Helmut

Schmidt

Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 27 avril 1978

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie avant tout de m’avoir invité et je suis heureux de pouvoir m’adresser à la première Assemblée parlementaire internationale qui ait vu le jour en Europe. Je vous prie aussi d’excuser mon retard, dû à l’annulation d’un service aérien.

Qu’il me soit d’abord permis, après près de trente ans d’activité de cette institution, période qui vous a certes apporté bien des déceptions, mais aussi des marques d’estime et des succès, de faire une constatation. Mon Gouvernement ne voit pas simplement dans le Conseil de l’Europe le rassemblement le plus vaste d’Etats occidentaux unis par un même intérêt pour les contacts, les échanges de vues et la coopération. Il y voit aussi le lien indispensable entre les Neuf de la Communauté européenne et les autres démocraties du continent. La politique d’union européenne ne saurait s’en passer. L’Europe, en effet, n’est pas seulement composée des Neuf, bien que seuls ces derniers soient jusqu’ici parvenus à réaliser une union contractuelle au sens strict du terme.

Le Conseil de l’Europe a bien mérité de l’unité européenne. Il a surtout bien mérité de la préservation du patrimoine spirituel qui nous unit en tant qu’Européens et qui nous donne l’espoir, malgré des guerres innombrables et des souffrances infinies, d’un avenir commun dans la paix et la concorde.

«Les habitants de Prague, de Budapest, de Varsovie, de Leningrad et de Moscou sont aussi des Européens, ils font partie de notre histoire, et ils ont, comme nous tous, besoin de paix.»

Le Conseil de l’Europe a fait politiquement œuvre de pionnier en accordant à un parlement international le droit de participer à la définition des relations entre les Etats.

Il a eu aussi le grand mérite de formuler à l’adresse de ses Etats membres certaines exigences concernant leur système interne. Réaffirmant que l’entrée au Conseil de l’Europe supposait l’adhésion à la liberté et à la démocratie, le Président de la République française déclarait ici même qu’aucun Etat n’y serait admis s’il ne respectait et ne garantissait pas les droits de l’homme et les libertés fondamentales. C’était, et c’est encore là, une obligation à laquelle souscrit la jeune démocratie allemande. Plusieurs années avant la fondation du Conseil de l’Europe, Kurt Schumacher, l’une des grandes figures de la social-démocratie allemande, disait déjà en s’adressant aux mineurs d’Essen: «Etre Allemand, c’est être Européen, et être Européen, c’est être démocrate».

M’exprimant quelques instants en qualité de social-démocrate conscient de rester fidèle aux plus nobles traditions du mouvement ouvrier allemand, je voudrais encore ajouter ceci: l’Europe ne peut se faire que dans la démocratie; c’est ainsi seulement qu’elle restera fidèle à son histoire, l’histoire de sa propre évolution spirituelle et politique.

L’une des grandes réalisations concrètes de la politique démocratique d’Europe occidentale, et j’entends également par là les hommes d’Etats et les parlementaires qui la font, est que les exigences dont j’ai parlé n’apparaissent pas seulement sur le papier.

Avec la Convention européenne des Droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe a fait de l’application de ces droits au plan national l’une des préoccupations communes de ses Etats membres, et ce bien avant les instruments analogues des Nations Unies et l’Acte final d’Helsinki. En instituant la Commission et la Cour, des Etats se sont pour la première fois, en vertu d’accords librement conclus, soumis à un véritable mécanisme de contrôle. Le droit pour chaque citoyen de saisir ces organes de contrôle des abus de son propre gouvernement et de sa propre administration confère à l’activité du Conseil de l’Europe le caractère d’un modèle fondamental. Il s’agit réellement là d’un tournant décisif dans la mise en œuvre et la protection des droits de l’homme.

Nous pourrons à l’automne faire le point des vingt-cinq ans de fonctionnement de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et constater avec satisfaction que cet instrument juridique et les organes chargés de le faire appliquer ont désormais fait leurs preuves.

Dans plus de 8 000 requêtes individuelles des citoyens ont demandé réparation. Ils ont obtenu de la Commission et de la Cour un examen objectif et une décision mûrement pesée. Quelques Etats membres ont également eu recours à cette instance de contrôle européenne commune et indépendante. Les deux organes judiciaires se sont révélés les gardiens vigilants des droits de l’individu.

Les arrêts rendus n’ont pas toujours été du goût des gouvernements intéressés. La Cour et la Commission se sont néanmoins abstenues de limiter la marge politique légitime d’appréciation des parlements et des gouvernements nationaux. L’évaluation, en droit et en fait, de chaque cas d’espèce et la prise en compte de la diversité des conditions sociales, culturelles et juridiques des Etats et le développement, prudent mais résolu, du contenu et de la portée des droits de l’homme en Europe expliquent le grand prestige que se sont acquis la Commission et la Cour.

Le système de protection des droits de l’homme du Conseil de l’Europe constitue un modèle; il est même unique en son genre. Nulle part au monde il n’existe un contrôle international aussi effectif de la pratique interne des Etats en ce qui concerne le respect de ces droits. Il est également unique en ce sens que les droits de l’homme sont, dans la conception européenne, de véritables droits de l’individu. Les Etats européens les considèrent comme un patrimoine juridique commun engageant la puissance étatique, et se soumettent par conséquent à la juridiction chargée de les faire appliquer.

C’est en cela que le système européen des droits de l’homme se distingue non seulement du système moins contraignant des Nations Unies, mais aussi de la conception des droits de l’homme que nous rencontrons depuis quelques années dans le débat politique mondial, où ces droits ne sont pas conçus comme une obligation juridique, mais plutôt comme une philosophie politique ou comme des principes de morale politique. Ce dernier aspect n’est évidemment pas sans importance. Mais ce qui importe, c’est de traduire les pensées et les désirs, c’est-à-dire les manifestations de la nature humaine, dans la vie quotidienne des Etats.

Malgré la considération que nous a value le fonctionnement du système et la fierté que nous pouvons en tirer, il nous faut cependant, au bout de ces vingt-cinq ans de protection des droits de l’homme, nous demander si, dans son contenu actuel, il répond aux exigences de l’avenir et si nous pouvons à tous égards en être satisfaits.

Ce qui me paraît le plus urgent, et je me rallie sur ce point aux initiatives de l’Assemblée parlementaire, c’est d’obtenir l’application uniforme de la convention et de ses protocoles additionnels dans tous les Etats du Conseil de l’Europe. L’expérience acquise par la République fédérale avec sa propre juridiction constitutionnelle, mais aussi avec la juridiction strasbourgeoise, me confirme dans le sentiment que c’est là non seulement la meilleure façon de garantir les droits de l’individu, mais aussi que les différents Etats et l’Europe tout entière en tireraient bénéfice. Je considère que l’une des principales tâches du Conseil de l’Europe est le rétablissement de l’unité juridique ou, si l’on préfère, le rapprochement et l’harmonisation des ordres juridiques nationaux. L’unité juridique et une même conception des droits de l’homme et des libertés fondamentales constituent à cet égard une condition sine qua non. Il nous faut ensuite songer à une extension prudente des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Je serais particulièrement heureux à ce propos que la protection offerte par la Convention européenne des Droits de l’Homme s’appliquât au principe de l'égalité entre l’homme et la femme. (Applaudissements)

Le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques contient certes cet engagement, mais comme une obligation des Etats et non comme un droit individuel, et sans la garantie de mise en œuvre que représentent la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe pourrait à cet égard combler une lacune juridique, ce qui ne manquerait pas d’avoir pour les femmes de nos pays des effets positifs considérables. Il faudrait aussi se pencher sur les droits qu’appellent les transformations techniques et sociales, comme la protection de l’individu face aux abus de l’informatique ou la protection des malades et des mourants. Il devra naturellement s’agir là de droits individuels dont les décisions de la Commission et de la Cour assureront la mise en œuvre, car il ne saurait être question d’affaiblir le mécanisme de contrôle. L’extension du système de protection des droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’a d’ailleurs de sens que si tous les Etats ratifient dans un délai raisonnable les protocoles additionnels pertinents, afin d’en garantir l’application uniforme sur tout le territoire de l’Organisation.

Je n’ignore certes pas combien il est difficile et fastidieux, pour vingt Etats, de s’accorder sur des conventions relatives au droit des gens. Mais l’importance politique du Conseil de l’Europe dépendra pour beaucoup à l’avenir de l’empressement de ses membres à entreprendre de nouveaux efforts pour le bien de l’Europe tout entière.

Une question particulièrement importante à mes yeux, pour des raisons de stabilité sociale intérieure, est celle de la garantie de droits sociaux. J’entends par là l’élimination de la misère, objectif auquel nous devons tendre. Une alimentation suffisante, un logement, la protection de la santé, ce sont là des droits aussi éminents que les libertés civiques. Nous savons qu’il n’en est pas encore ainsi partout, tant s’en faut. La possibilité de trouver du travail grâce à un niveau constamment élevé de l’emploi relève également de cet ordre d’idées. Nous ne pouvons certes pas garantir un emploi déterminé à quiconque peut et veut travailler, mais nous devrions tous concevoir le travail comme une valeur fondamentale, car c’est à travers lui que l’homme s’épanouit et se réalise pleinement. La question qui se pose est cependant de savoir si le mécanisme d’application prévu par la convention pour les libertés fondamentales conviendrait également à ces droits sociaux.

Garantir dans l’ordre social les conditions de vie et l’égalité des chances est d’abord une tâche politique, et non juridique. Les mesures économiques et sociales dépendent des ressources disponibles et souvent aussi de facteurs qui échappent aux gouvernements. Il faut donc s’interroger avec lucidité sur les moyens propres à améliorer ces conditions de vie. Nous ne pouvons, je crois, nous dérober à cette tâche. (Applaudissements)

Je pense que les partenaires sociaux, syndicats et associations patronales, pourraient jouer à cet égard un rôle plus actif. J’estime même leur coopération indispensable car leur expérience nous sera très précieuse lorsqu’il s’agira de définir les droits sociaux. Peut-être pourrai-je incidemment ajouter combien je serais heureux que tous les parlements et vous-mêmes, Mesdames et Messieurs, recherchiez plus encore que vous ne l’avez fait jusqu’ici, le contact et les conseils des syndicats et des associations patronales. (Applaudissements)

Je demande en tout cas à l’Assemblée parlementaire et à ses commissions d’associer davantage les partenaires sociaux à leurs travaux. Je suis sûr qu’il en sortira, entre le Conseil de l’Europe, les syndicats et les organisations patronales, une fructueuse coopération.

Aussi ai-je lu avec satisfaction, Monsieur le Président, la déclaration indiquant que les ministres des Affaires étrangères des Etats membres du Conseil de l’Europe s’étaient prononcés aujourd’hui pour une protection efficace des droits de l’homme à travers le monde et pour le développement des droits de l’individu, notamment dans le domaine social, économique et culturel. J’y vois un apport constructif à la cause de la paix, mais aussi et surtout de la paix sociale dans nos Etats. Car une chose est certaine: nous devons nous préoccuper davantage que nous ne l’avons fait jusqu’ici des insuffisances sociales de nos communautés nationales.

Sur le plan des libertés politiques et de leur mise en œuvre, les Etats d’Europe occidentale n’ont absolument pas à rougir. Selon la doctrine libérale de l’Etat de droit, les droits de l’homme impliquent la liberté non seulement pour quelques-uns, mais pour la totalité des êtres humains. Chacun compte, chacun doit s’épanouir librement. Chacun a le droit d’exiger que sa liberté et ses droits soient respectés et protégés contre les prétentions d’autrui. Mais la réalité sociale contredit encore en partie cet idéal. Tout comme le suffrage universel n’a guère de sens pour celui qui ne sait pas lire ou écrire, les droits civiques ne signifient pas grand-chose pour celui qui n’a aucun moyen réel, c’est-à-dire économique, de les exercer. (Applaudissements)

Anatole France constatait avec ironie, à propos du Code pénal, que la souveraine majesté des lois interdisait de la même façon aux riches et aux pauvres de mendier dans la rue, de voler du pain et de coucher sous les ponts de la Seine. Chacun de nous a déjà lu ou entendu cette réflexion; elle conserve toute sa valeur.

Beaucoup se sont depuis rendu compte qu’il faut protéger la liberté de l’individu non seulement contre les empiétements de l’autorité ou la puissance de l’Etat, mais aussi, et au même titre, contre le pouvoir économique ou social. En d’autres termes: les libertés classiques doivent être complétées par des droits sociaux, économiques et même culturels. La liberté authentique suppose un fondement social et économique. Chacun doit avoir ses chances, et c’est en fonction de cet objectif qu’il nous faut façonner notre ordre social. Tel est l’un de nos premiers devoirs. Des traditions patrimoniales en apparence bien ancrées dans la société ne doivent pas non plus nous empêcher de chercher à remédier aux insuffisances sociales.

Dans un autre ordre d’idées, je tiens à rappeler que pour nous Allemands, le Conseil de l’Europe a été la première organisation internationale d’après-guerre à nous ouvrir ses portes et à nous inviter à participer à la reconstruction du continent. Il incarnait pour nous un double espoir: l’union européenne et la démocratie. En tant que parcelle de l’Europe située sur le sol français, il incarnait aussi à nos yeux la nécessaire réconciliation historique de deux Etats voisins, l’Allemagne et la France, réconciliation qui, timidement et lentement, s’ébauchait alors, surtout du côté français, mais qui devait jouer et continuera à jouer, un rôle décisif dans la coopération européenne.

Ce double espoir, qui liait alors les Allemands au Conseil de l’Europe, non seulement n’a pas été déçu, mais il a aidé la politique allemande à acquérir une dimension européenne. Nous savions, comme nous le savons aujourd’hui, que le retour à l’Etat national traditionnel que nous avions connu était et demeure incompatible avec les conditions de vie en Europe et dans le monde comme avec la politique mondiale. Notre époque est marquée par le rôle dominant de puissances continentales comme les Etats-Unis d’Amérique, l’Union Soviétique et, plus récemment, la République populaire de Chine. Elle est marquée aussi par les liens d’interdépendance économique et politique entre les vastes groupements d’Etats que constituent les pays industrialisés, les pays communistes, les pays pétroliers et les pays en développement, ce dernier groupe comprenant à vrai dire plusieurs catégories très différentes.

Tout ceci doit nous faire prendre conscience que la souveraineté nationale des Etats – et cette constatation vaut pour les puissances européennes moyennes – a aujourd’hui besoin d’un appui, qui peut être constitué par l’union assez lâche du Conseil de l’Europe, l’union plus étroite de la Communauté européenne ou d’autres formes d’association. Pour nous Allemands, il a été plus simple que pour d’autres de rejeter les traditions de l’Etat national, mais aussi plus difficile. Cela a été et demeure plus simple parce que chaque Allemand a fait l’expérience, à la fois dans son pays et dans sa personne, de la banqueroute morale et physique d’un nationalisme perverti. Plus difficile aussi parce qu’après la division de l’Allemagne et de notre peuple, nous n’avons jamais perdu espoir, le désir et la volonté d’être un jour à nouveau réunis. L’Histoire et l’expérience nous ont appris que la nation ne peut plus être aujourd’hui le critère ultime de la politique. De même, l’aspiration vers la réunification de notre peuple ne doit pas ravir et ne ravira pas à la paix la première place parmi les objectifs de notre politique. (Applaudissements)

Cette constatation nous a permis de consacrer toutes nos forces à la stabilité et à la coopération en Europe. Elle se manifeste par exemple dans la contribution que nous avons apportée, et que nous continuerons d’apporter avec la plus grande conviction, à la politique de détente avec l’Est. Elle se manifeste également dans notre contribution à la sécurité commune. Si nous autres Allemands avons puisé dans l’unité européenne une nouvelle raison d’espérer en l’association et en la démocratie, nous le devons – je le dis avec reconnaissance – à nos partenaires, qui ont ainsi servi non seulement notre cause, mais aussi celle de la paix en Europe.

Si l’Europe, malgré la coupure entre l’Est et l’Ouest, ignore la guerre depuis plus de trente ans, et si une politique de détente réaliste et efficace peut être poursuivie, nous le devons certainement, en tout premier lieu, à l’alliance d’un nombre important d’Etats européens et aux liens qui nous unissent aux Etats-Unis et au Canada. Mais si la voix de l’Europe est entendue, au sein de l’Alliance atlantique, mais aussi à travers le monde, à l’Ouest comme à l’Est, si elle exerce une influence, c’est à la politique d’union européenne sous ses diverses formes que nous le devons, le Conseil de l’Europe en ayant été l’une des premières. Grâce à des conditions favorables à la croissance économique et au progrès technique, l’Europe occidentale a connu, après la catastrophe de la seconde guerre mondiale, un essor et un bien-être économiques sans précédent dans l’Histoire. Cette évolution est allée de pair avec un regain de confiance politique, qui a été bénéfique pour la politique européenne.

La situation se présente sous un jour un peu différent depuis le début de la crise économique mondiale, il y a quelques années. Le scepticisme et le doute quant à la possibilité d’un progrès ininterrompu se sont aussi répandus à travers l’Europe. Un grand nombre de projets de la Communauté européenne relatifs à la création d’un espace économique commun se sont heurtés aux dures réalités des écarts d’ordre économique, écarts que la crise structurelle de l’économie mondiale a elle-même accentués. Loin de moi l’intention de minimiser les difficultés que nous connaissons tous mais que chaque Etat doit affronter séparément, et surtout pas la détresse économique et humaine due au chômage persistant qui accompagne ces difficultés.

Il est d’ailleurs un point que je voudrais souligner. Si au cours des quatre ans et demi qui se sont écoulés depuis le début de cette crise économique mondiale, il n’y avait pas eu de Communauté européenne, si les Neuf n’avaient pas convenu d’une action commune, s’ils n’avaient pas coopéré avec les autres Etats de l’Europe et du monde, les pays industrialisés auraient pu être frappés vers le milieu des années 70 – c’est là une éventualité que j’ai envisagée au début de 1974 – par une crise économique, mais aussi politique, d’ordre à la fois intérieur et extérieur, comparable à celle des années 30. Si cela ne s’est produit ni en 1974, ni en 1975, ni en 1976, le mérite en revient selon moi, pour une très large part, aux diverses institutions européennes, à la convergence de vues, à la coopération, aux consultations et au désir de reconnaître les intérêts d’autrui, c’est-à-dire de tenir compte de ses besoins. Je ne vois donc aucune raison pour que l’Europe doute d’elle-même.

J’aborderai maintenant un autre chapitre. Les pays d’Europe orientale, qu’ils appartiennent au Comecon ou au Pacte de Varsovie, font aussi partie de l’Europe de par leur histoire et leurs traditions. Dans le cadre du processus multilatéral de détente, nous avons élaboré des formes de coopération souples mais efficaces, qui ont contribué de façon décisive à équilibrer la déclaration d’intention que constitue l’Acte final d’Helsinki. La coopération politique à travers l’Europe a également fait ses preuves à la récente Conférence de Belgrade. Je suis convaincu que les liens d’étroite coordination entre les Neuf de la Communauté, ainsi qu’entre ces derniers et les membres du Conseil de l’Europe, continueront de faire leurs preuves, en particulier lors de la préparation et du déroulement de la Conférence de Madrid qui doit avoir lieu dans deux ans.

En tout état de cause, les deux pôles de ce processus de détente devront se concentrer davantage sur des domaines concrets de coopération. En conséquence, devant cette Assemblée composée de parlementaires de la majorité des pays participants à la CSCE, je voudrais ajouter une remarque fondamentale: En tant que facteur déterminant de la détente multilatérale en Europe, le processus de la CSCE est, selon moi, trop important pour l’avenir, et pas seulement pour celui de notre continent, pour que nous nous permettions de le restreindre à des détails techniques et à des échanges de documents en provenance des administrations.

Helsinki a montré toute l’importance que peut avoir une rencontre personnelle entre chefs d’Etat et de gouvernement, en donnant à ceux-ci l’occasion d’échanger directement leurs idées et de faire connaissance. Je me réjouirais donc que, dans le cadre des rencontres de la CSCE, on puisse convenir d’une nouvelle réunion au niveau politique.

La condition sine qua non du succès de la politique d’union européenne – je parle des Etats que vous représentez ici – est une confiance réciproque dans le caractère démocratique et constitutionnel de chaque Etat membre. Je sais que cette confiance n’est pas acquise d’emblée et une fois pour toutes. Des expériences politiques et, j’ajouterai entre parenthèses, des calculs de politique intérieure, incitent à projeter des images négatives vers l’extérieur. Nombreux sont ceux qui ont du mal à se faire à l’idée que la République Fédérale d’Allemagne fondée il y a près de trente ans, appartienne depuis une génération aux démocraties respectueuses de la prééminence du droit.

Nous autres Allemands subissons une critique quelquefois déformante en la déplorant, mais en gardant notre calme. La raison en est notamment que pendant les rudes épreuves de l’automne dernier, nous avons bénéficié sous de multiples formes de la solidarité de nos voisins et en particulier des gouvernements partenaires. J’ajouterai aussi que celui qui entretient ou ranime de vieilles méfiances – que ce soit par préjugé ou par calcul politique – celui-là n’est pas d’un grand secours.

Je voudrais, à l’aide de deux exemples très différents, montrer toute l’importance qu’il y a à ce que la confiance dans le caractère constitutionnel et démocratique de chacun des partenaires se manifeste dans la politique de tous les jours. Le premier ' exemple est celui de la Convention du Conseil de l’Europe pour la répression du terrorisme, étape importante sur la voie de l’adaptation du droit traditionnel de l’extradition à la dimension européenne. Nous avons vu que les terroristes modernes profitent naturellement de tous les avantages de la liberté de déplacement. Le vieux principe de la non extradition pour délit politique qui était censé protéger à l’origine les délinquants politiquement motivés d’une justice de caractère politique, peut, dans les conditions qui prévalent actuellement en Europe occidentale, devenir un obstacle à l’exercice de poursuites pénales légitimes contre des délinquants dont le but est de détruire les démocraties respectueuses de la règle du droit.

Ainsi, aux termes de la convention, les auteurs d’actes de terrorisme devraient être extradés quand bien même ils se réclameraient expressément de mobiles politiques.

Je voudrais dire à ce propos que l’attentat commis contre Aldo Moro nous a, en Allemagne, profondément émus. Nous avons maintes fois et physiquement fait l’expérience de la violence inhumaine et aveugle et nous pouvons mesurer ce que ressent le peuple italien. Témoignons à nouveau en cet instant de l’inflexibilité de la démocratie. Aucun terroriste ne peut ni ne doit nous forcer à renoncer aux devoirs qui sont ceux de l’Etat de droit et de la démocratie. Si la démocratie était en péril, nous seuls en porterions la responsabilité. (Applaudissements)

Je voudrais aussi, au nom de mon Gouvernement, exprimer notre profond respect pour le Gouvernement italien et notre sympathie pour le peuple italien.

J’en viens maintenant au second exemple de notre confiance dans la démocratie et la prééminence du droit. Le Conseil des Communautés européennes a fixé en juin 1979 les premières élections générales au Parlement européen. Ces élections générales auront pour effet de créer une nouvelle et profonde légitimité. Nul n’ignore qu’elles n’ont pas été décidées sans mal; elles se heurtent en effet aux dogmes traditionnels et aux idées reçues de l’Etat national, et c’est ce qui explique les difficultés.

Il est d’autre part nécessaire, selon moi, d’envisager avec pragmatisme, les compétences limitées de ce Parlement. Je suis certain qu’elles seront progressivement élargies là où le besoin ou l’opportunité s’en feront sentir.

Il ressort de ces deux exemples que, pour peu que nous en ayons la volonté et que nous agissions en coopération, nous pouvons, nous autres Européens, tendre vers le même but.

Ici, dans le cadre du Conseil de l’Europe, vingt partenaires se sont groupés qui font partie de la Communauté européenne ou de l’Alliance atlantique, ou qui sont neutres. Les différences, qui se manifestent au niveau de la coopération au processus d’unification européenne, ne sauraient dissimuler tout ce qu’il y a en commun entre eux.

Pour nous, Allemands, je tiens à le répéter, et certainement aussi pour les partenaires de la Communauté restreinte, le Conseil de l’Europe représente le complément et le lien entre les Etats membres de la Communauté et les pays européens qui, en raison d’impératifs nationaux propres, ne sont pas entrés ou ne peuvent pas entrer dans la Communauté. Nous respectons cette attitude, mais nous apprécions les contacts qui se nouent ici. Je songe notamment aux ministres qui se réunissent régulièrement dans les locaux du Conseil de l’Europe, et qui représentent vingt gouvernements. Nous estimons que ces contacts, les échanges de vues politiques, l’enrichissement réciproque, les suggestions des uns et des autres, la prise en compte des intérêts et des objectifs d’autrui, de leurs préoccupations et des contraintes qu’ils subissent revêtent la plus grande importance pour l’avenir de notre continent et que leur effet bénéfique s’est déjà fait sentir non seulement en Europe, mais aussi en d’autres lieux, au sein de l’Organisation des Nations Unies par exemple.

Peut-être devrais-je incidemment relever que pour la Grèce, le Portugal et l’Espagne – j’en ai l’espoir et même la conviction – le chemin de la Communauté passe par le Conseil de l’Europe. Le Comité des Ministres des Vingt s’est déclaré pleinement partisan du renforcement et de l’extension de la Communauté européenne, et la coopération entre les deux organisations progresse de façon encourageante.

Je voudrais à ce propos citer Jean Monnet, grand Européen dont, depuis plus de vingt ans, je partage profondément les idées, et qui est l’un des pères spirituels de l’unification européenne en même temps qu’un réformateur très pragmatique. Jean Monnet écrivait il y a vingt-huit ans dans son mémorandum historique sur le plan Schuman: «L’objectif est d’ouvrir dans le mur de la souveraineté nationale une brèche suffisamment étroite pour pouvoir recueillir l’adhésion, mais assez profonde pour entraîner les Etats vers l’unité indispensable à la paix.» Cette phrase, prononcée il y a trente ans, témoigne d’une intuition remarquable. Elle est la synthèse même de ce que Jean Monnet et ceux, hommes et femmes, qui se réclamaient de son héritage politique et spirituel, ont accompli depuis.

Les résultats de près de trente années de coopération et d’unité européenne ne satisferont pleinement personne. Les visionnaires européens constatent qu’ils sont loin de la fédération à laquelle ils aspiraient. Dans la pratique, nous devons nous débattre avec une multiplicité de processus de décision à l’échelon national et européen. Mais – et ce n’est pas une maigre consolation mais bien un commun encouragement – seuls ceux qui veulent en rester à l’Etat national pleinement souverain risquent d’être totalement insatisfaits.

J’ajouterai ceci: l’émancipation de l’Europe passe par une victoire sur le nationalisme égoïste. Le Conseil de l’Europe y apporte sa contribution – pour reprendre les termes de l’article 1er de son Statut – en favorisant la sauvegarde et la promotion des idéaux et des principes qui sont le patrimoine commun des Etats membres.

Ce pourrait être là une formule abstraite. Mais il n’en est rien. Il s’agit d’une réalité concrète et je suis heureux de voir que depuis la création du Conseil de l’Europe, cette formule se concrétise et prend vie.

Il nous reste encore un long chemin à parcourir. Mais à vous tous – que vous représentiez les pays de la Communauté européenne ou de l’Alliance atlantique, ou des pays neutres – je voudrais dire ceci: j’ai la conviction que ce qui nous unit est assez fort pour nous permettre de faire ce chemin. La victoire sur le nationalisme égoïste est pour nous un devoir que l’on peut d’une certaine façon envisager comme un retour aux sources de l’histoire européenne.

Mais il ne saurait s’agir d’un retour à l’Empire romain avec des rois allemands pour empereurs – ce qui pourrait faire redouter à de nombreux inquiets de notre époque une nouvelle domination de l’Allemagne. Il ne s’agit certainement pas non plus d’une Europa imperialis, comme ce Hohenstaufe, qui était Allemand mais aussi inspiré par l’esprit méditerranéen, en a peut-être eu la vision. D’autres, par la suite, ont eu eux aussi leur idée de l’Europe. Bien plus tard est venu Charles Quint. L’humanisme européen est apparu, mais aussi la division religieuse de l’Europe. On a vu naître les particularismes, puis les Etats nationaux. En Allemagne c’était le triomphe des chevaliers féodaux, mais aussi des chevaliers pillards. La diversité des peuples a poussé des racines de tous côtés.

Il ne peut non plus s’agir d’un retour à une philosophie universelle. Notre mission, ce n’est pas la Renaissance au sens politique du terme. Rien ne saurait renaître du passé. Il ne sert de rien de s’abandonner à la nostalgie. Une idéologie de l’Occident ne saurait donner ni contenu ni dimension à notre effort politique commun. Certes, on ne fait pas de politique sans une vision de l’avenir, on ne peut en faire sans recourir aux mots, et la foi a déjà réussi des miracles. Mais la politique est avant tout l’affrontement des réalités, la transformation progressive de ce que l’on trouve devant soi. Il faut pour cela du coup d’œil, du jugement, du réalisme, il faut se fixer un but, et avoir par conséquent une idée du chemin à prendre pour y parvenir.

L’Europe doit, selon moi, dans la conscience de son histoire commune, de ses particularités nationales et régionales, mais aussi de sa socioculture dans une large mesure identique, se concevoir comme un modèle qui illustre comment les hommes et les Etats peuvent cohabiter harmonieusement et gérer correctement ensemble les affaires communes. Nous sommes bien autre chose qu’un groupement d’intérêts, qu’une association de consommateurs ou une coopérative de production qui voudrait faire de l’idéologie. Nous sommes incontestablement beaucoup plus. Certes, il n’existe pas d’Europe au sens d’Etat national, mais il existe une Europe en tant que morale politique, que réussite historique. Les réalités sont telles que l’Europe est divisée en deux blocs politiques et sociaux. Nul, de quelque côté qu’il se situe, ne peut mettre cette réalité entre parenthèses. Mais il nous incombe aussi de veiller à ce que la continuité de l’Europe ne s’arrête pas aux frontières de ces blocs. Les habitants de Prague, de Budapest, de Varsovie, de Léningrad et de Moscou sont aussi des Européens, ils font partie de notre histoire, et ils ont, comme nous tous, besoin de paix. (Applaudissements)

Je voudrais nous souhaiter à tous de bien nous occuper de notre propre maison. Je voudrais aussi souhaiter aux Occidentaux de ne pas trop se montrer présomptueux, mais de tendre la main. La raison nous le commande. La paix l’exige.

Je vous remercie beaucoup de m’avoir prêté attention.

(Vifs applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Chancelier, je vous remercie vivement de ce très intéressant exposé. Nous n’avons malheureusement plus que quelques minutes pour les questions. J’espère que vous resterez encore au moins un quart d’heure parmi nous.

(Le Président poursuit en anglais.) (Traduction)

Le premier groupe de questions comprend celles qui ont trait à la Communauté européenne (nos 1, 3 et 5). La question n° 1, émane de M. Jager, j’en donne lecture:

«M. Jager

Demande au Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne

s’il estime que l’élection directe du Parlement européen étant devenue une certitude depuis la dernière session du Conseil européen à Copenhague, les pouvoirs limités qui sont assignés à ce Parlement dans le cadre des Traités seront suffisants pour résoudre les problèmes actuels des sociétés européennes, ou bien que les problèmes de la qualité de la vie, de l’énergie, des échanges, des communications, de la restructuration industrielle qui sont devenus des problèmes européens, exigent une réponse européenne;

s’il n’estime pas que les élus de ce suffrage européen auront à rendre compte de leurs activités devant l’opinion publique européenne et que celle-ci comprendrait mal que ces élus arguent de leur incompétence juridique pour expliquer qu’ils ne peuvent rien faire pour l’Europe;

s’il reprend les opinions exprimées il y a quelque temps par son prédécesseur à la Chancellerie fédérale, opinions selon lesquelles le Parlement européen devrait obtenir rapidement des pouvoirs élargis.»

La question n° 3 est posée par Sir John Rodgers. J’en donne lecture:

«Sir John Rodgers,

Rappelant la Résolution (74) 4 du Comité des Ministres sur le rôle futur du Conseil de l’Europe dans laquelle les gouvernements membres ’constatent avec satisfaction la contribution importante apportée par le Conseil de l’Europe depuis sa création, en 1949, au resserrement de l’unité en Europe et se déclarent convaincus que le Conseil de l’Europe sera mieux en mesure de jouer son rôle spécifique et de s’acquitter de sa mission si ses possibilités d’action politique sont pleinement utilisées;

Considérant que son élargissement futur de «9» à «12» membres conduira la Communauté européenne à renforcer plutôt la coopération intergouvemementale que l’union économique et politique,

Demande au Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne comment il voit le développement de la coopération européenne dans l’avenir, le rôle spécifique, dans ce contexte, de la Communauté européenne et du Conseil de l’Europe et, dans un contexte encore plus large, celui des nouvelles formes de coopération en Europe inaugurées par la Conférence européenne sur la sécurité et la coopération.»

La question n° 5 émane de M. Czernetz. J’en donne lecture:

«M. Czernetz,

Constatant que dans son rapport sur l’Union européenne, le Président du Conseil de Belgique, M. Tindemans, suggère pour cette Union l’élaboration d’une liste des droits fondamentaux; que, bien que ce rapport n’ait jusqu’ici donné lieu à aucune réalisation, du moins concrète, la Commission des Communautés européennes et le Parlement Européen travaillent dans cet esprit, et qu’actuellement à Bruxelles un groupe de travail étudie l’intégration des normes de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, ce qui représente une évolution dont il y aurait lieu de se féliciter, mais à la condition que, pour l’application de ces normes, la Communauté ne s’écarte pas des organes de la Convention européenne;

Constatant que, dans le cadre du Parlement européen des tendances se sont manifestées récemment à étendre le rôle des Communautés concernant le développement du droit vers des secteurs plus concrets, à définir la place du particulier au sein de la collectivité et à régir ainsi les droits de l’homme au sens large du terme, et que, par exemple, il a été proposé d’harmoniser le droit du mariage dans la Communauté,

Demande au Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne

s’il n’estime pas que des projets de cette nature, s’ils devaient être réalisés dans le cadre communautaire actuel, pourraient conduire à une scission de l’Europe démocratique dans le domaine central qu’est celui des droits de l’homme, car de telles solutions conduiraient en effet à remettre en question la force de cohésion juridique et politique de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, expression commune des aspirations démocratiques de vingt pays européens.»

Le Chancelier veut-il répondre à ces questions?

M. Schmidt, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

Très volontiers, Monsieur le Président.

Pour ce qui est de la question de M. Jager, concernant les compétences du Parlement européen, j’ai déjà dit que l’on pouvait être certain – c’est du moins ma conviction – que ce Parlement de la Communauté européenne connaîtra et recherchera certainement de lui-même de manière pragmatique un élargissement de ses compétences. Il ne faut pas sous-estimer les fonctions de contrôle et de consultation qu’il exerce dès aujourd’hui auprès de la Commission et du Conseil. J’ai personnellement une grande confiance – je sais que beaucoup pensent différemment et souhaiteraient plutôt que le rôle du Parlement ne s’étende pas si vite – dans le renforcement de l’importance politique du Parlement européen qui sera élu en juin prochain. Cette légitimité nouvelle dont je parlais tout à l’heure accroîtra aussi la légitimité de la Communauté européenne dans son ensemble. L’opinion publique prendra conscience du fait que cela est dû aux élections directes. Je suis plein d’espoir sur ce point.

Je souhaite comme M. Jager que le Parlement européen prenne du poids avec le temps. Je ne doute d’ailleurs pas que les choses se passent ainsi. Un proverbe allemand dit que Rome ne s’est pas faite en un jour et il est certain que ce Parlement européen élu au suffrage direct ne prendra pas sa physionomie définitive en un an ou en une législature.

Quant à la question de Sir John Rodgers, il me semble que j’ai déjà dans mon exposé donné quelques éléments de réponse. J’ai particulièrement insisté sur les formes de coopération européenne qui ont été développées à l’occasion de la CSCE. Je pense qu’elles se développeront encore au cours des années à venir. Je pense que chacun des vingt partenaires en a la volonté. Nous, les Neuf, qui sommes membres de la Communauté européenne et de l’Alliance atlantique, ne devons jamais perdre de vue que les autres Etats européens qui n’appartiennent pas à cette association ont encore plus besoin que nous de cet échange de vues, de cette coopération. Il faut veiller à ce que ni l’une ni l’autre des deux communautés que je viens de nommer n’ait tendance avec le temps à se refermer sur elle-même.

J’en viens à la question de M. Czernetz: je pense comme lui qu’il serait souhaitable que non seulement les neuf Etats membres mais aussi la Communauté européenne en tant que telle s’estiment liés par la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le rapport entre les Communautés européennes en tant qu’association d’Etats et le Conseil de l’Europe pose sur le plan de la protection des droits de l’homme par les organes de ces deux groupes d’Etats une multitude de problèmes complexes. L’auteur de la question en est certainement conscient. Je sais que ces problèmes sont depuis plusieurs années l’objet d’études techniques et même de discussions politiques.

Il est certain, Monsieur Czernetz, que les fonctions du Conseil de l’Europe d’une part, et des Communautés européennes de l’autre, sont différentes. Il faut étudier soigneusement la délimitation des deux domaines juridiques et celle des compétences des organes juridictionnels. Diverses solutions ont été proposées. Je ne m’estime pas compétent pour porter dans l’immédiat un jugement sur ces propositions et je ne crois pas non plus que le temps dont je dispose me permette de me lancer dans de longs développements à ce sujet.

Toutefois, comme je l’ai dit tout à l’heure, je considère que la force contraignante que la Convention européenne des Droits de l’Homme peut être non seulement maintenue mais étendue. J’ai déjà traité de manière très détaillée cette partie de votre question et vous me pardonnerez sans doute de ne pas y revenir. Il est certain que nous devons éviter qu’il y ait en Europe deux lectures des droits de l’homme ou deux conceptions de la démocratie.

M. LE PRÉSIDENT

Monsieur Jager, désirez-vous poser brièvement une question supplémentaire?

M. JAGER (France)

Je répondrai simplement à M. le Chancelier que j’ai très bien compris sa formule célèbre, très connue en Allemagne, à savoir que «Rome n’a pas été bâtie en un jour», je le remercie. Je n’ai rien d’autre à ajouter.

Sir John RODGERS (Royaume-Uni) (traduction)

La semaine dernière, j’ai entendu un ministre britannique déclarer qu’il considérait le Conseil de l’Europe comme la voix authentique de l’Europe et l’Assemblée parlementaire comme l’Europe de demain.

Quoi qu’il en soit, le Chancelier ne convient-il pas que les deux organisations parlementaires européennes n’ont que trop tardé à s’efforcer ensemble de rationaliser leurs travaux afin d’éviter à l’avenir les chevauchements et le gaspillage effréné des deniers publics?

Enfin, puis-je poser une autre brève question? Le Chancelier serait-il disposé, par exemple, à user de son influence pour que le Conseil de l’Europe soit représenté à la Conférence de Madrid?

M. Schmidt, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

Je suis tenté de répondre à la question de Sir John Rodgers qu’à mon avis – très pragmatique, je l’admets – la mise au point d’une collaboration entre les deux assemblées parlementaires sera plus opportune et plus efficace dans un an, lorsque le Parlement européen, avec une composition différente, travaillera sur les bases nouvelles créées par l’élection directe. J’ai observé ici et là – je ne sais pas si on peut le dire tout haut – que le Parlement européen court aujourd’hui le risque de prendre prématurément une série de décisions qui en fait ne devraient être prises que par le Parlement élu au suffrage direct.

Ce que je veux dire, c’est que vous avez bien fait de poser cette question, mais qu’on ne devrait y répondre que lorsque le nouveau Parlement existera effectivement. Je ne voudrais pas pour autant étouffer les initiatives de qui que ce soit. Si entre-temps des collègues des deux assemblées ont envie de se rencontrer, il n’y a certainement pas de règlement qui l’interdise.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

J’en suis absolument navré, mais étant donné le retard que nous avons pris, le Chancelier ne pourra plus répondre à aucune question, du fait de notre cérémonie et des impératifs du protocole. Je présente mes excuses à tous les Représentants qui ont posé des questions, et j’espère qu’ils trouveront des éléments de réponse à celles-ci dans l’intéressant exposé du Chancelier fédéral.