qui, certes, Monsieur Chope, ont été posées à l’avance; mais nous avons eu la chance d’entendre le souverain d’une monarchie. Aussi, je reprends la proposition de M. Kox d’inviter la reine du Royaume-Uni à venir s’exprimer devant nous et à répondre à nos questions.

Laissez-moi encore vous remercier, Monseigneur, pour votre discours et pour la manière avec laquelle vous nous avez répondu. Pour conclure en luxembourgeois: villmols merci – merci beaucoup.