Mohamed Hosni

Mubarak

Président de la République arabe d'Egypte

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 28 janvier 1986

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, permettez-moi d’abord de vous exprimer, ainsi qu’à tous les peuples amis d’Europe, mes remerciements et mon appréciation de m’avoir offert l’occasion de vous rencontrer et d’échanger avec vous les idées sur les questions qui suscitent notre intérêt commun et dont dépend le sort de l’humanité à ce tournant historique important, où les défis s’accentuent et où les difficultés et les dangers se multiplient pour tous les peuples. En effet, les individus et les collectivités sont dominés par la peur et la crainte de l’avenir, à un moment où l’homme a atteint un degré étonnant de progrès scientifique et technologique.

Je tiens également à vous transmettre le salut fraternel et amical de tout Egyptien et de toute Egyptienne, voire celui de tout Arabe et de tout Musulman quelle que soit sa patrie. Le peuple que j’ai l’honneur de représenter auprès de vous et la nation à laquelle j’appartiens par ma pensée et mes sentiments, aspirent à approfondir les liens avec les peuples du continent européen et à intensifier le dialogue avec ces peuples dans un style différent de toutes les formules traditionnelles auxquelles nous sommes habitués, un style qui s’attaque aux racines mêmes des problèmes dans leur ensemble et des questions fondamentales et qui repose sur la franchise et la sincérité, et sur un sentiment mutuel de notre lourde responsabilité historique et des graves dangers que nous affrontons tous au Nord et au Sud, à l’Est et à l’Ouest.

C’est avec beaucoup de satisfaction que nous suivons de près les progrès réalisés par les Etats du continent européen au vingtième siècle. Ils font partie d’un seul patrimoine humain et viennent s’ajouter aux réalisations accomplies par la communauté internationale au cours des siècles antérieurs dans les différentes parties du monde. En effet, notre marche est indivisible, elle est faite des maillons d’une même chaîne dans lesquels chacun de nous apporte sa contribution dans les limites de ses possibilités et dans le domaine que lui assure la conjoncture internationale et locale qu’il vit.

Nous suivons également et avec beaucoup d’admiration les réalisations du Conseil de l’Europe depuis sa fondation en 1949. Il fut la première institution politique européenne à voir le jour après la deuxième guerre mondiale. Il a continué à s’étendre et à se développer et rassemble aujourd’hui en son sein vingt et un Etats membres de plus de 385 millions d’habitants. Le plus important est que ce Conseil n’a pas été créé simplement pour assurer aux Etats membres des gains politiques ou des profits économiques, mais l’objectif principal était d’approfondir l’engagement de ces Etats à l’égard du principe de la souveraineté du droit, leur respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de consolider les concepts démocratiques dans tous les systèmes et institutions politiques et sociales.

Il était donc naturel que le citoyen européen devienne l’axe autour duquel tourne toute l’activité du Conseil et le point de départ de son action, cette action qui a trouvé son reflet dans l’adoption de la Convention européenne des Droits de l’Homme, l’accord culturel européen, l’accord sur la préservation de l’environnement, l’accord sur le statut juridique des travailleurs migrants et autres traités qui ont un impact direct sur la vie de l’homme dans cette partie du monde et auxquels votre auguste Assemblée s’est attachée. «Ce n’est pas de pain seulement que vit l’homme», nous dit Jésus, «que la paix soit sur lui!»

Monsieur le Président, le lien étroit qui unit les peuples du continent européen et ceux du Moyen-Orient et du Sud du bassin méditerranéen ne se limite pas à l’interdépendance des intérêts économiques et à l’interaction de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité dans ces régions. Ce lien s’étend à la promotion des concepts similaires dans leur essence et des valeurs fondamentales qui se rapprochent les unes des autres. C’est ainsi que malgré les différences qui pourraient apparaître entre ces valeurs et ces concepts, les fondements de la civilisation européenne demeurent les principes inspirés des traditions judéo-chrétiennes et de l’héritage que nous a légué la civilisation gréco-romaine. Il ne fait aucun doute que l’islam a laissé une empreinte évidente sur la pensée européenne depuis le septième siècle à travers les multiples voies consignées dans les annales de l’Histoire. D’autre part, la civilisation de la région à laquelle nous appartenons a puisé son esprit et sa conception de base dans les trois religions révélées et dans le patrimoine considérable hérité du temps des Pharaons, de la civilisation babylonienne en Irak et de l’époque phénicienne en Méditerranée orientale et en Afrique du Nord. Le contact entre ces civilisations et les civilisations européennes au cours des siècles fut d’un apport réciproque illimité.

Si nous évoquons plus particulièrement le rôle de l’Egypte, trait d’union entre les civilisations et les cultures, enrichissant ainsi leur capital de hautes valeurs et de principes nobles restés immortels tout au long des siècles, nous constatons que l’Egypte pharaonique fut la première société humaine à adopter les concepts de l’égalité et de la fraternité entre les êtres. Ces concepts se sont de plus en plus ancrés et de plus en plus répandus lors des siècles du monothéisme: depuis le règne du grand Akhénaton. Cette ligne de pensée progressiste s’est poursuivie et s’est développée pour atteindre son point culminant avec l’école d’Alexandrie qui a connu son grand épanouissement en l’an 300 av. J.C. Elle s’était fixé la mission de préserver le patrimoine scientifique et philosophique grec. Avant cette date même, l’on a vu en Egypte de grands penseurs grecs comme Pythagore et Platon qui venaient apprendre la science à l’Université d’Ain Shams. Il ne fut donc pas surprenant que naisse le néo-platonisme en Egypte, source d’où jaillissent la pensée abondante, la recherche libre et l’esprit de déduction.

L’émergence de traditions démocratiques dans un cadre qui ne diffère pas trop des cadres modernes et qui a accompagné cette grande renaissance intellectuelle n’était que naturelle. C’est ainsi qu’à l’époque de Ptolémée fut fondé dans la ville d’Alexandrie un conseil parlementaire doté de vastes prérogatives et fonctions et qui n’avait pas alors d’égal.

Dès l’aube du christianisme, l’apport de l’Egypte à la pensée religieuse et aux courants philosophiques nés du christianisme a été considérable. Les Egyptiens furent les premiers à construire des couvents autour desquels fut créée une école de pensée intégrée, reposant sur les concepts d’ascétisme et de renoncement aux biens terrestres. De l’Egypte sortit la doctrine des «gnostiques» qui engendra un grand capital de pensées religieuses et philosophiques dans les différentes régions où se répandit le christianisme au Moyen-Orient et en Europe.

Avec l’avènement de l’islam en Egypte, les nobles concepts humains qui prévalaient alors furent renforcés et gagnèrent de l’ampleur, l’islam interdisant la discrimination en raison de la naissance, des origines ethniques ou familiales. Il lie la place qu’occupe l’individu à son travail et au bien qu’il fait, alors qu’autrefois cette place était héréditaire et une fonction de son rang social.

Dans un verset du Coran, Dieu nous dit:

«Le plus digne devant Dieu est celui d’entre vous le plus pieux.»

Dans un hadith, le Prophète – que la paix soit sur lui! – nous dit:

«L’Arabe n’est supérieur à un non-Arabe que par sa piété.»

L’islam a même interdit toute discrimination entre les êtres en raison de leurs croyances ou de leur appartenance religieuse. Il a approfondi le concept d’égalité entre les êtres devant Dieu, ce qui est le fondement de leur égalité devant la loi.

Lorsque l’Université d’El Azhar fut fondée en Egypte, il y a plus de mille ans, elle devint le bastion de la liberté de pensée et le minaret de la science et de la connaissance dont les rayons ont éclairé tout le monde musulman et le continent européen. Le facteur stable tout au long de ces époques fut la conviction que la Méditerranée ne devait pas constituer une ligne de démarcation entre les pays situés au nord et ceux qui se trouvent au sud. Elle doit demeurer un lac à travers lequel se poursuivront les échanges intellectuels et commerciaux et d’où émane une interaction créatrice entre les individus, les collectivités, les pensées et les intérêts.

Si nous observons avec attention l’histoire moderne, nous constatons que l’Egypte fut le premier pays de la région à instituer un Conseil parlementaire conforme aux normes modernes. Il s’agit du Conseil consultatif créé en 1866. Ce ne fut pas par hasard si sa création coïncida avec l’épanouissement des idées démocratiques et libérales et avec le rôle joué par l’Egypte dans la lutte contre l’esclavage dans le continent africain.

Lorsque les Nations Unies furent fondées £ l’issue de la deuxième guerre mondiale, l’Egypte fut à l’avant-garde de ceux qui demandaient qu’une importance particulière soit accordée à la cause des droits de l’homme, à la lutte contre la discrimination raciale et Y apartheid, et à la liquidation du colonialisme. D’éminents juristes égyptiens participèrent à l’élaboration de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et des Pactes sur les droits politiques et civils, et sur les droits économiques et sociaux. Elle a en outre adhéré à tous les accords internationaux visant à consolider l’engagement à l’égard des principes de liberté, d’égalité et de respect des droits de l’homme.

En conséquence, il était naturel que les pratiques démocratiques contemporaines en Egypte s’épanouissent et parviennent au niveau qu’elles connaissent aujourd’hui en réaffirmant les droits du citoyen, grâce à un système politique garantissant à tous les citoyens sans exception de participer effectivement à l’élaboration de la politique et au processus de prise de décision, le pouvoir étant celui du peuple. En effet, la vérité se fait jour grâce à l’interaction créatrice entre les points de vue des uns et des autres. Nul n’a le droit d’imposer son point de vue, d’imposer sa décision ou de limiter les options disponibles aux masses. Je suis absolument convaincu que la liberté et la démocratie, en dernier ressort, sont susceptibles d’établir l’équilibre requis entre les intérêts du citoyen et de la collectivité et d’éliminer toutes les contradictions existant au sein de la société d’une manière rationnelle et pacifique.

Si l’exercice de la démocratie a quelquefois des aspects négatifs qui entravent la marche de la société et menacent la stabilité qui est la condition sine qua non du progrès, l’élimination des problèmes que pose la démocratie ne saurait se faire par le recours aux contraintes et à l’atteinte aux libertés, mais elle se réalise en cherchant à approfondir les concepts de la démocratie dans les esprits et à les rationaliser par la pratique. De là, l’expérience égyptienne constitue un modèle éclatant devant tous les peuples du tiers monde.

Monsieur le Président, chers amis, je ne doute nullement que vous estimez avec moi que cette occasion ne doit pas être une simple occasion formelle qui se réduirait à des discours prononcés et à des slogans lancés. Cette rencontre doit plutôt offrir l’opportunité d’établir un véritable dialogue qui se poursuivra à l’avenir autour des questions qui occupent nos pensées et intéressent nos peuples en vue de rapprocher nos conceptions et nos idées quand cela est possible et d’identifier toutes les possibilités. C’est ainsi que des mesures communes pourront être adoptées par les deux parties afin d’intensifier la coopération entre elles dans l’intérêt de toute la communauté internationale et de garantir un avenir sûr pour l’humanité, face aux graves dangers qui se posent à elle.

Je propose donc d’aborder avec vous, brièvement, trois questions fondamentales, dont l’examen pourrait contribuer à enrichir notre marche commune et notre élan vers de nouvelles perspectives au cours des années à venir:

– premièrement, notre responsabilité commune vis-à-vis de la cause de la paix;

– deuxièmement, la formule requise pour traiter les problèmes économiques internationaux;

– troisièmement, l’élaboration d’une nouvelle politique face au phénomène du terrorisme.

Première question, la cause de la paix.

Je n’ai pas besoin d’exposer en détail, à cet effet, le lien étroit existant entre la sécurité et la stabilité dans la région arabe, et la paix et la prospérité prévalant dans le continent européen.

Il s’agit là d’une vérité historique et géographique bien établie et l’un des postulats des sciences stratégiques. Je me contenterai donc d’indiquer les points suivants:

Nous envisageons la paix sous une optique globale qui ne s’arrête pas à des frontières géographiques ou politiques bien définies; la paix, pour nous, est celle qui couvre le monde entier. On ne peut plus admettre l’idée que l’un de nous soit capable d’instaurer une paix solide dans la région où il vit ou à laquelle sont liés ses intérêts vitaux à l’exclusion d’autres régions. D’où l’importance que nous attachons aux pourparlers qui se déroulent actuellement pour freiner la course aux armements et en vue du désarmement. Nous sommes favorables à toute démarche visant à prévenir le déclenchement d’une guerre nucléaire dévastatrice. Comme vous, nous sommes un peuple qui souffre des calamités de la guerre et de la destruction; de plus notre engagement à la paix repose sur un patrimoine culturel, religieux et moral aux racines profondes et non seulement sur des considérations d’intérêt, de gains et de pertes. D’où l’initiative audacieuse qu’a prise l’Egypte pour ouvrir une nouvelle page au Moyen-Orient en œuvrant en vue de réaliser une paix globale et une réconciliation historique d’envergure entre les Etats arabes et Israël, sur la base du respect des droits et des intérêts légitimes des deux parties, tout en renonçant à l’agression, aux visées expansionnistes, aux concepts de la suprématie et aux tendances à la domination et à l’hégémonie.

L’Egypte, qui adopte une position pionnière sur cette voie, a été à la tête des puissances qui ont adhéré au traité de non-prolifération des armements nucléaires. Elle fut la première à prôner l’établissement d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient et à demander que le continent africain soit déclaré zone exempte d’armes nucléaires et à appuyer la création d’une zone de paix dans l’océan Indien.

La question qui se pose avec insistance à l’heure actuelle et à juste titre dans plusieurs capitales européennes est la suivante: Que peut faire l’Europe pour consolider les efforts de paix afin qu’ils aillent de l’avant? Etant donné que nous estimons qu’il s’agit là d’une question légitime et constructive, je tiens à vous exposer ma propre conception d’un rôle européen efficace au cours de la prochaine étape:

Il existe un besoin pressant pour un rôle européen actif et influent. Il n’est pas dans l’intérêt de la paix dans la région que les peuples européens demeurent à l’écart des efforts de règlement, car ils sont de tous les peuples les plus sensibles à l’impact des événements du Moyen-Orient.

Ils représentent les puissances extérieures les plus capables de comprendre les développements qui se déroulent dans la région et de saisir le sens des facteurs qui régissent le mouvement de l’histoire dans cette région.

Sur le plan pratique, nous estimons que le rôle européen actif est susceptible de réduire les dangers de polarisation au sein de la conférence internationale sur la paix, polarisation qui est de nature à torpiller les efforts de paix.

L’essentiel n’est pas d’adopter un plus grand nombre de déclarations et de communiqués: la position européenne face aux problèmes fondamentaux sous examen est bien claire et bien connue dans une large mesure. Il n’y a donc aucun besoin d’ajouter à cette position sur le plan quantitatif. L’essentiel est donc que cette position évolue sur le plan qualitatif.

Toute indication d’un rôle sérieux qui soit assumé par une partie déterminée à l’étape actuelle, doit se baser sur la contribution à l’accord sur la tenue d’une conférence internationale de la paix, à laquelle prendraient part toutes les parties concernées, y compris l’Organisation de libération de la Palestine en tant que seul représentant légitime du peuple palestinien. Lorsque nous parlons d’une conférence internationale, c’est d’une véritable conférence qu’il s’agit, une conférence comportant des négociations entre les parties directement concernées par le conflit, dans laquelle les parties extérieures au conflit joueraient un rôle de conciliation afin de réduire les divergences et de faciliter l’accord.

En envisageant la tenue d’une conférence internationale il faut examiner les aspects ayant trait aux questions de fond et de procédure. Quant au fond, nous pensons que l’Europe pourrait mettre l’accent sur le principe de la négociation aux fins de la paix sans conditions préalables, partant de l’égalité des droits des deux parties et de la nécessité d’établir un équilibre entre le droit d’Israël à l’existence et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. C’est seulement ainsi que la paix sera juste, viable et capable de résister à toutes les crises et aux épreuves difficiles auxquelles elle va nécessairement se heurter à l’avenir.

D’autre part, nous estimons que la famille européenne devra participer à la conférence, ainsi que nous l’avons déjà mentionné et que l’Organisation de libération de la Palestine aura une chance égale d’y prendre part dans le cadre d’une coordination avec les autres parties arabes participant à la conférence et notamment le Royaume de Jordanie.

J’estime que les pays du continent européen sont en mesure de jouer un rôle actif au cours de la phase préparatoire de la conférence en constituant un groupe dont la tâche serait d’établir des contacts avec les parties concernées dans une tentative de rapprocher leur points de vue quant aux questions qui continuent à représenter un obstacle devant l’accord sur la tenue de la conférence.

Il ne faudrait pas croire qu’un tel rôle pourrait diminuer celui qui sera assumé par d’autres puissances. La porte reste ouverte devant de multiples efforts, la coordination entre eux étant également possible.

Ainsi, la Communauté européenne sera en mesure de contribuer efficacement au relancement du processus de la paix et de briser l’état de stagnation qui menace nos intérêts et risque de dissiper nos espoirs en vue de parvenir à un règlement global avant qu’il ne soit trop tard.

Il me reste à dire que l’engagement à l’égard de la cause de la paix au Moyen-Orient nécessite un effort plus grand en vue de mettre fin à la guerre en cours entre l’Iran et l’Irak. C’est une guerre dont la poursuite et l’escalade, telles qu’on les voit à présent, n’ont aucune justification. Elle comporte des dangers pour toutes les parties, même pour celles qui pensent tirer quelques profits de la continuation et de l’intensification de cette guerre.

Cette guerre et ses conséquences, ainsi que les événements sanglants que vivent le Liban frère et d’autres Etats arabes, ont peut-être porté préjudice à l’image du monde islamique et de la patrie arabe dans les esprits d’un grand nombre de nos amis partout dans le monde, et ce en raison de la difficulté à concilier la détérioration de la conjoncture actuelle et l’existence de puissants facteurs d’attraction qui auraient pu permettre de réaliser un haut niveau de cohésion et d’union au sein de ces deux familles. Ces facteurs sont certainement plus puissants que ceux qui ont poussé les pays européens à unir leurs rangs et leur mouvement après la deuxième guerre mondiale.

Dans une tentative d’expliciter et non de justifier cette déplorable situation, nous nous devons de prendre en considération deux points:

Premièrement, c’est à la suite de guerres dévastatrices et de conflits sanglants, dont quelques-uns ont duré cent ans, que l’Europe est parvenue à ce niveau de coordination de ses prises de position et d’unification de ses institutions. La tendance à l’union et à la prépondérance des facteurs de cohésion et d’entente sur les facteurs de divergence et de division est née de la prise de conscience des peuples du danger de poursuivre leurs conflits et de recourir à la violence pour le règlement de tout litige.

Deuxièmement, la détérioration de la conjoncture prévalant dans le monde islamique et la patrie arabe est due en grande partie aux séquelles de l’ère coloniale et à ses manifestations nouvelles. En effet, ni la culture islamique ni la civilisation arabe ne comportent, en leur essence, les facteurs intrinsèques susceptibles d’aboutir à une telle conjoncture.

Si j’ai tenu à exposer ces points, ce n’est pas en guise d’excuse, de justification ou de défense, mais pour attirer votre attention sur l’erreur qui consisterait à imaginer qu’une telle situation pourrait durer aux deux échelons arabe et islamique et sur la nécessité de traiter avec ces deux nations comme si la situation actuelle ne pourrait jamais arrêter le mouvement de l’Histoire et entraver l’évolution naturelle des faits. L’Histoire est régie par des lois, des normes et une logique.

Je ne puis conclure mes propos sur la paix sans évoquer la situation déplorable dont souffrent les peuples frères militant dans la partie australe de notre continent africain.

Tout en exprimant notre appréciation et notre gratitude aux peuples de l’Europe qui ont refusé la politique de discrimination raciale et d'apartheid pratiquée par le régime raciste de Prétoria, je tiens à vous rappeler qu’il est indispensable que l’on adopte une attitude plus ferme face à cette politique qui constitue une violation flagrante des droits fondamentaux de l’homme et une négation de la dignité humaine.

La deuxième question a trait à la manière de relever les défis que nous affrontons sur le plan économique. Il me faut reconnaître qu’il est indispensable d’admettre que nous souffrons tous, d’une manière ou d’une autre, de la récession qui continue de prévaloir dans l’économie, mondiale. Il va sans dire qu’il ne faut pas perdre de vue que, dans le monde actuel, où les intérêts sont inextricables, l’interdépendance a atteint des niveaux jamais connus auparavant. Il est désormais difficile pour un Etat, ou un groupe d’Etats, quelles que soient les ressources et les potentialités dont il dispose, de surmonter seul la récession et de récupérer sa capacité de réaliser des taux de développement élevés et réguliers lui permettant d’éliminer le chômage. Les développements enregistrés par l’économie mondiale au cours des cinq dernières années sont des preuves à l’appui de cette théorie. Il n’est donc plus utile que quelques Etats essayent de se libérer de la récession en imposant des restrictions sur le commerce international, sur le mouvement des capitaux ou sur l’emploi.

Par ailleurs, les études économiques effectuées au cours de la période écoulée ont démontré que les difficultés qui entravent le processus de développement des pays du tiers monde ralentissent d’une manière évidente le taux de développement des pays industrialisés. C’est ce qu’ont révélé les prévisions relatives au développement jusqu’à l’année 1995, élaborées par l’OCDE.

Nous, dans le tiers monde, nous souffrons de la récession qui continue dans les pays industrialisés et qui se traduit par une baisse aiguë du prix des matières premières et par les difficultés croissantes auxquelles se heurtent nos exportations industrielles, ce qui affaiblit notre capacité de rembourser nos dettes.

C’est pourquoi nous estimons indispensable de traiter le problème de l’endettement du tiers monde de manière à permettre la poursuite du processus de développement, sans laquelle – et dans le meilleur des cas – on ne peut que renvoyer le remboursement de la dette. De même, la rationalisation des activités économiques sans développement ou la baisse du taux de celui-ci à un niveau proche de celui de la croissance démographique impose à nos peuples des sacrifices insupportables, et sème une atmosphère d’instabilité sociale et politique. Par conséquent, le processus de développement devient, dans le proche avenir, une opération extrêmement difficile.

Il s’est avéré qu’il est quasiment impossible que les pays du tiers monde consacrent dans leurs budgets des sommes pour rembourser leurs dettes, alors que le taux d’intérêt réel a atteint des niveaux jamais connus auparavant et que les ressources de ces pays en devises étrangères se sont réduites, et ce en raison de la détérioration des prix des matières premières et des restrictions imposées à l’exportation de leurs produits industriels.

Nous estimons que la solution radicale à ce problème doit reposer sur une formule acceptable pour les deux parties, qui relie les recettes de l’exportation et les versements du service de la dette.

D’autre part, la situation des pays les moins avancés et les plus pauvres nécessite un soin particulier en se basant sur l’annulation d’une partie de leur dette publique, ces pays étant menacés par la famine, le minimum des denrées alimentaires indispensables à leurs fils y faisant défaut.

La troisième et dernière question que je voudrais vous exposer a trait au phénomène du terrorisme qui gagne de l’ampleur sur le plan international et face auquel la communauté internationale doit adopter une politique ferme et efficace.

Si je soulève cette question du haut de cette tribune, c’est en raison de la ferme conviction que j’ai du grave danger qu’il représente non seulement pour la sécurité de la communauté internationale, mais également pour la civilisation que l’homme a édifiée au cours des siècles écoulés et parce qu’il constitue une violation des principes édictés par les législations divines et consignées dans tous les systèmes juridiques.

Je propose également cette question comme thème de discussion au sein de votre auguste Conseil qui a pris l’initiative, en 1977, d’un accord européen contre le terrorisme, ce qui traduit l’importance que vous accordez à ce phénomène dont les effets préjudiciables se sont multipliés au cours des dernières années.

Nous savons que la communauté internationale a déjà franchi des pas face à ce danger par la conclusion de conventions internationales dont les plus importantes sont la convention de Tokyo signée en 1963, celle de La Haye de 1970, celle de Montréal de 1971, et la convention internationale interdisant la prise d’otages signée en 1979. Les Nations Unies ont également adopté plusieurs démarches sur cette voie, les plus récentes étant la résolution de l’Assemblée générale du 9 décembre 1985, la Résolution 579 du Conseil de sécurité qui fut adoptée à l’unanimité le 17 décembre 1985, la déclaration du Président du Conseil de sécurité publiée le 30 décembre 1985 à l’occasion des deux attentats perpétrés simultanément contre les aéroports de Rome et de Vienne.

Toutefois, il nous faut reconnaître qu’il existe plusieurs failles dans la confrontation internationale de ce phénomène. En effet, d’une part, les conventions et les accords signés sont encore insignifiants et incapables de faire face aux manifestations du terrorisme moderne, comme la saisie de navires avec leurs passagers et, d’autre part, le nombre des Etats qui les ont ratifiés est encore limité et les objectifs réels de la campagne antiterrorisme ne sont pas encore très clairs pour certains peuples.

Pour faire face à cette réalité, je vous propose quelques lignes générales que je recommande de suivre lors de l’examen de la question du terrorisme. Je vous exposerai ensuite l’approche que nous pourrons adopter au cours des mois à venir à cet effet.

La première de ces grandes lignes à suivre consiste à ne pas confondre les actes terroristes, que nous dénonçons et condamnons où qu’ils se manifestent, et les mouvements de libération nationale qui sont contraints de recourir à la lutte armée, pour se libérer de l’occupation de leur sol national et permettre aux peuples d’exercer leur droit naturel à l’autodétermination tel que reconnu par les conventions de Genève de 1949, la convention internationale interdisant la prise d’otages qui exclut des actes terroristes, toute action entreprise lors des conflits armés, y compris ceux que les peuples mènent contre la domination coloniale, l’occupation étrangère et les régimes racistes, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination tel que concrétisé par la Charte des Nations Unies et la déclaration des principes du droit international relatifs aux relations cordiales et à la coopération entre Etat.

La deuxième de ces grandes lignes émane du fait que notre souci de lutter contre les actes terroristes et de les condamner ne doit pas nous pousser à énoncer des jugements généraux contre les peuples et à déformer leur image dans les esprits. En effet, il est dans l’intérêt de la communauté internationale de parvenir à isoler la minorité qui pratique le terrorisme et le proclame de vive voix.

A cet égard, je tiens à souligner combien grave est l’erreur que l’on commet en accusant de terrorisme le peuple palestinien ou les adeptes de certaines sectes religieuses. Il est de même injuste de dire que le phénomène du terrorisme est né dans une zone géographique spécifique. Je voudrais ajouter à cet égard que l’Organisation de libération de la Palestine – l’OLP – a proclamé son engagement à l’égard des principes de la légitimité internationale en publiant la déclaration du Caire du 7 novembre 1985, où elle établit une distinction nette entre les actes de terrorisme et la résistance à l’occupation étrangère.

Après avoir mis l’accent sur les erreurs qu’il nous faut éviter pour faire face au terrorisme, je voudrais vous exposer, selon l’optique égyptienne, une approche pratique acceptable et susceptible de nous faire parvenir à notre objectif. En premier lieu, je me dois de rappeler que l’Egypte a été l’un des premiers pays à adhérer à tous les accords et conventions internationales que j’ai déjà évoqués et elle s’est toujours hâtée de coopérer avec les autres Etats qui accordent une importance particulière à la lutte contre le terrorisme.

Cette approche proposée est donc la suivante: elle consiste à convoquer une conférence internationale sous l’égide des Nations Unies pour réviser tous les accords internationaux relatifs au terrorisme international aux fins de conclure une convention internationale globale pour lutter contre le terrorisme et l’éliminer.

La convention proposée devrait traiter de tous les aspects du terrorisme et de la coopération qui s’impose entre les Etats afin d’y faire face et de le combattre. Dans ce cadre s’inscrit l’échange d’informations entre les autorités compétentes au sujet des plans terroristes, des individus et des groupes impliqués, la formation d’unités spéciales pour combattre le terrorisme et les terroristes, les moyens à appliquer dans une telle confrontation, la coopération en vue d’arrêter les terroristes, de les extrader, de les interroger, de les traduire en justice et toutes autres mesures collectives contre les Etats et gouvernements qui accordent une assistance aux terroristes, qui les encouragent, les entraînent et les protègent de la justice.

Nous devons veiller à ce que toutes ces mesures punitives n’aient pas un caractère hostile à l’égard d’un groupe national, d’un groupe d’Etats, ou d’un parti pris politique déterminé. Elles devraient surtout reposer sur un seul facteur à savoir le comportement de ces gouvernements face au terrorisme.

Afin que cette conférence soit couronnée de succès, elle doit être précédée par des contacts et des consultations intenses, par lesquels les peuples de tous les continents du monde pourront se faire une idée des objectifs réels de cette initiative et s’assurer qu’il ne s’agit pas de constituer de nouveaux blocs opposés à leurs revendications et aspirations légitimes.

Cette démarche internationale doit être caractérisée par sa nature collective et globale et par le fait que ni un Etat, ni un groupement régional ou politique donné n’imposerait ses vues aux autres, ou agirait isolément. C’est ainsi que l’on peut empêcher une confrontation nouvelle et garantir une base solide d’acceptation internationale tant pour ses diverses phases que pour ses buts.

Si nous réussissons dans une telle action, nous aurons libéré l’humanité d’un fléau dangereux qui la secoue et menace sa sécurité, ouvrant ainsi une nouvelle page pleine d’espoirs pour tous les peuples et les puissances épris de paix.

Chers amis, il fut un temps où le poète Kipling disait:

«L’Orient est l’Orient et l’Occident est l’Occident, ils constituent les deux extrêmes qui ne se rencontreront que si le ciel et la terre se rencontrent.»

Néanmoins, en m’adressant à vous du haut de cette tribune, je sens que le moment est venu pour que l’Orient et l’Occident se rencontrent afin de parvenir aux mêmes objectifs, résoudre les problèmes communs et réaliser des intérêts interdépendants, car le défi que nous devons relever consiste à être ou ne pas être, à franchir en commun les étapes de la civilisation et du progrès et à faire face ensemble aux dangers de l’anéantissement et de la destruction.

Je ne pense pas que nous ayons le choix entre ces deux options, car résister est une décision qu’adoptent les peuples et constitue le chemin de l’avenir. Peupler la terre est une mission sacrée à laquelle nul ne peut renoncer et qu’on ne peut ignorer.

Il nous faut assumer cette mission par le dialogue et non par la confrontation, par la paix et non par la guerre ou la violence, par la conviction que nous sommes des compagnons de route et non des ennemis déchirés par les conflits, secoués par les contradictions et affaiblis par les guerres.

Je me tourne vers les horizons lointains d’où je vois monter les rayons de lumière et les lueurs de l’espoir derrière les nuages sombres. Je vois les forces de la paix et du progrès dans l’élan de leur marche victorieuse lever bien haut l’étendard de la liberté et guider l’homme vers la place qui lui revient dans le cortège de l’Histoire.

(Mmes et MM. les délégués se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le Président de l’Assemblée parlementaire (traduction)

Je me fais le porte-parole de l’Assemblée pour vous remercier, Monsieur le Président, de votre présence parmi nous ce matin, et du discours que vous nous avez fait l’honneur de prononcer. Notre débat sur les problèmes du Proche-Orient et du terrorisme international sera le plus long et le plus important de cette partie de session; il est donc particulièrement intéressant pour nous tous d’avoir entendu des propos aussi profonds que stimulants juste avant d’engager la discussion. Ce fut pour nous un grand honneur que de vous avoir accueilli au sein de cette Assemblée.