Adnan

Terzić

Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 21 juin 2005

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est un grand honneur pour moi de pouvoir participer à votre partie de session de juin. Je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de prendre la parole devant vous, au nom du Conseil des ministres de la Bosnie- Herzégovine.

Les activités du Conseil de l’Europe et les efforts déployés par ses membres, depuis plus d’un demi-siècle déjà, nous ont permis de nous rapprocher plus que jamais d’une véritable communauté européenne, fondée sur la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit. Le fait que nous soyons proches de ce but, et que nous ne cessions de nous en rapprocher, est pour le moins encourageant, mais suppose aussi des obligations tant pour les institutions du Conseil de l’Europe que pour chaque pays membre.

Il est encourageant de voir que le message est clair: le continent européen dans son ensemble soutient sans réserve la démocratie et non la dictature, les droits de l’homme et non la discrimination, l’Etat de droit et non l’autocratie, la coopération et non l’isolement. Par ailleurs, nous nous devons de cesser de tolérer les «trous noirs» qui existent sur notre continent, indépendamment de leur caractère isolé et de leur pouvoir extrêmement déstabilisant. La région dont je suis originaire était autrefois un trou noir en Europe. Je suis très heureux de pouvoir dire que grâce à de nombreux intervenants, dont les organes du Conseil de l’Europe, il n’en est plus ainsi.

Je sais que vous n’ignorez rien des faits qui ne constituent plus aujourd’hui qu’un chapitre de «l’histoire de l’Europe du XXe siècle». Je ne peux cependant pas oublier que dix ans seulement en arrière, en 1995, la situation en Bosnie-Herzégovine était totalement différente. Ce qui s’est passé dans ce pays, il y a dix ans, peut se résumer en deux mots, deux mots pour deux villes: Srebrenica et Dayton. Plus de 8 000 personnes ont été assassinées, femmes, enfants et hommes. Et pourtant, il y a cinquante ans, ceux qui avaient défendu une Europe libre avaient dit après Auschwitz: «Plus jamais ça!» Et alors que nous célébrons aujourd’hui le 10e anniversaire du génocide de Srebrenica, l’Europe et le monde doivent de nouveau proclamer «Plus jamais ça!» face à l’ensemble des crimes contre l’humanité. Je voudrais croire que cette expression trouvera enfin tout son sens.

L’accord de paix rédigé à Dayton et signé à Paris, généralement cité pour ses solutions compliquées et non fonctionnelles, a permis de mettre un terme à la guerre et d’assurer la liberté de circulation. Il a été un nouveau départ pour l’Etat de Bosnie-Herzégovine. Ces dix dernières années, cet accord a fait l’objet d’autant de critiques que de louanges. Il a notamment été critiqué par ceux qui ne l’ont jamais souhaité et qui n’ont jamais vraiment tenu à l’appliquer. Cela étant, cet accord a été une lueur d’espoir. Les limitations évidentes imposées par le cadre de Dayton pourraient et devraient être supprimées par l’adoption des normes européennes généralement acceptées, prévues par le Conseil de l’Europe et appliquées par l’Union européenne.

Seul le programme européen de réforme peut permettre de voir le bout du tunnel, provoquer des réformes et contribuer à l’établissement d’un climat politique propice à apaiser les tensions ethniques et les peurs. Un tel processus de réforme exige de la détermination de notre part, et une attitude impartiale et positive de la part de la communauté internationale. Tout comme vous attendez des autorités bosniaques qu’elles montrent avec détermination la voie à suivre dans le processus d’adoption des normes européennes, nous attendons des dirigeants européens qu’ils évitent de se laisser gagner par le doute en ce qui concerne l’élargissement futur, après le double non à la Constitution européenne. Il faudrait voir dans ces nouveaux développements une nouvelle incitation à renforcer encore notre unité et à favoriser la compréhension mutuelle.

La Bosnie-Herzégovine a plus fait, ces trois dernières années, en termes de réintégration et d’édification de l’Etat, que les autres pays au cours des sept premières années qui ont suivi la guerre. En avril de cette année, elle a célébré son troisième anniversaire sous les auspices du Conseil de l’Europe, doyenne des institutions européennes. En d’autres termes, il y a un lien évident entre le fait d’être membre à part entière du Conseil de l’Europe et celui de respecter les obligations qui en découlent. Il existe aussi une corrélation entre les encouragements et les obligations, d’une part, et la vague de réformes, d’autre part.

En devenant membre du Conseil de l’Europe, la Bosnie-Herzégovine s’est engagée à s’acquitter de 73 obligations et a bénéficié, pour la première fois, d’un plan de mise en œuvre de réformes. Elle a respecté intégralement et à temps les obligations fixées pour la première année, est sur le point d’en honorer 21, s’acquitte de 15 autres conformément au calendrier fixé, et pour 37 autres prend les mesures nécessaires. Cette année a été la plus difficile depuis son adhésion. Nous avons achevé les tâches fixées pour les deux premières années et avons adapté l’ensemble de notre programme aux exigences fixées pour la troisième année.

Je tiens en particulier à attirer l’attention de l’Assemblée sur le fait que nous n’avons jamais manqué de volonté politique pour nous acquitter de nos obligations et que les retards observés dans certains domaines sont dus à un manque de ressources financières et de personnel qualifié. L’ensemble des forces politiques de Bosnie- Herzégovine demeure unanime sur un point: l’adhésion au Conseil de l’Europe est le meilleur choix pour notre pays, qui aspire à mettre en place une véritable démocratie, à appliquer les normes et les règles de l’Etat de droit, et veut respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales. La principale priorité du Conseil des ministres que je préside est l’harmonisation continue de l’ensemble de la législation nationale avec les conventions européennes, et notamment avec la Convention européenne des Droits de l’Homme. Aujourd’hui, les hommes politiques de toutes les nations et de toutes les tendances politiques du pays sont unanimes: la seule façon pour la Bosnie-Herzégovine d’être stable est de s’intégrer dans la grande famille européenne. La Bosnie- Herzégovine est passée de Dayton à Bruxelles, grâce à Strasbourg. Cette évolution n’est pas le simple résultat des décisions de quelques hommes politiques, elle résulte de l’attitude du grand public. D’après des enquêtes, 80 % de la population de la Bosnie- Herzégovine est favorable à l’idée d’un avenir au sein de l’Union européenne.

La Bosnie-Herzégovine européenne que je défends aura un seul espace économique, des frontières du type de celles de Schengen, un système judiciaire indépendant, une police efficace, un système éducatif reconnu au niveau international, un système de santé et un système social crédibles et des médias professionnels et, surtout, des institutions démocratiques fonctionnelles garantissant l’équité et l’égalité des chances pour tous.

Qu’avons-nous réalisé depuis notre adhésion au Conseil de l’Europe, en cette courte mais intense période? Permettez-moi de commencer par les élections de 2002. La Bosnie-Herzégovine a montré qu’elle peut organiser et tenir des élections générales de manière efficace, en se conformant aux normes internationales les plus rigoureuses. Pour la première fois lors d’élections locales, il a été possible d’élire directement les maires, ce qui a renforcé l’autonomie locale. Les réformes mises en œuvre jusqu’à présent se sont essentiellement caractérisées par le fait qu’elles sont le résultat d’un accord politique et non de pressions internationales ou de la volonté du haut représentant. Les entités ont accepté de transférer leurs compétences à l’Etat. La création d’un espace économique unique est le principal élément servant les intérêts des citoyens, parallèlement à la fusion des deux services de douane et à l’initiative des gouvernements des entités d’adopter une seule taxe sur les ventes au niveau de l’Etat.

Tout aussi importante est la fusion des services de renseignements des entités en une seule agence au niveau de l’Etat; cette agence fonctionne désormais pour la première fois sous contrôle parlementaire strict. De plus, la création et le fonctionnement du ministère de la Défense à l’échelon de l’Etat ont été une étape décisive qui a permis de réunir les conditions préalables fixées pour le Partenariat pour la paix. Toutes les institutions et tous les organes existants dans le domaine de la protection phytosanitaire relèvent aussi désormais du niveau de l’Etat. Les travaux préparatoires visant à introduire une TVA fixe en sont à la dernière phase, le but est d’améliorer l’environnement économique et commercial afin de favoriser les investissements étrangers. Ces deux dernières années, les investissements directs étrangers n’ont cessé de progresser et, autre exemple de nos succès économiques, en 2004 notre PIB a augmenté de 6 %, ce qui est sans précédent dans la région. Grâce à la réforme judiciaire, nous avons créé un parquet au niveau de l’Etat et la Cour de Bosnie-Herzégovine ainsi que le Haut-Conseil de la magistrature, chargé de garantir la prééminence du droit, conformément aux meilleures normes et pratiques européennes. La Bosnie- Herzégovine est le premier pays de la région à respecter les normes internationales contre les criminels de guerre. Le Conseil de l’Etat devrait fonctionner conformément aux meilleures pratiques et dans les meilleures conditions techniques.

Notre réforme du secteur de l’énergie électrique a permis à l’un des projets régionaux les plus importants de devenir une réalité. C’est ainsi qu’a été créée la Communauté énergétique de l’Europe du Sud-Est. Ce tout premier lien officiel établi entre notre région et l’Union européenne aura une influence sur la stabilité de la croissance économique de la région et permettra d’aligner tout le secteur énergétique régional sur celui de l’Union européenne. La cérémonie de signature de ce projet aura lieu à Londres très prochainement.

Les 16 conditions énoncées par l’étude de faisabilité ont été quasiment remplies dans les délais très courts que nous avions fixés. La Bosnie-Herzégovine se heurte à deux obstacles pour le lancement des négociations en vue d’un accord de stabilisation et d’association: les réformes de la police et la loi sur le service de radiodiffusion public. Ces mesures pourraient encore être prises à temps; nous devons d’ailleurs faire tout notre possible pour ne pas laisser passer cette chance.

Je souhaite également attirer l’attention de l’Assemblée sur les changements importants intervenus en ce qui concerne la présence militaire internationale en Bosnie-Herzégovine. L’arrivée de la force de l’Union européenne dans le pays et le début de la mission Althea menée par l’UE ont envoyé un message très clair qui s’exprime dans le slogan «De la stabilisation à l’intégration». Selon moi, on s’entend généralement à reconnaître sur le plan international que la mission Althea n’est pas là pour instaurer ou maintenir la paix. La présence militaire internationale actuelle en Bosnie-Herzégovine montre à toute la région qu’elle n’est pas encore totalement organisée conformément aux normes de l’OTAN. Je souhaite saisir cette occasion pour remercier tous les pays dont les troupes participent à la force de stabilisation ainsi que ceux dont les troupes viendront ou resteront en Bosnie- Herzégovine dans le cadre de l’EUFOR.

J’aborderai maintenant un autre sujet: l’avis récent de la Commission de Venise sur la situation constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine et les pouvoirs du haut représentant. Depuis sa publication, à la fin du mois de mars, c’est le document qui a été le plus lu dans le monde politique de la Bosnie-Herzégovine, ce qui montre la crédibilité, la justesse et l’opportunité de cette publication. Dans ce contexte, je souhaite remercier l’Assemblée parlementaire d’avoir adopté, en 2004, la Résolution 1384 sur le renforcement des institutions démocratiques en Bosnie-Herzégovine. Vous avez demandé dans cette résolution que la Commission de Venise émette un avis. Comme le temps est venu pour tous les secteurs de la société de participer au débat sur cet avis, nous serions très heureux de profiter une fois encore des connaissances et de l’expérience du Conseil de l’Europe pour organiser des débats, des séminaires et des ateliers, et même des conférences, sur des questions qui sont essentielles pour le succès des réformes et la transformation de la société bosniaque.

L’encouragement et le soutien apportés au processus d’intégration en Bosnie-Herzégovine constituent un message clair pour le reste de la région, à savoir que la démocratisation porte ses fruits et que l’adoption des normes européennes est une avancée utile qui bénéficie aux citoyens. C’est aussi une manière d’être reconnu aux niveaux régional et international et de progresser vers un avenir européen. La Bosnie- Herzégovine se félicite particulièrement de ce que la Déclaration de Varsovie insiste sur l’engagement du Conseil de l’Europe de bâtir une communauté créative, ouverte à la connaissance et aux différentes cultures, une communauté civile fondée sur le respect des droits de l’homme, de la démocratie, et de la primauté du droit. Ce sont les buts à long terme de la Bosnie-Herzégovine, tant au niveau national qu’au niveau de l’Union européenne.

La réalisation de ces objectifs, tels qu’envisagés dans le plan d’action, exige l’engagement sans réserve de toutes les institutions du Conseil de l’Europe et de ses Etats membres ainsi que la coopération interétatique et interinstitutionnelle avec les organisations qui défendent les valeurs et les intérêts fondamentaux de l’Europe, telles que l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les exemples de réforme en Bosnie- Herzégovine témoignent de l’efficacité et de la nécessité de l’action commune du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et de l’OSCE.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Excellences, Mesdames, Messieurs, je vous suis reconnaissant de m’avoir permis de m’adresser à vous. Je vous remercie de votre attention et je répondrai avec plaisir à toutes vos questions.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur Terzic, pour votre intéressante et encourageante communication à l’Assemblée. Plusieurs de ses membres ont exprimé le souhait de vous poser une question.

Je rappelle à mes collègues que leur temps de parole ne doit pas excéder trente secondes et qu’ils doivent poser des questions et non pas faire des discours. La première question émane de M. Van der Brande.

M. VAN DEN BRANDE (Belgique) (traduction)

Le prochain rapport de suivi de l’Assemblée parlementaire sur la Bosnie-Herzégovine sera examiné en juin de l’année prochaine. Je ne doute pas que vous ayez de nombreuses difficultés à surmonter, mais il faut bien reconnaître que peu de progrès ont été accomplis sur un certain nombre d’engagements importants du Conseil de l’Europe comme la réforme de l’enseignement supérieur, la radiodiffusion de service public et l’unification de l’institution du médiateur. Quelles sont les priorités pour définir un plan concret visant à remplir ces engagements?

M. Terzić, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine (interprétation)

répond qu’il s’agit effectivement d’obligations qui n’ont pas encore été remplies, mais ce manquement n’est que partiel car les projets correspondants ont déjà été adoptés au Conseil des ministres. S’agissant de l’enseignement supérieur, la Cour constitutionnelle a demandé des modifications qui sont en cours. Il faut rappeler que les projets ont été préparés en collaboration avec les délégations du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et de l’Union européenne et qu’il s’agit d’une question extrêmement sensible dans un contexte pluriethnique très difficile. Il faut, en particulier, parvenir à un consensus entre les trois entités constitutionnelles.

La loi relative à une chaîne de télévision publique est devant le parlement depuis douze mois. Elle s’y trouve bloquée en raison de problèmes d’harmonisation.

S’agissant enfin du médiateur, le texte a été transmis au parlement et devrait être adopté rapidement.

M. McNAMARA (Royaume-Uni) (traduction)

Nous avons écouté vos paroles encourageantes sur le développement de l’Etat de droit et les droits des tribunaux en Bosnie-Herzégovine. Je suis au regret d’avoir à vous demander quelles mesures ont été prises pour faire venir en Bosnie-Herzégovine les six citoyens de votre pays qui sont illégalement détenus à Guantanamo Bay, d’autant plus qu’ils ont été transférés illégalement, contre la décision de la Cour suprême et de la Chambre des droits de l’homme. C’est une question très grave, tant sur le plan des principes que, de manière plus spécifique, pour ces hommes qui souffrent beaucoup et qui sont peut-être exposés à la torture et à des traitements inhumains.

M. Terzić, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine (interprétation)

souligne que l’arrestation et le transfert illégal de ces détenus ont été effectués à une époque où les autorités politiques étaient prêtes à passer outre une décision de la Chambre des droits de l’homme et de la Cour suprême.

Les pays européens déploient une intense activité diplomatique pour obtenir la libération des détenus. Pour sa part, le Gouvernement bosniaque a demandé l’extradition des six personnes détenues et une délégation du ministère de la Justice a été dépêchée à Guantanamo pour s’assurer de leurs conditions de détention.

Le Président a adressé, le 2 mai dernier, au secrétaire d’Etat américain une lettre lui demandant de permettre le retour de ces personnes dans le cas où aucune preuve ne pourrait être retenue contre elles.

Les autorités américaines ont fait savoir quelques mois plus tard qu’elles estimaient que ces prisonniers détenaient des informations importantes pour la sécurité des Etats-Unis. La résolution votée en avril dernier par l’Assemblée parlementaire a donné la possibilité de poursuivre les efforts diplomatiques en vue de les faire libérer. Hier après-midi, M. Terzic a rencontré leurs avocats à cet effet. Cet exemple montre combien les organes du Conseil de l’Europe apportent une aide précieuse pour la mise en œuvre du processus démocratique et pour le respect des droits de l’homme.

M. ÇAVUSOGLU (Turquie) (traduction)

Nous constatons avec une grande satisfaction que des mesures positives ont été prises sous votre présidence en faveur de l’intégration de la Bosnie-Herzégovine dans les institutions euro-atlantiques. Toutefois, nous observons également que certains obstacles au processus de réforme subsistent, comme nous l’avons vu récemment à propos de la police nationale. Quelle incidence ont, à votre avis, ces obstacles sur l’établissement des institutions dans votre pays et par quel moyen peut-on les éliminer?

M. Terzić, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine (interprétation)

est tout à fait conscient, en tant que Premier ministre, des nombreux obstacles qui subsistent en Bosnie-Herzégovine et des défis que chacun doit encore relever. Il n’existe pas d’autre choix que de suivre la route européenne. Ce processus est en cours depuis dix ans et correspond au besoin de créer une société profondément démocratique respectueuse des normes européennes les plus élevées. Les réformes proposées depuis début 2003 vont dans ce sens. Elles permettent la mise en place de principes démocratiques, de l’Etat de droit et d’un système égalitaire.

Depuis mai 2004, 450 millions d’Européens vivent selon ces principes. Pourquoi pas les 4 millions de citoyens de Bosnie-Herzégovine? En respectant cette ligne de conduite, il s’agit en fait d’assurer l’avenir des générations futures. La première condition est de lutter pour stabiliser le pays tant sur le plan politique que sur le plan économique. Maintenant que les tensions politiques se sont aplanies, un train de réformes économiques a été lancé. M. Terzic rappelle que les Accords de Dayton avaient créé deux espaces économiques distincts en Bosnie-Herzégovine. En appliquant strictement les normes européennes, ce pays est arrivé en deux ans à faire tomber cette barrière et à créer un seul espace économique, ce qui montre l’évolution des mentalités.

La réforme de la police s’est heurtée à de nombreuses controverses dues à la situation spécifique du pays. D’autres nations ont procédé à ce type de réforme mais aucune n’a abouti dans un délai inférieur à trois ans. Il n’y a pas de raison d’attendre de la Bosnie-Herzégovine qu’elle mette sur pied une réforme plus rapide. Il faut d’abord dégager un accord politique. Une étude de faisabilité sera alors soumise à la décision politique. La réforme demandera ensuite un travail de coopération intense.

La Bosnie-Herzégovine doit oublier l’héritage de la Yougoslavie. Si l’on veut éviter l’impasse, il faut se tourner résolument vers l’avenir et envisager chaque réforme dans le cadre de l’intégration européenne. Cette attitude suppose l’adoption de nombreuses réformes constitutionnelles. Il faut se demander si, en Bosnie-Herzégovine, le moment est venu de procéder à une modification de la Constitution. Tous les pays qui ont adhéré à l’Union européenne ont dû le faire.

Mais il est exact que des craintes se manifestent en Bosnie-Herzégovine, comme si le processus engendrait la peur de perdre une part de son identité. Il va falloir négocier sérieusement ce cheminement vers l’Europe, seule voie possible pour le pays.

M. GLIGORIC (Bosnie-Herzégovine) (interprétation)

demande au président du Conseil des ministres comment il compte poursuivre les réformes qu’il a promises à son peuple. Il demande pourquoi les experts chargés d’étudier des réformes avec l’entité serbe ont été limogés. Comment cette affaire va-t-elle pouvoir être réglée? Par de nouvelles élections? Par le retrait de M. Terzic?

M. SASI (Finlande) (traduction)

Bien que la coopération avec le TPIY se soit quelque peu améliorée au cours des derniers mois marqués par la reddition volontaire d’un certain nombre d’inculpés, Karadzic et Mladic sont toujours en fuite. Pensez-vous que la réforme de la police, qui a été bloquée jusqu’ici par la Republika Srpska, améliorera les chances de les arrêter?

M. MIMICA (Croatie) (traduction)

Il ne devrait pas y avoir de controverse sur le droit à l’information publique dans sa langue maternelle. Il s’agit là d’un droit fondamental pour toute minorité nationale, sans parler des peuples qui forment l’une des entités constitutives de l’Etat.

Les représentants politiques des Croates en Bosnie-Herzégovine ont constamment exprimé leurs préoccupations, en faisant valoir que les dispositions juridiques et la pratique actuelle sur les chaînes de télévision publiques nationales et fédérales privent les Croates de Bosnie-Herzégovine de leur droit constitutionnel à l’accès sans restriction à l’information publique dans la langue croate.

Quelle possibilité voyez-vous de répondre à ces préoccupations par des amendements juridiques qui offriraient une solution globale en instaurant une chaîne de télévision publique, nationale ou fédérale, qui émettrait en langue croate?

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Mimica. Puis-je vous demander, Monsieur Terzic, de répondre à ces questions en cinq minutes, si possible, de manière à permettre à ceux qui veulent poser une question de le faire?

M. Terzić, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine (interprétation)

estime normal pour le président du Conseil des ministres d’évaluer les experts qui travaillent pour lui et de les limoger si leur travail ne lui paraît pas satisfaisant. Le fait qu’un dirigeant de l’opposition de Bosnie-Herzégovine pose dans cette Assemblée une question importante à son Premier ministre montre l’efficacité de l’opposition. Le président du conseil espère que celle-ci mènera une action constructive quand il y aura de prochaines élections.

Concernant la réforme de la police, c’est dans l’entité serbe que l’on rencontre la résistance majeure à ce processus. Fait rare dans un pays sortant de la guerre, la réforme de la défense est passée sans difficultés. Elle devrait être définitivement adoptée d’ici la fin de l’année. La réforme de la police s’est par contre heurtée à de nombreux écueils. Sans doute parce que la police a beaucoup d’autorité et de larges compétences. Dans certains cas, c’est elle qui a aidé les inculpés les plus recherchés à se cacher. La communauté internationale ne perçoit pas le climat peu favorable qui préside à cette réforme. Il va être indispensable de faire comprendre à l’entité serbe que l’exercice est nécessaire pour avancer sur la voie européenne.

M. Mimica est un ardent défenseur des intérêts de la Croatie pour l’adhésion à l’Union européenne. M. Terzic se dit attristé par la question posée, qui n’est pas judicieuse. En Bosnie-Herzégovine, les Croates ne constituent pas une minorité. Ils forment une des entités constitutives de l’Etat et pratiquent leur propre langue. C’est cette entité qui devrait créer sa propre chaîne de télévision, ce que la Constitution rend possible. Chacune des trois communautés peut regarder la télévision et écouter la radio dans sa langue maternelle.

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

Certaines analogies juridiques induisent à percevoir la Bosnie-Herzégovine comme une sorte de protectorat des organisations internationales. Tout en faisant abstraction de la question de savoir si une telle perception correspond à la réalité ou la travestit complètement, j’aimerais savoir quelles perspectives a la Bosnie-Herzégovine de devenir pleinement souveraine?

M. JOVASEVIC (Serbie-Monténégro) (traduction)

Un grand nombre de citoyens de Bosnie- Herzégovine jouissent de droits politiques, sociaux et économiques restreints à la suite des décisions prises par le haut représentant sans que la procédure judiciaire normale ait été suivie et en contradiction avec la Convention européenne des Droits de l’Homme, comme la liberté de vote et la liberté de conscience. Qu’est-ce que le Conseil des ministres de Bosnie- Herzégovine et vous-même, qui en êtes son président, avez entrepris de faire pour remédier à ces privations et restrictions des droits de l’homme et des libertés qui n’ont aucun fondement juridique? Monsieur Terzic, les tribunaux de votre pays assurent-ils une protection judiciaire à ces personnes?

M. MATUSiC (Croatie) (interprétation)

demande si les Accords de Dayton devront être modifiés et comment.

Mme DURRIEU (France)

Monsieur le Président, votre propos est optimiste et nous nous en réjouissons pour votre pays.

Vous avez parlé de «trou noir» et de «lumière». Je voudrais vous interroger sur l’ensemble de la région. L’autre pièce maîtresse, outre la Bosnie-Herzégovine, est le Kosovo. Pourriez-vous me dire quelle est votre position sur ce problème qui doit trouver une réponse d’ici à la fin de 2005? Que faut-il faire? Que faut-il éviter de faire?

Mme OSKINA (Fédération de Russie) (interprétation)

aimerait savoir quand la Bosnie-Herzégovine prendra les mesures permettant de poursuivre ceux qui ont perpétré des crimes lors des conflits.

M. Terzić, Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine (interprétation)

estime que la Bosnie- Herzégovine n’est pas un protectorat. Les autorités de ce pays prennent les décisions qui s’imposent et, depuis son accession au poste de Premier ministre, une étude de faisabilité visant à assurer un meilleur avenir aux jeunes générations a été entreprise et est pratiquement achevée. M. Terzic a mis sur pied une feuille de route qui devrait permettre de résoudre les difficultés rencontrées avec le bureau du haut représentant. Dix ans après la signature des Accords de Dayton, seuls des résultats concrets dans le domaine de la stabilité du pays permettront de négocier un accord de préadhésion avec l’Union européenne.

Les autorités de Bosnie-Herzégovine travaillent avec Bruxelles pour tenter de remplir les obligations qui ouvriront la voie vers l’Europe. Lorsqu’un accord interviendra, le bureau du haut représentant sera remplacé par le bureau du représentant spécial de l’Union européenne qui aidera les autorités à remplir le programme européen.

Concernant les droits économiques et sociaux des citoyens, la Bosnie-Herzégovine est actuellement en mesure de ratifier et de mettre en œuvre toutes les conventions européennes relatives à ce domaine. La Charte sociale du Conseil de l’Europe a d’ores et déjà été ratifiée et offre un cadre à la réforme des droits sociaux. S’agissant de la réforme du système judiciaire, il n’appartient pas à M. Terzic de répondre puisque celle-ci a été confiée à la communauté internationale. Les représentants internationaux estiment que la réforme intervenue est valable. Les missions de suivi du Conseil de l’Europe ne partagent pas cette opinion. M. Terzic admet que des abus existent mais affirme qu’ils font l’objet d’enquêtes. Il attend du Conseil de l’Europe une aide pour mettre en place un nouvel ordre juridique et un système judiciaire solide. Un projet de réforme est en cours afin de respecter les normes européennes. Il devrait aboutir d’ici à la fin de l’année.

Il n’existe aucune possibilité de changer les termes de l’Accord de Dayton. Celui-ci a été signé par trois parties et cinq témoins. La Bosnie-Herzégovine ne représente donc qu’un huitième. M. Terzic lui-même ne représente qu’un tiers de ce huitième, ce qui ne lui donne pas pouvoir pour modifier un accord qui laisse une marge de manœuvre tout à fait suffisante pour conduire le pays vers la démocratie et l’égalité.

Il serait préférable de s’entendre avec les Croates qui vivent en Bosnie-Herzégovine.

Les autorités de Bosnie-Herzégovine ont pris des mesures énergiques contre les personnes qui ont participé à des crimes contre l’humanité sur son territoire. Les tribunaux ont rendu plus de 180 jugements dans des affaires de ce type. Certes il y a eu quelques atermoiements au début, mais actuellement la cadence s’accélère. La police de la Republika Srpska vient d’interpeller six personnes qu’elle a livrées au procureur, qui siège dans la Fédération bosno-croate.

Cela dit, les procédures contre les auteurs de crimes contre l’humanité déléguées à la Bosnie-Herzégovine par le TPI prennent un certain temps car la Cour suprême de Bosnie-Herzégovine est la seule instance reconnue par le Tribunal pénal international pour juger ces personnes. D’ici à la fin de l’année, quatre ou cinq affaires seront achevées.

M. Terzic se déclare fier que la Bosnie-Herzégovine ait été agréée par le Tribunal pénal international comme le seul pays offrant des garanties appropriées pour juger lui-même de ces affaires.

En ce qui concerne le Kosovo, l’orateur juge la solution de l’indépendance dangereuse pour toute la région. Plusieurs années après la signature des Accords de Dayton et un investissement considérable en ressources humaines et financières pour pacifier cette région et y établir l’Etat de droit, cet objectif n’est toujours pas atteint. La population du Kosovo doit apprendre la démocratie et ensuite elle pourra résoudre ses problèmes. La solution de la crise au Kosovo sous-tend le respect des droits de l’homme, comme partout en Europe.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup. Nous sommes parvenus au terme des questions adressées à M. Terzic. Je le remercie chaleureusement au nom de l’Assemblée pour son discours et pour ses réponses claires et précises aux questions.