Ivan

Gašparovič

Président de la Slovaquie

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 14 avril 2008

remercie le Président de l’avoir invité à s’adresser à l’Assemblée au moment où la République slovaque préside le Comité des Ministres et où elle fête le quinzième anniversaire de son adhésion au Conseil de l’Europe. L’orateur, qui vient d’inaugurer dans les locaux de l’Assemblée une exposition sur l’histoire mouvementée de son pays, souligne la signification symbolique de sa présence. En juin prochain, il y aura quinze ans que deux pays indépendants sont devenus membres du Conseil de l’Europe après s’être séparés de façon pacifique et civilisée. Ces deux Etats, liés par de nombreux liens historiques et familiaux, se retrouvent aujourd’hui au sein de la maison commune de l’Europe.

C’est en novembre 1992 que le Parlement de la jeune République slovaque a adopté une résolution exprimant son vœu d’adhérer au Conseil de l’Europe. Cette demande a été approuvée en juin de l’année suivante, faisant de la République slovaque le 31e membre du Conseil de l’Europe. L’orateur, qui était alors présent à Strasbourg en qualité de Président du Parlement slovaque, s’y trouve aujourd’hui en tant que chef de l’Etat assurant la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

A première vue, on pourrait penser que l’adhésion de deux Etats indépendants ne devrait pas poser de problème particulier. En fait, le Conseil de l’Europe s’est montré très exigeant à l’égard de la République slovaque, compte tenu du fait qu’un de ses voisins s’opposait à cette candidature en mettant en doute la capacité de la Slovaquie à assurer le respect des droits des minorités nationales. Il est à espérer que ces doutes sont aujourd’hui complètement écartés. La République slovaque a participé à l’élaboration de la convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des droits des minorités nationales. Lors de son adhésion, elle a intégré à sa législation non seulement les conventions du Conseil de l’Europe, mais également les recommandations de l’Assemblée parlementaire sur les droits des minorités nationales, reprises sous forme d’un traité juridiquement contraignant. La Slovaquie respecte pleinement les droits des minorités nationales et regrette les tentatives de certains de chercher des problèmes là où il n’y en a pas.

Les Roms représentent en Slovaquie une minorité importante, à la fois par leur nombre et par leurs spécificités. Ils sont souvent victimes de préjugés et stéréotypes dus à la méconnaissance de leur histoire et de leur culture. Il est vrai que la communication avec cette communauté n’est pas toujours aisée: les réflexes nationalistes de certains les ont encouragés à une attitude de repli, voire de passivité. L’orateur se félicite de l’initiative prise par le Conseil de l’Europe de mettre sur pied le Forum européen pour les Roms. De son côté, la Slovaquie cherche à résoudre les problèmes de cette communauté, et a mis en place un certain nombre d’actions en ce sens: programme de travail social pour améliorer leurs chances de promotion, programme de logements à long terme pour améliorer leur habitat.

Aujourd’hui la République slovaque est l’un des pays les plus dynamiques qui soit sur le plan économique. Les citoyens sont conscients des bienfaits de l’économie de marché mais aussi de la nécessité de faire un certain nombre de sacrifices. En dépit des efforts accomplis, des disparités demeurent. C’est pourquoi il importe de promouvoir un Etat providence et d’atténuer par différentes politiques sociales les conséquences de la politique de transformation économique qu’il était par ailleurs indispensable de mener.

En 1993, le Conseil de l’Europe a dû relever le défi de la réunification d’un continent longtemps divisé par le rideau de fer. Le nombre d’Etats membres est ainsi passé de 26 à 47, si bien que les valeurs défendues par le Conseil sont désormais présentes sur l’ensemble du continent. Il faut maintenant que le Conseil de l’Europe préserve sa place dans l’architecture européenne. C’est une question stratégique. En 1993, année où la République slovaque a adhéré, le Conseil de l’Europe était la seule organisation à promouvoir la protection des droits de l’homme, la démocratie pluraliste et la primauté du droit. Aujourd’hui, d’autres organisations internationales veulent agir sur ce terrain. Le Conseil risque donc, en dépit de son expérience, de perdre sa place. Il ne doit pas pour autant partir à la recherche de nouvelles sphères d’activité. Son avenir réside plutôt dans l’approfondissement et le renforcement de sa spécificité, qui consiste à défendre ses valeurs fondamentales.

L’avenir de l’Europe doit se fonder sur la coexistence, le bon voisinage et l’élimination des facteurs de division. Aussi l’orateur lance-t-il un appel aux membres de l’Assemblée: il faut distinguer les questions qui unifient l’Europe de celles, obsolètes et subversives, qui la divisent. Lorsque la République slovaque a signé le Protocole 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, chacun savait que la Cour européenne des Droits de l’Homme n’allait pas tout résoudre. Aujourd’hui ce protocole n’est toujours pas opérationnel, des solutions doivent donc être trouvées ailleurs, non en recourant à des groupes de sages, d’avocats ou d’experts, mais en faisant en sorte que chaque pays respecte en son sein les principes du droit. Si les citoyens trouvent dans leur propre pays le niveau de protection que préconise le Conseil de l’Europe, ils auront moins de raison d’avoir recours à la Cour européenne de Strasbourg.

En République slovaque, un amendement constitutionnel a introduit dans la législation un remède efficace: une plainte pour violation des droits de l’homme peut être déposée devant la Cour constitutionnelle et entraîner réparation financière. Le ministère de la Justice a d’autre part annoncé que l’appareil judiciaire serait renforcé par la nomination de 50 nouveaux juges. La Charte des libertés et des droits fondamentaux ainsi que la Convention européenne de Droits de l’Homme font désormais partie intégrante du système juridique slovaque et priment sur la législation nationale. La République slovaque sera d’ailleurs candidate, aux élections de mai, à New York, au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.

En tant qu’avocat, l’orateur se dit préoccupé par l’érosion des principes du droit international, qui est finalement un système très fragile. D’ailleurs plusieurs conventions adoptées par le Conseil de l’Europe sont restées lettres mortes ou n’auront eu qu’une durée de vie très courte. Les plus récentes ont néanmoins permis de tirer le signal d’alarme sur certaines questions.

Outre ses tâches principales, le Conseil de l’Europe déploie ses efforts dans d’autres domaines. Il ne sera cependant sans doute pas possible de garder toutes les activités du passé. On constate en effet que les dépenses d’administration et de personnel, en particulier celles de la Cour européenne des Droits de l’Homme, prennent de plus en plus d’importance, alors que les dépenses consacrées aux programmes, séminaires et réunions des différents organes du Conseil de l’Europe baissent d’année en année. Il faut éliminer les doubles emplois au sein des différentes structures, mieux utiliser certaines ressources et viser à une croissance zéro des dépenses.

En conclusion, l’orateur se dit convaincu que des efforts communs permettront de continuer à améliorer la qualité de vie de tous, dans la paix et la compréhension mutuelle sur tout le continent. (Applaudissements).

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Président, je vous remercie de votre discours qui a intéressé les membres de l’Assemblée.

Un grand nombre de collègues ont déjà exprimé le souhait de poser une question. Celle-ci doit avoir un caractère interrogatif et ne pas dépasser trente secondes, je le rappelle.

La parole est à M. Biberaj, au nom du Groupe EPP.

M. BIBERAJ (Albanie) (interprétation)

demande si le Président Gašparovič estime que l’éclosion de nouveaux pays dans les Balkans est de nature à favoriser le développement de la paix et de la stabilité dans la région et pense que l’intégration euro-atlantique accélérée des Balkans occidentaux doit être une priorité politique absolue.

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

répond qu’il faut effectivement trouver des solutions rapides pour que la paix et la stabilité règnent dans les Balkans, mais se demande si la Communauté internationale a tous les instruments nécessaires pour y parvenir.

S’agissant du Kosovo, la position de la Slovaquie est claire: elle n’est pas prête à le reconnaître en tant qu’Etat indépendant. Une meilleure coopération est souhaitable dans les Balkans, en particulier entre les pays d’Europe centrale. Certains considèrent que le Kosovo est un projet du XXIe siècle en ce qui concerne la reconnaissance des droits collectifs. Mais de nombreux points d’interrogation, et même d’exclamation subsistent. La Slovaquie est convaincue que, s’il faut leur en donner les moyens, c’est d’abord aux dirigeants et aux peuples du Kosovo et de la Serbie qu’il appartient de définir un scénario pour leur avenir.

M. GROSS (Suisse) (interprétation)

souligne que de nombreux rapports de l’Assemblée parlementaire montrent que l’autonomie est un moyen d’enrichir la diversité, non une source d’appauvrissement ou un risque d’instabilité. Ne conviendrait-il donc pas de donner davantage d’autonomie aux minorités qui sont en fait majoritaires dans certaines zones? L’autonomie, c’est un développement asymétrique qui permet à toutes les communautés de s’épanouir.

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

répond que son pays n’a aucun problème de ce genre, qu’il s’agisse d’éducation, de culture ou d’autonomie locale. Il a institué des mécanismes permettant de gérer les relations entre minorités et majorité. Il est en particulier possible d’étudier dans les langues minoritaires, non seulement dans le primaire et dans le secondaire mais aussi à l’université.

La Slovaquie est un pays démocratique comme la Suisse, qui tient régulièrement des élections et où, lorsque les minorités sont majoritaires, elles gèrent leurs propres affaires. Le préambule de la Constitution affirme d’ailleurs que la Slovaquie est un Etat composé de minorités ethniques.

Bien évidemment, il peut y avoir des frictions locales que certains sont tentés d’exploiter, mais chacun des membres de cette Assemblée peut venir voir comment vivent les Slovaques et se rendre compte qu’il n’y a ni discrimination ni préjugé contre l’autonomie.

M. BOSWELL (Royaume-Uni) (interprétation)

félicite le président Gašparovič d’avoir insisté si fortement sur la question des minorités, notamment des Roms et des populations nomades. On sait que ces dernières sont confrontées à de nombreux problèmes, la mortalité infantile y étant par exemple quinze fois plus élevée que chez les sédentaires. Comment faire connaître de tels faits? Comment encourager les États membres à réagir?

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

rappelle qu’il a déjà abondamment traité cette question. La Slovaquie s’efforce de communiquer avec les Roms et de les intégrer dans sa population. Cela passe avant tout par l’éducation et par l’apprentissage de la langue qui est un préalable à l’accès à l’emploi et à l’incorporation dans l’armée nationale. Il est nécessaire de sensibiliser les Etats membres à cette question et de les inciter à redoubler d’efforts pour éradiquer la mortalité infantile, qui est en effet dramatique. Pour sa part, la Slovaquie entend progresser rapidement pour que les Roms fassent partie de la nation slovaque. L’éducation et la formation sont des éléments essentiels de cette politique.

M. EÖRSI (Hongrie) (interprétation)

juge que la liberté de la presse est un impératif absolu. Or la loi que vient d’adopter le Parlement slovaque semble marquer un recul en la matière. Le Président de la République n’a toutefois pas encore signé ce texte. Envisage-t-il, en véritable démocrate, de s’y opposer?

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

déclare qu’il n’a pas encore connaissance du texte définitivement adopté par le Parlement mais qu’il lui apparaît qu’il ne restreint pas la liberté de parole des médias. Chacun pourra donc continuer à exprimer ses opinions. Si la loi demeure conforme à cet objectif, le président n’aura pas de raison de s’y opposer, d’autant qu’elle a été adoptée de façon démocratique. La démocratie, c’est la discussion mais dès lors qu’un texte a été normalement voté, un petit groupe ne saurait s’y opposer. Si elle souhaite le contester, l’opposition parlementaire devra se tourner vers la cour constitutionnelle. Mais il parait important que les parlementaires eux-mêmes respectent le système démocratique.

M. KOX (Pays-Bas) (interprétation)

rappelle que le Conseil de l’Europe s’efforce d’éviter de créer de nouvelles lignes de fracture en Europe. De ce point de vue, le projet américain d’installer une base de bouclier anti missiles dans un pays voisin de la Slovaquie pourrait conduire à de nouvelles tensions. La République slovaque a-t-elle l’intention de s’opposer à un projet aussi dangereux?

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

rappelle que le Premier ministre a déclaré qu’il n’accepterait jamais un tel bouclier sur le territoire de la Slovaquie. Tous les pays concernés sont membres de l’Otan et de l’Union européenne. Leur projet de coopération devrait aboutir prochainement et la Slovaquie s’y ralliera volontiers.

M. IWIŃSKI (Pologne) (interprétation)

souhaite connaître l’opinion du Président Gašparovič sur l’avenir du groupe de Visegrad, qui rassemble la République slovaque, la République tchèque, la Pologne et la Hongrie. Ne conviendrait-il pas d’élargir ce bel instrument de coopération régionale?

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

répond que cette coopération est en effet très utile aux Etats membres du groupe. L’esprit qui y règne est excellent. Des réunions sont organisées régulièrement et des représentants d’autres pays sont invités à participer aux travaux.

Il a été décidé de ne pas donner suite à la demande d’élargissement. Mieux vaudrait sans doute créer d’autres groupes similaires au sein de l’Union ou des Balkans, ce qui permettrait une représentation des petits pays. Mais à ce jour, le groupe de Visegrad répond aux besoins essentiels des États qui en sont membres.

M. NÉMETH (Hongrie) (interprétation)

considère que la nouvelle loi slovaque sur l’éducation pourrait avoir des effets négatifs sur les 700 000 membres de la minorité hongroise. Ce texte n’est conforme ni à la recommandation de 2006 du Comité des Ministres, ni à la Charte européenne des langues régionales, ni à d’autres instruments du Conseil de l’Europe.

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

souligne que l’amendement à la loi en question n’a pas encore été discuté et qu’on ne peut préjuger du texte final. Il ne vise pas spécialement la minorité hongroise mais tend à exiger que tout citoyen puisse s’exprimer dans la langue officielle de la République slovaque.

En ce qui concerne les programmes d’éducation, ils respecteront la culture et les valeurs des minorités ethniques.

M. BADRÉ (France)

Monsieur le Président, le 6 décembre, j’accompagnais à Bratislava le ministre français des Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, qui venait notamment saluer la mise en oeuvre imminente, dans votre pays, des accords de Schengen. Quelques mois après, pouvez-vous nous dire dans quelles conditions votre pays vit et assume cette responsabilité et cette situation nouvelle qu’évoquait d’ailleurs le Président de Puig en vous accueillant?

M. Gašparovič, Président de la Slovaquie (interprétation)

M. GAŠPAROVIČ (Interprétation) souligne que l’appartenance à l’espace Schengen était de longue date un objectif de la République slovaque. Toutes les visites et inspections qui ont eu lieu à ses frontières pour vérifier l’application des accords ont eu une conclusion positive. Etre membre de l’espace Schengen procure des facilités de circulation pour les citoyens, mais entraîne aussi des responsabilités vis-à-vis des migrants, en particulier de ceux qui ont des objectifs peu louables.

LE PRÉSIDENT

Nous en avons terminé avec les questions. Monsieur le Président Gašparovič, je vous remercie vivement pour votre visite à Strasbourg, pour notre échange de vues, pour votre intervention ici.

Je vous remercie vivement pour avoir accepté de vous soumettre aux questions des parlementaires et pour vos réponses, exercice démocratique courant dans notre Conseil de l’Europe. Votre présence ici couronne, si je puis dire, la Présidence slovaque, qui est une présidence réussie, comme j’aurai l’occasion de le redire à MM. les ministres des Affaires étrangères. (Applaudissements)