Raymond

Barre

Premier ministre de la République française

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 30 septembre 1980

Monsieur le Président, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre invitation qui me vaut le vif plaisir d’être aujourd’hui parmi vous à Strasbourg, et qui me donne l’heureuse occasion de vous retrouver puisque, pendant quatre ans, nous avons travaillé ensemble dans les conseils de Bruxelles.

Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, Strasbourg, cette ville qui a été pendant si longtemps un enjeu stratégique, est maintenant devenue un lieu privilégié de rencontre et de réflexion. Beaucoup d’innovations y ont pris corps. C’est ici qu’au lendemain de la guerre a été établi le Conseil de l’Europe, première institution intergouvemementale à avoir accordé un rôle central à un organe parlementaire. A sa suite, grâce au Traité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier de 1951, une autre Assemblée parlementaire y est née qui regroupe maintenant les élus au suffrage universel de neuf nations européennes.

Strasbourg, devenue la capitale de l’Europe des Neuf comme de l’Europe des Vingt et un, a pour vocation d’être un lieu de rassemblement. A cet égard, les adhésions de l’Espagne et du Portugal au Conseil de l’Europe ont renforcé le lien déjà établi entre l’Europe du Nord et le monde méditerranéen.

Le Conseil de l’Europe défend un idéal politique auquel la France est profondément attachée. L’appartenance au Conseil de l’Europe constitue, en effet, un acte de foi dans la démocratie.

Enfin, grâce à la souplesse de ses procédures, le Conseil de l’Europe s’ouvre au monde non européen en accueillant des personnalités du monde entier, éminentes et diverses. Vous avez reçu, au cours des années précédentes, M. Léopold Senghor, M. Gaston Thorn, M. Mario Soares, M. Helmut Schmidt, M. Francisco Sa Carneiro.

Je salue la présence ce matin de M. Huang Hua, ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine.

Cette attention, Mesdames et Messieurs les parlementaires, que vous portez vers d’autres continents, confère à votre Assemblée, à laquelle sa composition donne une vocation régionale, une grande originalité parmi les forums politiques du monde. Strasbourg, de ce fait, est confirmée dans son rôle de lieu de rencontres et de dialogues.

Ma présence parmi vous, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, témoigne de l’intérêt que mon pays porte à vos travaux passés, mais aussi et surtout à ceux que vous entreprendrez dans l’avenir. Le Gouvernement français souhaite en effet que votre dynamisme et vos recherches apportent aux gouvernements des pays membres de l’Europe à la fois un encouragement et des inspirations.

Dans notre époque troublée et incertaine, tous les hommes qui ont des responsabilités doivent pouvoir, en recourant aux valeurs fondamentales de notre civilisation et de nos sociétés de liberté, faire œuvre, comme vous le faites ici, de réflexion et de proposition. Les difficultés qui ont saisi le monde sont, en effet, générales. Elles portent sur les relations des citoyens avec les pouvoirs publics; elles ébranlent la détente entre les nations; enfin, elles bouleversent tous les échanges, et singulièrement les échanges économiques internes et internationaux. Dès lors, elles constituent un défi pour les différentes formes d’organisation auxquelles nous sommes attachés parce que, pour nous, elles représentent les fondements de nos sociétés de liberté et de responsabilité: les institutions sociales, les collectivités locales et les entreprises.

A tous ces graves problèmes, le Conseil de l’Europe peut, sinon apporter directement des solutions, du moins contribuer à en dégager les contours: votre institution défend un idéal politique. Elle a intensifié et encouragé entre les vingt et un pays membres du Conseil des relations efficaces de coopération, elle peut jouer un rôle actif dans la solution des grands problèmes économiques auxquels l’Europe doit faire face du fait du changement du monde.

Le Conseil de l’Europe défend un idéal politique auquel la France est profondément attachée. L’appartenance au Conseil de l’Europe constitue, en effet, un acte de foi dans la démocratie.

L’article premier du Statut de votre Conseil déclare que «le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux qui sont leur patrimoine commun...»

Ces «idéaux» ou encore ces «valeurs spirituelles et morales», comme les appelle le préambule de votre Statut, sont la liberté individuelle, la liberté politique, la prééminence du droit.

C’est donc à une défense concrète de la démocratie que vous vous consacrez. D’ailleurs, de toutes les conventions internationales que vous avez élaborées, et dont le nombre dépasse à présent la centaine, celle qui donne à votre institution sa plus belle image est la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

Pas de «démocratie véritable» sans une garantie concrète des citoyens: vous avez mis en place des procédures et des institutions pour que les libertés proclamées soient effectivement appliquées.

Cette défense collective de la démocratie politique et l’existence de moyens accessibles et concrets de protection des droits de la personne humaine devraient rassurer et convaincre tous ceux qui doutent qu’il y ait une solution acceptable au rapport des citoyens avec les pouvoirs.

Le Conseil de l’Europe encourage au développement des relations pacifiques entre les nations, et vous savez, Mesdames, Messieurs, combien mon pays est attaché à la paix, au progrès et à la coopération dans le monde.

De nombreuses tentatives ont été faites en ce sens. Des initiatives ont été prises par votre Comité des Ministres ou par l’Assemblée Consultative, sous forme de vœux, de suggestions et de propositions, pour développer d’une façon harmonieuse les relations entre les pays – ceux du Conseil entre eux et ceux du Conseil avec des pays non membres – dans les domaines de la politique extérieure, de la politique économique, de la politique sociale et aussi de la politique culturelle.

A l’intérieur des vingt et un pays qui constituent le Conseil, les nombreuses conventions qui ont été élaborées tentent à faciliter les déplacements de personnes, à rendre compatibles entre elles les législations nationales, à assurer à tous les nationaux la plus grande protection possible. Cette œuvre, patiente et précise, tend à créer une «aire européenne, administrative, légale et juridique», dans laquelle les différences ne seraient plus des obstacles.

L’œuvre que le Conseil de l’Europe a accomplie dans le rapprochement des Etats européens membres lui confère une vocation particulière à se pencher sur les problèmes que soulève la préparation de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.

Les recommandations que votre Assemblée Consultative a adressées aux négociateurs d’Helsinki, illustrent votre volonté d’aller au cœur des problèmes. En 1973, vous avez demandé l’«accroissement de la liberté de mouvement des personnes, des idées et des informations à travers les frontières de l’Europe». Plus récemment, vous avez mis l’accent sur des difficultés concrètes en dénonçant «l’absence de progrès substantiels en matière de contacts entre les personnes, la non-reconnaissance du droit à l’immigration, les politiques de contrôle étroit et répressif que maintiennent plusieurs gouvernements des pays de l’Est en matière d’information».

A cet égard, le réalisme avec lequel vous envisagez la sécurité et la coopération entre les pays de l’Est et les pays de l’Ouest est la seule approche lucide et efficace. La détente, Mesdames, Messieurs, a reçu une grave atteinte du fait de l’occupation militaire de l’Afghanistan et la situation internationale qui en résulte pèse et pèsera sur la réunion de Madrid.

Cependant, les trente-cinq délégations présentes à la Conférence devront se garder d’engager une confrontation stérile des idéologies ou des systèmes politiques et sociaux, elles ne devront pas non plus se laisser aveugler ni se satisfaire de faux-semblants. Je peux vous dire qu’en ce qui concerne mon pays, c’est avec ce double souci qu’il participera aux travaux de Madrid.

Cette voie est étroite, mais elle est la seule qui puisse actuellement déboucher sur une réaffirmation sérieuse des principes et de l’esprit de la détente et sur son rétablissement dans les faits. Comme vous, nous nous méfions des déclarations de principe qui ne sont pas accompagnées d’actes conséquents. Pour la France, la détente doit être une réalité concrètement vécue et bien entendu indivisible.

Pour en terminer avec la conférence sur la sécurité collective en Europe, je considère comme excellent que le Comité des Ministres tienne sa deuxième réunion annuelle en octobre et non pas en novembre, il pourra ainsi procéder utilement à un dernier échange de vues avant Madrid.

Le Conseil de l’Europe peut enfin aider à faire face aux changements du monde auxquels la politique de mon Gouvernement s’efforce d’adapter la France. Grâce à un environnement international favorable, l’Europe de l’Ouest a enregistré, au cours des trois dernières décennies, de brillantes performances économiques. Alors que le produit national brut cumulé des pays européens de l’OCDE représentait en 1950 la moitié de celui des Etats-Unis, il lui est aujourd’hui supérieur de 30 %.

Cependant, au cours de cette décennie, la situation de l’économie internationale s’est profondément modifiée. Le prix du baril de pétrole a été multiplié par 18, l’inflation s’est généralisée, des déséquilibres importants et de nature structurelle sont apparus dans les balances des paiements, le rythme de la croissance économique a partout fléchi, le taux du chômage s’est partout accru. L’Europe, lourdement dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements en énergie et en matières premières, tributaire du marché mondial pour ses débouchés, doit transformer des pans entiers de son appareil économique.

La voie à suivre est dictée par les contraintes qui nous assaillent. L’Europe doit tout d’abord diminuer sa dépendance à l’égard des hydrocarbures. La France, pour sa part, s’est fixé pour 1990 l’objectif de réduire au tiers de ses besoins en énergie son recours au pétrole. C’est une stratégie énergétique originale qui doit être suivie sans défaillance par tous les Européens. Elle doit comporter des économies d’énergie, le développement du nucléaire, du charbon, du gaz, ainsi que la recherche, la découverte et l’exploitation de sources d’énergie entièrement nouvelles. A cet égard, toute hésitation ou tout retard d’un pays européen, non seulement compromet son propre avenir, mais affecte aussi celui de ses partenaires.

L’Europe doit, en second lieu, maintenir ses débouchés en s’efforçant de préserver la liberté des échanges, ainsi que l’ont rappelé les pays membres de l’OCDE dans leur déclaration commune du mois de juin dernier. L’aboutissement, il y a un an, des négociations commerciales multilatérales va dans ce sens. Toutefois, pour que cette ouverture des marchés soit durable et effective, sa réalisation ne devra pas être perturbée par de trop brusques mouvements qui bouleverseraient brutalement des secteurs industriels entiers et provoqueraient des problèmes d’emploi intolérables sur les plans social et politique.

Nous devrons donc mettre en œuvre sur le plan international les moyens d’une croissance ordonnée des échanges, c’est la seule façon de sauvegarder à terme la liberté des échanges.

La troisième priorité pour l’Europe est de rechercher une stabilisation des relations monétaires et financières, non seulement en son sein, mais aussi dans l’économie internationale. Nous payons très cher, Mesdames, Messieurs, la vague inflationniste des quinze dernières années et le dérèglement du système monétaire international qui a abouti à sa disparition et à l’instabilité générale des monnaies. Une plus grande discipline s’impose dans les pays industrialisés: au plan interne par la recherche d’une évolution plus modérée en matière de coûts de production, de rémunérations et de prix et, au plan international, par la recherche continue d’une plus grande stabilité des monnaies. En ce domaine, la création du système monétaire européen représente une étape décisive. Il a permis aux pays européens qui y adhèrent de constituer une zone de stabilité monétaire dont l’influence se fait sentir au-delà même des pays qui ont accepté ses règles.

Je souhaite, pour ma part, que les pays européens qui ne peuvent participer à ce système qui est communautaire s’efforcent cependant de maintenir une évolution de leur monnaie parallèle à celle des monnaies appartenant à ce système. Ainsi, l’Europe occidentale tout entière pourrait-elle devenir une zone de stabilité monétaire dans le monde.

En dernier lieu, et cet objectif est à mes yeux fondamental, la coopération économique européenne et internationale doit faire une place beaucoup plus grande à la lutte contre la pauvreté. Il est malheureusement probable que pour la majorité des habitants de plusieurs continents, le problème essentiel des années 80 sera celui de la faim et de l’arrêt du développement provoqué par l’augmentation massive de leur facture pétrolière. En dépit des difficultés auxquelles chacun de nos pays a à faire face, nous devons venir en aide aux pays les plus pauvres du monde. Nous agirons ainsi, à la fois pour la justice et pour la paix.

Toutes les évolutions que je viens de rappeler auront des répercussions importantes sur les structures économiques et sociales de nos pays. Le Conseil de l’Europe, dont le Statut annonce qu’il doit non seulement sauvegarder et promouvoir les idéaux qui sont le patrimoine commun de ses membres, mais aussi favoriser leur progrès économique et social, a un rôle à jouer dans la grande œuvre d’adaptation économique des pays européens aux nouvelles données de l’économie mondiale.

Le Conseil de l’Europe peut comparer les expériences, apprécier leurs conséquences humaines et sociales, signaler les opérations les plus encourageantes. Il peut aussi faire appel à la contribution d’autres parties du monde. En bref, par ses travaux, par ses études, il peut contribuer à créer un climat de recherche, d’émulation et d’innovation. Il peut, par ses recommandations et ses avis, aider les Etats européens à ne pas perdre de vue les intérêts des autres Etats membres ou non membres dans une période de l’histoire ou l’interdépendance des nations s’accroît régulièrement et où elle a pour conséquence l’exigence de la coopération internationale.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, je savais qu’en répondant à votre invitation de me rendre à Strasbourg, ville française et européenne, j’accomplirais un voyage important. En analysant l’œuvre accomplie par le Conseil de l’Europe, j’ai pris la mesure de tout le travail qui a été effectué depuis les années de l’immédiat après-guerre sur la route de l’unification concrète et plus encore morale de l’Europe occidentale.

En décrivant les difficultés économiques auxquelles sont à présent confrontés nos pays, j’ai mis en relief le problème des solidarités dont nous aurons à faire preuve les uns à l’égard des autres.

Permettez-moi, pour conclure, de rendre, au nom du Gouvernement français, un sincère hommage à votre action et de souhaiter qu’elle reste exemplaire et féconde pour l’Europe et pour le monde. (Vifs applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, nous avons été très sensibles à votre discours qui constitue un témoignage de l’intérêt que vous portez aux activités du Conseil de l’Europe. C’est également une occasion de réfléchir à notre avenir qui devra beaucoup à notre cadre géographique. En outre, je vous remercie d’avoir accepté de répondre aux nombreuses questions des membres de cette Assemblée.

Je rappelle que l’Assemblée, dans sa première séance, m’a confié le soin d’établir l’ordre d’appel des questions. Pour ce faire, j’ai essayé de tenir compte des sujets intéressant en priorité le Conseil de l’Europe dans son ensemble, de préférence aux questions spécifiques à la CEE ou aux problèmes bilatéraux ou particuliers.

Il est néanmoins évident que, ce faisant, j’ai pris le risque de mécontenter certains, peut-être même la plupart de nos collègues, ce qui était inévitable compte tenu du temps dont nous disposons maintenant.

Trente questions ont été déposées par écrit. Elles ont été regroupées en dix-huit thèmes pour chacun desquels la procédure sera la suivante:

J’inviterai d’abord M. le Premier ministre à répondre à chaque groupe de questions. Puis, les collègues qui ont posé une question portant sur le thème évoqué disposeront au maximum d’une minute pour poser une question supplémentaire.

Je vous invite maintenant, Monsieur le Premier ministre, à répondre aux questions du groupe n° 1 concernant les incidences du conflit Irak-Iran sur les relations des pays occidentaux avec les belligérants, sur l’approvisionnement en pétrole et sur la nécessité de coopération en matière énergétique.

Ces questions nos 1, 20, 23, 25, 28 ont été posées par MM. Hanin, Jessel, Kershaw, Aano, Papaefstratiou. Ces questions sont ainsi libellées:

«Question n° 1:

M. Hanin,

Demande au Premier ministre de la République française:

comment il évalue les répercussions pour l’Europe du conflit entre l’Irak et l’Iran, quelles sont à son avis les répercussions de ce conflit sur l’approvisionnement en pétrole et par voie de conséquence sur les politiques énergétiques, et en particulier si une plus grande concertation et une plus grande coopération ne lui paraissent pas s’imposer entre pays européens, aussi bien dans le domaine de l’énergie nucléaire que dans celui des énergies de substitution;

quelles seraient, à son avis, les initiatives et les mécanismes à envisager pour définir et mettre en œuvre un programme de coopération européen.

Question n° 20:

M. Jessel,

Demande au Premier ministre de la République française si, compte tenu de la guerre qui a éclaté ces derniers jours entre l’Irak et l’Iran, le Gouvernement français entend continuer à autoriser la livraison à l’Irak de matériel permettant la fabrication d’armes nucléaires.

Question n° 23:

M. Kershaw,

Demande au Premier ministre de la République française quelles dispositions ont été prises pour assurer dans les conditions optimales la consultation et la coopération entre les alliés occidentaux, notamment au sujet du Proche-Orient et du conflit entre l’Irak et l’Iran.

Question n° 25:

M. Aano,

Considérant le danger imminent pour la paix régionale et même mondiale que constitue l’introduction d’armes nucléaires au Proche-Orient et à la

lumière de l’instabilité et de l’absence de modération dans cette région illustrées par la récente ouverture des hostilités entre l’Irak et l’Iran et compte tenu du pouvoir limité dont dispose l’Agence internationale pour l’énergie nucléaire pour empêcher la production d’armes nucléaires,

Demande au Premier ministre de la République française si le Gouvernement français réexaminera ses accords avec l’Irak pour la fourniture d’une centrale nucléaire et d’uranium enrichi qui permet virtuellement la production d’armes nucléaires.

Question n° 28:

M. Papaefstratiou,

Demande au Premier ministre de la République française s’il juge qu’une réunion entre les pays producteurs et les pays consommateurs de pétrole est possible dans l’immédiat, afin de trouver une éventuelle solution au problème de l’établissement du prix du pétrole, puisqu’il est évident que ce problème constitue une menace pour les économies des pays et provoque, d’autre part, une augmentation du taux de l’inflation.»

La parole est à M. Barre.

M. Barre, Premier ministre de la République française

M. Hanin m’a demandé mon avis sur les répercussions du conflit entre l’Irak et l’Iran en ce qui concerne l’approvisionnement et la politique énergétique des pays de l’Europe occidentale.

Je voudrais d’abord brièvement fixer l’importance de l’Irak: comme producteur de pétrole, 175 millions de tonnes, deuxième exportateur de l’Europe; comme fournisseur de l’Europe occidentale: la France est la première touchée, 24,5 millions de tonnes importées en 1979, soit à peu près 25 % de ses importations totales. L’Italie a importé 22 millions de tonnes soit presque 20 % de son approvisionnement total. La République Fédérale d’Allemagne a importé 2,5 millions de tonnes.

Par contraste avec l’Irak, le rôle de l’Iran est minime puisque ses exportations représentent 500 000 barils/jour, soit 25 millions de tonnes par an vers les pays en voie de développement et les pays socialistes.

L’arrêt des exportations de l’Iran et de l’Irak représente un manque important sur le marché mondial. Cependant, il y a des possibilités d’évacuation du pétrole brut irakien vers la Méditerranée: environ 1 million à 1,5 million de barils/ jour, soit 50 millions à 70 millions de tonnes par an.

Je note, par ailleurs, qu’il existe actuellement sur le marché mondial du pétrole un excédent que l’on peut évaluer à 2 millions ou 3 millions de barils/jour et que les stocks sont importants dans nos pays, plus de 100 000 jours de stock.

Si le conflit reste donc limité géographiquement et dans le temps, il n’y a pas de risque pour l’approvisionnement de l’Europe occidentale dans l’immédiat. Il reste, cependant, que la liberté de circulation dans le détroit d’Ormuz doit être assurée. Le conflit actuel souligne la précarité de l’approvisionnement de l’Europe occidentale et, par conséquent, le bien-fondé de la politique d’économies d’énergie et du développement des énergies alternatives dont j’ai parlé tout à l’heure.

Je vous demande, en particulier, Mesdames, Messieurs, d’apprécier l’effort nucléaire français qui, à la fin de 1980, représentera près de 25 % de la production d’électricité française. Je vous demande d’apprécier cet effort à la lumière des considérations que je viens d’évoquer.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre. La parole est à M. Hanin pour une minute.

M. HANIN (Belgique)

Monsieur le Président, je n’utiliserai pas cette minute. Je suis satisfait de la réponse de M. le Premier ministre de la France qui m’a donné les renseignements que j’avais demandés. Je n’ai pas obtenu de réponse à la seconde partie de ma question relative aux initiatives que pourrait prendre la France dans ce conflit, mais le Gouvernement français, par l’action qu’il a menée, m’a donné une réponse satisfaisante et suffisante.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons maintenant le groupe de questions n° 2 concernant l’attitude de la France face à l’élargissement de la CEE, questions posées par M. Kershaw (n° 2), M. Munoz Peirats (n° 21) et M. Bacelar (n° 22). J’en donne lecture:

«Question n° 2:

M. Kershaw,

Demande au Premier ministre de la République française s’il veut bien définir l’attitude de la France envers l’élargissement de la CEE.

Question n° 21:

M. Muhoz Peirats,

Demande au Premier ministre de la République française de bien vouloir préciser la position du Gouvernement français au sujet de l’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes et d’indiquer notamment s’il entend s’en tenir au calendrier qui avait été établi, selon lequel les négociations et les procédures de ratification devaient être achevées en 1983.

Question n° 22:

M. Bacelar,

Rappelant que le Portugal a demandé son admission à la CEE et que le processus est en cours, avec un calendrier prévoyant sa conclusion en 1983, mais que récemment il y eut des bruits relatifs à un ajournement en raison de l’attitude du Gouvernement français,

Demande au Premier ministre de la République française où l’on en est à ce sujet, si la France considère les demandes d’adhésion du Portugal, la première formulée, et celle de l’Espagne comme constituant un même dossier, à apprécier conjointement et devant donner lieu à des décisions simultanées ou si, au contraire, il est disposé à considérer séparément la demande portugaise, étant donné que ces deux demandes soulèvent des problèmes tout à fait différents.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Barre, Premier ministre de la République française

La France a marqué, sans aucune réticence, sa faveur à l’élargissement de la Communauté à l’Espagne et au Portugal. Dès 1977, le Président de la République française et le Gouvernement français ont clairement exprimé leurs vues à ce sujet. Des négociations ont été ouvertes qui doivent tenir compte de la situation évidemment différente de l’Espagne et du Portugal, en particulier des niveaux de développement différents de ces deux pays.

Au mois de juin dernier, le Gouvernement français a indiqué qu’il lui paraissait que les négociations entreprises ne pourraient pas trouver leur accomplissement total aussi longtemps que deux problèmes ne seraient pas réglés: le problème de la politique agricole menée au sein de la Communauté et le problème du financement de la Communauté, c’est-à-dire le problème des ressources propres dont nous avons, vous et moi, Monsieur le Président, un souvenir particulier.

C’est une remarque de bon sens qui ne vise nullement à transformer la politique du Gouvernement français dans ce domaine. Elle consiste à faire observer qu’au mois de mai dernier, à Luxembourg, un accord, qui est temporaire, a pu être trouvé au sein de la Communauté sur la contribution britannique et qu’à l’occasion de cet accord il a été indiqué qu’une réflexion devait être entreprise, à la fois sur la politique agricole commune et sur la contribution financière des divers pays membres.

Comment, Mesdames, Messieurs, mener une négociation avec deux pays extérieurs à la Communauté si nous ne savons pas, dans la Communauté, quel est le cadre dans lequel les accueillir, en ce qui concerne deux aspects fondamentaux de la vie de celle-ci, tels que l’agriculture, d’une part, et le financement de la Communauté, d’autre part.

Nous savons, par exemple, que l’adhésion de l’Espagne entraînerait un accroissement important des dépenses agricoles de la Communauté. Comment financer ces dépenses agricoles? C’est ce que j’ai personnellement expliqué au Premier ministre espagnol lorsque je me suis rendu à Madrid et c’est ce que le Gouvernement français a expliqué au Premier ministre du Portugal, M. Sa Carneiro, lorsqu’il est récemment venu à Paris.

Notre position n’est pas du tout d’hostilité à l’élargissement. A plus forte raison, ce n’est pas une position d’hostilité envers l’Espagne et le Portugal, mais simplement l’expression de notre souci de faire sérieusement les choses lorsqu’il s’agit de la Communauté.

M. KERSHAW (Royaume-Uni) (traduction)

M. le Premier ministre ne pense-t-il pas que tout retard dans l’élargissement de la Communauté décevra gravement les pays concernés et risque de provoquer une réaction anticommunautaire dans ces pays?

M. Barre, Premier ministre de la République française

Je ne suis pas certain que le sentiment anticommunautaire se développe dans ces pays parce que nous voulons faire les choses sérieusement. Peut-être s’efforce-t-on, à cette occasion, de développer des sentiments anticommunautaires dans ces pays. Mais, bien entendu, leur intérêt est de ne pas s’engager à l’aveuglette dans la Communauté.

Ce que nous souhaitons, c’est que les pays qui entrent dans la Communauté et qui souscrivent à ses principes, à ses règles et à ses obligations, le fassent en toute connaissance de cause, pour ne pas avoir à léguer ensuite des charges qu’il ne leur serait pas possible de supporter.

M. LE PRÉSIDENT

Nous allons aborder maintenant le groupe de questions n° 3 concernant la lutte contre le terrorisme et l’imprescriptibilité des crimes de guerre. Une réponse commune leur sera apportée.

Ces questions nos 3, 24, 27 et 29 ont été posées par MM. Calatayud, Stoffelen, Calamandrei, Toker. J’en donne lecture:

«Question n° 3:

M. Calatayud,

Considérant la poussée du terrorisme, qui devient de plus en plus aveugle et insensé;

Considérant que, du fait que des indices concordants montrent les liaisons existant entre les terroristes qui agissent dans les différents Etats européens, l’exigence se manifeste que les Etats européens donnent vie à une coopération accrue dans la lutte contre l’ennemi commun, ce qui implique, entre autres, la création d’un «espace juridique européen»;

Rappelant les efforts en ce sens du Conseil de l’Europe, au sein duquel a été préparée la Convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977, et dont l’Assemblée a convoqué une Conférence sur les tâches et les problèmes de la défense de la démocratie contre le terrorisme, qui aura lieu à Strasbourg en novembre prochain,

Demande au Premier ministre de la République française quelle est l’attitude de la France en cette matière.

Question n° 24:

M. Stoffelen,

Considérant que le Conseil de l’Europe a conclu en 1974 une Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre;

Considérant que la France a été le premier Etat membre du Conseil de l’Europe à signer cette convention et qu’elle a été suivie par les Pays-Bas en 1979;

Considérant que la procédure de ratification de cette convention par les Pays-Bas sera bientôt achevée;

Rappelant la Recommandation 855 (1979) de l’Assemblée,

Demande au Premier ministre de la République française si la France va bientôt ratifier la Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Question n° 27:

M. Calamandrei,

Demande au Premier ministre de la République française s’il estime que les autorités françaises compétentes et responsables ont donné et donnent aux autres pays membres, plus directement frappés par le terrorisme, toute la collaboration nécessaire et possible pour combattre et écraser les organisations terroristes.

Question n° 23:

M. Toker,

Constatant que, depuis des années, la France est devenue un centre d’opération terroriste contre les diplomates turcs, qu’aucun des terroristes n’a été appréhendé jusqu’aujourd’hui et même identifié, qu’aucune poursuite n’a été entamée contre l’organisation terroriste qui a revendiqué ouvertement ces actes et qu’encouragé naturellement par cette situation, le terrorisme contre les diplomates turcs, qui a commencé par l’attentat qui a coûté la vie à l’ambassadeur de Turquie à Paris, a pris une dimension et une fréquence alarmantes;

Vu l’importance attachée par le Conseil de l’Europe à la lutte contre le terrorisme international,

Demande au Premier ministre de la République française quelles mesures le Gouvernement français envisage pour contrecarrer ces actes et pour leur prévention et poursuite.»

Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre à ce groupe de questions.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, la première question qui m’a été posée concernait le terrorisme.

Le terrorisme est un phénomène qui, à l’heure actuelle, met en danger les nations démocratiques. Il importe donc que celles-ci adoptent les mesures nécessaires pour le combattre efficacement.

C’est dans cette optique que le Conseil de l’Europe a élaboré la convention du 27 janvier 1977. Je rappelle ici que la France a signé cette convention dès le jour de son adoption.

Ce que la France souhaite, c’est que les mesures de lutte contre le terrorisme soient extrêmement actives, mais qu’elles respectent les droits de l’homme et tout particulièrement le droit d’asile.

C’est ce que nous avons déjà déclaré à l’époque, en même temps que nous disions que nous attachions une importance toute particulière aux travaux menés à neuf en ce domaine.

Nous attendons donc tout d’abord les résultats des travaux dans le domaine de l’espace judiciaire européen.

En ce qui concerne l’imprescriptibilité des crimes de guerre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, le 2 février 1979, la Recommandation 855 relative à la prescription des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Le Comité des Ministres a transmis cette recommandation pour avis au Comité européen pour les problèmes criminels. Dans l’avis qu’il a formulé, le comité européen a constaté notamment que les positions étaient partagées au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe sur les perspectives de signature et de ratification de la convention européenne du 25 janvier 1974. Il a relevé, par ailleurs, que les procédures prévues par les diverses Conventions européennes sur la coopération en matière pénale constituaient un cadre approprié et suffisant pour la coopération jugée nécessaire par l’Assemblée et pour les diverses améliorations suggérées par elle.

Au vu de cet avis, le Comité des Ministres, où sont naturellement représentés tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, n’a pas jugé nécessaire de recommander l’adoption de mesures spéciales au niveau européen.

A l’occasion de l’examen de la Recommandation 855 par le Comité des Ministres, le Gouvernement français a rappelé, à propos de la convention européenne du 25 janvier 1974, l’intérêt particulier qu’il avait toujours manifesté à l’égard du châtiment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

C’est ainsi que le Gouvernement français a adopté, le 26 décembre 1964, une loi interne tendant à constater l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, qu’il a conclu, le 2 février 1971, avec la République Fédérale d’Allemagne, un accord relatif à la compétence judiciaire pour la répression des crimes de guerre et qu’il a été le premier gouvernement à signer la Convention européenne du 25 janvier 1974 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Tels sont les éléments que je souhaitais fournir aux réponses qui m’ont été posées sur ces deux points.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.

Je donne la parole à M. Calatayud pour poser une question supplémentaire.

M. CALATAYUD (Espagne)

(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).

M. LE PRÉSIDENT

C’est sur l’attitude du Gouvernement français concernant l’attaque des juifs à Paris que M. Calatayud pose une question.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, en ce qui concerne les manifestations racistes qui se sont produites à Paris, le Gouvernement français a pris la position la plus nette et il est tout à fait déterminé à poursuivre les organisations qui se livreraient à des actes hautement répréhensibles à l’égard de la communauté juive de France.

Je rappelle qu’il a dissous, il y a quelques jours, une organisation qui prétendait faire renaître en France des pratiques et des théories inspirées du nazisme.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.

Nous en arrivons à la question n° 4 posée par M. Pignion concernant la non-ratification par la France de l’article 25 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Elle est ainsi libellée:

«M. Pignion,

Rappelant que de nombreuses questions ont déjà été posées au Gouvernement par les députés français au sujet de la non-ratification par la France de l’article 25 de la Convention européenne des Droits de l’Homme;

Contestant, d’une part, l’argumentation selon laquelle un délai de réflexion est nécessaire pour examiner les conséquences de cette ratification sur le droit interne français, car il semble que plus de sept années soient un délai amplement suffisant, et contestant, d’autre part, le fait qu’aucun préjudice ne serait causé aux citoyens français qui pour leur défense peuvent se fonder sur les traités ratifiés par la France, car ceci n’est pas toujours vrai, étant donné que certaines juridictions reconnaissent à des lois ordinaires promulguées postérieurement à certains traités une norme supérieure;

Constatant a contrario que la ratification de cet article 25 ne saurait être préjudiciable aux citoyens français, mais plutôt bénéfique,

Demande au Premier ministre de la République française si, fort de créer un espace judiciaire européen, il avait autant de conviction pour élargir l’espace de liberté européen et notamment français, en faisant en sorte que soit ratifié cet article 25.»

Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre à cette question.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, je voudrais d’abord rappeler que notre organisation constitutionnelle et judiciaire fait que le recours individuel fonctionne déjà parfaitement en droit français. En effet, en vertu de l’article 55 de la Constitution, les traités, et notamment la Convention européenne des Droits de l’Homme, ont une autorité supérieure à celle des lois et sont directement appliqués par nos tribunaux. Les justiciables peuvent donc invoquer cette convention devant les juridictions, tant administratives que judiciaires, lesquelles d’ailleurs ont fait application à diverses reprises des dispositions de la convention au cours de ces dernières années.

Dès lors, les particuliers disposent toujours d’une voie de droit effective sans avoir besoin d’exercer le recours prévu par l’article 25 de la convention. Le problème soulevé n’a donc jamais eu, en particulier sous l’actuelle Constitution, le caractère aigu que l’on voudrait parfois lui conférer.

M. LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à M. Pignion pour une brève question complémentaire.

M. PIGNION (France)

Monsieur le Président, je ne puis dire que la réponse de M. le Premier ministre me satisfait entièrement, mais il a été question quelques instants auparavant d’espace judiciaire européen et j’ai préféré poser cette question en tant que parlementaire français plutôt que de la laisser poser par un de nos collègues. Puisque de temps de temps en temps en commission ou ailleurs, elle revient sur le tapis, je considère qu’elle peut revenir sur le plan national.

M. LE PRÉSIDENT

Nous allons maintenant aborder le groupe de questions n° 5 concernant la politique de la France à l’égard des immigrés portugais et turcs. Une réponse commune leur sera apportée. Ces questions nos 5 et 26 ont été posées par M. Bacelar et M. Üstünel. J’en donne lecture:

«Question n° 5:

M. Bacelar,

Rappelant que le Portugal a plus d’un million de ses travailleurs migrants en France, dont la plus grande partie y est établie depuis longtemps et a apporté une contribution considérable à l’économie française;

Constatant que depuis quelques années l’économie française connaît des difficultés, notamment dans les domaines de l’emploi et de l’inflation, et que certaines lois récemment promulguées font craindre que soit compromise la possibilité de séjour en France de cette très nombreuse partie de la population portugaise qui, si elle était renvoyée au Portugal, constituerait pour ce pays un problème insurmontable,

Demande au Premier ministre de la République française si les craintes en cette matière sont justifiées et s’il peut donner des apaisements dans le cadre des relations luso-françaises, particulièrement bonnes et amicales.

Question n° 26:

M. Üstünel,

Considérant la brusque décision récemment prise par le Gouvernement français d’imposer un visa aux ressortissants turcs à partir du 5 octobre 1980, en violation au moins de l’esprit des accords qui sont la raison d’être du Conseil de l’Europe, et ceci pratiquement sans préavis,

Demande au Premier ministre de la République française si l’intention du Gouvernement français est d’isoler de l’Europe et de pousser plus avant dans un régime aventureux, avec l’exemple récent du Moyen-Orient, un pays qui participe aux alliances occidentales depuis plus de trente ans, ce qui aurait pour effet de susciter dans la population de vifs ressentiments à l’égard de l’Ouest et de compliquer encore la tâche déjà difficile des autorités actuelles, qui s’efforcent d’obtenir l’appui de la solidarité occidentale pour rétablir une démocratie viable, fondée sur les principes de liberté et de droits de l’homme; et pendant combien de temps son Gouvernement envisage d’exiger ce visa, et s’il a l’intention d’appliquer les mêmes restrictions aux ressortissants d’autres Etats membres, comme l’Espagne et le Portugal, qui envoient des travailleurs en France.»

Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre à ce groupe de questions.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, en ce qui concerne les émigrants portugais, nous avons en France une colonie portugaise extrêmement importante qui jouit de tous les droits des citoyens français, que nous avons accueillie avec beaucoup de sympathie et dont nous constatons souvent une intégration très rapide dans le milieu national français. Nous n’avons à aucun moment envisagé de prendre des mesures concernant l’immigration en provenance du Portugal.

La France a révisé sa politique d’immigration, c’est un fait. Pourquoi? Parce que nous ne sommes plus dans la phase d’expansion économique et de plein emploi dans laquelle nous nous trouvions, qui a duré deux décennies et au cours de laquelle plus de deux millions de travailleurs étrangers sont venus en France. Mais je vous rappelle, Mesdames, Messieurs les parlementaires, que si la France a arrêté l’immigration en provenance de l’extérieur, elle n’a à aucun moment expulsé les travailleurs étrangers qui étaient venus en France et qui avaient contribué à son développement. Elle n’a pas l’intention de le faire non plus dans l’avenir car elle a, à l’égard de ceux qui ont contribué à sa prospérité, une dette de reconnaissance. Nous ne considérons pas les travailleurs étrangers en France comme des esclaves que l’on peut accueillir et rejeter selon les diverses fortunes de la conjoncture. (Applaudissements)

Si la France a défini de nouvelles règles pour l’immigration en ce qui concerne le Portugal, je rappelle que le Président de la République a adressé, le 27 septembre 1979, au Président de la République portugaise, la lettre suivante:

«Je vous confirme, Monsieur le Président, qu’en raison de la candidature du Portugal à la Communauté économique européenne, il a été décidé que les titres de séjour et de travail des portugais résidant en France continueront d’être renouvelés à l’avenir dans les mêmes conditions libérales que par le passé, c’est-à-dire sans leur appliquer en fait le nouveau régime prévu pour les étrangers.
C’est pour moi l’occasion de rendre hommage à la qualité du travail des Portugais vivant parmi nous et de vous assurer qu’ils se sont acquis par leur attitude et leurs qualités, l’estime et l’affection du peuple français.»

En ce qui concerne les travailleurs migrants en provenance de Turquie, le Gouvernement français a décidé le rétablissement des visas à l’encontre des ressortissants turcs.

Je rappelle que le Gouvernement français a informé le Gouvernement turc qu’il suspendait provisoirement, à partir du 5 octobre, l’échange de lettres signées le 29 juin 1954 à Ankara, sur la circulation des personnes.

Il a par ailleurs informé le Secrétariat Général du Conseil de l’Europe, conformément à l’article 7 de l’Accord européen sur le régime de la libre circulation des personnes du 13 décembre 1957, qu’il se voyait dans l’obligation de suspendre à l’égard de la Turquie les dispositions de l’article 1, alinéas 1 et 2, de nos accords, l’effet de cette mesure étant de rétablir à l’égard des ressortissants turcs se rendant en France pour de courts séjours l’obligation du visa.

Le Gouvernement français s’est vu contraint de prendre une telle mesure après que certains partenaires européens ont d’ores et déjà rétabli l’exigence du visa. Il l’a fait essentiellement pour des raisons d’ordre public.

Le Gouvernement français a entendu éviter, d’une part, que des travailleurs clandestins ne trouvant plus d’emploi dans les pays voisins ne viennent chercher en France du travail de manière illégale, puisque l’immigration étrangère est suspendue – je viens de le rappeler – depuis 1974. Il a entendu, d’autre part, éviter que, dans une période troublée, ne viennent sur le territoire national des éléments incontrôlés susceptibles d’accomplir en France des actes de terrorisme – le dernier crime est l’attentat commis contre le conseiller de presse de l’ambassade de Turquie à Paris – ou de provoquer des manifestations, comme à Strasbourg la semaine dernière, devant le Conseil de l’Europe.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie. La parole est à M. Bacelar.

M. BACELAR (Portugal)

Si j’ai demandé la parole, c’est pour remercier M. le Premier ministre pour la clarté de sa réponse. Je suis certain que tous les Portugais seront reconnaissants à M. le Premier ministre quand ils connaîtront cette réponse et cette déclaration si nette, dans une ligne si juste, avec une élévation de pensée très élevée. Je n’espérais pas autre chose, et je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur Bacelar. Nous allons maintenant aborder le groupe de questions n° 6 concernant le rayonnement de la langue et de la culture françaises dans le monde. Une réponse commune leur sera apportée. Ces questions nos 6 et 19 ont été posées par MM. Fosson et Brasseur. J’en donne lecture:

«Question n° 6:

M. Fosson,

Considérant l’ancienneté de l’implantation de la langue française dans la vallée d’Aoste qui a appartenu à la sphère politique et culturelle franco-burgonde, que les Valdotains, qui ont toujours lutté pour la défense du droit à la langue française, ont pu conquérir un statut spécial d’autonomie approuvé par l’Assemblée constituante de la République italienne en 1948, statut qui, entre autres, déclare la parité officielle des deux langues, le français et l’italien, et rétablit l’enseignement obligatoire de la langue française dans les écoles de n’importe quel ordre ou degré dépendant de la région;

Considérant qu’il n’y a pas d’université en vallée d’Aoste et qu’à défaut de la reconnaissance des diplômes décernés par les universités francophones, les jeunes Valdotains sont obligés de fréquenter exclusivement les universités italiennes, ce qui a des répercussions sur les débouchés professionnels pour les personnes de formation bilingue;

Dans l’attente que les Communautés européennes puissent trouver une solution à ce problème, qui concerne tous les pays membres ainsi que plusieurs autres minorités linguistiques,

Demande au Premier ministre de la République française s’il n’est pas possible de surmonter ces difficultés moyennant un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement italien en le limitant aux étudiants de la vallée d’Aoste, à l’instar de l’accord concernant les étudiants de la province autonome de Bolzano (Haut-Adige) qui a été conclu voici quelques années entre le Gouvernement italien et le Gouvernement autrichien.

Question n° 19:

M. Brasseur,

Rappelant que la multitude des cultures et des civilisations constitue une des richesses historiques de l’Europe, et que la France a traditionnellement donné une grande importance au rayonnement de la langue et de la culture françaises dans le monde,

Demande au Premier ministre de la République française quels sont les grands axes de la politique du Gouvernement français en faveur de la sauvegarde du français dans les pays ou les régions francophones d’Europe, d’Amérique, d’Afrique, voire d’Asie.»

Je donne la parole à M. le Premier ministre pour répondre à ce groupe de questions.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, la France accorde une place privilégiée à ses relations avec les pays qui partagent avec elle l’usage d’une même langue, la langue française. Elle s’efforce tout ensemble de renforcer la solidarité naturelle qui la lie aux pays francophones et de prendre des mesures pour assurer la défense et la diffusion de la langue française.

Je n’évoquerai pas ce que nous faisons sur le plan national, notamment par le ministère de la Coopération, qui étend à vingt-deux pays, principalement en Afrique, une importante assistance pour l’enseignement du français. Je voudrais seulement rappeler qu’en Europe la France s’efforce de multiplier les occasions d’échanges et de coopération en matière linguistique avec les pays ou les régions d’expression française, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse: échange de livres, de programmes radiophoniques et de télévision.

S’agissant de la communauté française de Belgique, je rappelle, en particulier, qu’un organe paritaire parlementaire franco-belge joue un rôle d’incitation et de proposition.

En Amérique du Nord, depuis quinze ans, la France a accompli un effort considérable pour répondre aux besoins spécifiques du Québec; l’Office franco-québécois de la jeunesse joue, en ce domaine, un rôle essentiel. La création d’une chaîne de télévision au Québec est un résultat, parmi d’autres, de cette action. La France n’a pas négligé pour autant les autres minorités qui parlent français au Canada et aux Etats-Unis, que ce soient notamment les Acadiens et les Louisianais.

L’Afrique, je viens de le rappeler, est le continent privilégié de l’action de la France en matière linguistique.

Enfin, le Gouvernement français maintient une coopération avec les pays d’Asie – comme le Vietnam – qui, dans le passé, ont largement utilisé le français, et elle s’efforce de répondre aux requêtes qui lui sont présentées.

Puis-je enfin évoquer un pays qui nous est cher, le Liban, lequel demeure une zone privilégiée de notre assistance en matière d’enseignement et de diffusion du français? Permettez-moi de saisir cette occasion pour vous dire les vœux que la France forme pour la restauration de la paix au Liban, pour l’intégrité et pour l’indépendance de ce pays auquel nous sommes liés par tant de siècles d’histoire. (Applaudissements)

Outre ces interventions bilatérales, je voudrais rappeler la participation de la France à des institutions intergouvemementales, comme l’Agence de coopération culturelle et technique interparlementaire, l’Association des parlementaires de langue française, à des institutions universitaires comme l’Association des universités entièrement ou partiellement de langue française, à l’Institut de droit et d’expression française, à l’Union de journalistes de langue française; et tout récemment, à Paris, M. Peyrefitte, Garde des Sceaux, a pris l’initiative de réunir les ministres de la Justice de vingt-sept pays francophones.

Je voudrais, pour conclure sur ce point, Mesdames, Messieurs, vous dire que cette politique que la France mène en faveur de la langue française n’est pas dirigée contre d’autres langues. Mais nous estimons que la langue française a joué dans le passé, qu’elle joue dans le présent et qu'elle peut jouer dans l’avenir un rôle essentiel en faveur de la culture et en faveur du dialogue entre les nations.

M. BRASSEUR (Belgique)

Je remercie Monsieur le Premier ministre de la République française pour sa réponse, qui me paraît très satisfaisante.

Pour ne pas prolonger le débat, j’émettrai simplement le souhait que la France, comme les autres pays francophones, fasse un effort à propos de l’équivalence des diplômes, notamment universitaires.

A cet égard, je me permets de rappeler la question plus particulière de M. le sénateur Fosson – lequel a malheureusement dû quitter cette enceinte – relative à l’équivalence en France des diplômes qui pourraient être obtenus par des ressortissants du val d’Aoste.

M. Barre, Premier ministre de la République française

L’universitaire que je suis est très sensible au problème soulevé par M. Brasseur, et je lui répondrai que nous y portons attention.

M. LE PRÉSIDENT

Nous abordons le dernier groupe de questions que nous pouvons traiter aujourd’hui et qui concerne l’attitude de la France à l’égard des problèmes de pollution transfrontalière, questions nos 7 et 30 posées par M. Vohrer et M. Konings. J’en donne lecture:

«Question n° 7:

M. Vohrer,

Demande au Premier ministre de la République française dans quelle mesure le Gouvernement français est prêt à s’associer avec ses partenaires européens pour trouver des solutions communes en matière de nuisances et de polluants transfrontaliers.

Question n° 30:

M. Konings,

Demande au Premier ministre de la République française quand la France se proposera de mettre fin à ses déversements de chlorures dans la rivière européenne, le Rhin.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Je crois que l’attention portée aux problèmes de l’environnement et que l’action menée en faveur de l’écologie et de la lutte contre la pollution, seront des caractéristiques de notre époque.

Vous avez soulevé deux problèmes importants: la pollution du Rhin et la pollution de la Méditerranée.

En ce qui concerne le Rhin, la France a signé en 1976, avec les autres pays riverains, une convention par laquelle elle a accepté d’engager sur son sol, avec l’appui financier de ses partenaires, la réduction de la pollution de ce fleuve par les chlorures. Elle s’était engagée à injecter dans le sous-sol alsacien une partie des résidus chlorés produits par les mines de potasse d’Alsace.

A la suite de la violente opposition de nombreux milieux alsaciens à l’égard de cette injection de résidus qui pouvait menacer la nappe phréatique, cette convention n’a pu être ratifiée par le Parlement français, et le Gouvernement français a retiré le projet de loi autorisant la ratification afin de laisser la possibilité à des discussions et à des négociations de se développer avec nos partenaires.

Cependant, je tiens à réaffirmer l’attachement du Gouvernement français aux objectifs généraux que se sont assignés les Etats riverains du Rhin. L’objectif de réduction des rejets de sels fait actuellement l’objet de travaux au sein de la Commission internationale pour la protection du Rhin. J’ai eu personnellement à m’entretenir de cette affaire avec le Premier ministre des Pays-Bas. La France a fait une proposition de construction d’une saline internationale en Alsace. Nos partenaires ont souhaité que soient élaborés parallèlement à cette proposition d’autres projets techniques. Tous ces éléments sont en cours d’examen à la commission internationale. Ils seront ensuite proposés en 1981 aux ministres de l’Environnement qui doivent se réunir pour définir les nouveaux objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre. Je pense qu’il sera possible de trouver des solutions techniques acceptables par tous.

En ce qui concerne la Méditerranée, l’action du Gouvernement français se développe à la fois sur le plan national et sur le plan international. Sur son territoire, la France a prévu d’éliminer pratiquement les rejets telluriques en construisant des stations d’épuration dans les trois dernières grandes villes qui en étaient encore dépourvues, à savoir Marseille, Toulon et Nice.

L’importance de l’effort consenti sur notre territoire nous permet de jouer un rôle important sur le plan multilatéral, notamment dans le cadre du plan d’action pour la Méditerranée mis au point en 1975 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement.

La participation de la France à ce plan d’action est d’abord financière. Elle apporte la moitié de la contribution des Etats riverains, donc le quart du budget total de l’organisation, soit 750 000 dollars par an. Les délégations, dans lesquelles les spécialistes français se sont montrés très actifs, étudient les différents domaines couverts par le plan, domaine scientifique et surveillance du milieu marin. Nos laboratoires s’efforcent de coordonner leur action avec celles de leurs homologues espagnols et italiens.

Dans le secteur de la recherche humaine et économique, la France a pris l’initiative du «plan bleu» qui vise à mettre au point des méthodes de développement économique compatibles avec la protection de l’environnement, énergies renouvelables et aquaculture en particulier.

Enfin, dans le domaine conventionnel, la France a activement participé à la négociation de la Convention de Barcelone conclue en 1976 et de ses protocoles annexes qui établissent les règles juridiques propres à assurer la lutte contre toutes les formes de pollution dues aux activités humaines.

La France va déposer incessamment les instruments de ratification de cette convention.

Voilà, Monsieur le Président, les éclaircissements que je pouvais apporter aux membres de cette Assemblée sur ces deux points importants.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre. La parole est à M. Vohrer.

M. VOHRER (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, je remercie vivement M. Barre de sa réponse, mais je voudrais tout de même préciser ma question. Monsieur le Premier ministre, l’amitié franco-allemande s’est développée de manière satisfaisante pendant près de trente ans et c’est dans ce contexte que, en tant qu’homme politique venant du pays de Bade, je voudrais exprimer ma préoccupation et vous demander si le Gouvernement français sait que les problèmes de pollution transfrontalière, notamment dans la région située aux alentours de la centrale nucléaire de Fessenheim, pèsent sur l’amitié franco-allemande. J’aimerais aussi savoir dans quelle mesure le Gouvernement français est prêt à conclure des accords englobant l’ensemble de la pollution écologique de la plaine du Rhin – je songe à la pollution de l’air, de l’eau et à la coordination des emplacements des centrales nucléaires – et à coopérer à la solution de ce problème. Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous envisager que, en attendant que l’objectif final d’un droit européen de l’environnement soit atteint, le Gouvernement français contribue à faire en sorte que, dans le domaine de la pollution transfrontalière, ce soit toujours le droit national le plus rigoureux qui soit appliqué?

M. Barre, Premier ministre de la République française

Nous entretenons avec nos partenaires et amis allemands, tant entre les gouvernements que sur le plan régional, des relations étroites en ce domaine.

Nous avons, au sujet de la pollution et de la protection de l’environnement, donné toutes informations utiles à nos partenaires, notamment en ce qui concerne les problèmes posés dans la région de Fessenheim.

Mais, je tiens à le dire clairement, s’il s’agit, d’une façon ou d’une autre, d’intervenir ou d’exercer un droit quelconque sur la réalisation de notre programme nucléaire national, nous ne saurions l’admettre...

M. BOZZI (France)

Très bien!

M. Barre, Premier ministre de la République française

En effet, notre programme nucléaire national est un élément essentiel de l’indépendance énergétique de la France. De surcroît, nous pensons que c’est une contribution essentielle à la réduction de la dépendance énergétique de l’Europe. Autant nous sommes prêts à prendre en considération les vues exprimées par les écologistes et à en tenir le plus grand compte, notamment dans le domaine de la sécurité et de la protection de l’environnement, autant nous ne sommes pas disposés à laisser sacrifier nos intérêts fondamentaux à des thèses parfois plus superficielles que fondées.

M. LE PRÉSIDENT

M. le Premier ministre a consenti à répondre encore à la question n° 8 concernant la libéralisation de l’économie française, posée par M. Leon Herrero. Elle est ainsi rédigée:

«M. Leon Herrero,

Demande au Premier ministre de la République française de bien vouloir informer l’Assemblée des résultats de la politique de libéralisation de l’économie, décidée par le Gouvernement français, y compris dans les secteurs public et nationalisé, et s’il est résolu à poursuivre cette politique.»

Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole.

M. Barre, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, il n’y a rien que je déteste plus que les positions doctrinaires. Je n’arrive pas, non seulement comme Premier ministre, mais plus encore comme économiste, à comprendre les débats qui ont cours sur des doctrines telles que le libéralisme, l’interventionnisme, la planification ou la non-planification, etc. Une politique économique se fait en effet à partir des réalités, des réalités économiques, des réalités sociales, des réalités politiques et des réalités psychologiques.

La France, pour sa part, mène la politique d’un pays qui adhère à l’idéal d’une société de liberté et de responsabilité.

Dans une telle économie et dans une telle société, la libre initiative, la libre entreprise et le respect des responsabilités de chacun, avec la sanction qui doit être supportée lorsque la responsabilité n’a pas été assumée, restent les principes fondamentaux de l’organisation économique.

Nous avons en France un secteur nationalisé qui est un héritage de la Résistance et de la Libération; nous n’avons pas l’intention de dénationaliser nos entreprises nationales car nous en sommes fiers: les entreprises nationales comme Electricité de France, la Société nationale des chemins de fer français, Air France, ont une grande réputation non seulement en France mais également sur le plan international. Elles font partie de notre patrimoine national, et nous souhaitons qu’elles soient gérées comme des entreprises dynamiques, prospères et efficaces: nous ne voulons pas d’interventions politiciennes dans la gestion des entreprises publiques, car nous voulons qu’elles soient prospères et efficaces au service de la nation.

Quant aux entreprises privées, elles existent, et nous n’avons pas l’intention de les nationaliser. Le Gouvernement français a pris, sur ce point, avant les élections de 1978, contre le programme commun de l’opposition qui prévoyait des nationalisations massives, une position qui a été dépourvue d’ambiguïté et qui, Dieu merci, a été approuvée avec le bon sens qui le caractérise par le peuple français dans sa majorité. Voilà pour ce qui est du secteur public et du secteur privé.

En deuxième lieu, nous avons essayé d’introduire dans l’économie française des mécanismes de marché qui n’existaient pas. Pourquoi? Parce qu’une grande nation moderne doit être gérée selon les principes d’une gestion moderne de l’économie.

Depuis trente années, nous pratiquions le contrôle des prix, contrôle qui ne résolvait aucun problème car il les masquait et les problèmes réapparaissaient plus tard; la seule conséquence était que nos entreprises ne disposaient plus de la liberté de gestion et de la capacité d’adaptation à ces problèmes difficiles auxquels elles ont à faire face. Nous avons donc rétabli la liberté des prix; ainsi les entreprises ont acquis la possibilité de se gérer. Mais nous entendons exercer cette liberté des prix dans un climat de concurrence accrue à l’intérieur comme sur le plan international.

Je rappelle à l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe que, depuis 1976, je me suis battu quotidiennement contre ceux qui n’avaient d’autres revendications que de rétablir le protectionnisme aux frontières de la France. Nous avons choisi la concurrence internationale: la concurrence est pour nous un facteur de progrès et nous n’allons pas nous engager sur la voie de la régression.

Enfin, nous souhaitons que la politique de la France ne laisse pas à la monnaie un rôle mineur. C’est un point important. C’est peut-être du libéralisme mais, dans ce cas, je suis libéral. Je veux dire par là qu’aucune autorité gouvernementale n’a le droit de laisser le crédit se développer dans des conditions telles qu’il entraîne l’inflation dans un pays. C’est la raison pour laquelle l’effort du Gouvernement français, depuis 1976, consiste à maintenir une progression de la masse monétaire qui n’excède pas la progression de nos richesses, qui y soit même inférieure.

Nous ne sommes pas partisans d’un monétarisme échevelé: nous sommes en revanche favorables à un contrôle de la création de monnaie.

En outre, sur le plan international, nous souhaitons que notre monnaie ait une valeur stable. Nous ne sommes pas des partisans de la dévaluation à répétition et nous défendons la valeur de notre monnaie. C’est la raison pour laquelle nous sommes entrés dans le système monétaire européen; nous appliquons la politique qui convient pour que notre pays et notre monnaie tiennent la place qui doit être la leur dans le système monétaire européen.

Telle est la politique économique de la France. Je ne sais pas si c’est une politique libérale ou non libérale. Toutes les fois qu’il faut intervenir, l’Etat intervient, en se substituant à ceux qui doivent prendre les décisions, mais en incitant ou en aidant ceux qui doivent prendre les décisions et les exécuter.

Ainsi, pensons-nous faire de la France un pays capable de faire face au défi de la situation internationale que je décrivais tout à l’heure.

M. LE PRÉSIDENT

Nous venons de vivre avec vous, Monsieur le Premier ministre, une heure particulièrement intéressante et riche qui fera date, j’en suis sûr, dans le déroulement des travaux de notre Assemblée. Nous avons tous conscience que cet exercice, en raison même de l’intérêt que revêtent vos commentaires, aurait pu se prolonger pendant longtemps.

Je voudrais m’excuser encore une fois auprès des membres de l’Assemblée qui avaient déposé des questions qui, faute de temps, n’ont pas pu être traitées.

Encore une fois, Monsieur le Premier ministre, je vous remercie très sincèrement, en particulier pour les encouragements que vous nous avez prodigués et pour l’adhésion que vous avez exprimée aux objectifs et au rôle du Conseil de l’Europe.