Jacques

Chirac

Premier ministre de la République française

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 27 janvier 1987

Monsieur le Président, Monsieur le Président du Comité des Ministres, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs, qu’il me soit tout d’abord permis, Monsieur le Président, de vous adresser mes très sincères remerciements pour votre invitation. C’est, pour moi, un grand honneur et un réel plaisir de me trouver parmi vous, aujourd’hui, dans la grande et belle ville de Strasbourg.

Strasbourg, si longtemps enjeu et théâtre des déchirements, est devenue le symbole de la réconciliation franco-allemande. Une fois la paix retrouvée, Strasbourg avait donc naturellement vocation à être un lieu symbolique de rassemblement, de rencontres et de réflexions pour la nouvelle Europe naissante dont chacun, consciemment ou inconsciemment, concevait la nécessité. Aussi est-ce tout naturellement que votre grande Organisation, le Conseil de l’Europe, l’une des plus anciennes institutions européennes, la première à caractère intergouvememental, la première à avoir accordé une place centrale à un organisme parlementaire, a choisi pour siège la ville de Strasbourg.

Trente-huit ans plus tard, Strasbourg se voit confirmée dans son rôle de capitale parlementaire de l’Europe des Douze, comme de l’Europe des Vingt et un.

Je suis heureux de saluer aujourd’hui, au nom du Gouvernement français, les représentants de nos vingt et une nations, et d’exprimer à l’Assemblée parlementaire que vous présidez, la considération et la très grande estime que lui porte mon pays. La France, Monsieur le Président, manifeste un très vif intérêt pour vos travaux, vos réflexions, votre dynamisme, et vos recherches sont sources d’émulation et d’encouragement pour tous les gouvernements des pays membres du Conseil de l’Europe.

La diversité de vos activités, entreprises dans la plupart des domaines où apparaissent les grands problèmes auxquels sont confrontées nos sociétés européennes, atteste de la vitalité de votre Organisation. Et je tiens ici à rendre un hommage particulier à la compétence, à l’intelligence et au dynamisme de son Secrétaire Général, M. Oreja. Il sait qu’il peut compter sur la contribution de la France pour soutenir ses efforts et entretenir cet indispensable dialogue de nos vingt et une nations.

La mission du Conseil de l’Europe est d’«œuvrer pour une unité européenne plus étroite, d’améliorer les conditions de vie, de développer les valeurs humaines et de défendre les principes de la démocratie parlementaire et ceux des droits de l’homme».

Ces valeurs spirituelles et morales ont pour noms: liberté, démocratie pluraliste, primauté du droit, dignité de la personne humaine. Vous vous consacrez sans répit à leur défense et à leur épanouissement. A l’époque troublée actuelle, elles requièrent la vigilance de chacun et l’union de tous. Ces valeurs sont les fondements de nos sociétés européennes de liberté et de responsabilité auxquels, ensemble, nous demeurons profondément attachés.

C’est dire le caractère essentiel de la mission impartie au Conseil de l’Europe, qui est, selon le rapport Colombo, «l’enceinte où s’exprime le plus largement la solidarité fondamentale entre les Etats démocratiques européens attachés aux libertés et aux droits de l’homme».

La réalité pluri-institutionnelle de l’Europe démocratique est une chance et une richesse pour la construction européenne. Elle permet un partage des rôles au service d’un objectif: faire de l’Europe un centre de pouvoir et lui assurer sur l’échiquier mondial une place conforme aux valeurs d’une civilisation qui se veut au service de la paix, de la liberté et du bonheur des hommes.

Il ne doit donc pas y avoir de concurrence stérile entre les institutions européennes, ni de crise d’identité au sein des organisations. Le travail de chacune doit être guidé par le seul souci de l’efficacité et de la complémentarité évidente et nécessaire – ce qui n’exclut nullement une heureuse émulation – pour un grand dessein, qui est aussi un grand destin: la construction européenne.

Pour aller de l’avant, tout en préservant les acquis, pour contribuer à bâtir l’édifice, ce que chacun ressent bien comme une impérieuse nécessité, tout en consolidant les bases, l’ambition et le pragmatisme, qui ont dominé les démarches de Robert Schuman et du Général de Gaulle, continueront d’inspirer le Gouvernement français dans la définition d’une politique européenne active, volontariste et imaginative, mais aussi généreuse et réaliste. Et il entend mobiliser toutes les énergies dans le cadre des institutions existantes.

Plus que jamais la construction européenne, dont le Conseil de l’Europe fut sans doute l’un des pionniers, demeure une nécessité. Facteur essentiel de paix entre les nations, vecteur évident de prospérité, elle est devenue une condition indispensable pour triompher de la crise, matérielle et morale, pour permettre à notre vieux et cher continent de retrouver la place qu’il mérite sur la scène internationale, de conserver et de préserver ses valeurs culturelles, historiques, et d’exercer une influence croissante sur les décisions qui engagent son avenir, mais aussi pour servir d’exemple en matière d’humanisme à l’ensemble du monde, ce qui est sa vocation.

Dans le domaine économique, la Communauté économique européenne joue, bien sûr, un rôle central. C’est dans sa nature et c’est son rôle. Dans un contexte de crise, le redressement de nos pays impose le développement d’un espace économique aussi homogène que possible à la dynamique communautaire malgré les difficultés, et ses récents développements sont, à cet égard, porteurs d’espoir. La France, pour sa part, se félicite, comme ses partenaires, des progrès réalisés. Doucement mais sûrement, et c’est peut-être le meilleur moyen de progresser, le Gouvernement a fait ratifier à une très large majorité l’Acte unique européen qui consacre, dans le respect de l’équilibre institutionnel et celui des souverainetés nationales, un certain nombre d’évolutions de la Communauté. Il constitue aussi une étape indispensable dans une communauté élargie, pour affronter les défis de demain. La France fonde de grands espoirs dans le marché intérieur dont l’achèvement, – ce qui prouve que les choses sont longues à réaliser – trente-cinq ans après la signature du Traité de Rome, doit avoir sur nos économies un puissant effet d’impulsion et de levier de même nature que l’abolition des barrières douanières dans les «années 60», qui a permis la poursuite d’une croissance soutenue pendant une dizaine d’années. De plus, la France donne la priorité au renforcement de la coopération en matière monétaire et elle appelle de ses vœux l’harmonisation des législations sociales et fiscales. Enfin, elle estime indispensable le développement d’une Europe de la recherche, de la technologie et de l’espace que ce soit dans le cadre de programmes communautaires comme Esprit, Race ou encore, dans d’autres enceintes, telles que l’Agence spatiale européenne, Airbus ou Eurêka, pour n’en citer que quelques-uns.

Aussi le Gouvernement français – je m’en entretenais tout à l’heure avec M. le Secrétaire Général – entend-il célébrer avec un éclat particulier le 30e anniversaire du Traité de Rome. Il associera la jeunesse du pays à ces manifestations pour la sensibiliser à la construction européenne, réalité quotidienne et facteur d’espoir pour l’avenir, mais surtout nécessité inévitable si nous voulons assumer réellement nos responsabilités.

La dynamique communautaire a conduit la Communauté économique européenne à étendre son champ d’action. Pour la France, cela ne saurait porter ombrage au Conseil de l’Europe. La vocation du Conseil de l’Europe est plus large que celle de la Communauté économique européenne mais leurs actions demeurent complémentaires et même indissociables.

Fréquemment le Conseil de l’Europe intervient comme un précurseur comme un éclaireur qui montre à la Communauté la voie à suivre. La coopération intergouvernementale à vingt et un ouvre alors la voie à une action communautaire plus approfondie. Tel fut, notamment, le cas en matière d’environnement: vous avez été les premiers à appeler l’attention des gouvernements, qui n’en avaient pas encore toujours conscience, sur l’importance de l’enjeu écologique et le caractère indispensable d’une coopération internationale en ce domaine; et les faits nous ont donné raison.

Vous exercez une fonction d’alerte de la conscience européenne pour les grandes questions de société, qu’il s’agisse du terrorisme, de la violence, de la drogue ou de la protection des individus face aux progrès technologiques.

En outre, le dialogue politique qui se noue entre nos vingt et un Etats au sein du Conseil de l’Europe relance, alimente, et conforte la coopération politique des Douze.

Ainsi les deux institutions participent au même processus historique de la construction d’une Europe unie. Chacune, selon ses méthodes et ses moyens propres, contribue au progrès de l’union entre les Etats et les peuples européens. Le Conseil de l’Europe offre aux Etats européens, qu’ils soient ou non membres de la CEE, un cadre général de coopération multilatérale et de participation à ce processus fondé sur des idéaux communs et le respect de la souveraineté de chacun.

La défense de nos valeurs communes passe, en premier lieu, par un renforcement de notre solidarité en matière de sécurité externe face à la loi des blocs et de sécurité interne, face au défi terroriste qui tente de déstabiliser nos démocraties.

Bien que cette question relève de la compétence d’une autre enceinte devant laquelle je me suis exprimé récemment, je ne peux m’abstenir d’évoquer devant vous le problème de la défense européenne qui nous préoccupe tous au premier chef. Trop souvent, l’Europe occidentale tend à apparaître comme l’enjeu de forces qui nous dépassent. Pour tous ceux qui, comme nous, entendent œuvrer à l’affirmation de l’identité européenne, cette situation n’est pas acceptable. Que serait, en effet, cette Europe unie, si nous lui refusions les moyens d’être forte, libre indépendante et respectueuse de la spécificité de chacun?

Ce langage, Monsieur le Président, la France le tient à tous, à l’Ouest comme à l’Est. A ces pays de «l’autre Europe» que séparent de nous, hélas, les solidarités des alliances et la nature des régimes, je souhaiterais rappeler qu’ils sont nos frères de culture, d’histoire et de tradition et qu’ils ont, nous le savons, les mêmes ambitions que nous en ce qui concerne la défense des valeurs de la dignité de l’Homme.

La France n’entend pas se résigner à un statu quo de partage arbitraire, injuste, de l’Europe, de division des peuples et de séparation des familles qui la composent.

Mon pays a joué un rôle important dans la genèse de l’Acte final d’Helsinki. Il nous semblait indispensable, en effet, de chercher à dépasser les oppositions en Europe par un processus de dialogue et de coopération entre tous les Etats européens. La tâche était difficile et les déceptions n’ont pas manqué. Mais fallait-il se résigner, alors que la volonté de donner à tous les peuples d’Europe un avenir de paix et de liberté était en jeu? C’est ce qui m’a conduit, alors que j’étais Premier ministre, à apporter, à la suite d’entretiens avec les autorités soviétiques, l’accord de la France à ce processus.

A Helsinki hier, comme à Vienne aujourd’hui, le Gouvernement français continuera de prôner la coopération. Nous nous prêterons à la multiplication des contacts, certains que la coopération devra, un jour, l’emporter sur la confrontation et conscients de cette petite lumière que l’Europe représente au cœur de nombreux citoyens européens de l’Est, qui s’appelle une liberté à laquelle la plupart d’entre eux aspirent.

Je me souviens du témoignage poignant du grand écrivain Milan Kundera, évoquant le dernier télégramme du représentant d’une agence de presse de Prague qui, au moment d’être écrasé par un char soviétique, disait: «Je me bats pour mon pays, je me bats pour l’Europe». Ce fut son dernier message. Nous ne devons jamais l’oublier.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, je sais l’ardeur et la foi qui, à l’image de la vocation particulière et de l’œuvre du Conseil de l’Europe, vous animent dans la sauvegarde et la promotion des droits de l’homme. Ressortissants les uns d’Etats membres de l’Alliance atlantique, les autres de l’Association européenne de libre- échange, ou encore d’Etats neutres et non alignés, vous avez tous apprécié les principes souscrits dans l’Acte final d’Helsinki. Vous avez sans doute relevé que cet acte final a reconnu que le changement était inévitable et légitime en Europe et que les individus, au même titre que les Etats, devaient en être les acteurs.

Vous conviendrez donc de l’importance primordiale qui s’attache à l’examen du bilan de l’application de cet acte final, dans les mois à venir, à la conférence de Vienne.

La France, quant à elle, constate la persistance de violations des droits de l’homme sur notre continent. Elle ne peut oublier, malgré certains gestes récents et spectaculaires, les milliers d’autres cas et tous ceux qui, avec constance et courage, maintiennent l’espoir de la liberté. Elle ne peut rester silencieuse devant les obstacles sans cesse opposés à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction.

Comment, enfin, favoriser les affinités qui existent entre nos peuples si ne sont pas assurés le libre accès à l’information, la libre circulation des biens culturels et la liberté des échanges d’idées?

Dans tout ce qu’il est convenu d’appeler la «dimension humaine» de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, le moment nous paraît venu d’aller plus loin, beaucoup plus loin. Nous souhaitons que les trente-cinq puissent rapidement, et de façon précise, marquer leur intérêt collectif au règlement des nombreux cas pour lesquels nos pays sont conduits, chaque année, à rechercher des solutions dans le cadre des relations bilatérales. La liberté de mouvement, le développement des communications téléphoniques, les réunions de familles, les contacts entre les jeunes, les échanges culturels ne sont que quelques exemples des nombreux domaines dans lesquels nous souhaitons ardemment parvenir à des améliorations concrètes dans les rapports entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est.

Depuis un quart de siècle, la politique de la France à l’égard de l’Europe de l’Est est constante. La France n’entend ni traiter de bloc à bloc, ni limiter les relations qu’elle souhaite entretenir avec les uns et les autres aux seuls aspects de sécurité, sans méconnaître bien entendu l’importance de ces derniers, notamment dans la perspective d’éventuelles négociations sur les déséquilibres conventionnels de l’Atlantique à l’Oural.

La France attache autant de prix à ce qui peut être accompli au niveau des sociétés et des individus. Je sais qu’en cela le Conseil de l’Europe, qui est à l’origine de la première tentative sérieuse de protection internationale des droits de l’homme, et votre Assemblée en particulier, partagent très étroitement les préoccupations que je viens d’exprimer.

Quand on évoque les problèmes de sécurité, on ne peut hélas plus, aujourd’hui, passer sous silence les problèmes du terrorisme. Je me dois donc d’évoquer cette nouvelle forme de guerre sans frontière qui frappe sans pitié et sans discernement nos citoyens, victimes innocentes d’un ennemi sans visage qui défie les droits de l’homme les plus élémentaires et menace l’existence même de nos démocraties qu’en vérité ils méprisent. Pour combattre ce fléau, cette lèpre des temps modernes, le Conseil de l’Europe a, lui aussi, compte tenu de sa vocation et dans le cadre de ses compétences, un rôle spécifique et important à jouer, en particulier pour les questions juridiques et normatives. La France, convaincue que tout doit être mis en œuvre pour vaincre cette calamité, ne ménagera ni ses efforts, ni son soutien au Conseil de l’Europe dans les actions qu’il entreprend à cette fin. Aussi, mon Gouvernement a-t-il décidé, comme vous le savez, de ratifier la Convention européenne pour la répression du terrorisme, signée le 27 janvier 1977 à Strasbourg. Le projet de loi autorisant cette ratification sera soumis au Parlement français à la session de printemps. Afin de préserver le droit d’asile et les principes de notre droit d’extradition, garantis dans la Constitution française, cette ratification s’accompagnera d’une réserve analogue à celle qu’ont faite de nombreux autres Etats, en conformité avec l’article 13 de cette convention.

De même, la France a apprécié les résultats très positifs de la Conférence européenne des ministres responsables de la lutte contre le terrorisme qui s’est tenue à Strasbourg, en novembre dernier. Les résolutions adoptées, qui doivent être mises en œuvre par un groupe de «conseillers les plus proches des ministres», sont de nature à renforcer une nécessaire coopération entre Etats membres, ce qui est essentiel.

Le terrorisme a voulu défigurer nos pays. Il n’y est pas parvenu. Je veux rendre hommage au courage et à la dignité de nos peuples chaque fois qu’ils ont été victimes de cette barbarie.

Respectueuses du droit et de la personne humaine, nos démocraties doivent avoir la force et l’autorité, notamment en joignant leurs efforts, de conduire une véritable guerre contre le terrorisme et, quelles qu’en soient les difficultés, elles peuvent, unies, accomplir des progrès. Qu’il me soit permis, à cette occasion, de remercier, pour la compréhension qu’ils nous ont, pour la plupart, récemment témoignée dans ces circonstances particulièrement cruelles, nos partenaires européens. Je suis conscient des contraintes initiales que les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement français ont pu causer dans certains de nos pays mais soyez convaincus que je ne les ai pas adoptées de gaieté de cœur.

La France s’est trouvée dans l’obligation impérieuse de répondre à la menace en adoptant des mesures énergiques permettant une lutte plus efficace contre ce fléau. L’extension de l’obligation du visa est alors apparue indispensable mais elle devait, pour conserver toute son efficacité, avoir un caractère général. Aussi, a-t-il été décidé de n’exempter de cette obligation du visa que les pays de la Communauté – parce que c’est la règle – et la Suisse en raison de sa situation de voisinage direct avec la France. Mais il n’a pas été possible d’exempter de cette obligation, contraire aux traditions de nos pays – et malgré les graves conséquences qu’elle comporte – les autres Etats membres de l’Europe, pas plus que des Etats avec lesquels nous avons des relations constantes, si importantes pour nous, notamment les Etats africains, au nord et au sud du Sahara. Or, ces derniers ont été beaucoup plus que tous les autres touchés par cette disposition dont les inconvénients sont, pour eux, sans commune mesure avec les désagréments qu’elle cause à d’autres, et je veux rendre hommage à leur compréhension et à l’approbation qu’ils ont donnée à cette décision.

Il n’a pas été possible d’exempter ces autres Etats pour conserver la cohérence de la décision française de généralisation des visas, et des instructions ont été immédiatement données à nos postes consulaires afin que les délais de délivrance soient réduits au minimum. Actuellement, grâce aux moyens supplémentaires en personnel mis à leur disposition, ces délais sont de l’ordre de vingt-quatre heures. Il est fait également un très large usage du visa dit «de circulation» qui permet à leurs possesseurs d’entrer et de sortir de France aussi souvent qu’ils le veulent.

Par ailleurs, tous les membres de l’Assemblée parlementaire continuent à être autorisés à circuler sur notre territoire sous le seul couvert de la carte d’identité qui leur est délivrée par le Secrétariat Général du Conseil. Cette mesure va être étendue, car on me dit que c’est nécessaire, aux ministres, aux juges et à tous ceux qui ont une vocation naturelle à travailler avec et pour le Conseil de l’Europe.

Le Gouvernement espère avoir ainsi réduit le plus possible les inconvénients nés de sa décision de généralisation de l’obligation de visa d’entrée en France.

Pour une part, le terrorisme prend ses racines dans la situation dramatique que connaît le Liban – chacun le sait et le comprend – et il a pour origine un certain nombre de groupes qui voudraient chasser du Liban les Etats occidentaux, c’est-à-dire, au Liban d’abord et avant tout, sur les plans culturel et historique, la France, particulièrement visée donc par le terrorisme. Elle est visée parce qu’elle n’a pas seulement là-bas une présence «matérielle», comme l’ont d’autres; elle n’est pas seulement «présente au Liban»: elle est «présente dans le cœur des Libanais», ce qui n’est pas supportable pour certains, notamment certains de ceux qui se servent des méthodes que nous dénonçons et condamnons.

Voilà qui nous oblige à être particulièrement vigilants – plus que d’autres – en matière de terrorisme, qu’il s’agisse de terrorisme «importé» ou de prises d’otages.

A chacun, je demande de comprendre ces raisons essentielles et d’admettre qu’elles méritent, ici ou là, l’ennui de quelque petit inconvénient, au nom de la solidarité qui doit unir tous nos pays à un moment où plane une véritable menace qui risque de toucher des innocents dans leur chair ou dans leurs affections.

Les efforts engagés pour lutter contre le terrorisme n’aboutiront que si nos pays demeurent unis et solidaires comme dans toutes les heures difficiles de leur histoire. C’est l’honneur et la force des démocraties – qui par ailleurs comportent bien des faiblesses – que nous devons défendre dans ces circonstances; je souhaite que chacun prenne conscience de cet enjeu fondamental.

Il n’y a pas de véritable liberté sans sécurité. Ce combat contre le terrorisme auquel, par ses travaux, le Conseil de l’Europe participe activement et utilement, illustre parfaitement la vocation essentielle de votre institution: être le promoteur sans relâche de l’Europe des libertés.

Y a-t-il plus belle vocation pour exprimer ce qui est historiquement la force même de notre civilisation commune?

L’ampleur de la tâche accomplie, l’ambition des projets en cours ou à l’étude montrent que le – Conseil de l’Europe donne à la construction européenne ce supplément d’âme nécessaire à toute entreprise, nécessaire en particulier à l’entreprise européenne.

Par les instruments dont il s’est doté – je pense tout naturellement à la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la Charte sociale européenne – le Conseil de l’Europe est devenu une référence pour le monde entier dans le domaine si essentiel des droits de l’homme et un espoir pour des centaines et des milliers d’hommes et de femmes.

Forum des démocraties parlementaires, le Conseil de l’Europe a pour responsabilité principale de contribuer à la sauvegarde et à l’approfondissement de l’espace démocratique européen.

Produit de «l’humanisme européen», c’est-à- dire de notre bien le plus cher, le Conseil de l’Europe est le garant de nos valeurs communes, au premier rang desquelles figurent le respect de la dignité humaine et la liberté. Biens précaires et sans cesse menacés, ce sont des biens pourtant indispensables au bonheur des hommes et au respect qu’on leur doit. «La liberté est un système de courage» écrivait Charles Péguy. Le courage de votre Organisation, c’est cette persévérance, au fil des ans, mise dans l’élaboration du cadre juridique et précis de cette aspiration fondamentale des peuples européens.

Vous pouvez, dans l’accomplissement de cette tâche, compter sur le soutien sans faille de la France: elle sera toujours comme elle l’a toujours été présente et volontaire pour assurer une protection sans cesse plus étendue des droits de l’homme. Chacun sait que la France, dont on ne dira jamais assez, de notre point de vue, qu’elle est le berceau des droits de l’homme, est synonyme d’espoir pour une multitude d’opprimés: la France sera disponible à tout moment pour les défendre, s’ils sont les uns et les autres menacés, ce qui est hélas si souvent le cas.

La France assume, deux siècles après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, un héritage dont elle est fière, celui probablement dont elle est le plus fière et pour lequel elle entend toujours faire du prosélytisme et qui se résume à la défense des droits civils et politiques de l’individu, à la garantie de l’intégrité physique, au respect des droits économiques, sociaux et culturels de l’homme.

A la fin du dix-huitième siècle, face à l’intolérance, la France proposait de faire du bonheur une idée neuve en Europe. A la fin du vingtième siècle, elle n’entend pas relâcher son effort et souhaite toujours autant contribuer à l’épanouissement et à la dignité de la personne humaine: en effet, il n’y a jamais d’acquis définitif en matière de droits de l’homme. C’est là une affirmation qu’ici chacun connaît et comprend et c’est un lien très fort entre nos pays, nos peuples et leurs représentants. Voilà l’essentiel et c’est ce qui est en cause entre nous. C’est cela qui justifie l’importance et le dynamisme de votre Organisation.

Le Conseil de l’Europe, dont l’œuvre essentielle, à mes yeux, demeure la Convention européenne des Droits de l’Homme, est effectivement à la pointe de ce combat dans le monde. Il a «initié», dès 1950, cet instrument juridique multinational ouvert qui est complété par des protocoles additionnels fondamentaux. La France participe activement à ce travail: elle a ratifié la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel. Elle est totalement engagée dans la réflexion sur les techniques de procréation artificielle. De même, en 1961, le Conseil de l’Europe a, par la Charte sociale européenne, approfondi de façon importante l’édification de l’Europe des libertés en élargissant son champ d’action, de manière aussi exhaustive que possible, aux droits économiques et aux droits sociaux.

La France a ratifié la plupart des conventions – que ce soit dans le cadre du Conseil de l’Europe ou d’autres organisations internationales – et elle s’honore de les respecter. Elle a reconnu le droit de recours individuel devant la Commission européenne des Droits de l’Homme.

Elle espère que le Conseil de l’Europe, fidèle à sa vocation et à sa tradition, obtiendra que tous les Etats membres signent la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Pour sa part, la France y est favorable.

La France travaille activement dans les enceintes chargées de réfléchir à une meilleure coordination juridique et judiciaire entre les Etats membres, en vue de parvenir à une harmonisation des législations nationales et à la mise au point de nouveaux instruments juridiques internationaux.

Le rôle joué par le Conseil de l’Europe, par votre Assemblée en particulier, est à cet égard, exemplaire et irremplaçable. Je souhaite qu’il s’amplifie.

Vous pouvez compter sur l’aide et l’appui de la France qui ne ménagera ni ses efforts ni son imagination pour faire progresser les travaux en cours. Je pense notamment à la procédure pénale, à la piraterie dans le domaine des droits d’auteur, à la migration illégale et à la reconnaissance réciproque des jugements répressifs.

En matière de droits de l’homme, les symboles ont souvent une portée plus grande que les textes contraignants. En 1989, le Conseil de l’Europe fêtera son 40e anniversaire et la France fêtera le bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cette heureuse coïncidence doit être une occasion unique de célébrer les droits de l’homme grâce à l’inauguration d’un nouveau et prestigieux bâtiment des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Le Gouvernement français a annoncé qu’il ferait un effort financier exceptionnel. Je m’en suis entretenu avec votre Président et votre Secrétaire Général. La ville de Strasbourg, c’est un peu sa vocation et son honneur, offre gratuitement le terrain. J’ai donné, pour ce qui concerne le Gouvernement français, des instructions à mes services pour que les choses aillent très vite de façon que les délais soient respectés.

Des droits de l’homme aux problèmes de société le fossé est étroit, les questions souvent se recoupent. Et pour cause! Toutes concernent les conditions de vie des personnes. Aussi est-il naturel que vos activités s’orientent également vers l’étude des problèmes de société.

Sous leurs différents aspects, ils concernent l’avenir et le mieux-être de nos enfants. En mettant en commun nos réflexions et nos moyens, nous avons la responsabilité de prévoir et d’améliorer les conditions de vie des futures générations européennes.

Deux sujets méritent, de l’avis du Gouvernement français, une attention toute spéciale. Dans certains cas, une impulsion nouvelle doit être donnée aux travaux en cours: la santé publique d’une part, l’éducation, la culture et la communication d’autre part.

Le bilan en matière sociale du Conseil de l’Europe est important et très largement positif: Charte sociale européenne, Code européen de sécurité sociale, statut du travailleur migrant, migrations clandestines, aide aux réfugiés, aux victimes des désastres naturels, lutte contre la pauvreté.

Quel bilan! Je constate cependant qu’il est parfois ignoré dans nos pays, et peut-être davantage d’ailleurs que dans le reste du monde qui observe avec plus d’attention le considérable effort qui est fait par le Conseil de l’Europe dans des domaines aussi sensibles que ceux que je viens de citer.

Au sein des affaires sociales, les problèmes de santé publique et les questions familiales sont bien sûr prioritaires, compte tenu des menaces qui pèsent sur nos sociétés. Nous y ferons face en associant nos efforts – c’est une nécessité – nos expériences et nos moyens. Le Conseil de l’Europe offre dans ce domaine un cadre privilégié.

Parmi les préoccupations en matière de santé, la drogue est un de nos principaux sujets d’inquiétude. Les frontières nationales ne constituent en aucun cas une entrave à sa propagation.

La toxicomanie a des dimensions sanitaires, culturelles, sociales que seules une étude pluridisciplinaire et des actions menées de concert entre les nations peuvent arrêter ou limiter. Je me réjouis que le Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite des stupéfiants, dit Groupe Pompidou, du nom de son créateur, ait été rattaché au Conseil de l’Europe en 1980. Il est souhaitable d’approfondir les débats lancés sous son égide et qui concernent à la fois la répression sévère du trafic illicite comme moyen de lutte contre la drogue, la prévention et les traitements des toxicomanes.

La coopération doit être renforcée. Face à ce fléau, nos sociétés ne peuvent pas, n’ont pas le droit de demeurer passives. Tous nos efforts doivent être mobilisés et intensifiés pour préserver la jeunesse européenne de cette forme d’aliénation, d’esclavage.

La France collabore de façon active aux travaux du Groupe Pompidou. Il convient de ne pas se limiter à l’échange d’informations mais maintenant d’accélérer, dans le cadre du Conseil de l’Europe, et en liaison avec les Nations Unies, l’aspect normatif et la mise en place des instruments internationaux qui nous font encore aujourd’hui défaut.

La France souhaite par ailleurs, toujours dans le domaine de la santé au sens large du terme, une intensification importante et concertée des efforts de lutte contre le cancer mais aussi contre cette maladie nouvelle qui fait peur et qui peut s’étendre gravement, le SIDA. Là aussi, le Conseil de l’Europe peut apporter une contribution significative et offrir une enceinte privilégiée d’échanges d’informations et de connaissances tant en ce qui concerne la prévention et le dépistage que le traitement. Le Gouvernement français met en œuvre, en ce moment, des programmes et des moyens très importants pour amplifier la lutte contre ces maux. Il n’est, bien sûr, pas le seul en Europe. Les autres Etats le font aussi. Mais l’ampleur des moyens nécessaires pour progresser de façon positive et la gravité du sujet justifient et imposent une meilleure coordination de nos moyens de recherche et de lutte.

Des réunions ministérielles, au sein du Conseil de l’Europe, sont prévues, en juin, à Bruxelles, dans l’autre domaine essentiel aussi sur le plan des structures mêmes de notre société et de notre civilisation que sont les affaires familiales et, en novembre, à Paris, pour les questions de santé. Je souhaite très sincèrement que ces réunions, auxquelles les représentants français participeront bien sûr avec diligence, soient aussi fructueuses que possible. Dans ces domaines également, le Conseil de l’Europe se doit de rester le fer de lance de l’expression d’une pensée réaliste et il se doit d’être, comme à l’accoutumée, exemplaire.

Les domaines de l’éducation et de la culture sont aussi inséparables de la défense des droits de l’homme. Ce n’est pas le fruit du hasard si, l’année où la Convention européenne des Droits de l’Homme était signée, se réunissait pour la première fois à Strasbourg un comité d’experts chargés de réfléchir aux moyens de donner à cette nouvelle Europe un cadre culturel, évidemment indispensable.

Les domaines de l’éducation et de la culture sont de ce point de vue inséparables de la défense des droits de l’homme: c’est à l’école d’abord que se fait l’éducation à ces droits qui sont la condition même d’un enseignement et d’une création artistique libres.

De ce point de vue, il faut se souvenir toujours que l’école est le lieu privilégié de l’apprentissage des droits de l’homme et de la préparation à la vie dans une société démocratique et pluraliste. Les droits de l’homme font partie intégrante de notre histoire, de notre héritage qu’il appartient à l’école de mettre en valeur, de faire comprendre et connaître, d’ancrer dans le cœur et dans l’esprit de nos enfants. L’éducation est d’ailleurs elle-même un de ces droits.

Cet aspect essentiel a été affirmé dans la Résolution de 1978 sur l’enseignement des droits de l’homme et consacré par la Recommandation du 14 mai 1985 sur l’enseignement et l’apprentissage des droits de l’homme dans les écoles, que le Gouvernement français a tenu à adresser d’ailleurs à tous les chefs d’établissements scolaires.

Dès 1976, le Conseil de l’Europe a consacré aussi un secteur spécifique de son programme d’activités à l’éducation et à l’information dans le domaine des droits de l’homme: développement de la recherche en la matière par l’institution d’un système de bourses, promotion de l’enseignement des droits de l’homme dans le cadre de la formation professionnelle et dans les écoles, et introduction de la dimension européenne dans l’éducation, en assurant, par exemple, la promotion de l’enseignement des langues vivantes.

Fidèle à ses grands principes, le Conseil de l’Europe a créé – c’est un cas unique en Europe – une conférence permanente des représentants des gouvernements et des établissements supérieurs. Les axes d’action associent la défense de la liberté de pensée et d’expression aux aspects les plus avancés de la recherche scientifique et des nouvelles technologies. Je tiens à saluer ces initiatives qui sont autant de laboratoires d’idées au service de l’humanisme européen et de la démocratie culturelle.

Dans le domaine de la culture, la France a toujours reconnu un rôle privilégié au Conseil de l’Europe, forum approprié s’il en est, pour la coordination et l’harmonisation des politiques culturelles en Europe. Il y a ainsi eu l’Année européenne de la jeunesse.

Je tiens aujourd’hui, dans le même esprit, à saluer pour l’encourager, l’initiative récemment prise par certains membres de cette Assemblée parlementaire, d’organiser plusieurs colloques pour souligner et étudier la symbiose des cultures juive et européenne. Vous entendez ainsi, à juste titre, mettre en valeur un aspect fondamental de notre patrimoine commun. Il est essentiel d’en avoir conscience.

Ce faisant, vous consacrez de surcroît cette idée toute simple, mais essentielle, que la richesse d’une civilisation – c’est le cas au premier chef de notre civilisation européenne – a toujours reposé et repose encore sur la pluralité des sensibilités et sur la diversité des cultures présentes sur notre continent.

Votre rôle en matière de communication est tout aussi exemplaire.

Le succès remporté par la conférence ministérielle de Vienne, en décembre dernier, consacrée à la communication audiovisuelle, ne doit pas rester sans suite. Il témoigne de l’aptitude du Conseil de l’Europe à traiter de ces questions; les résolutions adoptées sur la base d’un rapport français consacré à la promotion des œuvres audiovisuelles en Europe et d’un rapport suédois traitant de la radiodiffusion publique et privée en Europe ont donné le ton. Les ministres ont confié au Conseil de l’Europe le soin d’élaborer des instruments juridiques contraignants dans le domaine de la communication transfrontalière. Rendez-vous est pris: les ministres se reverront à Stockholm à la fin de 1988.

La France, qui participe déjà à de nombreux projets dont la dimension européenne s’affirme de jour en jour, attache une très grande importance à la création d’un espace européen de la communication audiovisuelle. Les ondes et les faisceaux ne respectent évidemment pas les frontières; l’organisation par les Européens de cet espace ouvre une dimension nouvelle et capitale sur les plans humain et culturel à leur coopération; elle est aussi indispensable à la sauvegarde de leur patrimoine culturel et de leurs valeurs communes. L’Europe doit développer les technologies les plus modernes de diffusion. Elle doit aussi, impérativement, exercer ses talents et affirmer sa personnalité dans le domaine des programmes et des images, qui marque les progrès d’une culture. Elle pourra ainsi lutter à armes égales avec les Etats-Unis et le Japon. Je souhaite que les travaux puissent être conduits, sous votre égide, de manière aussi intense et constructive que possible.

Je ne peux pas conclure sans mentionner encore deux questions d’importance.

Il est un problème difficile auquel nos pays sont confrontés avec une acuité croissante et sur lequel le Conseil de l’Europe a déjà entrepris des échanges de vues utiles: celui de l’afflux massif de demandeurs d’asile qui, le plus souvent, sont en fait des migrants économiques. Afin de réduire les risques d’une brutale régression de l’accueil par nos sociétés, ce problème me paraît devoir faire l’objet d’une intensification de la concertation en vue de définir ensemble la réponse, à l’échelle européenne, que ce problème exige.

Enfin, les enceintes compétentes du Conseil de l’Europe, à la demande des responsables régionaux et locaux, ont lancé le processus d’organisation d’une Campagne européenne pour le monde rural et confié la présidence du comité directeur à un homme particulièrement éminent – je m’en réjouis donc – et que sa sensibilité et son expérience portent tout naturellement à mieux comprendre que d’autres les problèmes de cette nature; il s’agit de M. Edgar Faure.

Le Gouvernement français partage le souci des initiateurs de ce projet de promouvoir le développement des régions rurales en assurant la continuité et la préservation des qualités de ses régions pour les générations à venir. Il est indispensable d’entreprendre un examen sérieux en associant, le plus largement possible, toutes les personnes, tous les responsables, toutes les forces vives intéressés par le débat sur l’avenir du monde rural en Europe.

Monsieur le Président, permettez-moi, avant de clore ce trop long exposé, d’exprimer un souhait: que le Conseil de l’Europe poursuive l’œuvre entreprise, au service de sa mission première: réaliser l’Europe des libertés en sauvegardant nos valeurs communes, ce qui fait notre civilisation, ce qui nous unit profondément et qui est infiniment plus essentiel que ce qui peut nous séparer et qui, de plus en plus, compte tenu des défis en jeu, nous paraît et nous paraîtra plus encore demain dérisoire.

Le Conseil de l’Europe peut être assuré de la confiance et de la collaboration de la France dans la poursuite de cet objectif aussi exaltant qu’exigeant.

Je laisserai le dernier mot à Albert Camus qui, évoquant cet objectif exigeant, écrivait:

«La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur terre.»

M. LE PRÉSIDENT

Soyez remercié, Monsieur le Premier ministre, pour votre acte de foi dans l’Europe des libertés qui marquera l’histoire de notre Assemblée et du Conseil de l’Europe.

Acceptez ma gratitude pour votre engagement en faveur de Strasbourg capitale européenne, car vous savez que j’ai l’honneur d’être également un élu d’Alsace et je vous sais gré de votre soutien.

Je suis heureux de votre aide apportée au projet du Palais des droits de l’homme et je suis convaincu que rien ne devrait s’opposer à une réalisation rapide.

Nous allons maintenant aborder les questions parlementaires pour réponse orale. Je vous rappelle qu’il ne sera répondu qu’aux questions émanant de parlementaires présents. Trente questions ont été déposées par écrit. Vous avez pu en prendre connaissance dans le document 5684.

Certaines questions ont un objet assez identique et ont été regroupées. Ces questions ont été classées. J’inviterai M. le Premier ministre à leur répondre globalement.

Faute de temps, certaines questions ne pourront pas être appelées. M. le Premier ministre pourrait répondre directement par écrit 
			(1) 
			Voir annexe II, p.
664. à leurs auteurs s’il le veut bien. Le Conseil de l’Europe les transmettra aux parlementaires.

Nous abordons le premier groupe de questions. Elles sont relatives à la coopération européenne. Une réponse commune leur sera apportée.

Les questions ont été posées par MM. Martinez Cuadrado, Butty et par Mme Morf; elles sont ainsi rédigées:

«Question n° 1:

M. Martinez Cuadrado,

Rappelant que plusieurs hommes politiques se sont prononcés ces dernières semaines à propos de la crise et d’une certaine stagnation de l’Europe par rapport aux superpuissances mondiales et même en relation avec les grandes régions mondiales, que M. le Président de la République française, notamment, s’est nettement prononcé en faveur d’un nouvel élan de l’Europe pour sortir de l’impasse et qu’il a pris une position nette pour que se dessine une nouvelle politique de l’Europe dans trois grands domaines, celui des Institutions, celui des nouvelles politiques à développer par les organisations européennes, celui enfin de la coopération mondiale ou nouvelle politique extérieure de l’Europe,

Demande au Premier ministre de la République française s’il est d’accord avec ces prises de position du Président de la République française et dans quelles Institutions européennes il faut créer une présidence de plus longue durée et avec quel objectif précis.

Question n° 2:

M. Butty,

Considérant que la France a représenté depuis 1945 et spécialement dès l’institution du Conseil de l’Europe en 1949 et de la Communauté européenne en 1957 une volonté d’intégration des économies européennes pour exclure, une fois pour toutes, la confrontation militaire entre ses Etats membres et pour consolider, par un renforcement du potentiel économique, le poids politique de l’Europe dans le monde,

Demande au Premier ministre de la République française comment son Gouvernement envisage l’évolution des relations et de la collaboration entre la Communauté européenne et le Conseil de l’Europe, s’il pense continuer à favoriser une concertation et une entraide entre les membres dans des secteurs aussi divers qu’importants, tels que la recherche, l’environnement, les communications, la politique des réfugiés, la lutte contre le terrorisme et les médias.

Question n° 3:

Mme Morf,

Notant que le Gouvernement de François Mitterrand a pris avec succès diverses initiatives de coopération européenne, notamment dans le domaine de la science et de la recherche, et non seulement pour la Communauté européenne des Douze, mais également pour l’Europe des Vingt et un, et notant en particulier le programme Eurêka concernant des projets européens de haute technologie ou la coopération internationale pour des programmes de télévision scientifique (Carrefour de l’information à Paris);

Affirmant que les pays européens non membres de la Communauté seraient certainement déçus si ces entreprises et d’autres entreprises de coopération analogues menées au sein de la «grande» Europe ne pouvaient compter sur l’assistance continue de la France,

Demande au Premier ministre de la République française quel est son avis sur ces questions.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

A la question de M. Martinez Cuadrado, je répondrai que le discours du Président de la République française est une réflexion intéressante ouvrant des perspectives pour l’Europe qui méritent un examen attentif. Comme lui, j’estime qu’une durée de six mois pour la présidence de la Communauté est une période trop courte pour permettre à un pays qui en assume les responsabilités de la marquer de son empreinte et de lui donner une impulsion suffisante.

Cela dit, instaurer un mandat d’un an signifierait que la présidence ne reviendrait que tous les douze ans à chaque pays, ce qui est bien long. Il faut donc réfléchir de manière approfondie et sans précipitation avant de se lancer dans un processus de modification institutionnel.

A M. Butty et à Mme Morf, je dirai simplement que la France n’a pas une vision étroite et dogmatique de la construction européenne. A ses yeux, les rôles respectifs de la Communauté économique et du Conseil de l’Europe sont – je l’ai dit longuement tout à l’heure – complémentaires et indissociables. Les deux institutions contribuent, chacune avec ses méthodes, ses moyens propres, sa vocation et son expérience, à un grand projet, qui est la construction de l’Europe.

La politique européenne de la France est une politique qui se veut globale, ambitieuse, pragmatique et volontariste. Elle repose sur trois piliers: un espace européen économique homogène – c’est le rôle de la Communauté; la sécurité européenne – et, vous le savez, j’ai proposé, dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale, une charte des principes de la sécurité européenne; l’Europe des libertés, qui est évidemment essentielle car c’est notre culture même qui est en jeu et en cause, et cette tâche incombe à l’évidence et en grande priorité au Conseil de l’Europe.

Mais cette répartition des rôles n’exclut pas le renforcement de la concertation dans tous les domaines où les institutions sont amenées à faire progresser cette construction européenne, qu’il s’agisse des grands problèmes de société évoqués par l’honorable parlementaire ou des questions qui commandent l’avenir de l’Europe, en particulier les communications et la recherche.

A cet égard, la France, qui, comme vous le savez, suit avec le plus vif intérêt le programme Eurêka – dont elle a d’ailleurs pris l’initiative – estime que ce programme doit se développer en harmonie avec le programme cadre de la Communauté en matière de recherche.

M. MARTINEZ CUADRADO (Espagne)

(s’est exprimé en espagnol; la traduction du discours dans l’une des langues officielles ou dans l’une des langues additionnelles de travail n’ayant pas été remise au Secrétariat par l’orateur, l’intervention n’est pas publiée, en vertu des articles 18 et 22 du Règlement).

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Monsieur Martinez Cuadrado, j’ai simplement indiqué qu’il fallait réfléchir à ce problème.

Six mois, c’est évidemment trop court. Je n’ai pas parlé de deux ans. Un an, cela signifie que chaque pays n’aura la présidence que tous les douze ans, ce qui est évidemment aussi très long. Il y a donc là matière à réflexion approfondie entre les Etats membres et la Commission.

M. BUTTY (Suisse)

Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous remercier particulièrement pour votre exposé remarquable qui, en ce qui me concerne en tout cas, m’a beaucoup impressionné, s’agissant en particulier du renforcement de la coopération européenne et des affirmations du rôle du Conseil de l’Europe, notamment en matière des droits de l’homme.

Le problème que je voudrais vous poser en complément de votre réponse, en tant que parlementaire européen et suisse, est le suivant. Au vu du vote de l’Acte unique que la France vient de ratifier sur proposition de son Gouvernement et à la suite du vote de son Parlement, qui prévoit une échéance très importante en 1992, avec 300 millions de consommateurs, la France, qui a toujours été un partenaire moteur de la Communauté et aussi de la construction de l’Europe, ne pense-t-elle pas poursuivre ses efforts pour favoriser l’ensemble des réalisations concrètes en matière de recherche et autres, comme vous l’avez d’ailleurs souligné, et continuer pragmatiquement, par des actes concrets, à dépasser le cadre de la Communauté, même s’il est nécessaire d’avoir des mesures parfois contraignantes au vu de l’Acte unique, afin de continuer cette collaboration avec les pays non membres européens?

Pour nous, cette question est très importante. Mon Parlement vient, précisément à la session de septembre dernier, de décider de renforcer ses liens avec la Communauté et son rattachement progressif à elle, tout en maintenant son statut de neutralité.

La France, Monsieur le Premier ministre, est-elle prête à soutenir ces efforts?

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Je tiens à confirmer tout de suite à M. Butty que la France a une approche pragmatique de la construction européenne. Elle est profondément attachée au renforcement de l’union de la Communauté, mais elle est aussi très soucieuse de tout ce qui touche à l’harmonisation et à l’approfondissement d’une conception plus large de l’Europe, ce qui ne nous semble pas du tout contradictoire. Elle y est donc prête, comme je l’ai dit tout à l’heure pour le secteur très important de la communication; je rejoins donc tout à fait votre point de vue.

M. LE PRÉSIDENT

Mme Morf souhaite- t-elle poser une question supplémentaire?... Ce n’est pas le cas.

Nous passons maintenant à un groupe de.questions relatives à la lutte contre le terrorisme. Une réponse commune leur sera apportée.

Ces questions ont été posées par MM. Martinez, Cavalière, Rauti, Lopez Henares et Valleix.

J’en donne lecture:

«Question n° 4:

M. Martinez,

Considérant qu’à son avis la coopération entre les administrations française et espagnole en matière de lutte antiterroriste se solde d’ores et déjà par des résultats fort satisfaisants, et que cette action devrait par ailleurs constituer un exemple déterminant que d’autres pays pourraient suivre,

Demande au Premier ministre de la République française:

i. quelle est son appréciation de cette coopération entre nos deux pays;
ii. quelle est, d’après lui, l’attitude de l’opinion publique française devant cette action concertée de nos deux gouvernements;
iii. s’il pense qu’il soit possible dans les mois à venir d’approfondir et de préciser encore cette coopération, afin de maintenir et même d’accroître les progrès importants constatés jusqu’à ce jour.

Question n° 5:

M. Cavalière,

Rappelant que la France, frappée par une vague de terrorisme, a demandé et obtenu la solidarité des autres pays, et notamment de l’Italie,

Demande au Premier ministre de la République française pourquoi la France continue à protéger des terroristes comme Tony Negri, Piperno et d’autres, en s’obstinant à refuser l’extradition de ces délinquants, déjà condamnés à des dizaines d’années de réclusion pour homicide, constitution de bandes armées et d’autres crimes graves.

Question n° 6:

M. Rauti,

Rappelant que la France a, elle aussi, connu et payé tribut au terrorisme islamique,

Demande au Premier ministre de la République française pourquoi, face au chantage sur les otages, son Gouvernement a eu recours à des tractations qui font courir le danger terrible de renforcer ce phénomène et de faire de l’enlèvement une nouvelle arme de guerre.

Question n° 7:

M. Lopez Henares,

Considérant que la lutte contre le terrorisme est une affaire de collaboration internationale, spécialement dans les pays de l’Europe libre, puisque les activités violentes organisées cherchent à déstabiliser et à détruire les institutions démocratiques,

Demande au Premier ministre de la République française si la collaboration du Gouvernement français avec le Gouvernement espagnol dans la lutte contre le terrorisme va continuer malgré les réactions violentes de tous genres de terrorisme.

Question n" 8:

M. Valleix,

Considérant que le Gouvernement français a su faire preuve de détermination et de courage face à la multiplication des actes de terrorisme en France au cours des derniers mois, qu’il a su également donner une impulsion décisive à l’application par la France de la Convention européenne pour la répression du terrorisme, mais que, malheureusement, les actes de terrorisme continuent contre des Européens, aujourd’hui Allemands et Français, comme le montre l’actualité la plus récente, et que pas davantage les Américains ne sont épargnés,

Demande au Premier ministre de la République française si, relevant sa volonté de lutter contre ce fléau, il pense qu’il soit possible, au-delà de nos cellules de crise nationales et européennes, qu’une concertation plus active encore puisse être engagée, y compris entre l’Europe et les Etats-Unis.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Monsieur le Président, lors de la Conférence européenne des ministres responsables de la lutte contre le terrorisme, qui s’est tenue à Strasbourg au début du mois de novembre dernier, le ministre français compétent a eu l’occasion de souligner, avec son collègue espagnol, combien la coopération des polices française et espagnole s’était renforcée dans la lutte contre le terrorisme. Quelques résultats positifs et sérieux ont d’ailleurs été obtenus.

Il en est de même, vous le savez, pour la coopération judiciaire franco-espagnole, puis- qu’en 1986 six terroristes basques ont été écroués à la suite d’une demande d’extradition espagnole. Quatre d’entre eux ont déjà donné lieu à des avis d’extradition favorables des chambres d’accusation des cours d’appel saisies.

Cela doit donner satisfaction à M. Lopez Henares.

En réponse à la question de M. Cavalière, je dirai que la meilleure illustration des bonnes relations européennes entre la France et l’Italie en matière de lutte contre le terrorisme se trouve dans le fait que, dès le mois d’avril dernier, deux terroristes italiens ont fait l’objet de décrets d’extradition, soumis depuis lors d’ailleurs au Conseil d’Etat.

C’est ce que l’on a appelé les affaires Trincanato et Benedetti.

En ce qui concerne Tony Negri et Piperno et d’autres, évoqués par M. Cavalière, il s’agit de cas anciens, pour lesquels le précédent gouvernement avait estimé que la complicité des crimes qui leur étaient reprochés n’était pas suffisamment établie.

En réponse à la question posée par M. Rauti, j’indique que j’ai déjà eu l’occasion d’affirmer à maintes reprises que le Gouvernement français n’a engagé aucune tractation ni marchandage direct avec les groupes qui détiennent nos otages. Il s’agit là simplement d’une polémique lancée à des fins strictement politiciennes par un organe de presse français, de modeste importance, que j’ai d’ailleurs attaqué en justice, polémique qui est dépourvue de tout fondement.

J’ai toujours affirmé, et chacun doit en avoir conscience, que toute négociation avec un groupe terroriste se terminait forcément par un compromis, que ce compromis donnait une satisfaction plus ou moins grande au groupe terroriste, mais justifiait l’efficacité du procédé utilisé et, par conséquent, qu’il renforçait le terrorisme. C’est une erreur capitale; le seul moyen est de ne jamais négocier ou discuter avec le terrorisme.

En ce qui concerne la question posée par M. Valleix, j’indique que le problème de l’information et de la coopération entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et les Etats non membres figure dans le mandat qui a été confié à un groupe de conseillers des ministres responsables de la lutte contre le terrorisme, qui se sont réunis à Strasbourg au mois de novembre dernier, comme je l’ai d’ailleurs rappelé. Ce groupe doit présenter ses propositions au Conseil de l’Europe. Au niveau bilatéral, dans ce domaine, la France entretient des relations de coopération étroite avec les Etats-Unis chaque fois que cela est nécessaire.

M. MARTINEZ (Espagne)

La réponse fournie par M. le Premier ministre à un collègue comporte des points qui me donnent satisfaction et je n’ai pas de question supplémentaire à poser. Je voudrais simplement, en tant que président de la délégation espagnole, Monsieur le Premier ministre, vous exprimer de tout mon cœur la reconnaissance que nous éprouvons pour votre politique généreuse et courageuse qui, comme vous l’avez souligné, aboutit à des résultats précis et est surtout en train de réussir à remonter le moral de notre peuple, soumis à l’épreuve du terrorisme. A travers la France et grâce à elle, il trouve une Europe solidaire; il en avait besoin.

J’exprime le souhait que la France aille de l’avant, vite et loin sur le chemin amorcé par ceux qui vous ont précédé à Matignon et que votre Gouvernement continue à nous apporter chaque jour les mêmes preuves.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Un mot seulement à M. Martinez pour indiquer que, dans ce domaine, les relations entre la France et l’Espagne sont exemplaires et réciproques. Elles ne peuvent que se développer dans la voie que vous avez tracée et dans le respect, cela va de soi, des principes démocratiques auxquels nos deux pays sont attachés.

M. CAVALIERE (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je vous avoue être assez déçu de votre réponse. Je constate, à mon grand regret, que la France a protégé et, malheureusement, continue de protéger les terroristes qui ont opéré dans mon pays, l’Italie.

M. RAUTI (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre réponse, encore que j’entendisse me référer à cette nouvelle et plus inquiétante forme de terrorisme que constitue la prise d’otages.

Les pays occidentaux comptent aujourd’hui quarante de leurs ressortissants parmi les otages; le phénomène s’est d’ailleurs aggravé au cours des dernières semaines et déborde désormais le cadre du Moyen-Orient.

Je pourrais par exemple vous faire observer que la France a des rapports très différents avec la Syrie (différents de ceux qu’entretient le Royaume-Uni) et que les 300 millions de francs donnés à l’Iran pourraient constituer une espèce de tractation. Mais c’est sur les otages qu’il nous faut insister aujourd’hui, parce que ce matin, les journaux du monde entier nous parlent de l’appel lancé par le Président Reagan aux Américains pour qu’ils quittent Beyrouth. C’est la première fois qu’un Etat occidental dit à ses ressortissants qu’il ne peut pas les défendre. Et c’est le plus grand Etat de tous les temps et de tout l’Occident qui le dit.

Il faut alors définir nos attitudes et, si possible, les coordonner, faute de quoi chaque Etat deviendra la cible de cette nouvelle et plus dangereuse forme de terrorisme.

M. LOPEZ HENARES (Espagne)

Je tiens à vous remercier, Monsieur le Premier ministre, aussi bien pour votre réponse que pour votre extraordinaire discours très lumineux et très encourageant. Votre ferme attitude à l’égard du terrorisme n’est pas seulement exemplaire, elle représente surtout l’espoir de gagner cette guerre sans frontière.

M. VALLEIX (France)

Je n’ai rien à ajouter à ce que vient de dire M. Lopez Henares, je souhaite seulement laisser le temps à M. le Premier ministre, que je remercie encore, d’aborder d’autres questions.

M. LE PRÉSIDENT

Nous passons maintenant à un groupe de questions relatives à la vocation européenne de Strasbourg.

Les questions ont été posées par MM. Grussenmeyer et Sarti. J’en donne lecture:

«Question n° 9:

M. Grussenmeyer,

Rappelant que les gouvernements successifs ont réaffirmé le soutien de la France à la vocation européenne de Strasbourg et ont souhaité que Strasbourg devienne le siège définitif du Parlement européen;

Considérant, qu’à leur grand regret, les élus et les habitants de cette ville et de cette province ont cependant constaté que le Synchrotron devait s’installer à Grenoble, l’Institut européen des relations avec l’Amérique latine à Madrid, le Secrétariat d’Eurêka à Bruxelles, le Collège européen des traducteurs à Arles et que, récemment, la candidature de Strasbourg n’a pas été retenue par la Commission de Bruxelles pour l’Office communautaire des marques;

Vu que beaucoup ici se posent la question: «Le Gouvernement français ne croirait-il plus à la vocation européenne de Strasbourg?»,

Demande au Premier ministre de la République française quelle est la position du Gouvernement français à ce sujet et ses projets pour développer le rayonnement européen de Strasbourg.

Question n° 10:

M. Sarti,

Rappelant son estime pour la ville de Strasbourg et pour sa vocation à devenir la vraie capitale de l’Europe, et déplorant les difficultés considérables d’accès rapide à cette capitale tant pour les parlementaires européens que pour les membres de l’Assemblée du Conseil de l’Europe;

Désireux de sauvegarder Strasbourg dans sa dimension rhénane et européenne, également sur le plan des communications aériennes, ferroviaires et routières,

Demande au Premier ministre de la République française s’il peut rassurer l’Assemblée à ce sujet.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Sur ce point, je serai très bref car tout le monde sait que je suis depuis très longtemps un militant de la vocation de Strasbourg à être capitale de l’Europe. Je n’ai entendu nulle part un argument objectif susceptible de mettre en cause cette situation ou justifiant que le statu quo ne soit pas maintenu. C’est là pour la France un point essentiel, justifié par l’Histoire. S’il y avait une mise en cause quelconque de cette situation, au-delà du discours, cela créerait un vrai problème avec la France et son Gouvernement.

M. GRUSSENMEYER (France)

Je tiens à exprimer mon sentiment de gratitude à l’égard de M. le Premier ministre pour cet engagement solennel. Je m’exprime au nom de la population alsacienne que j’ai l’honneur de représenter à l’Assemblée nationale depuis vingt-neuf ans.

M. SARTI (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je me considère comme un parlementaire honoraire de Strasbourg et de son département. Je vous suis infiniment reconnaissant de vos assurances.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Je vous remercie.

M. LE PRÉSIDENT

Nous passons maintenant à un groupe de questions relatives aux restrictions de visa imposées par la France. Les questions ont été posées par MM. Tarschys, Blenk, Alemyr et Hesele.

J’en donne lecture:

«Question n° 11:

M. Tarschys,

Rappelant que, le 14 septembre 1986, le Gouvernement français a décidé d’imposer l'obligation du visa d’entrée à tous les étrangers, à l’exception des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne, ainsi que de la Suisse et du Liechtenstein, et qu’en annonçant cette mesure, le Gouvernement français a indiqué qu’il s’agissait en premier lieu d’une restriction temporaire, qui devait être reconsidérée au bout de six mois;

Rappelant les vives émotions et les difficultés pratiques provoquées par cette mesure;

Rappelant qu’après la décision du 14 septembre dernier il a été tenu une série de délibérations au sujet des mesures et des activités à entreprendre à l’encontre du terrorisme,

Demande au Premier ministre de la République française, eu égard aux progrès réalisés à ce sujet, si le Gouvernement français a maintenant l’intention de suspendre ou de modifier l’obligation du visa d’entrée imposée aux ressortissants de certains des Etats membres du Conseil de l’Europe.

Question n° 12:

M. Blenk

Demande au Premier ministre de la République française jusqu’à quelle date le Gouvernement français entend-il maintenir l’obligation de visa pour quelques-uns des pays membres du Conseil de l’Europe, obligation qui est contraire à l’Accord européen sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe, et contraire à l’esprit et à la lettre du Statut du Conseil de l’Europe.

Question n° 13:

M. Alemyr,

Considérant qu’il est d’une extrême importance de réaliser une plus grande unité entre les démocraties parlementaires européennes et que le Conseil de l’Europe a été créé pour promouvoir la coopération et les contacts entre les Européens,

Demande au Premier ministre de la République française s’il estime que les restrictions en matière de visa récemment imposées par la France sont compatibles avec les objectifs susmentionnés.

Question n° 14:

M. Hesele,

Saluant l’initiative prise par la France de lutter plus vigoureusement contre le terrorisme, d’autant plus que l’Autriche joue elle aussi un rôle de premier plan dans cet effort européen;

Considérant que l’action du Gouvernement français à cet égard ne doit pas s’exercer par la voie d’une discrimination à l’encontre d'autres Etats membres du Conseil de l’Europe;

Considérant l’introduction de l’obligation de visa pour quelques Etats non membres de la Communauté comme une discrimination injustifiée, encore accentuée par le traitement inégal réservé à l’Autriche et à la Suisse, tous deux Etats membres neutres du Conseil de l’Europe;

Notant que, en plus de cet aspect de discrimination politique, l’introduction de l’obligation de visa pour les ressortissants autrichiens est contestable au regard du droit international, car l’Accord européen sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe a été également ratifié par la France en 1957 et qu’un deuxième Accord européen relatif à la suppression des visas pour les réfugiés est entré en vigueur en 1959,

Demande au Premier ministre de la République française comment il justifie le traitement inégal de deux Etats membres neutres du Conseil de l’Europe au regard de l’obligation de visa, et quand l’Autriche peut espérer obtenir l’égalité de traitement avec la Suisse par la suppression de l’obligation de visa pour tous les ressortissants autrichiens.»

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

J’ai longuement évoqué ce problème, sachant l’importance que vous-même, le Secrétaire Général, le Président du Comité des Ministres, avec lequel je m’en suis entretenu, y attachez. Je n’ai rien à ajouter si ce n’est, je le dis très franchement, pour m’étonner un peu de certaines réactions qui ne me paraissent pas conformes à l’idée que je me fais de l’ambition du Conseil de l’Europe dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

M. TARSCHYS (Suède)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre réponse mais je ne cache pas qu’elle m’a fort déçu. Tout le monde est d’accord pour prendre des mesures contre le terrorisme, mais des mesures sages et efficaces. Le visa obligatoire, ce n’est pas seulement une question de bureaucratie, de frais, de fiches, de temps perdu dans les consulats français, c’est également une question de psychologie.

En faisant cette fine distinction entre les Danois et les Suédois, les Islandais et les Irlandais, les Suisses et les Autrichiens, vous semblez considérer qu’il y a deux catégories d’Européens: ceux en qui vous avez confiance et les autres dont vous vous méfiez. C’est pourquoi nous nous sentons blessés et humiliés.

Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de l’Europe des libertés. Je me permets de vous demander si cette Europe des libertés inclut également la libre circulation des hommes et l’égalité de traitement des citoyens de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Ne confondons pas les principes et les exigences d’une situation donnée. Croyez-moi, les inconvénients que vous pouvez ressentir de cette situation provisoire sont peu de choses au regard des avantages que nous en tirons sur le plan de la sécurité. Il n’est pas d’usage de faire état des résultats obtenus par la police dans ce domaine, mais je puis vous assurer que cette procédure nous a apporté – ainsi qu’à un certain nombre de pays européens et extra-européens, y compris américain – des avantages non négligeables et qui, à tous égards, sont plus importants que les susceptibilités froissées ou les petits inconvénients matériels provoqués par une institution de visas qui, je le répète, sera aussi courte que possible.

M. LE PRÉSIDENT

M. Blenk étant absent, la parole est à M. Alemyr pour poser une question supplémentaire.

M. ALEMYR (Suède) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je serai bref. Comme vous le savez, l’un des objectifs majeurs du Conseil est de travailler à une plus grande unité de l’Europe et les intérêts de l’individu restent sa principale préoccupation. Vous avez souvent parlé de la nouvelle génération et les jeunes Suédois éprouvent un profond sentiment d’amitié à l’égard de leurs contemporains français.

Or, l’imposition du visa par la France rend plus difficiles et plus coûteux les contacts directs entre les peuples de nos deux pays. J’espère par conséquent, Monsieur le Premier ministre, que les effets profonds et regrettables de la décision française ne vous échappent pas. Je vous demande de lever les restrictions au plus tôt. J’espère que le Gouvernement français est soucieux d’accroître la coopération entre les démocraties de l’Europe. Vous l’avez dit plusieurs fois dans votre discours et je vous crois. J’espère sincèrement que vous œuvrerez en ce sens dans la pratique.

M. HESELE (Autriche) (traduction)

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, au nom de la délégation autrichienne je peux signer tout ce que vous avez dit des nobles intentions du Conseil de l’Europe. Notre pays est un membre actif, y compris dans la lutte contre le terrorisme. Notre ministre de l’Intérieur, avec les ministres qui ont siégé ici, a beaucoup fait, et – vous avez vous-même dit beaucoup de bien de Vienne où se sont tenues la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et la Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse.

Toutefois, Monsieur le Premier ministre, l’établissement de l’obligation de visa pour les Autrichiens répond par une gifle à tout ce que vous avez déclaré ici. Cet établissement entraîne un partage de l’Europe. Il y a les Etats dont les citoyens doivent remplir un formulaire pour venir ici et il y a ceux où ce n’est pas nécessaire.

Dans votre réponse, Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de susceptibilité blessée. Ce n’est pas une susceptibilité blessée, c’est une violation des principes du Conseil de l’Europe. Je vous pose donc la question: l’établissement de l’obligation de visa a-t-il eu des résultats positifs? Vous l’avez indiqué, mais sans pouvoir donner de détails, ce qui est tout naturel. Quand l’Autriche pourra-t-elle espérer la suppression de cette double discrimination: d’une part en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe, d’autre part par rapport à nos amis suisses? Nous ne sommes pas de vos voisins, nous sommes un Etat neutre. Quand pourrons- nous compter sur la suppression de l’obligation de visa pour les citoyens autrichiens?

M. Chirac, Premier ministre de la République française

Première réponse: oui, il y a eu des résultats très positifs, au moins autant pour un certain nombre de pays européens ou extra-européens que pour la France. Deuxième réponse: nous lèverons ces restrictions le plus rapidement possible. Je ne peux pas m’engager sur le délai, mais, dans mon esprit, il s’agit de mois et non d’années. Cette précision s’adresse également à M. Alemyr.

M. LE PRÉSIDENT

Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.

Mes chers collègues, les obligations de M. le Premier ministre nous contraignent à interrompre ses réponses. J’espère qu’il voudra bien répondre par écrit aux questions qui n’ont pas été évoquées en séance plénière et je le remercie par avance.

Monsieur le Premier ministre, l’Assemblée a apprécié la qualité et l’intérêt de votre exposé et je vous remercie d’avoir clairement répondu aux légitimes interrogations de nos collègues.