Censu

Tabone

Président de Malte

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 1 juillet 1993

Monsieur le Président, c’est avec un plaisir teinté d’émotion que je m’adresse à votre auguste Assemblée, dont je fus l’un des membres plusieurs années durant. J’y retrouve bon nombre de visages familiers qui furent, au fil des ans, les protagonistes de remarquables débats et résolutions et avec qui j’ai eu des discussions animées mais toujours dans cet esprit d’amitié et de respect mutuel qui caractérise les débats de cette Assemblée.

Le Conseil de l’Europe, créé à la fin de la dernière guerre en des temps troublés et incertains, demeure aujourd’hui le forum représentatif le plus ancien et le plus grand d’Europe.

Il n’a pas été une institution statique ou fossilisée, mais il a grandi et s’est développé avec une époque en devenir, tout en conservant son identité comme laboratoire d’idées, de méthodes et de règles pour les pays qui étaient prêts à accepter la forme de démocratie parlementaire qu’il préconise, à respecter la prééminence du droit, à sauvegarder et promouvoir les droits de l’homme. Il est réconfortant pour nous tous de rappeler les débats cruciaux qu’a connus cette Assemblée en guise de préparatifs et de préludes aux décisions que prirent d’autres organisations européennes.

Tout en étant dépourvu des attributions directives et des moyens financiers du Parlement européen, le Conseil conserve néanmoins son autorité morale et ses chefs de préoccupations sociales, culturelles et juridiques, s’agissant notamment des droits de l’homme. L’appartenance systématique de ses membres aux parlements nationaux ajoute du poids à ses délibérations.

Attaché à ces valeurs, le Conseil de l’Europe a contribué, depuis quarante ans et plus, à modeler et à améliorer une famille européenne de nations.

Malte devint membre du Conseil de l’Europe en avril 1965, c’est-à-dire à l’aube de son indépendance, et tient depuis lors une place active dans l’orchestre des Etats membres du Conseil de l’Europe, tant au niveau parlementaire que ministériel ou intergouvernemental, en partageant les soucis inhérents à l’édification d’une Europe véritablement démocratique et pluraliste.

Au fil des ans, Malte a eu recours aux instruments offerts par le Conseil de l’Europe et a, elle aussi, prêté ses services pour résoudre les questions liées au Bassin méditerranéen et au reste de l’Europe. Malte a cherché à réorganiser son économie, autrefois largement tributaire des dépenses de défense du fait de son statut colonial, et a, pour ce faire, tiré parti de sa situation géographique, de son histoire et de son expérience. Nous avons créé et développé des industries nouvelles, le tourisme, notamment, et favorisé les investissements étrangers, tout en renforçant notre indépendance politique et notre souveraineté. Nous avons joué notre rôle dans les efforts de ce Conseil pour orienter l’histoire de l’Europe à la lumière de la civilisation, du patrimoine et de la culture européenne. La construction d’une Europe nouvelle et moderne demeure la tâche première, qui appelle une plus grande unité entre nos Etats membres. Le Conseil reste, je pense, une organisation qui, à partir de principes humanistes, oriente effectivement l’essor de l’Europe.

N’oublions jamais que le Conseil de l’Europe fut une tribune valable qui a permis un dialogue pacifique et constructif entre toutes les nations de l’Europe occidentale et donné au monde l’exemple, peut-être unique, de pays qui œuvrent de concert alors que la guerre les a opposés des siècles durant. Ce savoir-faire dans la coopération est un atout quand il s’agit de consolider des réformes démocratiques.

La première réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe, prévue à Vienne du 8 au 9 octobre 1993, vient dès lors fort à point nommé. Elle offre à notre Organisation une occasion unique de s’adapter aux défis d’une Europe nouvelle. Nous avons confiance, ce sommet prendra des décisions sur les grands problèmes de l’heure.

Il faut encourager le Conseil de l’Europe dans son rôle d’organisation de coopération politique à laquelle tous les Etats européens peuvent ou pourront participer sur un pied d’égalité. Il est clair pour nous tous que notre continent traverse des heures dramatiques et le sommet voudra, sans nul doute aussi, prendre position sur l’avenir et la structure de l’ex-Yougoslavie. Dans la recommandation qu’elle a adoptée hier sur ce sommet, votre Assemblée a souligné à juste titre combien il est important de décider d’ajouter à la Convention européenne des Droits de l’Homme un protocole sur les droits des minorités. Cela prouverait que nous tirons les leçons de la tragédie que vit l’ex-Yougoslavie et ce pourrait être un moyen valable d’empêcher des conflits analogues à l’avenir. Mais en même temps, le Conseil de l’Europe ne doit pas négliger son rôle traditionnel de protecteur des droits de l’homme, même s’il s’avère nécessaire de réformer le mécanisme de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Là encore, l’Assemblée a formulé des propositions très nettes que la plupart des Etats membres ont déjà acceptées. J’espère que les derniers réticents pourront à temps revoir leur position.

Cela étant, il est clair qu’avec l’accroissement du nombre de ses Etats membres et avec les tâches redoutables qui l’attendent, le Conseil de l’Europe a besoin de renforcer sa structure. Je suis convaincue que les bénéfices qui en résulteront justifieront amplement le surcroît de dépense.

Permettez-moi maintenant d’en venir à un aspect spécifique des activités du Conseil de l’Europe auquel j’ai été particulièrement associé – certains d’entre vous s’en souviendront – et auquel j’attache encore une grande importance: je veux parler de la bioéthique.

Il s’agit d’un domaine qui est à la frontière entre le bien et le mal et où les aspirations scientifiques entrent souvent en conflit avec l’intérêt général et la morale. Il faut régulièrement rappeler aux hommes de science qu’on ne peut pas les autoriser à faire tout ce qui est faisable. Le Conseil de l’Europe, tout particulièrement en cette Assemblée parlementaire, s’est placé à l’avant-garde de la réflexion et des propositions de codification depuis le début des années 70 dans bon nombre de domaines concrets, tels que les manipulations génétiques, les transplantations d’organes, l’utilisation d’embryons pour la recherche et à des fins commerciales.

Les progrès de la recherche et de ses applications en la matière – le rythme en a plus que triplé à la fin des années 80 – et les énormes intérêts commerciaux enjeu, ont conduit le Conseil à prendre l’initiative d’un document contraignant plus complet. L’élan a été donné en vue d’élaborer un instrument juridique européen. Permettez-moi de rappeler d’abord la déclaration que j’ai faite en 1988 devant cette Assemblée, en tant que ministre des Affaires étrangères et Président du Comité des Ministres, ensuite les efforts du Secrétaire Général et, enfin et surtout, l’impulsion politique donnée par l’Assemblée parlementaire.

Aujourd’hui, à la suite de ces efforts, un comité spécialisé a considérablement avancé, me dit-on, dans la rédaction d’une convention. Les deux protocoles concernant la recherche médicale et la transplantation d’organes sont quasiment prêts et l’ensemble fondamental de principes généraux prend forme. Des problèmes subsistent néanmoins: il demeure des réticences et des divergences sur des problèmes essentiels et pourtant, j’espère bien qu’avant la fin de l’année il sera possible d’ouvrir ces textes à la signature. Il est en effet de la plus haute importance qu’un document de cette valeur:

– ne soit adopté qu’après contrôle démocratique, par exemple après avoir recueilli l’avis de nos parlements respectifs;

– ne soit pas seulement un commun dénominateur ne représentant que des platitudes, mais ait suffisamment de corps pour être vu comme un texte de référence solide, comme ce fut le cas de la Convention européenne des Droits de l’Homme;

– soit continuellement mis à jour par la suite;

– soit ouvert aussi aux pays non membres, car limiter par trop sa portée géographique conduirait à créer des «paradis bioéthiques».

Enoncer des préalables éthiques et poser des règles acceptables en bioéthique et non pas, comme certains le suggèrent, imposer des restrictions autocratiques, constituera un précédent pour l’Europe et le Conseil en particulier. Il faut féliciter le Conseil de l’Europe d’assumer courageusement son rôle directeur et l’inciter à lancer encore de nouvelles initiatives, par exemple à offrir une tribune aux comités d’éthique des pays européens.

Un autre sujet que j’aimerais aborder est celui de la coopération des pays d’Europe avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Là encore, je sais bien que le Conseil de l’Europe n’a ménagé aucun effort pour, au fil des ans, instaurer un dialogue avec ces pays mais je suis d’avis qu’il serait opportun de mobiliser de nouvelles forces dans cette direction.

Les événements nous rappellent constamment que nombre de pays européens, qui étaient traditionnellement des pays d’émigration, sont devenus des pays d’immigration à cause de l’énorme pression démographique dont ils font l’objet alentour en raison des modifications de la conjoncture économique notamment. Ce phénomène, classique en Europe centrale, connaît ailleurs un rapide essaimage.

Monsieur le Président, ce fut pour moi un grand plaisir de m’adresser derechef à cette Assemblée pour qui j’éprouve toujours une vive affection et un grand respect. Le Conseil de l’Europe s’est fort bien acquitté de sa tâche et la lumière de ce phare a guidé des générations d’Européens et d’autres membres de la communauté internationale vers des pâturages plus verts et plus vastes. Je terminerai en souhaitant tout le bien possible au Conseil de l’Europe dont je prévois qu’il continuera à jouer un rôle vivifiant dans la construction d’une Europe nouvelle et intégrée. (Applaudissements)

M. Le Président de l'Assemblée (traduction)

Monsieur Tabone, je vous remercie vivement de votre exposé aussi inspiré qu’intéressant. Une fois de plus vous nous avez rejoints au sein de cette Assemblée. Ce n’était pas seulement le chef d’Etat de Malte qui s’exprimait, mais un parlementaire et un collègue préoccupé par des questions auxquelles l’Assemblée s’intéresse également. Je puis vous assurer que ce que vous venez de dire sera pris en compte.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte de saluer Mme Tabone, qui est parmi nous aujourd’hui et dont l’hospitalité a été particulièrement appréciée par les parlementaires qui se sont rendus à Malte au printemps dernier. Je salue également M. de Marco, Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. C’est un collègue dévoué et un ami très cher pour la plupart d’entre nous.

Nous vous félicitons de votre exposé, Monsieur Tabone; mais nous sommes aussi particulièrement heureux de rendre hommage à votre personnalité et par votre entremise nous envoyons un message d’amitié à votre pays. Un certain nombre de jeunes sont parmi nous aujourd’hui. Cette génération montante maltaise peut à juste titre se montrer fière de son Président, comme nous le sommes.