Golda

Meir

Premier ministre d'Israël

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 1 octobre 1973

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie très sincèrement des paroles que vous avez prononcées ce matin, ainsi que de votre invitation à prendre la parole devant le Conseil de l’Europe. Nous ne faisons pas partie de l’Europe – j’allais dire «à mon grand regret» – mais il y a si longtemps que nous n’en faisons pas partie que rien ne peut modifier ce fait géographique; mais comme nous n’avons pas encore pu – bien que ce soit un de nos vœux les plus chers – créer dans notre région un conseil semblable au vôtre, réunissant tous les pays et les peuples de la région, nous restons très intimement liés à l’Europe, à chacun des pays d’Europe et, en général, à votre Conseil.

C’est un privilège pour nous d’avoir depuis longtemps des observateurs au Conseil, et nous apprécions la coopération étroite et les nombreuses possibilités de participation qui leur sont offertes. Nous avons toujours été sensibles à la profonde compréhension de nos problèmes dont votre Conseil a fait preuve. Faut-il s’étonner qu’il en soit ainsi? L’histoire de l’Europe et celle du peuple juif s’entremêlent. Ensemble nous avons souvent connu l’affliction et la détresse, et nous n’oublierons jamais, nous autres Juifs, que c’est sur votre continent que pour la première fois nous avons été admis à jouir de l’égalité, de la liberté et d’une vie normale et libre.

La plupart d’entre nous se souviennent – peut-être certains sont-ils trop jeunes pour l’avoir connue – de la dernière – et la plus grave – de toutes les calamités qui se sont abattues sur l’Europe et dont mes coreligionnaires ont été les premières victimes; tous les habitants de tous vos pays ont enduré les mêmes souffrances. Dans l’éducation de notre jeune génération, nous cherchons à maintenir l’équilibre. Nous voulons que notre jeune génération ne grandisse pas dans le sentiment qu’à un moment donné de notre histoire assez tragique, tous étaient contre nous. Nous essayons toujours de lui faire comprendre qu’en toute période sombre de la vie du peuple juif, aussi terrible qu’elle soit, nous trouvions toujours – parfois en grand nombre, parfois plus rares – des partisans qui nous soutenaient au mépris même de leur vie.

«S’il existe bien une famille des nations, chaque membre de cette famille a le droit de vivre, d’exister, de circuler librement dans le monde entier et de recevoir qui bon lui semble.»

Comme l’exige sans doute la procédure normale, je me suis efforcée de suivre l’exemple des orateurs qui se succèdent devant vous, et j’ai préparé un discours. Je pense qu’il vous a été distribué. Mais, au dernier moment, j’ai décidé de ne pas intercaler entre vous et moi les feuillets de ce discours, étant donné surtout les événements des deux ou trois derniers jours et leurs causes.

Vous avez bien voulu, Monsieur le Président, évoquer ce qui s’est passé à Vienne il y a quelques jours. Je suis parvenue à la conclusion que ces événements constituent l’ensemble du problème que je désirais vous soumettre. Ces événements jettent une vive lumière sur tous les éléments de ce problème, et je ne crois pas utile d’exposer dans le détail ce qu’ont déjà exprimé les décisions prises à Vienne.

De quoi s’agit-il? L’Etat d’Israël a vingt-cinq ans. Depuis vingt-cinq ans, l’Etat d’Israël n’a pas connu une seule année de paix complète. Les pays d’Europe ont connu la guerre. Certains d’entre eux plus d’une fois. Il est presque inconcevable qu’un pays d’Europe puisse penser que l’un de ses voisins qui l’a déjà attaqué l’attaquera encore. Nous croyons, vous croyez, en quelque sorte, que nous avons tous appris que la guerre ne résout aucun problème, que ses résultats sont plus ou moins les mêmes pour les deux camps. Quiconque a gagné une guerre ne l’a jamais gagnée sans souffrances, sans perte de vies, sans destruction. La victoire, elle aussi, se paie. Il faut payer le prix de la défaite, mais tous ceux qui ont gagné une guerre en ont payé le prix.

Nous avons gagné toutes nos guerres. Nous en avons payé le prix. Des milliers de nos fils et de nos filles seraient encore en vie, devraient encore être en vie et participer à la construction de leur pays. De l’autre côté, dans les pays arabes, des milliers d’enfants devraient encore être en vie afin de participer à la construction de leur pays, et leurs peuples s’en trouveraient beaucoup mieux aujourd’hui.

C’est peut-être un rêve d’espérer que le temps viendra où dans notre région prévaudra le type de relations que les Européens ont réussi à instaurer sur leur continent. Mais nombreux sont nos rêves qui se sont réalisés. Quoi qu’il en soit, seuls les personnes ou les pays qui ont le courage de rêver ont aussi celui de réaliser leurs espoirs et leurs rêves. Nous rêvons et nous espérons que le temps viendra où notre région suivra l’exemple de l’Europe, où nous discuterons ensemble nos problèmes et où, ce qui importe encore plus, nous édifierons ensemble une seule région en coopération, sachant qu’aucun peuple de notre région ne pourra être heureux dans son isolement si un autre peuple est détruit. Le bonheur de tous les peuples de toute la région exige que nous y vivions tous dans la paix et la coopération.

J’ai dit que l’Etat d’Israël a vingt-cinq ans. Ce qui distingue sans doute le plus nettement Israël des autres pays, c’est le fait que nous devons toujours, en quelque sorte, nous justifier aux yeux du monde, de chacun des pays auxquels nous sommes associés et du monde dans son ensemble. Si nous considérons que les Nations Unies sont une famille de nations, dans cette famille dont nous faisons partie, chaque année depuis vingt-cinq ans, nous sommes mis en accusation et nous devons nous justifier.

Les événements de Vienne mettent en lumière le problème du peuple juif et la position d’Israël au milieu de ses voisins. L’holocauste a fait périr le tiers du peuple juif. La grande majorité des survivants résident aux Etats-Unis, en Union Soviétique ou en Israël. La population d’Israël a passé de 650 000 habitants en 1948 à près de 3 millions aujourd’hui.

L’Etat d’Iraël n’a été créé, et c’est sa seule raison d’être, que pour qu’il devienne le pays dans lequel tous les Juifs ont le droit de venir, qu’ils soient contraints de quitter le pays où ils vivent ou qu’ils choisissent librement de vivre en Israël. L’une des premières lois que nous avons adoptées a été la loi du retour: Israël n’appartient pas aux 650 000 habitants de 1948; pas plus qu’aux quelque 3 millions de ses habitants actuels. Il appartient à tous les Juifs du monde qui veulent y venir et y vivre; il appartient à tous les Juifs du monde qui n’ont pas d’autre refuge et qui veulent y vivre, aux vieux comme aux jeunes et comme aux malades.

Les Juifs sont venus à nous de diverses parties du monde, de pays en voie de développement et de pays très développés. Nous avons cherché – et, je crois, avec un certain succès – à nous amalgamer en un seul peuple.

Les Juifs du monde occidental peuvent venir à nous à n’importe quel moment. Mais il y a le problème des quelque 3 millions de Juifs de l’Union Soviétique. Certains disent qu’ils sont 3 millions et demi, d’autres qu’ils sont 4 millions. D’après le recensement officiel en Russie, ils sont plus de 2 millions et demi et il est de notoriété publique qu’en Russie un grand nombre de Juifs ne se sont pas fait inscrire comme tels parce qu’ils pensaient que leur vie serait ainsi plus facile.

Nous croyons qu’un grand nombre de ces Juifs veulent venir en Israël. Us ne disent même pas qu’ils désirent quitter l’Union Soviétique à cause de son régime ou de son idéologie. Ils ne font que répéter: «Nous sommes des Juifs. Tous les peuples ont leur propre pays. Nous voulons aller dans le pays de notre peuple. Nous voulons contribuer à la création de ce pays. Nous voulons être aux côtés de notre peuple dans l’Etat juif.»

Je n’ai pas besoin d’insister sur les difficultés que présente pour eux cette entreprise. Si le nombre de ceux qui partent est en augmentation, je suis heureuse de dire que c’est probablement dans une large mesure grâce à l’attitude que le Conseil a prise sur cette question.

Nous n’avons pas de frontière commune avec l’Union Soviétique. Les Juifs de ce pays qui veulent se rendre en Israël doivent, pour la plupart, traverser d’autres Etats. Nous pensions et nous pensons toujours que tout pays qui croit à la liberté et à la dignité de l’individu reconnaît à tous les peuples, sans exception, le droit de vivre. Ce droit de vivre n’existe que si chaque nation a le droit de se défendre, en espérant qu’elle n’aura pas à le faire. Mais, devant le danger le droit à l’autodéfense est une nécessité. Ce principe doit s’appliquer à tous les peuples, y compris les Juifs.

Je comprends très bien qu’un problème se pose à tous les pays qui autorisent les Juifs à traverser leur territoire pour se rendre en Israël. Mais le problème n’est pas le fait des Juifs. Il est créé par ceux qui cherchent à les détruire, à les anéantir. Il ne faut pas confondre celui qui braque son fusil sur un individu et celui qui essaie d’esquiver le coup. Il est à ce propos un dicton très commode: «Maudites soient vos deux maisons!» Il traduit probablement la plus grave injustice que l’on puisse commettre; il épargne tout au plus la difficulté et l’anxiété d’avoir à prendre une décision. Il évite de choisir entre celui des deux qui doit être maudit et celui qui ne doit pas l’être. Il est tellement plus facile de dire: «Tout ceci ne me regarde pas. Vous avez un fusil, nous aussi. Maudites soient vos deux maisons! Allez-vous en tous les deux!» Mais cette description même ne correspond pas à la réalité. En fait, les choses ne se passent pas ainsi et l’un des deux protagonistes déclare: «Je ne partirai que si vous imposez mes conditions à mon adversaire.» Trop souvent, ces conditions sont acceptées.

En évoquant les événements de Vienne, mon intention n’est pas d’exposer à cette tribune l’action du Gouvernement autrichien. Je parle du problème en soi. Quelles sont les leçons à tirer de ces événements? A quoi nous exposons-nous si nous acceptons une telle situation?

La guerre de 1967 a été la troisième à se dérouler dans cette région. Je signale à l’attention de l’Assemblée qu’Israël – ce pays inflexible et obstiné – a accepté la résolution adoptée par les Nations Unies en 1947. Nos voisins l’ont réduite à néant. Nous avons promis de respecter l’accord d’armistice. Nos frontières ont été violées à maintes reprises. Il est vrai qu’Israël a été condamné plusieurs fois par le Conseil de Sécurité – mais il l’a été pour des actes de représailles. Cela signifie que quelque chose est arrivé et que nous avons réagi.

Je ne prétends pas parler au nom d’une nation d’anges. Nous essayons simplement de nous comporter en êtres humains normaux. Nous ne pouvons promettre que nous accepterons un accord qui nous obligerait à être des anges. Nous ne sommes finalement qu’un peuple comme les autres.

En 1967, nous avons cru honnêtement et sincèrement que cette guerre était la dernière. Mon prédécesseur, M. Eshkol, a immédiatement déclaré aux pays arabes, au nom du Gouvernement israélien: «Asseyons-nous à la même table et négocions sur un pied d’égalité – et non pas en vainqueurs et en vaincus. Etablissons un traité de paix une fois pour toutes. Travaillons ensemble.»

On nous a répondu: «Pas de négociations, pas de reconnaissance d’Israël, pas de paix.»

Après cet échec des pays arabes sur le champ de bataille, des activités terroristes ont commencé en Israël même, dans les territoires occupés et aux frontières. Elles ont échoué également. Je vous rappelle que nous avons en Israël une communauté arabe d’environ 400 000 personnes, de confession musulmane, chrétienne et juive. Toutes sont traitées sur un pied d’égalité avec les citoyens israéliens. Je suis heureuse de pouvoir dire qu’elles sont prospères et ont atteint un bon niveau de développement. Un village arabe en Israël aujourd’hui n’a pas d’équivalent dans aucun pays arabe. Je suis heureuse de pouvoir dire que les actes de terrorisme ont cessé dans les territoires occupés dans le secteur occidental et dans la zone de Gaza. Les routes et les ponts sont ouverts. Les gens circulent d’un bout à l’autre du pays. Ils vont en Jordanie et dans d’autres Etats voisins pour y faire des études et y passer des vacances. Des milliers d’entre eux le font. Il y a un afflux constant d’Arabes en provenance des pays ennemis.

Ayant échoué en Israël, les organisations palestiniennes, aidées par les gouvernements arabes qui leur fournissent des armes et les entraînent, ont entrepris de porter la terreur en Europe et dans toutes les parties du monde.

Je comprends fort bien les sentiments du premier ministre ou d’un membre du gouvernement d’un pays qui déclare: «Nous n’avons rien à voir avec tout cela. Pourquoi notre territoire a-t-il été choisi pour de telles activités?» Je comprends tout à fait ces sentiments. Je comprends que l’on finisse par conclure que: le seul moyen de se débarrasser de ce casse-tête est d’interdire le pays aux Juifs et surtout aux Israéliens – ou aux terroristes. Tout gouvernement est amené à faire ce choix.

Je sais ce qui se passe lorsqu’un avion est détourné. J’ai connu de telles situations. Je me suis trouvée devant un terrible dilemme lorsque des Israéliens, hommes et femmes, ont été faits prisonniers en Thaïlande et maintenus au sol, pieds et poings liés, pendant plus de vingt heures. Nous avons dû répéter alors inlassablement que nous ne céderions pas aux exigences des terroristes. Je ne crois pas devoir expliquer que je n’ai pas dit cela de gaieté de cœur. Pourtant, les parents de deux des otages, un jeune homme et une jeune femme, m’ont téléphoné pour me dire: «Ne cédez pas.» Cet homme et cette femme se sont d’ailleurs mariés depuis, si vous me permettez cette digression. Pourquoi ces parents nous ont-ils dit: «Ne cédez pas», et pourquoi ne l’avons-nous pas fait? Est-ce parce que nous n’avons pas de cœur? Ces parents n’ont-ils pas de cœur? Le Premier Ministre et les membres du Gouvernement d’Israël n’ont-ils pas de cœur?

Mes amis, nous avons appris une dure leçon. Il arrive qu’en voulant sauver une vie immédiatement, on sacrifie plusieurs autres. Nous devons venir à bout du terrorisme. On ne saurait faire de compromis avec les terroristes. Que dire des terribles événements de Vienne? S’agit-il d’un marché? Je ne vois pas d’autre terme. Ou disons qu’il y a eu un arrangement, un accord. Je suis prête à user d’un langage très modéré si cela peut modifier la situation. Il a été décidé que les terroristes libéreraient les trois Juifs et un Autrichien et qu’en retour on n’aidera pas les Juifs russes désireux de se rendre en Israël à traverser l’Autriche, après toutes les difficultés affrontées au cours de leur lutte. Ou plutôt, comme on nous l’a précisé depuis lors, ils ne recevront plus la même aide que dans le passé. Les organisations terroristes et les radios des Etats arabes crient victoire – à juste titre, de leur point de vue. C’est la première fois qu’un gouvernement accepte un accord comme celui-là. Jusqu’ici, la pire des mesures prises, que nous avions d’ailleurs critiquée, a été la libération des terroristes qui ont commis des crimes comme ceux des Jeux Olympiques de Munich et qui se trouvent maintenant à même d’entreprendre de nouvelles opérations. Les terroristes ont obtenu cette fois bien davantage. Un principe fondamental, celui de la liberté de circulation des personnes, a été remis en cause, du moins en ce qui concerne les Juifs, et il s’agit pour nos adversaires d’une grande victoire.

Je sais, je suis convaincue, que les vies des quatre otages étaient très importantes. Ils sont libres, ils sont vivants, mais je suis persuadée aussi – bien que telle n’ait certainement pas été l’intention du Gouvernement ou du Premier Ministre d’Autriche – que rien ne pouvait mieux encourager la terreur dans le monde entier que les événements de Vienne.

Mes amis, le premier acte de piraterie aérienne a été le détournement sur Alger d’un appareil d’El Al et de tous ses passagers. L’Algérie a donné asile aux pirates et le monde est resté silencieux, si l’on excepte un article ou un discours çà et là. Or voyez où en est à présent la circulation aérienne mondiale: nul ne peut s’embarquer dans un avion avec la certitude d’arriver à bon port surtout si un Israélien se trouve à bord ce qu’à Dieu ne plaise! Faut-il pour autant qu’aucun Israélien ne prenne l’avion? Il est très difficile d’établir la différence entre un Juif et un Israélien. Nous sommes dans les années 70 du vingtième siècle. L’interdiction de transiter par l’Autriche en provenance d’Union Soviétique ne s’applique-t-elle qu’aux Juifs?

Croyez-moi, nous sommes extrêmement reconnaissants de tout ce que le Gouvernement autrichien a fait pour les dizaines de milliers de Juifs qui sont passés par l’Autriche en quittant la Pologne, la Roumanie et l’Union Soviétique. Nous sommes extrêmement reconnaissants pour tout ce que les autorités autrichiennes ont fait pour ces Juifs d’U.R.S.S. qui devaient rester au camp de Schoenau parfois quelques heures, parfois vingt-quatre heures. Nous ne tenons pas à ce qu’ils restent en Autriche et nos avions vont les y chercher le plus vite possible. Nous n’ignorons pas que les services de sécurité autrichiens ont affecté beaucoup d’hommes à la surveillance de Schoenau, non pas à cause des Juifs qui s’y trouvent, mais parce que – nous le savons et le

Gouvernement autrichien le sait aussi – les Arabes ont cherché plus d’une fois à faire sauter le camp. Dorénavant, il n’y aura plus de Juifs à Schoenau, donc plus rien à y faire sauter.

Je l’affirme à nouveau, si on n’est pas décidé d’en finir avec les terroristes et si on les laisse en liberté – bien qu’ils aient commis un acte de terrorisme ou qu’ils aient été pris les armes à la main en avouant avoir bel et bien voulu faire sauter Schoenau – que font-ils lorsqu’on les relâche sous prétexte qu’ils n’ont finalement rien commis de répréhensible? Ils retournent à Beyrouth, en Libye ou en Egypte pour s’y organiser et recommencer. Voilà donc la solution, vous fermez Schoenau aux Juifs, et vous n’avez plus de terroristes.

A seule fin de vous prouver que ce dilemme n’est pas nouveau depuis que l’Etat d’Israël a été créé, je citerai un poète juif de la Russie tsariste. Vous savez qu’il est une fête juive, dont la date approche, au cours de laquelle on dresse dans les cours un tabernacle, sorte de tente, afin de voir le ciel. L’une des règles qui président à l’installation de ce petit abri temporaire veut qu’il ne soit pas posé à même le sol, mais qu’un espace l’en sépare. Le poète juif en question écrivait qu’un animal s’étant glissé sous le tabernacle et l’ayant renversé, toute la question était de savoir si la faute en incombait à l’animal lui-même. Bien entendu, il fut établi que si ce rite n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu de tabernacle donc rien à renverser, et que l’animal n’était pas coupable. Cela se passait en Russie tsariste, sous un régime contre lequel s’est dressé en armes tout ce que le monde comptait de forces du bien.

Nous sommes en 1973. L’Etat d’Israël a été créé juste après l’holocauste. Les 6 millions de Juifs d’Europe centrale et orientale constituaient un foyer culturel et religieux, un bastion de l’hébreu et de la fidélité aux traditions juives. Ils ont été exterminés, et parmi eux un million d’enfants et en plus d’eux toutes les générations auxquelles ils auraient dû donner le jour.

L’Etat d’Israël a été accepté parce qu’en 1947, la famille des nations, y compris l’Union Soviétique et la Pologne, a reconnu qu’en toute justice, les Juifs devaient pouvoir, eux aussi, exercer leur souveraineté sur cette petite parcelle de terre qui est leur patrie.

Pendant ces vingt-cinq années, nous avons fait du chemin; nous avons rencontré l’amitié et la compréhension de nombreuses nations, mais nous nous sommes heurtés aussi à beaucoup d’incompréhension.

Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir invitée à m’exprimer ici, et je vous remercie, mes amis, de me prêter attention. Je vous soumets un problème; il vous est loisible de dire que ce n’est pas le vôtre. Mais qu’il me soit permis de souligner que dans ce monde, les difficultés d’un peuple ne concernent plus exclusivement ce peuple-là. S’il existe bien une famille des nations, chaque membre de cette famille a le droit de vivre, d’exister, de circuler librement dans le monde entier et de recevoir qui bon lui semble.

Ces terroristes, dont deux étaient armés, auront au moins posé la question de savoir si un pays doit se voir interdire de laisser transiter les Juifs – et des Juifs seulement – sur son territoire.

J’espère sincèrement que la décision du Gouvernement autrichien n’est pas irrévocable et qu’il y a eu quelque part un malentendu. Nous ne recherchons de victoire sur aucun gouvernement. Nous sommes seulement anxieux de voir cette question éclaircie. C’est pur hasard si je me trouve ici juste après ce week-end mouvementé, et j’estime qu’il eût été malhonnête de ma part de ne pas attirer votre attention sur la manière dont nous autres, peuple d’Israël et Gouvernement d’Israël, considérons ce qui s’est passé. Pourquoi l’Autriche serait-elle seule à prétendre que pour protéger des citoyens soviétiques se rendant en Israël, il faut leur interdire le passage sur son territoire? Pourquoi d’autres pays n’adopteraient-ils pas la même attitude?

Je terminerai sur un seul mais amer souvenir. Ce n’est un secret pour personne, je suppose, que l’on me présente partout comme une vieille femme qui a bien des complexes et de nombreux souvenirs. Dans la longue histoire de mon peuple, on trouve la diaspora, les pogroms de la Russie tsariste – mon premier souvenir – l’holocauste des camps nazis et le terrorisme arabe. Je n'ai rien oublié de tout cela, et je ne suis pas la seule. Je me rappelle aussi qu’en 1938, l’un des plus grands présidents qu’aient eu les Etats-Unis a convoqué une conférence à Evian. Au nom de bien des pays représentés, il y fut prononcé de beaux et sincères discours qui exprimaient beaucoup de sympathie pour les réfugiés juifs courant le monde afin de fuir l’Allemagne et tout pays que les nazis avaient mis sous leur botte. Chacun y condamna le fascisme et se déclara hautement solidaire des réfugiés juifs, non sans ajouter aussitôt: «Mais mon pays ne peut les recevoir.» Les représentants d’un pays allèrent même jusqu’à dire: «Il n’y a jamais eu de problème juif chez nous. Nous ne voulons donc pas en créer un en laissant entrer ces réfugiés.»

Mes amis, je vous remercie encore vivement de m’avoir prêté attention. Pardonnez-moi de vous avoir présenté une fois de plus quelques-uns des problèmes auxquels doit faire face l’Etat d’Israël.

(Applaudissements. A de nombreux bancs, Mnes et MM. les Représentants se lèvent.)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Madame le Premier Ministre, au cours de l’entretien que j’ai eu l’honneur d’avoir avec vous ce matin, vous avez dit que, lorsqu’on sert une cause que l’on estime juste, on n’a pas le droit d’être fatigué. Par vos déclarations, que l’Assemblée a soulignées de ses vifs applaudissements, vous avez montré une nouvelle fois que vous êtes fidèle à cet engagement. Et c’est justement parce que vous estimez n’avoir pas le droit d’être fatiguée que je me permets de vous demander si vous consentez à ce que l’on vous pose des questions et à y répondre.

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Certainement, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT

Je vais donner la parole à deux représentants de l’Autriche pour faire une déclaration. La parole est à M. Czernetz.

M. CZERNETZ (Autriche) (traduction)

Monsieur le Président, je vous sais gré de me permettre de formuler quelques observations sur les terribles événements qui viennent de se produire en Autriche. C’est la première fois, je dois le dire, que je prends la parole devant cette Assemblée avec le cœur aussi serré.

Nous avons, les Autrichiens surtout, vécu deux jours d’angoisse pendant lesquels nous avons tremblé pour la vie des trois otages juifs aussi bien que pour celle du douanier autrichien et pour la liberté et la vie des deux pilotes autrichiens.

Nous sommes encore profondément émus. Depuis que cette affaire est terminée, nous sommes la proie de sentiments contradictoires: un certain soulagement puisqu’il n’y a pas de vies humaines à déplorer, mais aussi une inquiétude pour l’avenir. Nous nous demandons si quelque chose d’important va changer.

Que nombre de journaux et les moyens de communication de masse aient donné des relations peu claires n’a rien d’étonnant. Nous-mêmes, Autrichiens, qui nous trouvons à Strasbourg, n’avons pu nous faire une idée que péniblement, progressivement, à partir des informations de la radiodiffusion autrichienne, des journaux, de conversations téléphoniques avec Vienne, de telex. Les terroristes arabes ont d’abord exigé l’interruption totale de tout transit des Juifs soviétiques vers Israël. Cette exigence a été catégoriquement repoussée par le Gouvernement fédéral autrichien comme il ressort des bulletins de l’ORF, la radiodiffusion autrichienne. J’ai les textes mais je ne voudrais pas vous importuner avec des citations. La déclaration du Gouvernement fédéral autrichien indique entre autres que seules les facilités accordées jusqu’ici – comme le logement au camp de Schoenau – sont supprimées. Je peux dire en toute franchise que j’en ai été et en suis encore profondément bouleversé. Mais il n’en reste pas moins que les visas individuels continueront à être donnés et que les voyages individuels d’Union Soviétique vers Israël à travers le territoire autrichien restent possibles. Le Dr Kreisky, Chancelier fédéral, l’a dit sans ambiguïté à la radio autrichienne. Le transit reste possible. Mais, pour des raisons de sécurité ou d’insécurité bien connues, les voyageurs en transit devront quitter l’Autriche plus vite.

Le Premier Ministre d’Israël disait il y a quelques instants qu’elle espérait qu’il ne s’agissait pas d’une prise de position définitive, c’est-à-dire qu’elle espérait une mise au point. J’espère moi aussi comme elle que des négociations entre le Gouvernement de Vienne et le Gouvernement d’Israël permettront de mettre les choses au point et de le faire très rapidement.

Monsieur le Président, les services de sécurité autrichiens sont soumis à des règles extrêmement strictes. L’usage des armes à feu n’est autorisé qu’en cas de légitime défense. L’expérience a montré que c’était un moyen de protéger la démocratie. Mais cette disposition rend plus difficile la lutte contre les terroristes. Il n’est pas rare que des gendarmes et des policiers comparaissent devant les tribunaux autrichiens pour avoir abusé de ce droit. Je me permets de faire observer au Premier Ministre et à l’Assemblée que l’Autriche, pays neutre, ne peut et ne doit pas permettre que des organes de sécurité étrangers et des terroristes – je fais une distinction très nette entre les services de sécurité israéliens et ces terroristes – se livrent des batailles rangées sur le territoire autrichien.

Je voudrais aussi souligner que les deux terroristes arabes armés de pistolets mitrailleurs et de grenades à main sont arrivés en même temps que les émigrants dans le train venant de Tchécoslovaquie. Les services de sécurité tchécoslovaques se sentent menacés par les avions de tourisme autrichiens sans armes qui survolent par mégarde quelques kilomètres de leur territoire, en l’espace de quelques semaines ils ont abattu deux de ces avions, tuant quatre personnes. Mais les services frontaliers tchécoslovaques n’ont pas découvert dans le train les terroristes arabes armés jusqu’aux dents. Etait-ce un hasard?

Dans la situation ainsi créée, le Gouvernement autrichien est parti du point de vue qu’il fallait avant tout sauver la vie des otages. A-t-il eu raison? Qu’aurait dit l’opinion mondiale s’il y avait eu à Vienne quatre morts ou peut-être plus? Qu’aurait-on dit s’il s’était passé la même chose qu’à Fürstenfeldbruck?

On se demande naturellement si l’on a payé un prix politique, si l’on a payé trop cher la vie des otages. Je me permets d’indiquer que le Gouvernement de Vienne fait observer que l’Autriche ne s’est pas écartée d’un pas de son devoir d'asile envers les réfugiés, que, je le répète, les citoyens soviétiques de confession juive ont toujours la possibilité de transiter par l’Autriche.

Je dois reconnaître que d’ici, de Strasbourg, je ne suis pas en mesure de dire si le Gouvernement fédéral autrichien aurait pu agir différemment. S’agit-il de principes? Pourra-t-on négocier? Cela m’a été confirmé sans équivoque dans des déclarations orales émanant de Vienne – le Premier Ministre est d’ailleurs au courant – on pourra négocier. Personnellement je ne vois pas d’autre solution que celle qui a été adoptée. Vienne a cherché une solution humaine, mais je ne suis rien moins que satisfait et heureux du résultat. Je le dis en toute franchise. Tout chantage réussi encourage d’autres actes de terrorisme. Chaque fois, jusqu’ici, le seul Gouvernement qui n’ait fait aucune concession aux terroristes est celui d’Israël.

Le Premier Ministre se souvient que me trouvant en Israël en mai dernier et m’entretenant avec elle, je lui ai dit: quel gouvernement démocratique oserait en temps de paix dire à son opinion publique, il faut sacrifier ces otages, car c’est une question de principes. Il n’en va pas de même d’Israël qui se trouve dans un état de guerre continu, sans même un véritable cessez-le-feu.

Quoi qu’il en soit, ce nouvel attentat terroriste a prouvé à quel point l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe avait raison de demander en avril dernier une coopération régionale dans la lutte contre le terrorisme. Il y a quelques jours seulement, avec le Président du Comité des Ministres, M. Kirchschlâger, ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, et quelques heures plus tard avec le ministre de l’Intérieur de la République fédérale, M. Genscher, nous avons parlé de la nécessité pour la Conférence des Ministres de réunir les ministres responsables de la sécurité et de discuter avec eux de ces questions.

Mais Monsieur le Président, même des Etats plus puissants que l’Autriche n’ont pas pu venir seuls à bout de la terreur et ont dû céder au chantage. La République fédérale et la Suède ont dû laisser sortir de leurs prisons des terroristes condamnés comme criminels et récemment, à Paris, les services de sécurité français n’ont pu empêcher que des diplomates arabes ne servent d’otages. A l’avenir il nous faudra d’un commun accord faire entendre clairement au niveau européen et international qu’un engagement pris sous la menace des terroristes ne saurait avoir de valeur juridique. En aucun cas. Il me semble que nous sommes tous d’accord sur ce point, les terroristes ne sont pas des combattants de la liberté ni des héros, ce sont des criminels de droit commun, au sens de la Convention de Genève en 1949. C’est ce que nous avons affirmé sans ambiguïté au cours de la session de printemps. Toute l’Europe doit s’unir pour lutter contre cette délinquance internationale des terroristes et des pirates de l’air.

Monsieur le Président, l’Autriche est un Etat militairement neutre, mais sur le plan politique nous nous sommes toujours élevés contre toute dictature, nous nous sommes toujours comptés au nombre des démocraties. Nous ne sommes pas les ennemis des Arabes. Mais nombre de mes compatriotes admirent comme moi l’Etat démocratique d’Israël, son peuple vaillant et travailleur.

Mme Golda Meir sait combien de mes amis autrichiens étaient et restent liés à son peuple par leurs sentiments d’admiration, de sympathie, de solidarité et d’amitié.

M. KARASEK (Autriche) (traduction)

Monsieur le Président, Madame le Premier Ministre, Mesdames, Messieurs, il n’est pas, je crois, un seul des membres de cette Assemblée qui n’ait été profondément bouleversé en apprenant vendredi midi ce qui se passait en Autriche. Ce terrorisme inhumain dont nous avons si souvent parlé dans cette Assemblée a de nouveau frappé brutalement.

Certes nous avons tous été soulagés d’apprendre que l’on avait évité la perte de vies humaines. Pourtant, Madame, nous n’en avons pas été moins émus tant que, sur la base des premières informations de la presse et de la radio qui circulaient hier encore, nous pensions que la libération des otages n’avait été obtenue qu’au prix combien élevé de la renonciation à une aide humanitaire. Depuis, les explications du Gouvernement fédéral autrichien nous ont appris – comme l’a dit mon collègue, M. Czernetz – que le transit individuel des émigrants soviétiques de confession juive restait assuré et que l’interruption de toute forme de transit qu’exigeaient les terroristes avait été rejetée. Mais je ne suis pas satisfait des autres suites et des autres résultats dont vous avez parlé en termes émouvants. C’est pourquoi je crois pouvoir dire que sur cette question le dernier mot n’a pas été dit.

Les membres de la délégation autrichienne ne disposent pas à Strasbourg de toutes les informations qui permettraient de prononcer un jugement objectif sur les plans juridique et politique. Mais je puis vous assurer qu’après une étude approfondie, le Parlement autrichien aura à ce sujet des questions à poser et à débattre.

Personnellement, je n’ai qu’une brève déclaration à faire:

Nous condamnons le terrorisme qui frappe des innocents et entraîne des actes absolument inhumains.

Nous considérons qu’il est dangereux d’accorder aux terroristes des concessions que ne justifient pas des motifs humanitaires et qui de surcroît peuvent être ressenties comme une invitation à poursuivre les menées terroristes.

Nous trouvons dangereux que des gouvernements puissent se sentir tenus de considérer comme juridiquement valables des engagements pris dans des conditions contraires à la morale.

Nous ne saurions, enfin, que nous inquiéter si à l’avenir des gouvernements en venaient sous la pression de terrorisme à modifier sur un point ou un autre des aspects fondamentaux de leur politique.

Nous estimons – je parle cette fois en tant qu’Autrichien – que l’un des devoirs et des droits les plus nobles d’un Etat neutre est d’accorder l’asile et d’assurer aide et soutien à ceux qui sont persécutés pour des raisons politiques, raciales ou religieuses. Nous insisterons au Parlement autrichien pour que notre Gouvernement et notre représentation populaire, unanimes, obtiennent qu’à l’avenir ce droit, ces principes, même sous la pression de la terreur soient mis au rang des valeurs imprescriptibles sur lesquelles aucune négociation n’est possible.

Je voudrais, en terminant, vous assurer, Madame le Premier Ministre, de ma profonde sympathie.

M. LE PRÉSIDENT

La parole est à M. Blumenfeld, président de la commission des questions politiques.

M. BLUMENFELD (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, avant de commencer la série de questions que vous venez d’annoncer, j’aurais, si vous le permettez, deux choses à dire.

Tout d’abord vous avez, Madame, accepté notre invitation de prendre la parole demain à huis clos devant la commission des questions politiques et je voudrais vous en remercier au nom de tous mes collègues. J’espère que nous aurons ainsi l’occasion de discuter encore avec vous certaines questions.

Pour l’instant, je voudrais vous dire que je suis très impressionné et ému par les paroles que vous avez prononcées devant notre Assemblée plénière. Je voudrais en même temps vous assurer – comme mes collègues de la délégation autrichienne, MM. Czernetz et Karasek – que la commission des questions politiques que j’ai l’honneur de présider depuis quelques années, et aussi, je crois pouvoir le dire, l’Assemblée tout entière, ne s’écarteront pas de ce qui a été maintes fois proclamé ici, c’est-à-dire que l’Assemblée s’élève contre tout terrorisme et qu’elle réclame non seulement la possibilité pour tous de se déplacer librement en Europe, mais aussi qu’elle veut voir garantie la liberté et, particulièrement pour des citoyens soviétiques de confession juive, d’immigrer en Israël. Au cours des années passées nous n’avons pas cessé d’y insister dans une série de résolutions.

Deuxièmement, avec un certain nombre de membres de l’Assemblée Consultative, j’ai à cette fin présenté une résolution pour laquelle j’espère que vous accepterez la procédure d’urgence de façon à pouvoir procéder au vote dès demain. J’ai déposé ce projet dans le but bien précis de présenter le grave problème politique évoqué par le Premier Ministre espérant qu’elle y verra la preuve que les membres de l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe sont très conscients de la nécessité d’attirer l’attention de nos gouvernements membres, tout au moins par une résolution. Nous espérons en tant que parlementaires que les gouvernements européens en tireront enfin les conclusions qui s’imposent.

Madame le Premier Ministre, je voudrais' vous poser une question dont j’espère qu’elle ne vous paraîtra pas indiscrète et que vous pourrez y répondre. Je me réfère au discours que vous venez de prononcer et dans lequel vous avez dit que votre prédécesseur, M. Eshkol, et vous-même avez dès 1967 lancé un appel aux gouvernements et aux peuples arabes pour que s’ouvrent des négociations. Nous savons maintenant que les peuples – je devrais plutôt dire les gouvernements – ne sont pas disposés à entamer des négociations directes ou indirectes avec votre Gouvernement, bien que seules des négociations puissent mener à la paix – tant que le Gouvernement israélien ne se déclare pas au préalable prêt à évacuer les territoires occupés. Je me permets de vous demander si vous-même ou des membres de votre Gouvernement avez tenté d’établir directement et discrètement des contacts avec des hommes politiques et des dirigeants des gouvernements arabes ou de certains de ces gouvernements.

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur Blumenfeld, comme vous l’avez déjà indiqué, vous avez présenté, avec plusieurs de vos collègues, une proposition de résolution, avec demande de discussion d’urgence, relative à la responsabilité des Etats membres du Conseil de l’Europe en ce qui concerne la libre circulation des personnes en Europe.

Je convoquerai le Bureau pour 15 heures pour discuter de cette affaire, conformément à notre Règlement. J’invite les présidents des groupes politiques à bien vouloir assister à cette réunion du Bureau, qui se tiendra dans la salle B 501. Si, comme je le pense, l’Assemblée en est d’accord, la séance de cet après-midi commencera à 15 h 30 au lieu de 15 heures. Il n’y a pas d’opposition?... Il en est ainsi décidé.

Madame le Premier Ministre, vous avez bien voulu accepter de répondre aux questions posées par des membres de l’Assemblée. Je vous donne la parole pour répondre à la première question, qui a été posée par M. Blumenfeld.

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je vous remercie beaucoup pour vos propos et j’ai grand plaisir à répondre aux deux questions. Nous avons dit, et cette politique n’a pas changé jusqu’à présent, pas plus qu’elle ne changera, j’en suis sûre, après les élections – cela du moins ne changera pas après les élections – que nous sommes prêts à tout moment, en tout lieu, à négocier avec nos voisins arabes sur la possibilité d’un traité de paix qui, naturellement, englobera la question des frontières, sans aucune condition préalable.

Je sais qu’on nous objecte parfois: «Mais vous posez des conditions lorsque vous dites – le Gouvernement l’a dit, et le Parlement l’a dit: Nous ne reviendrons pas aux frontières de 1967, ces frontières que la guerre a détruites.» Mais nous ne demandons à aucun de nos voisins d’accepter avant les négociations cette position qui est la nôtre.

Par exemple, quand le Président Sadate proclame que pas un pouce du désert du Sinaï ne peut rester entre les mains d’Israël, nous ne disons pas: «Puisque telle est votre décision, rien ne sert de négocier; nous ne négocierons pas avec vous.» Voilà ce qu’il nous demande d’accepter avant la négociation. Il est bien certain dès lors que nous n’accepterons pas ses exigences, pas plus que nous n’exigerons de lui qu’il accepte l’une quelconque de nos positions.

Nous voulons rencontrer les Arabes. Chacune des parties sera absolument libre d’exposer à la table de conférence toutes ses revendications et toutes ses vues. C’est pour cela qu’il faut négocier. Si nous étions tous d’accord à l’avance sur un point de vue, il n’y aurait pas besoin de négociations.

Il existe de très sérieuses divergences entre nous et nos voisins arabes. Nous croyons qu’elles peuvent être surmontées si toutes les parties sont animées d’un désir sincère de parvenir à une paix véritable. Des compromis devront être trouvés. Nous croyons qu’après une période de négociations il sera possible d’arriver à un accord de paix.

Nous ne voyons aucune possibilité d’évacuer une partie quelconque des territoires occupés sans négociations et sans accord de paix. Par contre – il n’y a là-dessus aucun doute dans mon esprit – après les négociations, certains territoires au moins ne seront pas conservés par Israël. Parmi les territoires dont il s’agit, il en est qui n’ont jamais été attribués par la Société des Nations. La rive occidentale n’a jamais été attribuée à la Jordanie, non plus qu’une partie de la vieille ville de Jérusalem. Peut-être l’inadmissibilité de l’acquisition des territoires par la force devrait-elle s’appliquer également à tous. Quoi qu’il en soit, la rive occidentale évoque pour notre peuple des souvenirs historiques très vivaces et très chers. Je suis convaincue, pourtant, que nous pouvons parvenir à un accord en négociant mais non pas en nous retirant et en laissant les armées arabes s’installer à nouveau sur les mêmes frontières à partir desquelles nous avons été attaqués en 1967.

Quant à nos efforts, je fais cette déclaration sans aucune réserve: nous n’avons laissé échapper aucune occasion de demander à tel ou tel qui se rendait en Egypte ou en Syrie de faire savoir au Président Sadate ou au Président Assad que, s’ils n’étaient pas disposés à procéder immédiatement avec nous à des négociations publiques, nous étions prêts à participer à une rencontre à quelque niveau, de quelque manière que ce soit, pour tenter d’amorcer un dialogue. Peut-être pourrai-je fournir demain au Conseil des précisions sur un cas au moins de ce genre. A mon grand regret, nous n’avons jamais reçu de réponse positive indiquant que, d’une certaine manière, en certain lieu, quelqu’un pourrait rencontrer quelqu’un juste pour engager le dialogue. Même cela n’a pas été accepté, mais nous gardons espoir pour l’avenir.

M. AHLMARK (Suède) (traduction)

Permettez-moi d’en revenir au problème du terrorisme, car deux questions auxquelles le Conseil de l’Europe s’est beaucoup intéressé ont été maintenant réunies en une seule.

Depuis des années, nous réclamons pour les Juifs soviétiques le droit de quitter leur pays s’ils le désirent. En tant que rapporteur du Conseil de l’Europe sur la question de la communauté juive d’U.R.S.S. j’ai recueilli cet été en Israël des témoignages qui m’ont permis de constater que la campagne contre les Juifs s’était intensifiée en Union Soviétique. Des milliers d’entre eux perdent leur emploi lorsqu’ils sollicitent un visa de sortie, leurs enfants sont expulsés des universités, des procès monstres et des brochures antisémites cherchent à dissuader les Juifs de manifester leur sympathie envers Israël, les familles sont dissociées et la condition des prisonniers juifs est extrêmement mauvaise.

C’est là un des obstacles opposés aux Juifs soviétiques qui désirent émigrer dans l’Etat juif. Mais nous savons maintenant qu’un acte de terrorisme pourrait en créer un second. Le Premier Ministre Kreisky semble avoir promis à deux terroristes arabes que l’Autriche cessera d’être un pays de transit pour les Juifs quittant l’Union Soviétique. Nous espérons que cette concession au chantage politique ne durera pas et ne menacera pas l’émigration juive.

Au Conseil de l’Europe, nous avons fréquemment demandé à nos gouvernements: «d’arrêter une attitude européenne commune pour lutter contre le terrorisme...» comme le dit l’Assemblée dans sa Recommandation 703. Pensez-vous, Madame le Premier Ministre, que si les pays européens avaient ainsi constitué un front uni, l’un de ces pays aurait pu se laisser égarer par la tragique tentation de céder à des menaces terroristes?

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur Ahlmark. Nous sommes très reconnaissants au Conseil de ce qu’il a fait et de la position qu’il a adoptée en affirmant que les Juifs soviétiques devraient pouvoir exercer le droit élémentaire de quitter leur pays s’ils le désirent et d’aller où bon leur semble.

Tous les dangers évoqués par M. Ahlmark existent effectivement. J’ignore si les membres du Conseil ont jamais eu sous les yeux l’un des quelque quatre-vingts ouvrages antisémites publiés en Union Soviétique depuis 1967. Comme nous le savons tous, il n’y a guère d’éditeurs privés en U.R.S.S.; presque tous les livres publiés sortent d’une maison d’édition gouvernementale. Ces ouvrages sont de l’antisémitisme pur, comme nous n’en avions pas lu ni entendu depuis des années. Ils sont exposés bien en vue aux devantures des librairies. Quand on y parle de «sionistes», nul ne devrait s’y méprendre. Sionistes, Juifs, Israélites sont tous de la même espèce.

Il ne fait pour moi aucun doute qu’un front uni de tous les pays contre le terrorisme permettrait, tout d’abord, à chaque pays de mieux se défendre et, deuxièmement, contribuerait plus que toute autre mesure à décourager les actes de terrorisme. Si on ne laisse pas les terroristes agir dans un pays, ils peuvent trouver le moyen d’opérer dans un autre, ne serait-ce que temporairement. Ne vous méprenez pas, je vous en prie, sur mes propos. Aucun gouvernement n’a autorisé les actes de terrorisme. Mais il s’agit de réagir, de faire en sorte que les terroristes ne puissent pas opérer.

La lutte contre le terrorisme serait facilitée si l’Europe entière ne formait, à cette fin du moins, qu’un seul territoire où de tels actes ne seraient pas tolérés et où aucun gouvernement ne céderait à la pression. Parfois, cela exige une décision terrible, qui peut, sur le moment, mettre en danger des vies humaines. Mais, je vous le demande, ne perdez jamais de vue le nombre de vies que vous mettrez en danger dès l’instant où vous céderez au chantage terroriste.

M. AHLMARK (traduction)

Je pourrai être extrêmement bref dans mes commentaires, car je partage pleinement l’opinion exprimée par le Premier Ministre.

Au cours de mes entretiens de cet été en Israël, un thème est revenu sans cesse: il est inimaginable que l'éveil de la conscience nationale chez les Juifs soviétiques puisse être étouffé ou disparaître. Ce qu’ont éprouvé des centaines de milliers d’entre eux, c’est un regain de la fierté d’être juif, un attachement plus fort à l’Etat d’Israël et une détermination accrue de ne pas accepter sans broncher les persécutions exercées à leur encontre sous couleur d’antisionisme.

Si violentes que soient les attaques lancées contre Israël, elles ne décourageront pas les Juifs soviétiques d’exprimer leur solidarité avec l’Etat juif. Les procès monstres engagés contre les Juifs qui ont sollicité des visas pourront devenir encore plus répugnants, ils n’empêcheront pas d’autres Juifs de demander des visas de sortie. Même si l’on multiplie les tracasseries faites aux familles juives qui veulent quitter l’Union Soviétique, ni ces familles ni leurs amis n’en seront pour autant réduits au silence. Le temps des «Juifs du silence» est révolu. Tous continueront de réclamer le droit de professer leur religion et d’exprimer leurs convictions.

Dès lors, aider ces hommes et ces femmes à gagner leur patrie d’élection reste un devoir démocratique et humanitaire. Il s’agit, en l’espèce, de donner effet à l’un des droits fondamentaux de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Alors que les Juifs opprimés en Union Soviétique ne renoncent pas malgré la campagne menée contre eux, il serait honteux qu’un chantage terroriste nous fasse renoncer à les aider.

En tant que rapporteur sur la communauté juive d’Union Soviétique, je crois nécessaire d’exprimer ces sentiments en présence du Premier Ministre d’Israël.

M. OSBORN (Royaume-Uni) (traduction)

Je souhaite, moi aussi, la bienvenue à Mme Meir. Je la salue en tant que simple membre de cette Assemblée. Je lui suis reconnaissant des propos émouvants qu’elle a tenus, non seulement sur les problèmes d’actualité, mais aussi sur l’Etat d’Israël lui-même. Je la remercie de nous avoir rappelé avec tant de lucidité que dans des Etats libres et démocratiques – j’y inclus les Membres du Conseil de l’Europe – les gouvernements, les parlementaires et les populations doivent se montrer fermes et résolus s’ils veulent mettre fin à la piraterie aérienne et au terrorisme.

Je voudrais poser à Mme Meir une question technique, en espérant qu’elle ne la trouvera pas déplacée. Il n’est que trop fréquent de nos jours que des questions purement économiques, commerciales et industrielles aient des implications politiques urgentes. Ces implications concernent des pays qui sont membres du Conseil de l'Europe. Dès lors, compte tenu du fait que diverses

commissions du Conseil de l’Europe, notamment la commission de la science et de la technologie et la commission des questions économiques et du développement, dont je suis membre, ainsi que la Communauté Economique Européenne, l’OCDE et d’autres organisations, étudient actuellement les politiques énergétiques, quels sont, de l’avis de Mme Meir, les moyens d’action dont disposent Israël, considéré isolément, et les puissances occidentales pour assurer, à des prix raisonnables, la continuité de leur approvisionnement en pétrole brut et en dérivés du pétrole en provenance des pays pétroliers?

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je regrette de devoir déclarer que les puits de pétrole d’Israël ne peuvent pas produire beaucoup plus que ce qu’ils produisent aujourd’hui, c’est-à-dire pratiquement rien. Nous ne sommes pas un pays pétrolier. Nous n’avions jamais ressenti le besoin de l’être jusqu’à ces derniers temps. Mais, je le crains, nous n’y pouvons rien.

Permettez-moi d’introduire ici une note plus légère. Nous disons entre nous qu’il est difficile de pardonner à Moïse de nous avoir traînés pendant quarante ans à travers le désert pour nous amener dans la seule partie du Moyen-Orient où il n’y a pas de pétrole. Mais c’est un fait que nous ne pouvons pas changer.

Peut-être est-ce prendre ses désirs pour des réalités, mais certaines personnes qui ont soigneusement étudié le problème sont arrivées à la conclusion que, même si Israël n’existait pas, le problème du pétrole arabe et de son prix ne s’en poserait pas moins. Le fait que le monde occidental – l’Europe et les Etats-Unis – en soit venu à dépendre tellement de ce pétrole encourage naturellement les gouvernements arabes à l’utiliser à diverses fins, et en tout cas dans un but au moins. C’est peut-être désagréable, mais c’est légitime: ils veulent obtenir un meilleur prix pour le produit dont le monde a tant besoin.

Ce n’est pas que je sois partisan de rompre les contrats, de nationaliser au mépris des contrats, etc., mais le problème existe bel et bien et nous sommes persuadés qu’il n’a pas grand-chose à voir avec Israël. Cependant, pour autant qu’il concerne Israël, nous ne sommes pas les seuls au monde à refuser tout bonnement de croire que les pays arabes producteurs de pétrole renonceront à cette production pour forcer d’autres pays à adopter une position politique déterminée. Dans la mesure où ce problème existe et où les pays arabes disent que d’autres gouvernements devraient modifier leur attitude envers Israël pour obtenir du pétrole, il s’agit simplement d’une continuation de ce que nous débattons aujourd’hui. On utilise soit le canon, soit le chantage économique – telle est la pratique. «Ou bien vous faites ce que nous disons, ou bien nous ne vous donnons pas de pétrole.» Que faut-il donc faire? Doit-on, politiquement ou de toute autre manière, aider les Arabes à détruire Israël?

Je ne crois pas que le monde où nous vivons puisse tolérer de tels agissements. Je pense qu’ils sont voués à l’échec si nous ne les encourageons pas, si tous les pays du monde disent: «Nous avons besoin de votre pétrole, c’est vrai, mais nous avons nous aussi notre prix et ce prix, c’est la liberté pour nos gouvernements de prendre les décisions politiques qui leur semblent les meilleures. Vous ne pouvez pas noyer sous votre pétrole quelque chose d’infiniment précieux pour nos vies et pour la civilisation moderne: notre conscience, notre libre arbitre, la liberté de décider ce que bon nous semble.»

Bien sûr, tout cela place le monde – les Etats-Unis et aussi, j’imagine, l’Europe – dans la nécessité absolue de prospecter toutes les ressources possibles, même si elles ne sont pas disponibles dans un proche avenir, de sorte que, si une situation analogue survient, on puisse y remédier en ayant recours à d’autres sources.

Je ne crois pas à la justesse de cette remarque que quelqu’un m’a faite un jour: «Si vous demandez à mes compatriotes», m’a dit mon interlocuteur, «ce qui les préoccupe le plus, avoir la climatisation ou le sort de l’Etat d’Israël, ils répondront: la climatisation.» Je suis trop vieille pour être aussi désabusée. Je ne crois pas que les braves gens que l’on trouve partout de par le monde sacrifieraient le sort d’Israël à des climatiseurs. Je ne crois pas que la situation soit aussi mauvaise. Même si l’on doit se passer d’une certaine quantité de pétrole, nous n’en sommes pas encore là. Si le monde déclare fermement: «Nous avons besoin de votre pétrole et sommes disposés à en négocier le prix, mais notre conscience et notre liberté de décision ne se marchandent pas», alors il y aura abondance de pétrole dans le monde.

M. LEU (Suisse)

Madame le Premier Ministre, existe-t-il encore aujourd’hui entre Israël et ses voisins arabes un problème de prisonniers de guerre?

Si oui, qu’est-ce qui empêche la solution de ce problème par un échange réciproque des prisonniers?

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Nous avons un problème de prisonniers de guerre. Après la guerre de 1967, tous les prisonniers avaient été échangés. Les prisonniers actuels, de part et d’autre, ont été faits au cours de la guerre d’usure et parfois d’incidents de frontières qui se produisent toujours. Les trois derniers hommes que détenait encore, depuis assez longtemps, le Gouvernement syrien ont été échangés contre plus de trente Syriens détenus par nous.

La situation avec l’Egypte est très difficile.

L’Egypte détient dix de nos hommes depuis la guerre d’usure. Trois ou quatre d’entre eux sont des pilotes; les autres, venus avec des camions de l’intendance pour le ravitaillement, ont été emmenés de force de l’autre côté du Canal. L’un d’eux, d’après les rapports de la Croix-Rouge, est très gravement malade. Nous détenons près de soixante-dix prisonniers de guerre égyptiens. Nous avons déclaré sans hésitation: «Vous pouvez avoir vos soixante-dix hommes, rendez-nous les dix nôtres.» Soit dit en passant, dans le cas de celui qui est si malade que ses jours sont sérieusement en danger, l’Egypte ne respecte pas la Convention de Genève. Celle-ci – comme vous le savez sans doute, mes amis – stipule en effet qu’un prisonnier malade ou grièvement blessé doit être rapatrié.

Pendant cette période, nous avons reçu trois ou quatre hommes en échange desquels nous avons relâché des dizaines et des dizaines de prisonniers égyptiens; mais nous le faisons sans regret: croyez-m’en, nous n’éprouvons aucun plaisir à garder des prisonniers de guerre. Certains d’entre eux étaient arrivés dans un état tel que, lorsque les médecins égyptiens qui les avaient soignés et avaient jugé leur cas désespéré les ont retrouvés vivants, ils ont cherché à savoir comment nos médecins s’y étaient pris pour les maintenir en vie, parce qu’ils pensaient les avoir vus partir pour Israël pour y mourir. Peut-être y a-t-il là une forme de coopération – entre médecins tout au moins.

Nous sommes très impatients de voir revenir ces dix hommes, surtout celui qui est très malade. Nous avons, de temps à autre, envoyé quelqu’un. Parfois, un bon ami nous suggère d’envoyer un ou deux hommes de l'autre côté, dans l’espoir que ce geste sera peut-être payé de retour. Nous l’avons fait et nous ne le regrettons pas, mais cela n’a servi à rien. Cependant, ces dix hommes posent un très sérieux problème. Presque tous les visiteurs qui se sont rendus en Egypte – fonctionnaires des Nations Unies, membres des gouvernements auxquels nous avons demandé d’intervenir – nous ont apporté leur coopération. Ils l’ont fait, mais, à mon grand chagrin, sans aucun résultat jusqu’à présent.

M. MINNOCCI (Italie) (traduction)

Permettez-moi de demander à Mme le Premier Ministre d’Israël si elle ne juge pas opportun de saisir cette occasion pour confirmer la position de son Gouvernement au sujet du problème des réfugiés palestiniens et de la création éventuelle d’un Etat de Cisjordanie.

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Il y a là, incontestablement, un problème. Quiconque connaît tant soit peu notre région sait que ce problème existe. Permettez-moi de consacrer quelques minutes à expliquer que c’est, bien entendu, la guerre de 1948 qui est à l’origine du problème des réfugiés arabes. R a été le résultat de l’attaque lancée par les pays arabes, l’Egypte, l’Irak, la Jordanie, la Syrie et le Liban, contre le petit Etat d’Israël, qui était vieux de douze heures.

D’autre part, il y avait aussi un problème de réfugiés juifs. Vers l’époque de l’établissement de l’Etat d’Israël, il y avait encore 350 000 Juifs dans des camps en Allemagne. Plus de 50 000 Juifs venus de ces camps pour aborder aux rivages d’Israël n’obtinrent pas l’autorisation d’y entrer – cela se passait avant la création de l’Etat d’Israël – et furent envoyés à Chypre. II en restait donc 300 000 qui furent immédiatement admis en Israël. Ils ne pouvaient trouver refuge dans aucun autre pays et étaient démunis de tout. C’étaient de pauvres réfugiés, dans un état pitoyable. Survivants de l’holocauste, ils étaient moralement traumatisés et physiquement délabrés. Nombre d’entre nous n’étaient pas du tout sûrs qu’ils puissent se rétablir ou faire quoi que ce soit. A ma grande joie, ces hommes et ces femmes aux chiffres tatoués sur les bras – vous les rencontrez où que vous alliez en Israël – sont devenus des gens normaux, sains, qui ont grandement contribué au développement d’Israël.

Nous avions aussi affaire à des réfugiés juifs d’une autre provenance: plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants venus à nous de pays arabes, d’Irak, d’Egypte, de Syrie, des pays d’Afrique du Nord, de Libye, du Yémen. A ceux qui nous disent parfois que les réfugiés palestiniens doivent avoir leur pays à eux parce qu’ils ne peuvent pas s’intégrer dans les autres pays arabes, je veux seulement faire observer ceci: croyez-m’en, la différence entre le Juif venu des grottes de Libye et le Juif venu d’Europe occidentale ou des Etats-Unis ou né israélien, était beaucoup, beaucoup plus grande que celle qu’il peut y avoir entre des Arabes vivant à Jaffa, à Naplouse ou à Amman.

Nous avons donc eu à résoudre le problème de l’intégration de ces tribus juives, qui avaient parfois des siècles de retard au point de vue de la culture et du mode de vie, dans un Etat moderne à la civilisation moderne. Nous sommes profondément reconnaissants à ces hommes et à ces femmes qui, en 1949, 1950 et 1951, sont venus à nous illettrés et sans aucune qualification – ils n’avaient même jamais cultivé la terre. Vous savez sans doute que certains des légumes, des fruits, des volailles (et, dans cette ville, en particulier, il est opportun de s’en souvenir) que vous pouvez déguster dans vos pays, à diverses époques de l’année, sont produits par ces hommes et ces femmes qui, avant de venir en Israël, n’avaient jamais su planter une graine ni faire pousser quoi que ce soit. Ils sont devenus d’excellents cultivateurs. Ils ont fait revivre le désert. Ils ont apporté quelque chose aux collines d’Israël et sont devenus différents. Quant à la seconde génération, elle est, bien sûr, étonnante!

Rien, absolument rien, n’empêchait d’aboutir aux mêmes résultats avec les réfugiés arabes.

Ils sont moins nombreux et n’ont aucun problème de langue. Chez nous, lorsque vous réunissiez vingt personnes dans une pièce, il fallait parler cinq ou six langues pour pouvoir communiquer avec elles directement. Maintenant, moins de vingt ans plus tard, elles ont appris l’hébreu. Avec les réfugiés palestiniens, il n’y a pas de problème de langue, de mode de vie, et la question aurait pu être réglée depuis des années et des années. Il y avait des fonds internationaux. Dans notre cas, une aide a été fournie par les communautés juives, par certains gouvernements. Puisque nous parlions de pétrole tout à l’heure, je me permettrai d’avancer que nous connaissons au moins un, deux ou trois gouvernements arabes dont les revenus ne sont pas si négligeables. Peut-être une partie de cet argent aurait-elle été bien employée à financer la réinstallation de ces réfugiés. En Israël, nous n’avons cessé d’affirmer dès le premier jour que nous étions disposés, que nous tenions même absolument à indemniser ces réfugiés arabes pour tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux en Israël.

Nous pensons qu’il y a maintenant une solution et une seule. Entre la Méditerranée et la frontière de l’Irak – le désert oriental – il y a deux pays, un juif, un arabe: Israël et puis le pays arabe, qui devrait absorber les réfugiés palestiniens. C’est là que se trouvera la frontière.

C’est une question de négociation entre nous et la Jordanie. Une fois la frontière établie, tout ce pays sera jordanien. Une partie de la rive orientale sera le pays des Jordaniens et des réfugiés arabes – des Palestiniens. Le nom qu’ils donneront à ce pays, qu’ils l’appellent jordanien ou palestinien ou qu’ils combinent les deux noms, ne nous concerne pas. Qu’ils décident ou non de faire un Etat fédéral, comme l’avait suggéré le roi Hussein, n’est pas non plus notre affaire. C’est une question qu’ils doivent régler eux-mêmes.

Il y a deux choses que nous n’acceptons pas. On a, pendant vingt-cinq ans, intoxiqué ces réfugiés pour les dresser contre nous. Nous avons trouvé à Gaza des manuels d’arithmétique où l’on peut lire: «Il y avait cinq Israéliens. Trois ont été tués. Combien en reste-t-il?»

C’est un problème d’arithmétique pour enfants de 6 à 7 ans. Nous ne pouvons pas accepter des réfugiés en Israël, car cela signifierait la destruction de notre pays. Une autre chose inacceptable pour nous, c’est qu’en plus des dix-huit ou dix-neuf Etats que compte déjà le monde arabe, on crée entre la Jordanie et Israël un autre petit Etat arabe, la Palestine, qui n’aurait pas la moindre possibilité d’existence. Un Etat de ce genre n’aurait qu’une raison d’être: servir de fer de lance contre Israël. Il ne répond pour les Arabes à aucune nécessité. Nous nous trouverions dans une situation extrêmement difficile s’ils n’avaient pas d’autre solution. Mais ils en ont une. La Jordanie a besoin d’habitants. En fait, la Jordanie est un Etat palestinien. Elle compte des Bédouins, certes, mais la moitié des membres du Gouvernement, des parlementaires, sont des Palestiniens. Elle a eu des Premiers Ministres et des ministres des Affaires étrangères palestiniens. La Jordanie a besoin de cette population, qui peut en faire un Etat très moderne et développé.

Telle est la solution constructive que nous proposons au problème palestinien. Nous sommes vivement désireux, premièrement, d’accorder les dédommagements voulus et, deuxièmement, de coopérer comme bon leur semblera, car nous avons l’expérience de ce genre de situation. C’est avec joie que nous traverserions la frontière, non pas avec des chars ou des avions, mais avec notre savoir et le désir réel et sincère de les aider à trouver leur place dans une vie normale.

M. STINUS (Danemark) (traduction)

J’ai écouté avec grand intérêt, Madame le Premier Ministre, votre discours et vos réponses à mes collègues. Je voudrais vous demander si vous partagez les vues de M. Arie Eliav, qui fut un temps observateur auprès de cette Assemblée, sur les nouveaux plans de colonisation et d’investissements qui viennent d’être adoptés par votre parti. M. Eliav a parlé à leur sujet d’annexion larvée, qui aboutirait à une situation ou Israël aurait une population d’un million d’Arabes oubliés; un million de personnes sans droits. Si vous ne partagez pas l’opinion de M. Eliav, j’aimerais que vous nous expliquiez quelle autre interprétation le monde, y compris les Arabes et y compris la population de mon propre pays, le Danemark, peut donner à une telle mesure. Je voudrais aussi vous demander si vous pensez qu’une telle politique d’annexion hâtera l’établissement d’une paix juste et durable au Moyen-Orient.

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Je vous remercie beaucoup. Eliav est membre de mon parti. Je ne sais pas ce qui se passe dans les autres partis, mais dans le mien il y a des divergences d’opinions. Nous nous employons sans relâche à aplanir ces divergences par toute une série de conversations et de discussions prolongées et, finalement, nous arrivons à un modus vivendi. Malgré nos divergences d’opinions, Eliav et moi sommes très bons amis. Nous nous échauffons parfois beaucoup l’un contre l’autre, mais le fait est qu’aux élections, qui auront lieu le 30 octobre, nous nous présenterons sur une même liste. Mon parti, qui est et a toujours été le plus important du pays, n’a jamais attendu ni exigé de ses membres qu’ils aient des idées uniformes. Nous avons ainsi évité son éclatement en une multitude de groupes scissionnistes dont chacun penserait à sa manière et différerait des autres. Nous avons réglé toutes nos querelles en famille. Mieux que cela, depuis 1967, les deux groupes qui s’étaient séparés de mon parti sont revenus se joindre à nous et nous avons une alliance avec un autre groupe qui n’a jamais appartenu à mon parti. Nous nous présenterons aux élections ensemble, et ensemble nous résoudrons nos problèmes. Dans ces conditions, il serait anormal qu’il n’y ait pas de divergences d’opinions et je suis en total désaccord avec Eliav sur ce point.

Lorsque nous parlons de frontières sûres, il faut se rendre compte qu’on ne trace pas des frontières en l’air. Là-dessus, Eliav est absolument d’accord avec moi – quand je dis «avec moi», j’entends par là avec ceux qui pensent comme moi, ou avec moi quand je pense comme eux: il ne peut s’agir des frontières de 1967, car ces frontières ont été attaquées et nous ne voulons pas revenir aux frontières sur lesquelles nous avons déjà été attaqués.

Soit dit en passant, c’est ce que nous avons fait une fois. En 1957, sous la pression des Nations Unies, nous nous sommes retirés. Nous avons abandonné Charm-el-Sheikh, où nous sommes aujourd’hui; nous avons évacué la bande de Gaza, où nous sommes aujourd’hui; et nous avons évacué le désert du Sinaï, parce que tous les gens bien intentionnés du monde disaient: «Retirez-vous cette fois et nous aurons non seulement des observateurs de l’O.N.U. mais une force d’urgence de l’O.N.U.» Je n’abuserai pas de votre temps et de votre patience en vous rappelant ce qui s’est passé. En 1967, feu le Président Nasser a demandé que le personnel des Nations Unies quitte les lieux, et ce personnel s’est évaporé – il a tout simplement cessé d’exister. Il n’était plus à Charm-el-Sheikh, il n’était plus dans la bande de Gaza et il n’était plus dans le désert du Sinaï.

Pourquoi lui a-t-on demandé de partir? Parce que les chars devaient arriver. Ceux-ci ne sont pas venus nous faire une visite d’amitié, en bons voisins – il y avait 100 000 hommes, 1 000 chars, des avions, etc. Nous demandera-t-on maintenant de nous retirer à nouveau? Il est vrai que nous avons gagné la guerre en 1956 et en 1967, mais, comme je l’ai dit précédemment, nous avons eu aussi des morts. Personne ne peut nous garantir que nous n’aurons pas à nous battre de nouveau, mais nous voulons, de notre côté, faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’éviter.

Lorsque nous parlons d’une frontière défendable, celle-ci doit avoir deux qualités. Elle doit être d’une nature telle que tout dirigeant arabe qui songerait à nous attaquer sache en son for intérieur qu’il n’a aucune chance de la franchir. Le meilleur exemple en est la frontière syrienne. Lorsqu’elle se trouvait sur les hauteurs du Golan et que nous étions en contrebas, c’était facile. Il n’y avait même pas besoin de déclarer la guerre. Pendant dix-neuf ans, des canons syriens ont tiré sur chacune des maisons de nos kibboutzim. Mais, si nous sommes quelque part sur le plateau, je crois qu’un Président syrien y regardera à deux fois avant de nous attaquer à nouveau. Ainsi, l’essentiel est que la frontière ait, en elle-même, un effet dissuasif.

Deuxièmement, si, malgré cela, nous sommes attaqués, est-ce un trop grand luxe que de demander de pouvoir nous défendre avec aussi peu de pertes que possible? Si le Président syrien nous attaque sur le plateau, nos pertes seront moindres que si nous sommes en contrebas et devons, comme en 1967, y faire grimper nos chars en plein jour.

Comme les frontières ne peuvent être tracées en l’air, mais doivent l’être sur le sol, et étant donné que nous ne voulons pas revenir aux frontières de 1967, des rectifications s’imposent. Ainsi, Eliav ne désapprouve pas tout ce que nous faisons au-delà des frontières. Il a ses idées. Il a peut-être raison. Il a peut-être tort. Mais telle est l’opinion de la très grande majorité de mon parti sur ce point, et la thèse que nous défendons quant aux frontières de 1967 pourrait recueillir aux élections une majorité de plus de 90 %. Sur tout le reste, les partis sont divisés. Il y a quelque vingt-quatre listes. Je n’en suis pas fière et je ne m’en réjouis pas. Mais les élections doivent avoir lieu le 30 octobre et il ne fait aucun doute que Eliav lui-même est d’accord en ce qui concerne les frontières de 1967.

Voilà donc comment les choses se passent dans un parti socialiste démocratique. Il n’y est pas interdit d’avoir des idées. J’ai le droit d’avoir les miennes, comme Eliav les siennes. C’est ainsi que nous cohabitons dans un même parti.

M. DESTREMAU (France)

Madame le Premier Ministre, pour suivre les conseils du Président et en raison de l’heure tardive, vous me permettrez de poser directement ma question qui est la suivante: dans les pourparlers que l’Etat d’Israël peut être amené à avoir directement ou par des intermédiaires avec l’Egypte ou d’autres Etats du Proche-Orient, sera-t-il tenu compte de la résolution des Nations Unies du 22 novembre 1967?

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Il s’agit de ce qui est devenu la fameuse Résolution 242 de 1967. Israël l’a acceptée, mais il l’a acceptée telle qu’elle a été votée et non pas selon l’interprétation arabe. A mon grand regret, certains autres pays du monde l’ont maintenant améliorée ou abîmée, selon leurs divers points de vue.

La Résolution 242 comprend plusieurs éléments. Il y est question entre autres de notre retrait de territoires occupés. Le texte ne contient pas les mots: retrait de tous les territoires occupés, pas plus qu’il ne parle de retrait des territoires occupés [Il s’agit du texte anglais (le texte français dit: «des territoires occupés»)].

Ce n’est pas là un hasard. Ce n’est pas parce que quelqu’un ignorait la signification du mot «tous» ou du mot «des». Je ne suis pas toujours d’accord avec les membres du Conseil de sécurité, mais je suis absolument certaine que chacun d’eux connaît ces deux petits mots. En fait, certains membres du Conseil de sécurité avaient suggéré de les inclure dans la Résolution 242. Cela n’a pas été fait. Ils n’ont pas été inclus par les auteurs de la résolution, ni par ceux qui l’ont votée. Ils n’ont certainement pas été inclus par nous lorsque nous l’avons acceptée. Ni le délégué américain, ni le délégué britannique, qui revendiquent la paternité de la résolution, n’ont dit qu’ils y étaient inclus. M. George Brown, Lord Caradon et M. Attlee ont répété mainte et mainte fois devant le Parlement britannique que la résolution ne parlait pas des territoires occupés et qu’elle avait été rédigée très soigneusement de façon à permettre à toutes les parties de l’accepter.

Je ne sais pas s’il est possible d’employer la même formulation dans toutes les langues. Dans certaines d’entre elles, il est impossible de ne pas utiliser l’article défini. Mais s’il s’agit d’une difficulté linguistique par opposition à ce qui nous parait être la sécurité d’un Etat, alors la linguistique doit céder le pas à la sécurité d’un Etat.

Une autre remarque à faire est que la résolution ne demande pas un retrait. Elle demande des négociations entre les parties en vue de parvenir à un accord de paix. C’est exactement ce que nous réclamons. A mon grand chagrin, les Arabes ont donné de la Résolution 242 une interprétation à sens unique en insistant sur un retrait de tous les territoires sans négociations et sans accord de paix. Cela est contraire à la Résolution 242.

Nous sommes prêts et avons toujours été prêts à engager des négociations avec n’importe lequel de nos voisins arabes sur la base de cette résolution, sans aucune condition préalable. Cela ne veut pas dire que nous n’admettrons pas qu’ils se présentent à la table de la conférence en déclarant: «Qu’importe la Résolution 242! Nous voulons que vous vous retiriez de tous les territoires.» Cette attitude serait parfaitement admissible. Mais c’est là affaire de discussion et de négociation. Nous ne sommes pas disposés à admettre cette fausse interprétation de la résolution. Nous ne sommes pas disposés à accepter une situation dans laquelle nous déclarons: «Nous ne nous retirerons pas de tous les territoires» tandis qu’eux déclarent: «Vous n’agissez pas conformément à la Résolution 242.» Quiconque lit objectivement la résolution et les procès-verbaux des séances du Conseil de sécurité où elle a été discutée et acceptée, ne peut avoir le moindre doute sur le fait qu’elle ne souffre qu’une seule interprétation. Elle nous demande de nous retirer de territoires occupés, et non pas de tous les territoires. Elle parle aussi de négociations entre les parties en vue d’aboutir à un règlement pacifique.

M. LE PRÉSIDENT

Madame le Premier Ministre, en raison de l’heure tardive et de la réunion du Bureau, je vous propose d’entendre les membres de cette Assemblée qui ont encore des questions à poser et auxquelles vous pourriez donner une réponse globale.

(Mme Meir fait un signe d’assentiment.)

Je vous remercie. La parole est à M. Schwencke, République Fédérale d’Allemagne, socialiste.

M. SCHWENCKE (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Madame le Premier Ministre, vous n’avez pas prononcé le discours de politique générale que vous aviez préparé et vous avez parlé des événements de Vienne. Je voudrais vous dire ma profonde admiration pour cette intervention. Je sais que, comme le dit la Bible, c’est du trop-plein du cœur que la bouche parle. C’est pourquoi, après votre intervention, après tout ce qui a été dit, je désire retirer ma question, qui a déjà été posée.

M. WALL (Royaume-Uni) (traduction)

Bien que le terrorisme soit le problème le plus immédiat, il est d’autres problèmes à long terme tout aussi importants que doit affronter Israël. Mme Meir est-elle d’accord pour admettre que ces problèmes, vitaux pour le Moyen-Orient, ne peuvent être résolus que par les gouvernements du Moyen-Orient, et non par les Nations Unies ou par les grandes puissances? S’il en est bien ainsi, que pouvons-nous faire pour amener les gouvernements du Moyen-Orient à s’asseoir à une table de conférence?

Mme von BOTHMER (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Madame le Premier Ministre, permettez-moi de poser deux questions.

Il me semble que la question posée par un collègue quant aux réfugiés palestiniens n’a pas reçu une réponse très précise. Pourtant il ne s’agit certainement pas seulement, pour ces réfugiés palestiniens, d’une impossibilité de s’intégrer à la population des pays arabes dans lesquels ils vivent actuellement, mais il s’agit, si nous prenons au sérieux ce que vous avez dit ce matin, du droit pour ces réfugiés, comme pour tous les hommes, de rentrer dans leur propre pays, dans le pays auquel ils appartiennent et où ils veulent vivre. Il me semble que c’est là le fond du problème. Comment voyez-vous vous-même cette question compte tenu de vos propres paroles?

Ma seconde question est la suivante. Nous pensons tous – vous l’avez constaté – que la piraterie aérienne est un fléau contre lequel nous devons lutter tous ensemble. Mais que devrons-nous faire si votre pays recourt également à de pareils agissements? Il faut que nous puissions comprendre pour mieux pouvoir juger le conflit au Proche-Orient qui nous concerne tous profondément.

M. HOFER (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président, Madame le Premier Ministre, lors de mon voyage en Israël, j’ai pu constater au cours de nombreuses conversations que du côté israélien on attendait visiblement plus de la mission Jarring une contribution notable à la solution de la question du Proche-Orient. Je voudrais vous demander, Madame le Premier Ministre, si cette interprétation est correcte et si ce point de vue est aussi celui de votre Gouvernement. Si tel est le cas, j’aimerais savoir si Israël accepterait ou préférerait une autre forme de médiation.

J’ajoute que si Mme Golda Meir ne désire pas répondre ici en public à ces questions assez délicates, je le comprendrai très bien. Je me permettrai alors de les lui poser à nouveau demain à huis clos.

M. GESSNER (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Madame le Premier Ministre, depuis des années on nous annonce régulièrement le succès de chacun des dirigeants arabes qui refusent les négociations. Or vers la fin de votre intervention vous avez parlé d’espoir dans ce domaine. Je me permets de vous demander: a-t-on, à votre avis, des raisons de penser que cet espoir d’arriver à des négociations a quelque fondement?

M. NESSLER (France)

Madame le Premier Ministre, j’ai deux questions d’ordre divergent à vous poser mais, avec l’indulgence du Président, je voudrais les agrémenter d’une ou deux minutes de brefs commentaires.

Vous avez évidemment, en raison des circonstances et de l’attentat de Vienne, fait porter davantage vos propos sur le terrorisme.

Le terrorisme, dans cette affaire, n’est qu’un épiphénomène car, effectivement, c’est une anomalie de l’histoire, une guerre engagée, gagnée ou perdue, selon le camp dans lequel on se place, ne se termine pas par une négociation ou par un traité de paix.

Ma question est la suivante: il n’est pas douteux qu’à terme le monde arabe, à raison de sa démographie, de ses armements, de sa position stratégique d’encerclement, de sa richesse financière, ce qui n’a pas toujours été le cas, peut espérer, en prenant le temps, résoudre le problème sur le plan militaire par une sorte de revanche.

J’aimerais savoir, Madame le Premier Ministre, ce que vous pensez de cette perspective.

Ma deuxième question porte également sur le problème des réfugiés.

Je me suis quelque peu penché sur l’histoire et il est bien vrai qu’avant 1918 il n’y avait, dans cette partie du monde, qu’un seul pays, la Syrie, avec un vïllayet à Damas, un autre à Beyrouth et un sandjak à Jérusalem, ce qui revient à dire que les populations qui se déplacent se trouvent effectivement dans un territoire où elles peuvent être accueillies par des populations de même langue, de même religion, de même ethnie et que le problème aurait pu être résolu.

Mais, dans la situation actuelle, le problème est devenu passionnel; il est illogique et irrationnel. Et pour élever le problème au niveau de la rationalité, ne croyez-vous pas, Madame le Premier Ministre, qu’Israël serait bien inspiré de faire publiquement – car qui dit passion dit publicité – des propositions fermes et concrètes en ce qui concerne le problème et de ne pas laisser des principes s’opposer, avec tout ce que cela comporte d’exégèses, d’interprétations et d’oppositions.

M. PÉRONNET (France)

Monsieur le Président, avec votre permission, je retirerai ma question, la réponse de Mme le Premier Ministre à notre collègue italien m’ayant donné pleine satisfaction.

Toutefois, Madame le Premier Ministre, j’aimerais voir confirmer la position, souvent exposée, concernant les pratiques du culte dans la ville de Jérusalem.

Mme Meir, Premier ministre d'Israël (traduction)

Merci beaucoup. Le problème des réfugiés palestiniens est effectivement un problème sérieux. Il concerne des êtres humains. Mais la guerre de 1948 a été déclenchée par les Etats arabes avec la participation très active de la communauté arabe qui vivait alors en Palestine – également dans la partie qui était censée être Israël. En 1947, les Nations Unies avaient décidé le partage de la Palestine. Il s’agissait du second partage. Lorsque le Royaume-Uni avait reçu de la Société des Nations son mandat sur la Palestine, celle-ci s’étendait géographiquement de la Méditerranée à la frontière ouest de l’Irak, au désert oriental. Mais en 1922, M. Winston Churchill, au nom du Gouvernement du Royaume-Uni, devait la diviser et dès lors, jusqu’en 1948, la Palestine s’arrêtait à l’ouest du Jourdain, la région située à l’est prenant le nom de Transjordanie, avec un même Haut-commissaire et les mêmes lois de part et d’autre du fleuve. En 1947, c’est la rive occidentale du Jourdain qui fut à son tour partagée. Les Arabes en réclamaient la totalité. Nous en réclamions nous aussi la totalité. Les Nations Unies l’ont divisée en un Etat juif et un Etat arabe, traçant sur la carte des frontières terribles qui comportaient une Jérusalem internationalisée et établissant une union économique entre les deux Etats.

Nous avons accepté. Nous nous sommes immédiatement employés à poser les fondements de l’Etat juif. Les Arabes, eux, se sont immédiatement employés à tout faire pour nous détruire. Beaucoup ont fui. Rien n’est arrivé à ceux qui sont restés. Ceux qui ont fui l’ont fait parce que le Mufti, les dirigeants arabes et les Etats arabes leur ont promis: «Quittez la Palestine. Nous allons la bombarder et vous pourrez revenir bientôt, quand tout sera fini.» Depuis lors, nous en avons accueilli environ 70 000 afin de permettre le regroupement des familles. Us ont les mêmes droits que ceux dont jouit mon propre peuple et auxquels je faisais allusion tout à l’heure, avec une seule différence. Leur situation est la même. Il y a dix-huit pays arabes indépendants occupant 8 % de la surface du globe. Nous possédons, nous, un tout petit coin de terre au Moyen-Orient. U n’y a pas d’autre Etat juif: il n’y en aura jamais d’autre.

Si les soi-disant réfugiés – ce sont maintenant des guerriers palestiniens – reviennent, que se passera-t-il? Arafat se répand en propos fort aimables, proclamant: «Créons un Etat démocratique où Juifs, Chrétiens et Musulmans vivront tous ensemble.» Parfois, il dit toute la vérité et ajoute que seuls les Juifs venus en Palestine avant 1917 seront autorisés à rester. Mais admettons que Arafat soit très libéral et qu’il dise – il ne l’a jamais fait, mais je le ferai à sa place: «Qu’importe tous ceux qui restent. Nous reviendrons et ce sera un Etat juif, musulman et chrétien. Aucun autre Juif ne pourra y entrer.» Je demande alors: «Est-il juste qu’après avoir été pendant deux mille ans une minorité dans tous les pays du monde qui ont bien voulu nous accepter, nous devions maintenant redevenir une minorité dans un Etat musulman soi-disant démocratique?» Il n’y aurait alors qu’un peuple au monde dont la souveraineté ne serait pas reconnue comme un droit fondamental parce que d’autres veulent un dix-neuvième Etat.

Ce n’est pas tellement d’ailleurs qu’ils veuillent cet Etat; ce qu’ils veulent surtout, c’est nous voir décamper. Pour eux, les Juifs n’ont aucun droit de se trouver dans cette région. Us refusent d’admettre que nous y avons été installés. Us disent qu’il n’y a pas de peuple juif. Contre qui les pogromes étaient-ils donc dirigés, je me le demande bien. Nous ne sommes un peuple que quand il s’agit de faire de l’antisémitisme. Pour le reste, nous n’avons rien d’un peuple. Je ne puis admettre qu’il n’en soit pas exactement de même dans les deux cas.

Pour ce qui est du terrorisme, je crois savoir que les Nations Unies ont décidé il y a un an d’essayer de mettre sur pied une politique contre le terrorisme. Mais, au lieu de s’atteler à cette tâche, la commission chargée de la question a préféré étudier très à fond – un an n’y suffit évidemment pas! – les causes du terrorisme. Elle n’est pas encore arrivée à une conclusion, et le terrorisme est florissant. De même, la seule affaire qui ait été réglée rapidement est celle de l’avion libanais; tous les autres actes de piraterie aérienne n’ont encore fait l’objet d’aucune décision de la part de l’O.A.C.I. Je suis sûre que la plupart des gens qui siègent aux Nations Unies sont remplis de bonnes intentions, mais rien n’a été fait pour lutter effectivement contre le terrorisme.

Je suis sûre aussi que le Dr Jarring a fait de son mieux. Il s’est heurté à un mur. Soit dit sans l’offenser, je crois qu’il a commis quelques erreurs. Mais nous avons accepté la médiation du Dr Jarring et nous accepterions n’importe quel médiateur à condition qu’il considère comme son premier devoir de mettre les parties en présence. Dès l’instant où un médiateur entreprend de présenter des plans de son cru, sa mission est vouée à l’échec.

Nous avons, et je le déplore, rencontré maintes fois les Arabes sur le champ de bataille. S’ils veulent vraiment vivre en paix avec nous, comme nous le voulons, il faut que nous puissions nous rencontrer autour d’une table sur laquelle nous déposerions les plans de la paix. Cela, personne ne peut le faire pour eux et personne ne peut le faire pour nous. Nous devons nous en charger nous-mêmes, si long et si pénible que soit le processus. Il faut que les deux parties directement intéressées au problème se rencontrent pour en discuter et s’affronter, non pas sur le terrain, mais à la table de conférence, en vue d’y trouver une solution. Ensuite, elles auront à s’accommoder des conséquences.

J’en viens à la question des espoirs que l’on peut nourrir pour l’avenir. J’appartiens à un peuple qui n’existerait plus aujourd’hui s’il avait cédé au désespoir à un moment quelconque de son histoire. Peut-être le monde aurait-il la vie un peu plus facile si nous n’existions plus, car nous lui posons bien des problèmes. Quoi qu’il en soit, nous n’avons jamais perdu espoir.

Si je pensais que la paix est essentielle pour Israël, mais que les pays arabes pourraient s’en passer, je ne serais peut-être pas aussi optimiste. Mais je suis convaincue que les masses arabes ont encore plus besoin de la paix qu’Israël – et Israël en a bien besoin! Je n’ai aucune honte à l’admettre. Les Etats arabes semblent penser, pour une raison ou pour une autre, que proclamer qu’on veut la paix est un signe de faiblesse. Nous voulons la paix. Nous avons mieux à faire que de monter la garde, de renforcer notre armement et de former toujours plus de combattants. Nos hommes ont mieux à faire, et à faire avec joie, que de gagner des guerres.

Je suis convaincue que les pays arabes ont besoin de la paix. L’Egypte a vu sa population augmenter d’environ 4 millions d’âmes depuis 1967. Personne, aucun Egyptien, ne saurait prétendre que ce pays ne connaît pas des problèmes de pauvreté, de maladie et de manque d’instruction. J’ai dit mainte et mainte fois que la douleur d’une mère égyptienne qui a perdu son fils au combat n’est pas moindre que celle d’une mère juive, et inversement. Une femme qui donne naissance à un enfant désire voir cet enfant vivre et se développer, et non pas mourir d’inanition ou sur le champ de bataille. C’est là un point que nous avons en commun.

La différence dans le cas d’Israël, c’est que le Gouvernement n’y est pas aussi en désaccord avec son propre peuple. Il viendra bien un jour où la paix régnera entre nous et les Arabes. Il est triste de constater que le temps passe et que rien ne se fait, alors que l’on pourrait réaliser des progrès concrets.

Depuis 1967, des centaines, des milliers d’Arabes du Koweït, d’Egypte et de toutes sortes de pays arabes sont venus en Israël. Us ont non seulement traversé les territoires occupés, mais visité des villages arabes et vu comment, à Jérusalem, nous vivons côte à côte avec les Arabes. Je connais bien des capitales du monde, dont je ne citerai pas les noms, où il est beaucoup plus dangereux de se promener la nuit que ce ne l’est à Jérusalem. A Jérusalem, il n’y a aucun danger; il ne se passe rien. Peut-être ces Arabes ont-ils tiré la leçon de leur expérience. Peut-être ont-ils appris que nous pouvons vivre ensemble paisiblement et que les Israéliens n’ont pas tous le pied fourchu.

Quant aux perspectives qui nous attendent, tout ce que l’on a dit sur la démographie et la richesse des pays arabes est exact. Mais qu’est-ce que cela signifie? Est-ce à dire que nous devons renoncer? Il me paraît inutile de répéter que nous ne pouvons pas renoncer. Nous voulons vivre, et nous espérons qu’un jour il n’y aura plus de guerre.

Certes, personne n’est assez stupide pour ne pas tenir compte des chiffres. Mais il y a autre chose, et ce n’est pas du mysticisme. C’est ce que ressent un pilote qui sait pourquoi il a reçu l’ordre de décoller – non pas pour prendre quelque chose à quelqu’un, mais pour défendre son bien et celui de son peuple. Peut-être est-ce là un des principales raisons pour lesquelles nos pilotes réussissent mieux que les autres. Un jour, chaque pilote qui décolle se demandera: «Pourquoi? Est-ce pour tuer quelqu’un d’autre ou pour défendre mon peuple, pour empêcher qu’on le tue?» La motivation est extrêmement importante. Mais nous ne perdons pas de vue ce qui peut arriver.

On m’a également posé une question au sujet des lieux saints à Jérusalem. Avant 1967, malgré l’accord d’armistice, nous n’étions pas autorisés à nous rendre à nos lieux saints dans la vieille ville. Maintenant, chacun va où il veut. Immédiatement après 1967, nous avons déclaré que non seulement nous étions prêts à parvenir à une entente avec les représentants des sectes chrétiennes pour qu’ils puissent administrer leurs lieux saints, mais que nous serions heureux de le faire. Il n’y a pour nous aucun intérêt à administrer les lieux saints d’une autre religion et nous n’en avons nulle envie. J’espère que l’on en conviendra. Lorsque les négociations s’engageront, ce problème devrait être très facile à résoudre.

Ces remarques valent, bien entendu, pour les lieux saints de l’Islam. Si quelqu’un peut se présenter comme représentant les lieux saints de l’Islam, nous serons plus que désireux de faire en sorte que seuls des Musulmans puissent les administrer. C’est d’ailleurs déjà le cas à l’heure actuelle. Dans la vieille ville de Jérusalem, ce ne sont pas des Juifs qui administrent les lieux saints chrétiens ou musulmans. Mais la situation doit être régularisée par la conclusion d’accords et d’arrangements. Il n’y aurait pas le moindre problème en ce qui concerne les lieux saints ou la possibilité pour quiconque d’accéder librement à tout lieu qu’il désire visiter. C’est le cas aujourd'hui et il en ira de même à l’avenir.

M. LE PRÉSIDENT

Madame le Premier Ministre, je vous adresse les remerciements les plus chaleureux de l’Assemblée pour votre exposé et aussi pour les réponses très satisfaisantes que vous avez données aux questions qui vous ont été posées.