Gerhard

Schröder

Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 27 septembre 2000

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c’est avec plaisir que je saisis l’occasion de m’adresser à vous en ouverture de cette session d'automne de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce, pour plusieurs raisons.

Premièrement, le Conseil de l’Europe et les peuples européens ont un événement particulièrement important à célébrer cette semaine: le 50e anniversaire de l’adoption de la Convention européenne des Droits de l’Homme par le Conseil de l’Europe.

Deuxièmement, parce que cela fait aussi presque exactement cinquante ans que, pour la première fois, des députés allemands ont pu intégrer ce que l'on appelait encore à l’époque «l’Assemblée consultative» du Conseil de l’Europe. Ce fut un pas important sur la voie qui ramenait les Allemands au sein de la famille des peuples européens.

Troisièmement, parce que le Conseil de l’Europe doit, ces jours-ci précisément, de nouveau faire ses preuves dans l’une de ses fonctions essentielles, à savoir en tant qu’instance morale et politique veillant au respect des droits fondamentaux et des droits de l’homme en Europe.

Dimanche dernier, la population yougoslave a opté pour un changement démocratique, cela ne fait aucun doute. Nous devrions maintenant insister tous ensemble pour que la volonté exprimée par le peuple serbe soit acceptée et pour qu’il n’y ait pas d’escalade de la violence. Une Yougoslavie démocratique, dans laquelle les droits de l’homme sont respectés, reprendra, à égalité de droits, la place qui lui revient en Europe.

Mesdames, Messieurs, on n’a cessé de répéter que l’Europe, notre continent, ne pouvait être seulement définie d’un point de vue géographique. Historiquement, «l'Europe» a toujours été un projet politique, pour le meilleur et pour le pire. L’Europe est façonnée par ses habitants; il est d’autant plus important que des Européens courageux se soient employés, immédiatement après la seconde guerre mondiale, après le génocide et l’effroyable destruction, à ériger une nouvelle Europe libre et juste.

A cette fin, un millier de délégués issus de plus de vingt pays se sont réunis en mai 1948 à La Haye. Il fut finalement décidé de mettre en œuvre en Europe une union économique et politique se fondant sur une charte commune des droits fondamentaux et des droits de l’homme. Ce fut le début du Conseil de l’Europe et, en fait, également celui de l’intégration européenne. Je pense que nous pouvons tous en être fiers.

Les fondateurs de ce mouvement n’étaient d’ailleurs pas seulement des hommes politiques. C’étaient des femmes et des hommes qui s'engageaient avec ferveur pour les principes de l’Aufklärung européenne, pour les idéaux de la liberté et de la dignité humaine, et pour la primauté du droit.

En Allemagne aussi, le pays qui avait causé tant de souffrances et de destructions à ses voisins et à lui- même, nombreux furent ceux, des jeunes surtout, qui se rallièrent à ce «mouvement du Conseil de l’Europe». Pour la jeune république fédérale, le Conseil de l’Europe créé en 1949 fut le meilleur moyen de prouver qu’elle aspirait sérieusement à la démocratie, à l’Etat de droit et au respect des autres. Le Conseil de l’Europe fut la première organisation politique internationale à laquelle la République fédérale d'Allemagne put adhérer. Grâce à cela, des adversaires du passé devinrent des partenaires européens.

D’autres étapes de la construction européenne ont suivi jusqu’à la réalisation économique, sociale, monétaire et politique dont les fondateurs du Conseil de l’Europe auraient tout au plus rêvé. Ainsi, le Conseil de l’Europe demeure le symbole du départ réussi de l’intégration de l’Allemagne dans une Europe convergente qui, aujourd’hui, semble tellement aller de soi. Je tiens à le dire ici très clairement: l’Allemagne et les Allemands en sont infiniment reconnaissants au Conseil de l’Europe.

Mesdames, Messieurs, au plus tard depuis le tournant des années 89-90, le Conseil de l’Europe a acquis une importance véritablement paneuropéenne. Dans cette enceinte se forge, dans certains domaines importants, le nouveau visage de l’Europe. Comme ce fut le cas au cours des décennies antérieures, le Conseil de l’Europe appuie la mise en place de structures démocratiques et de l’Etat de droit sur notre continent. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Organisation a en effet accueilli seize Etats réformateurs d’Europe centrale et orientale. Deux autres candidats vont bientôt en devenir membres. L’ouverture du Conseil de l’Europe depuis 1990 vers l’Europe centrale et orientale est d’une portée politique mais aussi pratique que l'on ne saurait sous-estimer. Elle reflète la solidarité pratiquée dans la construction d’une Europe qui se fonde sur un système de valeurs communes. Le Conseil de l’Europe réalise, pièce par pièce, la vision d’une Europe sans ligne de séparation.

Etre membre du Conseil de l'Europe signifie dans le même temps être introduit dans une communauté de valeurs dont la priorité est de défendre les droits inaliénables. L’Europe est construite sur cette assise de droits politiques, sociaux et économiques, bref, sur l’ensemble des droits civiques et des droits de l’homme. Cela ne pourra jamais être remis en question. Il appartient tout spécialement au Conseil de l’Europe de surveiller et de défendre ces droits lors de la structuration de notre continent.

Ces valeurs communes forment le cadre solide d’une coopération intensive entre tous les Etats européens. L’intégration globale des nouveaux membres d’Europe centrale et orientale au Conseil de l’Europe est donc une contribution importante au resserrement de notre continent. Le label de qualité du Conseil de l’Europe demeure un préalable pour participer au processus d’unification politique dans le cadre de l’Union européenne.

A cet égard, le Conseil de l’Europe contribue également de manière importante à l’harmonisation et à la création d’un concept commun du droit. Plus de 170 conventions ont déjà été adoptées. Ce faisant, une multitude de questions sociétales, allant de la coopération culturelle à la médecine biologique, sont réglementées – ce, toujours dans l’esprit d’une application des droits fondamentaux contre l’arbitraire.

Permettez-moi de constater qu'au cours des cinquante dernières années le Conseil de l’Europe a réussi l’exploit, même s’il n’a pas toujours fait la une des journaux, de créer un cadre juridique au sein duquel des sociétés civiles politiquement éclairées, tolérantes et pacifiques peuvent se développer en Europe. Mesdames, Messieurs, la défense des droits de l’homme en Europe est notre préoccupation commune prioritaire. En cela, la Convention européenne des Droits de l’Homme nous montre à tous la voie à suivre. Celle-ci et la Cour européenne des Droits de l’Homme qui en a résulté sont des instruments importants pour la défense des droits de l’homme des quelque 800 millions de personnes qui vivent aujourd’hui dans les 41 Etats membres du Conseil de l’Europe. Veiller au respect des droits de l’homme demeure une tâche permanente.

Les conflits internationaux, mais aussi de plus en plus nationaux, n’ont cessé de nous montrer crûment au cours des dix dernières années que la fin de la guerre froide ne signifiait pas pour autant la fin des conflits. L’Europe a tiré d’importantes leçons de ce constat. Elle s’est nettement mieux organisée au cours des dernières années. Elle a essayé de trouver des réponses communes aux défis et de placer son action sur une plate-forme commune. Toutefois, nous sommes appelés à poursuivre nos efforts conjoints sur trois points essentiels.

Premièrement, nous devons accélérer nos efforts pour que l’espace juridique européen prime et nous engager pour que les valeurs communes européennes soient respectées – tout comme les devoirs qui en découlent. Le Conseil de l’Europe joue, dans ce domaine, un rôle de précurseur. Plus que toute autre organisation européenne, il s’est doté, au cours des dernières années, d’outils efficaces qui permettent de vérifier que ses membres respectent leurs engagements. Il peut ainsi découvrir, dès, le départ, d’éventuelles situations inadmissibles et, partant, les combattre. Dans ce contexte, la procédure de suivi de l’Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres revêt un rôle important. D’autres outils essentiels, comme le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ainsi que le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, nommé pour la première fois Tannée dernière, sont également des outils préventifs majeurs du Conseil de l’Europe.

Il serait sans doute utile d’informer une opinion publique plus large dans les pays du Conseil de l’Europe de l’effet positif de ses institutions. On pourrait, par exemple, publier les résultats de la procédure de suivi du Comité des Ministres.

Deuxièmement, une Europe des hommes et des droits de l’homme telle qu’elle a été inscrite dès le départ au programme du Conseil de l’Europe est incompatible avec le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. L’histoire du siècle dernier a montré que nous, Européens, devons nous opposer de bonne heure à ces tendances meurtrières. Aujourd’hui encore, le racisme n’a pas disparu et il y a des personnes qui refusent de tirer les enseignements de cette Histoire sanglante, nous en

sommes témoins dans les rues de l’Europe, y compris – malheureusement – en Allemagne. La position du Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne est immuable sur ce point: une société tolérante ne saurait tolérer et ne tolérera pas l’intolérance et la violence raciste. Dans sa lutte contre l’extrémisme de droite, l’Allemagne mise sur la défense de l’Etat de droit et du monopole de l’emploi de la force dont il dispose, ainsi que sur la protection des persécutés et des minorités, sur le dialogue avec tous ceux qui se sentent exclus et qui sont prêts à dialoguer, et, avant tout, sur la capacité de résistance d’une société civile démocratique.

Dans cet effort, nous – c’est-à-dire non seulement le gouvernement fédéral, mais aussi l’Allemagne démocratique dans son ensemble – nous sentons parfaitement soutenus par les activités du Conseil de l’Europe. Son programme de travail contre le racisme et l’intolérance ne peut vraiment être qualifié que d’exemplaire, mais je n’entrerai pas dans le détail – tout cela vous est parfaitement connu. Je tiens toutefois à nommer plus précisément le programme «best examples» du Conseil de l’Europe. Cette initiative qui sert à publier et à récompenser les actions et les activités exemplaires des gouvernements, mais aussi et surtout des citoyens dans l’Europe entière, indique, à mon avis, la voie qu’il nous faut tous suivre. Ces best examples nous le montrent: résister au racisme et à l’intolérance n’est pas seulement nécessaire, mais également possible pour tous ceux qui le souhaitent.

Troisièmement, il est dans l’intérêt de l’Europe que le Conseil de T Europe soit à l’avenir plus présent qu’il ne Test actuellement dans l’esprit des citoyens des Etats membres. L’Europe ne doit pas être perçue, à tort, comme un édifice simplement construit par les technocrates. L’âme de l’Europe, de l'idée européenne, ce sont ses citoyens. Or, pour que les hommes puissent ainsi s’identifier à l'idée européenne, il faut que cette grande Europe symbolisée par le Conseil de l’Europe respecte la diversité culturelle et l’identité des peuples réunis sous son toit.

La langue, vous le savez tous, joue ici un rôle tout à fait essentiel. C’est pourquoi je serais très satisfait de voir l’allemand, qui, à côté du russe, est la langue maternelle la plus parlée sur le territoire du Conseil de l’Europe, acquérir une importance accrue en son sein.

Mesdames, Messieurs, en ce début du XXIe siècle, le champ d’action du Conseil de l’Europe demeure largement diversifié et ambitieux. A l’occasion de son premier discours devant l’Assemblée parlementaire, le 1er août 1950, Carlo Schmid constatait: «L’on attend de nous une participation extrêmement vivante aux efforts des Européens démocrates qui sont sur le point de fonder une Europe de liberté et de justice, au sein de laquelle les injustices et les divergences pourront être résolues dans un esprit de paix et dans le respect des droits de l’homme et des libertés.» Après la réussite de l’intégration de presque tous les pays européens, le Conseil de l’Europe est aujourd’hui le symbole de la solidarité des peuples du continent européen. Il devrait user de tout son potentiel pour apporter son aide aux grandes réformes à venir, tout en soulignant son autonomie et sa complémentarité dans le processus de l’intégration européenne au sens large.

Pour instaurer une société européenne moderne, nous avons également besoin des contributions du Conseil de l’Europe. A l’ère de la mondialisation, la lutte contre la corruption et le blanchiment de l’argent, le combat contre le racisme et la xénophobie ainsi que la promotion des droits sociaux revêtent un caractère tout à fait primordial. A cela viennent s’ajouter des questions auxquelles le Conseil de l’Europe s’est consacré ces derniers temps: la bioéthique et la cybercriminalité, par exemple. Le Conseil de l’Europe doit traiter avec détermination ces questions d’avenir. Il a un rôle décisif à jouer pour assurer l’avenir du site européen. Nous avons besoin, plus que jamais, de son savoir et de son engagement pour suivre l’évolution de notre continent dans des domaines cruciaux.

Mesdames, Messieurs, le Conseil de l’Europe dispose d’une grande expérience dans le domaine de la coopération inter-Etats, étant donné son caractère de «réservoir d’idées» dont parlait déjà le grand Européen Robert Schuman. Il demeure donc un élément essentiel de l’architecture européenne. Voilà pourquoi je suis sûr que le Conseil de l’Europe continuera d’apporter au XXIe siècle son concours irremplaçable à l’effort persévérant de construction de l’Europe.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur le Chancelier, pour cette allocution dans laquelle vous avez manifesté une profonde compréhension quant aux responsabilités du Conseil de l’Europe et aux difficultés auxquelles il doit faire face.

Nous en arrivons aux questions des parlementaires. Ma liste comporte dix questions... et il nous reste à peine un quart d’heure. J’espère que nous pourrons toutes les aborder. Je vous signale que si les vingt-quatre parlementaires qui ne pourront s’exprimer aujourd’hui me font parvenir leurs questions avant la fin de la semaine je me chargerai de les transmettre à M. Schröder qui a aimablement accepté d’y apporter une réponse écrite.

Je donne la parole à Mme Poptodorova, pour un rappel au Règlement.

Mme POPTODOROVA (Bulgarie) (traduction)

Je manquerais à mes devoirs si je ne soulevais pas le point suivant, crucial pour mon pays. Demain, les ministres de l’Intérieur et de la Justice des pays de l’Union européenne se réuniront, entre autres, pour examiner la question de savoir s’il convient ou non de rayer la Roumanie et la Bulgarie de ce qu’on appelle la «liste noire» de Schengen. La question que je me proposais de poser aujourd’hui portait sur ce sujet. Je sais que le temps presse, Monsieur le Président, mais j’en appelle à votre indulgence, dans l’espoir que vous voudrez bien l’ajouter à votre liste et j’en appelle à l’indulgence du chancelier, dans l’espoir qu’il voudra bien y donner une réponse aujourd’hui.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Sachant que nous ne disposons que de quinze minutes, Madame Poptodorova, votre démarche est pour le moins cavalière..., d’autant que vous avez d’autres possibilités de contacter le chancelier pour lui poser votre question.

Les deux premières questions, qui ont trait aux relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, ont été posées par des socialistes et feront l’objet d’une réponse commune. La première émane de M. Lluxs Maria de Puig, d’Espagne, et la deuxième de M. Wolfgang Behrendt, d’Allemagne, que vous connaissez bien.

Je vous rappelle que vous disposez de trente secondes au maximum pour poser vos questions. La parole à M. de Puig.

M. de PUIG (Espagne)

S’agissant des relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, et de l’avenir de notre institution, dont vous venez de parler, nous avons souvent le sentiment que les efforts des gouvernements se concentrent sur l’expansion de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe s’estimant, lui, un peu abandonné. En effet, certains aspects prioritaires de notre institution sont presque transférés à l’Union européenne, qui a créé une charte sociale, alors que nous en avons déjà une, par exemple; l’Union vient également de créer une formule équivalente à notre Convention européenne des Droits de l’Homme.

Sommes-nous dans une dynamique tendant à vider de ses compétences le Conseil de l’Europe pour les transférer à l’Union européenne? A mon avis, ce serait une grave erreur.

M. BEHRENDT (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, étant donné que j’ai tout le loisir d’interroger le chancelier dans le cadre du Bundestag, j’aimerais céder mon temps de parole à Mme Poptodorova. Je pense qu’il importe de lui permettre de poser sa question.

M. Schröder, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

Ne perdons pas de vue qu’il existe en Europe différentes organisations ayant chacune ses attributions. Le fait qu’elles travaillent en parallèle sur certains sujets peut constituer un avantage. Pour moi, la mission première du Conseil de l'Europe est d’œuvrer en faveur du renforcement de l’intégration européenne, par exemple dans les domaines juridique et constitutionnel. A cet égard, il a une importante contribution à apporter à la mise en œuvre des décisions d’Helsinki portant sur la création, en Europe, d’un espace commun de droit, de sécurité et de liberté. Voilà un exemple qui illustre bien, à mon sens, l’importance du rôle des parlementaires, dont les compétences dépassent assurément le cadre actuel de l’Union européenne.

Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu d’améliorer la coordination entre les différentes organisations afin d’éviter des doubles emplois. Toutefois, à la lumière de l’exemple que je viens de donner, je ne vois aucune raison de penser que le Conseil de l’Europe risque d’être dépouillé de ses compétences.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Schröder. Les trois questions suivantes, posées respectivement par MM. Solé Tura, Magnusson et Atkinson, portent sur la charte européenne des droits fondamentaux et sur la Convention européenne des Droits de l'Homme. En l’absence de M. Solé Tura, la parole est à M. Magnusson.

M. MAGNUSSON (Suède) (traduction)

Je suis d’autant plus heureux de pouvoir poser une question à M. Schröder que j’avais cm comprendre que je n’aurais pas l’occasion de m’exprimer. Ma question a trait aux relations entre la charte européenne qui doit être adoptée cet automne et la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le chancelier pense-t-il que l’Union européenne pourrait adhérer à cette dernière?

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Partagez-vous les craintes du Gouvernement britannique et de beaucoup de membres de l’Assemblée qui redoutent que l’entrée en vigueur de la charte des droits fondamentaux soit source de confusion avec la Convention européenne des Droits de l’Homme, de chaos pour la Cour européenne et de complications pour les pays qui ont incorporé les principes de la Convention dans leur législation nationale? J’aimerais savoir si vous êtes disposé, lors de la réunion de Nice, à recommander que cette charte ne devienne pas un instrument contraignant, mais reste un catalogue de normes sur lesquelles les pays membres devront s’aligner.

M. Schröder, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

Je commencerai par répondre à la deuxième question. Je ne partage absolument pas le point de vue de l’honorable parlementaire, dont je doute qu’il reflète celui du Gouvernement britannique. Force est de constater que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne va plus loin que la Convention européenne des Droits de l’Homme. Rien ne s’oppose donc – du moins à long terme – à ce que la Charte de l’Union soit adoptée comme prévu à Biarritz ou à Nice. Cet instrument incorporerait la Convention, puisque, comme je viens de le dire, il va plus loin que cette dernière. Voilà pour les rapports entre les deux documents. En tout état de cause, je suis convaincu que les éminents experts en droit constitutionnel et en droit international qui ont travaillé à l’élaboration de la charte ont tenu compte des difficultés d’interprétation qui risquaient de se faire jour au Royaume-Uni et ailleurs, et ont su les prévenir.

Je ne pense pas que les traditions constitutionnelles du Royaume-Uni – que nous connaissons et que nous respectons – constituent un obstacle à l’adoption par ce pays de la charte des droits fondamentaux. Je suis convaincu que, grâce au dialogue, nous parviendrons à balayer les réserves qui ont été émises. Le débat devra s’étendre à la notion même de Constitution. Nous sommes disposés à tenir compte de toutes les traditions existant en la matière. C’est pourquoi je pense, d’une part, qu’il n’y aura pas de difficulté d'interprétation entre les deux textes et, de l’autre, que rien ne s’opposera à l’adoption de la charte de l’Union. Cette adoption est indispensable et doit être soutenue par le Conseil de l’Europe parce qu’elle marquera le début d’un débat constitutionnel au sein de l’Union, débat indispensable si l’on veut, notamment après l’élargissement de l’Organisation, pouvoir délimiter les compétences de chacun. Les principes contenus dans la Convention, que vient renforcer la charte de l’Union, doivent être incorporés dans un débat constitutionnel qui devra également avoir pour objectif de définir les compétences politiques respectives des Etats membres et de l’Union.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Les deux questions suivantes, qui ont trait à l’élargissement de l’Union, ont été posées respectivement par MM. Eörsi, libéral hongrois, et M. Wojcik, démocrate-chrétien de Pologne. La parole est à M. Eörsi.

M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)

Monsieur le Chancelier, j’ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit à propos de l’élargissement du Conseil de l’Europe et ai bon espoir de voir l’Union européenne suivre le même chemin. Si mes informations sont exactes, M. Verheugen, qui est membre de Votre parti, a indiqué à la presse allemande que vous envisagiez d’organiser un référendum sur la question de l'élargissement de l’Union européenne. Pour que ce soit bien clair, j’aimerais vous demander si oui ou non il y aura, pour la première fois dans l’histoire de l’Allemagne, un référendum sur une question relative à l’Union européenne.

M. WOJCIK (Pologne) (traduction)

Dans les prochaines années, plusieurs pays membres du Conseil de l’Europe adhéreront à l’Union européenne. Partagez- vous le point de vue exprimé par certains politiques allemands, notamment par Mme Erica Steinbach, point de vue selon lequel cet élargissement remettrait à Tordre du jour la question de la propriété dans les pays voisins de l’Allemagne? Selon vous, la législation européenne permettra-t-elle des restitutions? Enfin, pensez-vous que cette question puisse faire l’objet de recours auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme?

M. Schröder, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

Premièrement, les propos de M. Verheugen n’engagent que lui. Je n’ai pas l’intention – et d’ailleurs il ne me revient pas – de commenter les déclarations de Günter Verheugen pour lequel j’éprouve, au demeurant, une grande estime. Si mes souvenirs sont exacts, il avait clairement indiqué devant le Parlement européen qu’il n’entendait pas suggérer que l’Union européenne avait besoin de davantage de soutien et, partant, de davantage d’opinions, émanant des citoyennes et des citoyens de ses Etats membres. Il n’a pas non plus émis l’idée qu’il fallait organiser un référendum chaque fois qu’une organisation, quelle qu’elle soit, envisageait de s’élargir.

Cela étant, la position du Gouvernement allemand est très claire. A Helsinki, nous avons indiqué que l’Europe des Quinze devait se préparer à accueillir de nouveaux membres fin 2002. Nous nous efforçons d’imprimer à ce processus la dynamique nécessaire pour ce faire. Ainsi suivons-nous avec le plus grand intérêt les efforts déployés par la présidence française et attendons-nous avec impatience les résultats du Sommet de Nice – au cours duquel seront décidées les réformes institutionnelles – dont le succès sera une condition sine qua non pour l’élargissement. Nous mettons tout en œuvre à cette fin. Cela dit, conformément à la décision d’Helsinki, la réponse à la question de savoir si d’autres pays, et, dans l’affirmative, lesquels, pourront poser leur candidature en 2003 – c’est-à-dire seront en mesure de faire leurs tous les acquis de l’Union européenne – est entre les mains des pays concernés. Ici vaut le principe selon lequel il appartient à chacun d’agir au mieux de ses possibilités. Ce principe s’applique à tous. L’Allemagne n’a pas l’intention d’organiser un référendum sur la question de l’élargissement; une telle démarche serait, d’ailleurs, contraire à sa Constitution.

Deuxièmement, je ne commenterai pas non plus les propos tenus par certains membres de l’opposition allemande. Que ce soit bien clair: les décisions prises à Helsinki n’ont été assorties d’aucune condition qui viendrait entraver l’adhésion, par exemple, de la Pologne. Mme Steinbach n’a fait qu’exprimer un point de vue personnel, dont je ne sais s’il correspond à celui de son parti. Ce que je sais, en revanche, c’est que ce n’est pas celui de mon gouvernement, dont elle ne fait pas et ne fera jamais partie.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je suis convaincu que Mme Steinbach aura pris bonne note de cette réponse. La parole est à M. Toshev, démocrate-chrétien de Bulgarie.

M. TOSHEV (Bulgarie) (traduction)

J’aimerais rendre hommage à l’Allemagne pour avoir décidé d’effectuer une donation en faveur du Conseil de l’Europe. Ces fonds devraient être employés pour financer les activités que mène l’Organisation dans le cadre du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est. Toutefois, certains, en Allemagne, s’interrogent sur l’efficacité de cet instrument ainsi que sur la nécessité de construire un deuxième pont sur le Danube, entre la Roumanie et la Bulgarie.

J’aimerais savoir si l’Allemagne continuera de soutenir le projet d’investissement prévu par le Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est et si elle est favorable à la mise en place des couloirs paneuropéens n° 4 et 8, y compris le deuxième pont entre la Roumanie et la Bulgarie.

M. Schröder, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

En premier lieu, je vous signale que je ne suis pas expert en la matière. Vous voudrez bien m’en excuser. Si j’avais su qu'il me serait demandé de répondre à une question portant sur l’implantation de ponts entre la Roumanie et la Bulgarie, j’aurais pris mes renseignements auprès de mon ministre des Transports. Mais tel n’a pas été le cas. Je ne puis donc m’exprimer sur ce point.

En revanche, s’agissant de la mise en œuvre du Pacte de stabilité, je pense que le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer, notamment en ce qui concerne la Table de travail n° 1, à laquelle il participe déjà activement. Si je ne fais pas erreur, l’Allemagne a déjà engagé 3,6 millions de deutsche marks dans un certain nombre de projets que le Conseil de l’Europe a définis comme relevant plus particulièrement de ses compétences.

En ce qui concerne le pacte dans son ensemble, il convient de rappeler que l’Allemagne a contribué de manière significative à son élaboration après la fin du conflit du Kosovo. Le pacte entre pour une large part dans l’orientation de notre politique étrangère à l’égard de la région. Comme vous le savez, le coordinateur sur le terrain est un homme politique allemand. Peut-être cela fait-il apparaître que nous ne souhaitons pas uniquement coopérer, mais que nous sommes également prêts à assumer nos responsabilités – ce qui ressort d’ailleurs du rapport que l’Allemagne a présenté en mars dernier lors de la conférence des donateurs.

Tout cela prouve non seulement que nous nous sommes engagés sans réserve dans l’Europe du Sud- Est, mais aussi que nous entendons poursuivre dans cette voie, car nous pensons que ce n’est que lorsque Ton aura pu faire comprendre que l’appartenance à la communauté de valeurs que défend le Conseil de l’Europe aura aussi des conséquences positives pour l’économie de l’ensemble de la région que Ton parviendra à convaincre les gens que cela vaut la peine, à long terme, de lutter en faveur de la démocratie, de la liberté et de la prééminence du droit. Prospérité économique et promotion des valeurs communes vont de pair. Voilà ce dont on doit prendre conscience dans la région. Il faut, par exemple – et ce point est capital – faire comprendre à la République fédérale de Yougoslavie que la communauté internationale réagira à la victoire de l’opposition – que Ton sait aujourd’hui incontestable – en invitant le pays à participer à l’intégration européenne, ce tant sur le plan politique que sur le plan économique. A cet égard, le Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud- Est revêt une importance majeure, c’est pourquoi nous continuerons de soutenir activement la mise en œuvre de cet instrument.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur le Chancelier. Malgré l’heure tardive – il est 12 h 45 – je propose, si vous le voulez bien, d’en terminer avec la liste des questions. Il en reste trois, déposées respectivement par M. Gjellerod, M. Schweitzer et Mme Durrieu, lesquelles, bien que portant sur des sujets différents, feront l’objet d’une réponse commune pour gagner du temps. La parole est à M. Gjellerod.

M. GJELLEROD (Danemark) (traduction)

Le chancelier a déjà répondu à la question que je voulais poser. Je me contenterai donc de le remercier d’avoir si clairement pris position contre le racisme, l’extrémisme, la xénophobie et l’intolérance.

M. SCHWEITZER (Autriche) (traduction)

Monsieur le Chancelier, comme il ressort clairement du rapport des trois sages, les sanctions prononcées d’un commun accord par quatorze Etats de l’Union européenne contre le nouveau Gouvernement autrichien ne reposent sur aucun fondement, puisque la politique menée par le pays en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la discrimination et la xénophobie ainsi qu’en ce qui concerne le traitement des minorités y est jugée très positive. Sur la base de ce rapport, l’Allemagne compte- t-elle reprendre les relations amicales avec mon pays?

Mme DURRIEU (France)

Monsieur le Chancelier, j’aimerais connaître votre appréciation sur la récente initiative de la Banque centrale européenne, de la Réserve fédérale américaine et du Japon d’intervenir sur les marchés des changes pour éviter une chute plus brutale encore de l’euro. Pensez-vous que cette situation, qui démontre l’impact de l’euro sur les entreprises américaines et sur l’économie mondiale, soit une opération suffisante pour stabiliser cette monnaie, ou faudra-t-il envisager d’autres mesures?

M. Schröder, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (traduction)

Imaginez un instant, Madame, ce qui se passerait si je répondais à votre question... Le Conseil européen a décidé, notamment pour respecter l’indépendance de la Banque centrale européenne, qu’il appartient à son président ainsi qu’à celui d’Ecofin de se prononcer sur ce sujet. Moins on en discutera dans les différentes enceintes, mieux cela vaudra pour une devise dont la solidité dépend sans conteste de celle de l’économie européenne. J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur d’estimer avoir répondu à votre question. Je suis convaincu que le président de la Banque centrale européenne se fera un plaisir de répondre à toutes celles que vous lui poserez lors d’un entretien privé.

Quant à vous, Monsieur Schweitzer, je me demande quel rapport vous avez bien pu lire... Certainement pas celui des sages, qui ont indiqué expressément que ce que vous appelez «les sanctions» — c’est-à-dire les mesures bilatérales – ont été couronnées de succès, mais que si elles étaient maintenues elles commenceraient, précisément en raison de ce succès, à devenir contre- productives. Et cela, personne ne le souhaite. Ce que vous insinuez dans votre question ne correspond pas à la réalité. Alors, soit vous avez eu un autre rapport entre les mains, soit vous vous êtes contenté de ne lire que la moitié de celui des sages. Moi, j’ai aussi lu l’autre moitié!

Cela dit, l’Allemagne et l’Autriche entretiennent traditionnellement des relations normales et il n’y a aucune raison pour que cela change.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur Schröder, je vous remercie pour le temps que vous avez consacré à répondre aux questions des parlementaires ainsi que pour votre discours fort encourageant et de bon augure.

Je vous rappelle que les parlementaires inscrits qui, présents dans l’hémicycle, n’auraient pas pu poser leur question faute de temps disposent de vingt-quatre heures après la fin du débat pour en déposer le texte dactylographié au Service de la séance. M. Schröder y donnera une réponse écrite qui sera également publiée dans le compte rendu.