Guy

Verhofstadt

Premier ministre de Belgique

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 23 janvier 2007

Monsieur le Président, Altesse, Monsieur le Secrétaire Général, Monsieur le Président en exercice du Comité des Ministres, Mesdames, Messieurs, je suis naturellement très honoré d’avoir été invité à m’adresser à vous aujourd’hui.

Je remercie tout d’abord M. le président van der Linden et, par son intermédiaire, vous tous de cette invitation. M. van der Linden et moi-même sommes tous deux des anciens combattants de la cause européenne, vous-même monsieur le Président, comme ancien Secrétaire d’État des Affaires européennes dans les années 80. Je m’en souviens encore: c’était le bon vieux temps! En d’autres temps, nous faisions un budget européen à six heures du matin, ce qui n’a plus été possible ensuite; après trois jours de discussion, nous élaborions un budget pour l’Union européenne aux alentours de 1 %. Guère plus qu’aujourd’hui!

Nous allons bientôt célébrer le 50e anniversaire du Traité de Rome qui est à l’origine de l’Union. Vous pouvez vous demander si le Premier ministre belge ne s’est pas trompé. Eh bien, non! Rassurez-vous, il est bon d’être à Strasbourg, ville symbolique et berceau de la coopération européenne enclenchée par le Traité de La Haye. La protection du citoyen européen et du régime démocratique européen s’impose comme une priorité incontournable.

Avant d’aborder ce point, je tiens à indiquer que je me réjouis du débat que vous venez de tenir sur la question des enfants victimes. Ce sujet nous tient à cœur en Belgique. Les enfants représentent notre avenir, mais ils sont fragiles. Ils sont parfois exploités, abusés, d’où notre préoccupation à l’égard du travail des enfants ou de la problématique des enfants soldats sur d’autres continents. Néanmoins chez nous aussi, dans nos foyers, il peut nous arriver de relâcher l’attention consacrée aux enfants. C’est la raison pour laquelle mon pays se félicite des travaux entamés l’année passée au sein du Conseil de l’Europe sur un projet de convention sur la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle et les abus sexuels. C’est une problématique qui mérite toute notre attention, comme l’a encore prouvé la décision ministérielle sur le combat contre l’exploitation sexuelle des enfants, prise par la Conférence ministérielle à Bruxelles en décembre 2006 sous l’impulsion de la présidence belge de l’OSCE.

Nous espérons que le travail d’élaboration d’un nouvel instrument sera conclu pour la fin de l’année; cela complétera très utilement l’important travail finalisé en 2005 sur la lutte contre la traite des êtres humains. Si nous voulons assurer un véritable avenir au système des valeurs européennes, nous devons avant toute chose prendre soin de la jeunesse. Nous souhaitons à notre jeunesse un avenir teinté de respect, de dignité, de sécurité. Je suis persuadé que votre Assemblée parlementaire se consacrera à cette cause, à l’avenir.

Messieurs, l’Assemblée s’est construite pour le droit, contre la violence, pour les libertés, contre les totalitarismes, pour la démocratie et contre les idéologies. C’est cette construction, jamais achevée, toujours perfectible, que nous poursuivons aujourd’hui au travers du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et de l’OSCE.

Il n’y a pas plusieurs Europe; il n’y en a qu’une seule: celle de la liberté et de la démocratie. Le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’OSCE sont les expressions de la même Europe, de la même ambition qui nous animent au sein de l’Europe. Ces organisations et leurs États-membres n’éprouvent-ils pas la même indignation, la même colère devant les assassinats des journalistes Hiant Dink et Anna Politkovskaïa? L’inverse serait troublant.

L’Union européenne, l’OSCE et le Conseil de l’Europe diffèrent tout d’abord par leur dimension. L’OSCE intègre une dimension atlantique et asiatique indispensable. Le Conseil de l’Europe rassemblera bientôt l’ensemble de l’espace paneuropéen et l’Union compte aujourd’hui 27 membres, mais rayonne bien au-delà au travers d’un réseau complexe d’accords multilatéraux et bilatéraux. D’autres pays ont vocation à adhérer à l’Union européenne. L’Union européenne doit se préparer à les accueillir, d’où l’importance de la Constitution européenne.

Ces organisations se différencient également par leurs méthodes, essentiellement l’intégration, c’est-à-dire la mise en commun des souverainetés pour l’Union européenne, et, principalement pour les autres institutions par la coopération intergouvernementale.

Néanmoins l’essentiel ne se trouve, je le crois, ni dans la méthode ni dans la dimension: il réside bien dans la spécificité de leur mission, c’est-à-dire dans leur contribution particulière à une ambition commune européenne. L’objectif consiste non pas à se concurrencer, mais bien à se renforcer mutuellement, à coopérer ensemble pour planter les racines qui créent notre modèle de société, sans empêcher certains d’aller plus loin dans certains domaines, dans certaines de leurs spécificités.

Le Conseil de l’Europe, selon moi, a pour mission de veiller au respect et à la promotion des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de la démocratie – la démocratie pluraliste – et de l’État de droit. Les États membres de l’Union visent plutôt à unir leurs forces et leurs voix afin de formuler une gouvernance de la mondialisation qui soit conforme à leurs valeurs et à un ordre international multilatéral fondé, bien sûr, sur le droit. Et l’OSCE, pour parler de la troisième organisation, vise plus, me semble-t-il, à promouvoir la sécurité, entendue au sens global, dans toutes ses dimensions, politico-militaire, économique, écologique et humaine.

La mission du Conseil de l’Europe est, nous l’avons dit, fondatrice. Elle est également centrale. En effet, pourquoi l’Europe chercherait-elle à peser sur le cours du monde si ce n’est pour faire triompher le droit sur la force? Autrement dit, que signifierait une sécurité qui ne garantirait pas l’exercice de ces libertés? C’est en cela que le Conseil a joué historiquement un rôle de précurseur dès 1950, en adoptant la Convention européenne des Droits de l’Homme, puis, le Protocole sur l’abolition de la peine de mort. Plus récemment, il a innové en adoptant la Convention sur la prévention du terrorisme, thème qui fut ensuite repris au sein d’autres enceintes dont, par exemple, les Nations Unies. Sa mission demeure donc essentielle, fondatrice et centrale.

Afin de pouvoir la mener à bien, les États membres du Conseil doivent, me semble-t-il, veiller à ce que plusieurs conditions soient remplies. J’en citerai principalement trois.

La première consiste à permettre un fonctionnement efficace des mécanismes garantissant le respect des droits de l’homme, notamment l’efficacité de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Cette vigilance doit s’exercer sur plusieurs plans: il s’agit avant tout d’honorer nos engagements, –le respect des arrêts de la Cour, en exécutant toutes leurs dispositions, ce qui n’est pas toujours facile et demande naturellement du temps. Chaque effort entrepris pour lancer un début de mise en exécution ne peut que renforcer l’autorité de la Cour ainsi que la confiance de nos citoyens dans nos propres systèmes politiques et juridiques.

Il s’agit ensuite, deuxième condition, d’être cohérent dans notre engagement et de respecter l’esprit autant que la lettre des arrêts de la Cour. Dans cette logique, nous devons soutenir et tenir compte de la recommandation d’autres organes du Conseil: le Commissaire aux droits de l’homme, bien évidemment, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ou encore le Comité européen pour la prévention de la torture, dont je salue le travail important qu’ils entreprennent.

Enfin, troisième condition, il s’agit de mettre en œuvre les mesures que, tous ensemble, nous avons adoptées pour faire en sorte que la Cour soit à nouveau à même de répondre dans un délai raisonnable à l’afflux des requêtes: 89 000 affaires seraient aujourd’hui pendantes. Afin d’éviter que la Cour ne soit condamnée à l’asphyxie et qu’elle puisse continuer à remplir sa fonction primordiale qui est de dire le droit et de rendre justice, la Belgique souhaite vivement que toutes les mesures appropriées, et, en premier lieu, la mise en œuvre du protocole 14, puissent être prises pour améliorer le fonctionnement de la Cour à court et à plus long termes.

A cet égard, elle félicite le Groupe des Sages pour le rapport présenté hier au Comité des ministres et se réjouit aussi de ce que ce dernier puisse être examiné très rapidement par tous les Etats membres du Conseil.

Si le fonctionnement efficace de cette institution revêt une importance primordiale, la mise en œuvre des autres conclusions du Sommet de Varsovie est une deuxième condition pour que notre Organisation puisse mener à bien sa mission.

La Déclaration de Varsovie est sans équivoque au sujet des priorités. Elle affirme, en effet, en son article 1er, et je tiens à le souligner, que “le Conseil de l’Europe s’attachera à sa mission essentielle qui est de préserver et de promouvoir les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. Toutes ses activités doivent contribuer à cet objectif fondamental”. Nous sommes donc, en vertu des conclusions de la Déclaration de Varsovie, tenus de nous concentrer sur ce triple objectif: droits de l’homme, démocratie, et État de droit. Nous devons éviter de disperser nos forces et nos moyens dans des activités périphériques. L’impact du Conseil de l’Europe est à ce prix.

La tâche demeure énorme, même si nous parvenons à maintenir cette concentration. En effet, les questions de droit, de démocratie, n’ont rien de figé ni de conservateur; elles sont constamment confrontées à de nouveaux défis qui affectent la vie concrète des citoyens. Ainsi, après la protection de ses droits dans la lutte contre le terrorisme, contre la traite des êtres humains ou contre la cybercriminalité, d’importants nouveaux chantiers s’ouvrent à présent. Je pense notamment à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants, contre la violence faite aux femmes, à la protection des défenseurs des droits de l’homme et, last but not least, au dialogue interculturel.

En ce qui concerne ce dernier sujet, qui me tient fort à cœur, il ne doit pas conduire à remettre en question le fondement de nos valeurs communes, mais à se concentrer sur la diversité de cultures et de religions dans l’espace paneuropéen que nous connaissons aujourd’hui.

Je crois aussi que le Conseil de l’Europe est particulièrement bien équipé pour être à l’écoute des citoyens, répondre à leurs exigences, à leurs besoins, à leurs aspirations. En tant que députés investis d’un double mandat de représentants au niveau national et au niveau du Conseil, vous êtes en position idéale pour relayer les demandes des citoyens. De son côté, le Congrès des autorités locales et régionales développe cet enracinement de la démocratie dans l’environnement le plus proche des citoyens. Et la prochaine conférence des ministres européens responsables des collectivités locales et régionales qui doit se tenir à Valence, l’automne prochain, témoigne de l’intérêt de votre Organisation du Conseil de l’Europe pour cette problématique.

Cet effort de concentration sur les tâches du Conseil ne signifie naturellement pas que d’autres domaines ne méritent pas notre attention. Les domaines qui relèvent de l’émancipation, de l’enabling ou de l’empowerment sont également importants. Certes, ils ne conditionnent pas les droits et les libertés, mais ils créent naturellement, il convient de le reconnaître, des conditions, un terreau favorables à leur épanouissement. Il s’agit principalement de la jeunesse, de l’éducation, en particulier de l’éducation à la citoyenneté démocratique et à la tolérance, de la cohésion sociale.

Sans tomber, je le répète, dans le travers d’une trop grande dispersion ou dans la vanité d’une volonté de conquête dispendieuse sur d’autres organisations, nous devons veiller aux programmes spécifiques du Conseil de l’Europe dans ces mêmes domaines.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, la troisième condition nécessaire afin que le Conseil de l’Europe mène à bien sa mission centrale, c’est une coopération saine et constructive avec d’autres organisations internationales. La cohérence de notre action, que j’évoquais précédemment, nous devons la cultiver dans notre participation et notre action dans les différentes organisations. Autrement dit, l’absence de progrès dans une enceinte ne doit pas nous empêcher de travailler ensemble dans d’autres enceintes et sur d’autres thèmes.

Permettez-moi une remarque plus générale fondée sur notre expérience de la présidence de l’OSCE en 2006 et qui reprend la préoccupation exprimée par notre déclaration de Varsovie de mai 2005. Nous devons être plus volontaristes dans nos efforts appliqués à dégeler et à résoudre dans les enceintes appropriées, qu’il s’agisse de l’OSCE ou de l’Onu. Les conflits qui sont autant de portes fermées dans une maison que nous voudrions commune. L’expérience de notre présidence nous a appris qu’il existe des perspectives. Les contours d’une solution négociée pour ces conflits gelés sont aujourd’hui bien connus. Tous les éléments d’un règlement sont aujourd’hui sur la table. Au point où nous en sommes, la solution relève principalement de la volonté politique. Nous devons ensemble faire preuve de vision pour les résoudre.

Vous débattrez demain du Kosovo. Les prochaines semaines et les prochains mois seront décisifs pour l’avenir du Kosovo. Je suis convaincu qu’un engagement de la communauté internationale nécessitera l’intervention de plusieurs institutions pour trouver la solution. Vous en avez déjà fait l’expérience, l’aide apportée par le Conseil de l’Europe, par sa commission de Venise et par des programmes conjoints avec d’autres organisations internationales, est très appréciée.

S’agissant des relations entre le Conseil et l’OSCE, il convient de poursuivre les efforts de coopération avec cette organisation soeur dans les secteurs définis par ses membres comme prioritaires et qui sont autant de défits communs, à savoir, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la traite des êtres humains, la promotion de la tolérance et de la non-discrimination, ainsi que la protection des minorités. La Belgique a certainement contribué à la coopération étroite entre ces deux organisations. Aussi bien avec la présidence roumaine qu’avec la présidence russe, des réunions à haut niveau ont été organisées, vous le savez, au cours de l’année écoulée.

Quant à la coopération avec l’Union européenne, la proximité du Conseil et de l’Union est évidente et se renforce sous nos yeux. Tous les membres de l’Union sont également membres du Conseil. En adaptant la Charte des droits fondamentaux et la citoyenneté de l’Union dans le traité constitutionnel signé en 2004, l’Union a explicitement reconnu et intégré les valeurs du Conseil. Il va de soi que l’origine, la structure, le caractère et la mission des deux grandes institutions européennes du Conseil et de l’Union sont différentes, mais le Conseil et l’Union se rapprochent toujours plus, préparant le moment suprême de reconstituer ensemble le visage constitutionnel de l’Europe.

Je souscris pleinement au rapport Juncker qui contient un grand nombre de suggestions concrètes sur l’amélioration de la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne dans les domaines des droits de l’homme, de la démocratie, de l’État de droit, de la politique de voisinage et des valeurs européennes sur le terrain. Le rapport appelle l’attention sur les programmes conjoints mis en place par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, qui ont permis, pour ne citer qu’un exemple, l’instauration d’un appareil judiciaire viable dans les Balkans. C’est certainement une initiative à développer.

Il est vrai toutefois que, dans le cadre de longues négociations sur un Mémorandum of understanding, les États membres de l’Union se trouvent parfois en position particulière, pour ne pas dire ambiguë, puisqu’il s’agit de traiter des relations entre eux-mêmes, en leur qualité d’États membres de l’Union, et le Conseil de l’Europe, au sein duquel ils constituent une majorité. Ils se doivent donc de prêter une attention particulière aux positions exprimées par leurs partenaires non membres de l’Union au sein du Conseil de l’Europe.

Néanmoins il ne s’agit pas pour autant d’inverser l’ordre des priorités. Le droit et la liberté constituent le fondement de l’unité européenne et paneuropéenne. L’unité ne peut être le résultat d’un compromis sur les droits fondamentaux ni sur l’efficacité du fonctionnement de la Cour européenne de justice.

Il serait également curieux qu’un tel accord qui comporte la politique de voisinage de l’Union fasse l’impasse sur le potentiel de coopération entre les deux organisations. J’ai donc pleinement confiance dans la possibilité d’un rapprochement rapide des positions pour finaliser ce mémorandum en vue de la conclusion prochaine d’un accord de coopération renforcée, dans le respect mutuel de l’autonomie juridique des deux organisations.

J’en profite pour dire un mot sur un autre point quelque peu sensible et difficile, je veux parler de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne qui sera bientôt en place. Il a beaucoup été question dans cette enceinte des risques que le nouvel organe ferait courir au Conseil de l’Europe, ou plus exactement, à la cohérence de l’espace juridique européen. Je crois pouvoir dire que la lecture du Règlement de l’Agence aura certainement rassuré les derniers sceptiques. L’Agence en effet n’agira que dans le cadre de la mise en œuvre du droit communautaire. Son champ d’action géographique est également défini de manière précise et enfin, la représentation du Conseil de l’Europe y est assurée aux différents échelons de l’Agence.

Enfin, parmi les mesures à prendre de concert par les deux organisations, Conseil de l’Europe et Union européenne, j’attache aussi une importance particulière aux domaines suivants: sur le plan thématique, je pense avant tout aux questions d’éducation, d’égalité hommes-femmes, de dialogue interculturel sur le territoire européen, et sur le plan institutionnel, j’appuierai la coopération de l’Union avec la Commission de Venise, le congrès des pouvoirs locaux et régionaux et bien sûr, le commissaire aux droits de l’homme.

Monsieur le Président, Altesse, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, tel est le message que je voulais vous apporter concernant la mission centrale du Conseil de l’Europe et ses relations avec les deux autres organisations sur le continent européen et paneuropéen.

Certains prétendent que le Conseil de l’Europe subit une crise d’identité. Je n’oserai pas dire la même chose de l’Union européenne, pour le moment aux prises avec sa Constitution, mais ce n’est pas étonnant quand on dépasse la cinquantaine de membres. Soyons cependant optimistes! Nos institutions de référence sur le continent européen sont toujours, après cinquante ans, l’OCDE, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne qui ont vu le jour dans les années d’après-guerre du siècle dernier. Il est vrai que l’OSCE est plus récente; elle a été créée pour mettre un terme à la guerre froide dans les années 70. Néanmoins notre continent européen s’est radicalement transformé depuis 1989, et c’est fort heureux.

Le monde qui nous entoure est lui aussi en mouvement et nos institutions doivent s’adapter à ces conditions. Il nous appartient en effet de défendre sans relâche les valeurs universelles de tolérance, de liberté, de diversité, d’égalité afin de faire triompher nos valeurs démocratiques. Ces défis exigent des efforts quotidiens de ces trois institutions, de votre part à tous, et je suis persuadé que vous continuerez à y veiller. (Applaudissements).

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Premier ministre, votre contribution est plus qu’estimable. Vous avez ouvert une vision européenne complète et vous avez témoigné de votre engagement et de votre conviction profonde en faveur de l’Europe. Les membres de cette Assemblée ont parfois du mal à comprendre qu’il est plus facile à l’Union européenne de prendre une décision à 30 millions d’euros qu’au Conseil de l’Europe de prendre une décision de 100 000 euros. Il faut prendre conscience que les travaux du Conseil de l’Europe méritent vraiment plus que la valeur de 20 km d’autoroute par an. Eh oui, c’est plus ou moins la valeur du budget actuel du Conseil de l’Europe.

L’architecture de l’Europe est très importante et complémentaire: il ne doit pas y avoir de concurrence entre les institutions. Vous avez ouvert une vision vraiment très large, avec notre double mandat, cette vision est nécessaire non seulement ici mais encore dans les parlements nationaux.

Dix de nos collègues ont déjà exprimé le souhait de vous poser une question. Je rappelle que toute question doit avoir un caractère interrogatif et ne pas dépasser trente secondes. Mais s’il reste du temps, j’autoriserai des questions supplémentaires. Je donne la parole à M. Frunda, pour poser la première question.

M. FRUNDA (Roumanie) (interprétation)

s’exprimant au nom du PPE, constate que le Premier ministre a confirmé l’engagement de la Belgique vis-à-vis des valeurs européennes. Il aimerait savoir où en est la ratification des quatre conventions ouvertes au troisième Sommet de Varsovie et qui concernent la prévention du terrorisme, la lutte contre la traite des êtres humains, la confiscation des biens issus de la criminalité organisée, la protection des enfants.

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique (interprétation)

indique que la plupart de ces conventions sont discutées actuellement au Parlement et sur le point d’être ratifiées par la Belgique. Concernant la Convention relative à la protection des minorités nationales, la ratification dépend d’un accord à trouver entre le gouvernement fédéral belge et les gouvernements des communautés sur une définition des minorités nationales.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

rappelle qu’il autorisera des questions supplémentaires plus tard s’il reste du temps. Il donne la parole à M. Eörsi.

M. EÖRSI (Hongrie) (interprétation)

félicite le Premier ministre et lui dit combien le groupe libéral est fier de sa déclaration. L’orateur se dit aussi un peu jaloux car M. Verhofstadt a parlé le premier des États unis d’Europe. Peut-il en dire plus?

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique (interprétation)

pense que c’est Winston Churchill ou en tout cas un Britannique, qui a le premier utilisé cette formule. Il est, quant à lui, partisan de poursuivre l’intégration de l’Union européenne afin d’en faire une union politique. l’Union européenne ne peut rester un simple marché commun économique ni être une organisation inter gouvernementale.

En parlant d’États unis d’Europe, le Premier ministre a voulu comparer l’Union européenne aux États-Unis d’Amérique qui ont été créés sur base d’une Constitution profondément modifiée en 1787 par la Convention de Philadelphie et pour contrer l’opposition systématique de l’État de Rhode Island, il a été décidé de remplacer la règle de l’unanimité par celle de la majorité qualifiée. Les États-Unis d’Amérique sont alors devenus une fédération forte.

Remplacer la règle de l’unanimité par celle de la majorité qualifiée constituerait un premier pas pour assurer l’avenir de l’Europe et résoudre tous ses problèmes actuels. Obtenir un consensus sur ce seul point peut être un bon objectif pour la Convention de Berlin.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

se déclare en parfait accord avec ce que vient de dire le Premier ministre. Il donne la parole à Baroness Hooper.

Baroness HOOPER (Royaume-Uni) (interprétation)

observe que le Premier ministre n’a pas évoqué ce qui se passe ailleurs qu’en Europe, en particulier dans la région troublée du Moyen-Orient. Il n’a pas non plus traité de l’adhésion de la Turquie, membre fondateur et actif du Conseil de l’Europe, à l’Union européenne.

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique (interprétation)

répond qu’il est très favorable à l’entrée dans l’Union européenne de la Turquie, comme des différents pays des Balkans. Il n’est d’ailleurs pas de meilleurs moyens de régler les conflits et de garantir durablement la paix que d’agrandir la famille. Mais l’élargissement doit s’accompagner d’un approfondissement, car il n’est pas possible, sauf à encourir le risque d’un blocage, d’aller vers une Europe à trente voire à quarante pays sans que les règles institutionnelles en garantissent le bon fonctionnement, sur la base d’une Constitution européenne. Ainsi, élargir l’Union en conservant la règle de l’unanimité pourrait paralyser son fonctionnement.

Cet approfondissement parait donc nécessaire pour accueillir la Turquie dans de bonnes conditions, bien sûr tout en appliquant les critères de Copenhague et en veillant au respect des acquis communautaires. (Applaudissements)

M. MANZELLA (Italie)

Monsieur le Premier ministre, vous avez souligné le point fondamental des relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il s’agit de l’insertion dans la Constitution européenne de la Charte des droits fondamentaux de Nice. Vous comprenez notre souci sur le destin de la Constitution européenne.

Quel est votre avis sur la réunion des pays qui l’ont ratifié; elle se tiendra le lendemain à Madrid? Et, surtout, quelles sont vos positions sur la Déclaration de Berlin du 25 mars à propos de la feuille de route pour reprendre le chemin constitutionnel?

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique

L’Italie sera présente à la réunion dont vous avez parlé. Les pays qui ont ratifié la Constitution seront invités. C’est une bonne chose que, de temps en temps, on se concerte dans la famille européenne, y compris certainement avec ceux qui ont ratifié. Pour le moment, on entend beaucoup la voix de ceux qui n’ont pas encore ratifié. On n’entend pas encore assez la voix de ceux qui ont ratifié! En reprenant mon exemple, je dirai qu’en Amérique, la Constitution serait déjà applicable parce que les deux tiers des pays membres ont ratifié, soit 18 sur 27!

Pour ce qui concerne la Déclaration de Rome, il faut espérer qu’elle reprenne vivement la volonté de chaque leader européen, de chaque État membre, de continuer la fantastique aventure de l’intégration européenne. Il ne faut pas attendre de ces déclarations la solution au problème de la crise que nous connaissons à propos de la Constitution européenne. Reste qu’une forte déclaration serait un bon premier pas pour trouver en juin une procédure afin de régler la question constitutionnelle dans l’Union.

M. IWINSKI (Pologne)

Au nom de la délégation polonaise, je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, pour votre très intéressante intervention.

Poursuivant en anglais, (Interprétation) il demande au Premier ministre quelle est sa position quant à l’avenir de la Constitution européenne. Les propositions qui ont été faites lui paraissent-elles raisonnables? Pense-t-il qu’en l’absence d’un tel document les institutions européennes, y compris le Conseil de l’Europe, peuvent fonctionner correctement?

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique

J’espère naturellement que l’on puisse trouver une solution qui garantisse et reprenne un maximum d’éléments, à défaut de tous les éléments de la Constitution.

Pour le moment, beaucoup de gens pensent que si on laissait tomber telle partie ou tel article de la Constitution, on pourrait peut-être la sauver. C’est un exercice très dangereux. Si certains trouvent qu’il faut laisser tomber telle ou telle partie, d’autres pourront estimer que c’est d’autres parties qui doivent tomber. A la fin, il n’y a plus rien qui reste, si on poursuit l’exercice d’une telle façon.

Au contraire, il faut essayer de trouver une solution à la crise constitutionnelle dans laquelle se trouve l’Union européenne aujourd’hui. Mais il faut passer par le haut, non par le bas. En ce moment, on est en train de discuter pour trouver une solution en passant par le bas: que faut-il laisser tomber pour faire passer la Constitution? Une bonne approche serait celle-ci: que faut-il ajouter pour dégager un consensus?

En effet, si on a voté “non” dans certains pays, par exemple en France, ce n’était pas parce qu’il y avait trop dans la Constitution mais pas assez! Ainsi, la tâche de gouvernance socio-économique pour l’Union européenne n’était pas reprise dans le projet.

Pour ce qui me concerne, je me réfère toujours à la crise des années 50. Dans ces années-là, l’avenir européen était en question: l’Assemblée nationale française avait refusé la Communauté de défense européenne en 1954. Ce fut le premier pas vers la création d’une communauté politique européenne. La fusée était à deux étages!

Les fondateurs de l’Europe ont alors, par la Déclaration de Messine, en 1955 trouvé une sortie par le haut: si l’Assemblée nationale française refuse la Communauté de défense, notre projet sera beaucoup plus ambitieux, ce sera la Communauté européenne!

En ce moment, il faut essayer d’agir de la même manière. S’il y a un problème avec la Constitution européenne, cherchons plutôt quel élément on pourrait ajouter pour aboutir à quelque chose d’acceptable pour les pays qui ont voté “non” ou qui hésitent à ratifier.

Il faut, pour bien s’en rendre compte, lire la déclaration de Messine, qui est très intéressante. Elle n’a même pas été exécutée à moitié. Cette déclaration évoque des politiques communes au plan social, dont la durée du travail en Europe. Or, ces questions déjà réglées dans la déclaration de Messine, continuent de susciter des débats. Je vous le rappelle pour vous dire pourquoi, selon moi, l’exercice dont j’ai parlé serait beaucoup plus productif que l’inverse.

LE PRÉSIDENT

Merci, monsieur le Premier ministre. Je ne peux pas dire «Très bien», puisque je préside, mais c’était très bien! (Rires)

La parole est à M. Gross.

M. GROSS (Suisse) (interprétation)

rappelle que le Conseil de l’Europe a proposé en son temps de créer une assemblée constituante et qu’un Premier ministre belge a démissionné parce que l’on n’enregistrait pas assez de progrès en la matière.

Pour sa part, M. Verhofstadt considère-t-il qu’il faut aller aujourd’hui vers une nouvelle Constitution, après que la première a été rejetée par la France et les Pays-Bas?

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique

Nous avons des élections le 10 juin. Je ne démissionnerai pas pour ne pas avoir la Constitution européenne. Même l’opposition ne le demande pas! (Rires) – «Nous avons jusqu’au 10 juin!», dit un parlementaire belge – (Nouveaux rires).

Quels éléments faut-il ajouter? Pour faire le contrepoids de l’exercice que nous sommes en train de préparer, il faudrait laisser tomber la Constitution européenne, laisser de côté des éléments constituants.

Il est nécessaire que ceux qui veulent faire de l’Union européenne une fédération politique haussent le ton et le disent ouvertement pour faire contrepoids à ceux qui, jusqu’à présent, n’ont pas ratifié la Constitution ou n’ont pas présenté le projet de Constitution à leur Parlement ou à leur population. Certains, non sans courage ont dit non à la ratification. Non, c’était non. Mais il y a ceux qui se cachent en ce moment derrière le dos assez large de la France et des Pays-Bas pour éviter d’avoir à prendre la température. Souvenez-vous, nous étions convenus dans la Constitution européenne d’une clause de rendez-vous sur cette question: «Si quatre cinquièmes des États membres ont ratifié…» L’engagement consistait à présenter cela soit aux Parlements, soit aux populations.

Je veux faire contrepoids à tous ceux qui cherchent une solution minimaliste. En politique, il est toujours plus intéressant de trouver une sortie par le haut et par une position maximaliste. Il y a déjà suffisamment de minimalistes au niveau européen pour ne pas en faire partie!

Mme MITREVA (l’ex-République yougoslave de Macédoine) (interprétation)

après avoir rappelé l’attachement de la Belgique à l’élargissement de l’Union européenne, souligne que son pays, qui figure sur la liste des candidats depuis novembre 2005, n’a pas vraiment engagé les négociations. Elle a même le sentiment que l’Union veut imposer de nouvelles conditions aux candidats et se demande s’il n’est pas dangereux de retarder ainsi le processus d’élargissement.

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique (interprétation)

répond que ce danger existe mais que lui-même est très favorable à l’entrée de tous les pays des Balkans dans la famille européenne, ce qui permettrait de stabiliser la situation bien mieux que l’envoi de 10 000 hommes de troupe.

Mme BECERRIL (Espagne)

M. le Premier ministre a répondu d’avance à la question que je souhaitais poser.

M. MOTA AMARAL (Portugal)

Monsieur le Premier ministre, vous avez omis dans votre discours toute référence à la question de l’immigration légale. Quelle est votre analyse sur la question du respect des droits de l’homme envers ces pauvres gens qui arrivent jusqu’à nos pays, sur leur accueil, sur leur expulsion et, concrètement, sur l’opération Frontex?

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique

C’est là un tout autre thème. Nous l’étudions. L’Union européenne essaye de mener une politique commune portant sur les migrations et leurs différents aspects. C’est important. Dans le cadre de cet exercice, il est central de distinguer entre les réfugiés politiques et ceux qui ne le sont pas. Le pire serait que, par abus de la Convention de Genève, on perde de vue les normes acquises. Je suis d’accord avec les États membres qui prennent des mesures pour appliquer la Convention de Genève stricto sensu, car à l’utiliser pour d’autres motifs, nous la mettrions en péril.

Enfin, j’estime nécessaire que les États membres de l’Union européenne ouvrent de nouveau le débat sur la migration légale. Le grand problème posé par la migration illégale réside dans le fait que l’on ne reconnaît pas la nécessité d’une migration légale pour des raisons économiques. Il en résulte des abus. La question de la migration légale vers l’Europe doit être traitée comme une question primordiale, tant par le Conseil de l’Europe que par le Parlement européen. Une politique commune s’impose dans les années à venir.

Mme FETLIŃSKA (Pologne) (interprétation)

souligne que la Belgique est un État très bien organisé, qui a une attitude ouverte vis-à-vis de ses propres citoyens comme des immigrants. Le Premier ministre peut-il confirmer que ceux qui veulent s’y installer pourront continuer à le faire?

M. Verhofstadt, Premier ministre de Belgique (interprétation)

répond qu’il est tout à fait favorable à la poursuite de la politique d’immigration légale et qu’il a pris un certain nombre d’initiatives pour ouvrir le marché du travail à de nouveaux immigrés.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

remercie vivement le Premier ministre pour son excellente intervention et pour les réponses qu’il a bien voulu apporter aux membres de l’Assemblée. Comme à chaque fois qu’elle reçoit un homme politique d’une telle conviction, elle saura s’inspirer de ses propos. Il est heureux que les grands leaders européens aient une vraie vision de l’architecture dont l’Europe a besoin. (Applaudissements)