Stjepan

Mesić

Président de la Croatie

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 28 septembre 2000

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux de cette occasion qui m’est donnée d’être votre hôte en qualité de Président de la République de Croatie et de prendre la parole à ce titre devant les parlementaires de la première organisation politique créée après les horreurs de la seconde guerre mondiale, dans le but de préserver et de promouvoir les libertés individuelles, la liberté politique et l’Etat de droit, les valeurs fondamentales de la démocratie véritable et le pluralisme politique. Aujourd’hui, cinquante et un ans après sa fondation, nous avons conscience que le Conseil de l’Europe est la plus européenne des organisations politiques de notre continent: les Etats européens en sont devenus membres dans leur quasi-totalité, s’engageant par là même à promouvoir et à diffuser nos valeurs communes. L’un des plus beaux exemples de la grandeur des travaux du Conseil de l’Europe est certainement celui de l’adoption de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, dont nous allons célébrer le cinquantième anniversaire en novembre.

Soyons francs et reconnaissons qu’en dépit de l’optimisme inhérent à la nature humaine rares étaient ceux qui pensaient que le Conseil de l’Europe connaîtrait une transformation aussi rapide, que cette institution de la guerre froide se muerait en forum de dialogue entre l’Est et l’Ouest, puis, avec le temps, en une organisation véritablement paneuropéenne. Nous sommes donc très près de réaliser le souhait de Sir Winston Churchill, ce grand homme d’Etat britannique qui, dès 1946, demandait publiquement pourquoi on ne pourrait concevoir un groupement européen capable d’inspirer un sentiment de patriotisme élargi et de citoyenneté commune aux peuples désorientés de ce continent turbulent et puissant, pourquoi il ne pourrait prendre la place qui lui revient de droit aux côtés d'autres groupements et contribuer à modeler les destinées futures des hommes.

L’ouverture, la générosité et la persévérance du Conseil de l’Europe devraient servir de modèle aux autres organisations politiques européennes. Je pense en particulier à l’Union européenne, où l’on est indubitablement conscient de la nécessité d’accueillir de nouveaux membres, mais où il existe aussi des courants opposés, pour des raisons économiques ou autres, à un élargissement s’étendant à certains Etats anciennement socialistes – de notre continent. Je suis convaincu que les solutions partielles, c’est-à-dire l’ouverture de l’Union européenne à certains pays seulement, constitueraient une injustice majeure pour les nations des marches de l’Europe occidentale qui ont déjà tant souffert. Je crois, en fait, que tous les Etats qui se sont sérieusement engagés dans la voie d’une véritable européanisation devraient avoir de réelles perspectives d’association avec l'Union européenne – une union politico-économico-défensive dans laquelle les petites nations auront leur place et pourront apporter leur contribution à la cause commune.

L’ouverture, la générosité et la persévérance du Conseil de l’Europe devraient servir de modèle aux autres organisations politiques européennes.

Au nombre des pays qui se sont sérieusement attachés à ce projet ambitieux, je peux sans hésitation aucune compter la Croatie, dont le cheminement vers une participation pleine et entière à la communauté internationale a été, on le sait, extrêmement ardu. La Croatie, qui était l’une des six républiques composant la République fédérative de Yougoslavie, a décidé de tourner le dos à l’idéologie communiste et à l’autogestion socialiste, et de transformer sa société sur le modèle des démocraties et des économies de marché européennes. Toutefois, les forces hégémoniques et nationalistes de Belgrade se sont opposées aux aspirations à la liberté de la Croatie, pour finir par recourir à l’agression armée. Dès cette époque, nous savions qu’elles n’avaient pas pour objectif le maintien de la Yougoslavie, mais la création d’une Grande Serbie ethniquement «propre» – projet insensé, barbare et, heureusement, avorté. La guerre imposée par l’Armée nationale yougoslave et les dirigeants de Belgrade, la perte temporaire d’un tiers du territoire national, le nettoyage ethnique massif, le déplorable conflit entre les Croates et les Bosniaques ainsi que la charge de centaine de milliers de réfugiés ont considérablement ralenti le rythme de l’évolution démocratique de la Croatie et entravé sa transformation économique. Ma dernière visite au Conseil de l’Europe en qualité de Président du Parlement croate, fin 1993, reflétait toute la complexité de la situation de ce pays à l’époque.

Au prix d’efforts considérables notre pays est néanmoins parvenu à sortir victorieux du conflit armé. Avec la restauration de l’intégrité territoriale – processus qui a pris sept ans! – les conditions d’une libéralisation de la société croate étaient enfin réunies. Malheureusement, l’ancien Gouvernement croate n’avait pas la force, et peut-être pas même la volonté, de pousser plus loin la démocratisation de la société et les réformes économiques dont la population croate appauvrie et terriblement éprouvée avait tant besoin. Les élections parlementaires et l’élection présidentielle de janvier et de février ont montré que les citoyens n’étaient pas disposés à suivre un chemin tourné vers le passé. Ils ont montré au contraire qu’ils regardent vers l’avenir et ont clairement exprimé leur volonté de voir rapidement mises en œuvre les réformes sociales et économiques urgentes, révélant ainsi le vaste potentiel démocratique du pays. Us ont montré qu’ils souhaitent une Croatie européenne, une Croatie où régnent la tolérance et les droits de l’homme, la prospérité et la croissance économique.

Je suis très fier de voir que les citoyens de mon pays sont prêts à relever le défi d’une transformation économique et sociale de grande ampleur. Malheureusement, la restructuration de l'économie se traduira, dans un premier temps, par de nombreux licenciements; plus tard, néanmoins, elle conduira sans aucun doute à la création de nouveaux emplois et à l’amélioration de l’environnement de travail. Le Gouvernement croate est parfaitement conscient de la gravité de cette tâche ingrate et impopulaire; il sait bien qu’une évolution démocratique constante et fructueuse du pays est la clé du développement d'une économie moderne et efficace. Seules les sociétés prospères, ou appelées à le devenir, peuvent offrir une assise solide au renforcement de l'ordre démocratique et de l’Etat de droit, ainsi qu’une barrière contre l’extrémisme politique.

A cet égard – cela va sans dire – la Croatie compte sur l’assistance étrangère. En effet, bien qu’elle ne souffre pas de privations, elle aura besoin des compétences et des capitaux de partenaires étrangers et d’organisations internationales pour transformer rapidement et efficacement son économie. Permettez-moi à cette occasion de souligner que la Croatie ne demande pas la charité ni de cadeaux, mais des investissements étrangers directs afin de mettre en valeur ses importantes ressources naturelles et économiques. Pour comprendre combien un tel soutien est important, il suffit d’observer les pays d’Europe occidentale qui, grâce à la reconstruction et à l’étroite imbrication de leurs économies, ont pu renforcer et, parfois, créer des systèmes politiques inspirés par les valeurs de la démocratie libérale. Il n’est donc pas étonnant que la Croatie attende beaucoup du nouveau programme CARDS de l’Union européenne ainsi que des mécanismes du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est, dans lesquels elle joue un rôle de plus en plus important. Nous sommes bien entendu reconnaissants à la Banque de développement social du Conseil de l’Europe d’avoir approuvé des prêts destinés à remettre en état l’infrastructure sociale dans les zones touchées par la guerre et à favoriser le retour des personnes qui avaient été contraintes de quitter leurs foyers. Nous espérons également qu’elle jouera, comme dans d’autres pays, un rôle important dans le développement des petites et moyennes entreprises, contribuant ainsi à résoudre le problème du chômage.

Les réformes entreprises par le nouveau Gouvernement croate ne se limitent cependant pas à l’économie. Les citoyens de la Croatie espèrent aussi une transformation sociale. En effet, ils ont montré qu’ils voulaient vivre dans une communauté dont l’identité est principalement fondée sur la volonté de ses membres de partager le même destin. La nouvelle Croatie, sûre d’elle et triomphante, ne craint pas le retour des citoyens croates de souche serbe qui ont quitté le pays s’ils désirent sincèrement s’intégrer à la société croate et partager le destin de leurs compatriotes, c’est-à-dire s’ils considèrent véritablement la Croatie comme leur mère patrie. De toute évidence, la transformation de notre société ne va pas sans douleur, elle se heurte à la résistance de certains groupes de la population croate. Actuellement, cette résistance se manifeste de manière criante à l’occasion du réexamen de certains événements liés à la «guerre patriotique», l’un des éléments fondateurs de l’identité de la République de Croatie. Toutefois, une Croatie tournée vers l’Europe doit avoir suffisamment de force et de maturité, et faire face aux éventuels aspects négatifs de notre lutte positive pour la liberté et l’indépendance. Il appartient bien entendu à la justice croate d’enquêter sur les crimes qui ont pu être commis et, s’ils sont avérés, de sanctionner les coupables. Toute autre ligne de conduite serait contraire au principe de la prééminence du droit et éloignerait la Croatie de la famille européenne incarnée au premier chef dans le Conseil de l’Europe.

Les changements qui se sont produits en Croatie ne concernent pas seulement la politique intérieure. Les résultats les plus spectaculaires dont la nouvelle Croatie peut s'enorgueillir ont été obtenus dans le domaine de la politique étrangère. Conformément au principe de la prééminence du droit, nous avons établi une coopération étendue avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Nous avons largement révisé notre politique à l’égard de la Bosnie-Herzégovine voisine et nous respectons pleinement sa souveraineté et son intégrité territoriale, ce qui suppose un financement transparent des institutions des Croates de Bosnie-Herzégovine. Nous facilitons le retour de tous les réfugiés, sans discrimination – le retour des Croates et des Bosniaques en Bosnie-Herzégovine, comme le retour des Serbes de Croatie dans les foyers qu’ils avaient abandonnés par suite de la défaite de la politique impérialiste de Milosevic. Nous avons commencé à jouer un rôle actif et constructif dans le Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est en mettant à profit ses mécanismes pour financer le retour des réfugiés et la reconstruction des zones dévastées par la guerre. Enfin, il convient de mentionner nos relations véritablement exemplaires avec nos trois voisins du nord-est, l’Italie, la Slovénie et la Hongrie, avec lesquels nous coopérons depuis peu dans le cadre d’une «quadrilatérale». Le régime frontalier, qui permet aux citoyens des quatre pays de passer de l’un à l’autre en présentant simplement leur carte d’identité à la frontière, de même que les accords, salués par la communauté internationale, sur la protection mutuelle des droits des minorités que la Croatie a conclus avec l’Italie et la Hongrie illustrent bien les liens étroits de collaboration et de confiance mutuelle qui nous unissent.

A l’instar de la communauté internationale dans son ensemble, la Croatie suit de très près l’actualité politique dans le pays voisin, la République fédérale de Yougoslavie. Nous aimerions la voir abandonner dès que possible le chemin du nationalisme et de l’isolement et monter dans le train de la démocratie véritable et de la tolérance, afin que nous puissions établir de bonnes relations de voisinage et contribuer, ce faisant, à la stabilisation de la région. Nous attendons de la part d’une République fédérale de Yougoslavie «démocratisée» une attitude constructive dans le règlement du problème de la succession dans l'ex-Fédération yougoslave, c’est-à- dire le respect du principe selon lequel tous les Etats successeurs ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Cela signifie, bien sûr, que la République fédérale de Yougoslavie ne saurait hériter d’office de la place de l’ex-Fédération yougoslave aux Nations Unies et au sein d’autres organisations internationales, et qu’il lui faut se soumettre aux mêmes procédures d’admission que celles s’appliquant aux autres Etats successeurs.

La nouvelle orientation de la politique étrangère de la Croatie a reçu l’approbation de la communauté internationale, qui n’a guère tardé à récompenser les efforts du Gouvernement croate. Fin mai, à la réunion ministérielle des membres du Conseil de l’Atlantique Nord à Florence, la Croatie a été admise au sein du Partenariat pour la paix, l’antichambre de la principale alliance de défense de nos jours. Quelques semaines plus tard, le Conseil ministériel de l’Union européenne a accepté l’étude de faisabilité concernant les négociations de l’Accord sur la stabilisation et l’association entre la Croatie et l’Union européenne, qui seront engagées en novembre. En juillet, la Croatie a signé le Protocole d’admission à l’Organisation mondiale du commerce, devenant ainsi membre d’une organisation qui traite quasiment 90 % du commerce mondial.

Le dernier acquis en date est la décision de votre Assemblée, adoptée il y a deux jours, de mettre un ternie au processus de monitoring en Croatie. Permettez-moi de saisir cette occasion pour remercier les rapporteurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mme Maria Stoyanova et M. Jerzy Jaskiemia, de s’être employés à élaborer un rapport équilibré et circonstancié qui souligne les progrès continus dans l’instauration et le développement de la démocratie et de l’Etat de droit, sans omettre les problèmes encore en suspens. Il va sans dire que l’activité fructueuse de ces deux rapporteurs a été facilitée par l’engagement de leurs prédécesseurs, Mme Hanna Suchocka et MM. Jansson et Figel.

Pour la Croatie, la fin du monitoring de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe signifie qu’elle a réussi un nouvel examen de maturité, ce qui ne veut pas dire pour autant que nous cesserons de renforcer le régime démocratique et l’Etat de droit. Au contraire, nos manches resteront retroussées pour répondre dans les meilleurs délais aux obligations restantes et pour aligner notre législation sur les normes européennes. Dans les efforts que nous allons déployer, nous comptons, comme nous l’avons toujours fait jusqu’ici, sur l’aide précieuse des experts du Conseil de l’Europe. A ce propos, permettez-moi de vous signaler que la Croatie a récemment promulgué deux lois sur les minorités nationales et qu’elle en élabore une troisième qui, comme les deux précédentes, a été transmise à la Commission de Venise pour avis. Tout cela prouve que la Croatie considère la communauté internationale comme un partenaire véritable.

La relation avec les minorités nationales est assurément l’une des illustrations les plus éloquentes de notre volonté d’instaurer la démocratie, la tolérance et des relations de bon voisinage. Les minorités nationales doivent être un précieux élément de promotion de la coopération internationale, elles ne sauraient être un prétexte pour revendiquer des territoires d’autres Etats. Les faits tragiques dont nous avons été récemment les témoins dans l’ex-Yougoslavie n’illustrent-t-ils pas de manière flagrante l’incidence funeste d’une telle conception?

La communauté internationale et l’opinion publique ont découvert, si je puis m’exprimer ainsi, une nouvelle Croatie qui, en dépit de difficultés bien compréhensibles, continue à se frayer son chemin vers un avenir meilleur. Tous nos amis, et les autres sceptiques bienveillants, peuvent être assurés que notre formidable volonté de réforme ne faiblit pas le moins du monde. La Croatie demeure non seulement déterminée dans la mise en œuvre de sa propre transformation démocratique et économique, mais aussi résolue à exercer son influence sur la transformation démocratique de la région qui, hélas!, a souffert depuis trop longtemps de la violence, des conflits, de l’intolérance et de la régression économique.

Chers amis, membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, il n’est pas nécessaire, me semble-t-il, de souligner que la Croatie continue de compter sur votre aide afin que nous puissions œuvrer ensemble à l'accélération du processus de stabilisation et d’européanisation de cette Europe du Sud-Est qui souffre depuis si longtemps, et faire nôtre ainsi la noble et généreuse pensée du philosophe français Montesquieu: «Si je savais une chose utile à ma patrie, mais nuisible pour l’Europe, ou utile à l’Europe et nuisible pour le genre humain, je la regarderais comme un crime.»

Je vous remercie de votre attention.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur Mesic, pour ce discours pondéré et éclairé qui reflétait la foi de la Croatie dans la démocratie. Comme je l’indiquais tout à l’heure, vous avez aimablement accepté de répondre aux questions des parlementaires. Seize questions ont été déposées; celles portant sur un thème voisin ont été regroupées et feront l’objet d’une réponse Commune. Je ne pourrai malheureusement pas autoriser de questions supplémentaires faute de temps.

La parole est à M. Hegyi, du Groupe socialiste, pour poser la première question, qui porte sur la Charte sociale européenne.

M. HEGYI (Hongrie) (traduction)

Monsieur le Président, votre pays a déjà accompli des progrès considérables dans plusieurs domaines. J’ai parfaitement conscience des difficultés auxquelles vous êtes confronté, mais en tant que vice-président de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, j’aimerais savoir quand la Croatie sera prête à ratifier la Charte sociale européenne.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

ne peut donner de date précise. Cette ratification interviendra très bientôt, mais la Croatie doit modifier au préalable sa législation.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Les quatre questions suivantes, émanant respectivement de Mme Stoyanova de Bulgarie – que d’ailleurs vous connaissez –, de M. Eôrsi de Hongrie, de Mme Durrieu, chef de la délégation française, et de M. Besostri d’Italie, portent sur les relations de la Croatie avec ses voisins.

La parole est à Mme Stoyanova, du Groupe du parti populaire européen.

Mme STOYANOVA (Bulgarie) (traduction)

En tant que Bulgare, je suis fière de constater que le rapport de la commission de suivi propose de mettre fin à la procédure de suivi engagée au titre de la Croatie. Il y a deux jours, l’Assemblée a salué les progrès considérables accomplis par votre pays. J’aimerais savoir comment vous envisagez les relations futures avec la Bulgarie à la lumière des occasions offertes par le Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est.

M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)

Je tiens à féliciter le peuple croate pour les formidables progrès accomplis. J'aimerais savoir comment vous envisagez de renforcer votre coopération avec vos voisins, notamment avec la Hongrie.

Mme DURRIEU (France)

Je salue la nouvelle Croatie déterminée. Je pense que nous n'allons pas tarder à parler de «l’exemple croate».

Monsieur le Président, quel est l’état de la coopération économique, politique et culturelle entre la Croatie et les Etats voisins? Dans quelle mesure cette coopération pourrait-elle contribuer à désamorcer les surenchères nationalistes, voire à créer une identité nationale qui précéderait l’intégration européenne?

M. BESOSTRI (Italie) (traduction)

Monsieur le Président Mesic, vous avez rappelé dans votre discours les effets positifs de l’initiative quadrangulaire conjointe de la Slovénie, de la Croatie, de la Hongrie et de l’Italie. Cette initiative s’est élargie dans le cadre de l’initiative centre-européenne. Tous ces pays appartiennent également au Conseil de l’Europe. Comment faut-il, selon vous, approfondir une collaboration entre ces pays? L'intérêt de l’Italie est évident parce que, à partir de janvier prochain, elle occupera la présidence de cette organisation.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

dit que les relations politiques avec la Bulgarie sont excellentes, mais que les relations économiques peuvent être encore approfondies; c’est pourquoi il se rend dans quelques jours à Sofia avec une délégation d’industriels. Les relations avec la Hongrie sont également excellentes, notamment en ce qui concerne les minorités ethniques. L’importante communauté hongroise de Croatie est représentée au parlement: des minorités ethniques peuvent servir de pont et favoriser la coopération. La Hongrie a d’ailleurs accueilli très généreusement de nombreux réfugiés croates. Quant à la coopération économique, elle est aussi de très bonne qualité – vient de s’achever la construction d’une autoroute vers la Hongrie qui doit être prolongée jusqu’à Budapest, et l’on modernise les voies de chemin de fer.

Les problèmes nés de la guerre avec la Bosnie- Herzégovine font l’objet d’un règlement bilatéral. La Croatie a Clairement dit qu’elle respectait l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine et les négociations se déroulent normalement. Il est important de respecter les Accords de Dayton concernant le retour des réfugiés et de financer comme prévu la reconstruction, sans revenir sans cesse sur le passé. Avec le Monténégro des discussions ont été ouvertes au niveau gouvernemental et la Croatie se félicite des progrès de la démocratie dans ce pays. Le Président monténégrin est venu en Croatie et a exprimé ses regrets pour les exactions de l’armée à Srebrenica. Il s’est engagé à ce que tous les coupables soient punis. En ce qui concerne la question capitale de la sécurité, il existe un projet de retrait des troupes des deux côtés de la frontière.

M. GOULET (France)

Membre de la commission de l’agriculture, j’ai eu l’avantage de me rendre en Croatie; de surcroît, j’ai conduit une mission d’observateurs, ce qui m’a permis de constater que, au-delà des atouts dont bénéficiait la Croatie, elle subissait un handicap majeur: celui des mines antipersonnel.

Monsieur le Président, où en êtes-vous dans votre pays quant à la destruction de ces mines? Je suis d’autant plus intéressé par votre réponse que je suis rapporteur, au Sénat français, du projet de loi sur la Convention d’Ottawa en matière de destruction de mines antipersonnel.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

répond que son pays s’est attaqué au problème, mais que le nombre de ces mines est tel que les ressources financières manquent. La Croatie espère donc obtenir une aide internationale. Les Etats-Unis ont déjà pris l’initiative d’accorder un dollar supplémentaire pour tout dollar dépensé au déminage. Fort heureusement, d’autre part, les régions touristiques ont été épargnées.

Mme SQUARCIALUPI (Italie) (traduction)

Je remercie le président de la Croatie, parce qu’il a déjà répondu en partie à certaines questions que je voulais lui poser.

Je suis née dans une ville italienne ensuite devenue croate, et c’est pour cette raison que les problèmes des minorités me tiennent à cœur.

Je voudrais demander en particulier au Président Mesic quelles suites a eues la loi qui a été votée par le Parlement croate sur le bilinguisme au niveau régional et sur la défense des écoles des minorités ethniques.

Je voudrais poser une autre question au Président Mesic, qui porte sur le droit de propriété des immeubles appartenant à des citoyens italiens qui ont ensuite quitté cette région. Je ne cache pas qu’il s’agit d’un problème délicat dont les solutions sont, elles aussi, difficiles.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

dit que la législation sur les minorités ethniques autorise le bilinguisme, qu'un accord est intervenu avec l’Italie et que la minorité italienne peut parler sa langue dans les régions où elle est concentrée – elle dispose en outre d’écoles, financées en partie par le Gouvernement italien. La philosophie des autorités croates les amène à considérer les communautés ethniques comme des groupes vulnérables par définition, et donc justiciables d’une discrimination positive.

M. GJELLEROD (Danemark) (traduction)

Le Conseil de l’Europe a toujours attaché une grande importance à la question de la liberté de la presse, tout particulièrement lors de la procédure de suivi du respect par les Etats membres des engagements et obligations liés à l’appartenance à l’Organisation. Les rapports établis ces dernières années au titre de la Croatie faisaient état d’un certain nombre de problèmes à cet égard. Mais aujourd’hui, la situation a évolué. J’ai toutefois été étonné d'apprendre qu’il y a eu, récemment, des difficultés en ce qui concerne la distribution de certains journaux. J'aimerais quelques précisions sur ce point. Merci.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

dit que la presse n’est soumise à aucun contrôle. La seule difficulté réside plutôt dans une autocensure des journalistes, vraisemblablement héritage du passé. Il faudrait parvenir à l’exercice d’une pleine liberté, dans l’intérêt de la société. S’agissant de la diffusion des journaux, le monopole va être supprimé en vue d’une privatisation du secteur.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Mesic. Les deux questions suivantes portent sur la Commission de Venise. La parole est à M. Gross.

M. GROSS (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président, ma question a trait à la coopération avec la Commission de Venise, que vous avez d’ailleurs déjà évoquée dans votre allocution. Peut-être pourriez-vous apporter quelques précisions supplémentaires sur ce point. Etes-vous optimiste pour ce qui est de la coopération avec la Commission de Venise ou pensez-vous, au contraire, qu’il existe des obstacles, notamment au sein de la population ou du parlement?

M. JASKIERNA (Pologne) (traduction)

Je vous remercie de tout cœur pour les propos aimables que vous avez tenus à mon égard, en tant que corapporteur de la commission de suivi. J’ai été particulièrement fier de voir que l’Assemblée avait approuvé ce rapport à l'unanimité, mais, comme vous le savez, il subsiste encore certains problèmes juridiques et constitutionnels, notamment en ce qui concerne les minorités nationales.

La Commission de Venise a émis trois avis importants. J’aimerais savoir comment vous voyez le renforcement de la coopération entre la commission de suivi et la Commission de Venise, et dans quelle mesure le Gouvernement de la Croatie entend tenir compte de l’avis de cette dernière.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

répond que la Croatie a bien l’intention de poursuivre cette coopération, qui a été constamment excellente, jusqu’à ce que tous les problèmes soient réglés. Son conseiller pour la politique étrangère est d’ailleurs membre de la commission. L’aide reçue pour la mise en place de la Cour constitutionnelle a été la bienvenue.

En ce qui concerne les minorités, la ratification d’un accord est proche cependant que les dispositions relatives aux langues et à l’éducation sont entrées en application. Toutes les propositions de la commission seront mises en œuvre dans un esprit constructif.

M. BARSONY (Hongrie) (traduction)

J’aimerais avant tout rendre hommage à la Croatie pour tout ce qu’elle a accompli au cours de ces derniers mois. Ensuite, pensez-vous que le pays remplit entièrement ses obligations envers les réfugiés? Reçoit-elle, à votre avis, un soutien approprié et satisfaisant de la part de la communauté internationale?

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

dit que le Gouvernement croate entend que toutes les personnes déplacées, tous les réfugiés puissent regagner leur foyer. Cela vaut notamment pour la communauté serbe car son retour marquera un rétablissement effectif de la démocratie. Toutes les mesures sont prises pour remettre en état les logements, sans discrimination aucune, mais il faut aussi relancer l’économie pour créer des emplois. Pour cela, la Croatie a besoin d’assistance et d'investissements étrangers.

M. MOTA AMARAL (Portugal) (traduction)

Lors d’une visite que j’ai effectuée récemment dans votre pays, j’ai pu constater les progrès accomplis sous votre gouvernement en matière de démocratie. J’en ai d’ailleurs fait état au sein de la commission de suivi.

J’aimerais avoir votre avis sur le rôle de la Kfor à la lumière de l'évolution récente de la situation au Kosovo. Pensez-vous que le nouveau pouvoir de Belgrade accordera à cette province pluriethnique une autonomie plus marquée?

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

rappelle que le conflit de l’ex-Yougoslavie a commencé au Kosovo lorsque M. Milosevic a supprimé l’autonomie de ce territoire et renversé ses dirigeants. Il commençait ainsi à mettre en pratique son plan de guerre. Le conflit en Slovénie fut bref, ceux de Bosnie-Herzégovine et de Croatie brutaux. Puis vint la tentative de génocide au Kosovo: les Albanais furent chassés de leurs maisons pour être remplacés par des Serbes, dans le cadre d’un projet de Grande Serbie ethniquement «pure». La communauté internationale est heureusement intervenue et il faut maintenant recréer une communauté viable. Une fois que la Serbie sera redevenue un pays démocratique, il appartiendra à ses citoyens et aux Kosovars de définir eux-mêmes leurs relations. Malheureusement, les crimes commis ont suscité une haine qui engendre à son tour de nouveaux crimes. Il faut que chacun s’efforce de tirer les leçons de cette histoire en vue de recréer un Kosovo démocratique.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vois que M. Lâchât et Mme Vermot-Mangold sont absents. La parole est donc à Mme Zapfl-Helbling.

Mme ZAPFL-HELBLING (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président, j’ai, moi aussi, été très impressionnée par les formidables progrès accomplis par la société croate au cours de ces dernières années. Grâce aux dernières élections, votre parti s’est vu donner la chance d'amener la Croatie vers un nouvel avenir. J’aimerais savoir si et dans quelle mesure vous comptez faire participer l'opposition aux nouvelles structures démocratiques. A en croire les médias, certaines personnes d’expérience auraient été licenciées en raison de leur appartenance politique. La nouvelle est inquiétante parce qu’elle rappelle quelque peu l’époque communiste. J’aimerais savoir si elle correspond à la réalité.

M. Mesić, Président de la Croatie (interprétation)

répond que, tout normalement, la nouvelle majorité va occuper les postes politiques. Quant aux autres, ils seront pourvus sans aucune discrimination. Cependant, il faut savoir que beaucoup de postes avaient été donnés à des personnes agréées par le parti: seule la carte comptait, non la compétence. Désormais celle-ci est le seul critère, de sorte que certains ont dû renoncer à leurs fonctions. Il n’est pas pour autant question d'organiser un recrutement politique des fonctionnaires. Ce serait d’ailleurs bien difficile, la coalition victorieuse regroupant six partis.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur le Président.

Nous sommes arrivés au terme de notre dialogue avec M. Mesic. Monsieur le Président, nous vous remercions pour vos réponses marquées au sceau de la clarté et de la franchise – qui est assurément le vôtre.