Esko

Aho

Premier ministre de Finlande

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 24 janvier 1994

Monsieur le Président, je vous remercie infiniment pour vos cordiales paroles de bienvenue. Je me sens tout à la fois honoré et privilégié de pouvoir m’adresser en ce jour à la plus ancienne instance parlementaire de l’Europe.

Ayant été l’un des premiers membres du Parlement finlandais à avoir représenté la Finlande dans cette maison après son adhésion au Conseil de l’Europe – comme vous l’avez rappelé, Monsieur le Président – c’est avec un plaisir personnel tout particulier que je prends aujourd’hui la parole devant l’Assemblée parlementaire.

Je me rappelle encore mon premier voyage d’Helsinki à Strasbourg en mai 1989. Parcourant les journaux dans l’avion, j’avais été frappé par une photo publiée en première page de l’International Herald Tribune. Elle montrait des soldats hongrois cisaillant des fils de fer barbelés sur la ligne-frontière entre la Hongrie et l’Autriche: le démantèlement du rideau de fer avait commencé.

Depuis lors, depuis cet été de 1989, le Conseil de l’Europe a connu un élargissement vers l’Est, embrassant, en moins de quatre années, l’ensemble de l’Europe. Pour les nouvelles démocraties, l’adhésion au Conseil a souvent été la première étape de l’intégration à l’Europe. Pluralisme démocratique, respect des droits de l’homme et principes de la légalité constituent, en effet, les fondements des réformes conduites par les pays en transition.

La Finlande soutient pleinement cette évolution, consciente de l’occasion historique qui nous est aujourd’hui donnée de surmonter les vieilles divisions et de construire, sous le signe de l’unification, une Europe nouvelle.

Parmi les questions dont se préoccupe le Conseil de l’Europe, celle de l’adhésion de la Russie est particulièrement d’actualité. L’orientation que suivra la Russie va – influer sur la destinée de tout le continent. Il est donc essentiel, pour elle comme pour le reste de l’Europe, qu’elle soit pleinement associée à la construction européenne. Il ne faut pas isoler la Russie, ni la laisser s’enfermer.

Nous avons tous commis des erreurs d’appréciation en tentant d’imaginer quelle serait l’évolution de la Russie. Nous avons cru qu’elle serait capable de se transformer du jour au lendemain en une démocratie et une économie de marché performantes. Nous n’avions pas fait suffisamment cas de l’immensité de ce pays ni, surtout, de son histoire et de ses traditions.

Les opinions ont totalement basculé après les élections de décembre. Certains ont pensé que les résultats des élections marqueraient la fin des réformes en Russie. Le succès de forces extrémistes allait, disaient–ils, porter un coup fatal à la politique réformiste. On peut cependant faire une autre lecture des résultats de ces élections. D’abord, il faut voir qu’il s’agissait des premières élections parlementaires libres et régulières du pays. Aucune irrégularité majeure n’a été relevée par les observateurs internationaux. Cela est en soi suffisant pour que ces élections soient considérées comme un événement.

D’autre part, une nouvelle Constitution a été approuvée. C’est un outil dont l’importance dans la poursuite des réformes ne doit pas être sous–estimée.

Mais le succès des forces extrémistes aux élections est–il vraiment une telle surprise? Le peuple russe, confronté à de graves problèmes économiques et sociaux, se trouve dans un état de grande détresse. Que, dans ces conditions, la déception et le mécontentement populaires s’expriment n’est pas un phénomène rare, même à l’Ouest. Devant les urnes, après tout, c’est aussi l’estomac qui parle.

Les Russes, il faut le souligner, ont fait clairement le choix de la démocratie. L’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe serait un pas important dans cette direction. Il faut donc lui permettre de faire ce pas, elle et les autres pays candidats, dès que les conditions qui leur sont imposées auront été remplies. Seule une adhésion au Conseil de l’Europe, en effet, assurera le respect par ces pays des principes défendus par l’Organisation et leur permettra d’accéder à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Pendant la guerre froide, notre conception de la sécurité était dominée par la dimension militaire. Il a été difficile, d’ailleurs, de se libérer du moule d’une Europe divisée en deux blocs militaires.

Dans l’Europe nouvelle, la notion de sécurité revêt une signification beaucoup plus large, qui comprend, à mon sens, quatre dimensions: une dimension militaire, une dimension socio–économique, une dimension écologique et une dimension démocratique.

Encore mouvantes, les structures de la sécurité militaire cherchent leur nouvelle forme. Lorsque les Hongrois ont ouvert la première brèche dans le rideau de fer, aucun système n’est venu se mettre automatiquement en place. Cet événement n’a fait qu’amorcer la construction d’un nouvel ordre sécuritaire sur le continent. Cette tâche n’est pas encore achevée. Il reste beaucoup à faire.

La moitié orientale du continent n’a pas été capable de surmonter les problèmes hérités de la période de guerre froide. Ces pays sont en quête de nouveaux accords de sécurité.

De son côté, l’alliance occidentale recherche les moyens de répondre à cet appel. Le plan de partenariat pour la paix est une traduction concrète de cet effort. Nous pensons que la Finlande peut y apporter sa contribution, surtout dans le domaine du maintien de la paix. Les aspects sociaux et économiques de la sécurité concernent toute l’Europe. La transformation des économies d’Europe centrale et orientale s’est révélée plus longue et beaucoup plus difficile que prévu. Elle représentera un fardeau et une responsabilité pour l’Europe pendant des années encore. Pourtant, aider à cette transformation est un investissement à long terme dont l’Europe occidentale ne peut se dispenser. Et c’est aussi un investissement pour notre sécurité à tous.

La partie occidentale du continent a, elle aussi, sa part de difficultés économiques. Au premier rang de celles–ci vient le chômage, qui atteint le niveau record depuis la guerre de près de 20 millions de personnes. Pour l’individu, les conséquences du chômage à long terme peuvent être dramatiques et c’est toute la société qu’un taux de chômage élevé risque de déstabiliser. Relever ce défi exige une action urgente, à la fois au niveau de chaque pays et au niveau européen.

La troisième dimension de la sécurité, qui est celle de l’écologie, est devenue l’un de nos grands sujets de débat. Chacun reconnaît aujourd’hui que les problèmes d’environnement ne se résoudront qu’au prix d’actions concertées à l’échelle internationale – et à l’échelle européenne.

Enfin, il existe une quatrième dimension de la sécurité, prise dans une acception plus large: la démocratie pluraliste, le respect des droits de l’homme, la prééminence du droit et la tolérance en sont les éléments nécessaires et fondamentaux. La plus grande partie des activités du Conseil de l’Europe s’y rapportent. Dans cette enceinte, on parle souvent de «sécurité démocratique».

Pour aider les nouvelles démocraties, il ne faut négliger aucune de ces quatre dimensions de la sécurité. Un Etat prospère, où règne la démocratie et où les droits de l’homme sont respectés, ne menace ni les autres, ni lui-même. Inversement, toute l’histoire nous prouve que l’oppression, la persécution et la misère font le lit de la guerre et des conflits.

La sécurité démocratique est un objectif élevé. Elle réclame réflexion novatrice et détermination.

Un bon exemple de l’esprit pionnier qui anime le Conseil de l’Europe est l’inclusion de la question féminine dans ses activités: il est significatif que l’Assemblée ait créé un nouvel organe pour travailler sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans d’autres enceintes, mon gouvernement a souligné, à plusieurs reprises, l’importance de prendre en compte le point de vue et l’expérience des femmes lors de toute décision. Nous devons mobiliser l’énergie et les compétences des femmes pour construire notre société.

La protection des minorités nationales est capitale pour la réussite de la nouvelle Europe. Le Conseil de l’Europe et votre Assemblée y ont consacré beaucoup d’attention. La Finlande a énormément fait à cet égard. Les dispositions constitutionnelles – innovatrices et généreuses – adoptées à l’intention de notre population suédophone, l’autonomie accordée aux îles d’Aland et les droits octroyés à notre minorité sami de Laponie parlent d’eux-mêmes. Dans le monde d’aujourd’hui, l’exemple de la Finlande retient l’attention d’une vaste communauté internationale.

Le premier objectif d’un Etat-nation est d’assurer la liberté et le bien–être de ses citoyens. C’est un but légitime; mais, dans un monde d’interdépendance, aucune nation ne peut survivre dans l’isolement. Et cela est d’autant plus vrai que l’Etat est plus petit. L’intégration des économies et la convergence des politiques seront nécessaires pour surmonter nombre des nouveaux défis que j’ai évoqués.

Dans tout ce que nous faisons, ce sont les Européens, hommes et femmes, qui constituent l’élément vital. C’est vers eux et vers leurs enfants que doivent être orientées nos politiques. Une centralisation excessive de la décision ne pourrait qu’indisposer nos concitoyens envers l’idée d’une action commune européenne. La jonction des forces au niveau européen ne doit rien retirer à l’importance des politiques nationales.

Les négociations concernant l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne entrent dans une phase cruciale. Le calendrier est très serré, car nous nous efforçons de conclure ces pourparlers pour le début de mars. Un certain nombre de problèmes critiques restent en suspens, mais je suis convaincu que toutes les parties en cause n’épargneront aucun effort pour les régler en temps voulu et de façon mutuellement satisfaisante.

On m’a souvent demandé de dire quand, selon moi, la Finlande deviendra membre de l’Union européenne. Je pense chaque fois à Jean Sibelius, ce grand compositeur finlandais, dont on raconte qu’il passait beaucoup de temps dans les restaurants d’Helsinki au début du siècle. Une fois qu’il était absent de chez lui depuis plusieurs jours, sa femme désespérée l’appela, lui demandant s’il pouvait au moins provisoirement prévoir quand il rentrerait. «Ma chère, répondit Sibelius, je suis compositeur. Ma vocation est de composer, et non de faire des prévisions.»

Pour moi, notre adhésion à l’Union européenne n’est pas une question de prévision ou de calendrier, mais de substance et de négociation. Pour le peuple finlandais, l’argument décisif sera que nos intérêts fondamentaux soient garantis et notre situation particulière prise en considération, y compris à l’échelle nationale. Si c’est le cas, la Finlande adhérera à l’Union européenne.

J’ai commencé par un souvenir personnel et je voudrais terminer de même.

La coopération européenne a des racines historiques profondes dans le nord de l’Europe. Je m’en suis souvenu à l’occasion d’un récent voyage à Saint–Pétersbourg et à l’ancienne ville carélienne de Viipuri, qui appartenait à la Finlande jusqu’en 1944.

A Viipuri, j’ai visité le château et le parc de Monrepos, construit il y a deux cents ans par Ludwig von Nicolay, ancien professeur de droit international à l’Université de Strasbourg. Il rêvait de construire un magnifique jardin européen dans la région de Viipuri et il a réalisé son rêve.

Monrepos n’est pas l’œuvre de Ludwig von Nicolay, mais celle d’architectes et de paysagistes venus d’Autriche, du Danemark, d’Angleterre, de Finlande, de France, d’Allemagne, d’Italie, de Russie et de Suède; au fil du temps, il est devenu l’un des plus beaux jardins paysagers du nord. En flânant dans le parc de Monrepos, j’ai eu l’impression que, d’une certaine façon, la boucle était bouclée. J’ai ressenti cette vérité historique toute simple: l’Europe est une.

Monsieur le Président, je vous remercie.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie vivement, Monsieur Aho, de votre exposé des plus intéressant et des plus exaltant. Comme vous le savez, un grand nombre de membres de l’Assemblée ont exprimé le souhait de vous poser des questions. Je rappelle aux membres que toutes les questions orales et supplémentaires, s’il y a lieu, ne doivent pas excéder trente secondes. Je rappelle aux membres de l’Assemblée qu’il s’agit de poser des questions et non de prononcer un discours. La parole est à M. König, de l’Autriche, pour la première question.

M. KÖNIG (Autriche) (traduction)

J’ai écouté attentivement votre discours, Monsieur le Premier ministre. Je suis moi-même membre du Parlement autrichien et mon pays est dans la même situation que le vôtre en ce qui concerne les négociations en vue d’une adhésion à l’Union européenne. C’est pourquoi je me permets de vous demander non pas de faire un pronostic, mais de me dire si vous pensez que les pourparlers en cours, dans la mesure où les deux pays satisfont aux conditions requises, pourront être conclus avant le 10 mars pour permettre au Parlement européen actuel de se prononcer sur la question.

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Nous avons un calendrier très ambitieux pour les négociations, si nous voulons les mener à terme avant le début du mois de mars, mais je crois que c’est possible. Ce dont nous avons besoin, c’est de volonté politique des deux côtés de la table des négociations. Deux questions posent problème à la Finlande dans les négociations: la politique régionale et l’agriculture. Comme je l’ai dit, notre but n’est pas de bénéficier de privilèges au cours des négociations, mais d’avoir l’assurance que les objectifs de la politique agricole commune peuvent être atteints dans notre pays. Pour ce faire, nous avons besoin d’accords et d’un système de soutien permanent qui encadre à l’avenir la production agricole nordique. Les négociations tournent actuellement autour de cette question. Je suis optimiste quant à la possibilité de parvenir à un accord. Tout ce dont nous avons besoin, c’est de volonté politique.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur König souhaite–t–il poser une question supplémentaire?

M. KÖNIG (Autriche) (traduction)

Non, je souhaite simplement remercier M. le Premier ministre pour sa clarté.

M. LOPEZ HENARES (Espagne) (traduction)

Je tiens à féliciter M. le Premier ministre de son excellent exposé. Il était naturel que vous évoquiez les négociations relatives à votre adhésion à l’Union européenne. Faut–il en conclure que la Finlande et le Gouvernement finlandais acceptent les conséquences du Traité de Maastricht en matière de sécurité et de défense?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Nous sommes parvenus à un accord sur une politique étrangère et de sécurité commune au cours des négociations, ce qui signifie que la Finlande sera en mesure de participer à la mise en place de cette dimension de la politique de l’Union européenne. Comme je l’ai souligné dans mon exposé, la notion de sécurité revêt une signification beaucoup plus large qu’auparavant. Je suis convaincu que l’Union européenne jouera un rôle fondamental dans l’édification de nouvelles structures de sécurité en Europe en influant sur les quatre dimensions de la sécurité. La Finlande souhaite prendre part à cette édification. Une fois membre de l’Union européenne, elle pourra le faire.

LE PRÉSIDENT (traduction)

M. Lopez Henares souhaite–t–il poser une question supplémentaire?

M. LOPEZ HENARES (Espagne) (traduction)

De toute évidence, le Premier ministre a répondu en termes généraux. Néanmoins, je l’en remercie.

M. RUFFY (Suisse)

Les questions que je souhaite poser recouvrent partiellement celles de M. König et de M. Lopez Henares.

Dans l’opinion publique finlandaise, qui semble un peu partagée sur le sujet de l’adhésion à l’Union européenne, quels sont les types de résistance? Certaines formations politiques en Finlande sont–elles hostiles à cette adhésion? Telle est ma première question.

Ma deuxième question porte sur l’ouverture qui a été faite par le Président Clinton s’adressant aux pays neutres sur un «partenariat pour la paix». Mise à part la défense commune européenne, la Finlande est–elle prête à répondre positivement à la proposition du Président Clinton?

LE PRÉSIDENT (traduction)

M. Ruffy a posé deux questions à la fois, y compris la question supplémentaire. J’espère que, de même, M. Aho répondra aux deux questions à la fois.

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Des sondages récents effectués en Finlande montrent que 41 % de la population est favorable à notre adhésion, 27 % y est opposée et le reste de la population est encore indécis.

A mon avis, les conditions d’adhésion seront déterminantes. Comme je l’affirmais dans mon allocution, la Finlande n’est pas un pays européen comme les autres du fait de sa situation géographique et de son climat. Il est important que nous prenions en considération ces données pour négocier les conditions d’adhésion, car ce sont elles qui influeront sur l’opinion de l’homme de la rue quant à l’adhésion de la Finlande. Certains de nos partis politiques sont totalement opposés à cette adhésion. Au sein des partis globalement favorables à cette adhésion, des voix minoritaires — parfois nombreuses — ne cachent pas leur hostilité à l’adhésion de la Finlande. Le débat entrera dans sa phase finale lorsque les négociations seront terminées et que les conditions de l’adhésion seront connues.

La Finlande est optimiste quant à la possibilité de résoudre les problèmes des pays d’Europe centrale et orientale, et d’assurer leur sécurité grâce au «partenariat pour la paix». Ce plan aura une incidence positive sur la construction de la sécurité en Europe. La Finlande jouit d’une situation particulière. Elle s’appuie sur un système de sécurité non militaire et sans alliance, et nous n’avons besoin d’aucun autre type d’accord de sécurité. En outre, la Finlande a une longue expérience dans le domaine du maintien de la paix. Depuis 1956 — deux ans après ma naissance — la Finlande participe à des opérations de maintien de la paix partout dans le monde. Elle peut donc jouer un rôle de premier plan en matière de maintien de la paix. C’est en ce sens que nous pouvons contribuer au plan de «partenariat pour la paix» en Europe. C’est à ce titre que la Finlande peut jouer un rôle dans un tel partenariat.

M. GÜNER (Turquie) (traduction)

En tant que Premier ministre d’un pays voisin de la Fédération de Russie, quel regard votre gouvernement porte-t-il sur les résultats des élections qui ont eu lieu récemment en Russie et à l’issue desquelles les forces extrémistes semblent avoir renforcé leur position?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Il nous est difficile de nous prononcer sur la question. Je me souviens avoir rencontré un spécialiste finlandais de la politique étrangère en août 1991, peu de temps après le coup d’Etat en Russie, qui m’a dit que seules les personnes mal informées pouvaient prédire ce qui allait se passer en Russie. Cette expérience montre que l’on a toutes les raisons d’éviter de faire des prévisions.

Comme je l’ai dit dans mon exposé, la démocratisation se poursuit. A cet égard, il était essentiel pour la Russie et pour l’avenir de ce pays que des élections libres et démocratiques aient lieu. Ce fut un événement sans précédent en Russie. L’ancienne Constitution soviétique a disparu et une nouvelle Constitution pour l’édification de la démocratie a été établie. C’est pourquoi je crois que le processus de réforme se poursuivra, non sans heurts ni revers, mais je reste optimiste. La Russie a clairement fait le choix de la démocratie et d’une économie de marché.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué le «partenariat pour la paix» et vous avez déclaré que vous pourriez envisager de participer à ce programme dans certaines conditions. Dans quelles conditions précises la Finlande serait-elle disposée à participer?

Quelle est votre position au sujet de l’élargissement de l’Otan? Pensez-vous qu’accepter de nouveaux membres soit la meilleure solution? Ne pensez-vous pas plutôt que l’Europe devrait réfléchir à un autre système de sécurité axé autour de la CSCE ou à un mécanisme autre que l’Otan?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Comme je l’ai déjà dit, il est important que soit créé un nouvel ordre sécuritaire. Or, cela suppose que l’on prenne de nombreuses mesures. Des organisations telles que l’Otan, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et la Conférence de l’Atlantique Nord sur la sécurité en Europe, ainsi que les accords du «partenariat pour la paix» auront un rôle capital à jouer lors de la création de ce nouvel ordre sécuritaire en Europe.

En outre, il importe que nous ne négligions pas les intérêts nationaux. Or, différents intérêts nationaux sont enjeu. Nous avons nos propres intérêts, d’autres pays ont les leurs. La nouvelle structure doit permettre de prendre en compte ces intérêts nationaux divergents. De multiples solutions aux problèmes de la sécurité seront proposées. En ce sens, le «partenariat pour la paix» est un accord constructif, parce qu’il prend en considération les différences entre les pays et permet d’offrir à chaque pays des conditions sur mesure.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. M. Jaskiemia souhaite–t–il poser une autre question?

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Je vous ai également demandé, Monsieur le Premier ministre, si vous estimez que l’élargissement de l’Otan constitue un objectif pour l’Europe? Est-ce là la voie à suivre?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

L’Otan jouera un rôle essentiel dans l’édification d’un système de sécurité en Europe. Lorsque nous en élaborerons les dispositions, nous devrons veiller à ne pas créer de nouvelles frontières en Europe. Ainsi, il convient de prendre des dispositions de telle manière que la Russie ne se retrouve pas isolée — ou tentée de s’isoler. C’est la raison pour laquelle l’élargissement de l’Otan revêt une grande importance. Néanmoins, il ne doit pas entraîner la création de nouvelles frontières.

M. VALLEIX (France)

Monsieur le Premier ministre, vous savez le plaisir que nous éprouvons à vous retrouver dans nos murs.

Votre pays occupe une position stratégique. Nous l’avons vu en 1940 et en 1989. Il a beaucoup souffert de l’éclatement de l’URSS sur le plan économique et sur celui de vos échanges. Comment pensez-vous redresser la situation?

Notre Assemblée, vous le savez, s’est réunie à Tallin pour étudier la coopération dans le secteur baltique. Votre pays peut–il, avec le Conseil nordique, contribuer à la relance de la coopération dans le secteur de la mer Baltique?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Il est vrai que l’effondrement de l’Union Soviétique a eu une grande influence sur notre économie. Pour illustrer mon propos, je vous donnerai deux chiffres: en 1990, nos exportations vers la Russie représentaient 13% des exportations totales de la Finlande, un an plus tard, ce pourcentage ne se situait plus qu’entre 3 % et 4%. Cette chute a eu des répercussions considérables sur l’économie finlandaise. Elle explique en partie nos graves difficultés actuelles et le marasme de notre économie. Aujourd’hui, notre économie remonte la pente et l’on peut dire que le pire est derrière nous. Nous avons pu surmonter les problèmes structurels.

Le rôle de la Finlande dans la région de la mer Baltique est important. La Finlande ainsi que d’autres pays nordiques ont une mission particulière à remplir auprès de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, ces Etats baltes qui ont récemment recouvré leur indépendance. Un seul exemple suffit à démontrer l’importance de la Finlande et des marchés finlandais pour l’Estonie et les autres Etats baltes: à l’heure actuelle, 50% des exportations de l’Estonie sont destinées au marché finlandais. La meilleure façon d’aider ces pays est d’ouvrir des marchés à leurs biens et services.

Nous devons également contribuer à fonder de nouvelles bases pour l’économie des Etats baltes. La Finlande, avec l’aide d’autres pays nordiques, l’a fait, notamment par le biais d’investissements et de systèmes d’aide ainsi qu’en apportant une assistance technique. En ce sens, la Finlande et les autres pays nordiques jouent un rôle essentiel dans cette région d’Europe. Certains délégués présents connaissent mieux la question que moi. Les représentants des Etats baltes sont sans doute en mesure de dire quelques mots à ce sujet.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. M. Valleix souhaite-t-il poser une autre question?

M. VALLEIX (France)

Non, Monsieur le Président, je suis satisfait de la réponse de M. Aho.

LE PRÉSIDENT

Vous parliez de l’Estonie, Monsieur le Premier ministre. C’est au tour de M. Kelam, de l’Estonie, de poser une question.

M. KELAM (Estonie) (traduction)

Habitant à quatre–vingts kilomètres au sud de la capitale finlandaise, je suis préoccupé par certains signes qui tendent à démontrer que des groupes influents en Russie tentent de réaffirmer leur influence sur les Etats indépendants qui, encore récemment, subissaient l’occupation soviétique. A Moscou, le gouvernement a adopté une position quasi officielle, communément appelée la «doctrine des pays étrangers proches», pour justifier son ingérence dans les affaires des Etats baltes et son incapacité à satisfaire pleinement et en temps utile les résolutions du Sommet de la CSCE à Helsinki qui prévoyait le retrait rapide des troupes de l’ancienne armée soviétique stationnées dans les Etats baltes. Quelle est la position du Gouvernement finlandais au sujet de ce concept de «pays étranger proche» élaboré par Moscou? Pouvez-vous envisager, Monsieur le Premier ministre, l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe en tant que membre à part entière sans que celle-ci ait auparavant retiré ses troupes de l’Estonie et de la Lettonie?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Il est fondamental que tous les pays d’Europe soient attachés aux principes et aux dispositions de la CSCE. Le Sommet tenu à Helsinki pendant l’été 1992 a joué un rôle significatif en permettant de trancher la question de la présence des troupes soviétiques dans les Etats baltes. Les décisions qui furent prises à cette occasion ont favorisé le retrait des troupes russes des Etats baltes.

Nous espérons que la Russie, la Lettonie et l’Estonie seront en mesure de parvenir, dans un avenir proche, à un accord, de façon que le retrait des troupes soit achevé avant la fin du mois d’août prochain.

Les relations entre la Russie et les Etats baltes doivent se fonder sur les mêmes principes que ceux qui régissent les relations entre tous les autres pays d’Europe. Ces principes sont énoncés dans le document de la CSCE et tous les pays doivent les respecter.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Vos réponses sont convaincantes, Monsieur le Premier ministre. La plupart des membres de l’Assemblée ne demandent pas à poser de question supplémentaire. La parole est à M. Maruflu.

M. MARUFLU (Turquie) (traduction)

Permettez-moi tout d’abord de remercier M. le Premier ministre de son excellent exposé.

Un des points à l’ordre du jour de l’Assemblée est l’élargissement du Conseil de l’Europe. La demande d’adhésion au Conseil de l’Europe déposée par la Fédération de Russie est une question clé qui devra toujours être prise en considération pour déterminer les coûts d’un élargissement futur de cette Organisation. Les opinions divergent quant à l’adhésion de la Russie. Dans ce contexte, puis–je me permettre de demander à M. le Premier ministre quelle est la position de son pays à cet égard? En outre, quel regard portez-vous, Monsieur le Premier ministre, sur la situation en Bosnie-Herzégovine?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

J’ai déjà eu l’occasion, dans mon discours, de souligner l’importance de l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe dès que les conditions requises seront remplies. Je sais que d’autres candidats sont inscrits sur la liste et il est tout aussi important qu’ils remplissent les conditions pour, eux aussi, devenir membres du Conseil de l’Europe. C’est ainsi, et seulement ainsi, que l’on pourra s’assurer que les principes fondamentaux du Conseil de l’Europe seront appliqués dans les pays d’Europe centrale et orientale.

Je me souviens parfaitement que, lorsque j’ai commencé à travailler ici au sein de l’Assemblée parlementaire au printemps ou à l’été 1989, nous nous demandions quand nous pourrions accepter les pays aujourd’hui membres du Conseil de l’Europe. Nous avions pris la décision d’agir rapidement, ce qui fut une décision importante et positive. Je souhaite qu’il en aille de même à l’avenir.

On m’a demandé quelles étaient les conséquences de la présence des troupes russes en Estonie et en Lettonie sur l’admission de nouveaux membres au Conseil de l’Europe. Je ne peux vous donner une réponse claire et nette, mais il va de soi que la présence de troupes russes, étrangères en Lettonie et en Estonie, a une incidence en la matière.

S’agissant de la Bosnie, il est regrettable que les pays d’Europe et la communauté internationale n’aient pas été en mesure de faire davantage pour enrayer la violence qui fait rage dans l’ex-Yougoslavie. Cette situation constitue un défi majeur pour la communauté internationale. Je ne suis pas à même de vous dire comment résoudre ce problème. Cet après-midi, M. Stoltenberg, qui vient ici pour répondre à vos questions, sera mieux à même que moi de répondre à cette question. Il reste qu’aucune question n’est plus urgente que la situation dans l’ex-Yougoslavie. Ce problème n’est pas uniquement celui de l’ex–Yougoslavie, mais celui de l’Europe tout entière. C’est notre problème à nous tous présents ici.

M. FABRA (Espagne) (interprétation)

a toujours plaisir à entendre M. Aho. La dernière fois, ce fut en mars 1992, lorsque le Premier ministre reçut dans sa résidence d’Helsinki les représentants de la commission des questions économiques et du développement. M. Aho avait alors évoqué la coopération dans la région baltique et M. Fabra serait heureux d’avoir des précisions sur les résultats de l’assistance technique apportée aux trois Etats baltes par la Finlande: l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont- elles pu s’engager dans la voie de l’économie de marché?

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

La question du libre-échange revêt une importance capitale pour les trois Etats baltes. La Finlande a d’ores et déjà conclu des accords de libre-échange avec chacun d’entre eux. Au moment de négocier notre adhésion à l’Union européenne, il était essentiel pour nous que le libre- échange soit préservé. En décembre dernier, nous sommes parvenus à un accord avec l’Union afin que, d’une manière ou d’une autre, nos accords de libre–échange avec les Etats baltes ne soient pas remis en cause. J’espère que la solution qui doit être élaborée se fondera sur un accord entre l’Union européenne et les Etats baltes afin que des accords de libre-échange puissent être conclus. Je sais, de source officielle, que, bientôt, de tels accords seront négociés et signés entre l’Union européenne et ces trois pays. Ils revêtent une importance capitale pour le développement économique de ces pays.

L’assistance des pays d’Europe occidentale, y compris de la Finlande, aux Etats baltes est une question fondamentale. Il est également important que l’Europe occidentale ait une stratégie bien définie pour l’aide à apporter à ces pays, y compris la Russie, qui ont besoin d’un soutien économique.

La Finlande reconnaît que certains secteurs de l’économie revêtent un intérêt particulier pour elle, tels que la production de meubles, la sécurité nucléaire, la production et l’industrie alimentaires, les systèmes de communication et la protection de l’environnement. Je considère que nous avons été en mesure de soutenir au mieux les Etats baltes dans ces secteurs d’activité. Nous entretenons également de bonnes relations de coopération dans ces domaines avec les régions voisines situées en Russie, comme Saint-Pétersbourg, la Carélie et Mourmansk. C’est sur ces domaines d’activité que l’aide des pays d’Europe occidentale et des pays industrialisés à la Russie doit être axée.

Mme PAPANDREOU (Grèce) (traduction)

La question que j’entendais poser a déjà été posée. Je tiens simplement à exprimer mon souhait de voir les négociations entre la Finlande et l’Union européenne conclues avant la fin du mois de mars, date à laquelle la présidence de la Grèce à la Communauté européenne prend fin. Si les négociations se terminent et si le Parlement européen donne son avis à temps, il est absolument indispensable que le référendum ait une issue positive, car l’Union européenne ne peut se permettre un autre référendum négatif. Un tel résultat serait malheureux, non seulement pour la Finlande, mais pour l’Union européenne elle-même.

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Je suis heureux de commenter ces remarques, car je suis également d’avis qu’il n’est pas seulement important d’obtenir des résultats pendant les négociations et de les mener à bien, mais aussi de s’assurer que l’accord pourra être adopté par l’Union européenne et le candidat à l’adhésion. Pour atteindre cet objectif, les conditions d’adhésion doivent permettre à une large majorité de la population finlandaise d’avoir la certitude que notre adhésion à l’Union n’ira pas à l’encontre de nos intérêts nationaux. Comme je l’ai dit, notre situation est particulière du fait de notre spécificité géographique et de notre climat. Si l’on en tient compte, je ne doute pas que la majorité de la population finlandaise veuille adhérer à l’Union. Je suis entièrement d’accord avec Mme Papandreou, cela dépend aussi de la crédibilité de l’Union.

M. HOLTZ (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, je vous remercie de me donner la parole si tardivement.

Monsieur le Premier ministre, mon cher ami Esko Aho, au début de votre remarquable exposé introductif, vous faisiez allusion aux sentiments qui étaient les vôtres lorsque, en 1989, vous effectuiez votre première visite à Strasbourg. Aujourd’hui, Monsieur le Premier ministre, quelle est, à vos yeux, l’importance du rôle que joue le Conseil de l’Europe envers votre pays? D’autre part, si la Finlande devenait membre de l’Union européenne, verrait-elle le même intérêt à continuer de travailler comme par le passé dans le cadre de l’Organisation.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie, Monsieur Holtz. Nous accorderons toute notre attention à la réponse qui va suivre, car M. Holtz a, à mon avis, mis le doigt sur la question clé.

M. Aho, Premier ministre de Finlande (traduction)

Je dois donc être très prudent, Monsieur le Président. Dans mon discours, j’ai parlé avec enthousiasme de l’égalité entre les hommes et les femmes, mais la Finlande connaît actuellement des jours difficiles. Nous aurons bientôt une femme président, une présidente de l’Assemblée au Parlement, et le gouverneur de la Banque de Finlande est d’ores et déjà une femme, je dois donc être très prudent dans ma réponse, car les principes adoptés ont une incidence sur la réalité.

L’adhésion de la Finlande au Conseil de l’Europe fut une étape déterminante de sa politique axée sur l’intégration européenne. Elle représentait le premier signe des mutations qui avaient pris place en Europe — mutations qui avaient commencé dès le milieu des années 80. Quel était le rôle de la Finlande? Son rôle essentiel était d’œuvrer en faveur de l’élargissement du Conseil de l’Europe.

Les membres de l’Assemblée prêtaient une oreille attentive aux premiers représentants finlandais en qui ils voyaient des experts. En effet, nombreux étaient ceux qui pensaient que les parlementaires finlandais détenaient des informations exclusives sur la Russie et le reste de l’Europe de l’Est. A ce titre, je pense que, dès le début, la Finlande a joué un rôle significatif au sein du Conseil de l’Europe. L’égalité entre les hommes et les femmes est un bon exemple de cette influence positive, tout comme notre façon de procéder avec nos minorités nationales. Comme je l’ai dit, la communauté internationale nous accorde, depuis lors, une plus grande attention. Aujourd’hui, des délégations de différentes régions du monde viennent en Finlande et se sont rendues dans les îles Aland pour examiner la façon dont les dispositions constitutionnelles établies par les Finlandais sont appliquées sur le terrain. Dans ce domaine aussi, la Finlande a un rôle à jouer et peut contribuer à résoudre une question difficile qui se pose aujourd’hui dans le monde.

Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus, mais j’estime que, historiquement, la décision de la Finlande d’adhérer au Conseil de l’Europe était l’une des plus importantes que nous ayons prise.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous exprime mes très vifs remerciements, Monsieur Aho. Vos interventions étaient de qualité. Voyez d’ailleurs à quel point les membres de cette Assemblée ont apprécié vos observations. En réalité, la Finlande a si bien su régler la question de sa minorité nationale que j’espère que la société finlandaise ne sera pas confrontée à l’émergence d’une minorité homme ou femme, ce qui pourrait devenir un sujet de préoccupation si certaines tendances devaient se prolonger trop longtemps.

S’agissant de votre adhésion à l’Union européenne, certains pays représentés dans notre Assemblée, une fois devenus membres de l’Union, ont parfois eu le sentiment de s’être remariés et de pouvoir divorcer et quitter leurs anciens partenaires avec lesquels ils avaient été en relation pendant de nombreuses années — notamment leurs partenaires du Conseil de l’Europe. Nous espérons que la Finlande, comme de nombreux autres pays, comprendra qu’elle peut être à la fois membre de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, et qu’il s’agit d’un seul et même mariage. Nombre de nos Etats membres ne l’ont pas compris.

Mes vœux de réussite vous accompagnent, Monsieur Aho, et que votre pays et votre peuple aient le succès qu’ils méritent. Je vous remercie.