Zoran

Milanović

Premier ministre de Croatie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 27 juin 2012

Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, Excellences, Mesdames et Messieurs, c’est un grand plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui dans cette institution européenne historique qui réunit les parlementaires de toutes les parties de l’Europe.

Les pères fondateurs du Conseil de l’Europe voulaient faire de cette enceinte un parlement de l’Europe. En 1949, leur rêve semblait bien idéaliste dans une Europe divisée, pas encore guérie des blessures de la guerre mais, sans leurs idées et leur dynamisme, nous ne serions pas parvenus à surmonter tous les défis et les dangers.

Strasbourg n’est pas seulement le siège des institutions européennes, c’est aussi et surtout le symbole qui montre comment une histoire difficile et des querelles anciennes peuvent être surmontées dans une Europe unie. Cette ville remarquable a été une source d’inspiration de la Croatie depuis que ce pays est devenu un Etat et s’est engagé dans le processus d’adhésion aux organisations internationales. L’idée européenne et l’engagement de respecter les normes et les valeurs de l’Europe, voilà ce qui nous a guidés sur notre voie vers l’adhésion au Conseil de l’Europe.

En venant ici, je me suis souvenu qu’avant l’adhésion de la Croatie au Conseil de l’Europe, Lujo Toncic‑Sorinj, homme politique autrichien et croate, a été Secrétaire Général de votre Organisation. Je suis persuadé qu’européen profondément convaincu, il aurait beaucoup apprécié le fait qu’un jour le pays de ses ancêtres, la Croatie, occupe une place dans cette grande instance paneuropéenne.

Mesdames et Messieurs, je m’adresse à vous en tant que Premier ministre du gouvernement de la République de Croatie, arrivé au pouvoir en décembre de l’an dernier après les élections législatives. Permettez‑moi de rappeler que mon gouvernement épouse toutes les idées qu’incarne le Conseil de l’Europe: le multilatéralisme au cœur de notre politique étrangère; un Etat fondé sur la protection des droits de l’homme, des droits civils et des droits des minorités, un système judiciaire indépendant; l’égalité entre les femmes et les hommes; la tolérance et la non‑discrimination; la solidarité et la lutte contre la corruption.

Le président de la Croatie, Ivo Josipović, s’est adressé à vous il y a deux ans pour vous décrire le processus de transformation de la Croatie et la consolidation de sa démocratie et je peux, avec fierté, dire aujourd’hui qu’au cours des deux dernières années, la Croatie a poursuivi son chemin vers plus de démocratie et a rempli toutes les préconditions pour atteindre notre grand objectif national: l’appartenance européenne.

Nous avons poursuivi les négociations avec l’Union européenne, coopéré avec les pays voisins et renforcé notre contribution à la préservation de la paix et de la sécurité sur le plan international. Le gouvernement croate veut créer un Etat stable et prospère, mettant l’accent sur sa responsabilité à l’égard des citoyens. Nous voulons une société qui se fonde sur les principes de la justice sociale et de la solidarité, ainsi que sur le respect des minorités, quelles que soient leur ethnie, leur sexe, leurs croyances ou leurs modes de vie.

Le nouveau gouvernement a fait des progrès dans la prévention de la corruption, la lutte contre le crime organisé, la réforme du système judiciaire, la poursuite des crimes de guerre devant les tribunaux et la coopération avec le tribunal pénal international à la Haye.

Toutes ces questions ont été suivies de près par l’Union européenne et le gouvernement est en contact étroit avec nos partenaires européen mais également avec la société civile en Croatie. A cet égard, je saisi l’occasion pour demander aux parlementaires des Etats membres de l’Union européenne qui n’ont pas encore ratifié notre traité d’adhésion à l’Union européenne d’agir auprès de leur gouvernement et de collègues des parlements nationaux de permettre à la Croatie de devenir prochainement le 28ème membre de l’Union européenne le 1er janvier 2013, comme envisagé par le traité.

Nous nous préparons à adhérer à l’Union européenne tout en restant réalistes et conscients des défis que celle‑ci a à surmonter: crise économique et financière, recrudescence du populisme et de l’extrémisme parmi certains des partis politiques européens. Je me félicite d’ailleurs du fait que vous ayez inscrit à votre ordre du jour un débat sur l’impact de la crise économique et financière sur nos sociétés et démocraties. Voilà qui prouve que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a pleinement conscience des responsabilités considérables qui lui sont confiées par les citoyens européens.

La principale tâche du gouvernement croate est de créer un Etat stable et prospère, et responsable devant ses citoyens. Je participe aux discussions avec le Conseil européen et, demain, nous discuterons de l’avenir que nous voulons pour l’Europe en tant que notre «maison commune».

C’est sur ce socle aussi qu’a été édifiée votre Organisation, ce qui lui confère toute son importance et sa crédibilité. Nous l’avons vu il y a quelques jours encore, lorsque le Conseil de l’Europe et les membres de l’Assemblée parlementaire ont joué un rôle décisif pour nous aider à progresser sur la voie de l’Europe et vers la stabilité de notre continent. C’est ce qui importe à nos yeux. Nous voulons être à la hauteur des normes du Conseil de l’Europe. Le concept des droits de l’homme a peut‑être été inventé ailleurs, mais il n’existe pas d’autre organisation qui ait développé une structure aussi complète pour protéger les droits de l’homme.

Excellences, Mesdames et Messieurs, l’an dernier, la Croatie a fêté ses quinze ans d’appartenance au Conseil de l’Europe. Nous avons franchi un long chemin à partir d’un passé dramatique et nous pouvons dire aujourd’hui que nous sommes un membre fiable de la communauté des nations européennes. Avec l’aide que nous a apporté notamment le Conseil de l’Europe, nous avons pu effectuer un triple processus de transition: la transition du communisme à la démocratie multipartite, la transition d’une société de conflit vers une société post‑conflit, puis la transition d’une économie dirigée vers une économie libre, qui devient de plus en plus compétitive sur la scène européenne.

Cette triple transition s’est accompagnée de changements multiples au sein de notre société et s’est effectuée sur une période très brève. Les pays qui ont connu un passé similaire ont certainement conscience de l’importance de cette triple transition. Nous avons, pour notre part, pu bénéficier de notre appartenance au Conseil de l’Europe pour la réussir. Cela nous a permis d’être à la pointe de la mutation dans toute la région. Je suis convaincu que notre partenaire et allié de l’Europe du Sud‑Est, l’Albanie, réussira également dans son entreprise. Cela donnera à la région la chance de déployer son plein potentiel. Je me félicite en particulier de l’accent que veut mettre la présidence albanaise sur la diversité et la promotion du dialogue interculturel.

Sans une coopération bilatérale et régionale incluant la coopération politique mais également de la justice, des affaires intérieures, la défense, le commerce, l’énergie et les transports, il n’est pas possible de développer une véritable coopération régionale. L’héritage troublé du conflit de 1990 doit nous conduire à nous engager entre leaders régionaux pour travailler ensemble et créer les conditions d’un avenir meilleur pour nous tous.

Je voudrais ici mentionner la question des réfugiés et personnes déplacées qui a été discutée lors d’une conférence régionale récemment à Sarajevo. Les pays concernés – Bosnie‑Herzégovine, Croatie, Monténégro et Serbie – ont fait des efforts sincères, avec l’assistance financière de la communauté internationale, pour trouver des solutions durables à cette situation qui dure depuis trop longtemps. Voilà qui est une preuve de la maturité de ces différents pays, qui ont bien compris leurs responsabilités.

Mesdames et Messieurs, j’aimerais vous présenter le point de vue de la Croatie sur les tendances et les défis du Conseil de l’Europe.

Nous sommes très favorables au processus de réforme lancé par le Secrétaire Général pour transformer cette Organisation en quelque chose de plus pertinent, plus efficace et plus visible, comme il l’a dit lui‑même. Nous estimons que dans la nouvelle architecture européenne, le Conseil de l’Europe doit se concentrer sur des domaines dans lesquels il a prouvé son excellence.

À cet égard, nous le félicitons d'articuler davantage ses activités et ressources financières autour des trois piliers fondamentaux – droits de l’homme, prééminence du droit et démocratie – qui représentent le cœur de ses activités.

Garantir l’efficacité à long terme de la Cour européenne des droits de l’homme est un autre défi important, qui exige un engagement sans faille et le soutien de tous les pays membres du Conseil de l’Europe pour préserver le rôle central de la Cour et son caractère unique parmi les mécanismes de protection des droits de l’homme dans le monde.

La Croatie a toujours soutenu la Cour et le mécanisme de la Convention. Le droit de requête individuel représente selon nous un élément central du dispositif, qu’il est fondamental de préserver pour garantir l’accès de toute personne à la Cour. Nous sommes fermement convaincus que l’important héritage du système de Strasbourg se retrouve dans l’impact direct qu’il possède en matière de promotion et de protection des droits de chacun en Europe.

L’adoption de la Déclaration de Brighton et sa mise en œuvre dynamique dans les mois à venir permettront de donner une nouvelle impulsion pour une application efficace de la Convention européenne des droits de l’homme et pour une indispensable réforme de la Cour. Grâce à nos efforts communs, nous assurerons ainsi la pérennité de ce système unique de protection des droits de l’homme.

En tant que membre du Conseil de l’Europe et futur membre de l’Union européenne, la Croatie est favorable à l’adhésion de l’Union européenne en tant que telle à la Convention européenne des droits de l’homme, qui serait tout à fait en cohérence avec le mécanisme de protection des droits de l’homme de Strasbourg. Cela comblerait également certaines lacunes dans ce système de protection.

La Croatie a ratifié tous les grands traités en matière de protection des droits de l’homme. Elle s’est souvent inspirée des travaux du Conseil de l’Europe dans ce domaine et soutient fermement les efforts actuels de l’Organisation pour perfectionner le système paneuropéen des droits de l’homme et garantir une plus grande acceptation des normes fixées par ces instruments, y compris dans les Etats de notre continent qui n’appartiennent pas encore au Conseil de l’Europe.

Garantir la protection des droits de l’homme partout en Europe représente l’un des grands objectifs du Conseil de l’Europe, qui est une véritable organisation paneuropéenne. La mission centrale de notre Organisation – promouvoir ces valeurs centrales sur l’ensemble du continent européen – ne peut être accomplie si les Etats non membres sont laissés à l’écart. Voilà pourquoi la Croatie a appuyé la Résolution 1739 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Ce texte pragmatique vise à promouvoir des contacts directs et suivis entre le personnel du Conseil de l’Europe et les autorités du Kosovo, à tous les niveaux, autour de projets de coopération ciblés et concrets. Cela permettra de renforcer la démocratie, la protection des droits de l’homme et la prééminence du droit au Kosovo, ce qui constituera une contribution importante à la paix et à la stabilité démocratique de l’Europe du Sud‑Est.

La Croatie suit avec beaucoup d’intérêt et un engagement actif les travaux du Conseil de l’Europe dans cette région. Nous reconnaissons ainsi le rôle clé qu’il joue dans le processus de consolidation de la démocratie. Nous soutenons les programmes d’assistance du Conseil et l’encourageons à apporter son savoir‑faire aux parties de cette région qui en ont le plus besoin.

À cet égard, des développements positifs sont intervenus depuis dix ans. Je pense notamment à la bonne volonté, réelle aujourd’hui, pour ce qui est de résoudre les problèmes pacifiquement, dans un esprit authentiquement européen. Grâce à un arbitrage, la Croatie et la Slovénie ont ainsi conclu un accord en 2010 pour résoudre un vieux conflit transfrontalier.

En dépit de cela, force est de reconnaître que des signes inquiétants dans la région montrent que certains pays, ainsi que leurs leaders, n’ont pas fait d’efforts sérieux pour se confronter à leur passé. Toutefois, la dynamique de la région ne doit pas être compromise. Les pays et les peuples de l’Europe du Sud‑Est ont aujourd’hui confiance les uns envers les autres et veulent la réconciliation. Il convient de les encourager à aller dans cette direction pour préserver la sécurité et la prospérité de la région et, au‑delà, de l’Europe toute entière. Le Conseil européen décidera demain d’ouvrir des négociations en vue de l’adhésion du Monténégro. C’est un autre signe positif.

Le projet politique de l’«aimant» européen, comme l’appelait Konrad Adenauer, qui était d’abord fondé sur la paix, dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, conserve, aujourd’hui encore, toute sa pertinence. Je voudrais souligner à cet égard que l’une des principales réussites du projet d’intégration européenne, qui la distingue d’autres unions politiques ayant existé dans le passé, est d’avoir permis de réduire les différences de niveau de développement et de bien‑être entre les différentes régions qui la constituent.

Contrairement à ce qui s’est passé par exemple dans l’ex‑Yougoslavie, où les différences entre les régions les plus riches et les plus pauvres sont restées les mêmes pendant 70 ans, l’Union européenne a réussi à assurer une vraie cohérence politique pour rapprocher davantage les pays et les régions les moins développés de la moyenne européenne.

Dès lors, nous sommes tout à fait convaincus qu’elle constitue le cadre le plus adéquat pour le développement des pays de notre région. La Croatie a toujours voulu apporter sa contribution en mettant en place un réseau d’accords bilatéraux, mais aussi dans le cadre du partenariat euro‑atlantique. En tant que nouveau Premier ministre de la Croatie, j’ai choisi la Bosnie‑Herzégovine pour mon premier voyage à l’étranger, afin de montrer à quel point mon pays tient à ce que les trois peuples constituant ce pays soient pleinement respectés.

La Croatie est le pays qui a la frontière la plus importante avec la Bosnie‑Herzégovine. Après notre adhésion à l’Union européenne, il s’agira d’ailleurs de la frontière extérieure de l’Union la plus longue. Pour autant, nous voyons dans cette situation une chance de développer notre coopération transfrontalière et les échanges avec ce pays, pour le plus grand bien de leurs citoyens et des nôtres.

La mise en œuvre de l’arrêt Sejdić et Finci en Bosnie‑Herzégovine représente un défi à relever, non seulement pour ce pays, mais aussi pour le Conseil de l’Europe, ainsi qu’un test pour la crédibilité du système de la Convention. Nous espérons que le dialogue politique et la volonté de compromis produiront des résultats positifs. Pour la Croatie, la mise en œuvre de cet arrêt témoignera de la volonté de la Bosnie‑Herzégovine de réformer sa Constitution et son système juridique, institutionnel et électoral. Ces réformes garantiront la stabilité à long terme du pays.

Nous apprécions beaucoup la réponse qu’apporte le Conseil de l’Europe aux bouleversements que connaissent les pays du sud de la Méditerranée et les régions voisines. C’est la preuve de l’importance de notre Organisation et de sa capacité à anticiper les défis sociaux et politiques actuels. À cet égard, l’Assemblée parlementaire doit être félicitée, à la fois pour sa réaction face au grand mouvement qui s’est engagé dans le monde arabe et pour la coopération dynamique mise en place dans le cadre du partenariat pour la démocratie.

Le développement de nos sociétés doit reposer sur le respect de la démocratie, la prééminence du droit et la protection des droits de l’homme – seules garanties pour la paix et la stabilité à long terme dans notre voisinage. Nous estimons que le Conseil de l’Europe, grâce aux instruments juridiques dont il dispose et à son grand savoir‑faire, pourra apporter une assistance importante pour faciliter les nécessaires réformes dans les pays voisins et encourager leur transition vers la démocratie.

La Croatie, futur membre de l’Union européenne, est prête à partager son expérience en matière de sortie de conflit et de transition démocratique, avec nos voisins directs comme avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Nous avons également une grande expérience s’agissant du retour des réfugiés et des personnes déplacées, du rétablissement de la confiance, de la protection des droits des minorités nationales, du renforcement du système judiciaire et du partenariat avec la société civile. Sur tous ces sujets, nous pouvons apporter notre expertise aux pays en situation de sortie de conflit et de transition.

Dans le cadre des efforts produits pour encourager le processus démocratique, les 6 et 7 juillet de cette année, nous accueillerons nos partenaires au Sommet de Croatie pour développer le partenariat des pays du sud de la Méditerranée.

Je veux féliciter une nouvelle fois le Conseil de l’Europe pour son travail et l’Assemblée parlementaire en particulier. J’en profite pour féliciter également la nouvelle Secrétaire Générale adjointe, Mme Battaini‑Dragoni, et pour lui souhaiter un plein succès dans l’exercice de ses fonctions.

Je rends hommage aux hommes politiques éminents et visionnaires qui ont jeté les bases de cette grande Organisation. Bien que je sois un libéral de gauche, je citerai ce grand conservateur que fut Winston Churchill, qui déclarait en 1949: «De grands dangers nous menacent, mais nous avons la force de les affronter.» Son propos est resté d’actualité: appuyons‑nous sur ce qui fait notre force et sur notre vision partagée!

LE PRÉSIDENT

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, de votre intervention.

Je vais maintenant donner la parole aux différents orateurs qui vont vous interroger. Nous commençons par les représentants des groupes politiques. Chacun disposera d’un temps de parole de 30 secondes.

La parole est à M. Volontè, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. VOLONTÈ (Italie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, pourriez‑vous nous confirmer l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne?

Par ailleurs, le Gouvernement croate veut modifier la loi sur la télévision publique, ce qui nous semble porter atteinte à la liberté d’expression des médias et qui nous inquiète particulièrement.

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Au cours du long processus de négociations en vue de l’adhésion à l’Union européenne, nous avons étudié différents sujets qui tenaient compte des processus d’adhésion avec d’autres pays.

La loi européenne n’est pas directement transposable ni applicable dans notre pays. La loi votée en 2002 sur les médias en Croatie a fait l’objet d’amendements récemment. La télévision croate est l’un des piliers de notre identité. A mon sens, la préoccupation exprimée est sans fondement et erronée. On a tendance à croire que le gouvernement et les politiques auront une influence sur les programmes d’information. Dans les années 80, il n’existait qu’une seule chaîne, ce qui n’est actuellement plus le cas et je n’ai d’ailleurs nullement l’intention de revenir à une chaîne unique. Je vous informe que la télévision nationale en Croatie, ce sont également des programmes culturels, des tragédies, autrement dit, les programmes ne se limitent pas à transmettre des informations. Pour autant, la loi actuellement n’est pas bonne, car tout cela va disparaître si nous n’intervenons pas maintenant.

LORD ANDERSON (Royaume‑Uni) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, de quelle façon votre pays use‑t‑il de sa propre expérience pour aider les pays voisins à adhérer à l’Union européenne?

La Croatie peut‑elle aider à résoudre le problème du nom de la Macédoine?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Nous sommes prêts à tendre la main à nos voisins. Nous avons déjà transmis au Monténégro la traduction de l’acquis communautaire dans une langue que nous pouvons tous comprendre. Au‑delà, nous sommes prêts à coopérer avec ses représentants, à leur délivrer des conseils.

Pour autant, nous ne voulons être ni leur tuteur ni leur parrain. Etant donné la fiabilité des experts croates sur le marché, une forte coopération se nouera au plan économique, cette évolution s’inscrivant dans notre intérêt mutuel.

L’attitude à l’égard de la Macédoine n’a pas été juste, il y a quelques années. Ce pays a été marginalisé et le conflit reste à résoudre, mais la Croatie n’est pas en situation d’imposer des solutions. Cela dit, il faudra bien en trouver une, faute de quoi, nous allons rater l’examen, qui est celui de notre rapprochement avec la Macédoine. Ils sont à la porte de l’Otan depuis un an. Ce n’est vraiment pas juste.

EARL OF DUNDEE (Royaume‑Uni) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, la Croatie a réalisé des progrès. Cela dit, si elle a pu répondre en temps voulu aux demandes de l’Union européenne, le chapitre sur les subventions aux chantiers navals et les questions sur la réforme judiciaire restent pendants. Quels sont les prochains progrès que vous comptez réaliser avant que les Etats membres n’examinent le plan d’action de votre gouvernement en vue de votre adhésion?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

C’est un processus auquel nous nous attelons. C’est vous, parlementaires nationaux, qui apporterez ou non votre soutien au moment où les accords d’adhésion à l’union européenne seront inscris à l’ordre du jour de vos parlements.

Le système judiciaire relève du fonctionnement même de l’Etat et la réforme est en cours, avec au cœur le sujet de la confiance dans le système judiciaire. Car on peut nommer autant de juges que l’on veut, mais si la société n’a pas confiance en sa justice, le pays n’est pas non plus attirant pour les investissements étrangers.

La crise actuelle en Europe est une crise de confiance. Nous faisons de notre mieux. Nous sommes des libéraux qui tiennent compte des besoins sociaux. En matière de droits de l’homme, nous améliorons chaque jour les libertés en Croatie, sans être toujours approuvés. C’est un processus difficile mais durable.

Les chantiers navals sont la base même de l’industrie et de la culture croates. Ils s’étendent sur 2 000 kilomètres de côtes en donnant de l’emploi aux populations locales. Elles ont acquis des compétences qu’elles se sont transmises de générations en générations. Certains chantiers, aujourd’hui proches de la vétusté, sont appelés à interrompre leurs activités tandis que d’autres les poursuivront dans le cadre des accords conclus avec l’Union européenne. Nous avons hérité d’une situation en déshérence depuis vingt ans. L’heure est venue de faire le ménage et d’examiner en six petit mois seulement ce qu’il reste à faire. Cette tâche, sans être insurmontable, est difficile.

Quand un chantier naval ferme, c’est une très mauvaise nouvelle. N’oublions pas que les travailleurs sont également électeurs, même si ce ne sont pas les préoccupations politiciennes qui nous motivent. Toutes les restructurations sont difficiles. Toutefois, à partir du moment où une entreprise n’est pas rentable, il doit y avoir fusion ou disparition: elle doit alors fermer ses portes. Mais nous faisons de notre mieux pour préserver cette culture industrielle. Au début du XXe siècle ce sont les Autrichiens et les Croates qui ont produit les premiers missiles marins. Il est dur de faire ses adieux à ces chantiers mais il faut appliquer les règles de l’Union européenne.

M. JAKIČ (Slovénie) (interprétation)

Permettez‑moi de féliciter votre pays pour les bons résultats obtenus dans la perspective de son adhésion à l’Union européenne, s’agissant en particulier de l’évaluation positive de la Commission européenne.

Toutefois, des efforts demeurent à fournir dans le domaine judiciaire – vous avez déjà répondu – et dans ceux de la sécurité et de la liberté. Quelles mesures votre Gouvernement entend‑il adopter afin d’atteindre cet objectif?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

La réforme de la justice est un processus de longue haleine. Nous avons besoin de confiance mais je suis tranquille: les choses évoluent positivement. N’oublions pas que nous avons de longues frontières avec des pays non‑membres de l’Union européenne, que nous devons contrôler, ce qui coûte cher. Il faut travailler d’arrache‑pied. Nous avons les meilleurs intentions du monde. Nous avons fait l’objet de grands contrôles, comme aucun autre pays candidat auparavant. Nous poursuivons nos efforts. Les mêmes normes s’appliqueront à tous les pays.

M. Leonid KALASHNIKOV (Fédération de Russie) (interprétation)

Votre pays est très attrayant pour le tourisme. Il a signé de nombreux accords bilatéraux, afin de faciliter les régimes sans visa, y compris avec l’Union européenne. Comme pensez‑vous passer au régime simplifié en accord avec la réglementation européenne?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Il y a vingt ans, nous avons été ravagés par la guerre à la suite d’une agression. Or à aucun moment, en 1992 et 1993, nous n’avons été exposés au régime des visas de l’Union européenne: nous pouvions nous y rendre sans visa, avec une simple carte d’identité, alors que nous étions un pays à risques. Les visas ont été instaurés à la fin de ces années‑là avant d’être de nouveau supprimés. De nombreux autres pays ont fait l’objet d’un régime de visas bien plus sévère. Nous avons souscrit aux règles de l’Union européenne: nous ne pouvons pas demander de régime dérogatoire.

De nombreux touristes russes et ukrainiens se rendent en Croatie, où ils sont les bienvenus. Pour la première fois, notre administration mettra en place cet été, pour la Russie et l’Ukraine, un régime sans visa, réinstaurant les visas avec ces deux pays une fois l’été fini. Il peut sembler illogique que nous ne fassions confiance aux touristes russes et ukrainiens que l’été mais nous ne ferons qu’appliquer les règles très strictes de l’Union européenne.

M. GHILETCHI (République de Moldova) (interprétation)

La Croatie va devenir le vingt‑huitième Etat membre de l’Union européenne: félicitations! Comme vous le savez, la Moldova cherche également à y adhérer. Comment voyez‑vous l’élargissement de l’Union européenne et quelles chances ont des pays comme la Moldova d’y adhérer dans un avenir proche?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Il va falloir travailler dur pour y parvenir parce que la barre est haute! Nous en avons fait l’expérience d’un des plus longs processus de négociations: voici plus de six ans et demi que nous négocions avec l’Union européenne. C’est même peut‑être un peu trop long.

Mais nous avons beaucoup appris. C’est ce qui vous attend et, le moment venu, nous serons là pour vous aider. En attendant faites preuve de patience et ne soyez pas naïfs.

M. GRUBER (Hongrie) (interprétation)

En premier lieu, quels sont les derniers éléments concernant la mise en œuvre de la loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales? En second lieu, comment la Croatie peut‑elle contribuer à la sécurité énergétique dans l’Europe centrale et orientale?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

La mise en œuvre de la loi constitutionnelle était une condition fondamentale, il y a vingt ans de cela, pour que la Croatie soit reconnue comme un Etat souverain. Si la Croatie est le pays des Croates, nous vivons sur un sol qui a été habité par d’autres peuples qui nous ont beaucoup appris et à qui nous avons beaucoup appris également. Il s’agit donc d’un pays où s’exercent différentes croyances, différentes religions. C’est la base de mon programme politique: une société ouverte, libérale. Notre parti, de ce fait, attire une grande partie de l’électorat minoritaire.

La représentation des membres des minorités dans mon gouvernement est certainement la plus forte qui n’ait jamais existé dans mon pays. Et une telle politique permet de gagner la confiance des électeurs, mais également celle des Serbes, des Croates et de tout le monde. Notre coalition est le parti des citoyens, et cela fonctionne.

En ce concerne l’énergie, le port de Rijeka est très important. C’est un port énergétique, effectivement, mais également de marchandises, et le terminal de gaz est l’un des projets les plus stratégiques de mon gouvernement. Bien entendu, nous sommes ouverts à la coopération. Je pourrais également vous parler de la liaison ferroviaire jusqu’à Vienne et Budapest. Ce sont des projets sur lesquels nous comptons beaucoup. Et les capitaux européens, d’où qu’ils proviennent, sont les bienvenus.

M. GAUDI NAGY (Hongrie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, la Hongrie et la Croatie ont une très longue histoire commune: neuf siècles au sein d’un même Etat. Nous avons soutenu l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne et de nombreux Hongrois qui vivent en Croatie votent pour que la Croatie soit un pays libre. Je vous remercie de les aider à vivre dans de meilleures conditions, car ils vivent dans les régions les plus pauvres du pays.

La Serbie tente d’adhérer à l’Union européenne, mais elle ne permet pas aux Hongrois qui vivent chez elle de vivre dans des conditions qui répondent aux critères du Conseil de l'Europe.

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

S’il existe un pays voisin avec lequel la Croatie a pu parler de tout sans difficulté, c’est bien votre pays: les relations sont parfaites. La minorité hongroise vit dans les régions les moins développées et les plus touchées par la guerre, mais elle a un droit de représentation directe au parlement, contrairement à bien d’autres pays.

En ce qui concerne la Serbie et ses accords territoriaux, la Voïvodine a gagné une partie de son autonomie. C’est une région où l’on trouve de nombreuses ethnies, de nombreuses langues et de nombreuses cultures, chacun a su conserver ses traditions, et la cohabitation y est harmonieuse.

M. HAUGLI (Norvège) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, notre Assemblée débat aujourd’hui de l’état de la démocratie en Europe et de l’attitude négative de certains à l’égard des minorités, minorités exploitées à des fins politiques. Parmi ses minorités, il y a les minorités sexuelles et je voulais vous remercier d’avoir garanti les droits fondamentaux pour tous.

Comment voyez‑vous la situation des minorités sexuelles en Croatie, y compris en ce concerne les violences policières à leur encontre?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Notre programme politique a prévu d’élargir les droits des minorités aux personnes LGBT, et ce dans de nombreux domaines. La tradition, catholique ou musulmane, ne mérite pas toujours d’être conservée, surtout quand elle est mauvaise et quand, par exemple, elle consiste à laisser les maris battre leurs femmes. Mais les choses changent peu à peu. Nous souhaitons modifier la législation et engager le débat dans notre pays. L’Etat de droit passe par le changement des mentalités et par la confiance entre les citoyens. Il s’agit d’un processus long et complexe, mais nous sommes convaincus d’être sur la bonne voie.

Hier, deux jeunes femmes lesbiennes ont été battues en Croatie parce qu’elles affichaient ouvertement leur homosexualité. Un tel acte de violence n’avait pas été constaté depuis longtemps dans notre pays. À Split, ville à laquelle je suis tout particulièrement attaché, une Gay Pride a eu lieu cette année sous protection policière. Cela n’en a peut‑être pas l’air, mais les mentalités évoluent dans notre pays.

M. NIKOLOSKI («L’ex‑République yougoslave de Macédoine») (interprétation)

La Croatie est le deuxième pays de l’ex‑Yougoslavie à devenir membre de l’Union européenne. Mon pays s’est également déclaré candidat à l’adhésion en 2005, mais le veto grec a bloqué le processus. La Cour de justice internationale a rendu sa décision, mais la Grèce refuse de la respecter. Pensez‑vous que la méthode que vous utilisez avec la Slovénie pourrait être appliquée dans notre cas?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Il ne me semble pas que les deux situations puissent être comparées. La Croatie et la Slovénie s’opposent sur un problème de frontière, et non un problème d’identité. Après vingt longues années, nous sommes parvenus à une solution, revenant d’ailleurs à la première qui avait été proposée. Que de temps perdu! Des deux côtés, ce conflit a été récupéré par certains acteurs politiques, ce qui n’a fait que retarder encore un peu plus sa résolution. Aujourd’hui, nous disposons d’instruments efficaces pour établir des relations nouvelles avec la Slovénie.

La Croatie pourrait connaître également des difficultés avec d’autres de ses voisins, mais elle n’a pas l’intention d’abuser de sa nouvelle position au sein de l’Union européenne. Elle souhaite des solutions justes et équitables.

La situation de la Macédoine est sans doute injuste, mais il faut poursuivre les négociations.

M. IVANOVSKI («L’ex‑République yougoslave de Macédoine») (interprétation)

La prééminence du droit est au cœur des préoccupations du Conseil de l'Europe. La Croatie a exprimé sa volonté de lutter contre le crime organisé et la corruption, et je l’en félicite. Elle a développé de véritables capacités institutionnelles de lutte contre la corruption politique.

Monsieur le Premier ministre, votre détermination à lutter contre le crime organisé est‑elle selon vous partagée par d’autres pays de la région, et en particulier par la Macédoine?

M. Milanović, Premier ministre de Croatie (interprétation)

Certaines affaires de corruption sont actuellement examinées par la justice en Croatie, ce qui m’oblige à une prudente réserve, bien que je sois critique sur l’action du gouvernement précédent dans ce domaine.

Lors de ma campagne électorale, j’ai préféré mettre en avant la prévention de la corruption plutôt que la lutte contre le crime organisé. En effet, il fallait éviter de faire penser que la corruption était omniprésente dans la société croate. La législation doit permettre de prévenir la corruption. Une fois celle‑ci installée dans le système, il est souvent trop tard pour agir rapidement. La Croatie n’est pas touchée massivement par la corruption, mais celle‑ci est une réalité dans certains milieux.

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, nous sommes arrivés au terme de cet échange.

Je vous remercie chaleureusement pour vos propos et vos réponses franches et spontanées aux questions qui vous ont été posées. Nous vous souhaitons une bonne continuation et formons l’espoir de vous revoir bientôt ici, à Strasbourg, ou chez vous, à Zagreb.