Sauli

Niinistö

Président de la Finlande

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 23 janvier 2019

Madame la Présidente, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, Mesdames et Messieurs, (poursuivant en français) je souhaiterais féliciter Madame la Présidente pour sa réélection, (reprenant en anglais) et vous dire que je suis ravi d’avoir cet échange de vues aujourd’hui avec vous.

L’année 2019 est importante pour le Conseil de l'Europe, de par son histoire, mais aussi en raison de l’avenir. Nous venons de fêter le 70e anniversaire de cette Organisation, qui est un pilier de l’ordre international de notre continent. Cet ordre a été mis en place après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, selon l’idée principale «Plus jamais ça». Toute guerre s’accompagne de souffrances épouvantables pour les populations, toute guerre s’accompagne de violations terribles des droits de l’homme, et parfois même de crimes contre l’humanité. Les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit, c’est‑à‑dire les valeurs du Conseil de l'Europe, ne peuvent prospérer que si la paix règne. Éviter tout nouveau conflit et toute nouvelle guerre doit être notre priorité absolue. La paix est ce que nous pouvons offrir de mieux en matière de droits de l’homme. Tout le reste est secondaire. Ce principe a été consacré en 1949 dans le Statut même du Conseil: «La consolidation de la paix, fondée sur la justice et la coopération internationale, est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation.»

Mesdames et Messieurs, au cours des soixante‑dix dernières années, l’Europe a joui de la paix et d’un ordre fondé sur les règles. Le tableau ne fut jamais parfait, mais pendant très longtemps nous n’avons cessé d’aller dans le bon sens. Le Conseil de l'Europe et son système de conventions ont joué un rôle clé. Le Conseil a su défendre les valeurs fondamentales qui caractérisent notre identité européenne.

Mais aujourd’hui, je suis inquiet, car, lorsque que nous parlons de la réussite de la diffusion de nos valeurs, force est de parler à l’imparfait, au regard de la situation actuelle comme de l’avenir, qui est beaucoup moins sûr. Nous exprimons aujourd’hui des doutes concernant nos valeurs et leur pérennité, même au sein de nos pays, alors qu’il n’était autrefois question que de l’exportation de ces valeurs. Nous devons aujourd’hui, plus que jamais, nous concentrer sur leur défense, dans nos pays. Alors que nous sommes en proie à des difficultés, les mutations à l’échelle de la planète sont très rapides. Le changement ne va pas toujours dans le bon sens – il faut le reconnaître.

L’ordre international fondé sur les règles est de plus en plus remis en cause et attaqué. Nous constatons des retours en arrière, en matière d’engagement en faveur du droit international. Les normes et les standards qui étaient l’objet de larges consensus sont aujourd’hui remis en cause. Le futur de cet ordre international n’est pas seulement une question théorique de pure spéculation intellectuelle; cette question est très importante; il ne s’agit pas que d’un rapport de force entre États. Les événements au sein des organisations multilatérales, qui préservent nos valeurs, ont des implications très importantes dans notre quotidien. Si cet ordre est affaibli, nous en souffrirons toutes et tous.

Le Conseil de l'Europe est tout aussi important aujourd’hui qu’hier. Ses valeurs restent tout à fait actuelles, et peuvent assurer la stabilité et la prospérité de nos sociétés. Nous devons faire en sorte qu’elles soient pérennisées. Le Conseil de l'Europe doit rester un forum pour la paix et le dialogue constructif. Il incarne tout le contraire de la loi du plus fort.

Nous devons nous fonder sur les droits des individus. La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour de Strasbourg permettent à tout un chacun d’obtenir justice, quand les juridictions nationales faillent. Chacun doit pouvoir jouir de cette possibilité. La Cour compte actuellement 57 000 affaires pendantes. Lorsque la Finlande a adhéré au Conseil de l'Europe, il y a trente ans, nous sommes devenus son 23e État membre. Aujourd’hui, elle compte deux fois plus d’États membres! La population concernée atteint 840 millions d’habitants. Le Conseil, la Convention et la Cour sont au service de tous les Européens, de chaque citoyen des États membres. C’est un succès considérable. Leur préservation est une responsabilité très lourde.

Le Conseil connaît une phase de réforme. Il est essentiel de régler les questions budgétaires les plus graves et une réforme administrative est nécessaire. Cependant, le plus important est d’envisager l’avenir: comment le Conseil se définira‑t‑il demain? Quelles seront ses missions? J’espère que le Conseil de l'Europe restera l’épine dorsale du système, pour tous ses membres. Cette réforme en cours doit renforcer ses moyens. Je songe en particulier à la Cour, au Commissaire des droits de l’homme et aux mécanismes de suivi. Les États membres ne peuvent être moins engagés qu’hier, et l’importance des traités ne peut être affaiblie.

Nous devons défendre les éléments fondamentaux du Conseil de l’Europe. Il y a évidemment des choses que les signataires du Statut de 1949 ne pouvaient imaginer alors qu’elles nous paraissent évidentes aujourd’hui; et, à l’avenir, nous aurons certainement d’autres surprises. Pour que son action reste pertinente, le Conseil de l’Europe doit donc, comme toute organisation, faire preuve d’agilité et se montrer capable de faire face aux nouveaux problèmes à mesure qu’ils apparaissent. Il faut vivre avec son temps: c’est une banalité, mais c’est indispensable, et ce n’est pas facile.

Peut‑être le Conseil de l’Europe pourra‑t‑il s’appuyer sur des outils tout à fait nouveaux pour rester dynamique. Certains progrès technologiques sont perturbants. L’intelligence artificielle, le changement climatique et ses répercussions peuvent avoir des conséquences encore inimaginables sur les droits de l’homme, la démocratie, l’État de droit. Mais d’autres surprises sont également possibles. Des éléments qui était déjà présents peuvent devenir beaucoup plus importants tout à coup.

Ainsi, ces dernières années, le défi migratoire a‑t‑il pris de plus en plus d’importance en Europe. C’est à l’Union européenne, plus qu’à toute autre institution, d’assumer cette responsabilité et de résoudre cette question. Si ses États membres n’arrivent pas à se mettre d’accord sur des règles communes pour traiter les migrations, nous risquons d’entrer dans une spirale très dommageable: les pays membres vont se livrer une concurrence par le bas pour être la destination la moins attrayante possible. Ce serait une très mauvaise nouvelle pour le Conseil de l’Europe et la pérennité de ses valeurs.

Je suis donc certain que nous serons confrontés à de nombreuses difficultés à l’avenir et que nous aurons à aborder bien des sujets délicats si nous voulons que le Conseil puisse continuer d’apporter une plus‑value dans tous les débats – politiques, juridiques, éthiques – et que ses valeurs demeurent pertinentes. Le Conseil a fait beaucoup déjà; il a aussi d’immenses responsabilités pour l’avenir – pour déterminer l’avenir du continent, comme il le fait depuis 70 ans.

Vous avez discuté hier des priorités de la présidence finlandaise du Comité des Ministres. Un mot de l’une de nos priorités absolues: la parité, l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette égalité est une réussite en Finlande: elle a permis à ce pays autrefois pauvre de devenir prospère; je ne crois pas que nous y serions parvenus sans ce facteur. Or ce qui a fonctionné en Finlande peut fonctionner partout ailleurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de saper les droits de la moitié de la population. Il faut tendre vers l’égalité, c’est une évidence. Les conséquences économiques en sont très significatives: l’égalité permet un développement véritablement durable.

L’un des aspects clés de cette action est évidemment la prévention de toute forme de violence envers les femmes. À cet égard, la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe est un document visionnaire, qui nous fixe des objectifs très clairs pour éliminer toutes les formes de violence dont sont victimes les femmes et les filles. En Finlande, nous avons pris un certain nombre de mesures concrètes depuis que nous avons ratifié cette convention, mais il nous reste beaucoup à faire. Réduire la violence envers les femmes en Finlande fait partie de mes engagements personnels: j’y défends la campagne «HeForShe» de l’Organisation des Nations Unies. Il est vraiment désolant et profondément inquiétant qu’il y ait encore tant de violences à l’égard des femmes et des filles, non seulement en Finlande mais dans le monde entier. Pour des sociétés plus égalitaires et plus durables, cela doit cesser.

Il est indéniable que le Conseil de l’Europe est en proie à de grandes difficultés. Nous risquons de perdre l’un de nos membres. Soyons clair: il n’y a aucun doute sur l’origine de ces difficultés; la Finlande est l’un des premiers pays à avoir condamné publiquement l’annexion de la Crimée. Mais, malgré tout, si la Russie quitte le Conseil de l’Europe, ce sera une défaite pour les deux parties – pour toutes les parties. Et, au bout du compte, ce sera encore un très rude coup porté à l’ordre international fondé sur des règles.

J’ai confiance dans la capacité du Conseil de l’Europe à surmonter la crise actuelle, capacité dont il a fait preuve au cours de toutes les crises passées. La Finlande fera évidemment tout ce qui est en son pouvoir, avec les autres États membres et les autres parties prenantes, pour trouver une issue favorable au problème.

Celui‑ci ne peut pas être résolu sans l’Assemblée parlementaire. Je lance donc un appel à une coopération très étroite entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire: ils doivent travailler ensemble à une solution consensuelle et durable.

Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, vous êtes les meilleurs connaisseurs de votre propre institution: au cours des échanges que je vais maintenant avoir avec vous, j’espère recueillir vos idées concrètes sur les solutions possibles.

Je vous remercie.

LA PRÉSIDENTE

Merci, Monsieur le Président, de votre discours, qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

Un nombre important de collègues ont déjà exprimé le souhait de poser une question. Mes chers collègues, je vous rappelle que les questions ne doivent pas dépasser 30 secondes et que vous devez poser une question et non faire un discours.

M. VAREIKIS (Lituanie), porte‑parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Monsieur le Président, les gens de ma génération se rappellent la guerre froide et se souviennent qu’à l’époque la Finlande était le lieu où l’Ouest rencontrait l’Est: le processus d’Helsinki a été d’une immense importance pour la paix mondiale.

On parle désormais d’une espèce de nouvelle guerre froide. Le moment est‑il revenu, pour la Finlande, de redoubler d’efforts diplomatiques pour assurer la paix mondiale?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Les circonstances sont‑elles similaires? D’aucuns le disent; certains parlent même aujourd’hui d’une guerre glaciale.

Ce que la Finlande essaie de faire, c’est de promouvoir et de renforcer le respect et le dialogue. J’ai rencontré le Président chinois la semaine dernière, ainsi que les Présidents Trump et Poutine tout récemment. L’ordre mondial a changé: de ces trois présidents, de leur vision du monde et de la conduite de leur politique dépendent 7 milliards d’entre nous. Mais nous pouvons, nous aussi, essayer d’intervenir et d’exercer notre influence par le dialogue, en exprimant notre point de vue.

Nous formulons l’espoir de revenir à un ordre mondial fondé sur des règles, lequel a été porteur de tant de bénéfices pour l’humanité. Or renforcer cet ordre fondé sur des règles, c’est ce que vous faites à chaque fois que vous vous rencontrez ici.

M. ÇEVİKÖZ (Turquie), porte‑parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts (interprétation)

La Finlande est le voisin direct de la Russie, pays avec lequel elle entretient de bonnes relations. Estimez‑vous avoir une chance d’améliorer la situation de crise entre le Conseil de l’Europe et la Russie? Dès que la Finlande quittera le Comité des Ministres, la présidence de l’Union européenne reviendra à votre pays. Compte tenu de cette chance de double présidence, quelle sont vos possibilités de développer ces deux grandes organisations?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

De fait, nous avons un grand voisin avec lequel – je l’ai dit tout à l’heure – nous souhaitons le dialogue. Personnellement, j’entretiens un dialogue avec le Président ukrainien, M. Porochenko. Mon pays n’a qu’un seul objectif, qui est d’inspirer un dialogue continu en renforçant la paix, ce qui est primordial pour nous tous.

Comme nous présidons aussi le Conseil de l’Arctique, il y a donc une triple présidence finlandaise en 2019. La visite, hier, de mon ministre des Affaires étrangères, la mienne aujourd’hui à votre auguste Assemblée, témoignent du fait que nous estimons que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont beaucoup en commun. Nous sommes des Européens et nous voulons entamer cette présidence de l’Union européenne, à partir du mois de juillet, dans le souci de renforcer la coopération pour la paix. Votre institution est tout à fait propice pour faire ce travail.

Lord BALFE (Royaume-Uni), porte‑parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Monsieur le Président, vous avez évoqué les trois présidences. J’évoquerai aussi la présidence du Conseil de l’Arctique. Si le Japon, la Chine, l’Inde et la Corée y ont le statut d’observateurs depuis 2013, la candidature de l’Union européenne a été reportée. Le Conseil de l’Europe n’a jamais fait acte de candidature. Monsieur le Président, estimez‑vous que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne pourraient jouer un rôle au sein du Conseil de l’Arctique ou entretenir un lien plus étroit avec celui‑ci?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

S’agissant du rôle dévolu au Conseil de l’Arctique, j’ai dit à maintes reprises que si nous perdions l’Arctique, nous perdrions la planète. La protection de l’Arctique revêt donc une importance vitale.

Quant à la composition du Conseil de l’Arctique, des raisons historiques et géographiques expliquent la présence des huit membres permanents. Nous avons, comme vous l’avez dit, des observateurs. Nous notons une recrudescence d’intérêt de la part de parties qui souhaiteraient également devenir observateurs, du Sud au Nord, de l’extrême Sud à l’extrême Nord.

La possibilité pour l’Union européenne d’avoir le statut d’observateur est sur la table depuis longtemps, on en parle année après année. Peut‑être pourrions‑nous faire une nouvelle tentative, mais nous savons tous qu’il y a eu à ce sujet un veto de la Russie. Tant qu’il en est ainsi, il paraît difficile d’aller plus loin. Mais je souscris entièrement à ce que vous venez de dire.

M. BILDARRATZ (Espagne), porte‑parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Monsieur le Président, ce matin, vous avez renvoyé à deux concepts très importants: éviter la radicalisation et développer l’inclusion. Quel rôle peut jouer en Finlande l’éducation afin de prévenir la radicalisation? Quel niveau de rémunération générale est de nature à favoriser l’inclusion en Finlande?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

En Finlande, confrontés au problème de jeunes garçons – je dis bien de jeunes garçons – en voie de marginalisation de la société, nous avons agi dans le droit‑fil de la lutte contre la radicalisation. Chacun, y compris les jeunes, doit comprendre qu’il fait partie intégrante de la société. Si vous avez le sentiment d’appartenir à la société, vous vous comportez de façon tout à fait correcte. Comment faire en sorte que les jeunes sentent qu’ils appartiennent à la société? Cela passe bien sûr par l’éducation, mais aussi par la mobilisation de moyens financiers pour leur venir en aide.

J’ai dit aussi que chaque individu avait une responsabilité propre à assumer. Au temps de ma jeunesse, j’ai entendu dire: «Il ne faut pas faire cela», ou bien: «Tu ne le referas pas!», ou encore: «Là, tu t’es bien débrouillé». Ce type de réaction de la part de vos proches permet de trouver votre place dans la société ou de vous en sentir exclu. Nous avons tous eu des expériences comparables. Souvenons‑nous de notre jeunesse! Des phrases de votre lointain passé peuvent vous revenir à l’esprit des décennies plus tard, parce qu’elles ont pesé lourd. Nous exerçons une influence parfois décisive les uns sur les autres.

M. KOX (Pays‑Bas), porte‑parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Monsieur le président, je soutiens pleinement votre appel à une responsabilité partagée entre l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres afin de surmonter nos problèmes, qui ont beaucoup trop coûté à notre Organisation et surtout à nos citoyens. Avec la présidence finlandaise, nous essayons de sortir de cette phase.

En votre qualité de chef d’État d’un pays chevronné en matière de négociation diplomatique, que proposez‑vous de faire vis‑à‑vis du Président Poutine afin qu’il comprenne que nous attendons des Russes qu’ils s’acquittent de leur contribution?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

J’ai discuté avec le Président Porochenko et avec le Président Poutine de la situation actuelle du Conseil de l’Europe. Mon espoir est de parvenir à améliorer la qualité du dialogue pour ciseler une solution ensemble. Celle‑ci dépend moins de moi que de vous… Comme je l’ai dit à la Présidente Maury Pasquier et au Secrétaire Général Jagland, je serais toujours à votre disposition, si cela est utile, pour vous apporter mon aide.

Mme PASHAYEVA (Azerbaïdjan), porte‑parole du Groupe des démocrates libres (interprétation)

L’avenir de l’Europe est menacé par la xénophobie, l’antisémitisme et le racisme. La lutte contre ces phénomènes constitue‑t‑elle une priorité de la présidence finlandaise?

En ce qui concerne la question des réfugiés, l’activité des États membres et des institutions est‑elle adéquate? Quelles autres mesures pourrait‑on prendre?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Dans différents pays, le populisme se développe et de nouveaux types d’opposition apparaissent. Se contenter de dire que ces mouvements ont tort est insuffisant. Il nous faut nous regarder dans la glace et nous interroger: avons‑nous contribué à l’émergence de ce phénomène? Il est difficile de trouver des réponses.

Dans de nombreux pays, la situation est comparable à celle qui existe en Finlande. Si l’on se reporte trente ans en arrière, il est incontestable que pratiquement tout va mieux, la vie quotidienne des gens s’est améliorée; pour autant, il n’est pas certain qu’ils soient plus satisfaits.

Gardons à l’esprit que l’être humain s’habitue vite aux bonnes choses et en veut toujours plus! Cette tendance rend la politique bien difficile et ouvre la voie au populisme.

Un élément nouveau qu’il convient de prendre en considération est l’existence des médias sociaux. Je suis plutôt optimiste sur le sujet: ils véhiculent une certaine agressivité mais je pense que les gens s’en lasseront et comprendront que la réalité est différente de ce que ces médias présentent.

Je crois fermement à la démocratie.

Pour en revenir à l’expérience finlandaise, nous avons connu deux périodes de populisme, l’une dans les années 1970, l’autre il y a dix ans. Deux partis populistes sont apparus puis ils ont accédé aux responsabilités gouvernementales et ils ont changé avant de disparaître. Cela doit alimenter notre réflexion. Interdire à ces mouvements de s’exprimer, leur intimer de se taire, ne fait que les renforcer.

Sur la question des réfugiés, je vais répéter ce que j’ai déjà dit. Le problème migratoire concerne spécifiquement le territoire de l’Union européenne: elle doit donc jouer un rôle de chef de file en ce qui concerne les modalités d’entrée sur le territoire européen, l’interprétation à donner des législations sur l’asile, les modalités de retour des personnes qui ne peuvent être accueillies. Si les différents États membres mettent chacun en place leurs propres règles, nous aboutirons au chaos.

M. FOURNIER (France)

Monsieur le Président, mes chers collègues, le 10 décembre dernier, nous célébrions le 70e anniversaire de la signature, à Paris, de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Alors que ce texte apparaît comme le bien commun de l’humanité, il n’est pas du tout acquis qu’il serait de nouveau accepté aujourd’hui. C’est ce qu’affirmait il y a peu la Chancelière allemande, et je crains qu’elle n’ait raison.

Aussi, je souhaitais entendre votre point de vue sur cette question, et plus particulièrement sur la remise en cause du caractère universel des droits de l’homme à laquelle, hélas! nous assistons.

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance des commentaires de la Chancelière allemande.

Les temps ont changé à n’en pas douter! Il est tout à fait possible que si devait se présenter une situation nouvelle, il faille envisager un nouveau type d’accord. Tout est question de contexte. Le contexte serait assez différent car nous sommes dans une ère différente où surgissent des phénomènes nouveaux.

Mais comme je le disais, je suis un fervent partisan de notre ordre fondé sur les règles et je pense qu’il serait possible d’aboutir à la rédaction d’une déclaration très comparable.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan) (interprétation)

Monsieur le Président, les échanges entre votre pays et le mien ne cessent de croître. De nombreuses entreprises finlandaises sont désormais établies en Azerbaïdjan. Quelles perspectives y a‑t‑il de liens économiques plus étroits encore entre nos deux pays?

En 1992, à l’occasion de la coprésidence des institutions au sein de l’OSCE et du Groupe de Minsk, la Finlande a été choisie pour trancher le problème du Haut‑Karabakh. La Finlande appartient toujours au Groupe de Minsk, quel type d’efforts êtes‑vous prêt à déployer pour résoudre ce conflit?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Je crois que le secteur industriel finlandais va se réjouir de la possibilité que vous me donnez d’intervenir sur cette question. Nous faisons tous face à un phénomène d’urbanisation, qui représente un grand défi.

En Finlande, beaucoup d’entreprises coopèrent en vue de trouver des solutions pour l’urbanisation, la gestion des eaux usées, l’approvisionnement en eau propre et potable ou la lutte contre les embouteillages. Sur ce front, nous pouvons faire beaucoup plus. Bien sûr, nous savons qu’il y a encore une tendance à l’exode urbain, qui pose d’extrême défis en termes de protection de l’environnement. Il faut absolument que nous abordions ces défis frontalement.

S’agissant du Groupe de Minsk, la Finlande soutient entièrement le processus qui est en cours dans ce cadre, et de ce que j’en comprends, il existe à l’heure actuelle un peu plus d’optimisme que précédemment. Il y a un espoir de solution entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, mais ce sont ces deux pays qui sont les acteurs clés.

M. HOWELL (Royaume‑Uni) (interprétation)

Monsieur le Président, je comprends parfaitement ce que vous avez dit à propos des migrations, mais la presse indique aussi que la Finlande envisage de revoir ses traités en matière de migration. Pourriez‑vous nous dire dans quel sens s’oriente la politique migratoire en Finlande?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

À ma connaissance, la Finlande n’envisage pas de modifier un traité. En revanche, la Finlande examine les traités en vigueur et la façon dont ils sont interprétés.

Pour illustrer mon propos j’évoquerai l’Accord de Dublin. Deux interprétations de cet accord coexistent, or il faudrait que nous puissions nous appuyer sur des bases très solides pour déterminer ce qui est exigé des États parties par ces traités internationaux, et ce qui ne l’est pas. Voilà le travail que nous avons entrepris, mais je ne crois pas que nous assistions à un véritable virage dans la politique migratoire de la Finlande.

La difficulté est que nous avons reçu un certain nombre de jeunes hommes qui n’avaient pas le droit au statut de réfugié. Pour autant, ils ne quittent pas le territoire, ce qui nous place dans une situation dangereuse. Eux‑mêmes se mettent dans une situation dangereuse, et ils représentent un danger pour autrui. Car si vous n’avez pas le sentiment d’appartenir à la communauté, que vous êtes dans une espèce de vide, ce n’est pas bon; et ce n’est certainement pas bon pour un jeune homme.

M. TILKI (Hongrie) (interprétation)

Monsieur le Président, je souhaite vous poser une autre question concernant les migrations. C’est un problème grave, il y a beaucoup de demandeurs d’asile en Finlande qui posent un risque sécuritaire, qui mettent en danger votre dispositif d’aide sociale et attirent d’autres migrants. Quelles solutions va appliquer la Finlande?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Je vous l’ai dit un peu plus tôt, la situation est délicate, car lorsque des personnes résident illégalement sur votre territoire, comme c’est le cas si elles n’obtiennent pas le statut de réfugié, il est éminemment difficile de trouver des solutions.

Il y a donc des personnes qui résident illégalement sur le territoire, sans que nous soyons en mesure de répondre à leurs besoins humains. C’est la situation que connaissent tous les États membres de l’Union européenne, et il faut absolument que l’Union européenne soit la figure de proue, pour éviter les solutions pays par pays. Il faut vraiment une réponse collective.

M. KITEV («L’ex‑République yougoslave de Macédoine») (interprétation)

Monsieur le Président, je viens d’un pays des Balkans occidentaux qui a appelé l’attention de la communauté internationale pendant des décennies au cours de la phase d’intégration euro‑atlantique.

Quelle est la position de votre pays concernant l’élargissement de l’Union européenne? Ce sujet reste prioritaire dans les ordres du jour des institutions européennes. Êtes‑vous en faveur de ces processus d’élargissement, qui sont particulièrement importants pour mon pays et toute la région dont il fait partie?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

La Finlande était généralement en faveur de l’élargissement, qui avait d’ailleurs été décidé à Helsinki en 1999 sous présidence finlandaise.

Mais il nous faut également constater que l’Union européenne connaît actuellement beaucoup de problèmes à propos de l’union monétaire, d’ordre financier, ou concernant le budget. Et il faut aussi considérer le rôle de l’Union européenne à l’échelon planétaire, qui se réduit. J’ai l’impression que nos difficultés de parvenir à des compromis ont obéré nos possibilités de jouer un rôle et d’avoir voix au chapitre dans les négociation mondiales.

L’Union européenne doit vraiment revoir sa copie et améliorer beaucoup de choses. Pendant la présidence finlandaise, nous souhaitons vraiment revenir à cette question: où se trouve, à l’heure actuelle, cet esprit européen qui existait dans les années 1990, lorsque nous avons rejoint l’Union européenne? L’esprit n’est plus le même aujourd’hui, me semble‑t‑il, mais il faut vraiment en avoir le cœur net. Cela inclut la question de l’élargissement: élargir quelque chose qui a vraiment besoin d’être réparé peut paraître paradoxal.

The Earl of DUNDEE (Royaume‑Uni) (interprétation)

Monsieur le Président, étant donné la priorité essentielle que représente l’éducation pour l’avenir des droits de l’homme, et compte tenu également des remarquables références du système éducatif finlandais, qui est reconnu par le programme Pisa de l’OCDE comme le meilleur système éducatif en Europe, quels sont les plans que vous pourriez développer pour améliorer les systèmes éducatifs ailleurs, notamment dans le cadre de votre présidence du Conseil de l’Europe, et de votre prochaine présidence de l’Union européenne?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Quelques mots sur ce succès, si vous le permettez. Certains disent qu’il faut mobiliser beaucoup de ressources pour ce faire, mais nous avons simplement utilisé notre budget pour l’éducation, qui se situe dans la moyenne de celui des pays de l’OCDE. Donc ce n’est pas grâce à l’argent qu’on réussit.

Nos enseignants ont une formation universitaire, ce n’est pas le cas dans tous les autres pays, mais je crois que l’élément fondamental est tout à fait autre: c’est le respect pour l’éducation et le respect des enseignants. C’est parce que les élèves comprennent l’importance du respect pour un enseignant qui a le savoir et qui leur a transmis que nous avons obtenu des résultats.

Vous me demandez comment il est possible d’exporter cette pratique. Nous avons réfléchi aux moyens de reproduire le système éducatif finlandais dans d’autres pays. Cela a d’ailleurs été mis en œuvre en certains endroits. Cependant, je le répète, l’essentiel réside dans l’attitude et dans les comportements. Lorsqu’on a du respect pour ce que l’on fait, on le fait bien.

M. Espen Barh EIDE (Norvège) (interprétation)

Monsieur le Président, je me réjouis que vous ayez évoqué la conférence sur l’Arctique de Tromsø. Le Conseil de l’Arctique, qui a été conçu en d’autres temps et fonctionne de façon satisfaisante, n’a pas été affecté par les difficultés entre l’Est et l’Ouest. Il a su se concentrer sur sa mission essentielle. Nous pouvons le mettre au crédit de sa présidence. N’y a‑t‑il pas là un enseignement dont pourrait tirer profit le Conseil de l’Europe?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Nous avions prévu d’organiser un sommet de l’Arctique qui aurait permis aux chefs d’État de se réunir. L’initiative était en bonne voie, jusqu'à ce que survienne un incident dans le détroit de Kertch. Depuis, le projet semble prendre une mauvaise tournure. Le climat s’est quelque peu rafraîchi, et n’est plus vraiment propice aux pourparlers.

Le Conseil de l’Arctique est mis à l’épreuve non seulement par des enjeux environnementaux – la fonte des glaciers et le danger qu’elle représente pour l’ensemble de la planète –, mais encore par d’immenses enjeux économiques. Comment les huit pays membres du Conseil de l’Arctique peuvent‑ils gérer ces questions? Jusqu'alors, cette institution n’avait pas rencontré de problème majeur, notamment parce que ses grands États membres – les États‑Unis et la Russie – s’efforçaient de ne pas y soulever des questions qui auraient à coup sûr suscité des conflits. Cette attitude était saine. Toutefois, les intérêts économiques en jeu et la prégnance des questions environnementales risquent de susciter une nouvelle mise à l’épreuve du Conseil de l’Arctique.

Mme GURMAI (Hongrie) (interprétation)

Monsieur le Président, parmi vos priorités figurent la parité, la protection des droits des femmes et la ratification par tous les pays de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. De votre point de vue, comment pouvons‑nous inciter les parlements nationaux qui refusent de signer cette convention à changer de position?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

La Finlande fut le premier pays au monde à accorder aux femmes des droits politiques identiques à ceux des hommes. C’est la raison du succès qu’a connu mon pays par la suite. J’espère que tous les autres États prendront conscience de cette vérité. Il a beaucoup été question du mouvement HeForShe dont l’Onu a pris l’initiative, et de sa mise en application en Afrique. Partout, les principes qui sous‑tendent ce mouvement peuvent entrer en vigueur. L’Union européenne et tous les Etats membres devraient en faire bien davantage dans ce domaine. J’ai des idées assez précises sur la façon dont nous pourrions promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes en Europe mais aussi sur d’autres continents, notamment en Afrique. Ce sera une condition du progrès futur. Les hommes doivent comprendre qu’ils ont tout intérêt à ce que les femmes soient fortes. Ils en tireront des bénéfices. Il faut parfois savoir être égoïste, mais il faut parfois aussi donner la possibilité aux autres de vous aider.

M. JALLOW (Suède) (interprétation)

Monsieur le Président, nous voyons de nombreux mouvements extrémistes prendre de l’ampleur, manifester dans les rues, mais aussi accéder à des parlements. La Finlande a dû interdire des mouvements néonazis. Maintenant que vous présidez une grande Institution, que ferez‑vous pour endiguer la résurgence du nazisme et du fascisme, et empêcher que ces mouvements reprennent le pouvoir en Europe?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Le racisme est inacceptable. Nous l’avons écrit noir sur blanc, et ce doit être une ligne de conduite pour tous nos gouvernements. Vous avez fait référence à des mouvements néonazis en Finlande. Il est vrai que certains ont brandi des drapeaux nazis. La police est intervenue immédiatement pour les arracher, et elle continuera de le faire. Le problème est de savoir comment réagir face à ces mouvements tout en respectant le cadre légal. Il est difficile d’intervenir à l’encontre d’un groupe dénué d’organisation définie et juridiquement établie. Contre qui la loi doit‑elle sévir? Pour autant, il faut bien évidemment sanctionner tout comportement qui contrevient à la loi. C’est la façon dont nous procédons à l’égard des racistes et des néonazis.

M. FASSINO (Italie) (interprétation)

Monsieur le Président, vous avez affirmé que le grand problème que rencontrait actuellement le Conseil de l’Europe tenait à la présence de la Russie. Nous sommes tous conscients que si la Russie quittait l’Organisation, cela changerait la nature même du Conseil de l’Europe. La Finlande entretient avec la Russie des relations très étroites, mais aussi très complexes. À la lumière de votre expérience, comment pourriez‑vous aider le Conseil de l’Europe à surmonter les difficultés qu’il rencontre dans ce dossier critique?

M. Niinistö, Président de la Finlande (interprétation)

Nous faisons notre possible pour aider l’Institution. À chaque fois que nous estimons pouvoir agir utilement, nous le faisons. Je me dois néanmoins de souligner que le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire tiennent la solution entre leurs mains. Ces deux Institutions doivent travailler de concert pour trouver une issue à cette difficulté. Nous vous apporterons toute l’aide possible. Vous avez souligné avec raison que l’Organisation ne serait plus la même sans la Russie. Je me soucie de ce qui produit au sein du Conseil de l’Europe, mais je m’inquiète plus encore du risque que représenterait la rupture du principal lien institutionnel entre la Russie et le reste du continent. Comment poursuivre le dialogue si cet échange ne peut plus se tenir?

LA PRÉSIDENTE

Monsieur le Président, encore merci pour votre intervention et pour vos réponses aux questions.