Mario

Soares

Premier ministre du Portugal

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 28 avril 1977

Monsieur le Président, acceptant une aimable invitation, j’ai déjà eu l’honneur de prendre la parole lors de la 26e Session de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le 28 septembre 1974, en tant que ministre des Affaires étrangères du Portugal. En m’invitant à l’époque où le Portugal, bien qu’ayant déjà renversé la dictature, ne disposait pas encore d’institutions qui lui permettaient d’adhérer au Conseil, ce dernier a voulu témoigner sa confiance, en la vocation démocratique du peuple portugais. Par coïncidence, et avec l’ironie que l’histoire de temps à autre nous offre, au moment même où dans cette Assemblée je proclamais cette vocation et ma croyance inébranlable dans son triomphe, au Portugal la tentative communiste de prise du pouvoir commençait. C’est donc avec une toute particulière émotion que je rappelle cette visite.

De nouveau, cette Assemblée a bien voulu m’inviter à prononcer quelques mots en tant que Président du premier Gouvernement portugais qui, depuis 1926, a été établi d’après une Constitution élaborée par une Assemblée constituante, librement élue au suffrage direct et universel. C’est un double honneur, pour mon pays et pour moi-même.

Deux ans et demi à peu près se sont écoulés depuis que j’ai eu l’occasion de mentionner les grandes et fondamentales altérations sociales et politiques, déjà vérifiables à l’époque dans mon pays, en conséquence de la révolution.

J’ai surtout souligné l’importance du processus démocratique, qui s’instaurait alors, visant à l’institutionnalisation au Portugal d’une démocratie pluraliste. Les difficultés de tous ordres contre lesquelles la majorité du peuple portugais a dû lutter pour sauvegarder cet objectif fondamental sont bien connues; elles étaient provoquées surtout par des groupes totalitaires, ayant pour but la destruction de la liberté et de la démocratie et l’implantation au Portugal d’un système politique et économique sans rapport ni avec nos traditions, ni avec nos aspirations. Ces obstacles ont été surmontés grâce à un combat tenace que l’Europe a suivi avec un intérêt inquiet. Le programme de démocratisation du pays a été réalisé: la nouvelle Constitution a été élaborée et promulguée, les élections pour l’Assemblée de la République ont eu lieu à la date prévue – le premier Parlement digne de ce nom, librement élu au Portugal depuis un demi-siècle – les Portugais ont pu élire le Président de la République au suffrage universel direct comme il était prévu dans la nouvelle Constitution. Un premier Gouvernement constitutionnel a été formé et, finalement, en décembre dernier, se sont réalisées, aussi pour la première fois depuis cinquante ans, des élections libres et authentiques, pour les pouvoirs locaux.

En même temps que se parachevait ainsi la démocratisation des organes de souveraineté, le Gouvernement constitutionnel se consacrait à une activité intense sur le plan extérieur, qui constitue une formalisation réaliste des intérêts portugais, en accord avec nos conditionnements géographiques, politiques, économiques et culturels.

Ainsi, et ce n’est pas le fait du hasard, on a pu constater une sorte de retour du Portugal à l’Europe, et le persistant effort du Gouvernement en vue de traduire, en des termes pratiques, ce qui a déjà été appelé l’option européenne de la politique portugaise.

Dans ce contexte, et comme première et grande manifestation de cette politique, l’adhésion du Portugal au Conseil de l’Europe, en septembre dernier, a constitué une étape fondamentale. Elle manifeste non seulement le désir portugais d’une coopération plus étroite avec les pays démocratiques de l’Europe, mais aussi elle porte témoignage de l’affirmation du caractère européen d’un peuple qui cherche à retrouver sa place dans le vieux continent.

Notre option européenne est venue confirmer, dans les lignes maîtresses de la politique nationale, une réalité culturelle, sociale et économique sous-jacente et profonde. C’est en Europe que la très grande majorité de nos scientifiques, intellectuels et artistes, cherche son inspiration, se spécialise, trouve ses interlocuteurs. C’est vers l’Europe et non vers d’autres continents que, depuis quinze ans, plus d’un million de Portugais sont partis travailler. 80% de nos échanges commerciaux s’effectuent avec des pays européens. On ne s’étonnera donc pas que l’Assemblée de la République ait été presque unanime dans son approbation de notre adhésion au Conseil de l’Europe, exprimant ainsi les désirs d’un peuple qui a récupéré sa liberté, et vit intensément les valeurs de civilisation que le Conseil exprime et représente.

Cependant, le Portugal ne s’est pas borné à adhérer au Conseil de l’Europe. Le Gouvernement portugais a eu, dès les premiers instants, l’intention de prendre part très activement à ses travaux et d’essayer de développer dans son sein une plus grande coopération avec les autres pays membres. Nous avons signé la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont le processus de ratification est en cours, et nous avons déjà commencé une étude de tous les autres accords et conventions dans le cadre du Conseil, de manière à souscrire progressivement le plus grand nombre possible. C’est ainsi qu’en janvier le ministre des Affaires étrangères a signé, au nom du Portugal, la Convention européenne pour la répression du terrorisme et que, précisément hier, trois accords et deux conventions ont été signés.

Simultanément, les relations du Portugal avec le Conseil de l’Europe se sont intensifiées d’une manière remarquable, comme le montrent la présence, chaque fois plus grande, de délégués portugais aux réunions convoquées par le Conseil, ou réalisées sous son égide, et les fréquentes missions d’étude que ce dernier a envoyées au Portugal ces derniers temps.

La politique européenne du Gouvernement portugais a aussi été poursuivie par des contacts chaque fois plus étroits avec les pays démocratiques du continent, auprès desquels nous avons trouvé l’aide et la sympathie nécessaires pour que notre pays puisse vaincre les graves difficultés qu’il affronte.

La récente présentation de la demande d’adhésion du Portugal aux Communautés européennes complète, dans ce domaine, une série de contacts personnels que j’ai effectués dans toutes les capitales des pays concernés. Ce fut un pas de plus, accompli en vue de la consolidation de la démocratie au Portugal, moyennant une harmonisation politique et économique avec l’Europe occidentale, laquelle permettra une structuration plus complète des jeunes institutions démocratiques portugaises.

Malgré tous les écueils rencontrés sur ce chemin, le Gouvernement poursuit une politique ferme, sous les auspices de la liberté et de la démocratie dans le choix européen qui est le sien et qui est le seul pouvant sauvegarder l’individualité et les intérêts du pays. Le chemin est tracé et nous nous y maintiendrons d’une manière intransigeante. Nous sommes néanmoins conscients des difficultés de tout ordre qu’il faut surmonter. La jeune démocratie portugaise n’a pas encore toute l’expérience souhaitable et il nous faut compter avec la fragilité d’une économie peu développée – ravagée par la guerre coloniale et par les excès démagogiques de la gestion économique procommuniste de 1975. Ce sont des aspects dont l’importance et la gravité ne peuvent être oubliés. Nous avons malgré tout l’espoir que la collaboration et la solidarité européennes, dont le Conseil de l’Europe est un témoin irréfutable, nous aideront à vaincre toutes les difficultés, non seulement pour que le Portugal reste le pays libre et démocratique qu’il a choisi d’être, mais aussi pour renforcer les idées démocratiques en Europe et les valeurs spirituelles et morales qui, comme il est écrit dans le préambule du Statut du Conseil, constituent l’héritage commun des peuples européens ici représentés.

Plus que jamais, la majorité des Européens a conscience aujourd’hui, d’un côté, des avantages inestimables de la démocratie et, de l’autre, des graves dangers qui la menacent. Plus que jamais, l’Europe représentée dans ce Conseil, aussi éloignée qu’elle soit de l’unification politique, reconnaît l’interdépendance de ses parties constituantes. La démocratie et la liberté sont indivisibles. Chaque citoyen, chaque gouvernement, chaque pays qui appuie la démocratie portugaise, appuie de ce fait sa propre démocratie.

Monsieur le Président, le Conseil de l’Europe s’est occupé des problèmes relatifs à la sécurité et à la coopération en Europe et de la préparation de la réunion qui, sur ce sujet, se tiendra bientôt à Belgrade. Il y a eu à ce propos deux réunions avec des fonctionnaires venant des capitales des pays membres et, le Conseil lui-même, au niveau ministériel, s’est penché sur cette matière. Le ministre des Affaires étrangères du Portugal a eu l’occasion d’exposer les lignes qui orientent la position de mon pays. Qu’il me soit permis néanmoins de faire quelques remarques à ce sujet.

J’ai parlé il y a quelques instants de l’importance de l’Europe pour le Portugal. Cette importance nous fait suivre avec le plus grand intérêt tous les problèmes liés à la sécurité et à la coopération sur le continent, et la grande activité développée par nos représentants dans toutes sortes de contacts bilatéraux et multilatéraux en est la preuve. L’intérêt croissant du Conseil de l’Europe pour cette question ne peut que nous réjouir. Les pays démocratiques de l’Europe ont un rôle fondamental à jouer en ce qui concerne l’application rigoureuse de l’Acte final d’Helsinki. Nos opinions publiques exigent que les dirigeants politiques veillent au respect de dispositions sans l’application desquelles il ne sera guère possible de parler de liberté, de démocratie et de respect pour l’être humain. Nous n’avons aucune intention polémique; bien au contraire, nous désirons contribuer grâce à une action positive en vue du dépassement des divisions actuelles entre les peuples et souhaitons participer à la construction de l’Europe sur des bases qui permettent l’élimination des frictions et des rivalités. Pour que cela soit possible, il faudra veiller à la protection des droits de l’homme en accord avec les hautes valeurs morales de la civilisation européenne. Le Portugal, comme pays dans lequel ces droits ont été systématiquement violés pendant de nombreuses années, considère cette tâche comme primordiale et s’en occupe tout spécialement.

N’en doutons pas, la détente est indispensable pour qu’il y ait une coopération valable entre les Etats qui désirent créer en Europe un climat de paix et de prospérité qui puisse avoir des répercussions d’une manière favorable dans d’autres régions du monde. De cette manière seulement il sera possible de construire une solidarité européenne, une base de paix, de sécurité et de progrès auxquels nous aspirons tous. Assurer le développement de relations amicales et de coopération implique, comme il est écrit dans l’Acte final d’Helsinki, la reconnaissance de la valeur universelle des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce n’est qu’en défendant les droits de l’homme, inséparables de la dignité et de la promotion de l’être humain, que la réalisation intégrale et libre de l’individu sera possible. C’est la seule base valable et permanente d’une relation amicale et fructueuse entre les nations. Ce n’est qu’ainsi que la détente pourra progresser et atteindre les résultats positifs qu’on attend d’elle.

C’est à cette enseigne que nous envisageons la réunion de Belgrade, tout en espérant qu’elle puisse marquer un pas décisif dans la construction d’une Europe sans rivalité ni haine. Mais en s’acheminant vers cette construction, l’Europe ne peut s’abstraire de ce qui se passe hors de ses frontières. Grâce à son expérience africaine, grâce aux liens historiques et culturels qui l’unissent à l’Amérique latine, le Portugal possède une perception très claire de l’importance des relations entre le vieux continent et le reste du monde.

Dans le contexte de la détente, cet aspect est important et primordial. La coopération et la sécurité européennes ne peuvent être saisies ni mises en pratique, si l’Europe méconnaît ce qui se passe sur les continents africain, asiatique et américain. La Détente est indivisible. (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, pour votre exposé. Je dois des excuses à l’Assemblée; en effet, j’ai omis – tout absorbé que j’étais par le plaisir d’accueillir notre ami M. Soares – de mentionner qu’il est accompagné de M. Ferreira, ministre des Affaires étrangères, que nous connaissons bien, et de M. Nunes, le Représentant permanent. Le Premier ministre s’est déclaré disposé à répondre aux questions, conformément à la coutume de toute assemblée démocratique. Je vous demande simplement de poser ces questions avec concision, car il nous reste une liste d’une trentaine d’orateurs pour le débat consacré à la CSCE. La première question est de M. Valleix.

M. VALLEIX (France)

Monsieur le Premier ministre, après notre Président – nous venons de vous le manifester – vous aurez ressenti combien nous sommes honorés, c’est vrai, et chaleureusement heureux de vous accueillir dans cette Assemblée, que vous connaissez bien, si même elle siège dans de nouveaux murs et dans une architecture nouvelle.

Ce qui est important pour nous, c’est la démarche de votre toute jeune démocratie, et vous avez bien voulu nous dire à l’instant les impressions que vous aviez retenues de ces premiers contacts avec vos partenaires européens, y compris dans le cadre de l’Europe des Neuf.

Permettez que, de cette Assemblée plus large, je vous pose deux questions à ce sujet. Vous savez la sympathie avec laquelle nous suivons vos propres entreprises auprès de l’Europe des Neuf. Quel bilan tirez-vous de vos récents contacts avec ces divers pays de la Communauté européenne à propos de l’entrée future du Portugal dans la Communauté économique européenne?

A quel rythme et selon quelles échéances prévoyez-vous l’intégration progressive de l’économie, en particulier de l’agriculture portugaise, dans les mécanismes communautaires, et pensez-vous qu’au demeurant une adaptation de ces mécanismes serait nécessaire?

La deuxième question est la suivante: voyez-vous des conséquences institutionnelles susceptibles de découler de l’élargissement de la Communauté à la Grèce et au Portugal, puis éventuellement à l’Espagne et à la Turquie? Quelle action vous semble alors nécessaire pour éviter le risque de dilution de l’acquis communautaire dans une vaste zone de libre-échange?

Toutes ces questions me paraissent intéressantes à poser dans la mesure où vous retenez notre vœu que vous puissiez venir élargir la Communauté économique européenne, tout en reconnaissant, il est vrai, que ces élargissements successifs peuvent créer de nouveaux problèmes.

Nous pouvons, me semble-t-il, être très intéressés à partager votre propre réflexion dans le double souci à la fois de vous voir dans la Communauté et de maintenir des liens aussi étroits que possible au sein de cette même Communauté.

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Sur le premier point, je peux dire que le bilan des contacts avec les gouvernements des pays des Neuf est très positif et très encourageant pour nous. Nous avons pris contact avec tous les gouvernements de l’Europe des Neuf. Ils nous ont dit qu’ils acceptaient notre demande d’adhésion et nous ont encouragés à la présenter de façon formelle, ce que nous avons fait.

A partir de cela, on ne peut pas ignorer que des difficultés se présentent. D’abord des difficultés d’harmonisation de nos différentes politiques avec la politique de la Communauté. Mais ces difficultés ne sont pas insurmontables.

En second lieu, des difficultés découlent des difficultés mêmes de la Communauté, auxquelles vous venez de faire allusion, parce que la Communauté est passée de six à neuf pays. Et d’autres pays frappent à la porte de la Communauté. A notre avis, il faut les accueillir. Mais évidemment, on ne peut pas ignorer qu’en élargissant la Communauté, celle-ci risque de perdre un peu de sa substance. C’est là un défi qui se pose aux pays de la Communauté et à la Communauté elle-même. Mais celle-ci doit l’envisager d’une façon positive, car c’est pour elle la preuve que des pays veulent y adhérer et frappent à sa porte. Je pense donc que ces problèmes propres de la Communauté vont être aussi résolus.

En ce qui concerne les échéances que nous avons prévues, nous avons d’abord demandé que notre cas soit jugé en lui-même. Nous sommes opposés à la globalisation de ces problèmes. Peut-être un jour – nous espérons que ce sera prochainement – l’Espagne sera-t-elle en état de demander son adhésion, et peut-être la Turquie, comme vous l’avez dit, la demandera-t-elle aussi.

La Grèce est actuellement dans une situation assez difficile, comme vous le savez. Mais le Portugal a complété l’institutionnalisation de la démocratie et il est en condition tant politique qu’économique de pouvoir adhérer à la Communauté. Nous avons donc demandé que notre cas, le cas du Portugal, soit jugé en lui-même. C’est à cause de cela que nous avons présenté la demande d’adhésion.

Une commission a été nommée pour étudier le problème de l’harmonisation des différentes politiques et donner son avis. Elle doit le faire à la fin de cette année. Les négociations qui vont s’ouvrir pour l’adhésion du Portugal doivent à notre avis se prolonger pendant deux ans. A la fin de ces deux ans, nous serons en mesure d’adhérer à la Communauté comme membre à part entière, mais évidemment après avoir demandé une période de transition, comme ce fut le cas pour l’Angleterre après une période de cinq ans. Voilà pour les échéances.

Nous sommes entièrement optimistes vis-à-vis des démarches que jusqu’à maintenant nous avons entreprises auprès de la Communauté.

M. BUTTIGIEG (Malte) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, estimez-vous qu’il ne peut y avoir de paix véritable en Europe que s’il y a la paix en Méditerranée? En d’autres termes, pensez-vous que la sécurité de l’Europe est inséparable de celle de la Méditerranée?

Je voudrais aussi vous demander, Monsieur le Premier ministre, si à votre avis les Etats participants devraient, pour promouvoir la sécurité et la stabilité politique en Europe et dans la Méditerranée, améliorer encore leurs relations avec les Etats non participants.

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Comme je l’ai dit dans ma déclaration initiale, je pense que la détente est indivisible. J’ai appelé l’attention sur les problèmes qui se posent dans d’autres continents tels que l’Afrique, l’Amérique, surtout l’Amérique latine, et l’Asie. Pour de nombreuses raisons, je considère que les problèmes de la Méditerranée revêtent une importance énorme pour la paix et la sécurité en Europe. Le Portugal n’est pas un pays méditerranéen, mais il a quelque fois été associé aux pays méditerranéens qui l’ont toujours consulté parce qu’ils pensent que, de par notre situation géographique, nous nous trouvons à proximité de l’entrée occidentale de la Méditerranée et que notre pays est, par conséquent, concerné par ces problèmes.

Nous sommes tout à fait disposés à poursuivre des études et des négociations pour établir des rapports harmonieux entre les pays de la Méditerranée qui ne sont pas européens et les pays européens.

M. RADIUS (France)

Monsieur le Premier ministre, quel soutien attendez-vous des pays européens pour surmonter les graves difficultés économiques et sociales auxquelles fait face votre pays et qu’a soulignées le récent discours du Président Eanes?

Pensez-vous que l’assistance financière fournie jusqu’à présent par les pays industrialisés au Portugal, en particulier au moyen de prêts bilatéraux et multilatéraux, a été suffisante?

Souhaitez-vous encourager le développement des investissements privés étrangers qui font encore défaut de manière si aiguë à votre économie et, le cas échéant, quelles mesures comptez-vous prendre pour en assurer la sécurité?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Effectivement, le Portugal connaît des difficultés de deux ordres: économiques et structurelles d’abord qui découlent de la transformation de notre vie nationale. Nous avons procédé à la décolonisation et accordé l’indépendance à toutes nos colonies; par suite, nous avons perdu des marchés et des sources de matières premières et de devises. Nous devons, en conséquence, réorganiser notre vie économique. Nous connaissons, par ailleurs, des difficultés conjoncturelles. Elles ne se posent pas seulement au Portugal, mais à plusieurs pays, notamment en ce qui concerne notre balance des paiements qui est en déficit. Nous avons prévu qu’en quatre années nous pourrions éliminer ce déficit.

Pour mettre en application une politique d’économie qui réduise ce déficit, un prêt, une aide financière à moyen terme, nous sont indispensables. Nous nous sommes adressés à différents pays de l’Europe et de l’Amérique du Nord, notamment les Etats-Unis. Considérant que le problème portugais et les difficultés du Portugal ne concernent pas seulement notre pays, mais peuvent se répercuter dans d’autres pays – parce que sans stabilité économique il n’y aura pas de démocratie au Portugal, et si la démocratie est menacée au Portugal des répercussions énormes risquent de se produire dans d’autre pays, notamment en Espagne et dans les pays d’Europe du Sud – le Président Carter a pris l’initiative de demander une aide exceptionnelle non seulement à l’Europe, mais aussi à d’autres pays industrialisés comme le Canada et le Japon, pour constituer une sorte de consortium en vue de consentir une aide financière exceptionnelle au Portugal.

Nous sommes précisément en train d’étudier et de discuter cette éventuelle possibilité avec nos partenaires.

Sur le plan des investissements privés dont vous avez parlé, nous estimons, en effet, avoir besoin des investissements étrangers. Pour les attirer, nous avons publié un code des investissements extérieurs qui donne des garanties aux investisseurs étrangers. Jusqu’à présent, il a été jugé tout à fait satisfaisant par les différents pays intéressés à la question.

Certains des ministres de notre Gouvernement constitutionnel et moi-même avons discuté avec des investisseurs de différents pays intéressés par le Portugal. J’ai notamment eu des contacts très larges avec des investisseurs allemands, américains, anglais, etc. Chaque fois, nous avons donné des garanties précises en ce qui concerne ces investissements. Et, au contraire de ce que vous supposez, paraît-il, un regain de confiance se manifeste dans la stabilité de nos institutions. C’est pourquoi de nouveaux investissements se font actuellement au Portugal. De même, le tourisme a considérablement augmenté cette année et les travailleurs portugais qui en 1975 et 1976 évitaient soigneusement d’envoyer leurs économies au Portugal, n’hésitent plus à le faire.

M. COUTSOCHERAS (Grèce)

Monsieur le Premier ministre, tout en souhaitant bonne chance à votre pays et bonne réussite à vos efforts, je voudrais vous poser deux brèves questions.

Etant donné votre amère expérience de la violation des droits de l’homme:

Premièrement, le peuple portugais ne ressent-il pas une certaine amertume envers les gouvernements des pays démocratiques qui ne se sont pas décidés à réagir contre vos oppresseurs?

Deuxièmement, justifiez-vous ceux qui, croyant à l’universalité des droits de l’homme, considèrent toute violation de ces droits – peu importe où elle se déclare – comme se retournant contre leur propre personne?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

En ce qui concerne votre première question, sachez que nous essayons d’être réalistes. Nous connaissons le monde dans lequel nous vivons. Bien sûr, durant l’époque du fascisme, nous avons ressenti une certaine amertume, parce que les démocraties qui prétendaient défendre les droits de l’homme et les libertés individuelles ignoraient les attentats qui se commettaient tous les jours au Portugal, en Espagne et dans la Grèce des colonels. Je le répète, nous sommes réalistes et nous savons ce qu’est le monde. Nous pensons que ce sentiment d’amertume n’est pas très constructif. Par ailleurs, nous estimons que chaque pays dispose de ses propres forces pour lutter et faire respecter ses droits et ses libertés et qu’il ne faut pas trop attendre de l’appui extérieur. Nous pensons qu’il convient surtout de faire confiance à la force et à l’énergie de son propre peuple.

C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes fiers d’avoir pu nous libérer du fascisme par nos seuls, moyens.

Tout le monde, à l’Est comme à l’Ouest a été fort surpris par la révolution du 25 avril qui s’est faite par les Portugais seuls, sans aucune aide extérieure.

En 1975, lorsque nous avons connu la menace effective d’une prise de position communiste au Portugal, nous avons aussi eu la chance de voir le peuple portugais se soulever contre elle et imposer la liberté au Portugal sans aucune aide extérieure, encore une fois.

Bien sûr, nous avons reçu beaucoup de marques de sympathie et de compréhension, d’estime et de solidarité même, de la part du monde entier, par le biais notamment de mouvements progressistes et de partis démocratiques. Cette solidarité et certains de ces appuis nous ont fait plaisir.

Répondant à votre deuxième question, nous pensons, en effet, que toute atteinte aux droits de l’homme, dans quelque pays que ce soit, lèse ceux qui luttent dans leur pays pour la liberté et la démocratie.

Toutefois, nous devons réagir aussi contre la tendance consistant à soumettre les relations internationales, qui sont complexes, à une sorte de jugement moral perpétuel.

Nous nous retrouverons bientôt à Belgrade. Plutôt que de vouloir y juger ceux qui ne respectent pas les droits de l’homme, ne conviendrait-il pas, même si nous savons pertinemment bien qu’ils ne les respectent pas, de rechercher les solutions propres à faire progresser la paix dans le monde?

M. MINNOCCI (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, avec le retour à la démocratie du Portugal, l’empire colonial portugais a pratiquement pris fin. Quelles relations le Portugal a-t-il instaurées ou a-t-il l’intention d’instaurer avec ses anciennes colonies?

Si vous le permettez, Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous poser encore une autre question. Lors des dernières élections politiques qui ont eu lieu dans votre pays, votre parti a obtenu la majorité relative et non la majorité absolue. Vous avez donc été contraint de former un gouvernement de minorité. Je voudrais vous demander, Monsieur le Premier ministre, si vous êtes en mesure de mettre en œuvre le programme de votre Gouvernement ou si vous êtes obligés de le tempérer en raison des difficultés que vous êtes contraint d’affronter.

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Je répondrai tout d’abord en ce qui concerne le problème des colonies. En effet, nous avons procédé à la décolonisation possible et je dois dire que celle-ci a été rapide et courageuse. Nous avons agi ainsi parce que nous avons décolonisé avec vingt ou trente ans de retard. La situation aux colonies a été très détériorée et tout ce qui se passe maintenant dans les colonies ex-portugaises devenues des Etats souverains indépendants peut, en partie, s’expliquer justement par ce retard dans la décolonisation.

Maintenant nous avons coupé ce lien colonial qui existait auparavant et nous recherchons des rapports d’égalité et de respect mutuels entre les pays africains indépendants d’expression portugaise et le Portugal. Ce n’est pas toujours facile et nous avons rencontré quelques difficultés. Mais la coopération entre le Portugal et ces nouveaux pays – c’est le cas par exemple de la Guinée, du Cap Vert – est encourageante et-se passe très bien.

Il existe les difficultés que vous connaissez en ce qui concerne le Mozambique et l’Angola. Mais nous faisons un grand effort pour améliorer nos relations avec ces peuples afin de ne pas interférer dans leur politique intérieure et en respectant leurs options sur une base d’égalité et de respect mutuel. Malgré les difficultés, ces relations sont, me semble-t-il, en train de s’améliorer.

A une autre question que vous avez posée, je répondrai en effet que le parti socialiste – qui est le parti au gouvernement – est minoritaire. Il représente à peu près 35 % des suffrages exprimés. Mais il n’y a pas, dans le contexte parlementaire portugais actuel, les possibilités d’un grand changement, car, selon le système constitutionnel portugais, le gouvernement doit avoir, premièrement, la confiance du Président de la République, qui est élu au suffrage universel direct par le peuple, et, deuxièmement, l’investiture de l’Assemblée. Or, nous avons la confiance du Président de la République, qui nous a nommés, et nous avons été investis par l’Assemblée. Jusqu’à maintenant, bien que nous soyons un gouvernement minoritaire, nous n’avons eu contre nous aucun vote de méfiance et nous n’éprouvons pas de grandes difficultés dans le cadre parlementaire pour gouverner. Nous avons fait voter sans difficulté le plan et le budget à la fin de l’année, après un grand débat de politique générale. Lors de l’investiture, certains partis se sont abstenus, mais aucun n’a voté contre nous. Il y a eu à un moment une interpellation de politique générale, mais elle ne s’est finalement terminée par aucun vote de méfiance. Nous avons donc cette sorte d’abstention approbative de la part de l’Assemblée et la confiance du Président de la République et bien sûr nous continuons à gouverner avec confiance et tranquillité.

M. PIRES (Portugal)

Monsieur le Premier ministre, vous pardonnerez à un membre de l’opposition portugaise de s’adresser en français à son Gouvernement. Malheureusement notre langue est majoritaire davantage dans le reste du monde qu’en Europe et l’on ne s’exprime pas encore en portugais dans cette enceinte.

La question que je vais vous poser concerne la réunion de Belgrade. De l’expérience portugaise, après le 25 avril, on pourra sans doute tirer des leçons en ce qui concerne la sincérité avec laquelle les communistes considèrent les droits fondamentaux et l’esprit de détente en politique interne. Croyez-vous notamment qu’on puisse parler d’une complicité des pays communistes, notamment de l’Union Soviétique, dans la violation des droits fondamentaux, qui s’est vérifiée au Portugal pendant la période de poussée procommuniste de la révolution portugaise?

Ma seconde question concerne plutôt la politique interne. En tout cas, je profite de l’occasion pour vous la poser. C’est celle-ci: êtes-vous partisan de la participation d’une délégation parlementaire à la Conférence de Belgrade ou êtes-vous partisan d’une stricte participation gouvernementale à cette conférence?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

D’abord, je comprends très bien que vous me posiez votre question en français. Moi-même, je m’exprime en français. C’est vrai, je suis d’accord avec vous, il y a dans le monde 130 millions d’êtres humains qui parlent aujourd’hui le portugais, puisqu’on parle portugais non seulement au Portugal, mais aussi au Brésil et dans les anciennes colonies portugaises. C’est la langue commune.

En ce qui concerne la sincérité, je pense qu’en politique ces problèmes subjectifs ne doivent pas tellement se poser. Sincérité ou pas sincérité, ce qui compte en effet, ce sont les résultats et il est même convenable de ne pas discuter beaucoup ces motivations subjectives et considérer seulement les déclarations et les prises de position; cela peut nous aider. En ce qui concerne la complicité des pays communistes, alors que cette menace pesait sur le Portugal, j’ai, comme vous le comprenez, beaucoup discuté. Le lendemain de la Conférence d’Helsinki s’est réunie à Stockholm une conférence des partis socialistes et sociaux-démocrates de toute l’Europe, dont les chefs des délégations à la Conférence d’Helsinki, afin de traiter de la défense de la démocratie portugaise.

Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient de l’Acte qu’ils venaient de signer et si la prise de pouvoir du communisme par des méthodes non démocratiques au Portugal pourrait mettre en cause l’Acte d’Helsinki qui venait d’être signé. Tous m’ont répondu qu’ils avaient exprimé cette même position aux pays de l’Est et que pour eux le cas du Portugal était un test. Une prise de pouvoir par des méthodes antidémocratiques des communistes au Portugal serait un avertissement terrible pour toute l’Europe.

Je pense qu’il n’y a pas de preuves d’encouragement direct des pays de l’Est dans les affaires portugaises. En tout cas, comme vous le savez, nous maintenons des rapports diplomatiques avec tous les pays de l’Est, sauf l’Albanie.

Au sujet de la participation à la Conférence de Belgrade, le problème est actuellement à l’étude. Si, en effet, la plupart des pays se prononcent dans ce sens-là, c’est-à-dire décident d’avoir des représentations parlementaires à cette conférence, nous, Portugais, n’avons aucune objection à faire. Mais évidemment le problème doit être réglé d’avance dans une perspective d’efficacité. Nous sommes, en effet, de ceux qui pensent que Belgrade ne doit pas être un forum pour faire de la propagande dans un sens ou dans l’autre, mais au contraire un lieu de rencontre permettant de faire des pas concrets dans la voie de la paix et de la sécurité en Europe.

M. GESSNER (République Fédérale d’Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous poser deux questions. La première a trait à un aspect de votre politique intérieure, auquel je suis d’autant plus sensible que j’étais naguère rapporteur du Conseil de l’Europe pour la question du Portugal. Il s’agit du problème des réfugiés angolais. Je voudrais vous demander des précisions sur l’intégration de ces hommes qui ont quitté l’Angola pour le Portugal, car il s’agit en l’occurrence d’un problème qui n’est pas seulement économique et social mais qui revêt, je crois, un caractère éminemment politique.

La deuxième question a trait à l’Espagne. Je voudrais vous prier de dire à cette Assemblée comment l’Espagne va évoluer à votre avis. Estimez-vous que l’évolution pourrait y être aussi mouvementée que celle que nous avons connue naguère au Portugal? A votre avis, l’évolution au Portugal influe-t-elle, ou a-t-elle influé, sur l’évolution en Espagne?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

S’agissant des réfugiés, non seulement de l’Angola, mais aussi du Mozambique, je répondrai qu’ils nous ont posé un des plus importants problèmes que nous ayons eus à affronter l’année dernière parce que, subitement, un peu plus d’un demi-million d’hommes venus d’Afrique – Angola, Mozambique et autres colonies – sont arrivés au Portugal, sans argent ni biens, pratiquement sans presque rien.

Nous avons dû organiser un programme d’hébergement pour donner des occupations à ces personnes, des subsides pour leur permettre, ainsi qu’à leur famille, de vivre et leur trouver des logements. Cela était, comme vous l’imaginez sans doute, extrêmement difficile. On a pu penser, au début, qu’ils constitueraient une arme pour l’extrême droite du pays parce qu’ils arrivaient au Portugal un peu traumatisés par la décolonisation et surtout les conditions dans lesquelles elle s’était effectuée. Heureusement, je peux dire aujourd’hui que nous avons pu réintégrer et absorber la presque totalité de ces réfugiés qui travaillent actuellement et qui, pour beaucoup d’entre eux, constituent même un facteur de progrès et de développement pour le pays.

Nous avons consacré des sommes considérables de notre budget pour l’aide à ces réfugiés qui perçoivent une allocation plus substantielle que l’allocation de chômage et qui revêt un caractère exceptionnel, en raison des circonstances dramatiques qu’ils connaissent.

Nous avons reçu aussi de nombreuses preuves de solidarité internationale à l’égard de ces réfugiés. Différents pays, notamment l’Allemagne fédérale, nous ont aidés dans le transport des réfugiés par la mise en place d’un pont aérien. De nombreux autres pays ont consenti des aides financières, les pays Scandinaves notamment, pour secourir ces réfugiés dans tous les domaines.

Je dois pourtant ajouter qu’un autre problème, peut-être un peu plus compliqué, se pose à nous. En effet, certaines personnes qui ont opté pour la nationalité angolaise ou mozambiquaise au moment de l’indépendance, désirent aujourd’hui se réfugier, elles aussi, au Portugal. C’est un problème dont nous devons saisir les instances internationales.

Je profite de l’occasion qui m’est fournie pour remercier les pays européens et les Etats-Unis, ainsi que certains pays de l’Est dont l’Union Soviétique, pour l’aide qu’ils nous ont apportée. Je tiens à souligner ainsi tous les actes positifs de la communauté internationale.

A l’inverse de ce qui s’est produit en France au moment de la fin de la guerre d’Algérie, ce bataillon des réfugiés n’a heureusement pas modifié le climat politique du Portugal.

En ce qui concerne l’Espagne, nous avons reçu la visite officielle de M. Suarez, il y a environ deux mois, visite qui s’est très bien passée. Nous avons espoir et confiance dans l’évolution démocratique de l’Espagne et nous sommes absolument convaincus qu’il y a, de la part de l’actuel Gouvernement espagnol, et notamment de M. Suarez, une volonté effective de rupture à l’égard du franquisme et d’un retour à la démocratie.

Mais de nombreux problèmes persistent encore. Tout d’abord, parce que l’ancien appareil fasciste reste intact en Espagne.

Au Portugal, la police politique a été supprimée après la révolution. D’une certaine façon, les plus grands responsables du passé ont quitté le pays ou restent à l’écart de la vie publique.

Ce n’est pas le cas en Espagne, où l’appareil répressif reste intact et l’on ne sait comment il réagira au moment décisif de la rupture.

Actuellement, l’Espagne prépare des élections. Mais elles auront lieu dans un cadre qui a été fixé par le pouvoir. La Chambre qui sera élue ne sera pas encore constituante. Cela signifie que les lois et ce qui est la Constitution ont été octroyées par le pouvoir, mais n’ont pas été votées par le peuple et ne le seront pas prochainement.

J’imagine alors toutes les contradictions qui pourront subsister dans ce processus.

Je souhaite et j’espère que le bon sens dont a donné preuve le gouvernement Suarez prévaudra et que l’évolution vers la démocratie se fera en Espagne d’une façon pacifique.

Le Portugal, de l’aveu des Espagnols, a beaucoup aidé par son expérience à la libération de l’Espagne, dans un sens négatif d’abord, parce que M. Suarez ne veut pas être un nouveau Caëtano, dont il connaît les résultats, et dans un sens positif ensuite, parce que certaines évolutions et certaines contradictions qui ont eu lieu au Portugal sont soigneusement écartées par l’opposition espagnole et notamment par le parti communiste d’Espagne qui s’avoue eurocommuniste et partisan de la démocratie politique.

M. STAVROPOULOS (Grèce)

Je salue d’abord la présence parmi nous de M. le Premier ministre du Portugal.

La Grèce constate avec satisfaction la déclaration que vous avez faite, Monsieur le Premier ministre, contre la globalisation de l’adhésion de votre pays avec celle de la Grèce, de l’Espagne et de la Turquie. Comme vous le savez, nous y sommes également opposés. Je crois savoir d’ailleurs que la position officielle de la Communauté européenne elle-même va dans le même sens.

En effet, le processus d’adhésion de la Grèce au Marché commun est déjà fort avancé. Mais vous avez dit que la situation de la Grèce est un peu difficile. Comme dans chaque négociation, il y a des difficultés et je pense que c’est dans ce sens que vous avez voulu parler. Voulez-vous bien nous confirmer que cela était en effet le sens de votre remarque?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Je vous remercie, Monsieur Stavropoulos, de la possibilité que vous me donnez d’expliciter mon sentiment.

C’est bien dans ce sens, en effet, que j’ai parlé. Je suis aussi opposé que vous à la globalisation. D’ailleurs, l’article 237 du Traité de Rome est explicite à ce sujet: chaque pays doit étudier son cas particulier.

Je sais que le processus d’intégration de la Grèce à la CEE est fort avancé, et j’en suis heureux parce que je me considère comme un ami du peuple grec. Sans doute rencontrez-vous des difficultés, comme il en existe d’ailleurs dans tous les pays, mais je suis certain que la Grèce, grâce à son esprit créateur, pourra les surmonter.

M. MACHETE (Portugal)

Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir donné la parole, et en même temps la possibilité de saluer, en tant que membre de l’opposition portugaise du parti social-démocrate, M. le Premier ministre de mon pays et de lui poser brièvement une question.

Etant donné les liens culturels étroits du Portugal avec les pays africains d’expression portugaise, nos anciennes colonies devenues aujourd’hui des Etats indépendants, des consultations ont-elles eu lieu avec eux en ce qui concerne notre demande d’adhésion au Marché commun, en passant outre à certaines difficultés que suscite cette adhésion?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Nous n’avons pas procédé à des consultations, parce que si nous ne voulons pas interférer dans les affaires intérieures des pays africains d’expression portugaise, nous ne voulons pas non plus, c’est évident, qu’ils interfèrent dans nos options. Mais nous avons informé tous les pays africains d’expression portugaise de notre choix et de la manière dont s’effectuent nos négociations avec la Communauté.

Comme vous le savez peut-être, certains pays – c’est le cas de la Guinée et du Cap Vert – sont très intéressés par ces négociations parce qu’ils se sont associés à la Communauté dans le cadre de la Convention de Lomé.

Je profite de l’occasion pour vous remercier de la salutation que vous m’avez adressée au nom des partis de l’opposition.

M. HOFER (Suisse)

Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises le danger, pendant la révolution, d’une prise de pouvoir par le parti communiste.

Croyez-vous qu’un tel danger a définitivement disparu et que le parti communiste portugais respecte maintenant d’une manière définitive les règles de la démocratie?

M. Soares, Premier ministre du Portugal

Je ne pense pas qu’il existe un danger immédiat d’une reprise de position, parce que la menace du parti communiste était due à ce que l’on a appelé à ce moment-là le Mouvement des forces armées.

A un certain moment, ils ont eu la majorité dans les cadres supérieurs de ce mouvement et l’ont orienté dans un certain sens. C’est par le biais des militaires qu’ils sont intervenus et qu’ils ont constitué une menace par une certaine forme d’agitation sociale, dans les entreprises, et par la prise de position hégémonique dans les organes de communication sociale, notamment la télévision et la radio.

Maintenant, la situation militaire est complètement différente, surtout après l’échec du mouvement militaire du 25 novembre et la reprise en main de l’armée par une équipe démocratique d’officiers.

Voici deux jours, nous avons fêté de deux manières, toutes deux très symboliques, le troisième anniversaire de la révolution d’avril. Tout d’abord, une grande parade militaire a été organisée à Lisbonne, dans l’avenue de la Liberté. Les troupes portugaises ont défilé devant le Président de la République, qui était militaire mais qui a été élu par le peuple portugais à une grande majorité, et devant le Président de l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Cela signifie que les organes de la souveraineté étaient présents et qu’ils sont respectés et obéis par l’armée.

L’armée portugaise se veut maintenant le soutien de la Constitution et de la légalité démocratique au Portugal. Elle reconnaît que le pouvoir militaire doit obéir au pouvoir civil représentatif. Alors, pour le moment et pour l’avenir aussi, je pense, nous avons des institutions représentatives qui fonctionnent et une armée qui se veut réorganisée, obéissant au pouvoir civil et respectueuse de la Constitution. Elle se veut même le garant de la démocratie, de l’indépendance nationale, comme partout en Europe démocratique.

Mais si la situation économique n’est pas bonne, si les difficultés que nous rencontrons maintenant – qui sont grandes comme je le disais tout à l’heure – vont encore s’aggravant, si nous assistons à une inflation que le Gouvernement ne puisse pas contrôler et à un mouvement social dans la rue en raison de la hausse du coût de la vie, une nouvelle chance sera donnée à ceux qui souhaitent une transformation totalitaire de la vie politique portugaise, de revenir et de représenter une menace.

Malheureusement, je ne pense pas que le parti communiste portugais – je le dis franchement sans aucun sens polémique, mais j’exprime mon sentiment – se soit converti à la démocratie. Au Sommet de Madrid, il n’était pas au nombre des partis eurocommunistes européens qui, ceux-là, vont agir dans le cadre institutionnel d’une démocratie politique.

En lisant les textes officiels des responsables du parti communiste portugais – qui sont d’ailleurs les mêmes depuis 1941 – nous constatons que cette même idée léniniste de la prise du pouvoir par une minorité agissante continue à être le thème central, et que les déclarations formelles de respect pour la démocratie sont des prises de position tactiques. Elles ne représentent pas une mutation de fond, comme dans d’autres partis communistes de l’Europe occidentale.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre. Nous avons eu beaucoup de plaisir à écouter votre exposé, ainsi que vos réponses aux questions des membres de l’Assemblée. Je suis sûr d’exprimer l’avis de l’écrasante majorité des parlementaires en déclarant que vous-même et la République démocratique portugaise pouvez compter sur la solidarité et la sympathie de cette grande assemblée parlementaire européenne. Nous vous souhaitons bonne chance et vous adressons tous nos vœux de réussite pour l’avenir. (Applaudissements)