Mikhail

Saakashvili

Président de la Géorgie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 28 janvier 2004

Monsieur le Président, c’est pour moi un honneur et un grand privilège que de pouvoir m’adresser à cette éminente Assemblée. J’ai encore de nombreux amis présents dans l’hémicycle, et je voudrais profiter de cette occasion pour les remercier du soutien très important qu’ils ont apporté à la Géorgie au fil des années. En dépit de l’élargissement de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a toujours un rôle très important à jouer dans les régions frontalières de l’Union européenne, ainsi que dans l’ensemble que constituent les Etats de l’ex-Union soviétique et de l’Europe centrale. Sans parler, bien sûr, des pays d’Europe occidentale, pour lesquels le Conseil de l’Europe est également irremplaçable, à maints égards.

Je suis également très heureux d’avoir appartenu pendant de nombreuses années à cette Assemblée. En fait, Monsieur le Président, je peux dire que j’étais plus à l’aise et plus «protégé» lorsque je siégeais à votre place, en tant que Vice-Président de l’Assemblée, que je ne le suis à présent. Cela dit, cette journée est pour moi, en quelque sorte, une belle «escapade», dans un environnement aussi sûr, protégé et agréable.

Sachez que votre soutien n’a pas été inutile. Nous assistons aujourd’hui au début d’une nouvelle ère en Géorgie: une ère de réforme, de stabilité et de partenariats renforcés avec les pays amis, dans le monde entier, et notamment nos amis européens. Ce n’est certainement pas par hasard que mon premier voyage officiel à l’étranger, en tant que Président de la Géorgie, soit cette visite à Strasbourg, au cœur de l’Europe.

Je voudrais dire quelques mots de ce que nous avons appelé la «révolution de la rose». Au cours du mois de novembre 2003, la nation géorgienne s’est soulevée afin de défendre son droit fondamental à la liberté, au libre choix de ses représentants, et à l’instauration d’une démocratie libre, où le peuple jouit du droit unique à choisir ses dirigeants. Les chefs d’Etat n’ont pas le droit de s’imposer sans le consentement du peuple.

Cette «révolution de la rose», parfaitement pacifique, n’est due ni à une certaine stagnation économique et politique de la Géorgie, ni au climat de corruption généralisé. Non, cette révolution a été plutôt la traduction directe de notre respect des valeurs européennes liées à la démocratie libérale: des valeurs qui constituent le fondement de l’identité et de la culture géorgiennes, et sont partagées par l’ensemble des Géorgiens. Si elle ne devait porter qu’un seul message, cette «révolution de la rose», non violente, dirait au monde entier que l’ensemble du peuple géorgien aspire à un Etat démocratique, indépendant et stable, dans lequel les droits de l’homme sont respectés et protégés.

En outre, les Géorgiens ont su faire preuve de courage et de ténacité, et manifester l’engagement nécessaire lorsqu’il s’est agi de défendre ces valeurs fondamentales de manière civilisée, à des moments où elles ont pu être menacées. J’ai la conviction que la «révolution» géorgienne peut constituer un modèle pour l’ensemble de cette partie du monde, ainsi qu’un message et un exemple concret, indiquant que les nations de l’ex-Union soviétique peuvent réaliser avec succès, et de manière pacifique, la transition vers la démocratie.

La réussite de la Géorgie peut être celle de l’ensemble de cette région, et constituer une véritable «vitrine» positive pour tous. De la même manière, si la Géorgie devait échouer, ce serait un échec pour toute la région. S’il ne devait y avoir qu’une seule raison d’agir, ce serait celle-là; nous devons en effet saisir l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui, afin de changer le destin et l’avenir de toute une région et de l’ensemble des populations qui y vivent.

Aujourd’hui, j’éprouve une grande fierté en pensant à mon pays, car son peuple m’a très largement accordé un mandat afin de rendre à la Géorgie sa véritable vocation, à savoir une appartenance responsable à la communauté européenne des nations démocratiques. A mon retour de Davos, la semaine dernière, j’ai songé à l’extraordinaire puissance de la mondialisation, et à la vitesse considérable avec laquelle l’information circule dans le monde entier. En fait, il m’arrive même de penser que la révolution géorgienne n’aurait guère pu se produire sans ces nouvelles tendances. Que serait-il arrivé, par exemple, sans l’apport du téléphone portable et de la télévision en direct? Dans ce domaine, je ne pense pas seulement à la télévision géorgienne, qui est très dynamique – par exemple, je suis accompagné aujourd’hui par cinq ou six équipes de chaînes de télévision géorgiennes indépendantes –, mais je veux parler aussi de CNN et d’autres chaînes. A cet égard, les réunions de Davos reflètent véritablement cette mondialisation.

Les nations modestes telles que la Géorgie peuvent vraiment tirer profit de cette situation, si elles ont l’intelligence de prendre les mesures qui s’imposent face au processus de mondialisation. Mais chacun sait que la mondialisation est aussi une question très délicate, pouvant constituer un défi pour l’identité culturelle de chaque peuple. Par conséquent, il ne s’agit pas seulement de considérer les problèmes locaux d’un point de vue mondial; il faut également considérer les problèmes mondiaux avec un éclairage local, en ayant bien conscience que votre région fait partie de l’ensemble planétaire. Il ne faut certainement pas perdre de vue sa propre identité, car le droit à une identité est le premier des droits de l’homme.

Si ce problème identitaire est la base et le point de départ de notre réflexion, je peux dire clairement – en parlant aussi au nom de l’ensemble du peuple géorgien – que l’identité de la Géorgie est fondamentalement européenne. Aujourd’hui, la Géorgie est enfin revenue sur le bon chemin, en s’intégrant de nouveau à une Europe dont elle partage les valeurs et l’histoire. En fait, il y a seulement trois jours, lors de mon investiture présidentielle, nous avons, après la levée du nouveau drapeau géorgien (qui est l’ancien drapeau de la chrétienté), dressé celui de l’Union européenne et interprété l’hymne de l’Union européenne. On pourrait penser que c’était une sorte de «coup publicitaire»; mais, en vérité, il n’en est rien: ce fut l’expression directe de la conviction profonde des Géorgiens – à savoir que la Géorgie et l’Europe dans son ensemble ont une identité commune. Cependant, pour renforcer encore ce lien, l’Europe doit faire davantage: elle doit assurer la prospérité et la stabilité des générations à venir. Car, si la Géorgie peut effectivement jouer un rôle clé en contribuant de manière positive à la stabilité de l’Europe, mon pays se situe aussi dans une région potentiellement instable; ce danger peut être écarté si l’Europe a une action positive, si elle ne ferme pas les yeux, si elle identifie les problèmes et si elle relève les défis avec courage, comme elle a su le faire au plus fort de son histoire.

Ma vision de l’avenir de la Géorgie repose sur la capacité de mon pays à apporter une contribution à l’Europe en tant que partenaire, allié et membre de l’entité européenne. Aujourd’hui, l’ambition première de la Géorgie n’est rien moins que l’adhésion à part entière à l’Union européenne. A cet égard, je considère que notre «révolution de la rose» a montré non seulement de quoi étaient faits les Géorgiens, mais aussi qu’ils étaient prêts à faire les premiers pas dans cette direction, avec le courage nécessaire. Je souhaite que nous franchissions ensemble une nouvelle étape, en reconnaissant l’appartenance de la Géorgie à un ensemble européen plus large. Dans ce contexte, j’ai eu, il y a quelques jours, des entretiens avec M. Solana, à Tbilissi, ainsi qu’avec M. Prodi. Et je compte me rendre à Bruxelles pour aborder ces questions.

Dans le cadre de mon mandat présidentiel, j’espère pouvoir transformer la Géorgie. La transformer et confirmer sa vocation, qui consiste à investir dans son peuple par l’éducation. La Géorgie sera compétitive. Vous devez savoir que les Géorgiens sont désormais engagés dans le processus permanent de concurrence mondiale, et que mon pays sera en position de concurrence. Nous comptons participer au mouvement de mondialisation, mais aussi en bénéficier. Mais, parallèlement, la Géorgie célébrera sa culture spécifique. Nous sommes européens et avons une place particulière à occuper en Europe.

Le renforcement de la démocratie géorgienne est un idéal pour mon pays et pour l’ensemble de la région. Nous devons établir un gouvernement efficace et réactif, qui sache écouter et représenter toutes les voix pouvant se faire entendre dans le pays. Le gouvernement ne doit pas se protéger par rapport au peuple; c’est plutôt lui qui doit protéger le peuple géorgien. Les droits de l’homme seront respectés dans mon pays, et la Géorgie sera une nation stable, en mesure d’apporter sa contribution à la communauté internationale. Ce sera une nation unie, sachant tirer pleinement profit de sa position géostratégique. Notre région relance actuellement son développement économique, et, dans ce contexte, la Géorgie jouit d’une position idéale: elle se situe au carrefour culturel non seulement de la région, mais aussi de nombreuses civilisations universelles. La nation géorgienne sera l’alliée de tous les pays voisins et amis.

On veut souvent nous souffler nos choix, et penser à notre place. Certains parviennent un peu vite à des conclusions assez superficielles, disant que nous devons être «pro-américains» ou, au contraire, «pro-russes». Personnellement, j’ai été étudiant aux Etats-Unis; si bien que la première idée adoptée précipitamment par les médias mondiaux – en particulier les médias russes – a été celle-ci: «La Géorgie a un nouveau dirigeant. Il est résolument pro-américain, puisqu’il a étudié le droit pendant plusieurs années aux Etats-Unis.» Mais, lorsqu’on a révélé de nouveaux éléments de mon parcours personnel, certains ont également souligné: «Regardez: il a une épouse néerlandaise, citoyenne d’un Etat membre de l’Union européenne. Ils se sont connus à Strasbourg. Elle devrait infléchir un peu plus son époux dans le sens pro-européen. On peut garder espoir!»

Personnellement, j’aime beaucoup le peuple et la culture russes. J’aime Tchaïkovski et Tolstoï, et j’adore Saint-Pétersbourg. Dès lors, comment peut-on affirmer que je manque de relations utiles en Russie? En fait, je ne suis pas en manque de bonnes relations avec l’ensemble de nos voisins. Je n’ai que l’embarras du choix. Par conséquent, je n’ai aucune intention d’être uniquement pro-américain ou pro-russe. Je suis pro-géorgien; je suis géorgien, et, à ce titre, européen.

C’est là un élément fondamental en termes d’identité et de valeurs.

Mais, de toute évidence, nous ne devons pas faire uniquement des déclarations de politique étrangère. Nous autres Géorgiens devons mener un véritable combat contre la corruption, et, à cet égard, nous avons modifié les règles du jeu gouvernemental. Après de nombreuses années d’impunité, et après les garanties absolues offertes par mon prédécesseur à toutes les personnalités corrompues – auxquelles il assurait qu’elles resteraient intouchables si elles restaient fidèles au gouvernement en place –, plusieurs personnalités très haut placées ont été arrêtées. Il y a là un certain retour de la justice dans la bonne direction. Cette action n’a pas été une sorte de vengeance personnelle contre qui que ce soit – et notamment d’anciens fonctionnaires liés au gouvernement. Mais, en tout cas, en l’espace de deux mois, certains hauts fonctionnaires en place ont été mis en examen et arrêtés pour s’être livrés de nouveau à leurs anciennes pratiques.

C’est une chose que de procéder à des arrestations; mais c’en est une autre que d’essayer de changer le système qui engendre cette corruption, et qui en est le fondement. Désormais, nous nous efforçons d’éliminer certains groupes d’intérêt particuliers, ayant des actions qui discréditent la démocratie et font fi de cette notion, du fait que, pour ces groupes, la loi n’a aucune importance. La Géorgie s’est dotée d’un excellent corpus législatif, dont une grande partie a été conçue avec l’aide précieuse du Conseil de l’Europe; cependant, ces lois n’ont jamais été appliquées, parce que le processus se heurtait à tout un ensemble d’intérêts privés. L’élimination de ces groupes, la réduction des effectifs de fonctionnaires gouvernementaux, la chasse aux abus, l’augmentation des salaires de ces personnes et une action visant à faire sortir le pays de la boue corruptrice dans laquelle il a été englué, tout cela constitue les réformes fondamentales dans lesquelles nous sommes engagés à l’heure actuelle.

Nous avons le soutien du peuple. Mais les personnes auxquelles nous nous attaquons sont puissantes. Elles ont beaucoup d’argent et de nombreuses connexions internationales. L’argent est leur arme, et, encore une fois, ces gens-là ont des ressources très importantes; mais, pour notre part, nous sommes également déterminés. Nous savons que les compromis que font, à l’heure actuelle, les simples «réformateurs» auront de graves conséquences pour le pays, dans un proche avenir. C’est une expérience qu’ont déjà faite d’autres nations en transition. C’est pourquoi je considère que nous ne sommes pas en position de faire des compromis, car cette voie choisie par les réformateurs est très étroite. Si cette option ne porte pas ses fruits, nous aurons ensuite des regrets, car nous comprendrons que nous avons laissé passer une chance de transformer le pays, alors que nous avions le soutien du peuple.

Parmi les institutions fondatrices de notre pays, nous apprécions tout particulièrement le système de l’Etat de droit. La Géorgie connaît actuellement un processus de réforme juridique tout à fait intéressant, dont la mise en œuvre se fait grâce au concours de la communauté internationale, mais aussi et surtout par la volonté même du peuple géorgien. Nous devons absolument appliquer tout l’arsenal législatif qui est le nôtre. A l’heure actuelle, nous mettons en place un système fiscal plus souple, afin d’encourager les investissements dans le pays – processus qui profitera à chaque citoyen. Par ailleurs, nous pouvons également tirer parti de nos atouts géographiques.

Nous allons nous efforcer d’instaurer une stabilité durable à l’intérieur de notre pays, par le règlement pacifique de conflits qui divisent la nation depuis trop longtemps. Je veux parler des problèmes liés aux territoires d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Autre défi qu’il nous faut relever: celui de la pauvreté, que nous devons éliminer dans la mesure où il s’agit d’une atteinte à la dignité nationale. Cette pauvreté a un caractère artificiel, car elle résulte d’une longue période de mauvaise gestion, de corruption, de cynisme gouvernemental, et d’un système oligarchique dans lequel les mandats d’élus se vendaient et s’achetaient à loisir, et où nul ne pouvait changer quoi que ce fût. La révolution récente nous a appris que nous n’avions pas à reprendre l’argent des corrompus ou à nous livrer nous-mêmes à des tractations douteuses. Le peuple géorgien nous a fait savoir que nous n’avions aucun besoin de ces accords passés dans la coulisse et dans l’ombre. Le peuple nous a dit: «Nous vous libérons des anciennes obligations. Venez simplement “nettoyer” le pays, car nous savons bien que la majeure partie de l’argent accumulé dans le pays est de l’argent sale, issu de la corruption. Nous savons que, dans la coulisse, ont lieu des tractations internationales qui ne sont pas très “propres”. Nous sommes résolus à vous donner tous les pouvoirs pour éliminer les intérêts privés.» Cette prise de position du peuple va nous aider à libéraliser notre économie. Nous commençons également à procéder à une réforme institutionnelle, qui doit conduire notamment à une véritable décentralisation.

Permettez-moi à présent de revenir à la question des relations de la Géorgie avec l’étranger. La Géorgie apprécie tout particulièrement le partenariat qu’elle entretient de longue date avec les Etats-Unis. Les autorités américaines nous ont aidés de la même manière qu’elles étaient venues au secours de l’Europe occidentale après la seconde guerre mondiale, et c’est là un élément que nous n’oublierons jamais. D’autre part, nous souhaitons également un partenariat et une amitié à long terme avec la Fédération de Russie. Celle-ci a d’abord joué un rôle négatif à l’égard de notre pays, notamment dans les années ayant immédiatement suivi notre accession à l’indépendance. Ce qui s’est produit en Abkhazie, ce n’est pas un conflit séparatiste; cela a été plutôt et avant tout une guerre russo-géorgienne, avec intervention de l’armée russe – les autorités russes voulant punir la Géorgie en raison de son désir d’indépendance. Puis est venu le temps du maintien de la paix par les Russes, essentiellement parce que le reste du monde n’a pas souhaité intervenir. Mais cela n’a pas été un véritable processus de paix; cela ne fut qu’une paix partielle, car les Russes ont voulu conserver une partie de leur ancien empire. Encore une fois, ce n’était pas une véritable volonté de rétablir la paix dans la région.

Cependant j’ai bon espoir de voir les choses évoluer. En effet, nous constatons un certain bon sens chez les dirigeants russes actuels, et une approche plus saine de leur part. Je viens de m’entretenir avec M. Margelov, et j’ai cru comprendre que différentes voix se faisaient entendre en Russie. Nous devons dialoguer avec tous ces groupes. La Fédération de Russie ne doit pas être notre ennemi. La Géorgie est un petit pays dans un environnement géopolitique très complexe. Nous devons assurer notre survie. Avec la Fédération de Russie, nous avons une histoire commune et des liens culturels, et nous souhaitons améliorer nos relations. Je tends une main amicale à la Fédération de Russie, et j’espère que le Président Poutine saura répondre à ce geste lors de ma prochaine visite à Moscou.

Malgré tout, cela reste compliqué sur un plan stratégique. En effet, la Fédération de Russie refuse toujours de satisfaire à l’engagement qu’elle a pris, au niveau international, de fermer ses bases militaires en Géorgie. J’ai conscience qu’à cet égard la Fédération de Russie a de légitimes préoccupations sécuritaires, liées au phénomène du terrorisme. Nous sommes prêts, pour notre part, à tenir compte de certains de ces intérêts légitimes. Mais, en même temps, on a assisté à une véritable catastrophe humanitaire. Il nous faut, désormais, avoir de meilleures relations avec chaque pays de la région, et notamment les nations immédiatement voisines. Nous sommes conscients que la Fédération de Russie doit protéger ses frontières, et nous sommes prêts à aller assez loin dans le sens de la coopération dans ce domaine, afin que la Fédération de Russie se sente en sécurité et qu’elle comprenne bien que la Géorgie est un pays ami.

Je réaffirme donc mon engagement le plus sincère en faveur du rétablissement de bonnes relations avec la Russie, et je pense que nous sommes en mesure d’accomplir ce processus.

Il se pose de nombreux autres problèmes, particulièrement délicats. Il m’arrive de penser qu’il faudrait que je sois un véritable magicien pour les résoudre. Mais, en fait, le peuple géorgien a déjà prouvé qu’il était capable de faire des miracles. Nul n’avait songé que la révolution géorgienne serait aussi pacifique, sans aucune effusion de sang et sans aucune violence. Les images en ont été diffusées en direct sur les écrans de télévision du monde entier, et les gens n’en croyaient pas leurs yeux. Cette absence de violence s’explique par le fait que nous avons travaillé avec l’armée et la police. Nous sommes allés auprès de chaque citoyen, afin d’expliquer que le droit le plus fondamental de chaque peuple et de chaque famille qui respectent l’Etat de droit est de désobéir à tout gouvernement en infraction avec ces règles de base. Voilà ce qui s’est passé, et c’est ce qui explique que la révolution ait réussi.

Aujourd’hui, la tâche essentielle consiste à préserver notre société. Contre toute attente, nous avons traversé avec succès la période de transition. Dans de nombreux pays en transition, après la période soviétique, le problème essentiel reste celui de la succession à la tête de l’Etat. Personne n’a encore trouvé la solution pour assurer cette succession sans conflit. C’est pourquoi les peuples de ces pays ont tellement peur lorsqu’on leur parle de changement de pouvoir. Et pourtant, la Géorgie vient de prouver que cela pouvait se faire de manière pacifique et organisée. Oui, cela est possible si chacun coopère avec discipline et que tous les acteurs de la scène politique s’unissent afin de défendre les intérêts collectifs que sont la paix, la stabilité et la démocratie.

Il y a deux jours, lors de mon intronisation, je dédiais mon mandat de Président à l’ensemble du peuple géorgien, à tous ceux qui ont souffert ou qui ont même donné leur vie pour préserver notre liberté, à tous les enfants de Géorgie dont nous devons construire l’avenir, et enfin au processus de rétablissement de l’intégrité totale du territoire géorgien.

Je m’adresse à vous aujourd’hui, pour vous dire mon engagement très ferme et sans réserves en faveur de la réintégration de la Géorgie dans la famille européenne. Le peuple géorgien et ses dirigeants souhaitent faire la meilleure utilisation possible des ressources nationales; et cet appel vise non seulement les habitants de la Géorgie, mais aussi tous les Géorgiens qui vivent à l’étranger – et dont certains m’ont salué ici même, à l’entrée de l’Assemblée. A tous les Géorgiens qui ont fui le pays à la suite du désastre qui l’a frappé, je voudrais dire ceci: «S’il vous plaît, rentrez dans votre pays et mettez votre expérience européenne au service de la reconstruction de la Géorgie.»

Je tiens à réaffirmer que nous devons reconstruire la Géorgie avec le concours de tous nos frères et sœurs européens, car c’est ainsi que nous mettrons en place une nation stable et prospère.

Je suis convaincu que cette coopération renforcera nos liens, mais qu’elle permettra également la réussite de notre partenariat – et c’est là l’élément essentiel. Je vous remercie de votre attention.

LE PRÉSIDENT (traduction)

M. Saakashvili, nous vous adressons tous nos remerciements pour ce discours des plus intéressants. Les membres de l’Assemblée souhaitent à présent vous poser un certain nombre de questions.

Je voudrais leur rappeler que la formulation de chaque question doit se limiter à trente secondes. Nos collègues doivent simplement poser une question, et non pas faire un discours! J’autoriserai des questions supplémentaires à l’issue de la première série de questions, et si nous en avons le temps matériel.

Monsieur Saakashvili, vous avez tout loisir de répondre aux questions depuis le siège que vous occupez. La première question émane de M. Davis, Président du Groupe socialiste.

The Rt. Hon. Terry DAVIS (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur Saakashvili, permettez-moi de vous féliciter d’avoir annoncé que la priorité des priorités, pour la Géorgie, sera la campagne contre la corruption. De quelle manière les amis de la Géorgie au sein du Conseil de l’Europe peuvent-ils contribuer à cette campagne?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Les Géorgiens apprécient énormément l’aide que vous nous avez apportée en ce qui concerne l’élaboration de la nouvelle législation du pays. Les règles instaurées par le Conseil de l’Europe en matière de blanchiment d’argent ont été également très utiles. Il faut savoir que, dans ce domaine, les Géorgiens sont aujourd’hui très déterminés. Pour nous, c’est véritablement une question de survie; mais ce processus comporte différents aspects. Il ne s’agit pas seulement de procéder à des arrestations; il faut changer l’ensemble du système qui a engendré la corruption. Nous devons confisquer les avoirs issus de la corruption, car les ex-personnalités ou fonctionnaires corrompus qui conservent leur réseau de relations et leurs biens (même s’ils sont en prison) peuvent facilement atteindre les personnes qui osent élever la voix contre leurs agissements. Par conséquent, il ne s’agit pas tant de poursuivre et d’arrêter les personnes corrompues que de geler leurs biens et de supprimer l’influence que ces personnes peuvent encore avoir sur la société.

Cependant, nous souhaitons rester très strictement dans le cadre des normes démocratiques, car la démocratie est synonyme d’Etat de droit. Or, en tant que système, la corruption fait fi de l’Etat de droit. Le système oligarchique qui a persisté dans les pays de l’ex-Union soviétique est en fait une atteinte à la dignité individuelle.

A ce jour, je n’ai pas tout à fait réussi à convaincre bon nombre de personnes extérieures à la Géorgie que ce qui s’est produit dans notre pays n’était pas un coup d’Etat fomenté par les Etats-Unis ou l’Europe. Ce ne fut même pas un «putsch» local: cette révolution est née en fait de la volonté du peuple géorgien. Dans l’ensemble des pays de l’ex-Union soviétique, on continue à penser que l’individu ne compte pas, et cela explique tous les comportements de corruption.

Le combat contre la corruption n’est pas seulement une question de répression. C’est aussi une conception fondamentale de la gestion d’un pays et de la redéfinition de la situation géopolitique. Si nous réussissons dans cette entreprise, la région sera véritablement transformée sur le plan géopolitique. C’est la raison pour laquelle ce combat est l’une des priorités politiques essentielles. C’est également pour cette raison que je suis très reconnaissant au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de m’avoir très ouvertement apporté son soutien. M. le Secrétaire Général a déclaré en effet que le fait de soutenir mon mandat présidentiel n’était pas seulement une prise de position officielle, mais aussi et surtout une manière de contribuer à la lutte contre la corruption. Je forme l’espoir que ce soutien sera permanent.

M. VAN DER LINDEN (Pays-Bas) (traduction)

En fait, je n’ai pas de question à poser; je voudrais simplement saisir l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui de remercier notre ancien collègue. M. Saakashvili n’est pas seulement le nouveau Président géorgien; c’est aussi l’un des nôtres. Je suis très fier d’avoir pu suivre son discours, qui a été très encourageant et très prometteur. Je considère que la communauté internationale se doit de soutenir le Président de la Géorgie face aux défis considérables qui l’attendent. Nous espérons que le soutien du Conseil de l’Europe permettra à ce pays d’être un véritable modèle pour l’ensemble de la région. J’adresse à M. Saakashvili mes félicitations et mes vœux les plus sincères.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

J’apprécie énormément ce soutien.

M. COX (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur Saakashvili, cela a été un très grand plaisir que d’écouter vos déclarations sur la vision que vous avez de l’avenir de votre pays. J’espère que l’une de vos priorités sera également la réforme de la police géorgienne qui – malheureusement, je dois le dire – ne bénéficie pas d’une estime considérable du peuple géorgien; et pourtant, elle le mérite.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je vous fais tous mes remerciements. Nous allons en fait réduire les effectifs de la police, afin de donner davantage de transparence au système. Nous allons également revaloriser les salaires des policiers. Nous avons créé un corps d’élite, chargé d’enquêter sur les secteurs de la police et du parquet. Notre ministre de l’Intérieur et le procureur de la République sont des personnalités jeunes et dynamiques. Ils sont très engagés dans le sens de la réforme, et – élément essentiel – ils n’ont rien à se reprocher. C’est précisément pour cette raison qu’ils sont en butte à de nombreuses difficultés. Mais j’espère qu’ils sauront s’entourer d’un groupe de jeunes juges d’instruction idéalistes, ayant la même vision des choses et la volonté d’opérer sur les mêmes bases. J’invite les membres de cette Assemblée à demander instamment aux organismes concernés de leurs pays respectifs de participer aux programmes de supervision de la police, du parquet et des services d’instruction géorgiens, afin de renforcer encore leurs capacités et de leur enseigner un certain nombre d’éléments.

Nous créons également une unité de gendarmerie, dotée de certaines missions spécifiques dans le pays; ses membres devront apprendre à opérer dans un environnement démocratique, avec tout un système de contre-pouvoirs permettant d’éliminer la corruption. Je suis conscient que cela ne se fera pas du jour au lendemain; mais je peux dire, en tout cas, que nous avons déjà obtenu un certain succès avec les policiers chargés de la circulation – lesquels fonctionnent aujourd’hui bien mieux que par le passé. Nous avons révoqué certains membres de ces forces de police; et, aujourd’hui, ces policiers refusent tout pot-de-vin – ce qui ne s’était pas produit depuis l’époque de mon enfance. Nous comptons relever leurs salaires très prochainement, et prendre d’autres mesures leur permettant d’être plus efficaces – ce qui assurera l’avenir à long terme, bien au-delà de mon mandat. J’ai la certitude que vous pouvez nous aider dans cette tâche.

M. HERKEL (Estonie) (traduction)

Monsieur le Président, je vous remercie de votre excellent discours. Pourriez-vous développer l’aspect concernant le contenu de votre réforme constitutionnelle, et, dans ce domaine, la Géorgie aura-t-elle recours à l’avis d’experts internationaux? Pourriez-vous nous expliquer les modalités et le calendrier de cette réforme?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Nous avons soumis notre projet à la Commission de Venise. Nous souhaitons créer un cabinet, car cela me permettra de déléguer les responsabilités aux ministres concernés et de me consacrer davantage à l’instauration d’une gouvernance sur le mode européen. Il faut bien comprendre que l’appareil institutionnel de la Géorgie s’est littéralement désintégré pendant de nombreuses années; par conséquent, il ne s’agit pas seulement de déléguer: il faut aussi et surtout rendre l’ensemble du système plus efficace. Naturellement, nous entendrons tous les avis dans ce domaine; mais ce dont nous avons besoin essentiellement, c’est de mettre en place une équipe gouvernementale restreinte, forte et efficace, ayant des fonctions bien définies et un fonctionnement quotidien également efficace. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Il nous faut agir rapidement, car les problèmes sont nombreux.

M. SHARANDIN (Fédération de Russie) (interprétation)

note que les élections parlementaires de novembre ont été annulées en raison du grand nombre d’irrégularités. Les violations admises ont pu influer sur le résultat des élections, mais pourquoi l’établissement des listes électorales a-t-il été différé?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Lors des élections présidentielles de novembre 2003, organisées par mon prédécesseur, M. Edouard Chevardnadze, de nombreux Géorgiens n’ont pas été autorisés à voter. Ces personnes, en effet, n’ont pas été admises dans les bureaux de vote. En revanche, lors des dernières élections, qui ont fait l’objet d’une mission d’observation, personne n’a été rejeté; c’était donc, déjà, un grand progrès.

Nous ne disposons pas d’un recensement exact de la population; de plus, un nombre important de Géorgiens ont quitté le pays. Nous avions cependant permis à tous les Géorgiens de s’inscrire préalablement sur les listes électorales, avant cette élection, en fixant un seuil numérique minimal. Certes, il y a dix ans, à une époque où le nombre d’habitants était plus important en Géorgie, une écrasante majorité de Géorgiens participaient aux scrutins, et il n’y avait pas de contestation possible. En ce qui me concerne, lors de la dernière élection présidentielle, quelque 97 % des votants se sont prononcés en ma faveur; c’est, d’une certaine manière, un chiffre terrifiant dans la mesure où, après un tel score, on ne peut que baisser! Ce n’est naturellement pas un sujet de réjouissance, et cela me préoccupe. Toujours est-il qu’il ne peut y avoir aucun doute quant à la légitimité de cette élection, comme l’ont fait observer les rapporteurs du Conseil de l’Europe; je leur suis particulièrement reconnaissant pour l’excellent travail qu’ils ont accompli.

Il faut cependant déterminer avec précision le nombre d’électeurs inscrits. Certaines régions de Géorgie ont fait valoir qu’elles comptaient 300 000 électeurs, alors que, à l’époque soviétique, elles en avaient officiellement 200 000. Nous devons certainement améliorer la situation dans ce domaine, et je serais très reconnaissant au groupe de suivi s’il pouvait nous éclairer de ses conseils.

Mme DURRIEU (France)

Monsieur le Président, je vous dis toute ma joie, et même toute mon émotion de vous revoir ici Président de la République de Géorgie. Ce changement fabuleux, extraordinaire, qui s’est produit, cette révolution des roses, j’avoue ne pas en avoir été surprise. Ce «supplément d’âme» que votre pays et vous-même avez toujours su faire passer, nous l’avions déjà senti et reconnu. Je vous souhaite beaucoup de courage pour la suite.

En tant que présidente de la commission de suivi, je sais que votre pays a souscrit des engagements. Je suis sûre que vous aurez à cœur de les promouvoir rapidement. Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre? Nous vous accordons d’avance le temps qu’il vous faudra.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie

Moi aussi, je suis très heureux de vous revoir ici, Madame Durrieu. Pour tous les amis de la Géorgie, il est très important de voir ce qui change vraiment chez nous. J’ai déjà eu l’occasion de m’en expliquer, mais la Géorgie doit prendre très au sérieux le combat contre la corruption. La défense des valeurs démocratiques est, pour nous, essentielle. Dans un pays où règne la corruption, où les lois n’ont aucune valeur pour les citoyens, où un gouvernement inefficace se trouve dans l’incapacité de fonctionner, il faut changer le système.

Il importe tout d’abord de donner à la population de Géorgie le sentiment que les choses bougent et ce sentiment doit être sauvegardé. Par exemple, nous avons aidé les gens, mais pas seulement: nous avons aussi changé les lois et le système. Nous avons commencé à verser les retraites et les pensions qui n’avaient pas été payées depuis six ou sept mois. Maintenant les gens demandent pourquoi les salaires sont si faibles. C’est dialectique, en somme: il faut offrir un changement positif. Nous pensons à des lois anticorruption, assez proches de celles des Etats-Unis, afin de donner davantage de pouvoirs à nos juges d’instruction et pour assurer un meilleur contrôle sur le système judiciaire, car il faut prévenir tous les abus.

Le Programme des Nations Unies pour le développement s’est engagé à payer les salaires de nos fonctionnaires tout au long de cette période de transition. Nous préparons des lois concernant les maires des grandes villes et les gouverneurs locaux. Il faut prévoir une élection, non une nomination.

Il y a beaucoup de choses à faire dans le domaine de la décentralisation en se fondant sur le principe de subsidiarité. Il faut cependant consolider les fonctions de l’Etat, qu’il s’agisse des douanes ou de l’armée.

Toutes ces mesures contribuent déjà à changer notre pays. Il est très important que, dans une telle période, nous ayons la confiance de notre peuple. Il faut la conserver. Le peuple a participé au processus des élections. Pendant deux jours, après mon élection, nous avons eu droit à une sorte de fête nationale. C’est grâce à ces gens que les changements ont pu avoir lieu chez nous. Il est essentiel qu’ils sachent que l’avenir dépend de leur comportement, de leurs actions, de leur travail. C’est une tâche que j’aurais à cœur de poursuivre.

Mme TEVDORADZE (Géorgie) (interprétation)

est heureuse de voir son Président reçu par l’Assemblée parlementaire. Elle n’a pas de question à poser après le discours qu’il a fait et elle se dit à ses côtés.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je me félicite de ce que mon excellente amie, Mme Tevdoradze, ne se montre pas trop critique ici, à Strasbourg; elle a généralement plus de «mordant» lorsqu’elle se trouve sur la scène géorgienne! Nous devrions passer un peu plus de temps ensemble, ici même. En tout cas, si vous vouliez bien la maintenir en poste à Strasbourg, ce serait également un atout pour la Géorgie!

M. AKHVLEDIANI (Géorgie) (traduction)

Je voudrais tout d’abord vous féliciter, Monsieur le Président, de votre victoire aux élections, qui est aussi une victoire pour toute la Géorgie. Le fait que vous rendiez visite au Conseil de l’Europe immédiatement après votre confirmation officielle est plus que symbolique. Je souhaite donc également vous demander quel type de soutien peut, selon vous, nous apporter le Conseil de l’Europe afin de résoudre la question de l’intégrité territoriale de la Géorgie et de la démocratisation de nos régions.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

En fait, le Conseil de l’Europe peut jouer un rôle encore plus important en matière de règlement des conflits, car c’est l’une des organisations majeures pour la défense de la démocratie en Europe. Ce qui peut nous aider à régler nos problèmes, ce serait une participation plus importante du peuple géorgien aux décisions, y compris dans les territoires contrôlés par les séparatistes. A la veille de l’élection présidentielle, je me suis rendu en Ossétie du Sud, petit territoire contrôlé à 60 % par le gouvernement central. Il y a, dans ce territoire, une petite ville de 15 ou 20 000 habitants du nom de Tskhinvali, qui n’est toujours pas sous le contrôle des autorités centrales et qui s’est doté d’un gouvernement local autoproclamé. Je suis descendu de ma voiture, et j’ai rencontré la population de ce secteur. Je ne m’attendais pas à un accueil aussi affectueux et aussi chaleureux de sa part, ni à un soutien aussi large. Oui, ces gens ont été accueillants et coopératifs. Mais la seule réaction de l’administration locale a été de demander à sa police la protection immédiate des bâtiments du pouvoir local, comme si je m’apprêtais à en faire l’assaut et à procéder à l’arrestation des «dirigeants» en question. Ce que m’a appris cette expérience, c’est que, si la population avait son mot à dire – à noter que j’ai rencontré les habitants de cette petite ville dans les bas quartiers, qui sont un lieu de rassemblement –, il n’y aurait aucun problème au niveau le plus officiel, ou même au niveau local. Le problème de cette région serait réglé du jour au lendemain.

Ce que doit faire le Conseil de l’Europe, c’est tenter d’éliminer la mentalité d’assiégés que possèdent certains, comme s’ils étaient menacés de toutes parts et que tout visiteur de la région voulait les arrêter et les tuer. C’est précisément pour cette raison que l’engagement des ONG et la participation de tous les Géorgiens aux processus décisionnels ont l’importance que je vous ai dite. Le seul élément qui fasse perdurer ces conflits, ce sont les mythes créés de toutes pièces par des gens qui ont un intérêt économique à voir ces régions basculer dans le séparatisme, ou qui poursuivent une sorte de rêve personnel ou de vision obscure, ou encore qui peuvent même être les représentants d’intérêts étrangers. Sans ce faisceau d’éléments, et en instaurant une véritable participation du peuple au processus politique, les problèmes disparaîtraient. Il y a là, pour le Conseil de l’Europe, un champ d’action très important.

M. SLUTSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

félicite le Président. Il lui demande s’il a l’intention de rétablir la liaison ferroviaire entre la Fédération de Russie et l’Arménie, qui transite par la Géorgie et qui a été interrompue en raison du conflit en Abkhazie.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Cela dépend en fait de la bonne volonté des dirigeants russes. Si la Fédération de Russie modifie vraiment sa position à l’égard de l’Abkhazie – et j’ai bon espoir qu’elle le fera, à en juger par certaines déclarations de M. Poutine –, et si les autorités russes progressent dans le sens de la réintégration des personnes déplacées à l’intérieur de ce territoire, la situation s’améliorera. Quelque 300 000 personnes ont été chassées de cette région, soit plus de la moitié de la population. Avant le conflit, ce territoire comptait plus de 600 000 habitants, et, aujourd’hui, il n’en reste plus que 60 000 ou 70 000. Le territoire s’est désertifié et a été totalement abandonné. Or, ce pourrait être l’un des plus beaux lieux de vacances non seulement de l’ex-Union soviétique, mais même de toute l’Europe.

Si la Fédération de Russie adopte une attitude plus constructive, et que l’on accomplit des progrès sur le plan de la réintégration des personnes déplacées à l’intérieur du territoire en question, en leur offrant des conditions de vie plus humaines, nous aurons fait un grand pas en avant. Il est certain que la Géorgie a besoin de réseaux de transport et de communication, et qu’elle souhaite apporter à ses voisins toute l’aide possible; mais tout cela dépend d’une approche plus humaine des problèmes. Nous ne pouvons pas rester indifférents au sort de tous ceux qui vivent dans de misérables abris, et leur dire: «Vous n’avez aucun avenir; nous allons tout simplement continuer à vivre comme si rien n’était. Donc, résignez-vous et acceptez votre sort.» Il faut absolument régler cette question d’une manière ou d’une autre, ou, en tout cas, entrevoir le début d’un règlement, afin d’avancer. Personnellement, je suis tout à fait ouvert à toute solution, et j’espère que les dirigeants russes le seront également. Si les deux parties en présence se réunissent afin de régler ces problèmes, il n’y aura plus d’obstacle. Personnellement, je souhaite un règlement pacifique et rapide de ce conflit.

M. AKÇAM (Turquie) (traduction)

Monsieur le Président, permettez-moi de vous féliciter pour votre victoire électorale, et de vous remercier pour un discours d’excellente qualité.

Nous avons appris qu’il y a une semaine le Parlement géorgien avait approuvé une résolution relative à l’adoption d’un nouveau drapeau national. Nous avons également appris que ce nouvel emblème datait en fait de l’époque glorieuse du Moyen Age géorgien; mais certains considèrent que ce drapeau ressemble énormément à celui de votre parti politique. Pourriez-vous nous éclairer sur ce sujet?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Effectivement, ce drapeau a été l’emblème de mon parti, mais aussi de toute la nation géorgienne – qui, je vous le rappelle, a voté pour moi à hauteur de 97 %. Fondamentalement, ce drapeau a été adopté par tous les Géorgiens, y compris la communauté musulmane. Avant l’adoption de ce drapeau, j’ai été particulièrement attentif aux réactions de cette communauté, dans la mesure où le drapeau en question comporte des symboles chrétiens. Mais je dois dire que nous ne l’avons pas adopté en tant que symbole chrétien; il s’agit d’un emblème national, profondément ancré dans l’histoire du pays. Ce type de symbolisme religieux est d’ailleurs inscrit dans d’autres drapeaux nationaux, et cela ne pose aucun problème si les pays en question sont respectueux des droits de chacun.

Je considère que la Géorgie est une société multiethnique, et que cette multiplicité et cette diversité sont la force de notre pays. Il faut simplement utiliser tous ces éléments de manière positive. Ainsi, lors de la levée du drapeau – et du drapeau européen, également –, on a pu voir des enfants de toutes les minorités ethniques de Géorgie, portant le costume de leur communauté et démontrant ainsi au monde entier (puisque cette cérémonie était diffusée en direct par CNN, la BBC et d’autres chaînes de télévision) que les Géorgiens étaient favorables à la diversité et considéraient que c’était l’une de leurs forces. J’ai, pour ma part, la conviction que tout cela fait partie de la vie quotidienne et doit être accepté comme tel. En outre, ce drapeau ne peut faire planer aucun doute quant à notre identité européenne, comme vous pouvez le constater en le voyant flotter à l’entrée du Conseil de l’Europe. De même que la Turquie, nous aspirons à nous rapprocher de l’Europe et à en être membres, et nous déployons des efforts dans ce sens, car nos deux pays font effectivement partie de la famille européenne.

M. ATEŞ (Turquie) (traduction)

Monsieur le Président, je vous félicite de vos nouvelles responsabilités, et vous souhaite, ainsi qu’à l’ensemble de la Géorgie – qui est le pays voisin de la Turquie – la plus grande réussite possible.

En Turquie, nous considérons que cette révolution de la rose et votre élection au poste de Président de la Géorgie démontrent que le peuple géorgien a foi dans les valeurs démocratiques. Je voudrais donc vous poser une question liée à ce contexte, même si vous y avez déjà répondu en grande partie. Pourriez-vous nous dire de quelle manière vous envisagez le respect, par la Géorgie, des obligations qu’elle a contractées en adhérant au Conseil de l’Europe? Je sais que vous avez déjà répondu à maints égards à cette question; mais pourriez-vous développer encore un peu?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Les Géorgiens sont totalement engagés dans le sens du respect de ces obligations. Chacun sait que la commission de suivi et les rapporteurs ont fait un excellent travail dans ce domaine. Nous demandons simplement une réorganisation du calendrier pour des raisons purement techniques. Tous les Géorgiens sont respectueux de ces obligations, comme je le suis personnellement. Dans ce domaine, rien ne nous est imposé; c’est un choix que nous avons fait librement, et cela correspond totalement à nos désirs et à nos souhaits. Il est évident que nous voulons voir ces désirs et ces souhaits se réaliser le plus rapidement possible.

M. ILAŞCU (Roumanie) (interprétation)

demande s’il ne faudrait pas mettre en place un tribunal international pour châtier les crimes de guerre commis par les militaires russes en Géorgie ou ailleurs, comme en Transnistrie.

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

C’est là une question très délicate. Je suppose qu’un jour ou l’autre une Cour pénale internationale sera en mesure de poursuivre tout criminel ayant violé le droit international. Mais cela ne doit pas viser certains pays seulement. Le droit international a force de loi partout dans le monde. Il est certain que des crimes de guerre ont été commis en territoire géorgien. De nombreux Géorgiens en souffrent encore. Et on doit en trouver les responsables. Le concept de nation n’est pas en cause dans ce domaine. En effet, ces criminels ne se définissent pas par leur nationalité ou leur origine ethnique. Mais ils doivent être désignés comme responsables. J’ai la certitude que nous y parviendrons, dès qu’un tribunal international sera suffisamment fort pour faire arrêter les criminels en question, où qu’ils se trouvent, et même cinquante ans après leurs crimes – comme cela a été le cas pour l’Holocauste nazi. Cette loi doit s’appliquer à tous.

M. SYSAS (Lituanie) (traduction)

Votre Excellence, quels sont vos projets ou tout au moins vos idées, en tant que Président de la Géorgie, en vue de promouvoir la coopération avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Nous sommes tout à fait résolus à promouvoir une telle coopération. Nous avons déjà de bonnes relations avec ces deux pays, et souhaitons les renforcer encore. D’autre part, le partenariat plus large avec la Turquie est également très important pour la Géorgie. Naturellement, nous aimerions inclure également la Fédération de Russie et l’Ukraine dans cet ensemble de relations – l’Ukraine devenant aussi une superpuissance à l’échelon régional. Nous nous en félicitons; mais, pour le moment, ce sont l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui sont nos voisins les plus proches, géographiquement et affectivement. Il y a, en Géorgie, des diasporas arménienne et azérie, dont les membres sont des citoyens géorgiens à part entière. Nous en sommes très fiers. Nous allons donc approfondir encore nos relations avec ces deux pays. Cela ne fait aucun doute.

M. MARKOWSKI (Pologne) (traduction)

Monsieur le Président, je vous remercie pour votre discours des plus intéressants, et très brillant. Ma question concerne l’Adjarie. Le 22 janvier dernier, dans le cadre d’une interview à la télévision géorgienne, vous déclariez que vous alliez également rétablir l’ordre en Adjarie. Cela doit se faire, en principe, dans les plus brefs délais. Quelles mesures prendrez-vous en ce sens? Est-il exact que les autorités géorgiennes préparent une invasion militaire de l’Adjarie, comme l’a laissé entendre le dirigeant de ce territoire?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je vous remercie d’être un téléspectateur de l’une des chaînes de télévision géorgiennes, ainsi que de votre point de vue sur le rétablissement de l’ordre en Adjarie. Je compte effectivement y procéder. Mais l’élément essentiel, dans cette affaire, est que l’Adjarie s’est dotée d’un gouvernement local, élu par la population du territoire. Il faut dire également que 90 % des Adjariens ont voté en ma faveur, et que, par conséquent, il est absurde de parler d’un quelconque séparatisme adjarien. Le problème consiste notamment à contrôler les douanes. Il y a eu quelques difficultés à la frontière turque. Mais l’ensemble des Adjariens a commencé à payer ses impôts à la Géorgie. Et tous les problèmes de contrôle des forces armées locales ont été résolus.

En termes d’élections locales, c’est certainement la population du territoire qui a le dernier mot. Je n’ai aucune intention de m’ingérer dans ce processus. Mais il est certain, également, que nous ne tolérerons de défi à la souveraineté nationale de la Géorgie sur aucune partie de son territoire. Pour revenir à l’Adjarie, nous y obtenons des résultats tout à fait positifs, et je ne prévois aucun problème de ce côté-là.

M. ZHIRINOVSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

demande au Président s’il compte utiliser la force pour faire rentrer l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dans le giron de la Géorgie.

Le Président a répondu en anglais et en français aux orateurs. Pourquoi n’emploie-t-il pas la langue russe? Dans quelle langue s’entretiendra-t-il avec le Président Poutine?

La révolution des roses n’est-elle pas un coup d’Etat?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Monsieur Zhirinovsky, voilà bien longtemps que je ne vous avais vu ou entendu!

(Poursuivant en russe) (Interprétation) Il dit que le peuple géorgien n’acceptera jamais – et il insiste sur le terme «jamais» – une perte du contrôle de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.

Il s’est agi d’une guerre russo-géorgienne dont M. Zhirinovsky fut un personnage haut en couleur. Depuis, beaucoup d’eau a passé sous les ponts et le Gouvernement russe a pris conscience que déstabiliser des régions constitue une grave erreur.

M. Poutine parle très bien l’allemand. Il sera donc possible de trouver une langue commune. L’essentiel sera d’exprimer la volonté du peuple géorgien. Le Président se défend d’être pro-américain. Seuls les intérêts du peuple géorgien lui importent et celui-ci ne peut plus tolérer l’ancien régime. La révolution des roses fut une émanation suprême de tout le peuple et le Président souhaite à toutes les démocraties un déroulement aussi heureux de leur histoire.

M. PRISACARU (Roumanie) (traduction)

Monsieur Saakashvili, je vous félicite à mon tour de votre élection au poste de Président de la Géorgie. Mon pays, la Roumanie, aura prochainement des frontières extérieures avec l’Union européenne. Je crois comprendre que votre objectif est d’intégrer la Géorgie à l’Europe élargie. Quelle va être l’action des autorités géorgiennes dans le cadre de cette politique?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je vous remercie de cette question. Nous suivons avec un très vif intérêt la situation de la Roumanie. Nous souhaitons en tirer de nombreux enseignements. En termes d’intégration européenne, la Géorgie se remet actuellement des événements de ces dernières années. Je me suis entretenu avec M. Prodi. J’ai été invité à Bruxelles, afin d’aborder la question de l’intégration de la Géorgie au projet de la «Grande Europe».

L’Europe ne saurait ignorer la Géorgie. Elle doit nous reconnaître, et constater que la Géorgie est une nation profondément européenne, porteuse des valeurs européennes, et ayant un comportement européen; mais, aujourd’hui, notre pays est pauvre en raison des déficiences des anciens dirigeants. Toutefois, nous avons l’intention de relever le pays. Nous ne voulons certainement pas être un fardeau pour l’Europe. Nous ne demandons pas une assistance à vie; mais il se trouve que, actuellement, nous avons besoin de cette aide. La Géorgie contribue de manière positive à la stabilité, au développement et à la civilisation de l’Europe. C’est ainsi que nous voyons le rôle de notre pays.

Nous sommes prêts à suivre l’exemple de la Bulgarie, de la Roumanie et d’autres pays d’Europe orientale. J’ai eu d’excellents entretiens avec le Président roumain, M. Kwasniewski. Le ministre des Affaires étrangères de votre pays a effectué une visite à Tbilissi. J’ai été très attentif aux conseils qu’il a pu me donner, et je vais y réfléchir. Fondamentalement, nous avons pour nous la situation géographique et un ensemble de réalités concrètes. Il faut agir rapidement aujourd’hui si l’on veut éviter des problèmes demain. La situation de la Géorgie est, à cet égard, une véritable «vitrine» pour tous les autres pays.

J’ai pu lire un excellent article, signé d’un ex-Premier ministre qui disait que, si la Géorgie échouait aujourd’hui, ce serait un échec pour toute la région. Si, au contraire, les Géorgiens réussissent leur pari, notre pays contribuera à refaçonner cette région sur le double plan de la géopolitique et du mode de gouvernance. Cela transformera la vie de chacun. C’est la raison pour laquelle les événements de Géorgie sont suivis de très près par nos amis de Moldova, de Russie, d’Ukraine, d’Asie centrale et d’autres pays voisins. Nous entretenons tous une très vieille amitié. Certes, nous ne croyons pas que l’on puisse reproduire exactement un modèle d’un pays à l’autre; mais il importe de se préoccuper de ses voisins, de leur souhaiter également la réussite et de partager avec eux un certain nombre d’expériences. Nous ne prétendons pas pouvoir changer quoi que ce soit dans ces pays; l’élément essentiel est qu’ils réussissent tous à instaurer la démocratie avec succès. Cela fera de notre région une région véritablement européenne, ou, en tout cas, amie de l’Europe. Cela fera de la Géorgie une nation européenne à part entière. C’est toute notre ambition.

M. TOSHEV (Bulgarie) (traduction)

Monsieur le Président, je me joins à tous ceux qui sont heureux de vous accueillir de nouveau dans la famille européenne. Ma question concerne votre politique dans la région du Caucase. Quelle est votre vision de la future coopération entre les trois Etats formant cette région, et quelle politique comptez-vous mener à cet égard?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Pour le long terme, nous envisageons une région qui sera un marché unique, où les visas ne seront plus nécessaires et où il y aura une totale liberté de circulation. Mais nous voyons aussi cette région constituer, à l’avenir, et dans de nombreux domaines, un espace politique commun, qui serait un prolongement de l’espace européen. Naturellement, le chemin pour y parvenir est encore long, et l’on peut adopter différentes voies à l’égard du Conseil de l’Europe. En ce qui concerne l’adhésion au Conseil de l’Europe, la Géorgie a été en avance sur nos chers amis et voisins, et nous nous sommes félicités de l’adhésion ultérieure de ces derniers. Nous avons un destin commun, on peut dire que notre région est intéressante et diverse, et qu’elle possède un grand potentiel en termes de civilisation universelle. J’ai la certitude que cette région réussira; mais je voudrais dire également que la Géorgie constitue en quelque sorte une passerelle vers cette réussite.

En tant que pays de la région de la mer Noire, la Géorgie – tout comme la Roumanie et la Bulgarie – contribue à l’intégration de cette zone à l’Union européenne. Mais il faut procéder par étapes. Chaque nation doit déterminer jusqu’où elle souhaite aller. La Géorgie, pour sa part, veut aller le plus loin possible; mais les autres nations concernées peuvent en décider autrement et progresser à leur propre rythme. Cependant, on peut affirmer que tous ces pays souhaitent se rapprocher et bénéficier des atouts offerts par cet espace européen interdépendant. J’ai la conviction qu’à cet égard nos voisins ne feront pas exception à la règle.

M. BERISHA (Albanie) (traduction)

Monsieur le Président, je vous félicite de votre double victoire. D’une part, vous avez remporté les élections, certes; mais, de l’autre, vous avez aussi triomphé d’un régime que je qualifierai – par un néologisme – de l’un des plus «kleptocratiques» de l’ex-système communiste (qui a pesé également sur mon pays, l’Albanie). Ces «kleptocrates» me font penser à des oiseaux migrateurs qui ont leur nid très loin de leur pays d’origine. En un mot, Monsieur le Président, comptez-vous procéder à une enquête au niveau international sur les comptes et avoirs secrets de ces personnes?

M. Saakashvili, Président de la Géorgie (traduction)

Je vous remercie de cette question très pertinente. Dans ce domaine, nous connaissons à maints égards les mêmes expériences. Il est vrai que ces gens-là ont placé la plus grande partie de cet argent à l’étranger, parce qu’ils n’ont jamais eu foi dans la Géorgie, ou dans tout autre pays qu’ils ont pu piller. Plus encore, ces personnes se sont pratiquement «envolées» vers d’autres pays. Certaines d’entre elles sont parties en Russie; d’autres, vers des lieux tenus secrets. La Géorgie est un petit pays dont on peut facilement passer les frontières; il est très simple de fuir et de se retrouver dans un pays étranger plus «confortable».

Nous avons demandé au Gouvernement suisse de geler les comptes bancaires de ces personnes; mais les autorités helvétiques nous ont réclamé davantage d’informations. Je crains, malheureusement, que les personnes en question ne placent de nouveau leurs avoirs ailleurs, du fait qu’elles savent désormais que nous enquêtons sur leurs comptes bancaires. Mais nous n’arrêterons pas les poursuites. Ainsi, nous demandons également à la Fédération de Russie d’extrader les personnalités corrompues qui ont pillé le peuple géorgien. Ces personnes et leur argent ne serviront aucunement la Russie.

Il est vrai que la Géorgie et d’autres nations pillées de la même manière sont potentiellement riches. Elles abritent des personnes possédant des moyens importants. Mais l’esprit «mafieux» ne fait pas partie de notre culture. Il émane de quelques hauts responsables, et, une fois que nous nous serons attaqués à ces derniers, le peuple géorgien montrera qu’il aspire à vivre de façon tout à fait normale.

La justice doit passer à l’échelle internationale, et, à cet égard, je souhaite obtenir le concours d’autres pays. Je voudrais tout particulièrement demander l’assistance de la Délégation de la Fédération de Russie. La Russie et la Géorgie ont de nombreux intérêts en commun, et notre collaboration dans ce domaine est l’une des conditions sine qua non de notre partenariat. Mais il y a aussi une condition préalable à ce partenariat: c’est le fait que la Géorgie ne souhaite pas être le refuge de criminels recherchés par les autorités russes; et, de la même manière, nous ne voulons pas voir certains de nos responsables corrompus se faire construire de belles villas en Russie, vivre confortablement dans ce pays, et attendre tranquillement de pouvoir réinvestir leur argent dans différents secteurs géorgiens. La vérité est que tout gouvernement souhaite éliminer l’influence de telles personnes, et mettre un terme à leur corruption. Nul ne peut tirer profit des agissements de ces gens-là.

En outre, je dirai qu’il faut se mettre une fois pour toutes d’accord sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de la corruption de quelques fonctionnaires ou responsables du gouvernement. La corruption constatée en Géorgie a également à voir avec les trafics illicites d’armes et de stupéfiants, sans parler de la prolifération des armes nucléaires, et autres pratiques totalement inacceptables. Tous les pays en souffrent. Enfin, il faut aussi mentionner la question du terrorisme.

Dans ces domaines, la coopération doit être mondiale, et nul ne doit pouvoir tirer des avantages du fait de fuir son pays. L’Etat de droit doit être respecté, et les personnes en question doivent être désignées comme responsables de ces actes délictueux. J’ai la conviction que nous parviendrons à régler tous ces problèmes dans un proche avenir.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous voilà parvenus au terme de la séance de questions orales à l’adresse de M. Saakashvili. Monsieur le Président, je vous adresse mes plus sincères remerciements, au nom de l’Assemblée parlementaire, pour votre discours et toutes les observations que vous avez pu faire en réponse aux questions de nos collègues parlementaires. Je serais très heureux que vous prolongiez votre présence parmi nous afin de suivre les débuts de la discussion relative à votre pays. Au nom de l’Assemblée parlementaire, j’adresse tous mes vœux de bonheur et de réussite à la Géorgie, ainsi qu’à votre personne.