Sali

Berisha

Premier ministre d’Albanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 3 octobre 2006

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, honorables membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mesdames, Messieurs, je tiens d’emblée à saluer cordialement le Président de l’Assemblée, M. René van der Linden, le Secrétaire Général, M. Terry Davis, ainsi que tous les membres de l’Assemblée parlementaire, et à les remercier de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. C’est pour moi un grand honneur.

L’Albanie a une grande dette vis-à-vis de l’Assemblée et du Conseil de l’Europe qui lui ont apporté un soutien continu. Le Conseil de l’Europe a été la première institution internationale où je me sois rendu en 1992, quelques semaines après avoir été élu Président de l’Albanie, pour lui demander de nous aider à mener à bien notre grand projet: construire, sur les ruines de la dictature la plus orwellienne que l’Europe ait jamais connue, une société démocratique fondée sur la prééminence du droit. Depuis, le Conseil a toujours été à nos côtés.

Je suis à la fois profondément ému et très fier de m’adresser à vous, mes chers amis. J’ai eu l’occasion et le privilège de participer à vos débats et de défendre avec vous les valeurs démocratiques et les principes que nous partageons. Cette expérience enrichissante m’a inspiré et m’a donné la force de prendre la tête des efforts déployés par les citoyens albanais pour se débarrasser du régime le plus «cleptocratique» des temps modernes qui ait été installé en Albanie.

Je pense que chacun garde en mémoire les images de la sombre actualité passée de mon pays. Je suis parmi vous aujourd’hui pour vous assurer que l’Albanie a relégué ces événements dans les archives et qu’elle se dirige à grands pas vers une nouvelle réalité européenne.

L’année dernière, surmontant l’absolutisme de la «cleptocratie», les Albanais ont réussi à opérer une rotation pacifique du pouvoir. Ils ont voté massivement en faveur de l’éradication de la corruption, de la criminalité organisée et de la pauvreté qui les isolaient du monde démocratique. La résolution du Conseil de l’Europe, les élections en Albanie ainsi que l’observation des élections de l’année dernière ont constitué un précieux encouragement et un soutien pour tous les électeurs albanais.

En prenant ses fonctions, mon gouvernement s’est engagé à restaurer la prééminence du droit – condition essentielle pour garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens –, à lutter contre la criminalité organisée, à éradiquer le système de la «cleptocratie» et à renforcer les institutions démocratiques, créant ainsi les fondations de toutes les autres. Il y a un an, plus des deux tiers des décisions de justice n’étaient pas exécutées et le respect de la prééminence du droit était trois fois moindre qu’au Burkina Faso! Depuis, la stricte et juste application de toutes les décisions de justice et l’abrogation de centaines de décisions illégales ont fait prévaloir le droit dans tout le pays.

Ces dernières années, les Albanais ont souffert plus que les autres peuples de la criminalité organisée, en raison de sa «collusion symbiotique» avec tous les niveaux du pouvoir. La criminalité organisée était devenue si puissante que c’était elle qui dictait pratiquement ses décisions au gouvernement, faisant de l’Albanie un territoire propice aux trafics en tout genre. Pour faire face à cette réalité, nous avons adopté le principe de tolérance zéro à l’égard de la criminalité organisée. Un an plus tard, je me réjouis de pouvoir vous informer que, grâce au courage et au professionnalisme des forces de l’ordre albanaises, et à leur excellente coopération avec leurs homologues d’autres pays, plus de 33 grandes organisations criminelles ont pu être démantelées, des centaines de membres et de gros bonnets de la mafia traduits en justice et leurs biens – dont la valeur est estimée à des millions d’euros – saisis.

En vue de lutter contre les trafics, le parlement a voté une loi frappant d’interdiction de présence dans les eaux territoriales les bateaux à grande vitesse largement employés pour le trafic de drogue et la traite d’êtres humains. Selon le centre international de lutte contre la criminalité organisée dont le siège se trouve à Bucarest, ces efforts ont eu pour résultat de détourner la route du trafic de drogue de l’Albanie. Aujourd’hui, l’Albanie est un pays sûr et est d’ailleurs largement perçu comme tel. Le fait que cette année le tourisme étranger ait augmenté de 30 % fait apparaître clairement cette nouvelle réalité.

Par le passé, la corruption a conduit au développement de la «cleptocratie». Conformément aux rapports internationaux, le montant des pots-de-vin que les citoyens albanais et les entreprises payaient aux fonctionnaires en échange de services auxquels ils avaient légalement droit étaient estimés à 1,4 milliard d’euros. Les services des douanes et la justice faisaient partie des plus corrompus au monde et les saisies étaient très répandues.

La lutte contre la corruption – le cancer qui a affaibli et rongé le corps et l’âme de mon pays – constitue une autre priorité pour le Gouvernement albanais. Nous avons pris des mesures énergiques en vue de venir à bout de ce fléau. Nous avons réduit l’administration, qui était pléthorique. Nous avons institué de nouvelles normes éthiques et administratives pour éviter que l’argent public soit détourné à des fins privées et personnelles. Nous avons diminué de 40 % les dépenses administratives. La plupart de ces économies ont été réalisées en mettant fin à la mauvaise gestion et à l’abus de fonds publics par l’administration. Nous avons amendé la loi sur les conflits d’intérêts. L’administration précédente était édifiée sur les conflits d’intérêts, mais aujourd’hui nous n’avons pas connaissance de tels conflits et si de tels cas nous étaient signalés, ils seraient traités en conséquence.

Nous avons amendé la loi sur les achats publics. Désormais, 92 % des biens et services sont achetés par le biais d’appels d’offres contre 25 % l’année dernière. Le parlement a également approuvé une loi qui prévoit d’accorder à ceux qui dénoncent la corruption une protection spéciale pour les témoins et de leur allouer 6 % des fonds recouvrés.

Notre lutte contre la corruption, la contrebande et l’évasion fiscale a déjà produit des résultats significatifs et encourageants. Les revenus issus des impôts ont augmenté de 24 %, ce qui nous a permis d’accroître notre budget en juin. Le coût des achats publics a diminué de 25 % et les dépenses de l’administration publique de 40 %. La corruption a également diminué de manière significative. La corruption est un cancer dans la société. Nous avons porté un sérieux coup au système de la cleptocratie que nous avons hérité du passé et poursuivons nos efforts en vue d’éradiquer ce phénomène nuisible grâce à notre politique de tolérance zéro.

Dans le domaine économique, l’objectif principal du gouvernement est de créer un climat favorable aux entreprises et de faire de l’Albanie un pays des plus attrayants pour les investisseurs étrangers. A cette fin, outre les efforts que nous déployons en vue de restaurer et de consolider l’Etat de droit, nous avons opéré une véritable révolution fiscale. Notre objectif est de mettre en œuvre un régime fiscal au taux le plus faible d’Europe. Nous avons déjà baissé tous les impôts. Conformément au classement KPMG, en 2006, l’Albanie était le pays connaissant le plus important pourcentage de baisse au monde.

Outre cette révolution fiscale, nous avons baissé de 33 à 45 % le prix de l’électricité pour les entreprises, diminué de moitié le coût de l’enregistrement des entreprises et réduit le délai d’enregistrement de 42 à 8 jours. Nous avons également engagé une vaste réforme de déréglementation en vue de libéraliser les procédures administratives et d’octroi de licences.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, le gouvernement a lancé une nouvelle initiative appelée

«Albanie: tout à un euro». Désormais, les investisseurs de vos pays peuvent s’installer en Albanie en payant un euro seulement à la frontière, enregistrer leurs entreprises pour un euro ou louer pour un euro pendant quatre-vingt-dix-neuf ans le terrain nécessaire pour implanter des activités productives. En outre, ils pourront avoir accès aux mines, aux centrales hydroélectriques et aux voies ferrées pour un euro. Enfin, ils pourront disposer d’une foule d’autres services pour un euro. J’aimerais saisir cette occasion pour vous demander d’encourager les investisseurs de vos pays à prendre note des occasions et des potentiels qu’offre l’Albanie. Le programme «Albanie: tout à un euro» est la promesse que nous leur faisons. Notre économie se porte bien, puisqu’elle connaît actuellement un taux de croissance de 6 % et les prévisions sont à la hausse pour l’année prochaine.

En coopération avec le Conseil de l’Europe, notre gouvernement a également engagé d’importantes réformes dans les domaines de la décentralisation, de l’éducation et d’autres secteurs tels que les propriétés foncières et la technologie de l’information. Nous avons mis en place un programme intitulé «L’Albanie à l’ère de l’internet» en vue d’accélérer la pénétration de cette technologie dans la société albanaise.

A la fin de l’automne, se tiendront des élections locales et je puis vous assurer que mon gouvernement mettra tout en œuvre pour que ce processus se déroule de manière libre et équitable. J’invite les parlementaires du Conseil de l’Europe à venir observer ces élections.

Le 12 juin, l’Albanie a signé l’Accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne. La ratification de cet accord par le Parlement européen le mois dernier a constitué la reconnaissance ultime de la vocation occidentale de l’Albanie et des valeurs que l’Albanie partage avec vos pays. Elle a aussi montré que les 25 pays de l’Union européenne apprécient les réformes entreprises par le gouvernement que je préside ainsi que la transformation opérée en Albanie, pacifiquement d’une manière générale, au cours des quatorze dernières années. Les fantastiques progrès accomplis par l’Albanie sont notamment dus aux efforts résolus qu’elle a déployés ainsi qu’à votre générosité et à votre exceptionnelle solidarité. L’assistance de vos gouvernements, de vos pays et de vos contribuables nous a été fort précieuse. Le soutien du Conseil de l’Europe a également joué un rôle essentiel et nous lui serons à jamais reconnaissants.

J’aimerais saisir cette occasion pour vous assurer derechef que, pour mon gouvernement, l’Accord de stabilisation et d’association est le contrat le plus important que mon pays ait conclu avec les Etats membres de l’Union européenne et constitue une feuille de route pour sa pleine intégration dans l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle je vous demande d’inciter vos parlements à le ratifier le plus tôt possible.

Depuis quatorze ans, l’Albanie entretient des relations de partenariat loyales avec l’OTAN et les Etats-Unis. Nous sommes en train de procéder à une profonde transformation de nos forces armées en vue de nous doter d’une armée professionnelle moderne. Nos militaires servent aux côtés des unités de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine et en Afghanistan, et en coalition avec les Etats-Unis en Irak.

Mon gouvernement est déterminé à engager toutes les réformes nécessaires et à tout mettre en œuvre pour mériter l’invitation à adhérer à l’OTAN lors du premier sommet d’élargissement. L’adhésion de l’Albanie à l’OTAN constitue une sécurité pour l’avenir à la fois du pays et de ses citoyens. Le soutien de vos gouvernements et de vos parlements lors de ce processus sera toujours grandement apprécié.

Les tragédies, les guerres et les cruelles dictatures que les peuples des Balkans ont connues au cours de la dernière décennie du XXe siècle n’ont pas étouffé leurs aspirations à la liberté, à la dignité humaine et à l’intégration à l’Union européenne et à l’OTAN. En quelques années, les Balkans sont passés de l’ère des confrontations armées, des guerres, du nettoyage ethnique et du nationalisme aveugle – situation qui n’était comparable qu’avec celle qui règne en Afrique orientale – à l’ère de la coopération amicale sur les plans politique, économique et militaire, et se sont engagés de manière irréversible sur la voie de l’intégration régionale et européenne. L’année 2006 est historique pour les peuples des Balkans: aujourd’hui, le projet européen les unit plus que jamais.

La Roumanie et la Bulgarie, deux importants pays de la région, deviendront membres de l’Union européenne le 1er janvier 2007. La Croatie a engagé les négociations d’adhésion. La Macédoine a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne. L’Albanie a signé son Accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne. Des négociations en vue d’un tel accord ont été engagées avec la Serbie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine. La République du Monténégro a proclamé son indépendance. Le Kosovo se dirige vers la finalisation de son statut de pays européen libre et démocratique.

Il y a quelques mois, je me suis rendu au Kosovo. C’est avec un grand plaisir que j’ai pu constater qu’aucun pays n’avait autant changé au cours de ces sept dernières années. Tels le Phénix, les citoyens du Kosovo se sont relevés des ruines et des cendres des centaines de milliers de maisons incendiées dans les villes et les villages, des torrents de larmes, des immenses souffrances humaines et des charniers. Grâce à l’aide précieuse, à la générosité et à l’extraordinaire solidarité de vos pays et de vos gouvernements, ils ont reconstruit des centaines de milliers de logements, d’écoles et de jardins d’enfants. Ils ont tenu des élections libres et équitables. Avec l’assistance des meilleurs experts occidentaux, ils ont mis en place des institutions démocratiques efficaces et instauré l’Etat de droit.

Lors de mes rencontres avec les citoyens ordinaires de toutes origines ethniques, leurs dirigeants politiques et leurs chefs religieux, j’ai été particulièrement heureux de constater que tous avaient la ferme volonté de construire un Kosovo européen, où les citoyens seraient égaux devant la loi et je me suis réjoui de voir l’enthousiasme avec lequel ils se consacrent à cette tâche. J’ai également pu observer l’engagement de la majorité albanaise, qui est déterminée à pardonner – mais sans oublier –, à respecter et à garantir les libertés de toutes les minorités, en particulier de la minorité serbe, et à respecter leur patrimoine culturel et religieux ainsi que leurs langues.

Au siècle dernier, le Kosovo était au cœur de la crise des Balkans. Je pense qu’une solution juste et équitable, respectant la volonté de son peuple, contribuera à garantir la stabilité de l’Albanie et de ses autres voisins – la Macédoine et le Monténégro –, ainsi que celle de la région tout entière.

Malheureusement, malgré tous les changements intervenus à Belgrade depuis la chute du régime de Milošević et malgré les différences fondamentales qui existent entre les actuels dirigeants serbes et la précédente nomenklatura communiste, le spectre de la Grande Serbie continue de planer et la position de Belgrade à l’égard du Kosovo continue d’être dominée par un manque de réalisme.

En tant que témoin des développements intervenus dans les Balkans au cours des deux dernières décennies, je puis dire qu’il n’existe aucune différence notable entre la position énoncée dans la Constitution serbe des années 1980 et celle de 2006. Je tiens également à rappeler à l’Assemblée que, entre 1991 et 1995, la seule option de Belgrade pour une solution au Kosovo était la partition et l’établissement de cartes qui changeaient tous les trois mois. Aujourd’hui, en 2006, la partition du Kosovo reste pour Belgrade l’unique option pour la résolution de cette question cruciale dans les Balkans.

Pourtant, je suis fermement convaincu que la modification des frontières internationales existantes dans les Balkans risque de réveiller les anciens conflits, ce qui aurait de graves conséquences pour la région. Par ailleurs, le Kosovo est peuplé à 90 % d’Albanais qui y vivent depuis la nuit des temps. L’idée d’une partition ayant pour objectif de créer un pays ethniquement pur dans une région fondamentalement pluriethnique n’est pas seulement vaine, elle est également dangereuse.

L’Albanie a adopté – et gardé – une position réaliste en ce qui concerne la question du statut définitif du Kosovo. Nous avons pleinement soutenu la mission du Président Ahtisaari et du groupe de contact. Nous pensons que le statut final du Kosovo doit garantir les droits et les libertés des Serbes et de toutes les autres minorités du pays; qu’il doit garantir la mise en œuvre pleine et entière du processus de décentralisation, conformément à la Charte européenne de l’autonomie locale; qu’il doit garantir l’entier respect du patrimoine culturel et religieux; et qu’il doit satisfaire la volonté d’indépendance exprimée par la population du Kosovo.

Je pense que l’indépendance du Kosovo est, d’une part, essentielle à son développement économique et social, et, de l’autre, cruciale pour sa stabilité et celle de la région tout entière. L’indépendance du Kosovo constituera une réponse permanente à la fluidité du facteur albanais dans les Balkans. C’est pourquoi l’Albanie, la Macédoine et le Monténégro ont des points de vue semblables sur le statut définitif du Kosovo. Par ailleurs, je pense que l’indépendance du Kosovo contribuera à la stabilité de la Serbie. Elle aidera la Serbie à se départir de son passé récent, à marginaliser ses forces radicales et à accélérer sa démilitarisation, ce qui favorisera l’intégration du pays dans les institutions euro-atlantiques et garantira à son peuple l’avenir qu’il mérite. Toutefois, l’absence de réalisme de la part des dirigeants serbes rend un accord entre Priština et Belgrade peu probable. C’est pourquoi je pense que la seule solution sera d’imposer un accord, comme cela a toujours été le cas pour tous les accords importants conclus dans les Balkans au cours des cent cinquante dernières années.

Dans un même temps, je reste fermement convaincu que les Albanais et les Serbes doivent ouvrir un nouveau chapitre de leur histoire en nouant, suivant la grande tradition des autres nations européennes, des relations de bon voisinage et de coopération amicale, dans l’intérêt de notre avenir européen commun.