Sali

Berisha

Président de l’Albanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 6 mai 1992

Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, je veux profiter de cette occasion pour exprimer ma plus grande satisfaction pour le grand honneur que vous m’avez fait en m’invitant à venir visiter Strasbourg, la ville de la liberté, qui incarne l’union de l’Europe, et à parler devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui représente et symbolise l’union politique future de notre communauté. C’est également un plaisir et un honneur particulier pour moi de parler devant vous, honorables parlementaires, en tant que représentant de l’un des peuples les plus anciens de l’Europe, lequel a, il y a un mois, par des élections libres, choisi définitivement la voie de la démocratie.

Je saisis aussi cette occasion pour remercier cette Assemblée parlementaire, Mme le Secrétaire Général, Catherine Lalumière, et tout le Conseil de l’Europe de l’attention et de l’aide bien efficace qu’ils ont apportées à la démocratie en Albanie dès les premiers jours.

Mesdames, Messieurs, dans l’histoire ardue de la nation albanaise, les années 90 resteront celles des transformations, des bouleversements, des souffrances et des grandes victoires. Le 22 mars, les Albanais ont vaincu le pouvoir communiste en Albanie, marquant ainsi l’une des plus grandes victoires dans leur histoire douloureuse, cela parce que le communisme a été sans aucun doute l’expérience politique, sociale et économique la plus tragique qu’ait connue l’humanité.

Ce système repose entièrement sur l’oppression, la violence et le mensonge. Il a promis aux hommes la liberté, mais en reniant les libertés fondamentales de l’individu; il leur a substitué l’oppression et la pauvreté. Pour les Albanais, ce système a été plus tragique que ne l’a été le système communiste pour tous les autres peuples de l’Europe de l’Est et c’est à juste titre qu’un illustre homme politique contemporain dit qu’il faut être Albanais pour comprendre ce qu’est le communisme. Tout cela, parce que ce système a déplacé les Albanais et a détaché l’Albanie de l’Europe.

Je tiens à souligner en l’occurrence que, ce que les autres ont appelé un «auto-isolement» de l’Albanie, a été en fait un isolement imposé, parce qu’il était contraire à la libre volonté et aux aspirations des Albanais. Ce système a porté gravement atteinte à la culture et a ruiné l’économie du pays. D’un pays béni, l’Albanie est devenue le pays des bunkers et des enfants affamés, des malades privés de soins médicaux, le pays des exodes et du chaos, de l’anarchie et du crime organisé. Le communisme était un système impitoyable.

Mesdames, Messieurs, parlementaires honorés, j’ai parlé de tout cela pour vous rappeler que notre triomphe relatif à la réacquisition de la liberté et à l’instauration de la démocratie présuppose deux moments d’une seule action: le moment destructif et le moment constructif.

Nous avons détruit le communisme après avoir été martyrisés. C’est le moment destructif. Il nous reste désormais à donner de la consistance à notre démocratie, à l’édifier: c’est le moment constructif. La réussite dans cette entreprise est décisive pour notre avenir.

J’espère et je crois que les Albanais ont compris que le travail, l’engagement et leur détermination sont les conditions indispensables pour la construction d’un système et d’un Etat démocratiques. Mais, lorsque je pense qu’il faut tout reprendre à partir de zéro, je me dis que l’image du phœnix sert uniquement à satisfaire l’imagination poétique. Dans le domaine de la politique, dans la construction et l’administration de l’Etat, les choses se présentent différemment. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous nous adressons encore à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et à toutes les démocraties de l’Europe et du monde, afin qu’elles aident et encouragent l’Albanie dans sa marche vers la liberté et la démocratie.

L’instauration des institutions démocratiques et le fonctionnement de l’Etat de droit constituent actuellement la grande priorité pour le pouvoir démocratique. Les nouveaux parlements démocratiques et le Gouvernement de l’Albanie se sont engagés à un travail ininterrompu en vue de l’élaboration d’une législation démocratique entièrement conforme aux principes de l’Acte final d’Helsinki, de la Charte de Copenhague et de celle de Paris. Notre but est d’édifier un Etat démocratique dont la politique ait pour dimension principale la dimension humaine, c’est-à-dire qui respecte entièrement les droits et les libertés de l’individu, des Albanais et des minorités pour lesquelles nous respecterons également toutes les normes internationales existantes.

Nous avons la détermination de transformer l’Albanie en un pays libre de citoyens libres, en un Etat démocratique qui, par sa politique d’intégration à l’Europe, contribue à la paix et à la stabilité dans la région. L’Assemblée du Conseil de l’Europe et le Conseil de l’Europe ont aidé les forces démocratiques durant la période de transition, mais actuellement leur aide nous est indispensable et nous espérons qu’elle sera plus importante. L’instauration d’un Etat démocratique est sans doute conforme à l’intérêt de toute l’Europe.

Mesdames, Messieurs, il est vrai que le 22 mars nous avons enterré le pouvoir central communiste, mais l’ennemi principal de la démocratie en Albanie est l’héritage de la dictature que nous avons connue. Aujourd’hui, cet héritage est représenté par le dépouillement, la pauvreté et les bunkers.

L’économie dirigée est détruite, mais l’économie de marché ne l’a pas encore remplacée. Le produit industriel a baissé de 50%, celui du pétrole de 45%, celui du cuivre de 70%, celui du chrome de 65%. On a réussi à privatiser la terre, mais 40% de la superficie sont laissés en friche. Les paysans manquent de machines agricoles, de pesticides, etc.

Le volume total des transports a baissé de 50%. L’inflation augmente de 15 % par mois et le chômage touche la moitié de la main-d’œuvre active. Le revenu annuel des employés varie de 150 à 200 dollars. Une loi absurde donne aux ouvriers 80% de leur salaire sans qu’ils aient travaillé, ce qui ruine l’économie; nous sommes bien décidés à la supprimer.

Tenant compte de ces problèmes énormes, nous sommes convaincus que seule une thérapie de choc peut rétablir la stabilité financière et la libéralisation radicale de notre économie. Nous sommes en train de travailler étroitement avec le Fonds monétaire international pour finaliser notre programme. Notre stratégie se fonde surtout sur la logique suivante: des entreprises d’Etat qui ne sont pas rentables doivent être fermées; en même temps, on favorise les secteurs privés libéralisant les prix.

Toutes ces interventions vont dégrader davantage les conditions de vie très difficiles des Albanais. C’est pourquoi, nous demandons l’assistance du Groupe des Vingt-quatre, pour qu’il nous accorde une assistance humanitaire et des produits alimentaires de base jusqu’à ce que notre production soit suffisante. L’assistance technique et financière, et le programme guest workers devraient permettre de diminuer le chômage et de former la main-d’œuvre ouvrière. L’encouragement des investissements européens en Albanie sera très apprécié de notre part.

Nous avons des ressources naturelles abondantes et une force ouvrière qui constituent un marché avantageux. Nous faciliterons les investissements étrangers par les lois que nous allons approuver bientôt. Il faut que les pays européens acceptent nos produits, pour que nous ayons la possibilité d’acquitter nos dettes.

Tout cet héritage amer du passé menace si gravement la démocratie en Albanie qu’il n’est pas exagéré de dire qu’il pose devant elle l’alternative lugubre d’«être ou ne pas être», parce que, comme l’Histoire l’a prouvé en maintes occasions, toute démocratie qui n’arrive pas à assurer la prospérité à ses ressortissants est destinée à échouer. C’est pourquoi nous estimons que les interventions de la part du Conseil de l’Europe et de la Communauté européenne seront nécessaires pour sauver l’Albanie et la nouvelle démocratie albanaise de ce terrible héritage.

Mesdames, Messieurs, actuellement, les Albanais constituent une nation divisée en deux. Environ 3 millions d’entre eux vivent sur leur terre millénaire en Yougoslavie, privés de droits humains et nationaux. Ils sont les seuls citoyens de ce continent qui n’ont pas connu le vote libre et sont en train de subir l’apartheid du dictateur communiste Milosevic, qui, par sa politique de violence, a transformé les contradictions en lutte armée, versant le sang à flots et faisant des victimes innombrables en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Il a concentré de nombreuses forces armées au Kosovo, menaçant la population albanaise d’un vrai massacre.

La nouvelle fédération yougoslave, création de type communiste, ne peut pas être reconnue par les Albanais et ne peut pas les inclure. Nous sommes d’avis que la reconnaissance du droit à l’autodétermination des Albanais du Kosovo est une condition pour la juste solution de la crise dans la région. La crise yougoslave ne peut pas être résolue sans reconnaissance du droit des Albanais. Les solutions imposées sans que soit prise en compte la libre volonté du peuple sont instables et fictives.

En outre, un grand nombre d’Albanais vivent en Macédoine. Il n’y a pas de statistiques exactes, mais on estime qu’ils sont entre 700 000 et 900 000. Nous sommes pour l’indépendance de la République de la Macédoine, mais elle doit respecter tous les droits et les libertés, individuels et nationaux, des Albanais. L’histoire de l’Europe a prouvé qu’un pays démocratique divisé en cantons est beaucoup plus stable qu’un pays unifié sous la pression et la dictature.

Mesdames, Messieurs, le nouvel Etat albanais est résolu à appliquer la politique des portes ouvertes et la libre circulation des hommes, des marchandises et des idées. L’objectif principal de cette politique est l’intégration de l’Albanie en Europe. C’est également le plus grand rêve des Albanais, qui, bien que parmi les plus anciens habitants de ce continent, ont en même temps le sentiment d’être ou de ne pas être.

Avec leur culture, l’une des plus anciennes, ils apporteront une contribution indéniable à la civilisation européenne actuelle.

Malheureusement, l’occupation communiste et l’isolement très poussé ont écarté l’Albanie de l’Europe. Voilà pourquoi les Albanais ont fait leur révolution démocratique sous le mot d’ordre: «Nous voulons que l’Albanie ressemble à l’Europe.» Voilà pourquoi ils frappent aujourd’hui, ici à Strasbourg, à ses portes. J’espère et je suis sûr que l’Europe va aider et même encourager les peuples pauvres à penser, à croire et à œuvrer pour vivre en une Europe unie, parce que, comme l’a souligné un grand homme de l’Histoire, Sir Winston Churchill, «Thus and thus only will be glory of Europe rise again». (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT

Nous vous remercions, Monsieur le Président, de votre discours plein de franchise et de sincérité, qui ne peut que trouver un écho favorable dans notre Assemblée.

Je répète ce que je vous ai déjà dit dans mon bureau, car je tiens à ce que cela soit partagé par mes collègues: nous sommes tous prêts, de cœur et de projets, à recevoir votre peuple et vos institutions parmi nous. Nous sommes heureux d’avoir entendu, dans votre discours, à quel point vos engagements convergent avec le souhait que nous exprimons de voir l’Albanie participer avec nous, aussitôt que possible, à tout ce que le Conseil de l’Europe suppose de valeurs, mais aussi de travaux de coopération et de projets d’avenir.

Mes chers collègues, le Président Berisha nous a indiqué qu’il était prêt à répondre aux questions spontanées des membres de l’Assemblée. Je l’en remercie vivement. De très nombreux collègues m’ayant fait part de leur intention de l’interroger, il ne sera pas possible d’utiliser la procédure des questions supplémentaires, sinon plusieurs Représentants ne pourront même pas poser leur première question.

Le Président Berisha répondra aux questions dans un ordre que nous avons établi afin que puisse être abordé le plus grand nombre de sujets possible et pour donner l’occasion à tous nos collègues d’intervenir. La parole est à M. Muehlemann pour poser la première question.

M. MUEHLEMANN (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président Berisha, c’est grâce à vous que la nuit communiste a cédé la place à l’aube de la démocratie et de la liberté. Quelles doivent être, à votre sens, les priorités de la coopération avec les pays européens? Le domaine des mesures à court terme: aide alimentaire, soutien de la médecine, lutte contre le chômage, ou des mesures à moyen terme: privatisation de l’agriculture, développement de la production industrielle, mise en place du secteur tertiaire? Ou bien faut-il commencer par améliorer les infrastructures de transport? Ou encore souhaitez-vous surtout développer les échanges d’expérience? Ce qui importe pour vous désormais, c’est que sésame s’est ouvert; vous pouvez sortir.

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Lorsque l’on part de zéro, il n’y a pas une priorité, mais des priorités, de nombreuses priorités. L’Albanie est, pour cette raison, un cas tout à fait à part. L’Albanie est tout à la fois en Europe et hors de l’Europe. L’Albanie a besoin d’une assistance humanitaire.

L’an prochain, la production de blé chutera d’au moins 50%, parce qu’environ 40% des terres cultivables n’ont pas été ensemencées. L’aide technique est une priorité de première importance pour l’Albanie. Nous avons besoin de l’aide de spécialistes pour réviser notre système juridique, notre économie et notre système bancaire. L’assistance technique est vitale si Ton veut créer de telles institutions.

Une autre priorité du gouvernement démocratique de l’Albanie concerne les infrastructures. Sans infrastructures appropriées, nous ne pouvons développer le tourisme et tirer ainsi profit de notre climat très favorable. L’agriculture, néanmoins, reste pour l’heure notre priorité. Plus des deux tiers de la population albanaise vit dans des villages. Certes, le système militaire bolchevique a été détruit et la terre a été privatisée, mais, sans machines agricoles, sans engrais ni semences, le système agricole de l’Albanie est condamné à rester rudimentaire et l’économie de marché à rester inefficace.

Le taux de chômage de l’Albanie est le plus élevé d’Europe. Nous avons besoin de créer de nouveaux emplois. Je tiens à rappeler à tous les pays d’Europe que les Albanais n’ont pas été autorisés à quitter leur pays pendant un demi-siècle. Pendant ce temps, des millions d’Italiens, de Grecs, d’Espagnols et de Portugais ont quitté leur patrie à la recherche d’une vie meilleure. Un programme de travailleurs immigrés doit être établi au bénéfice des Albanais. Cela permettrait d’alléger le poids du chômage et de construire un avenir meilleur pour le peuple albanais.

M. ROMAN (Espagne) (interprétation)

estime qu’à l’issue d’une époque terrible il faut promouvoir la tolérance, pratiquer le pardon et assurer la justice – ce qui ne signifie pas l’oubli. Quelles mesures de réconciliation nationale ont été prises?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

L’Albanie n’est pas le seul pays à avoir subi la dictature. Bien d’autres pays l’ont connue. A notre avis, la politique espagnole est le meilleur exemple à suivre. Il n’existe pas d’autres voies; en effet, une société qui a vécu sous le joug d’une dictature a besoin de justice, mais également de charité, toutes choses importantes si l’on veut que l’être humain grandisse. En Albanie, nous tentons d’appliquer le modèle espagnol. Je pense que votre pays, Monsieur Roman, devrait aider tous les pays d’Europe de l’Est à avancer sur cette voie.

M. PANGALOS (Grèce)

Monsieur le Président, permettez-moi d’abord de vous dire combien je suis heureux que vous soyez ici. Nous nous sommes rencontrés à Tirana dans des conditions beaucoup plus difficiles, à un moment où la liberté était fragile et l’avenir de l’Albanie incertain.

J’ai aussi une raison très personnelle d’être heureux de vous voir dans cette enceinte: il y a de nombreux siècles, mes ancêtres sont venus d’Albanie pour se rendre au sud de la Grèce. Je me sens donc un peu Albanais.

Ma question est simple. Vous avez fixé certaines priorités, mais je crois qu’il faut commencer par introduire une éthique de travail. Pour ce faire, ne convient-il pas de terminer au plus vite, c’est-à-dire avant la prochaine récolte, la distribution des terres? Comment se déroule cette distribution des terres? Où en êtes-vous dans ce processus?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Le processus de redistribution des terres avait été bien ralenti. Pour l’accélérer on a créé une commission gouvernementale et des commissions locales. Ce principe est juste et nous le respectons. J’espère bien que, dans un mois et demi, la redistribution des terres sera terminée, sauf pour les prétendues fermes d’Etat qui doivent être transformées en compagnies agricoles ou en quelque chose d’approchant.

Actuellement plus de 68% des terres ont déjà été données aux paysans. Il en reste donc environ 30% à redistribuer.

M. BENDER (Pologne) (traduction)

Il y a quelques mois, vous renversiez le gouvernement communiste. C’était un gouvernement extrêmement fort. L’Albanie était l’un des Etats communistes les plus durs du monde. Aujourd’hui, vous disposez d’un régime démocratique. Si le gouvernement communiste avait fermé toutes les églises et interdit toute pratique religieuse, j’aimerais vous demander ce qu’il en serait de la religion dans l’Albanie d’aujourd’hui.

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

L’Albanie s’efforce de garantir tous les droits de l’homme, et donc les droits religieux des Albanais. Mais, l’Albanie étant le pays le plus pauvre d’Europe, il nous est difficile de garantir le droit de chacun à pratiquer sa religion. Néanmoins, nous coopérons avec différentes institutions religieuses pour les aider notamment à construire des lieux de culte aussi vite que possible. Il existe en Albanie trois religions, parce que Dieu voulait trois religions, et nous les respectons toutes. Partout où il y a une poignée de catholiques, nous souhaiterions leur donner une église, tout comme nous souhaiterions qu’il y ait une mosquée partout où il se trouve une poignée de musulmans. Telle est notre politique.

Demain, j’aurai l’immense plaisir de rencontrer le pape à l’occasion d’une visite officielle.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Vous pourrez dire à Sa Sainteté le pape que ses compatriotes vous ont interrogé sur la situation religieuse en Albanie. La parole est à M. Poças Santos.

M. POÇAS SANTOS (Portugal) (interprétation)

constate que M. le Président de la République a déjà répondu à la question qu’il voulait poser.

M. ROWE (Royaume-Uni) (traduction)

Vous avez mis en lumière un fait par trop réel concernant le grand nombre d’Albanais vivant hors des frontières actuelles de l’Albanie. Or, le respect de l’intégrité des frontières existantes fait partie de la philosophie du Conseil de l’Europe. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions au sujet de votre politique à l’égard des Albanais qui vivent hors des frontières de l’Albanie?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Pour commencer, nous ferons en sorte que les droits des Albanais vivant en Yougoslavie soient respectés – les droits de l’homme ainsi que les droits des nations, y compris le droit à l’autodétermination, comme le prévoient les accords d’Helsinki. Ensuite, comme nous l’avons déjà déclaré, tous les Albanais auront droit à la double nationalité. Je sais combien j’ai été injustement critiqué pour cette mesure, mais, à mon sens, elle est un facteur d’intégration. Je suis prêt à accorder la double nationalité non seulement aux Albanais, mais également à tous les citoyens d’Europe et du monde. Vous aussi, Mesdames, Messieurs, vous possédez deux passeports. Vous n’avez pas pour autant déstabilisé l’Europe; au contraire, vous avez contribué à sa stabilité.

M. LIAPIS (Grèce)

Le Gouvernement grec souhaiterait savoir si vous jugez acceptable, au regard de vos idéaux démocratiques, d’avoir exclu le parti minoritaire grec Omonia des dernières élections grâce à un amendement qui, je le crains, avait votre soutien total – interdisant la création de partis politiques fondés sur des critères ethniques ou religieux. Pensez-vous que de telles pratiques contribuent à promouvoir les droits de l’homme – qui constituent, à nos yeux, la pierre angulaire du Conseil de l’Europe – ou estimez-vous que de telles mesures contribuent à améliorer vos bonnes relations avec les pays voisins?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

En ce qui concerne l’affaire Omonia, je dois vous dire que je n’ai pas donné mon accord et que je n’ai jamais été favorable à cette interdiction. Ce fut une mauvaise décision. Deux jours avant que le Parlement ne prenne la décision d’interdire au parti Omonia de présenter des candidats dans leurs circonscriptions, j’ai déclaré, lors d’une conférence de presse, que le parti démocratique voterait en faveur de la représentation de ce parti minoritaire. Cependant, Mesdames, Messieurs, n’oubliez pas que des démocraties balbutiantes sont toujours dans une situation plus délicate que les démocraties confirmées. Le jour qui a suivi la décision du Parlement, je me suis rendu chez le Président de la République. Je lui ai demandé de suivre, en l’occurrence, l’exemple bulgare et je lui ai expliqué le sens de ce choix. Il m’a promis de faire quelque chose, mais il ne s’est pas déterminé en faveur de cette solution. J’aimerais pouvoir vous assurer que tous les droits de la minorité grecque, les droits des individus et de la nation seront respectés. Néanmoins, vous devriez admettre que certains milieux ne sont pas en faveur de relations de bon voisinage. Je ne crois pas que le Gouvernement grec soit de ceux-ci. Nous œuvrons en vue de l’établissement de meilleures relations entre nos deux pays et j’ai bon espoir quant à une amélioration de la situation.

M. Friedrich PROBST (Autriche) (traduction)

Monsieur le Président, je me félicite de votre présence parmi nous. J’ai fait partie de la délégation chargée de suivre les élections en Albanie, qui a constaté que celles-ci se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes. Sur place, nous sommes beaucoup intervenus en faveur de la minorité grecque et d’Omonia. J’ai reçu récemment une carte géographique imprimée en grec, sur laquelle plus de la moitié du territoire albanais est présenté comme territoire grec. Cela signifie qu’il ne resterait qu’un tiers de l’Albanie et que les deux autres tiers de ce pays reviendraient à la Grèce. Si je vous demande quelle est votre position à l’égard de ces problèmes et quelle appréciation vous portez sur de telles actions ou encore comment vous comptez résoudre de tels problèmes, cela rejoint tout à fait la question posée par mon collègue grec. Je pense que, nous aussi, nous devrions nous imposer une certaine discipline dans notre réflexion. Nous devrions aussi réfléchir à la signification qu’auraient de telles cartes dans l’Europe de demain!

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Cette carte de l’Albanie représente, pour moi, les séquelles d’une mentalité et d’une politique dépassées. J’ose espérer que le Gouvernement grec ne se servira pas de cette carte, où la moitié du territoire albanais apparaît comme appartenant à la Grèce. Il y a trois jours, j’ai reçu la visite de M. Mitsotakis, qui a affirmé ouvertement que la Grèce n’avait aucune prétention sur le territoire de l’Albanie. Quant à ces documents, je regrette de devoir dire qu’ils ont été distribués par des prêtres, qui ont cru bon d’agir ainsi au lieu de servir leur religion et Dieu. J’ai parlé de cette affaire avec un évêque, qui a condamné ces actes.

M. SAHIN (Turquie) (interprétation)

constate que les mouvements démocratiques de l’Europe de l’Est ont entraîné également des bouleversements en Albanie et ont conduit, à partir de la crise étudiante, à une démocratisation et à une libéralisation sanctionnées par les récentes élections. Il demande au Président de la République quels sont les objectifs de l’Albanie au moment où elle s’intègre aux structures internationales.

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Une des principales aspirations de l’Albanie est de devenir membre à part entière du Conseil de l’Europe et d’édifier un Etat démocratique doté d’institutions démocratiques libres. Nous avons l’intention de demander l’aide du Conseil de l’Europe, et je suis sûr que nous l’obtiendrons, afin d’établir ces nouvelles institutions. Nous adopterons une politique de la porte ouverte, qui garantit la libre circulation des personnes, des biens et des idées.

M. BORDERAS (Espagne) (interprétation)

souhaite plein succès à l’Albanie dont l’avenir suscite tant d’espoirs et de préoccupations. Pendant de nombreuses années, l’enseignement de l’histoire, de la politique, de la philosophie et de la sociologie a été dispensé par des professeurs formés uniquement à l’idéologie marxiste. Les manuels scolaires ont-ils été changés? Les mentalités ont-elles évolué aussi vite que la situation politique?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

L’éducation figure au nombre de nos principales priorités. Nous avons d’ores et déjà modifié certains textes et nous allons poursuivre sur cette voie en procédant à un changement complet des manuels scolaires. Quant à nos enseignants, qui sont les plus pauvres des Albanais, je peux vous assurer qu’ils n’ont jamais été endoctrinés par les communistes. Ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait par peur, et, dès le début, ils ont fermement soutenu la démocratie.

Evidemment, nous avons besoin de l’aide de pays étrangers sous forme, par exemple, de l’octroi de bourses ou de programmes d’échanges, car nous avons la ferme intention de revaloriser nos universités et d’établir de nombreux liens et contacts avec vos universités. Nous travaillons actuellement avec l’Unesco pour accélérer la transformation de notre système éducatif.

M. COX (Royaume-Uni) (traduction)

Nombreux sont ceux d’entre nous qui ont vu sur leur écran de télévision les conditions misérables dans lesquelles vivent de jeunes enfants et des adultes souffrant de maladies physiques et mentales dans votre pays. Que fait-on pour améliorer les établissements médicaux, les conditions de vie et les perspectives d’avenir de ces personnes?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

La situation des enfants albanais est encore très délicate. Nous nous efforçons d’améliorer les soins de santé pour les enfants grâce à un programme de la Banque mondiale. Je sais que le Royaume-Uni nous apporte son soutien, nous sommes reconnaissants à tous ceux qui, de tous les coins d’Europe, nous aident à améliorer les soins médicaux prodigués aux enfants, ainsi que leur instruction. Nous avons déjà mis au point un projet, qui a été soumis à l’Organisation mondiale de la santé, prévoyant la mise en place d’une nouvelle politique démocratique dans notre pays.

M. ROKOFYLLOS (Grèce)

Monsieur le Président, originaire d’un pays qui n’a pas la moindre revendication territoriale à l’encontre de l’Albanie, et membre d’un parti, le Parti socialiste grec, qui a depuis longtemps tout fait pour promouvoir le dégel des relations entre les peuples albanais et grec, je peux me permettre de saluer votre présence ici comme un signe précurseur de l’arrivée prochaine de l’Albanie au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Ma question porte sur le processus de démocratisation de l’Albanie nouvelle.

Vous avez très pertinemment souligné qu’il y a deux moments en démocratie: l’un destructif et l’autre constructif. Vous avez assumé le moment de destruction de l’ancien régime. Pensez-vous organiser de façon bien démocratique, excluant toute discrimination, la période de construction de l’Albanie nouvelle?

M. Berisha, Président de l’Albanie

D’abord, je tiens à remercier l’équipe qui n’est plus au pouvoir, celle de M. Papandhréou, qui a bien démontré sa sympathie envers les Albanais. En effet, toute ouverture vers l’Albanie concernait les citoyens, les intellectuels et nullement le régime.

Ensuite, je vous affirme que nous ne ferons aucune discrimination. Si, dans votre question, vous pensiez à la participation du comité grec, je peux vous indiquer que deux ministres de notre cabinet et plusieurs hauts fonctionnaires appartiennent à cette minorité. Nous ne jugeons les gens que selon leur valeur, leurs capacités et leur attachement aux réformes.

M. PARISI (Italie) (traduction)

Je désire exprimer au Président Sali Berisha mes félicitations les plus vives et mon estime la plus sincère pour la façon simple et claire dont il a engagé le dialogue de ce matin, dialogue qui, nous l’espérons, pourra se développer quand l’Albanie deviendra membre à part entière de la présente Assemblée.

La question particulière que je voulais poser l’a déjà été; par conséquent, je ne la répéterai pas. Je saisis toutefois l’occasion qui m’est donnée pour évoquer le problème de l’aide alimentaire qui revêt un caractère prioritaire, non du point de vue de la stratégie, mais de l’urgence, et qui, ces derniers temps, a eu des résultats positifs. Je pense notamment à l’expérience et aux rapports avec l’Italie, pays avec lequel il y a eu des moments de grande tension que le Gouvernement italien a cependant gérés au mieux avec un grand sens des responsabilités. Quel est donc votre point de vue sur l’expérience d’aide alimentaire menée jusqu’à présent et de quelle façon pensez-vous que cette expérience puisse être perfectionnée et étendue pour passer de la phase d’urgence à une phase d’intervention plus organisée et donc plus efficace?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Sans l’aide et l’intervention du comité européen, spécialement de l’Italie, la démocratie ne pouvait pas gagner. Cette aide était vitale pour éviter le chaos total, voire une confrontation sociale entre Albanais.

En ce qui concerne l’aide humanitaire pour l’année prochaine – que j’ai souhaité ne pas voir diminuer, mais au contraire augmenter – elle devrait porter sur les produits de base. Ce dont l’Albanie a le plus grand besoin désormais, c’est d’une véritable coopération économique. Il faut donner aux Albanais la possibilité de travailler, parce qu’ils sont capables de créer et de produire.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante est de M. Berg, dont le nom n’a pas été communiqué à la présidence sur la liste des parlementaires désirant poser une question. Néanmoins, aucun représentant des pays Scandinaves n’ayant demandé à poser de questions, vous êtes cordialement invité à le faire.

M. BERG (Norvège) (traduction)

Lorsque j’ai visité votre pays, Monsieur le Président, j’ai été frappé par sa beauté et ses nombreuses ressources encore inexploitées, ce qui est de bon augure pour l’avenir. Il existe, par exemple, des amphithéâtres romains non restaurés à Durrës et ailleurs; à Durrës se trouve également un magnifique musée rempli de trésors antiques, qui sont insuffisamment gardés. Pouvez-vous nous donner des précisions sur vos espoirs d’attirer des touristes en Albanie, sachant que l’industrie du tourisme sera la plus importante dans le monde d’ici à la fin de ce siècle? Accorderez-vous toute l’attention nécessaire à vos responsabilités écologiques pour protéger les plus longues plages non polluées d’Europe, qui pourraient aussi être les dernières?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Le tourisme constitue l’une de nos priorités; néanmoins, pour le développer, il est nécessaire de disposer d’une infrastructure. Nous concentrons nos efforts actuellement sur le développement de cette infrastructure. Le développement du tourisme viendra ensuite. En ce qui concerne notre patrimoine culturel, nous sommes en train de renforcer nos liens avec différents organismes internationaux afin de le sauvegarder et de le restaurer.

M. MIKAN (République fédérative tchèque et slovaque) (traduction)

La commission des questions sociales, de la santé et de la famille du Conseil de l’Europe est consciente des problèmes que rencontrent les établissements hospitaliers en Albanie. Votre gouvernement, Monsieur le Président, entend-il transformer l’infrastructure sanitaire? Quelles mesures pourraient permettre d’améliorer la qualité des soins immédiatement?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Nous allons modifier la législation en matière de santé afin de créer un secteur privé de la santé, en complément du secteur public existant. Pour l’instant, une de nos principales difficultés est le manque d’équipement, ce qui jette un doute sur la qualité des soins prodigués. Nous travaillons de concert avec la Banque mondiale afin d’équiper nos hôpitaux. Nous entendons également favoriser l’épanouissement du secteur privé, car la concurrence est nécessaire pour assurer des soins de qualité. La concurrence doit être généralisée à tous les secteurs.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante est posée par Mme Lentz-Comette qui a été, vous ne l’ignorez pas, Monsieur le Président, un des ardents défenseurs de l’Albanie devant cette Assemblée.

Mme LENTZ-CORNETTE (Luxembourg)

Monsieur le Président, je suis d’autant plus heureuse de votre présence dans cette enceinte aujourd’hui que rien ne permettait de l’espérer lors des élections de mars 1991. On peut donc dire qu’il existe encore des miracles!

Le gouvernement précédent avait décidé de verser 80% de leur salaire aux ouvriers quand ils ne travaillaient pas. Les anciens prisonniers politiques étaient naturellement exclus de cette mesure puisqu’ils n’avaient pas de travail avant. Qu’avez-vous décidé concernant cette disposition et comment pensez-vous inciter vos travailleurs à reprendre leurs activités?

M. Berisha, Président de l’Albanie

Cette loi des 80 % était très communiste en ce qu’elle tendait à renforcer le pouvoir en place et qu’elle aboutissait à ruiner l’économie. Nous allons la supprimer. Des négociations sont engagées avec le comité européen qui, je l’espère, nous prêtera des crédits pour acheter des matières premières. Lorsque cela sera acquis, nous annulerons ce texte. L’Albanie ne peut pas progresser en maintenant cette loi qui représente une véritable gangrène pour notre économie.

Quant à la situation des anciens prisonniers politiques, elle est lamentable. S’ils ont gagné la liberté, ils n’ont pas retrouvé tous leurs droits. Des milliers d’entre eux vivent toujours dans leur camp de concentration à cause du manque de logements. Nous avons créé un ministère du Travail qui se préoccupera de leur sort. Nous allons adopter un programme accéléré afin de les intégrer et de normaliser leur vie dans les meilleurs délais; mais, là encore, l’assistance internationale nous sera indispensable.

M. GUNER (Turquie) (traduction)

Etant moi-même d’une famille d’origine albanaise et en tant que membre de cette Assemblée, permettez-moi de dire combien je souhaite que votre visite au Conseil de l’Europe contribue à améliorer les relations de votre pays avec cette Organisation. Comme vous le savez, mon pays s’efforce de contribuer au développement économique de votre pays, mais nous savons tous que cette aide n’est pas suffisante et que votre Etat a besoin de bien davantage. Le Président de la Pologne, M. Walesa, déclarait devant cette Assemblée que, si tous les pays d’Europe partagent les mêmes valeurs, la pauvreté risque fort, à l’avenir, de les diviser. Partagez-vous ce point de vue? Si tel est le cas, quelles mesures devraient être prises, à votre avis, pour éviter cet écueil? Qu’attendez-vous des autres pays européens pour améliorer votre balance des paiements?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Des années durant, l’Europe ressemblait pour moi à la pleine lune, avec une face éclairée, l’Ouest, et une face cachée et sombre, l’Est. Je sais que les différences politiques s’estompent et j’espère que cela contribuera à la disparition des différences économiques. Il faudra du temps, car les différences sont bien réelles. Je partage entièrement la vision de M. Walesa.

M. LAAKSO (Finlande) (traduction)

Monsieur le Président, vous avez parlé avec enthousiasme de la construction d’un nouvel Etat fondé sur le principe de la démocratie. Au Conseil de l’Europe, nous avons pu constater que les nouveaux dirigeants de l’ex-bloc socialiste ont inséré dans leur législation, ou prévoient de le faire, le fameux concept de la punition collective de centaines de milliers de membres des partis communistes. Allez-vous adopter en Albanie la même ligne de conduite que, par exemple, la République fédérative tchèque et slovaque, ou votre pays appliquera-t-il les principes de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui rejette toute punition collective?

M. Berisha, Président de l’Albanie (traduction)

Nous sommes absolument opposés au concept de punition collective. Nous entendons respecter et signer toutes les conventions. Dans toute dictature, j’estime que la responsabilité est verticale, et personne ne pourrait dire que je ne me sens pas moi-même en partie responsable. Nous sommes opposés à la punition collective, rien de tel n’aura lieu.

M. RUFFY (Suisse)

Monsieur le Président, l’abandon du communisme et l’installation de nouveaux régimes dans des pays qui, antérieurement, n’avaient pas une longue expérience de la démocratie, avec la pleine reconnaissance des droits individuels, ne débouchent pas toujours sur toutes les améliorations espérées.

Qu’en sera-t-il de l’égalité des droits entre hommes et femmes dans la future société albanaise? Faut-il redouter la résurgence de traitements discriminatoires, qui rendrait difficile voire impossible l’accès à des activités et à des charges administratives ou politiques pour la femme albanaise?

M. Berisha, Président de l’Albanie

Je dois d’abord appeler votre attention sur le fait que les femmes albanaises ont joué un rôle crucial dans la victoire de la démocratie. Je reconnais qu’elles n’ont pas eu la place qu’elles auraient méritée au regard de ce rôle.

Nous allons tout faire pour assurer une véritable émancipation, mais vous devez comprendre qu’au sortir d’une dictature nous sommes confrontés chaque heure, chaque jour, à de vieilles idées ennemies de la démocratie.

La démocratie ne peut être instaurée en quelques jours, en quelques mois. Il faut se battre pour y parvenir. Peut-être une génération sera-t-elle nécessaire. Je n’en sais rien.

M. PAHTAS (Grèce)

Monsieur le Président, je suis vraiment très heureux de vous voir parmi nous, vous qui représentez votre pays et le peuple albanais, chez nous qui sommes le carrefour de la démocratie et qui représentons les droits de l’homme. Je vous souhaite sincèrement de réussir.

Monsieur le Président, les 11 et 12 janvier derniers, les Albanais de la république de Skopje ont pris part à un référendum déclaré illégal par les autorités de cette république.

Au cours d’un échange de vues que nous avons eu hier avec une délégation de cette république, le nombre des Albanais y a été estimé à environ 400 000. Or, vous avez parlé ce matin de 700 000 à 900 000 et de la nécessité de créer un canton.

Il serait très intéressant pour notre Assemblée que vous soyez plus explicite au sujet de la création de ce canton et plus précis quant au nombre exact d’Albanais qui se trouvent dans la république de Skopje.

M. Berisha, Président de l’Albanie

Je dois d’abord vous indiquer qu’il n’existe aucune donnée exacte quant au nombre des Albanais, des Turcs ou des Macédoniens dans cette république, ce qui explique la disparité des chiffres.

Nous soutenons l’indépendance de la Macédoine, parce qu’elle constitue un point chaud qui pourrait donner naissance à un conflit balkanique. Toutefois, je ne puis imaginer l’existence de cet Etat sans qu’y soit assuré le respect des droits de l’homme des autres nationalités, lesquelles, selon des données non confirmées, représentent ensemble la majorité. Les Macédoniens ne sont donc pas majoritaires dans cette république.

Quant à moi, je suis pour l’autonomie territoriale et politique des Albanais. A Titograd et dans plusieurs communes, en effet, ils représentent plus de 90% de la population.

A mon avis, un Etat démocratique divisé en cantons est beaucoup plus stable qu’un Etat uni sous la dictature. Or, l’actuelle Constitution macédonienne indique qu’il n’existe qu’un Etat macédonien, excluant ainsi toute autre citoyenneté. J’estime qu’il faudrait y adopter une solution cantonale ou élaborer une autre Constitution plus conforme aux intérêts de tous les citoyens.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur le Président. Vous avez répondu à une vingtaine de questions et je suis certain que nos collègues de l’Assemblée sont très satisfaits, comme je le suis moi-même.

Nous tenons à vous remercier pour votre sincérité et pour votre spontanéité. Croyez bien que nous sommes tous très heureux et que nous garderons un excellent souvenir de votre venue parmi nous.

Je crois également pouvoir exprimer la satisfaction que nous éprouvons après votre affirmation du souhait formel de l’Albanie de devenir membre de plein droit du Conseil de l’Europe. Nous en prenons bonne note et nous soutiendrons tous votre souhait et les efforts nécessaires et difficiles que vous devrez consentir afin qu’il vous soit donné satisfaction.

Vous avez certainement remarqué que certains de mes collègues qui vous ont posé des questions ont fièrement revendiqué leur origine albanaise. En les entendant, je pensais au Président Kennedy qui s’est écrié à Berlin: «Ich bin ein Berliner.» Je pensais aussi à ce que nombre d’entre eux disaient: «Nous sommes tous des Juifs allemands.»

Je crois être le porte-parole de mes amis, en affirmant que le moment est venu de proclamer ici: «Nous sommes tous des Albanais.» Monsieur le Président, nous vous saluons et nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre action.