Hans

Brunhart

Chef du gouvernement du Liechtenstein

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 6 mai 1987

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je voudrais commencer par vous remercier très sincèrement des bons vœux pour la présidence qui débute demain. Je suis heureux de pouvoir prendre la parole dans le cadre de ce deuxième débat de l’Assemblée parlementaire avec la participation du Comité des Ministres. Le fait qu’une telle discussion commune puisse avoir lieu témoigne des bons rapports entre les deux organes du Conseil de l’Europe et devrait faciliter de futures initiatives communes.

Le thème de la cohésion sociale, que nous sommes amenés à aborder aujourd’hui, est d’une grande actualité et revêt une importance considérable pour l’avenir de nos démocraties. Le développement de l’Europe démocratique depuis 1945 a été à l’origine de progrès considérables, surtout dans les domaines économique, scientifique et social. Mais, depuis quelques années, des zones d’ombre se sont fait jour et ne cessent de s’étendre. Il est de l’intérêt des pays membres du Conseil de l’Europe de prendre conscience ensemble de l’existence de ces problèmes et de tenter de leur apporter des solutions européennes. Le rapport du Secrétaire Général constitue à cet égard une excellente base de discussion, et je voudrais remercier très sincèrement M. Oreja du travail accompli.

Ce rapport donne un bon aperçu des menaces et des grands défis auxquels se trouve confrontée notre société européenne; il contient également des propositions d’actions concrètes pour le Conseil de l’Europe, tendant à renforcer la cohésion sociale.

Il ne fait aucun doute que, compte tenu de ses activités et de son expérience, notamment dans le domaine des droits de l’homme et des affaires sociales, ainsi que de sa composition, le Conseil de l’Europe constitue le forum le plus approprié pour mener ce débat et trouver des solutions concrètes.

Entrer dans le détail de tous les points mentionnés dans ce rapport déborderait cependant le cadre de ce débat. Je me bornerai, par conséquent, à approuver quelques conclusions essentielles du Secrétaire Général et à les compléter par quelques observations.

Le thème de la cohésion sociale est sans doute suffisamment important – et, comme on l’a vu, le Conseil de l’Europe constitue un forum particulièrement approprié pour ce débat – pour qu’on puisse espérer le voir abordé à intervalles réguliers.

C’est certainement à juste titre que le rapport mentionne en premier lieu le chômage et la pauvreté, qui sont probablement les plus grands défis portés à la société. Depuis quarante ans, le Liechtenstein est heureusement pratiquement épargné par ces deux fléaux, sans doute, en grande partie, en raison de certaines caractéristiques particulières de notre pays, de sorte que l’on ne peut guère en tirer des conclusions pour d’autres pays. Notre politique économique a cependant toujours, autant que possible, visé à réduire au minimum l’intervention de l’Etat dans l’économie, à garantir la liberté d’entreprendre, avec tous ses avantages et ses inconvénients, et à ne pas trop modifier le taux des impôts et des taxes, qui n’ont guère évolués pendant plusieurs décennies, de sorte que les entreprises peuvent procéder à des calculs de rentabilité.

Nous avons toujours considéré que l’amélioration constante des possibilités de formation constitue l’une des contributions essentielles que l’Etat peut apporter à l’économie.

Bien que la solution du problème du chômage et de la pauvreté doit essentiellement être économique, je partage l’avis de M. Oreja, qui estime que la croissance économique ne saurait être une fin en soi mais qu’elle doit servir à satisfaire les besoins de l’individu ainsi qu’à favoriser le développement harmonieux de la société. L’économie doit, par conséquent, se conformer à une éthique. Cela signifie qu’outre des solutions économiques, il faut aussi rechercher des solutions sociales aux problèmes du chômage et de la pauvreté, tant qu’ils subsistent. Il faut notamment veiller à assurer la satisfaction des besoins fondamentaux et prévoir des possibilités de formation correspondant aux aptitudes de chacun, quels que soient ses moyens financiers.

C’est à juste titre que l’on qualifie, dans le rapport, le problème des réfugiés et des travailleurs migrants de défi posé à une société ouverte. Bien que cela soulève souvent de graves problèmes d’ordre culturel et démographique, il faudra prendre en considération les droits et les intérêts de ces personnes, que nous accueillons dans nos pays ou qui nous demandent asile. Dans ce domaine, une réglementation à l’échelon européen s’impose autant que possible. Force est cependant de reconnaître que la situation au départ varie énormément d’un pays membre du Conseil de l’Europe à l’autre.

Un pays qui compte moins de 10 % d’étrangers se heurtera à moins de difficultés pour régler ces questions que, par exemple, un pays où les étrangers représentent plus du tiers de la population, comme c’est le cas au Liechtenstein.

Un autre phénomène de notre époque, évoqué dans le rapport, est l’augmentation de la toxicomanie, de la violence, de la délinquance et du terrorisme en Europe. C’est surtout la coopération européenne qui est capable de fournir des réponses concrètes à ces défis posés à nos Etats. Le Groupe Pompidou et la Convention européenne pour la répression du terrorisme marquent des étapes importantes dans cette coopération et constituent en même temps des exemples du rôle constructif que le Conseil de l’Europe est en mesure de jouer dans ces domaines. Nous ne pouvons en tout cas qu’approuver les autres propositions contenues dans le rapport en ce qui concerne la lutte contre ces diverses formes de criminalité.

Le Secrétaire Général considère à juste titre que la toxicomanie, la violence et le terrorisme constituent des symptômes de rejet de notre société, dans la mesure où il ne s’agit pas de phénomènes importés ou déclenchés de l’extérieur.

Ce qui est inquiétant, c’est que ces phénomènes touchent en premier lieu les jeunes de nos pays.

Outre l’analyse des conséquences de ces phénomènes, il faudrait s’interroger sur les causes de ce rejet de la société et sur les moyens de s’attaquer aux racines du mal. Il s’agit évidemment de questions complexes, auxquelles on ne peut trouver que des réponses partielles. Dans cet hémicycle, il faut que nous nous bornions à en souligner quelques aspects. Ce qui est en tout cas certain, c’est que beaucoup de jeunes ont peur de l’avenir, sans doute à cause des risques de guerre nucléaire, de dégradation croissante de l’environnement et d’épuisement prématuré des ressources des prochaines générations, ainsi que de la pénurie d’emplois stables. Dans un monde où le matérialisme l’emporte de plus en plus, où les droits garantis de l’individu sont souvent interprétés de manière égoïste et où l’on attache plus d’importance à la compétition qu’à la solidarité, beaucoup de jeunes ne trouvent plus leur place. Pour tous ceux qui ne parviennent pas à s’imposer dans la société par la réussite ou qui ne peuvent pas puiser de réconfort dans leurs convictions religieuses ou métaphysiques, la vie n’a souvent plus beaucoup de sens aujourd’hui; ils risquent de devenir des marginaux ou d’adhérer à des idéologies extrémistes. Les institutions démocratiques se doivent en l’occurrence de trouver des solutions, tendant à promouvoir des valeurs communes, à renforcer la cohésion de notre société. Sinon, il ne subsistera de la démocratie qu’un beau cadre, dans lequel l’image se désagrège lentement. Ces questions ne peuvent avoir de réponse simple. Il nous faut cependant tenter de promouvoir ce qui a fait ses preuves jusqu’à présent et de trouver des réponses nouvelles à des défis nouveaux.

Cellule de base de notre communauté humaine, la famille a besoin d’être sauvegardée. Il est évident que, pour un enfant ou un adolescent, rien ne remplace une famille unie pour l’aider à trouver sa voie dans l’existence.

L’Histoire et notre expérience personnelle ainsi que la science moderne le démontrent clairement. Aussi bien dans son rapport que dans son exposé oral, le Secrétaire Général a insisté sur l’importance de la famille et sur le rôle qui continue à lui être dévolu dans notre monde moderne. Le rapport Colombo a aussi souligné l’importance de la famille et a invité le Conseil de l’Europe à considérer le soutien de cette institution comme une tâche essentielle. Je ne voudrais par conséquent pas revenir sur ce qui a déjà été affirmé et je me bornerai à m’associer pleinement à ce point de vue et à approuver sans réserve la proposition du Secrétaire Général tendant à l’élaboration d’une charte de la famille dans le cadre du Conseil de l’Europe.

Je suis convaincu que ce débat donnera naissance à de multiples autres suggestions, susceptibles de déboucher sur une action concrète du Conseil de l’Europe. Il nous faudra toujours nous accommoder des rapports tendus entre les libertés individuelles, d’une part, et la solidarité avec notre prochain, de l’autre, comme cela ressort d’ailleurs du présent rapport. Il est utile pour tous nos pays de débattre de ces problèmes à l’échelon européen et de tenter de trouver une voie commune. L’objectif d’une société parfaite est hors d’atteinte. Il faut que nous veillions à ce qu’un perfectionnisme mal compris ne s’oppose pas à la recherche de réponses raisonnables à nos problèmes de société. Il ne faut cependant jamais que nous nous accommodions d’injustices et que nous méprisions les intérêts légitimes de l’un quelconque de nos citoyens.

A cet égard, le Conseil de l’Europe peut apporter une contribution notable à la cohésion sociale. Je vous remercie, Monsieur le Président. (Applaudissements)