Recep Tayyip

Erdoğan

Premier ministre de Turquie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 6 octobre 2004

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Messieurs les parlementaires, c’est pour moi un privilège que de m’adresser à cet auditoire éminent, constitué de la plus ancienne Assemblée parlementaire des nations européennes, à un moment qui revêt une importance particulière pour le destin européen de la Turquie.

Nous sommes fiers d’avoir été parmi les membres fondateurs d’une Organisation qui, en 1949, a établi les bases de cette maison européenne commune où prévalent les idéaux de la démocratie pluraliste, de la primauté du droit et du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Conseil de l’Europe a élargi son horizon, parallèlement aux grandes transformations qu’a connues notre continent. Il représente aujourd’hui la convergence d’environ 800 millions de citoyens européens autour des valeurs démocratiques et des normes juridiques. Nous adressons des souhaits chaleureux de bienvenue à notre membre le plus récent et nous félicitons vivement Monaco à cette occasion.

Il y a lieu de redéfinir la place et le rôle du Conseil, en tant que forum paneuropéen, dans la nouvelle architecture de notre région du monde.

A cet égard, l’acquis important que le Conseil a accumulé depuis cinquante ans par le biais de nombreux instruments européens couvrant des domaines multiples constitue une ressource essentielle pour d’autres institutions européennes.

Dans ce contexte, nous sommes favorables à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme, à la Convention culturelle européenne et à la Charte sociale européenne révisée. Le 3e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe, qui doit se tenir en mai prochain à Varsovie, offrira opportunément l’occasion de donner des orientations, en particulier à la suite de l’élargissement de l’Union européenne, sur le rôle futur du Conseil dans la nouvelle architecture européenne.

Monsieur le Président, les normes du Conseil de l’Europe, énoncées dans plus de 190 conventions, sont un élément de référence primordial pour la Turquie. L’adoption des normes européennes dans la législation turque se poursuit à ce jour et a été l’une des grandes composantes du processus de réforme en cours dans notre pays. En fait, ce matin même, la Turquie a déposé auprès du Secrétaire Général les instruments de ratification de trois conventions européennes supplémentaires et en a signé deux nouvelles.

Monsieur le Président, peu après que le Parti de la justice et du développement est entré en fonction en Turquie, en janvier 2003, notre actuel Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères a pris la parole devant cette Assemblée en qualité de Premier ministre et a indiqué les réformes auxquelles nous nous engagions. Malgré la brève période qui s’est écoulée depuis lors, je suis heureux de pouvoir déclarer que ces engagements sont déjà remplis dans leur quasi-totalité.

J’aimerais me référer brièvement à certaines de ces réformes d’ensemble. Nous avons aboli la peine de mort et l’avons éliminée de notre droit. Nous arriverons prochainement au terme des procédures de ratification du Protocole no 13 à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Nous avons dissout les cours de sûreté de l’Etat.

Nous avons adopté et appliqué effectivement une politique de «tolérance zéro» à l’égard de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, comme le montrent les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture.

Nous avons mis les relations entre les organes civils et militaires en conformité avec les normes démocratiques.

Nous avons adopté des dispositions en vue de promouvoir l’égalité des sexes et nous en avons fait, pour la première fois, un principe garanti dans la Constitution.

Nous avons permis la radiodiffusion et l’apprentissage des langues et des dialectes traditionnellement employés par les ressortissants turcs dans leur vie quotidienne.

Nous avons adopté une loi stipulant des compensations pour les pertes subies par les victimes du terrorisme qui a affligé la société turque au cours des années 1980 et 1990.

Les vastes réformes législatives que nous avons promulguées et les mesures que nous avons prises pour en diligenter l’application uniforme ont été qualifiées de «révolution silencieuse» par la Commission indépendante sur la Turquie, composée d’hommes politiques européens de premier plan, dans son rapport publié le mois dernier. J’apprécie le fait que l’Assemblée ait reconnu notre programme de réformes et y ait rendu hommage, et qu’elle ait mis fin, en juin dernier, à une forte majorité, à la procédure de suivi pour la Turquie.

Monsieur le Président, les changements juridiques qui permettront à la Turquie de devenir Partie à la Cour pénale internationale, comme la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, sont parmi les réformes que nous avons menées. Dans ce contexte, notre nouveau Code pénal inclut le crime de génocide et les crimes contre l’humanité, conformément aux normes contemporaines. Nous avons adopté les amendements à la Constitution qui étaient nécessaires. Ces préparatifs juridiques internes étant achevés, j’aimerais annoncer aujourd’hui, à cette tribune, que la Turquie ratifiera dans un avenir proche le Statut de Rome et deviendra Partie à la Cour pénale internationale.

Monsieur le Président, la date d’aujourd’hui revêt une importance particulière dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Nous sommes convaincus que la tonalité positive du rapport et de la recommandation de la commission ira de pair avec la volonté politique que manifesteront les dirigeants des Etats membres de l’Union. Nous espérons arriver à la dernière étape d’une longue route avec le lancement des négociations d’adhésion au cours du premier semestre 2005. L’adhésion de la Turquie ne se réalisera pas du jour au lendemain. Bien entendu, nous prévoyons la conclusion de cette phase après un délai raisonnable. Pour y parvenir, nous accomplirons notre part des efforts nécessaires.

Monsieur le Président, la transformation intervenue dans la société turque se reflète également dans l’adoption de la culture européenne de compromis, comme l’a démontré la politique du Gouvernement turc en vue de trouver une solution au problème de Chypre. La volonté dont notre pays a fait preuve pour obtenir un règlement juste et durable de la question et ses contributions positives à l’action du Secrétaire général des Nations Unies en vue d’un accord global sont reconnues par la communauté internationale.

Malheureusement, le processus de négociations fortement soutenu par la Turquie, qui a conduit aux référendums simultanés tenus dans l’île le 24 avril 2004, n’a pas eu de résultat positif. Permettez -moi de rappeler que la partie chypriote turque, en votant à une large majorité pour le plan Annan, a démontré sa volonté politique d’unification et d’adhésion à l’Union européenne.

Le résultat des référendums a créé une situation nouvelle à Chypre. Dans son dernier rapport sur sa mission de bons offices à Chypre, le Secrétaire général des Nations Unies souligne que «le vote des Chypriotes turcs a annulé tout motif de faire pression sur eux et de les isoler» et préconise que tous les Etats coopèrent aussi bien bilatéralement qu’au sein des organisations internationales pour éliminer les restrictions et obstacles superflus qui ont pour effet d’isoler les Chypriotes turcs et d’empêcher leur développement. Six mois se sont écoulés depuis les référendums sur l’île. Le temps est maintenant venu de mettre fin à l’isolement politique, économique, social et culturel, auquel les Chypriotes turcs ont été soumis. Je demande donc à la communauté internationale de lever l’embargo économique injuste qui leur est imposé depuis des dizaines d’années. Des mesures concrètes doivent être prises afin de faciliter les liaisons directes dans les domaines du commerce, de la culture et des transports.

En tant qu’Organisation vouée au développement de la coopération européenne, le Conseil de l’Europe peut jouer un rôle éminent à cet égard. La décision prise il y a deux jours par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe d’inclure des représentants élus des Chypriotes turcs dans ses délibérations va dans la bonne direction. Il est naturel, après tout, que les Chypriotes turcs, qui ont fait le choix de l’Europe, prennent la place qui leur revient dans la coopération et le dialogue paneuropéens.

Monsieur le Président, le siècle commencé ouvre certes des perspectives très prometteuses pour les progrès de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits de l’homme au niveau mondial, mais il est gros également d’une série nouvelle de difficultés imprévisibles et mortelles.

Le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive sont en tête des dangers qui pèsent lourdement sur notre sécurité et notre liberté. Le terrorisme est devenu vraiment mondial. Notre lutte contre ce fléau nous impose donc d’atteindre un niveau supérieur de cohésion et de solidarité. Les actes de terreur aveugle commis partout dans le monde sont dirigés contre l’humanité entière. Le terrorisme ne connaît pas de frontières nationales ou régionales et ne peut se rattacher à aucune cause ou religion.

C’est un crime contre l’humanité qui ne saurait se justifier en aucune circonstance. La Turquie encourage le Conseil de l’Europe à jouer un rôle plus actif dans les aspects normatifs et pratiques de la lutte antiterroriste.

A cet égard, j’invite le Conseil de l’Europe à intensifier ses contacts avec l’Organisation de la conférence islamique, afin de promouvoir un dialogue entre les cultures et les religions. En tant que membre des deux organisations, la Turquie est prête à accomplir l’effort nécessaire à cette fin.

Monsieur le Président, avant de conclure, je voudrais parler des événements qui se déroulent tout près de la Turquie, de l’autre côté de sa frontière avec l’Irak. La grave insécurité qui règne dans ce pays a de quoi préoccuper vivement tous les pays qui participent aux efforts humanitaires ayant pour but de reconstruire ce pays et d’y rétablir l’ordre.

Le transfert d’autorité au gouvernement intérimaire irakien a été un premier pas vers la normalisation, mais la voie de la stabilité politique reste semée d’embûches. Nous maintenons notre engagement à assister le gouvernement intérimaire irakien dans la tâche impressionnante consistant à accroître la sécurité, la stabilité et la prospérité.

La restauration de la stabilité, la sauvegarde de l’intégrité et de l’unité, l’établissement d’un gouvernement pleinement représentatif de toutes les couches de la société et la reconstruction de l’Irak sont en effet des questions qui présentent un intérêt vital aux yeux de la Turquie, comme de l’ensemble de la région.

Nous jouons aussi un rôle de premier plan dans le mécanisme de concertation entre l’Irak et ses voisins. C’est la Turquie qui a pris cette initiative, au moyen de laquelle nous nous efforçons d’apporter une contribution collective à la solution du problème irakien. Nous souhaitons voir l’Irak devenir démocratique, se libérer de la terreur, être en paix avec lui-même et ses voisins, et se réintégrer pleinement à la communauté internationale. La Turquie n’a d’autre programme que de contribuer à l’apparition d’un Irak stable.

Monsieur le Président, je vous remercie de l’occasion que vous m’avez donnée de prendre la parole aujourd’hui devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui représente le patrimoine commun de notre continent, fait d’unité et de diversité. Pour conclure, je réitère notre ferme engagement à poursuivre la tâche commune consistant à défendre les libertés individuelles, les droits de l’homme, la liberté politique et la primauté du droit, ainsi qu’à renforcer la sécurité et la démocratie sur tout le continent. La Turquie restera un membre actif du Conseil de l’Europe. Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur Erdogan, pour ce discours fort intéressant. Plusieurs membres de l’Assemblée ont exprimé le souhait de vous poser une question.

Je leur rappelle qu’ils disposent pour ce faire de trente secondes au maximum. Il s’agit de poser des questions et non de prononcer des discours. J’autoriserai des questions supplémentaires à la fin de cet exercice, à condition de disposer de suffisamment de temps. La parole est à M. van der Linden, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. VAN DER LINDEN (Pays-Bas) (traduction)

Je félicite M. le Premier ministre pour les avancées politiques et juridiques accomplies par la Turquie en vue de se préparer à l’adhésion à l’Union européenne. Le point le plus délicat du vaste processus de réformes engagé par le pays est la mise en œuvre de toutes les lois et réglementations qui font partie de l’acquis communautaire. J’aimerais savoir comment le Premier ministre envisage la poursuite, l’accélération, l’amélioration et le suivi de ce processus de réformes. A son avis, l’Union européenne mettra-t-elle en place un mécanisme de suivi de la mise en œuvre de l’acquis communautaire et le Conseil de l’Europe pourrait-il assister le pays dans cette démarche?

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

indique que, jusqu’à présent, dans le cadre des critères politiques de Copenhague, le Parlement turc, opposition et majorité confondues, a effectué l’ensemble de la feuille de route. Il est évident que la mise en œuvre des réformes est plus difficile que leur adoption, car elle nécessite un changement de mentalité. C’est la raison pour laquelle on parle de processus de négociations. Le Gouvernement turc a la ferme volonté de poursuivre ses efforts. Il sait très bien que la Turquie ne deviendra membre à part entière de l’Union européenne que si toutes les réformes sont achevées. Il a la volonté politique d’aboutir.

M. EORSI (Hongrie) (traduction)

Les libéraux ont toujours soutenu l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et continueront de le faire. En tant que rapporteur pour Chypre, je me félicite des propos que le Premier ministre vient de tenir. Lors de la visite qu’il a effectuée à Ankara au début de l’année, M. Prodi a souligné que la résolution de la question chypriote ne constituait pas une condition sine qua non à l’adhésion de la Turquie à l’Union. Comment interpréter cette déclaration? Est-ce à dire que, même si la question chypriote n’était pas résolue, la Turquie pourrait rejoindre l’Union européenne? Ou bien signifie-t- elle que, même si la question chypriote était résolue, les chances de la Turquie de pouvoir y adhérer resteraient limitées? Quoi qu’il en soit, je souhaite bonne chance à M. Erdogan.

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

répond que la Turquie a fait un effort sincère pour que le processus du 24 avril aboutisse. Ce pays a apporté un total soutien à M. Annan. Lors du référendum du 24 avril, les Chypriotes turcs ont montré au monde entier qu’ils souhaitaient vivre en paix sur une île réunifiée. Le Sud a refusé, mais c’est lui qui est récompensé alors que la partie nord reste isolée sur les plans économique, politique, social et culturel! Le Premier ministre se dit reconnaissant à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, car c’est cette Assemblée qui a fait le tout premier pas pour rompre cet isolement. Les Chypriotes turcs vont poursuivre avec sincérité le mouvement de réunification.

M. Erdogan se dit persuadé qu’il est extrêmement important dans le monde actuel de renforcer les amitiés plutôt que de désigner de nouveaux ennemis.

M. KOX (Pays-Bas) (traduction)

Selon l’organisation Human Rights Watch, la Turquie a procédé à des améliorations considérables en matière de liberté de la presse, de liberté de religion ainsi que de droits des minorités; je tiens à en féliciter M. Erdogan. J’aimerais savoir si le Gouvernement turc est aujourd’hui disposé à prendre les mesures nécessaires en vue d’arrêter toutes les formes de torture dans les commissariats de police et les prisons, de faciliter le retour de tous les Kurdes déplacés, de mettre fin aux souffrances des citoyens turcs d’origine kurde et de réparer, dans toute la mesure du possible, les dommages qu’ils ont subis.

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

a eu l’occasion de discuter avec le commissaire Verheugen, chargé de l’élargissement, lors de la visite de ce dernier en Turquie. A la suite de plaintes qui lui avaient été remises à cette occasion, il avait envoyé des experts en Turquie. Leur rapport conclut qu’on ne trouve aucune trace de tortures systématiques. Si des cas individuels persistent, il faut savoir que le Gouvernement turc est décidé à leur appliquer une tolérance zéro. Ceux qui accusent la Turquie de pratiquer la torture sont des gens qui ont des liens avec des organisations terroristes et qui lancent de fausses informations pour discréditer le pays.

Mme DURRIEU (France)

Monsieur le Premier ministre, félicitations pour l’immensité des réformes accomplies. Je préside la commission de suivi.

La Turquie est un pays laïque. Pas plus de trois Etats dans cet hémicycle ont inscrit ce mot dans leur Constitution. Comment allez-vous préserver, dans le quotidien, l’exercice de la laïcité? Avez-vous mesuré l’immensité des dégâts et des doutes causés par la tentative d’inscription dans le Code pénal de l’adultère comme délit?

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

confirme que la Turquie a une longue expérience en matière de laïcité. La séparation de l’Etat et de la religion y est effective et a été confirmée par la Constitution de 1982. Il faut savoir que l’Etat est à égale distance de toutes les croyances et garantit l’exercice de tous les cultes.

Le Code pénal turc ne prévoyait pas l’adultère. La question ne figurait pas parmi les critères de Copenhague, c’était plutôt une affaire de morale. Quand elle est venue à l’ordre du jour, elle a fait l’objet d’un débat qui a été repris par les médias, trop largement d’ailleurs. Le gouvernement a fini par maîtriser la situation, et l’adultère n’a pas été repris dans le Code pénal. Le sujet est donc clos.

M. LOUTFI (Bulgarie)

Monsieur le Premier ministre, la Bulgarie et la Turquie sont des pays voisins qui entretiennent d’excellentes relations.

Quelle est votre appréciation de l’état actuel des relations entre la Turquie et la Bulgarie dans le contexte de la sécurité et de la stabilité en Europe du Sud-Est, les deux pays étant membres de l’Otan et probablement partenaires dans l’Union européenne?

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

confirme les excellentes relations entre les deux pays, surtout depuis que son gouvernement est au pouvoir. Le développement de relations harmonieuses avec les pays voisins de la Turquie fait d’ailleurs partie de ses priorités. La Bulgarie et la Roumanie adhéreront à l’Union européenne en 2007. La Turquie commencera son processus de négociations. Dans ce cadre, la Turquie envisage d’intensifier les relations avec la Bulgarie pour favoriser le développement des pays des Balkans et surtout des pays de la mer Noire.

M. GROSS (Suisse) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, j’aimerais connaître votre point de vue sur le rôle que peut jouer la Turquie en tant que pont entre l’Europe, le Proche-Orient et l’Extrême- Orient, ainsi qu’entre deux religions qui doivent rechercher la paix dans leur propre intérêt.

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

pense que la Turquie a un rôle d’exemple à jouer et doit effectivement devenir un pont, moins entre les continents qu’entre les cultures. Elle est prête à le jouer et sait que, ce faisant, elle aura la lourde responsabilité de répondre à l’attente d’un milliard et demi de musulmans.

M. VAN DEN BRANDE (Belgique) (traduction)

En tant que rapporteur, j’étais favorable à la clôture de la procédure de suivi engagée au titre de la Turquie. L’Assemblée a invité le pays à procéder, entre autres, à la réforme des pouvoirs locaux et régionaux, et à mettre en place une authentique décentralisation. Les plans et les projets mis sur pied semblent indiquer que des progrès sont en cours, mais il existe encore d’importantes lacunes pour ce qui concerne la répartition des ressources institutionnelles, humaines et financières. Pouvez-vous nous donner l’assurance que des réformes fondamentales seront non seulement engagées, mais également mises en œuvre?

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

a été maire d’Istanbul pendant quatre ans et demi. En tant qu’ancien dirigeant local, il connaît l’importance de la décentralisation. Le parlement a voté une loi en la matière, qui a été approuvée par le Président de la République. Une loi sur les municipalités et une loi sur la réforme de l’administration publique ont été renvoyées en deuxième lecture et seront votées prochainement. Ces lois sont en conformité avec les normes européennes et vont même au-delà.

Pour l’essentiel, la législation est au niveau européen, et d’autres modifications législatives sont en cours d’adoption.

M. MOLLAZADE (Azerbaïdjan) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous représentez un pays se voulant à la fois un Etat européen et un modèle pour d’autres pays à population turque et musulmane. Vous avez engagé des réformes politiques et juridiques. J’aimerais savoir quel est l’état de l’économie turque par rapport à celle de ses voisins d’Europe orientale qui ont été invités à rejoindre l’Union européenne. J’aimerais savoir également si se poursuit la lutte contre la corruption, qui constituait un des points majeurs de votre programme.

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

répond que la Turquie, si elle est à 99 % musulmane, est un Etat de droit, social, démocratique et laïque. Elle connaît actuellement, au plan économique, un véritable bond en avant, puisque son PIB par habitant est passé de 2 600 dollars en 2002 à 4 000 aujourd’hui, avec un pouvoir d’achat moyen de 7 000 dollars. Son taux de croissance en 2002 a été de 7,8 %; en 2003, il devait être de 5 % et a atteint 5,9 %; en 2004, il doit encore être de 5 %, mais, au troisième trimestre, il a été de 13,4 %. L’inflation – qui était de 30 % – est aujourd’hui en dessous de la barre des 10 %. Cependant, l’économie souffre du poids important de la dette, même si le taux d’endettement est passé de 69 % à 24 %. Fin juillet, les entreprises privées turques avaient investi 28 milliards de dollars, contre 1,8 milliard de dollars pour les investissements étrangers directs.

En outre, en 2005, la livre turque va perdre six zéros, ce qui facilitera les échanges, et les investissements étrangers, surtout si, au même moment, commencent les négociations avec l’Union européenne. Quant à la corruption, c’est un véritable poison et le gouvernement de M. Erdogan est son antidote. Les accusations de corruption sont plus rares et une politique énergique oblige les corrompus à rendre tout ce qu’ils ont volé au peuple: on saisit leurs chèvres et leurs canards!

Mme PETROVA-MITEVSKA («l’ex-République yougoslave de Macédoine») (traduction)

La République de Turquie a été l’un des premiers pays à reconnaître l’indépendance de la République de Macédoine sous son appellation constitutionnelle. Les relations entre nos deux pays, dont les origines sont très anciennes, ne cessent de s’améliorer. La minorité turque de l’ex-Macédoine et les citoyens turcs d’origine macédonienne ont apporté une grande contribution à cet égard. J’aimerais savoir si, maintenant que les dilemmes ont été surmontés, l’intégration de la Turquie en Europe impliquera le renforcement des relations économiques avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et les pays voisins.

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

explique que certains pays sont voisins sans avoir de frontière commune. Il connaît bien la Macédoine, pour s’y être rendu à plusieurs reprises, et se félicite des valeurs communes à ces deux pays, et de leur proximité culturelle, qui devrait servir de base à des relations économiques plus étroites.

M. MANZELLA (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, j’espère que ce 6 octobre sera un jour historique pour la Turquie et pour toute l’Europe. Permettez-moi de vous poser deux questions sur la stabilité de la région. La première concerne votre avis sur la question kurde, compte tenu de l’évolution de la situation en Irak. Deuxièmement, comment jugez-vous la politique nucléaire de l’Iran? Je vous remercie.

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

espère que le jour où la commission publiera son rapport sur la Turquie sera un jour historique et que celui-ci n’entraînera pas de déception. Il remercie les amis de la Turquie qui n’ont pas ménagé leurs efforts. S’agissant de l’Irak, il déplore les victimes innocentes, et regrette de voir une ancienne civilisation s’effondrer. Pour sa part, la Turquie applique la résolution des Nations Unies sur l’aide humanitaire et 2 000 camions franchissent chaque jour la frontière. Leurs chauffeurs turcs risquent beaucoup, mais ils sont d’une certaine manière obligés d’y aller, parce qu’ils sont au chômage.

La Turquie est prête à tout faire pour que les élections qui doivent avoir lieu en janvier mettent à la tête du pays des dirigeants élus par le peuple lui-même. Les forces de la coalition pourront alors se retirer, et la Turquie vivra plus tranquille. Mais, en ce qui concerne la partie nord, la Turquie a une position claire; elle est hostile à la domination d’un groupe ethnique qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du territoire irakien. Les richesses de l’Irak appartiennent au peuple irakien, et il serait dangereux pour l’avenir de ce pays que les Kurdes s’approprient le pétrole de Kirkouk.

Quant à l’Iran, ce pays déclare que ses recherches dans le domaine de l’énergie nucléaire n’ont que des finalités civiles et sont conformes aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique. L’énergie nucléaire peut être au service de l’homme, comme elle peut représenter un danger. Il faut que l’Iran établisse des relations étroites avec l’agence de Vienne.

M. OSTROVSKY (Fédération de Russie) (interprétation)

observe que M. Erdogan dit vouloir lutter contre le terrorisme, mais que des citoyens turcs appartenant à des bandes armées terroristes agissent sur le territoire russe, et vont ensuite se réfugier et se faire soigner en Turquie. Comment régler ce problème?

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

répond que, si ces personnes sont effectivement des terroristes, les services de renseignements russes et turcs collaborent dans une lutte commune contre les infiltrations. Il y a dans la Fédération de Russie des organisations terroristes comme il peut y en avoir en Turquie. La bonne réponse est une coopération entre les deux pays.

M. FOMENKO (Fédération de Russie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous me permettrez de dire combien je suis impressionné par la rapidité des progrès réalisés par votre cabinet en vue de l’intégration des principes et des pratiques du Conseil de l’Europe dans la culture politique de la République de Turquie. Les chrétiens orthodoxes d’Europe peuvent-ils espérer avoir un jour l’occasion d’assister à une messe dans la basilique Sainte-Sophie, qui est aujourd’hui un musée?

M. Erdoğan, Premier ministre de Turquie (interprétation)

répond qu’il s’agit là d’un héritage de l’Histoire. La réponse est nécessairement complexe. En revanche, les orthodoxes, comme les catholiques et les juifs, peuvent pratiquer leur religion sans aucune difficulté dans leurs églises et leurs synagogues. Les citoyens turcs non musulmans peuvent même faire construire des «lieux de prière», comme il est dit dans la législation, qui a été modifiée pour ne pas faire référence aux seules mosquées.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous arrivons au terme de notre dialogue avec M. Erdogan que, au nom de l’Assemblée, je remercie vivement pour son discours ainsi que pour les réponses qu’il a faites aux questions qui lui ont été posées. Monsieur Erdogan, je vous remercie, ainsi que vos collègues, de nous avoir honorés de votre présence.