Klaus Werner

Iohannis

Président de la Roumanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 25 janvier 2017

Monsieur le Président, chers membres de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général, Excellences, Mesdames, Messieurs, je remercie très chaleureusement le Président Agramunt de son invitation et de ses paroles de présentation fort aimables. C’est pour moi un très grand honneur que de prendre la parole devant cette éminente Assemblée.

Ma présence ici est un témoignage supplémentaire du profond attachement et du respect que la Roumanie éprouve à l’endroit du Conseil de l’Europe, première organisation internationale à laquelle mon pays ait adhéré après la chute du communisme. Notre adhésion au Conseil de l’Europe, en 1993, a été l’une des premières grandes étapes du processus de transition démocratique en Roumanie. Elle a d’ailleurs joué un rôle essentiel dans l’intégration européenne et euro-atlantique de mon pays. L’adhésion de celui-ci à l’Union européenne, dont nous célébrons cette année le dixième anniversaire, peut ainsi être considérée comme l’un des effets du formidable pouvoir de transformation que produit l’adhésion au Conseil de l’Europe.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a largement contribué au développement de la prééminence du droit dans mon pays et au renforcement du respect des droits de l’homme, qui constitue l’une des caractéristiques de la Roumanie d’aujourd’hui.

«La montée du populisme, du radicalisme, de la xénophobie, et de l’europhobie est l’un des principaux problèmes auxquels nous sommes tous malheureusement confrontés en Europe.»

Dans ce contexte, j’aimerais souligner l’importance des instruments juridiques du Conseil de l’Europe pour consolider un État démocratique. C’est parce qu’elle en est convaincue que la Roumanie a ratifié 107 des conventions du Conseil de l’Europe.

Grâce à un dialogue permanent avec le Conseil de l’Europe, la Roumanie est également devenue un modèle – je m’appuie ici sur mon expérience personnelle – en matière de protection et de promotion des droits des personnes qui appartiennent aux minorités nationales. Le succès du modèle interculturel roumain est d’ailleurs reconnu et salué au niveau européen. Cet authentique modèle de relations interethniques implique une participation active, à tous les niveaux – local comme national –, des représentants des minorités nationales au processus de prise de décision, non seulement lorsque celle-ci s’applique à la minorité concernée, mais aussi lorsqu’elle intéresse la société dans son ensemble. Cela implique non seulement la coexistence des groupes minoritaires et de la population majoritaire – ce qui définit le modèle multiculturel –, mais également une interaction entre les groupes minoritaires et majoritaires: c’est ce qui permet de fonder un projet interculturel. Ce projet enrichit notre société et l’esprit civique par le biais de la diversité culturelle et prouve les vertus de l’interaction et de la tolérance. À mon sens, les minorités nationales représentent un réel atout pour une nation, un enrichissement, et contribuent à établir de solides passerelles entre les États.

En ce qui concerne la minorité rom et son inclusion sociale, l’approche multi-institutionnelle et progressive que nous avons adoptée au cours des quinze dernières années a produit des résultats concrets. Certes, il reste encore beaucoup à faire. Mais l’on peut trouver la confirmation de ces résultats dans l’augmentation de la participation des Roms à la vie politique et de l’efficacité des stratégies mises en œuvre dans les chiffres publiés notamment par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. J’aimerais réaffirmer ici le soutien très ferme de la Roumanie à l’action du Conseil de l’Europe dans ce domaine et notre engagement à continuer de travailler à l’inclusion sociale des Roms, en Roumanie comme, de manière générale, en Europe.

Quant à la pierre angulaire de la protection des droits de l’homme en Europe – je veux bien sûr parler de la Convention européenne des droits de l’homme –, il va de soi que les efforts continus de la Cour de Strasbourg ne suffisent pas: les États parties doivent être les premiers à protéger les droits de l’homme. Dans le même temps, nous ne pouvons ni ignorer ni tolérer le fait que, dans certains États membres, les arrêts de la Cour ne sont pas exécutés. Mais le Protocole 16 à la Convention va contribuer à améliorer la mise en œuvre des normes de la Convention grâce au dialogue des juges. La Roumanie l’a déjà signé et nous sommes en train d’élaborer un texte de loi qui permet d’introduire dans notre cadre procédural la possibilité pour les cours suprêmes de solliciter des avis consultatifs. Toutefois, la démarche entreprise en 2010 pour réformer la Cour, qui a déjà produit des résultats concrets, doit se poursuivre pour rationaliser davantage son activité et accroître son efficacité globale. Pour sa part, la Roumanie fera de son mieux pour soutenir cet effort et permettre d’atteindre cet objectif.

L’Europe doit aujourd’hui faire face à des crises multiples, sans précédent depuis la fin de la guerre froide et qui pourraient saper nos valeurs fondamentales. Dans ce contexte très complexe, les normes et les institutions du Conseil de l’Europe conservent toute leur pertinence. C’est d’ailleurs aussi le fruit de leur capacité à se régénérer et à se moderniser. À cet égard, je salue non seulement l’action de la Cour, mais également celle du Commissaire aux droits de l’homme, du Comité européen pour la prévention de la torture, de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, de la Commission de Venise, du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains, du Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, dit Moneyval, et bien sûr, avant tout, le rôle de cette Assemblée.

J’aimerais insister brièvement sur la Commission de Venise, dont on ne saurait trop souligner la pertinence à la lumière de l’évolution de certaines démocraties européennes. En ce qui nous concerne, nous avons largement bénéficié de ses compétences, de l’avis qu’elle a donné sur la toute première Constitution démocratique en Roumanie, en 1991, à l’assistance qu’elle nous a apportée dans la préparation de très nombreux textes législatifs essentiels à la prééminence du droit dans mon pays. Il faut soutenir les activités qu’elle conduit dans le cadre de sa mission de gardien de la démocratie par le droit. La Roumanie continuera de le faire.

Je suis donc très heureux de vous informer que, avec le Secrétaire Général Jagland, j’aurai l’honneur d’ouvrir à Bucarest, le 6 avril prochain, une conférence internationale co-organisée avec la Commission de Venise et qui porte sur le rôle de la majorité et de l’opposition dans une société démocratique.

C’est un sujet ô combien actuel si l’on tient compte de l’évolution de certains États membres. Je soutiens l’initiative du Secrétaire Général, qui a demandé à la Commission de Venise d’élaborer des lignes directrices en la matière.

Nous avons besoin de sociétés démocratiques solides, où les majorités n’abusent pas de leurs droits – légitimes par ailleurs – uniquement parce qu’elles sont une majorité, où la coopération loyale et constructive entre les institutions peut fonctionner sans faille. Dans une société démocratique, les critiques normales et naturelles portées par l’opposition ne sauraient être considérées comme un élément destructeur et ne peuvent être interprétées comme l’expression du refus des résultats d’élections démocratiques. Elles font partie intégrante d’un système démocratique sain et libéral et sont tout aussi légitimes que les efforts et les activités déployés par la majorité. Il nous faut en tenir compte si nous souhaitons relever avec succès les défis de notre époque.

Il est un autre défi auquel nous devons tous, malheureusement, faire face: la recrudescence du populisme, de la radicalisation, de la xénophobe et de l’europhobie. Cette europhobie n’est pas seulement dirigée contre les valeurs de l’Union européenne, mais aussi contre les principes fondamentaux du Conseil de l’Europe. Ce dernier joue un rôle essentiel dans la lutte contre ces phénomènes pernicieux qui s’attaquent aux fondements même de notre société démocratique. Nous devons les combattre de toutes nos forces, avec les instruments et les mécanismes dont nous disposons.

La Roumanie ne ménagera aucun effort en ce sens. Je suis heureux de constater que les élections législatives de décembre n’ont pas fait entrer au Parlement des partis politiques radicaux, europhobes ou xénophobes, ce qui est une preuve éloquente de la maturité de la société roumaine. J’espère vivement que les résultats des diverses élections qui se tiendront cette année en Europe démontreront, de la part des citoyens européens, la même maturité et ce, contre toute attente.

Parallèlement, nous sommes confrontés à une autre menace, celle de l’extrémisme violent et de la radicalisation, à l’origine du terrorisme. Le Conseil de l’Europe a accepté de jouer un rôle important dans la lutte contre le terrorisme, renforçant ses instruments juridiques et améliorant le fonctionnement de ses organes. La Roumanie condamne fermement toutes les attaques terroristes et réitère son soutien dans la lutte contre toute forme de terrorisme.

Nos efforts communs dans la lutte contre les combattants étrangers devraient être fondés sur le besoin de protéger, voire de renforcer nos valeurs. C’est la raison pour laquelle, en 2015, la Roumanie et l’Espagne ont lancé une initiative pour la création d’une cour pénale internationale contre le terrorisme, afin de prévenir, de dissuader et de punir les crimes terroristes. Je vous invite à soutenir cette initiative. Par ailleurs, en mars 2016, la Roumanie a signé le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, qu’elle ratifiera bientôt.

De manière plus générale, la Roumanie soutient toute action conjointe de lutte contre la cybercriminalité, essentielle dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et la traite des êtres humains. En tant que pays hôte du bureau du programme du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, devenu opérationnel à Bucarest en 2014, la Roumanie s’engage à renforcer cette lutte.

Le rôle de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe et de ses membres est essentiel pour consolider la démocratie. Comme vous le savez, la Roumanie est un âpre défenseur du processus démocratique dans son voisinage.

Dans ce contexte, la Roumanie a soutenu l’évolution démocratique en République de Moldova, dont elle a été la première à reconnaître l’indépendance en 1991. Vingt-six ans après, nous sommes convaincus que la seule voie qui puisse mener la République de Moldova à une prospérité à long terme est celle de l’intégration européenne. Toutefois, cet objectif ne peut être atteint que si le pays entreprend une réforme de fond en comble, fondée sur la stabilité politique interne et la participation responsable de l’ensemble des acteurs politiques et institutionnels. Cela est essentiel pour sa modernisation, mais aussi pour maintenir le cap européen, dans l’intérêt direct de ses citoyens.

J’encourage vivement les États membres du Conseil de l’Europe à continuer d’apporter leur soutien à la République de Moldova, notamment lors des prochaines élections parlementaires de 2018, qui seront essentielles pour l’avenir démocratique de ce pays.

La Roumanie soutient fermement la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité de l’Ukraine, notre voisine. Les Accords de Minsk, qui sont le meilleur outil pour sortir de la crise, devraient être appliqués pleinement. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer dans ce processus de réforme et la Roumanie soutient pleinement tous ses efforts.

Dans les Balkans de l’ouest, la situation se caractérise par un certain degré d’insécurité, provenant de la situation économique difficile, de la montée du nationalisme, du crime organisé et de la menace d’une radicalisation religieuse. L’importance stratégique des Balkans de l’ouest en Europe devrait nous encourager à surmonter ces difficultés et à persévérer sur la voie de la démocratie, de l’État de droit et de la prospérité. À cette fin, le processus d’élargissement doit se poursuivre et l’Union européenne, au moment venu, devrait envisager des outils plus créatifs et adopter une vision plus large. Le rôle complémentaire du Conseil de l’Europe s’est avéré crucial en la matière, et nous saluons son implication dans le suivi du respect des droits de l’homme, de la protection des personnes issues des minorités nationales et du respect des principes démocratiques.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, ma présence aujourd’hui coïncide avec la commémoration des victimes de l’Holocauste. J’ai inauguré hier l’exposition «Éducation et mémoire: l’Holocauste en Roumanie», alors que mon pays assure la présidence de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Sensibiliser à l’Holocauste et enseigner aux jeunes générations les événements tragiques qui se sont produits au cours de la Seconde Guerre mondiale a été l’une des principales priorités de la Roumanie au cours de ces dernières années. En tant que pays président de l’Alliance, nous avons tenté de soutenir les écoles, les établissements ainsi que les enseignants, afin que toutes les leçons de cette tragédie que fut l’Holocauste soient tirées et que la connaissance et la tolérance dans nos sociétés soient promues.

Des étudiants ont eu la possibilité de participer à des ateliers, des conférences, des visites d’étude et des concours, pour leur fournir toutes les informations et les compétences nécessaires à la compréhension de cette tragédie historique. Des institutions roumaines ont noué des partenariats internationaux pour former des fonctionnaires et des policiers, afin de les aider à combattre l’antisémitisme, le déni de l’Holocauste, le racisme, la xénophobie, la discrimination et le discours de haine dans la sphère publique.

En 2015, la Roumanie a introduit dans sa loi pénale des dispositions, parmi les plus modernes en Europe, qui interdisent le nationalisme extrême, le racisme, la xénophobie, le négationnisme et l’antisémitisme. Cette nouvelle loi permet de poursuivre au pénal ces actes et propos haineux, même commis sur les réseaux sociaux. Je tiens à préciser l’importance qu’il y a à lutter contre les discours de haine sur les réseaux sociaux, et la nécessité d’avoir à disposition des outils efficaces, pour repérer ces propos et les interdire. Je vous encourage tous à lutter contre cette menace.

Cet ensemble de mesures adoptées par la Roumanie est essentiel pour réagir comme il se doit aux tentatives de déni et de distorsion de l’histoire, et à la promotion de personnes coupables de crimes contre la paix et l’humanité. L’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe devrait suivre cette voie.

En mai 2016, nous avons adopté une définition de travail de l’antisémitisme, lors de la réunion plénière de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste à Bucarest. Ce fut un grand pas en avant. Mais entretenir la mémoire de l’Holocauste, lutter contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme, la discrimination et la xénophobie est une entreprise collective. Je salue toutes les activités de votre distinguée Assemblée dans le domaine, ainsi que les activités des différents organes du Conseil de l’Europe.

Mesdames et Messieurs, je suis sincèrement convaincu que le Conseil de l’Europe, et cette Assemblée tout particulièrement, doivent et continueront à jouer un rôle important pour défendre l’État de droit et garantir les droits de l’homme, compte tenu des défis actuels. En 2019, un nouveau sommet du Conseil de l’Europe permettra d’entériner, ce au plus haut niveau politique, le rôle clef que le Conseil de l’Europe joue pour l’avenir de ce continent. La Roumanie, qui assurera la présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2019, est disposée à contribuer au succès de ce sommet, si toutefois les États membres décident de l’organiser. Pour la Roumanie, le travail du Conseil de l’Europe est essentiel pour défendre et garantir nos valeurs démocratiques et nos principes. Je puis vous assurer que la Roumanie n’épargnera pas ces efforts pour soutenir cette mission fondamentale. Vous pouvez compter sur moi. Vous pouvez compter sur la Roumanie.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Président, je vous remercie de votre discours qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée. Comme je l'ai dit en vous accueillant, certains d'entre eux vont vous poser des questions.

Je vous rappelle, chers collègues, que vos interventions ne doivent pas dépasser 30 secondes, et que vous devez poser une question et non faire un discours.

Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. KOX (Pays-Bas), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Vous avez évoqué les relations entre votre pays et la Moldova. Votre pays fut le premier à reconnaître la Moldova; depuis les relations furent plutôt compliquées, c'est le moins que l'on puisse dire. Votre point de vue sur l’intégration européenne de la Moldova n’est pas identique à celui du président de ce pays. Cependant, vous souhaitez tous deux régler la question de la division de la Moldova. Comment la Roumanie peut-elle être utile dans ce processus? Que pensez-vous des nouvelles propositions du président Dodon?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

La Moldova est un pays très important pour la Roumanie, non seulement parce qu'il s’agit d’un pays voisin, mais aussi parce que nous avons des liens historiques, culturels et linguistiques très forts, sans oublier notre souhait commun de créer des systèmes démocratiques robustes. La Roumanie a été un partenaire juste et loyal de la Moldova tout au long de ces années. Ensemble, nos deux pays ont créé des programmes dont le but est de renforcer l’État de droit, de réformer les systèmes judiciaires et de consolider les systèmes politiques. Il est naturel que ces processus connaissent des hauts et des bas. Mais la Roumanie est déterminée à persister dans cette voie, et à rester un partenaire fort et loyal.

Au cours des derniers mois, en Roumanie, nous avons pu analyser nos relations avec la Moldova, y compris à la lumière des dernières élections tenues en République moldave. Nous avons décidé de devenir un allié encore plus proche de la Moldova, et nous avons décidé de renforcer nos programmes d’aide, de maintenir l’aide financière non négligeable accordée à notre pays voisin, d’aider les pouvoirs locaux à se rééquiper en écoles, hôpitaux, réseaux de transport, et de continuer à nous impliquer de manière constructive dans la promotion des réformes ô combien nécessaires en Moldova. Voilà ce que nous ferons. Peu importe qui sera élu, et à quelles fonctions, la Roumanie restera le partenaire loyal de la Moldova.

À notre avis, la seule option durable pour la Moldova est l’option européenne. Par ailleurs nous savons que la Moldova traverse des difficultés bien précises. Je pense à la Transnistrie. Nous estimons que ce problème ne pourra être réglé que par la voie diplomatique, et qu’aucune autre solution n’est envisageable ou viable.

Je pense notamment au format 5 + 2 désormais adopté pour les négociations. Celles-ci étaient dans l’impasse il y a quelques années, mais la présidence allemande de l’OSCE est parvenue à débloquer la situation en relançant le dialogue. Je me félicite de ce signe très positif dans une situation fort complexe. Si vous êtes un ami de la Moldova, sachez que nous le sommes aussi et qu’ensemble nous pourrons avancer vers une solution.

M. VAREIKIS (Lituanie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Monsieur le Président, lorsque vous avez pris vos fonctions, vous avez exprimé votre volonté de lutter contre la corruption. Transparency International a publié récemment ses derniers résultats. Sur une échelle de zéro à cent, la Roumanie se situe au quarante-huitième rang, progressant certes, mais modestement.

Où en est la Mission nationale de lutte contre la corruption mise en place en Roumanie? Que pouvez-vous suggérer aux États membres du Conseil de l’Europe pour agir en la matière?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Je vous remercie de me poser cette question. La lutte contre la corruption est l’un de mes thèmes de prédilection. En Roumanie, elle ne constitue pas une tâche aisée. Pourtant, je crois en mon pays et j’ai confiance en la capacité des Roumains à construire une démocratie mûre et solide. Bien que le chemin qui reste à parcourir soit long, je suis convaincu que l’on peut éradiquer la corruption en Roumanie. Nous sommes déterminés à emprunter cette voie et nous avons déjà obtenu quelques victoires dans ce combat que nous menons à l’heure actuelle.

La corruption est un problème endémique en Roumanie. J’espère que ce n’est pas le cas dans vos pays. Si quelqu’un pensait que deux, trois, même dix années étaient nécessaires pour éradiquer la corruption, il se trompait. La lutte contre la corruption est un long, difficile et douloureux combat, qui révèle les facettes les plus laides d’une société démocratique. Le fait que nous combattions avec succès la corruption transparaît dans les gros titres de la presse nationale. Un ancien responsable politique condamné pour corruption, un fonctionnaire mis en examen pour détournement de fonds publics,...: les exemples ne manquent pas. Pour la société et pour les responsables politiques, la lutte contre la corruption est un facteur de stress. Les résultats sont là, mais ils sont lents. Je considère que l’on ne saurait combattre la corruption à court terme. Avant toute chose, il faut y croire et poursuivre le combat jusqu’à la victoire. Jamais je n’envisagerai d’abandonner.

M. SCHENNACH (Autriche), porte-parole du Groupe socialiste (interprétation)

Les images et les informations multiples qui nous proviennent de Roumanie depuis quelques semaines, voire des mois sont inquiétantes.

Soutenez-vous l’enquête parlementaire en cours et appuierez-vous les décisions judiciaires et personnelles qui en découleront?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Nous savons tous combien les médias font partie de la vie politique, mais nous savons aussi que les informations qu’ils fournissent n’ont pas pour objet de servir de preuve de la culpabilité ou de l’innocence de qui que ce soit. Même si les informations fournies par les médias sont intéressantes et importantes, il ne faut pas les confondre avec des preuves concrètes.

En tant que Président de la Roumanie, je soutiendrai tous les organes, toutes les procédures et toutes les institutions qui auront pour vocation de déterminer et de juger des actes illicites par la voie judiciaire. Si des erreurs ont été commises, elles doivent être sanctionnées. Toutefois, la réputation des personnes doit être protégée jusqu’à ce que les décisions de justice soient rendues. Autrement dit, je soutiendrai toute procédure visant à identifier des actes illicites.

M. David DAVIES (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Monsieur le Président, Dan Adamescu, propriétaire d’un journal qui critique votre gouvernement, est mort en prison cette semaine. Il n’a bénéficié ni d’un procès équitable, ni de soins médicaux, ni du droit à la liberté conditionnelle.

J’ai entendu vos propos sur la lutte contre la corruption, mais ils ne doivent pas servir à faire taire les opposants. Tout le monde a droit à un traitement équitable et juste. La liberté de la presse doit être respectée.

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Je n’ai pas connaissance de l’affaire que vous évoquez. Je ne me prononcerai donc pas.

En revanche, oui, en tant que Président de la Roumanie, je défends la notion de procès équitable et une approche juste envers les médias. Comme je l’ai déjà dit, je suis prêt à soutenir toutes les procédures judiciaires visant à établir la vérité.

M. XUCLÀ (Espagne), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous féliciter pour l’initiative que la Roumanie a prise avec l’Espagne afin de mettre en place une Cour internationale contre le terrorisme.

Quelle mesure essentielle doit être prise, selon vous, pour lutter contre le terrorisme? Pensez-vous qu’il y a actuellement une recrudescence du populisme en Europe et dans le monde?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Le populisme est un vaste sujet. Il me faudrait beaucoup de temps pour vous répondre. Nous avons débattu à diverses reprises de l’avenir de l’Union européenne au sein du Conseil européen et évoqué le vote des électeurs. Tous les pays qui ont organisé des référendums les ont perdus.

Nous abordons également le fait que le populisme est à nouveau populaire. Les décideurs politiques ont généralement un avis sur tout et chacun d’entre eux a une explication à donner sur ce populisme que l’on voit se développer à l’heure actuelle, sur l’europhobie et la xénophobie.

Je pense, pour ma part, que nous devons être sincères et honnêtes, car nous avons tendance à blâmer les médias, les migrants, les autres… bref, l’autre! Mieux faudrait sans doute utiliser un miroir pour expliquer pourquoi le populisme est à nouveau populaire.

Le problème en Europe – et certainement ailleurs aussi – est que, trop souvent, nous éludons les questions. Nous n’apportons pas de réponse claire. Nous avons tendance à dire certaines choses pendant les campagnes électorales et à faire tout autre chose durant nos mandats. Trop souvent, nous pensons que nos électeurs ne comprendraient pas ce que nous envisageons. Donc, nous n’expliquons pas suffisamment ce que nous souhaitons faire.

Pour ma part, je suis parvenu à la conclusion, qui est d’ailleurs partagée par mes collègues du Conseil européen, que, certes, nous sommes confrontés à bien des difficultés, que ce soit en matière d’économie, de frontières, au sud et à l’est, de système financier et bancaire ou autres, mais que le fondement du problème est la crédibilité. Nous, hommes politiques, ne sommes plus crédibles. Les institutions que nous avons créées ne le sont pas plus.

Si nous voulons redresser la situation et vaincre le populisme, nous ne devons pas céder à notre tour au populisme. Il nous faut prendre du recul et retrouver un lien avec le peuple, lui expliquer la situation, les problèmes qui se posent, ce que nous comptons faire pour eux, les citoyens, et parler moins souvent de la recrudescence du populisme, de l’extrémisme, de l’europhobie et de la xénophobie.

M. FOURNIER (France)

Monsieur le Président, des événements récents, en lien avec un service étatique important, semblent avoir fourni des arguments aux détracteurs de la lutte anticorruption en Roumanie. La Roumanie a pourtant beaucoup agi pour contrer la corruption dans le passé. S’agit-il là d’une défaillance individuelle ou d’un problème plus vaste? Des projets législatifs sont-ils à l’étude sur le sujet?

Quelle est, par ailleurs, la teneur du dernier rapport de la Commission européenne sur la levée ou non du mécanisme de coopération et de vérification sur l’évolution du système judiciaire roumain? Quelle appréciation portez-vous sur ses conclusions, Monsieur le Président?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Excellent sujet! Je suis ravi de pouvoir dire que le dernier rapport du CVM, qui a été publié à 2 heures, est extrêmement positif. Grande surprise! Mais c’est cela aussi la Roumanie qui réserve toujours des surprises, parfois même de bonnes surprises.

Ce dernier rapport indique que des progrès réguliers ont été réalisés par la Roumanie dans tous les domaines. Beaucoup reste à faire et bien des améliorations sont encore nécessaires. Douze domaines sont évoqués dans lesquels nous devrons accomplir plus efforts pour permettre plus de progrès. Pour la première fois, il est dit dans ce rapport qu’il n’est pas recommandé de lier ces résultats à d’autres sujets tels que Schengen ou les financements européens. Je ne fais que citer la commission: «Aucun lien ne serait justifié avec d’autres thèmes tels que les financements européens ou Schengen.» Nous poursuivrons donc nos efforts.

Selon ce même rapport, dans la mesure où la Roumanie répondrait aux douze demandes, la procédure prendrait fin. Le Président Juncker a parlé d’un «phase out». Lors de la réunion où nous avons pu discuter de cette question, tels sont les termes qui ont été utilisés. Soyez assurés que les systèmes de contrôle et d’équilibre sont bien en place. C’est une erreur de croire que les services secrets fournissent des preuves dans tel ou tel dossier pénal, ce n’est pas possible. En tant que Président de la Roumanie, je puis vous l’assurer.

En revanche, si des inculpations paraissent injustifiées, tout un chacun doit introduire les recours nécessaires pour vérification. Au moment où je vous parle, le responsable d’un des services créés est devant le parlement pour clarifier ces différents aspects. Je suis sûr que tous les éclaircissements nécessaires seront apportés.

Donc, les rapports européens sont une chose, mais expliquer des rumeurs infondées est évidemment plus difficile. Je m'en tiens aux faits.

M. BILDARRATZ (Espagne) (interprétation)

De nombreux partis politiques et différents organismes nous font part de leurs préoccupations à propos de la minorité hongroise de Roumanie, qui n’est pas bien défendue.

Vous avez parlé des minorités dans votre discours. Au mois d’avril dernier, a été lancée une consultation réunissant les partis politiques et les associations qui défendent les droits de cette minorité hongroise en vue de parvenir à un accord commun. Que pouvez-vous nous en dire?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Je vous remercie de cette question qui aborde effectivement un sujet très important. Il est important pour la Roumanie et pour le Conseil de l’Europe. C’est la raison pour laquelle j’ai longuement parlé de ce sujet dans le discours que je viens de prononcer.

Mais il me touche également en tant qu’individu puisque, comme vous le savez, je suis moi-même membre d’une minorité ethnique. Membre de cette petite minorité ethnique, j’ai été élu Président de la Roumanie. Cela en dit long sur l’ouverture des Roumains!

Il y a de nombreuses minorités en Roumanie. Dans mon allocution, j’ai parlé des Roms. Les Hongrois sont une autre minorité importante, mais il y aussi des Ukrainiens, des Juifs, des Allemands et des Italiens – je pourrais encore en citer d’autres. La Roumanie a créé, dès le début, un modèle très intéressant: les hommes politiques – ceux du passé comme ceux d’aujourd’hui – ont compris que les minorités ethniques étaient non pas un problème mais une chance de rendre nos sociétés meilleures. La diversité est bénéfique. Nous avons donc, dès le début, accordé un cadre constitutionnel aux minorités en reconnaissant le principe de discrimination positive dans le domaine politique pour les minorités ethniques: au sein du Parlement, 18 parlementaires représentent 18 petites minorités, et la minorité hongroise, numériquement plus importante, est représentée par plusieurs parlementaires élus normalement car ils recueillent en général de nombreux suffrages.

Comme vous le constatez, nous ne nous contentons pas d’écouter les Hongrois: ils sont très actifs sur la scène politique roumaine. Comme bon nombre d’autres minorités, ils sont représentés au Parlement. En outre, ils ont leurs propres écoles et certains départements universitaires dispensent un enseignement en hongrois. Il n’existe donc pas de «problème hongrois»: il y a des Hongrois qui font pleinement et activement partie de la société. Ils sont bien intégrés et il continuera à en être ainsi. En tant que Président, j’ai des rapports réguliers – et excellents – avec les représentants de cette minorité.

M. NÉMETH (Hongrie) (interprétation)

Monsieur le Président, le processus de restitution des églises en Roumanie ne progresse plus; au contraire, il régresse; le Székely Mikó Kollégium à Sepsiszentgyörgy et la faculté de théologie Unirea à Târgu Mures en sont les principaux exemples. Ces établissements, pourtant restitués il y a au moins dix ans, sont aujourd’hui renationalisés par l’État. Comment cela est-il possible?

M. Iohannis, Président de la Roumanie (interprétation)

Votre question est très concrète et spécifique, mais il se trouve que je suis enseignant, que le sujet que vous évoquez m’intéresse et que je le connais assez bien. J’aimerais donc clarifier les choses.

Quand un bâtiment a été restitué à une communauté religieuse, il ne fait aucun doute qu’il lui appartient bel et bien. Il n’est pas question de le renationaliser, et personne n’en a exprimé l’intention. Dans le cas que vous évoquez, du fait d’une certaine précipitation administrative, l’école rencontre aujourd’hui des difficultés tenant à son organisation, à la manière dont elle est gérée mais aussi au fait que le ministère de l’éducation n’est pas intervenu assez rapidement. Tout cela sera clarifié. En tant que Président, et même si je n’ai pas à intervenir dans une question qui relève de la compétence du gouvernement, j’espère que la situation sera clarifiée le plus rapidement possible.

Quoi qu’il en soit, et puisque votre question porte sur la restitution des biens, soyez assuré que, dès lors qu’un bien a été restitué et appartient à une communauté, la situation restera inchangée. Personne en Roumanie – je dis bien personne – n’a l’intention d’engager des procédures de renationalisation.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Mes chers collègues, il nous faut maintenant arrêter là les questions à M. Iohannis.

Monsieur le Président de la Roumanie, je vous remercie une fois de plus pour votre allocution et l’échange de vues qui a suivi.

Vous avez souligné l’apport du Conseil de l’Europe à la transformation démocratique qu’a connue la Roumanie. Il est vrai que notre Organisation et son Assemblée n’ont cessé de vous prêter leur concours. Nous luttons pour la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit partout en Europe.

Merci de participer aux travaux de notre Organisation et d’apporter votre soutien à l’organisation d’un nouveau sommet du Conseil de l’Europe qui donnera, dans les prochaines années, un nouvel élan aux actions que nous engagerons.

Permettez-moi également d’insister sur votre participation à la cérémonie en souvenir de l’Holocauste et sur votre contribution à l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. L’exposition que nous hébergeons est un rappel essentiel de l’obligation qui est la nôtre de perpétuer le souvenir et de continuer à être guidés par les valeurs du Conseil de l’Europe.

Nous nous félicitons de l’idée d’une conférence sur le rôle de la majorité et de l’opposition – une question des plus essentielles dans nos sociétés actuelles. Merci pour l’invitation que vous nous avez lancée. Notre Assemblée est amenée à traiter de ce sujet à travers de nombreux rapports et je suis convaincu que nous pourrons apporter une contribution importante à cet événement.

Encore merci, Monsieur le Président. Nous vous souhaitons tout ce qu’il y a de meilleur.