Flavio

Cotti

Président de la Confédération suisse

Discours prononcé devant l'Assemblée

vendredi, 20 septembre 1991

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, cette année, c’est à la Confédération suisse que votre Assemblée a choisi de faire révérence et c’est à son Président que revient l’honneur de s’adresser à vous en cette séance solennelle. Je constate avec émotion que cet honneur lui revient pour la première fois dans l’Histoire du Conseil de l’Europe. Je vous remercie pour le privilège qui m’échoit aujourd’hui, mais aussi et surtout pour la chance exceptionnelle offerte à la Suisse de faire entendre sa voix dans le concert des nations de l’Europe.

Ma présence veut être avant tout un témoignage de reconnaissance que la Suisse adresse au Conseil de l’Europe pour l’engagement extraordinaire qu’il a manifesté depuis plus de quarante ans au service de l’unité européenne et de la promotion en Europe des droits de l’homme, de la démocratie et de toute une série d’autres valeurs essentielles. Permettez-moi, Madame Catherine Lalumière, de vous adresser l’expression de la reconnaissance particulière de mon pays pour le travail remarquable que vous accomplissez avec tant de force et de clairvoyance à la tête du Secrétariat Général de notre grande et ancienne institution européenne. Je tiens aussi à exprimer ma joie à l’idée que les pays Baltes, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, participeront pleinement à vos travaux dans un proche avenir. J’aimerais saluer tout spécialement les représentants de ces pays ainsi que la délégation d’une Union Soviétique renouvelée, témoins émouvants des grandes mutations que nous vivons actuellement.

Voici donc le Président de la Confédération suisse ici, à Strasbourg. N’est-ce pas un paradoxe? Votre attention se porte à quelques dizaines de lieues seulement en amont d’ici sur le Rhin, vers un pays prospère et paisible, alors que les pensées, les espoirs et les craintes de tous les Européens suivent d’autres fleuves de notre continent, bien plus à l’Est. Les bouleversements qui nous tiennent en haleine depuis plus de deux ans, la moitié de l’Europe renversant les structures issues de la plus grande hypocrisie de l’Histoire et même les frontières héritées et longtemps acceptées, tout cela ne suggérerait-il pas un autre message que le mien?

(M. Cotti poursuit en allemand.) Votre sagesse en a jugé autrement. Vous avez voulu célébrer, avec la Suisse, le 700e anniversaire de l’alliance que conclurent, en août 1291, trois communautés montagnardes afin de faire face à «la malice des temps». Cette alliance, s’élargissant peu à peu, devait fonder un pays et bien plus tard, en 1848, un Etat fédéral. Sept cents ans d’existence, au cœur de l’Europe: vous rendez hommage à une longue expérience de stabilité qu’il n’est certes pas inutile d’évoquer aujourd’hui.

Vous rendez hommage à sept cents ans de présence active en Europe. Car ni notre indépendance ni plus tard notre neutralité n’ont jamais signifié la séparation d’avec les affaires de ce continent. Vous rendez un hommage à la convivialité dans un même et petit pays de quatre langues, trois grandes civilisations d’Europe, deux grandes confessions chrétiennes, et au respect confiant et mis en pratique par des minorités au sein d’une même nation. Que ce respect se traduise dans les faits, c’est un Président de la Confédération ressortissant de la petite minorité italienne qui vous le confirme.

Nous sommes très sensibles à votre démonstration d’amitié, à votre reconnaissance du témoignage de notre Histoire. Nous y sommes d’autant plus sensibles que nous en avons besoin. Car l’anniversaire que nous fêtons n’est pas empreint de toute la sérénité ni de toute la confiance en l’avenir que nous pouvions souhaiter. D’abord parce que la Suisse doit affronter, avec tous les peuples d’Europe et du monde entier, nos redoutables problèmes de société: environnement gravement affecté, charge croissante des infrastructures, drogue, sida, et cette confusion des valeurs qui déconcerte les uns ou perturbe les autres. L’esprit de consensus lui-même et de participation, sur lequel repose toute notre culture politique, se voit érodé par l’égoïsme des intérêts particuliers.

(M. Cotti poursuit en français.) Mais surtout, notre anniversaire coïncide avec une interrogation fondamentale et de grandes décisions que nous devrons prendre. Une interrogation et des décisions auxquelles notre Histoire récente, empreinte d’un isolement tantôt légitime et tantôt injustifié, et encore le confort et une certaine routine, nous a mal préparés: quelle place la Suisse doit-elle et peut- elle occuper dans l’Europe de demain?

La question est loin d’être simple.

Elle n’est pas simple parce qu’elle est posée en termes différents par les Suisses et par leurs partenaires. Les Suisses sont certainement ouverts à une participation large et active à une Europe rassemblée dans la paix, la démocratie et le rayonnement de sa grande civilisation. Ils sont en même temps jaloux de leur dignité de citoyens appelés, vous le savez, à dire leur dernier mot sur les grandes et les petites questions posées à la nation, jaloux des traditions qu’ils ont mis sept siècles à créer et dont ils ne veulent ni ne peuvent se défaire d’un trait de plume.

Mais il faut toujours rappeler aux Suisses que la disponibilité de principe, dont je parlerai, à assumer davantage de responsabilités européennes suppose une réelle volonté d’harmonisation et donc parfois d’abandon de certains éléments de leur héritage commun, pour vénérable que cet héritage leur apparaisse.

Trouver l’équilibre entre ces deux exigences: la participation, même au niveau des institutions et la sauvegarde de la diversité, voilà ce que j’appellerais l’œuvre d’art politique que notre génération devra accomplir. Je dis bien œuvre d’une génération parce que le processus de l’unité européenne ne se jouera certainement pas en quelques mois, quoi qu’en disent les esprits impatients, nombreux en Suisse comme en Europe.

Quant aux partenaires européens, ils sont forts, à juste titre, des progrès accomplis sur la voie de l’unité européenne, surtout grâce au Traité de Rome de 1957. Ils sont fiers d’avoir bouleversé un millénaire finissant débordant de guerres, de conflits; d’avoir finalement décidé de s’unir, dans la paix, la démocratie et le respect des droits de l’homme; d’avoir établi la confiance et la solidarité entre les ennemis de toujours. Puissent ces succès remarquables ne pas les porter à préjuger de la place que doivent venir occuper la Suisse et les autres, les nouveaux pays!

L’Europe de demain se fera, Mesdames et Messieurs, dans le dialogue confiant, dans la conciliation des ambitions et des intérêts en jeu et, surtout, dans l’égalité, malgré la puissance certainement inégale.

La solution n’est pas évidente parce qu’elle suppose une réponse à cette question: de quelle Europe, désormais, s’agit-il?

Une géométrie apparemment simple et sûre, dans sa tragique rigidité, il y a trois ans encore, s’est subitement brouillée. Un brouillage auquel nous n’osions guère croire, et dont bien sûr nous nous réjouissons tous.

Les pays de l’Europe de l’Est ont recouvré leur indépendance et la dignité nationale, l’Allemagne s’est réunie spontanément, tous ont reconnu les vertus d’une Europe effectivement libérale. L’Union Soviétique elle-même s’est affranchie de l’ancien système totalitaire. Hommage doit être rendu, pour cela, à la clairvoyance et à la persévérance du Président Gorbatchev qui m’a précédé à cette tribune: sans ces qualités les bouleversements historiques dont nous avons été les témoins n’auraient vraiment pas pu se produire.

Mais la géométrie brouillée de l’Europe a aussi ses effets pervers. La liberté retrouvée, mais dans la misère prolongée, réveille les instincts d’intolérance vis-à-vis des minorités, les vieux réflexes ethno-nationalistes, les querelles de frontières et autres drames que l’on croyait relégués dans les manuels d’histoire.

L’ordre totalitaire fait place, en Yougoslavie et ailleurs, au désordre des émotions incontrôlées.

Rassurantes ou angoissantes, ces réalités nouvelles concernent très directement aussi la Suisse et la perception, de la part de son peuple, de sa vocation et de sa responsabilité européenne.

Permettez-moi une analyse de cette perception qui ne prétend pas à l’exactitude totale.

Mes compatriotes perçoivent en effet l’Europe par cercles concentriques, un peu comme ces poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres. L’Europe, d’après eux, est d’abord à nos frontières, toujours proches. Elle est ces plaines et ces grandes villes que nous atteignons en quelques minutes. Nous participons de la grande culture et de la créativité des pays voisins. De part et d’autre des frontières, nous avons institué des échanges et bâti des espaces de coopération régionale qui, dans l’Europe future, représenteront un élément certain entre les Etats et l’édifice continental à dessiner.

Pour les Suisses, l’Europe est dans un deuxième temps celle de la Communauté des Douze, avec laquelle, sans en faire encore formellement partie, nous nous sentons et nous nous savons en «communauté», communauté de nos économies, de nos industries, et communauté de services, communauté aussi de nos sensibilités, identité de civilisation. Au collège de l’Europe de Bruges, dans quelques jours, j’aurai l’occasion d’évoquer ce grand rôle moteur assumé par la Communauté européenne.

Mais la raison comme le cœur unissent les Suisses à votre Europe, qui est aussi la nôtre: j’entends celle du Conseil de l’Europe; à celle-ci, nous appartenons déjà pleinement. Nous y voyons le cadre naturel pour assumer globalement nos responsabilités d’Européens. C’est pourquoi nous souhaitons un double élargissement du Conseil de l’Europe. Celui de son espace, afin qu’il corresponde – cela est enfin possible – à l’Europe géographique, de l’Atlantique à l’Oural, et celui de son service.

Notre Conseil de l’Europe, forum d’accueil indispensable et d’intégration rapide des nouvelles démocraties: quelle fascinante réalité! Et qui sait, la future géométrie continentale – qui est loin d’être dessinée et qui sera peut-être moins monolithique que certains ne l’imaginent – pourrait attribuer au Conseil de l’Europe des fonctions élargies. Je n’ai quant à moi aucun doute: dans les prochaines années, le Conseil de l’Europe sera particulièrement sollicité. Il représentera en tout cas un forum privilégié et le laboratoire des idées, des visions et des perspectives du long processus d’unification européenne.

La Suisse souhaite que ce rôle politique se renforce au sein du Conseil de l’Europe: ce rôle politique doit reprendre la dimension du passé. On doit redonner la prééminence au débat politique et à l’évaluation en commun des grandes questions qui intéressent l’ensemble de notre continent.

Voilà le rôle fondamental qui se dessine pour le Conseil de l’Europe. Tout cela requiert des moyens institutionnels et culturels autant que des moyens économiques et financiers. La Suisse entend y contribuer selon ses ressources. Elle s’en fait même un devoir et un honneur. Parce que, vous l’avez compris, la parenté entre la Suisse et l’Europe est si étroite qu’elle n’a pas à être expliquée.

La Suisse pourrait être, au fond, la fille de l’Europe, la fille de l’Histoire européenne!

La Suisse est la fille de la politique européenne tant il est vrai que son statut a été, de façon répétée, sanctionné par l’Europe réunie dans les siècles à différents titres, pour trouver son achèvement au Congrès de Vienne qui a reconnu la neutralité de mon pays.

La Suisse, fille économique de l’Europe de par sa coloration, de par le Saint-Gothard qui représente la liaison la plus étroite et la plus directe du nord au sud de l’Europe.

Permettez-moi surtout de souligner que la Suisse est fille des cultures de l’Europe. Je le répète: trois d’entre elles s’y rencontrent, s’y heurtent parfois mais, le plus souvent, s’y fécondent non point dans l’uniformité mais dans l’échange et l’élan créateur.

Plus qu’économique, plus que politique, la confrontation des cultures a forgé cette tolérance. Aujourd’hui, elle la soutient. Je la considère comme l’une des caractéristiques essentielles de mon pays. Nul n’ignore la tolérance des Suisses, leur curiosité, leur respect envers les minorités.

Ce rapport de filiation incite sans doute nombre de nos compatriotes à considérer leur pays comme une sorte de nombril de l’Europe. Il s’agit donc de ce que nous appelons un Sonderfall à l’intérieur de l’ensemble du continent: «Sonderfall», car exception.

Cette attitude, certes compréhensible en temps de guerre ou en période de dictature, serait aujourd’hui plus qu’une aberration, une fuite devant nos responsabilités, une façon de récuser l’Europe sans le dire, sans oser la regarder en face. Nous le savons, Mesdames et Messieurs: les autruches ont toujours tort. Il n’y a pas plus de Sonderfall en Suisse que dans aucun autre pays, pas de Sonderfall sauf sur un point qui constitue à la fois notre force et notre fragilité.

La Suisse est en effet une «nation de volonté», selon la belle et très juste expression de Denis de Rougemont. En d’autres termes, notre pays ne s’est pas constitué à l’image de nombreuses autres nations sur l’évidence d’un espace géographiquement défini, sur la base d’une communauté de langues et de culture ni autour d’un pouvoir central rassembleur des terres et des gens. La Suisse n’a de réalité que dans la volonté de ses citoyennes et de ses citoyens de former, ensemble, une nation de différences.

C’est sa force, je le répète, dans la mesure où la nation n’existe que dans la conscience des Suisses, au-delà des forces naturelles. Mais c’est aussi sa fragilité car cette conscience pourrait se dissiper et la volonté s’émousser.

Tel est bien, aujourd’hui, le risque que court la Suisse. Nos volontés ont certainement besoin d’être raffermies. C’est dans le défi amical ou dans l’appel que l’Europe lance à la Suisse que je vois notre meilleure chance. La Suisse sera fière d’accomplir sa vocation européenne. Elle y retrouvera l’intégralité de son identité multiforme mise en doute par quelques-uns dans un moment de fatigue. L’Europe aidera la Suisse en l’accueillant, en la respectant et en la sollicitant. Certes, isolée dans sa tour d’ivoire, méconnue de ses partenaires, la Suisse risquait la désintégration morale plus encore que politique. Quel malheur pour les héritiers d’une histoire vieille de sept cents ans!

Cette désintégration constituerait aussi, selon moi, un grand dommage pour l’Europe tout entière. Pour cette Europe, en effet, l’enjeu n’est pas différent de celui qui marqua la longue épopée suisse. L’Europe sera, dans la diversité, consciente et respectée – diversité également synonyme de force et de fragilité – ou elle ne sera pas. Or, nous voulons que l’Europe soit! (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur le Président, pour ce discours aussi élégant qu’intéressant, et que, j’en suis sûr, tous les membres de l’Assemblée ont écouté avec beaucoup d’attention. Vous avez bien voulu accepter de répondre à quelques questions, et je rappelle aux membres de l’Assemblée qu’ils n’ont qu’une demi-minute pour poser leur question.

M. DIAZ de MERA (Espagne) (interprétation)

s’étonne qu’un pays comme la Suisse qui accueille tant d’organisations internationales et qui donne depuis sept siècles l’exemple d’une association volontaire et démocratique ne soit pas membre des Nations Unies. La Confédération helvétique envisage-t-elle de revoir sa position et de demander à adhérer à l’Organisation des Nations Unies si celle-ci se rénove en profondeur?

M. Cotti, Président de la Confédération suisse (traduction)

Je vous remercie de cette question, et en particulier des paroles généreuses que vous avez bien voulu prononcer à l’égard de mon pays.

Je puis résumer votre question ainsi: s’agissant des rapports de la Suisse avec les Nations Unies, pourquoi ce pays, siège de très nombreuses organisations internationales, ne tire-t-il pas les conséquences de sa vocation universelle traditionnelle?

Vous savez bien que, vers le milieu des années 80, le Gouvernement et le Parlement suisses ont soumis au peuple un projet de pleine adhésion aux Nations Unies, et vous savez aussi que la décision finale en cette matière comme dans d’autres est prise par le peuple qui s’exprime souverainement par la voie des urnes. Le résultat du vote populaire de 1986 a été très net, même s’il a profondément déçu tous ceux qui espéraient cette adhésion.

Je dois dire cependant que tant durant les années qui ont précédé le vote populaire que plus récemment, la Suisse a utilisé tous les instruments en sa possession pour élargir et pour intensifier sa collaboration avec l’Organisation des Nations Unies. La Suisse ne fait pas seulement partie de toutes les organisations collatérales; la Suisse prête, en pleine connaissance de cause – nous l’avons vu récemment à l’occasion d’un grave conflit – ses bons offices, avec les Nations Unies et surtout son Secrétaire général.

Reste la question formelle, qui est importante. Chez nous, la coutume veut que lorsque le peuple a répondu à une question par la négative on attende un certain temps avant de l’interroger à nouveau.

En ce moment, la priorité du gouvernement fédéral est donc le rapprochement avec l’Europe.

Sir Geoffrey FINSBERG (Royaume-Uni) (traduction)

Comme vous le savez, le Conseil de l’Europe estime être idéalement qualifié pour devenir l’assemblée démocratique de l’Europe, au fur et à mesure que la démocratie y fera son chemin. La Suisse est-elle d’accord avec cette idée, ou adhère-t- elle plutôt à certaines propositions un tant soit peu brumeuses émises en d’autres lieux?

M. Cotti, Président de la Confédération suisse (traduction)

Comme j’ai essayé de l’expliquer dans mon introduction, nous considérons que l’Assemblée devrait bientôt devenir le lieu de réunion de tous les peuples d’Europe, de l’Atlantique à l’Oural. Je pense que cela devrait être facile et j’espère voir cette idée bientôt concrétisée.

M. TARSCHYS (Suède)

Monsieur le Président, je vous félicite pour votre excellent discours.

Ma question est la suivante: quelle est l’attitude actuelle du Gouvernement helvétique à l’égard de l’adhésion de la Suisse à la Communauté européenne?

M. Cotti, Président de la Confédération suisse

Faisons le point de la situation quant à ce problème.

Au début des négociations concernant un espace économique européen – négociations toujours en cours et à propos desquelles, quelle que soit leur issue, je peux dire qu’elles ont été pour mon pays d’une utilité extraordinaire, la voie de Bruxelles ayant été trouvée de manière systématique au niveau d’une négociation globale – le conseil fédéral considérait l’hypothèse d’un espace économique comme une solution alternative valable, à courte ou moyenne échéance, à l’adhésion pure et simple à la Communauté.

J’ai l’impression que l’évolution des négociations se porte désormais vers une vision plus nuancée de la signification de l’espace économique. Les négociations ne sont pas terminées. Il serait prématuré de porter un jugement avec des conclusions.

Donc, le conseil fédéral, au cours du mois de mai de cette année, a signifié que l’hypothèse d’une adhésion à la Communauté avait une importance tout à fait prioritaire.

Nous sommes en train de réexaminer le rapport, remontant à deux ans, qui préconisait plutôt un espace économique. Nous voulons voir d’une manière définitive les raisons, les possibilités, les chances d’une adhésion à la Communauté. La décision du conseil fédéral ne va certainement pas tarder. Bien sûr, il faudra attendre la conclusion des négociations sur l’espace économique.

Je rappelle un point que vous connaissez: dans ce domaine le dernier mot appartient au peuple souverain. L’une des tâches essentielles de la classe politique de ma génération consiste à instaurer un dialogue fructueux et constructif avec l’opinion publique afin que cette direction établie comme définitive vers l’Europe puisse être rapidement assumée par cette même opinion publique.

Je vous indique que le conseil fédéral exclut, de manière absolue, la poursuite sur la voie de l’isolement de la Suisse dans l’Europe. Il demande une participation institutionnelle. Je vous ai rapporté les études en cours et les décisions du conseil fédéral ne tarderont pas.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Je crois qu’il y a encore trois questions sur le même sujet. Je demanderai aux trois parlementaires concernés de poser leur question et je donnerai la parole à M. Cotti pour y répondre.

M. JESSEL (Royaume-Uni) (traduction)

Dans son discours très stimulant, le Président de la Confédération suisse a évoqué les menaces qui pèsent sur l’environnement. On peut se demander s’il convient d’autoriser les poids lourds en transit à traverser avec fracas les magnifiques vallées de la Suisse. Les Alpes sont l’une des plus belles régions du monde et si nous ne prenons pas de mesures pour sauver notre patrimoine européen, les générations futures nous maudiront, à juste titre. Dans ce contexte, le Président Cotti peut-il dire s’il est vrai que la Communauté européenne a fait pression sur la Suisse pour qu’elle permette à ces hordes de poids lourds de traverser le pays? Sait-il que nous sommes nombreux à espérer que la Suisse résistera et refusera de se laisser intimider, et que nous admirons énormément la position qu’elle est en train de prendre?

M. HARDY (Royaume-Uni) (traduction)

Je voudrais poser la même question, en partie parce que je suis l’un des responsables du groupe parlementaire anglo-suisse en Grande-Bretagne.

Cela ne fait pas très longtemps que je suis président de la commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des pouvoirs locaux, mais déjà, à plusieurs reprises, j’ai pu entendre des représentants des régions alpines nous faire partager leur inquiétude devant l’asphyxie provoquée dans ces régions par le transport routier sur l’axe Nord-Sud. Il faut bien comprendre que la croissance de ce trafic risque d’entraîner une dégradation complète de l’environnement. Tout comme M. Jessel, nous en sommes venus à nous dire que la Commission des Communautés européennes n’accordait pas à la Suisse autant de considération qu’elle le ferait pour un membre de la Communauté. Nous craignons vivement qu’on ne prenne pas suffisamment vite les mesures qui feront assurer par le rail plutôt que par la route l’expansion du trafic Nord-Sud en Europe. Pourtant, faute de cela, la situation deviendra de plus en plus intolérable dans les régions alpines, en particulier en Suisse.

M. VALLEIX (France)

Il ne sera pas dit que seuls nos amis anglais auront traité du thème européen. Permettez-moi donc, Monsieur le Président, en tant que président de la commission des questions économiques et du développement, d’appeler votre attention sur le point qui me paraît essentiel: la Confédération envisage-t-elle des initiatives dont le but serait de nous aider à résoudre un problème centre-européen, mais dans l’intérêt des populations suisses, et spécialement dans le respect de leur environnement? Ces initiatives ne pourraient-elles pas prendre la forme de meilleures coordinations entre rail et route, c’est-à-dire pour chaque mode de transport, mais aussi pour la combinaison entre eux?

Votre pays ne pourrait-il pas nous aider à relancer ce problème et à dégager les bonnes solutions?

M. Cotti, Président de la Confédération suisse

Je vous remercie vivement de ces questions qui concernent l’un des points cruciaux des négociations en cours entre les pays alpins, la Suisse en particulier, et les Communautés européennes dans le cadre des transports.

Vous savez que les négociations en cours sont très dures, parce que les légitimes intérêts en jeu sont importants et difficiles à concilier.

D’un côté, il est indéniable que la Suisse a traditionnellement une fonction de liaison. Ainsi le pont du Diable, au nord du Gothard, a été réalisé au Moyen Age pour permettre la liaison directe entre nord et sud. Cette vocation de liaison, la Suisse l’a assumée de manière intégrale tout au long des siècles, à tel point qu’au milieu du siècle dernier mon pays a réalisé le tunnel ferroviaire du Gothard qui a ouvert de manière extraordinaire le commerce et le trafic entre les pays de la Méditerranée, l’Italie en particulier et le nord de l’Europe.

L’exigence économique des transports est indiscutable. Elle est réelle et la Suisse comprend bien la Communauté et les pays européens qui lui demandent un service concret qu’elle seule, peut-être avec l’Autriche, peut assurer en raison de sa situation géographique.

D’un autre côté prévaut l’intérêt environnemental. Vous savez peut-être que j’ai, entre autres, la responsabilité de la politique de l’environnement de la Suisse au sein du département fédéral de l’Intérieur. Je peux donc vous assurer que nous prenons sérieusement en compte cet aspect du problème. On nous reproche parfois de le surestimer à l’intérieur de notre pays, mais je ne crois pas que l’on puisse prendre trop au sérieux la politique de l’environnement.

L’exigence de respecter les valeurs qui sont représentées par les Alpes – moins les valeurs de pollution d’air ou d’émissions de bruits, mais les valeurs de paysages, de cultures absolument extraordinaires – est absolument prioritaire pour mon pays. Je suis par conséquent certain de pouvoir compter sur la compréhension de ceux qui avancent des hypothèses sous l’angle de l’autre intérêt légitime.

La grande question à se poser est certainement celle de l’évolution stratégique du trafic et de la répartition de ce trafic entre route et rail.

L’option de la Suisse est nettement favorable au rail à tel point, Mesdames, Messieurs – M. le Président de notre Chambre du Parlement du conseil national, M. Premi, peut le confirmer– qu’une grande discussion est en cours au Parlement sur des crédits, qui dépassent les vingt milliards de francs, que la Suisse veut investir dans la réalisation de nouvelles infrastructures ferroviaires. Il s’agit en particulier de deux tunnels alpins très longs – les plus longs du monde – qui permettront de réaliser un rapprochement très net entre le nord et le sud et une traversée très rapide de la Suisse.

La Suisse, permettez-moi de le souligner, considère un tel investissement comme un service rendu à l’Europe et la discussion en cours au sein du conseil des Etats témoigne de cette volonté.

Une nouvelle fois, ce sera au peuple suisse de décider de la besogne, je suis sûr qu’il sera capable d’un esprit de solidarité tout en étant respectueux de l’environnement.

La grande question est celle de la période intermédiaire car ces tunnels ne vont pas être réalisés du jour au lendemain. Nous avons cependant bon espoir que les négociations en cours parviendront aux conclusions souhaitables.

Dans le cadre des discussions entre les pays alpins et les Communautés européennes, cet élément est particulièrement ressenti et les négociations à son sujet sont particulièrement tendues. C’est bien qu’il en soit ainsi parce que l’enjeu est effectivement très important.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Les trois dernières questions illustrent deux faits: premièrement, notre grande dépendance mutuelle – les problèmes de l’Europe sont des problèmes partagés et ils ne peuvent être résolus par un seul pays; deuxièmement, la position centrale qu’occupe la Suisse en Europe. La Suisse est au cœur de l’Europe, et nous sommes convaincus qu’elle doit continuer à jouer un rôle actif dans les affaires européennes.

Nous vous savons gré, Monsieur Cotti, du soutien que vous avez apporté au Conseil de l’Europe. Il serait fort dommage que les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale ne puissent bénéficier de votre longue expérience de gestion des problèmes que j’ai évoqués en vous souhaitant la bienvenue. Pendant des siècles, la Suisse a prouvé qu’il était possible de résoudre les problèmes les plus compliqués. En parlant aujourd’hui dans quatre langues, vous nous avez montré l’exemple. Je vous remercie, au nom de l’Assemblée, d’être venu et d’avoir prononcé un excellent discours, et je vous remercie aussi de la bonne volonté que vous avez témoignée en répondant à nos questions.