Rexhep

Mejdani

Président de l’Albanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 28 avril 1999

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, je veux tout d’abord remercier les organisateurs pour leur invitation à participer à cet entretien au sein du Conseil de l’Europe à l’occasion de son anniversaire, très significatif d’une tendance à l’intégration européenne, euro-atlantique et mondiale.

La nouvelle et brève histoire de la vie parlementaire pluraliste en Albanie, depuis les premières élections pluralistes du 31 mars 1991, marque un progrès. En même temps, cette histoire a connu des tournants décisifs et des signes clairs de régression en rapport avec les aspirations du peuple albanais et avec les normes acceptables d’institutions réellement démocratiques.

Pendant les huit ou neuf années de l’ouverture de l’Albanie au pluralisme politique, en particulier après la profonde crise institutionnelle, politique, sociale et financière, la nouvelle démocratie albanaise a concentré ses efforts en faveur de l’édification d’un Etat de droit fondé sur une nouvelle Constitution dans laquelle seraient clairement mises en évidence la séparation des pouvoirs, l’indépendance du système judiciaire, la dépolitisation de l’administration publique – particulièrement dans les domaines de l’ordre, des armées, de l’information, de la justice, du système diplomatique et consulaire, de la décentralisation du pouvoir au niveau local, de l’autonomie des institutions universitaires et académiques, de l’encouragement des médias privés et de la transformation de la télévision.

Par ailleurs, sont toujours des préoccupations essentielles la réévaluation et la nouvelle dimension de la société civile, le plein soutien à son développement, non seulement pour étendre les processus démocratiques en Albanie, mais aussi pour contribuer, de manière modeste, à la création d’un nouvel état d’esprit dans les Balkans par l’application des droits humains et civils, des droits individuels et des minorités, par le respect de la diversité culturelle et du pluralisme linguistique, de la liberté et de la coopération entre les différentes communautés religieuses.

J’interviens en ma qualité de chef d’Etat, au nom du peuple et de tous les partis politiques albanais au pouvoir ou dans l’opposition, collaborant par la voie institutionnelle à l’édification de l’Etat de droit, au respect des procédures légales, à la décentralisation et à la séparation des pouvoirs, pour mieux tracer les lignes du développement économique ultérieur et de la privatisation massive du système bancaire.

L’Albanie a été, jusqu’en novembre dernier, l’unique pays de l’Europe démocratique à n’avoir pas adopté de Constitution, test de la responsabilité des forces politiques albanaises pour le développement démocratique du pays. Mon objectif principal était de transformer le processus d’élaboration de la Constitution pour le rendre éducatif avec la participation de tous, notamment des ONG locales et internationales, des institutions spécialisées, des médias écrits et électroniques, des experts et des intellectuels du pays, de l’opinion publique albanaise. Il existe une obligation morale à l’égard de ce processus.

S’agissant de la démocratie, quel niveau de divergence peut-elle tolérer pour qu’elle ne soit pas «dissolue»? On aurait dû trouver au moins un consensus minimal et non pas choisir le boycott, participer pour contribuer et non pas pour saboter. Une Constitution démocratique étudiée par des spécialistes du domaine constitutionnel de renommée mondiale et spécifiquement par la Commission de Venise servirait non seulement le peuple, mais également les forces politiques elles-mêmes. Une Constitution qui reflète les conceptions modernes de l’Etat est vitale pour toutes les améliorations continues législatives et le développement solide de la démocratie dans le pays.

Mieux que les partis politiques, c’est le peuple qui a compris, avec son intuition, et il a dit oui au référendum sur la Constitution qui fut l’un des événements importants de la période postcommuniste en Albanie, avec la légalisation de l’Etat moderne albanais.

Mesdames, Messieurs, parallèlement aux efforts pour la réalisation des réformes démocratiques, législatives, institutionnelles, administratives, économiques et financières, l’Albanie est déterminée à aller de l’avant pour occuper sa place dans les structures européennes et euro-atlantiques. Pour atteindre ce grand but politique, nous avons pris l’engagement sérieux de satisfaire aux normes démocratiques qui, du point de vue légal, ont surmonté dès aujourd’hui la fragile réalité albanaise.

Permettez-moi de remercier à cette occasion le Conseil de l’Europe et certains autres organismes européens et internationaux pour leur précieuse contribution non seulement à l’élaboration de la Constitution et d’une législation moderne, mais aussi à la construction de nouvelles institutions très rayonnantes de la démocratie albanaise et de son avenir: l’école de la magistrature, l’office de l’administration du budget judiciaire, la commission de l’observation de l’exécution des verdicts pénaux, l’ombudsman, l’institution régulatrice des télécommunications, le conseil national de la radio et de la télévision pour les médias électroniques, et j’en passe.

Dans le même temps, les progrès sont marqués en ce qui concerne la décentralisation du pouvoir et l’autonomie du pouvoir local, l’autonomie des écoles supérieures, l’indépendance du système bancaire, de l’office de procureur général, du haut contrôle d’Etat. Cependant, ces processus devront se développer encore ultérieurement, preuve de plus de courage et de confiance, eu égard non seulement à la nécessité de principe, mais également au résultat positif qu’ils devront donner, pas à pas, dans l’émancipation de la société albanaise. La coopération bilatérale, et également l’assistance de l’office du Conseil de l’Europe à Tirana, du centre principal de l’OSCE à Tirana, et de ses offices régionaux dans des districts et dernièrement du groupe des «Amis de l’Albanie» n’ont pas manqué dans ce sens.

Nous sommes conscients que la prospérité démocratique, économique et sociale de l’Albanie est étroitement liée au développement de toute la région, et, de manière spécifique, à la stabilité et au renforcement des relations avec les pays voisins.

Parallèlement au développement continu de la coopération avec l’Italie et la Grèce, les relations avec tous les pays de la région, y compris la République fédérale de Yougoslavie, prennent un bon chemin. J’ai la conviction que le développement, la prospérité et l’intégration de nos sociétés et de toute l’Europe du Sud-Est ne resteront que des slogans si nous ne consentons pas tous des efforts pour l’application des conceptions d’intégration libérales européennes, pour l’émancipation de nos sociétés multiethniques totalement menacées par le régime de Belgrade qui constitue aujourd’hui un îlot explosif de haine et d’épuration ethniques et de génocide au cœur de l’Europe.

Dans le même temps, nous ne devons pas permettre que les critères et les principes adoptés soient interprétés au détriment des petits peuples, comme le peuple albanais du Kosovo, nourrissant de puissantes aspirations démocratiques, épris de liberté et de justice. Nous devons condamner sans appel le monstrueux scandale humain de la purification ethnique qui sévit dans l’ex- Yougoslavie et agir avec tous ceux qui le peuvent pour que cesse cette abomination ainsi que la honte de l’indifférence qu’elle suscite dans le monde.

«Les cohortes de réfugiés, la destruction des villages, les assassinats, les massacres en portent témoignage. Cela est intolérable. Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est la paix sur notre sol, la paix en Europe et c’est aussi chez nous, les droits de l’homme», a très clairement déclaré le Président Chirac.

Pendant que la délégation serbe à Rambouillet, puis à Paris, du 15 au 19 mars, faisait mine de négocier, les forces serbes continuaient leurs opérations contre les populations civiles. Milosevic n’a pratiquement jamais eu l’intention de négocier sérieusement et cela va continuer de la même façon, car toute marche'arrière est impossible.

La situation actuelle au Kosovo est le résultat d’un plan stratégique délibérément prévu, selon de nouveaux indices, à la fin de l’année dernière par l’entourage de Milosevic et baptisé «fer à cheval» – en serbe «Potkova» –, c’est-à-dire visant à obtenir par la violence des changements démographiques dans la province. Voilà la vraie nature du régime et du conflit.

Il est clair que cette guerre est un conflit entre la dictature, la barbarie moyenâgeuse et la démocratie humaine, la civilisation moderne, entre le passé et le futur, mais je suis convaincu qu’un avenir démocratique l’emportera. Actuellement, «de nombreuses parties des accords de Rambouillet sont dépassées par les événements», a déclaré Mme Albright à propos de l’accord de paix proposé aux belligérants par la communauté internationale, accepté par la partie kosovare albanaise, mais rejeté par la partie serbe, notamment à la lumière de la répression dirigée par les soldats, les policiers serbes et les troupes paramilitaires dans la province contre la population d’origine albanaise.

Le crime, le génocide, l’épuration ethnique et la déportation ne peuvent plus être tolérés. Les Albanais du Kosovo ne peuvent pas retourner chez eux, sur leur terre, sans le retrait des forces de la machine de guerre serbe et sans être placés sous la protection militaire internationale dirigée par l’Otan. Aucune garantie ne saurait être satisfaisante pour l’opinion démocratique internationale et pour l’avenir démocratique du monde entier sans la garantie du retour des Albanais sur tout le territoire du Kosovo.

La propagande serbe tendant à accréditer l’idée de la partition de la division du Kosovo est très dangereuse et tend à la déstabilisation de toute la région. En revanche, les démocraties multiethniques sont la meilleure solution pour la paix et la stabilité de la région balkanique.

Après avoir mis l’accent sur un retour des réfugiés garanti par la présence militaire internationale au Kosovo, il convient d’envisager une présence civile comprenant une composante politique, institutionnelle et sociale, avec l’OSCE, le Conseil de l’Europe, l’Unesco, qui assurera la renaissance de la vie institutionnelle et administrative, l’organisation d’élections locales et nationales; une composante humanitaire avec le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, la Croix-Rouge, l’Unicef, qui assurera au début la stabilisation de la vie dans les familles albanaises; et une composante économique avec l’Union européenne, les Etats-Unis, le G7, entre autres, qui assurera la reconstruction économique du pays.

Ce n’est qu’après avoir obtenu l’assurance de cette présence internationale multiple, de cette «autorité internationale» ou de ce «protectorat international», en fonction de l’évolution de la vie politique, institutionnelle, sociale et économique au Kosovo que l’on pourra parler d’une solution politique stable, conforme aux principes des conventions internationales et aux processus d’intégration intereuropéenne ou à l’interdépendance européenne.

Mesdames, Messieurs, pour la nation albanaise le respect des idées et des valeurs de chaque nationalité, la coexistence pacifique, la coopération mutuelle, les conceptions de nature à consolider la famille, le respect de l’environnement, l’économie, la culture et l’esprit sont très importants. Toutefois, les efforts pour jouir d’une vie normale et de la liberté humaine, pour sauvegarder la nature et l’environnement, pour faire disparaître la pollution spirituelle et défendre une famille saine, cellule de base de la société, devront être orchestrés aux niveaux national, régional et international. Ils demandent une collaboration forte, sans préjugés, et, dans les Balkans encore plus qu’ailleurs, une plus grande coopération économique, politique et culturelle.

La perspective de rapides changements de l’atmosphère internationale, le développement des instruments politico-financiers, la garantie des droits politiques et humains, en particulier à la sécurité, rendent indispensables l’adaptation et la réforme des structures qui auront à faire face non seulement aux défis actuels de notre monde, mais aussi à ceux des décennies à venir, en matière de terrorisme, de crime organisé, de génocides ethniques et religieux, entre autres.

Un certain manque d’efficacité des procédures et de l’action est le prix à payer pour la démocratie, si l’on veut éviter l’autoritarisme, le pouvoir discrétionnaire ou l’arbitraire. Pour autant, il est possible de concilier les principes et les lois démocratiques par des actes concrets et dynamiques, afin d’éviter les atteintes aux droits humains fondamentaux, inspirées par des principes immotivés, des intérêts personnels ou nationaux- nationalistes, des conceptions archaïques hérités de la guerre froide ou des zones traditionnelles d’influence.

Cela contribuerait à l’amélioration de la confiance des peuples dans les institutions internationales ou européennes ainsi qu’à leur autorité, si nécessaire à un avenir pacifique de l’humanité.

Je pense qu’Albert Camus avait raison de souligner que, lorsque les principes manquent, on doit établir des règles, mais j’ai le sentiment que l’inverse aurait dû être vrai pour les principales institutions internationales et européennes, compte tenu des changements survenus ces dix dernières années, mais également de ceux attendus pour les prochaines années. C’est donc à l’opération inverse que la plupart des institutions internationales et européennes doivent procéder. Elles sont surchargées et étouffées par les règles et il leur faut retrouver ou renouveler les principes.

En fin de compte, ce qui vaut est ce qui fonctionne, parce qu’il n’y a pas de leçon de démocratie parfaite à donner: il faut mettre en balance l’extrême difficulté qu’ont les institutions européennes à s’ajuster aux exigences et aux nécessités de l’efficacité, de la responsabilité et de la démocratisation. Pour cela, il est indispensable d’élaborer une politique nouvelle pour rendre dynamiques des structures souvent lourdes et byzantines dans leurs procédures, superflues dans certaines de leurs positions, impotentes en matière de défense et de sécurité.

Je pense aussi qu’avec l’élargissement prévu à l’Est ni les institutions, ni les politiques, ni les ressources budgétaires n’ont été ajustées. Les réformes sont donc urgentes et nécessaires afin que le coût de l’immobilisme ne l’emporte pas sur celui du mouvement. Bien entendu, on est revenu de la «table rase», mais la méthode, lente et complexe, comme les résultats ambigus, contournés et fondés sur le plus petit dénominateur commun, n’offrent guère de motifs à une grandiose conclusion, et ne permettent pas de mieux concilier deux objectifs à la fois complémentaires et contradictoires: la démocratisation et l’efficacité.

A mon avis, il faut améliorer le processus de décision, mieux garantir les modalités démocratiques d’exécution et d’efficacité, qui doivent être d’abord recherchées dans la simplification des procédures et dans des positions concrètes et claires. L’exemple du Kosovo illustre clairement cette situation. Honorables parlementaires, tous nos efforts vers la démocratie et le progrès ont eu et auront toujours l’aide de nos partenaires étrangers, donc du Conseil de l’Europe.

M’en tenant à cette coopération, à ses qualités, je tiens à souligner que, dans notre marche en avant, les critères de démocratie ne doivent pas être construits – ils ne pourraient d’ailleurs pas l’être – sur des interprétations individuelles, spontanées et hasardeuses, ou sur des paramètres locaux, mais sur des paramètres analytiques et universels, particularisés non seulement d’une manière nationale, mais également d’une manière internationale. Je n’exagérerais même pas si je disais qu’il serait lourd de conséquences, pour le présent et pour l’avenir, de réaliser des «équilibres» non équilibrés en portant atteinte à ce grand fond de la démocratie, qui implique le respect de la loi et des institutions, de leur indépendance, ainsi que les principes incarnés par les chartes internationales.

Ce fond, dans son essence, est parcouru par le principe de la liberté pour tous. Or, de toutes ces grandes généralisations de la société humaine, on ne peut exclure ni les Albanais de l’Albanie, ni ceux du Kosovo ou d’autres pays, ni aucun peuple du monde. Par ailleurs, même un emprunt mécanique des modèles des autres pays, sans adaptation locale ou sans base politique, sociale et économique concrète, ou les abstrayant, ne pourrait pas être réel à coup sûr, et pour autant fructueux. On doit donc tenter de ne pas porter atteinte aux grands critères et laisser l’espace nécessaire pour les nuances accélérant le progrès, contribuant à la stabilité et à la normalité locale et régionale.

En outre, la politique, ou plus exactement la «diplomatie» de la responsabilité égale, «du balancement sans fondement» même pour «mode démocratique» de la responsabilité égale, si elle donne une «solution du moment», maintient le conflit vivant, ouvert ou camouflé et ramène de nouveau le problème, ou repousse la solution dans le temps, mais avec un coût humain ou matériel plus élevé. Je crois que l’exemple du Kosovo est très clair à cet égard.

La politique préventive, pragmatique, transparente et «pointilliste», claire pour ce qui est de la responsabilité, sert mieux l’avenir de la cohésion, de l’intégrité et du développement sans retour en arrière; elle ternit ou démasque l’esprit de spéculation ou la démagogie dans le jeu politique, consolide l’esprit de la civilisation dans son sein, augmente la coopération fructueuse avec les institutions régionales, européennes et internationales, y compris de manière particulière avec le Conseil de l’Europe. Les effets connus à l’heure actuelle sont encourageants. Voilà pourquoi je voudrais exprimer encore une fois devant vous la reconnaissance et la gratitude du peuple et de l’Etat albanais envers le Conseil de l’Europe.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur le Président.

M. Mejdani a aimablement accepté de répondre aux questions que vous voudrez bien lui poser. Vingt-deux parlementaires ont exprimé un tel souhait, ce qui nous laisse moins de deux minutes au total par question. Je leur demanderai donc de respecter la limite de trente secondes. Je leur demanderai également de s’abstenir de faire précéder leurs questions par des paroles de bienvenue qui partent, certes, d’une excellente intention, mais qui sont aussi une perte de temps. Je suis certain que M. Mejdani vous le pardonnera. De plus, cela permettra à un plus grand nombre de parlementaires de s’exprimer. Nous avons regroupé les questions par thème. Le premier groupe a trait aux aspects humanitaires de la crise au Kosovo.

La parole est à M. Diaz de Mera, Espagne, au nom des chrétiens-démocrates.

M. DIAZ DE MERA (Espagne) (interprétation)

salue l’aide apportée par l’Albanie à la restauration de l’Etal de droit dans la région. Il demande quelles sont les priorités du peuple albanais en matière d’aide et comment on peut y répondre pour assister les familles qui reçoivent des réfugiés et qui sont parfois plus pauvres que ceux qu’elles accueillent.

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

La situation en Albanie est critique. Le pays se trouve en état d’urgence en raison de l’accroissement quotidien du nombre de réfugiés albanais. Jusqu’à présent, nous avons accueilli 360 000 déportés. Le chiffre est énorme et nos moyens limités. Cependant, je tiens à souligner une nouvelle fois la formidable solidarité dont fait preuve le peuple albanais à l’égard des réfugiés, dont beaucoup sont hébergés dans des familles d’accueil.

La machine internationale fonctionne très bien en Albanie. Beaucoup d’organisations internationales et beaucoup de pays apportent une aide humanitaire et médicale. Pour prendre toute la mesure du problème, voyons les sommes nécessaires uniquement pour l’aide alimentaire. En supposant qu’il faille 3 dollars par personne et par jour, nous avons besoin de 33 millions de dollars par mois, rien que pour nourrir ces gens. Le problème, on le voit, est énorme. A titre de comparaison, essayez de vous représenter la situation qu’engendrerait, par exemple, en Espagne, l’arrivée massive de 7 ou 8 millions de personnes en l’espace de deux ou trois semaines. Même si je n’ai pas particulièrement mis l’accent sur ce point au cours de mon intervention, le fait est que nous avons cruellement besoin de l’aide internationale. Le problème, en effet, ne concerne pas uniquement l’Albanie, mais la communauté internationale tout entière; c’est ensemble que nous devons le résoudre. Chaque pays, chaque institution démocratique a le devoir d’apporter sa contribution pour mettre enfin un terme à la politique de nettoyage ethnique, de génocide et de déportation menée au cœur de l’Europe.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Les cinq questions suivantes concernent le même sujet. La parole est à Lord Judd, à qui je demanderai de veiller à respecter la limite des trente secondes.

Lord JUDD (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, lorsque vous nous avez reçus la semaine dernière, nous avons pu constater que vous aviez un lourd fardeau à porter. Pensez-vous que votre pays sera en mesure d’assurer la survie d’un tel nombre de réfugiés pendant l’été et peut-être jusqu’au prochain hiver?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Je puis vous répondre par l’affirmative pour ce qui concerne l’été, mais il est certain que les gens ne pourront continuer à vivre dans des tentes pendant l’hiver. C’est impossible. Ce problème pourrait être résolu, par exemple, en installant des préfabriqués ou en restaurant d’anciens bâtiments, mais, pour ce faire, nous aurons besoin d’argent. Je suis convaincu que même s’il était mis fin au conflit – disons dans deux mois -, les réfugiés albanais ne pourraient pas rentrer immédiatement chez eux. Nous devons nous préparer à faire face à une telle situation. Le retour des réfugiés ne se passera pas de la même façon que leur arrivée qui s’était effectuée en deux ou trois semaines. Certains d’entre eux seront obligés de passer l’hiver en Albanie: c’est pourquoi j’envisage de demander l’aide de la communauté internationale pour restaurer des bâtiments anciens et mettre en place des structures préfabriquées légères.

M. KOFOD-SVENDSEN (Danemark) (traduction)

Je salue l’action de l’Abanie en faveur des réfugiés. J’aimerais savoir si vous attendez une contribution particulière de la part des pays européens en vue de la résolution du problème des réfugiés.

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Nous plaçons l’accent sur les questions humanitaires, mais il faut prendre conscience qu’il est indispensable d’améliorer la situation économique non seulement en Albanie, mais dans l’ensemble de la région. Je pense qu’un développement économique rapide permettra d’affaiblir peu à peu les sentiments nationalistes toujours vivants dans les Balkans. L’Union européenne et tous les pays développés doivent coopérer pour mettre sur pied une sorte de plan Marshall pour les Balkans et favoriser l’intégration de la région dans l’Union européenne ainsi que dans d’autres structures démocratiques et économiques. C’est la seule façon d’éviter que l’Europe et le monde se voient contraints de payer le prix fort à l’avenir.

M. DINÇER (Turquie) (traduction)

Monsieur le Président, j’aimerais, en premier lieu, exprimer tout le plaisir que j’ai eu à vous voir aujourd’hui parmi nous. Vous jouissez d’un grand respect en Turquie. Nous avons tout particulièrement apprécié votre intervention personnelle ainsi que les efforts que vous avez déployés en vue d’aider votre pays à surmonter la crise politique qu’il a traversée récemment....

Monsieur le Président, votre pays vient de traverser une période difficile. J’aimerais savoir comment, à votre avis, les pays des Balkans peuvent contribuer à résoudre non seulement le problème des réfugiés, mais aussi les autres problèmes pendants dans la région. Quelle importance attachez-vous à la coopération régionale en matière de gestion des crises dans les Balkans?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Toute initiative régionale est la bienvenue. Au cours des dernières années, nous nous sommes efforcés de coopérer les uns avec les autres, mais, dans le cas présent, je ne pense pas qu’une initiative régionale suffira à surmonter la crise. En effet, son ampleur est telle qu’elle nécessite une action européenne en vue, par exemple, de favoriser le développement économique, voire une initiative internationale telle que celle prise par les pays les plus développés du G7 en vue d’accélérer le processus de développement dans les Balkans et d’éviter que le concept de l’Europe du Sud-Est ne débouche sur la création d’une «tierce Europe», qui a malheureusement déjà été évoquée par certains. L’Europe du Sud-Est fait partie de l’Europe et nous devons accélérer le processus de son intégration, d’où la nécessité d’une initiative européenne ou internationale. Les problèmes actuels ne doivent pas être résolus dans un cadre strictement régional.

M. HADJIDEMETRIOU (Chypre) (traduction)

Dans quelle mesure la crise actuelle et les déplacements massifs de populations ont-ils affecté la mise en œuvre de la politique élaborée par votre gouvernement en matière de stabilisation économique, de prééminence du droit et de réconciliation entre les forces politiques du pays?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Je disais tout à l’heure qu’il fallait 33 millions de dollars par mois uniquement pour assurer la subsistance des réfugiés. Pour nous, la somme est énorme, d’autant que nous avons déjà été très heureux de recevoir 1,2 million de dollars pour équilibrer notre budget. Il y a un risque économique, mais, nous suivons de très près l’évolution de la situation afin d’éviter toute crise de cette nature en Albanie. Au cours de l’entretien que j’ai eu avec le Directeur général du FMI à Washington, celui-ci m’a assuré que l’ensemble des institutions économiques internationales mettraient tout en œuvre pour éviter une crise économique en Albanie et dans la région. Parallèlement, il faut penser à l’avenir et réfléchir au moyen de mettre en œuvre différents projets. Avec le soutien de la communauté internationale, nous poursuivrons cette réflexion.

Mme SQUARCIALUPI (Italie) (traduction)

Je voudrais adresser une question précise au Président de l’Albanie, M. Mejdani, concernant les jeunes qui se trouvent dans les camps d’accueil. J’ai visité ces camps et j’ai pu constater que de nombreux enfants et jeunes passent, hélas, des heures sans rien faire. Quelles sont les possibilités de scolariser et de donner une instruction à ces enfants et à ces jeunes? Je vous remercie, Monsieur le Président.

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Il a été décidé d’organiser des écoles d’été qui commenceront fin mai, début juin et se poursuivront pendant trois mois. Bien entendu, des instituteurs kosovars seront associés à ce projet. Par ailleurs, nous nous efforçons de mettre sur pied un certain nombre d’autres activités dans les camps. Ainsi, des visites ont-elles été organisées pour les enfants qui ont été incités à donner leurs impressions, notamment grâce au dessin. Voilà un exemple d’activités destinées à favoriser les contacts entre les enfants.

Nous organisons également des activités culturelles et nous nous efforçons d’offrir un soutien psychologique aux enfants les plus traumatisés. Nous coopérons avec différentes organisations internationales telles que l’Unicef.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Les deux questions suivantes ont trait aux conséquences économiques du conflit en Yougoslavie. La parole est à Mme Faldet.

Mme FALDET (Norvège) (interprétation)

Depuis plusieurs années, l’Albanie souffre de graves problèmes économiques, sociaux et politiques. J’aimerais savoir comment vous évaluez l’impact du conflit actuel sur les efforts déployés en vue d’unifier et de moderniser l’Albanie, et de l’intégrer aux organisations internationales.

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Ma réponse sera brève. L’intégration de l’Albanie à l’Union européenne et à l’Otan est un rêve, non seulement pour moi, mais aussi pour la population de mon pays. Espérons qu’il se réalisera. De fait, c’est un double rêve et, conformément aux souhaits du peuple albanais, nous travaillons pour qu’il devienne réalité.

M. CARVALHO (Portugal) (interprétation)

souhaiterait savoir comment l’Albanie envisage de régler la question des mafias et de la criminalité, qui prospèrent dans le pays et qui se sont encore renforcées avec la purification ethnique perpétrée en Yougoslavie.

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris votre question. Nous avons ouvert la porte à tous les réfugiés albanais. Aucune des 360 000 personnes que nous avons accueillies jusqu’à présent ne possède de papiers d’identité. On ne peut exclure le fait que certaines d’entre elles soient à la solde de Belgrade. Nous nous efforçons de les identifier. Vous devez comprendre ce qu’est la solidarité albanaise. Je regrette de devoir insister sur ce point. Il y a des criminels partout, mais nous devons mettre l’accent sur la solidarité.

Lors d’un voyage aux Etats-Unis, j’ai eu, avec des élèves d’une école du Michigan âgés de 14-15 ans, une réunion qui m’a fait grande impression. Ils avaient exprimé le désir de me rencontrer pour me transmettre un message et me remettre une contribution de 7 000 dollars destinés aux réfugiés albanais. Ce qui était important, ce n’était pas tant le chèque que le message: celui de la solidarité humaine. J’y ai été très sensible. Au même moment, de jeunes criminels semaient la mort dans un lycée du Colorado. Il me paraît important de souligner que les criminels sont bien moins nombreux que les gens de bonne volonté. C’est cette bonne volonté qui importe. Tel est l’esprit qui sous-tend la solidarité albanaise.

Cet esprit de solidarité s’était déjà manifesté au cours de la seconde guerre mondiale par des familles albanaises qui, après la capitulation de l’Italie, avaient caché des soldats italiens pour les protéger des Allemands. Aucun juif n’a été pris en Albanie; tous avaient été cachés par des familles albanaises. C’est cet esprit de solidarité qui compte et non les groupes de criminels qui existent dans n’importe quel pays.

LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante a trait aux partis politiques albanais. La parole est à M Solé Tura.

M. SOLÉ TURA (Espagne) (traduction)

En tant que rapporteur de la commission de suivi, permettez- moi de vous souhaiter à mon tour la bienvenue. Pensez-vous que la situation actuelle puisse améliorer les chances de collaboration entre les différentes forces politiques de votre pays?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

En fait, il existe une large coopération à l’échelon local. Les autorités locales mettent tout en œuvre à cette fin. Comme vous le savez, la plupart d’entre elles se trouvent sous le contrôle de l’opposition; la coopération est donc très bonne. Le moment est venu de la renforcer encore. J’espère que le parlement suivra l’exemple des autorités locales. Malheureusement, jusqu’à présent, certains groupes de l’opposition ne sont pas représentés au parlement et n’ont donc pu s’exprimer lors de l’adoption de la loi sur la présence de l’Otan en Albanie. Quoi qu’il en soit, j’espère qu’ils pourront y entrer bientôt. Peut-être certains groupes de l’opposition prendront- ils part à la vie parlementaire. En tout cas, nous le souhaitons. Aujourd’hui, plus que jamais, l’unité est indispensable; nous devons collaborer pour surmonter la phase critique que traverse le pays, ce dans l’intérêt de la population albanaise et de celle du Kosovo.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Vous avez évoqué la nouvelle Constitution de l’Albanie. J’aimerais savoir dans quelle mesure celle-ci permettra d’améliorer le dialogue entre la majorité et l’opposition. Quels sont les obstacles juridiques ou politiques à un tel dialogue? En tant que pays membre du Conseil de l’Europe, l’Albanie doit remplir certaines obligations au titre du Protocole n° 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, relatif à la peine de mort. J’aimerais connaître le point de vue de votre gouvernement à ce propos.

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Vous avez posé deux questions. Je ne puis répondre à la première parce que je ne vois pas pourquoi on essaierait d’entraver la coopération à l’échelon politique.

En ce qui concerne la deuxième, je vous dirai que, jusqu’à présent, j’ai bloqué toute décision relative à la peine de mort. En effet, la question avait fait l’objet de tentatives de manipulations politiques et avait donné lieu à un certain nombre de pétitions. Le peuple albanais est conscient du problème. Nous avions projeté de travailler en collaboration avec le Conseil de l’Europe pour tenter de le résoudre, mais nous avons dû revoir nos plans en raison de l’évolution de la situation. Heureusement, on ne nous en a pas fait reproche. Nous devons informer l’opinion publique et la convaincre que les mécanismes que j’ai bloqués ne constituaient pas la bonne manière de résoudre les problèmes. Ceux-ci n’ont rien à voir avec la Constitution. Peut-être est-il encore trop tôt pour modifier le code civil et le code pénal, mais nous devons réduire le nombre d’articles relatifs à la peine de mort. Je pense que mes propositions peuvent constituer une bonne base de travail.

Le moment est peut-être mal choisi pour se pencher sur la question. La peine de mort est appliquée de manière illégale au Kosovo où, chaque jour, des milliers de personnes sont massacrées. 100 000 Kosovars de sexe masculin sont portés disparus. Personne ne sait s’ils sont toujours vivants. Peut-être parviendrons- nous un jour à connaître leur sort. Des procureurs du TPI travaillent en Albanie. De son côté, le Parquet albanais recueille des informations sur le génocide. Peut-être conviendrait-il de reporter le débat sur la question de la peine de mort, mais nous souhaitons coopérer avec le Conseil de l’Europe afin de mobiliser l’opinion publique contre la peine de mort. Nous n’avons procédé à aucune exécution depuis quatre ou cinq ans.

LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante, émanant de M. Zhebrovsky, porte sur l’Armée de libération du Kovoso.

M. ZHEBROVSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

observe que tous les mouvements de libération subsistent grâce au soutien qu’ils reçoivent de pays étrangers. Or, de l’argent, des armes et des spécialistes militaires ont transité par l’Albanie pour se rendre au Kosovo. L’Albanie a-t-elle consciemment violé la Résolution 1160 du Conseil de sécurité ou a-t- elle été incapable d’empêcher ce passage?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Je ne sais pas d’où vous tenez cette information. Quelques volontaires viennent de l’étranger. Peut-être ont-ils trouvé le moyen d’entrer au Kosovo par les montagnes, mais ils n’ont pas d’argent. D’ailleurs, ceux qui pénètrent au Kosovo avec de l’argent se le font voler par les Serbes. Ces derniers ont déjà pris beaucoup d’argent aux simples particuliers. Tous les Albanais obligés de quitter le pays se sont fait arrêter par l’armée ou la police serbe qui soit leur prenaient leur argent, soit les tuaient. Des milliers de cas de ce genre ont été rapportés. Personne ne peut entrer au Kosovo avec de l’argent. A cet égard, nous n’avons violé aucune convention.

Il s’agit en l’occurrence d’une réaction humaine. Par la télévision, nous avons appris que ces gens avaient tout perdu, leur famille et leurs biens. Plus de 400 villages ont été brûlés. Près de 50 000 personnes ont été tuées ou brûlées vives. Elles sont peut-être quelques centaines à se rendre au Kosovo. Toutes les frontières ont été minées; 200 mines ont même été posées sur le territoire albanais. En raison de leur extrême sensibilité, ces engins sont particulièrement dangereux, notamment pour les enfants.

La réalité est bien étrange. J’ai lu la déclaration de la douma et j’ai rencontré des parlementaires russes en Albanie. Je conçois que les avis soient partagés, mais cette déclaration ne parle ni de nettoyage ethnique, ni d’assassinats, ni de génocide, ni de déportation. Ce n’est pas normal. Les Albanais sont des êtres humains comme tous les autres habitants de la planète.

LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante, de M. Domljan, a trait au futur statut du Kosovo.

M. DOMLJAN (Croatie) (traduction)

Vous vous rappellerez certainement la visite qu’a effectuée en Albanie une délégation parlementaire croate. Nous avons été très impressionnés par ce que nous y avons vu et entendu. La question du Kosovo a été soulevée à plusieurs reprises. A la lumière des événements dramatiques dont le Kosovo est le théâtre depuis près d’un mois, pensez-vous que l’accord de Rambouillet puisse encore offrir une solution à long terme pour le Kosovo? Dans la négative, pensez-vous que l’Otan devrait y envoyer des forces terrestres, même sans l’accord des autorités serbes?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Il importe de respecter la nature géographique de l’accord. Nous ne devons pas permettre une partition du Kosovo qui serait très dangereuse pour la région. Nous vivons dans une région pluriethnique composée d’Etats pluriethniques. Nous ne devons pas reprendre le dogme de Milosevic selon lequel la citoyenneté se fonde sur l’appartenance ethnique. Nous devons rechercher une solution intérimaire qui inclue un protectorat international et laisser pour plus tard une éventuelle solution définitive. Il faut laisser à la nouvelle société pluriethnique et à la démocratie le temps de se mettre en place et de se développer. La notion d’Etat pluriethnique n’a rien d’étrange.

La condition première pour le retour des réfugiés est la présence d’une force internationale conduite par l’Otan, ou du moins à laquelle participerait l’Otan. Voilà, à mon sens, le principal instrument de la paix, de la stabilité et de la sécurité. Je ne connais pas les modalités de son déploiement, mais la présence d’une telle force est vitale. II faut faire en sorte que la minorité albanaise puisse rentrer chez elle. 11 faut mettre fin à la politique de nettoyage ethnique; dans l’intérêt des Balkans, de l’Europe et du monde entier.

M. BEHRENDT (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, les Albanais du Kosovo sont nombreux à défendre l’idée de l’indépendance de la province. Cette exigence est particulièrement forte dans les rangs de l’UCK. Partagez-vous le point de vue – qui constitue également l’un des fondements de l’accord de Rambouillet – selon lequel une modification des frontières risquerait de mettre gravement en danger la stabilité de la région? Pensez-vous qu’il faudra parvenir à une solution définitive qui tienne également compte des intérêts des Serbes dans ce sens que, après le retour de tous les réfugiés, le Kosovo devrait continuer de faire partie de la Fédération yougoslave, même en bénéficiant d’un degré élevé d’autonomie?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Je répondrai d’abord à la dernière partie de la question. En nous inspirant des principes de l’accord de Rambouillet, nous devons reconstruire, sous l’égide de la communauté internationale, une démocratie pluriethnique dans la région. La solution définitive pourrait être différente; il appartiendra à la population de décider de la formule à adopter. Elle pourra se prononcer en faveur d’un protectorat ou bien essayer de maintenir une sorte d’équilibre dans la région. Plus tard, on pourra réfléchir à la solution politique définitive qui, je le pense, se fondera sur la volonté de la population et le respect des conventions internationales. Je ne pense pas qu’on risque de voir se créer un nouvel Etat indépendant, mais plutôt une démocratie pluriethnique. Tel sera d’ailleurs également le cas plus tard en Serbie, laquelle, pour l’instant, est une dictature.

En ce qui concerne la première partie de la question, il faut voir dans l’UCK un élément positif, parce qu’elle est dans le même camp que l’Otan. Elle est composée d’hommes jeunes, puisque la moyenne d’âge y est de 22 ans. Nous n’entretenons pas de relations avec ses dirigeants qu’il est d’ailleurs impossible de contacter. Ce n’est pas que nous hésitions à leur apporter notre aide, mais il est impossible d’entrer en contact avec l’UCK parce que ses soldats combattent dans les montagnes et les forêts du Kosovo, donnant leur vie pour sauver celle des autres.

Nous entretenons des contacts avec le gouvernement provisoire formé conformément aux dispositions de l’accord de Rambouillet qui prévoyait la création d'une coalition gouvernementale associant Rugova, Qosja et l’UCK. Le Premier ministre est issu de cette dernière. Le gouvernement comporte donc trois tendances politiques. Il existe à l’heure actuelle une espèce d’organe exécutif ou représentatif qui n’est pas en mesure de remplir sa mission parce que la Ligue démocratique n’y est pas encore représentée. Cinq sièges sont vacants. Nous restons toutefois en contact avec certains de ses membres. Ce n’est pas chose facile parce qu’ils sont dispersés dans différentes régions du Kosovo où ils s’efforcent de défendre les intérêts des Albanais. Ils ont signé l’accord et décidé de former un nouvel organe exécutif.

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

J’aimerais soulever une question qui est rarement abordée. Abstraction faite du Kosovo, il existe une importante diaspora albanaise en Europe et dans le monde. Quelle est, à votre avis, la nature des relations qu’entretiennent ces personnes avec leur patrie et quel est leur point de vue sur le conflit actuel?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Nous restons en relation avec les Albanais de la diaspora. A l’occasion des brèves visites que je viens d’effectuer à Washington et à Paris, j’ai rencontré des groupes d’Albanais, avec lesquels j’ai travaillé et qui nous apportent un soutien moral et financier. D’autre part, nous souhaitons que ces communautés restent soudées et loin des influences partisanes, facteurs de division. A cet égard, j’ai noté une évolution positive. A Paris, j’ai rencontré d’éminents intellectuels. Les membres de la diaspora peuvent apporter à l’Albanie et au peuple albanais – y compris du Kosovo – un soutien non seulement financier, mais aussi moral.

M. SILAY (Turquie) (traduction)

La crise dans les Balkans fait apparaître une fois de plus la nécessité de renforcer la coopération économique dans la région. Un certain nombre d’initiatives et de programmes ont été lancés par des organisations régionales, dans le but d’intensifier la coopération dans l’Europe du Sud-Est. Quelles sont, à votre avis, les mesures à prendre pour renforcer la coopération économique entre les pays des Balkans, notamment à la lumière de la contribution qu’une telle coopération pourrait apporter à la paix et à la stabilité dans la région?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Un grand nombre d’initiatives régionales ont été mises sur pied dans les domaines économique et culturel, y compris dans la région de la mer Noire. Je puis me tromper, mais je pense que pour favoriser l’accroissement du rythme de développement des pays de notre région il faut en premier lieu – surtout à l’heure actuelle – juguler les nationalismes. Pour ce faire, nous avons besoin d’initiatives internationales en plus de celles que nous prenons à l’échelon régional. Nous avons besoin de projets menés sous l’égide d’organisations internationales, notamment européennes. Il faut intégrer rapidement cette partie de l’Europe dans l’Union européenne. Grâce au développement économique, les frontières perdront leur importance pour ne plus être que des repères géographiques. J’espère que l’on parviendra à résoudre les problèmes liés à la création de sociétés multiethniques. Nous nous efforçons de mettre sur pied des initiatives régionales, mais pour accélérer le rythme du développement économique, nous avons besoin d’une sorte de plan Marshall pour notre région. Nous avons besoin d’un programme européen ou international.

M. COX (Royaume-Uni) (traduction)

La commission des questions sociales, de la santé et de la famille attache un grand prix aux relations qu’elle a instaurées avec ses collègues d’Albanie. En janvier, notre Assemblée a tenu un débat sur la situation des enfants en Albanie. Quelles structures votre gouvernement a-t-il mis en place pour assurer la protection et le bien-être des enfants?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

Il est encore trop tôt pour vous donner une réponse définitive. Il existe plusieurs institutions, mais pas d’organisation centrale. Notre action a été davantage orientée vers les ONG et la société civile. Nous nous heurtons à un certain nombre de problèmes, notamment dans le cas des enfants qui ont quitté l’école en raison de la situation économique de leurs parents. Il reste beaucoup à faire, d’autant que, en Albanie, le système d’enseignement présente des lacunes non seulement dans les campagnes, mais aussi dans les villes.

Les problèmes sont de taille, mais des programmes tels que le nouveau programme américano-albanais ont été mis en place pour tenter de les résoudre. Par ailleurs, des ONG albanaises travaillent en,vue de trouver une solution. Toutefois, comme je viens de le dire, il reste beaucoup à faire, d’autant que, ces dernières années, le pays avait plutôt régressé.

M. POPOVSKI («l’ex-République yougoslave de Macédoine») (traduction)

Monsieur Mejdani, vous comprendrez certainement que je vous pose cette question puisque je suis originaire de Macédoine. La dénommée UCK a déclaré qu’elle combattait pour l’indépendance du Kosovo; de son côté, le Premier ministre albanais, M. Majko, disait, une semaine après le début des frappes de l’Otan, qu’il n’y avait pas lieu de craindre la création d’une grande Albanie. Souscrivez-vous à ce point de vue?

M. Mejdani, Président de l’Albanie (traduction)

La délégation albanaise a signé l’accord de Rambouillet qui ne prévoit pas l’indépendance du Kosovo. Il convient de préciser ici que cette délégation, conduite par un représentant de la branche politique de l’UCK, était pour un tiers composée de membres de l’Armée de libération. Tous les membres de la délégation ont signé l’accord qui, je le rappelle, ne demande ni l’indépendance du Kosovo ni un référendum. Vous avez omis de mentionner ce point, qui revêt une importance capitale. Les Albanais ont choisi la solution pacifique.

II n’est pas exact que le Premier ministre ait fait une telle déclaration; d’ailleurs l’idée même d’une grande Albanie n’a jamais effleuré la classe politique du pays. Cette idée n’a jamais fait l’objet d’aucun débat; elle est née dans les esprits malades de Belgrade.

Je me suis prononcé en faveur d’une solution intérimaire qui, je l’espère, débouchera sur la création d'un Etat véritablement pluriethnique qui pourra être directement intégré à l’Union européenne. C’est là quelque chose de totalement différent. Il faut ouvrir les yeux et regarder la réalité en face. L’argument selon lequel la présence d’Albanais en Macédoine risque de modifier l’équilibre ethnique de ce pays est fallacieux. Tout ce que nous voulons, c’est que les réfugiés puissent rentrer chez eux. Sinon la politique de purification ethnique aura vaincu.

Quant aux «couloirs de déportation», cette théorie, très négative, a déjà été avancée à plusieurs reprises, notamment – et je le déplore – par mon homologue macédonien il y a un an. De telles déclarations sont néfastes au bon développement de notre région, tout comme d’ailleurs le fait que vingt personnes aient trouvé la mort à proximité de vos frontières. Il n’y a lieu de craindre ni l’indépendance du Kosovo, ni la création d’une grande Albanie parce que la classe politique albanaise ne s’est jamais exprimée dans ce sens. Cette idée fait partie de la propagande de Belgrade.

La classe politique de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» devrait réfléchir à l’instauration d’un Etat des citoyens plutôt que d’un Etat-nation afin de clore définitivement cette période de chauvinisme qui a tant nui à notre région. Nous souhaitons coopérer avec le Gouvernement et le peuple macédoniens pour la stabilité de ce pays, pour notre région et pour notre avenir commun.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie beaucoup pour les réponses claires et précises que vous avez apportées aux questions des parlementaires.