Miloš

Zeman

Premier ministre de la République tchèque

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 26 avril 1999

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, mes chers collègues et amis, il est quelquefois utile qu’un Premier ministre puisse sortir de sa poche le discours que lui ont préparé ses conseillers, mais je pense que les mots doivent venir du cœur et pas uniquement d’un morceau de papier. Je demanderai donc aux interprètes de bien vouloir m’excuser si je leur complique la tâche. Après quarante ans de totalitarisme, au cours desquels nous sommes restés profondément attachés à notre patrimoine culturel et politique, nous revenons au port. Nous ne sommes pas de nouveaux venus. De tous temps, la République tchèque a appartenu à la famille européenne. C’est notre ancienne famille, et nous avons aujourd’hui le sentiment merveilleux d’être enfin revenus chez nous.

Je tiens à exprimer ma gratitude au Conseil de l’Europe qui nous a aidés à restaurer la démocratie en République tchèque. Du fond du cœur, je vous remercie pour votre assistance et pour vos conseils. Fort de quelques connaissances livresques, les nouveaux hommes politiques des anciens pays communistes sont tentés de se rendre aux quatre coins de l’Europe pour y donner des leçons d’économie de marché et de démocratie. Pourtant, nous avons encore beaucoup à apprendre, notamment de votre expérience. Mais l’expérience que nous avons acquise peut aussi vous être utile: c’est celle d’un prisonnier libéré d’un camp de concentration. En quoi, me direz-vous, une telle expérience peut-elle être utile puisque l’époque des camps de concentration est à jamais révolue? Nous avons connu le totalitarisme. Peut-être me direz-vous que toute forme de totalitarisme a été bannie à jamais en raison des progrès accomplis en matière d’économie et de technologie: mais, mes chers amis, ce sont précisément ces progrès-là qui risquent d’engendrer de nouvelles formes de totalitarisme, plus sophistiquées encore. Nous en avons fait l’expérience. Après quarante années de communisme, nous sommes sensibles – trop peut-être – aux formes de totalitarisme émergentes. Nous sommes comme cet oiseau qu’on plaçait dans les mines pour signaler les nappes de grisou. Voilà le problème de la politique moderne.

Il existe, à mon sens, deux familles européennes: celle du Conseil de l’Europe et celle de l’Union européenne. Tout le monde parle de l’Union, parce que l’adhésion à cette institution est le gage d’une certaine réussite économique. En tant que représentant d’un pays candidat, j’estime que la République tchèque doit en devenir membre à part entière. Toutefois, cette organisation, pour importante qu’elle soit, s’articule essentiellement autour de principes économiques – de réussite économique. En revanche, je vois dans le Conseil de l’Europe une institution fondée non pas sur l’argent, mais sur des valeurs – sur les valeurs européenne communes telles que la solidarité, le respect des droits de l’homme, la cohésion sociale, la démocratie, etc. De telles valeurs ne sont liées ni à la puissance militaire, ni à la puissance économique, ni à des ressources financières. Et pourtant, elles sont facteurs d’intégration de la famille européenne.

Certes, je comprends fort bien qu’il soit préférable – et plus facile – de faire progresser les droits de l’homme en présence d’un haut niveau de prospérité économique, mais celui-ci ne peut s’acquérir qu’en s’appuyant sur des structures sociales solides, sur la démocratie et sur la liberté.

L’une des grandes richesses de l’Europe est sa diversité – oui à l’intégration, non à l’uniformisation. Je n’envisage pas l’Europe et le Conseil de l’Europe comme un melting pot; je ne voudrais pas que nous devenions une société à la Mc Donald. A ce propos, M. Massimo D’Alema, le Premier ministre d’Italie, me disait avoir créé un club des amis slow food. L’être humain ne peut être réduit à la seule dimension d’homo economicus. La gastronomie fait aussi partie de notre culture. C’est pourquoi il ne faut pas tendre à l’uniformisation. Au contraire, il faut enrichir nos cultures. Certaines valeurs ne peuvent se mesurer à l’aune de critères commerciaux. Quel est le prix de l’amitié? Quel est le prix de la vie? Quel est le prix de la santé? Quel est le prix des droits de l’homme? Toutes ces valeurs se fondent sur une coopération à long terme entre tous les membres de la grande famille européenne qu’incarné le Conseil de l’Europe. Les traditions démocratiques sont profondément enracinées en République tchèque. Comme vous le savez, pendant l’entre-deux-guerres, notre pays était qualifié d’oasis de la démocratie. Aujourd’hui il a de nouveau l’occasion déjouer pleinement son rôle dans une famille dont l’intégration se fonde sur certaines valeurs et pas uniquement sur des critères économiques.

J’en viens à présent au douloureux problème du Kosovo qui fait l’objet de tant de discussions. Moi-même j’en ai débattu avec votre Secrétaire Général. Nous avons, bien entendu, évoqué les succès du Conseil de l’Europe, mais nous avons aussi parlé de ses échecs. Conformément à la théorie de l’altération de Karl Popper – une étude de nos échecs et de nos cireurs – il pourrait être bénéfique de tirer les leçons de nos cireurs. Le Secrétaire Général me disait que le Kosovo constituait notre plus grand échec. Nous avons été impuissants à prévenir la guerre par la voie de la démocratie. Nous devons élaborer une nouvelle stratégie à long terme, parce que le Conseil de l’Europe ne possède ni arme ni armée et que. pour autant que je sache, ses ressources budgétaires sont très restreintes. Mais, sub specie aeternitatis, nous devons préparer le terrain pour le développement de structures civiles et militaires démocratiques dans la future Yougoslavie.

Plutôt que de chercher à remplacer M. Milosevic par M. Draskovic, nous devons former de nouveaux dirigeants politiques. Telle doit être notre stratégie à long terme. Et il relève de la seule responsabilité du Conseil de l’Europe de fournir le chaînon manquant. Bien entendu, chaque faction tentera de se muer en parti politique, mais n’oublions pas qu’elles possèdent des points communs, à savoir une approche démocratique ainsi que le désir de ne jamais permettre la répétition du système totalitaire toujours en place dans le pays. La République tchèque est entièrement disposée à participer à une telle stratégie.

J’espère fermement que les deux familles européennes se rapprocheront peu à peu. Nous savons que l’Union européenne a fait ses débuts en tant que zone de libre-échange, mais il existe aujourd’hui un deuxième et même un troisième pilier. La République tchèque est heureuse de pouvoir vous informer qu’elle a ratifié beaucoup de conventions du Conseil de l’Europe – et pas uniquement celles à caractère économique – telles que la Charte de l’autonomie locale et la Charte sociale européenne. Nous avons adhéré au Fonds de développement social, parce que, si l’on est favorable à l’idée européenne, il faut respecter les conventions qui vont dans ce sens.

Nous avons également pris une initiative visant à charger la Cour européenne des Droits de l’Homme de contrôler le respect des conventions. Je forme des vœux pour que cette initiative soit acceptée à long terme. Je suis profondément convaincu que les deux familles européennes vont se rejoindre. Je me félicite de pouvoir dire que la République tchèque est à la fois un ancien et un nouveau membre de la famille européenne.

Je vous remercie de votre attention.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Zeman, de cette allocution à la fois très profonde et très amicale. Vous avez entendu la réaction de l’Assemblée. J’ai été très impressionné par la facilité avec laquelle vous avez prononcé votre discours dans une langue étrangère, qui plus est, sans le secours d’un texte écrit! J’aimerais beaucoup être capable de faire de même.

Seize parlementaires ont exprimé le désir de vous poser des questions. Nous ferons de notre mieux pour que chacun d’entre eux puisse s’exprimer. En conséquence, je propose de ne pas autoriser les questions supplémentaires. Je vous rappelle que chacun devra se limiter à trente secondes; il s’agit en effet de poser des questions et non de faire des discours.

Nous nous sommes efforcés de regrouper les questions par thème afin de faciliter la tâche du Premier ministre. Le premier groupe de questions concerne la position de la République tchèque face à l’action de l’Otan au Kosovo. La parole est à M. Mühlemann pour poser la première question.

M.  MÜHLEMANN (Suisse) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs, il ne nous a pas échappé qu’à Prague les avis divergeaient quant à l’action entreprise par l’Otan. J’aimerais savoir si ceux qui s’opposent à cette intervention ont une autre solution à proposer.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je tiens à souligner d’emblée que le Gouvernement tchèque est un membre loyal de l’Otan. Nous avons respecté toutes nos obligations. Le problème est le suivant: les frappes auront-elles pour résultat de renforcer la position de M. Milosevic ou bien, au contraire, de F ébranler? Voilà la question cruciale qui doit être examinée dans le respect de nos devoirs et de nos obligations de membre à part entière de l’Otan.

Nous n’avons aucune proposition particulière à formuler. Nous souscrivons aux trois propositions exprimées par votre collègue, Joschka Fischer. La première concerne le désarmement. A cet égard, les cinq exigences de l’Otan sont entièrement valables, puisqu’elles sont reflétées dans les propositions de M. Fischer. La deuxième concerne la garantie du Conseil de sécurité. Et la troisième a trait à la participation de la Fédération de Russie au règlement du conflit au Kosovo. Seule la Russie est en mesure d’exercer quelque pression sur Milosevic. Il serait également judicieux d’envisager une coopération entre l’Otan et la Russie.

Voilà pourquoi nous ne nous opposons pas à l’action de l’Otan en tant que telle. Le débat porte sur l’efficacité des diverses méthodes qui pourraient être employées pour mettre fin à la dictature et au génocide. Dans une société démocratique, il est absolument nécessaire de mener un tel débat. A défaut, on manquerait d’objectivité.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. La parole est à M. Chouba. de la Fédération de Russie, membre du Groupe du Parti populaire européen, pour poser une question sur le même sujet. Je constate qu’il est absent. La parole est donc à M. Glotov, membre du Groupe pour la gauche unitaire européenne, lui aussi de la Fédération de Russie.

M. GLOTOV (Fédération de Russie) (interprétation)

rappelle que les Tchèques ont été par le passé des membres loyaux du Pacte de Varsovie et qu’ils ont rempli les obligations qui en découlaient, même si certains ont porté sur ce point une appréciation nuancée. Maintenant qu’ils sont entrés dans une autre alliance politico-militaire, la question se pose de savoir s’ils la serviront avec le même loyalisme. L’orateur demande aussi s’ils sont favorables à une intervention terrestre, s’ils y participeraient éventuellement et jusqu’à combien de morts.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (interprétation)

répond que la Tchécoslovaquie était en effet membre à part entière du Pacte de Varsovie, mais que la République tchèque actuelle a tiré les leçons de cette expérience. En 1968, les chars du Pacte de Varsovie sont entrés à Prague, mais M. Zeman est bien convaincu qu’il n’en sera jamais de même des chars de l’Otan.

M. DAVIS (Royaume-Uni) (traduction)

Ma question porte non pas sur la situation actuelle au Kosovo, mais sur ce qui se passera après la guerre. Je me félicite de voir que M. Zeman a mis l’accent sur la nécessité d’élaborer une stratégie à long terme pour la reconstruction du Kosovo et de la Serbie. Il conviendra assurément avec moi qu’une telle stratégie devrait viser non seulement le remplacement des bâtiments détruits, mais aussi la création d’une nouvelle société fondée sur les valeurs du Conseil de l’Europe et sur ce que lui-même a qualifié de respect de la diversité.

Le Conseil de l’Europe a donc un rôle à jouer; mais êtes-vous également d’accord pour dire que notre action ne devra pas se limiter à l’éducation d’une nouvelle génération de dirigeants politiques, mais s’étendre à celle d’une nouvelle génération de citoyens? Sans l’appui de ces derniers, les hommes politiques sont réduits à l’impuissance.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je suis entièrement d’accord avec vous. J’ai d’ailleurs évoqué cette question lors de mon discours. On ne peut exclure entièrement la nécessité d’un nouveau plan Marshall pour l’ex-Yougoslavie, Kosovo compris. La République tchèque est disposée à participer à une telle initiative. Notre gouvernement a proposé au parlement de fournir une aide financière d’un milliard de couronnes aux réfugiés du Kosovo. Bien entendu, nos moyens sont modestes, mais ce qui importe le plus à mes yeux, ce n’est pas tant le montant de l’aide que la solidarité. C’est pourquoi nous sommes prêts à participer à la reconstruction de l’ex-Yougoslavie. Nous sommes également disposés à participer à des programmes d’éducation, mais nous ne saurions vouloir exercer une trop grande influence. Une telle assistance exige de la coordination. Et cette coordination nous devrions la rechercher sous la houlette du Conseil de l’Europe.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. La question suivante concerne, elle aussi, les frappes de l’Otan, mais vues sous l’angle de leur impact sur l’environnement. Elle sera posée par M. Aushev, de la Fédération de Russie, membre du Groupe socialiste. Je constate qu’il est absent. Nous passons donc à la question suivante, qui porte sur les conséquences humanitaires des frappes de l’Otan, qui sera posée par M. Zhebrovsky de la Fédération de Russie, non inscrit.

M. ZHEBROVSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

pense que M. Zeman, qui a à peu près le même âge que lui, se souvient de ce qu’on disait de Khrouchtchev au début des années 60: il lutte pour la paix d’une telle façon que personne n’en sortira vivant! Il se demande si on ne pourrait pas porter la même appréciation sur l’action de l’Otan au Kosovo: tous les Kosovars risquent d’en mourir ou de rester réfugiés.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (interprétation)

fait observer à son interlocuteur qu’il fonde son raisonnement sur un postulat erroné, à savoir que la tragédie au Kosovo aurait commencé avec les premières frappes de l’Otan. Ce n’est pas exact: le premier acte de ce drame s’est joué il y a dix ans. lorsque le statut d’autonomie du Kosovo a été aboli. Il ne faut pas confondre les causes et les effets!

LE PRÉSIDENT (traduction)

La dernière question sur le Kosovo sera posée par Lord Judd, membre du Groupe socialiste.

Lord JUDD (Royaume-Uni) (traduction)

J’ai noté avec intérêt que vous estimiez que la participation de la Russie au règlement du conflit revêtait un caractère crucial. Vous avez, également mentionné les garanties apportées par le Conseil de sécurité. Si j’entends bien, la Russie souhaite que les Nations Unies prennent la direction des opérations, tandis que l’Amérique doute de la capacité de l’Onu à diriger efficacement une intervention militaire et estime que toute opération militaire, même si elle est entérinée par les Nations Unies, doit être menée par l’Otan. Comment parvenir à résoudre ce problème?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Comme vous le savez, dans ses déclarations officielles, le Sommet de l’Otan réuni à Washington a exprimé le souhait de tous les alliés d’inclure la Russie dans la recherche d’une solution au conflit. Trois propositions ont été faites: la première visait à confier à l’Onu la direction des opérations; la deuxième à maintenir l’Otan au cœur des opérations; quant à la troisième, elle reprenait le modèle des Accords de Dayton relatifs à la Bosnie. Joschka Fischer propose que le Conseil de sécurité offre des garanties, parce que si la Russie acceptait de participer à une telle opération elle s’abstiendrait probablement d’user de son droit de veto lors du vote de la résolution du Conseil de sécurité. Pour autant que je sache, cela va rejoindre la proposition de l’Otan pour une participation de la Russie. J’ai examiné cette question la semaine dernière avec M. Primakov et M. Ivanov. Je ne pense pas qu’ils s’opposent à une telle coopération, ni d’ailleurs qu’ils soutiennent M. Milosevic. Ils ont assez de pouvoir pour exercer des pressions afin d’amener Milosevic à accepter la présence de troupes terrestres au Kosovo. Voilà comment je vois les choses.

LE PRÉSIDENT (traduction)

II y a deux questions sur l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne et à l’Otan. La première sera posée par M. Jaskiemia, membre du Groupe socialiste.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Au cours de votre discours fort intéressant, vous avez indiqué que la République tchèque était candidate à l’Union européenne. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur les progrès juridiques et économiques que vous avez accomplis? Quand pensez-vous remplir toutes les conditions nécessaires à votre adhésion à l’Union européenne et quand pensez-vous que la République tchèque rejoindra cette organisation? Je sais que cela ne tient pas uniquement à vous, mais j’estime que vous êtes à même de nous donner un avis autorisé sur la question.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Ma réponse vous surprendra. Les problèmes qui font obstacle à une adhésion rapide de la République tchèque à l’Union européenne relèvent plutôt de notre politique intérieure que de notre politique étrangère, parce que nous devons adapter l’ensemble de notre législation aux normes communautaires. Il y a trois ans, Hans van den Broek a déclaré que ce n’était pas l’Union qui avait invité la République tchèque à la rejoindre. Je suis entièrement d’accord avec cette observation, qui reste valable. Les problèmes liés à la mise aux normes de notre législation relèvent de la politique intérieure. Certaines lois sont inutiles. Par exemple, les normes européennes vont jusqu’à prescrire certains paramètres techniques tels que la longueur et la largeur des bus. Je pense qu’il serait absurde d’élaborer de nouvelles lois dans ce domaine. Nous adaptons nos lois chaque fois que possible, mais le processus législatif est assez lent. Nous possédons un système parlementaire à deux chambres et les lois doivent être adoptées par chacune d’entre elles.

La date de l’adhésion dépend de l’Union européenne et sera probablement fixée après le Sommet d’Helsinki qui se tiendra à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Toutefois, le problème du calendrier me paraît très exagéré. D’un point de vue historique, le fait que la République tchèque ne devienne membre à part entière de l’Union européenne qu’en 2003 voire en 2004 n’aurait guère d’incidence. Ce qui importe, ce n’est pas de se doter d’une législation compatible avec les règlements européens et les acquis communautaires, mais de se doter de mécanismes étatiques efficaces pour les mettre en œuvre. Et cette tâche relève de la politique intérieure.

M. MARSHALL (Royaume-Uni) (traduction)

Je partirai de la réponse que le Premier ministre a fournie à la première question. M. Zeman a certainement conscience que l’adaptation aux acquis de l’Union européenne n’implique pas uniquement un processus législatif, mais aussi des dépenses supplémentaires qui représentent une lourde charge financière pour la République tchèque. Elle doit faire face à des problèmes du même ordre s’agissant de son adhésion à l’Otan, puisque celle-ci exige une restructuration des forces armées. Pourquoi le peuple tchèque est-il disposé à accepter de telles charges?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Si vous voulez devenir membre d’un club, il faut en accepter les règles. Si, à l’époque de la mondialisation de la société et de l’économie, vous décidez de ne faire partie d’aucun club, vous serez voué à un isolement qui n’aura rien de splendide puisqu’il aura pour conséquence un ralentissement de la croissance de votre PIB et de vos progrès technologiques ainsi que l’obsolescence de votre économie nationale. Il faut procéder à une analyse coûts/bénéfices. Nous savons que la participation à l’Union européenne et à l’Otan comporte des coûts, mais nous savons aussi qu’elle a des avantages. J’ai mentionné le risque d’isolement. Si l’on met en balance les avantages et les inconvénients liés à l’adhésion de la République tchèque à ces institutions, on ne manquera pas de se rendre compte qu’il est préférable de faire partie de la famille plutôt que.de se tenir à l’écart.

LE PRÉSIDENT (traduction)

La question suivante émane de M. Jansson, de Finlande, et a trait à la principauté de Liechtenstein.

M. JANSSON (Finlande) (traduction)

C’est tout à fait exact. On a évoqué les relations entre les Etats membres du Conseil de l’Europe. Vous-même. Monsieur le Premier ministre, avez mentionné la procédure de suivi dont votre pays a fait l’objet après son adhésion au Conseil. J’aimerais savoir si des obstacles s’opposent à la reconnaissance de la principauté de Liechtenstein par votre pays. Dans l’affirmative, comment pensez-vous les surmonter?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je me réjouis de voir que mon collègue finlandais s’intéresse au problème des relations entre le Liechtenstein et la République tchèque. J’ai proposé d’engager des négociation bilatérales entre des représentants des deux pays, négociations qui pourraient déboucher sur une solution. Il existe un certain nombre de différends qui portent sur des questions de propriété. Mais cela n’a rien de particulier. On rencontre le même genre de problèmes dans beaucoup d’autres pays. Nous avions avec l’Allemagne des difficultés du même ordre qui ont pu être résolues au cours de ma visite à Bonn, lors de laquelle nous avons ouvert la voie vers l’avenir. Lorsque mes amis liechtensteinois m’inviteront à Vaduz, je me ferai un plaisir de participer à un effort bilatéral en vue de la résolution des problèmes pendants. Si nous ne parvenons à aucune solution, nous demanderons l’aide du Conseil de l’Europe.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. La parole est à M. Atkinson, président du Groupe des démocrates européens, qui souhaite vous poser une question sur les demandeurs d’asile tchèques au Royaume-Uni.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous vous souviendrez certainement que plusieurs centaines de citoyens tchèques ont débarqué sur les côtes britanniques en vue de demander asile au Royaume-Uni. Cette démarche n’a pas manqué de nous étonner parce que, comme les nôtres, vos citoyens bénéficient, en tant que ressortissants d’un Etat membre du Conseil de l’Europe, d’une protection unique de leurs droits de l’homme et notamment du droit de requête auprès de la Cour européenne. Ces personnes avaient-elles des raisons particulières pour fuir leur pays et demander asile au Royaume-Uni?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je vous répondrai en toute franchise. La République tchèque connaît des problèmes de minorités. Le tableau qu’en a brossé la presse est quelque peu exagéré, mais le fait est qu’ils existent. Nous nous efforçons de les résoudre et nous avons entrepris une campagne d’éducation des enfants appartenant à une minorité. Nous nous efforçons d’améliorer les conditions de vie des minorités et avons mis en place un certain nombre d’institutions afin de leur offrir des garanties.

J’ai été franc dans la première partie de ma réponse et le serai tout autant dans la deuxième. Nous possédons une chaîne de télévision privée qui a diffusé des reportages présentant les conditions de vie élevées qui existent non seulement au Royaume-Uni, mais également au Canada et dans d’autres pays. Après ces diffusions, les gens ont voulu se rendre sur place – non en raison de discriminations dont ils seraient victimes, mais simplement dans l’espoir de pouvoir améliorer sensiblement leur sort. Us ont été déçus. Nous ne pouvons améliorer nos conditions de vie du jour au lendemain, mais nous faisons de notre mieux pour prévenir toute forme de discrimination à l’encontre des minorités, à une exception près: les fumeurs. Je suis un gros fumeur, mais j’accepte de faire l’objet de discrimination.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vois que les fumeurs vous applaudissent... La parole est à Mme Langthaler, d’Autriche, qui souhaite vous poser une question sur la centrale nucléaire de Temelin.

Mme LANGTHALER (Autriche) (traduction)

Merci beaucoup. Monsieur le Premier ministre, il y a tout juste treize ans survenait l’accident de Tchernobyl. Bien avant cette catastrophe, l’Autriche s’était déjà clairement prononcée contre la mise en service de certaines centrales nucléaires. Nous nous inquiétons particulièrement de l’implantation de telles centrales à proximité de nos frontières. Vous connaissez la position de l’opposition autrichienne sur l’implantation de celle de Temelin dont on parle depuis longtemps déjà. Dans quelques semaines, le Gouvernement tchèque se prononcera au sujet de l’achèvement de cette centrale. J’aimerais vous demander si vous pouvez d’ores et déjà nous dire dans quel sens ira sa décision.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

La centrale de Temelin vient, pour la première fois, de faire l’objet d’une expertise totalement objective. Dans quinze jours, le Gouvernement tchèque sera appelé à prendre une décision difficile: faut-il arrêter les travaux à Temelin ou poursuivre la construction en respectant toutes les mesures de sécurité nécessaires? Des accidents ont eu lieu, notamment à Tchernobyl et à Three Miles Island. Je sais que vous avez cessé d’exploiter votre centrale nucléaire à la suite d’un référendum, mais je sais aussi qu’en France -j’espère qu’il y a des parlementaires français dans la salle – 80 % environ de l’énergie électrique est d’origine nucléaire.

Les expériences sont très diverses et notre gouvernement devra prendre sa décision de manière démocratique. Celui-ci comporte dix-neuf membres et, n’étant pas un dictateur, ma voix n’a pas plus de poids que celle des autres. Quoi qu’il en soit, la décision sera prise dans deux semaines.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. La question suivante, sur le fonds tchèque pour l’avenir, émane de M. Behrendt, membre du Groupe socialiste.

M. BEHRENDT (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous avez déjà évoqué les relations germano-tchèques. Ma question a trait à la déclaration de réconciliation signée par les deux pays en janvier 1997. Quel est votre sentiment sur le fonds mis en place dans le cadre de cette déclaration?

Pensez-vous que celle-ci puisse servir de modèle à de futurs accords d’amitié entre d’autres pays d’Europe?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je rends hommage à la création de ce fonds. Vous savez sans doute que la déclaration germano-tchèque indique que la plus grande partie des ressources devrait être consacrée aux victimes du nazisme. Ces personnes sont aujourd’hui toutes âgées de plus de 70 ans et n’ont plus beaucoup de temps devant elles. L’aide aux survivants des camps de concentration doit être distribuée rapidement, car il est trop tard pour venir en aide à ceux qui sont décédés.

La déclaration germano-tchèque prévoit également la création d’un forum commun de discussion qui ne se penchera pas uniquement sur le passé mais également sur l’avenir. Les hommes politiques devraient regarder vers l’avenir et laisser aux historiens le soin d’étudier le passé.

Au nombre des questions d’avenir, on compte, par exemple, les échanges de jeunes, des projets environnementaux communs tels que celui concernant le Rhin et l’Elbe, les échanges culturels, les questions concernant les eurorégions, et bien d’autres encore. En tant qu’ancien spécialiste des prévisions sociales, je vous soumets cette règle d’or du pronostic scientifique: l’avenir est toujours parfaitement clair; c’est le passé qui change de façon permanente.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Puisque vous vous occupiez de prévisions, je vous offre à présent l’occasion de reprendre du service parce que nous en arrivons aux questions mystères! Les trois derniers parlementaires n’ont pas donné le thème de leur question, à commencer par Mme Ojuland, présidente du Groupe libéral, démocrate et réformateur.

Mme OJULAND (Estonie) (traduction)

Je vous assure que ma question n’a rien de mystérieux. Elle a trait à l’avenir du Conseil de l’Europe. Nous célébrons cette année le 5O’ anniversaire de l’Organisation; nous savons donc de quoi ce demi-siècle était fait. Comment voyez-vous le Conseil dans les cinquante ans à venir?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je pense que, dans mon discours, j’ai déjà donné certains éléments de réponse à cette question fort complexe. Mes prévisions se fondaient sur l’hypothèse de la poursuite du processus de convergence de deux familles européennes au sein du Conseil et de l’Union européenne. Dans cinquante ans, même la Russie moderne pourrait en faire partie. Je veux parler d’une Russie démocratique, de la Russie de Dostoïevski, de Tourgueniev, de Tolstoï, de Tchékhov et de Soljénitsyne, et non de celle de Staline ou de Brejnev. A long terme, non seulement les Etats baltes, mais aussi la Russie pourront devenir membres de l’Union européenne. Je suis toujours optimiste, parce qu’il me semble bien trop risqué de faire de la politique sans s’accrocher à un rêve. Dans cinquante ans, l’Europe pourrait être complètement intégrée -je dis bien intégrée et non uniformisée – et ne plus former qu’une seule famille démocratique.

M. SOLONARI (Moldova) (traduction)

La République tchèque était et continue d’être l’un des pays d’Europe centrale et orientale à avoir fait le plus de progrès en matière d’intégration. Mes collègues et moi-même sommes convaincus qu’elle deviendra bientôt un membre à part entière de l’Union européenne. Je vous félicite d’ores et déjà de cette réussite: mais il est un fait que l’intégration à l’Union s’accompagne de l’apparition de nouveaux clivages entre les pays les plus avancés et leurs voisins de l’Est qui le sont moins. C’est ainsi que, dans le cadre des accords de Schengen, des problèmes peuvent se faire jour en matière de visas. Quelles mesures concrètes pourraient ou devraient être prises afin de circonscrire l’impact négatif de tels développements?

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

J’ai évoqué ce problème lors des visites que j’ai effectuées en Bulgarie et en Roumanie. Il est possible d’accepter des mesures internes concrètes dans votre pays et dans d’autres afin de prévenir l’immigration clandestine et de contrôler les passeports et d’autres documents. Ce que l’on appelle la liste noire de l’Union européenne a été établie sur la base de données statistiques sur l’immigration clandestine, mais je ne pense pas que cette liste se fonde sur la réussite économique de tel ou tel pays ni sur les mesures qu’il prend pour lutter contre l’immigration clandestine – en d’autres termes, des mesures de sécurité. C’est pourquoi j’espère vivement que de telles mesures internes seront appliquées et que le nombre de migrants clandestins à destination de la République tchèque et surtout de l’Allemagne décroîtra progressivement. Dans ces conditions, on ne peut pas exclure la possibilité que la «liste noire» soit modifiée.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre. La liste des questions est épuisée. Nous vous remercions très cordialement pour vos réponses très franches, très amicales et très instructives. Je sais que vous donnez une conférence de presse dans un quart d’heure; nous allons donc vous libérer. Je tiens à vous remercier derechef de votre visite en espérant avoir le plaisir de vous accueillir, à une autre occasion.

M. Zeman, Premier ministre de la République tchèque (traduction)

Je remercie les membres de l’Assemblée de leur attention. Je vous quitte en souhaitant bonne chance à chacun d’entre vous.