Kiro

Gligorov

Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine »

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 24 juin 1996

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, c’est un grand honneur pour moi que d’avoir l’occasion de m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, aux représentants de l’une des plus anciennes et des plus grandes familles européennes. Mon pays, la République de Macédoine, est le trente-neuvième membre de cette institution qui a joué un rôle historique dans la prise de conscience paneuropéenne de la paix et de la compréhension, de la coopération et de la prospérité des pays et des peuples européens. C’est au Conseil de l’Europe que l’on se bat pour étendre les droits de l’homme et les libertés fondamentales à tout le continent, que l’on établit les stratégies en faveur de la compréhension paneuropéenne et de l’avenir de la maison commune européenne.

C’est la raison pour laquelle je tiens à souligner ici l’importance que revêt, pour la République de Macédoine, son adhésion au Conseil de l’Europe, forum au sein duquel mon pays et son peuple auront la possibilité de réaliser leurs aspirations et leurs objectifs, et d’apporter leur contribution au bien-être et au développement du continent.

Mesdames, Messieurs, la République de Macédoine a acquis son indépendance en 1991, à la suite de la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Cette indépendance, elle l’a acquise de manière pacifique et légitime, en organisant un référendum et en adoptant une nouvelle Constitution. Elle a ainsi apporté la preuve qu’au seuil du XXIe siècle on pouvait créer un Etat indépendant sans effusion de sang.

Cela nous a été possible principalement parce que la République de Macédoine a refusé de participer à la guerre insensée menée sur le territoire de l’ex- Yougoslavie et qu’elle a proclamé son indépendance à l’intérieur de ses frontières actuelles, internationalement reconnues. Ce faisant, elle n’a pas uniquement rejeté la politique de revendications territoriales, de modification des frontières par la force et de purification ethnique; elle a également montré que c’est précisément en suivant une telle politique que l’on provoque les conflits et les guerres dans cette mosaïque de peuples que sont les Balkans. C’est dans cet esprit et à la lumière de l’expérience historique qu’elle a acquise dans cet environnement typique que la République de Macédoine a inscrit dans sa Constitution qu’elle n’avait aucune revendication territoriale à l’égard des Etats voisins. Bien au contraire, elle a choisi de faire siens les principes européens de coopération et d’amitié entre les peuples, et de libre circulation des personnes, des biens et des idées par- delà les frontières. Aujourd’hui, la plupart des différends en la matière ont été réglés et mon pays a établi des relations diplomatiques pleines et entières avec tous les pays de la région.

La République de Macédoine a élaboré une politique intérieure et étrangère en vue de devenir un facteur de paix et de stabilité dans la région. Elle s’est ainsi dégagée de sa position historique de pomme de discorde pour devenir une clé de la paix dans le sud des Balkans. Tout cela, mon pays le doit à l’acquisition de son indépendance et de sa souveraineté, qui ont mis fin aux revendications de ses voisins à l’égard de son territoire et de son peuple.

Nous avons opté pour une politique active de bon voisinage, fondée sur les principes de l’équidistance au nom desquels nous entretenons une égale amitié avec tous nos voisins. Nous avons opté pour le dialogue politique et les moyens pacifiques en vue de résoudre les problèmes pendants avec tous nos voisins. En tant que pays en transition, nous avons choisi la voie de réformes rapides et radicales pour instaurer une économie de marché. Nous avons choisi de construire un Etat de droit et une société civile. La compréhension entre les peuples, la tolérance et le respect des droits des minorités sont autant de principes qui fondent notre stabilité interne et notre développement démocratique, et qui font de nous un exemple atypique dans les Balkans. Notre politique étrangère est résolument orientée vers l’Europe et l’Atlantique. Enfin, nous encourageons l’européanisation des Balkans afin qu’ils puissent participer le plus rapidement possible au processus d’intégration européenne.

Après cinq longues années de lutte, la République de Macédoine a enfin pris la place qui lui revient de droit au sein des organisations et de la communauté internationales. Le pays a traversé là une période particulièrement difficile en raison des nombreux obstacles érigés sur son chemin au mépris de sa volonté et de ses choix politiques. Ces obstacles procédaient de la situation instable dans les Balkans, de la méfiance, de l’incompréhension, des sanctions, des embargos et de l’inconséquence de la politique menée pendant un certain temps par la communauté internationale ainsi que, bien entendu, des difficultés résiduelles liées à l’ancienne bipolarité européenne et des grands problèmes de l’ère postcommuniste.

Heureusement, la plupart des problèmes que je viens d’évoquer ont pu être surmontés, ce dont témoigne bien notre adhésion au Conseil de l’Europe, organisation qui nous a apporté une aide précieuse sur le chemin de la reconnaissance internationale. Voilà la raison pour laquelle je souhaitais exposer devant cette Assemblée le point de vue de mon pays sur la situation qui règne dans notre région – les Balkans.

Je ne pense pas tomber dans l’exagération en disant que les Balkans sont l’une des pierres angulaires, non seulement pour l’avenir de notre système de sécurité européen commun et notre politique de défense, mais également pour toute la stratégie de la maison européenne.

Il faut bien admettre que les Balkans font partie de l’Europe, et cela non pas uniquement en raison de leur situation géographique. Aujourd’hui, il existe de nouvelles structures politiques et une nouvelle réalité dans les Balkans. La Grèce est membre de l’Union européenne et de l’Otan. La Turquie se prépare à rejoindre l’Union et est également membre de l’Otan. La Slovénie et la Macédoine ont pris des options européennes claires et sont déjà bien avancées dans la voie des réformes; elles ont adopté une position pacifique et souhaitent participer aux travaux de l’Union européenne et de l’Otan. La Croatie manifeste les mêmes aspirations, de même que l’Albanie où les problèmes économiques et sociaux sont énormes et où les réformes accusent une certaine lenteur. La Bulgarie est indéniablement un pays en transition. Après la signature des accords de Dayton, la République fédérale de Yougoslavie doit s’attacher à consolider son économie et à s’assurer l’accès aux institutions et aux organisations internationales. Il faut reconstruire la Bosnie-Herzégovine pour lui permettre de se relever de la guerre et de rétablir des conditions décentes de vie et de travail. Ce pays est à l’heure actuelle le plus grand chantier d’Europe, mais l’incertitude plane sur la question de savoir si la paix sera durable.

Toutes ces questions figurent en bonne place à l’ordre du jour tant de l’Union européenne qu’à celui de l’Otan, de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, ce qui vient confirmer une nouvelle fois que, politiquement, les Balkans appartiennent de fait à l’Europe, et pas seulement parce que l’Otan participe au maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine et que son front sud est situé dans la région méditerranéenne des Balkans. La plupart des pays balkaniques – qui sont presque tous membres du Conseil de l’Europe et de l’OSCE – ont adhéré au partenariat pour la paix et entamé des négociations en vue de conclure des accords commerciaux, de coopération et d’assistance avec l’Union européenne.

L’Europe a beaucoup souffert d’événements passés et présents dont les Balkans ont été le théâtre. L’interruption des communications nord-sud, due à la guerre qui faisait rage dans certaines régions de l’ex- Yougoslavie, a fortement entravé les transports, les échanges économiques et la libre circulation des personnes, des biens et des idées. Les nouveaux émigrants économiques et le grand nombre de réfugiés – plus de deux millions – originaires des zones de conflits exercent une pression énorme sur le continent. Ce à quoi il faut ajouter les risques liés à l’exploitation de la guerre à des fins lucratives: extension des réseaux de blanchiment d’argent, de trafic d’armes et de drogue, accroissement du terrorisme et problèmes de contamination chimique et radioactive.

C’est pourquoi il convient de ne jamais perdre de vue que le renforcement de la paix et de la sécurité dans les Balkans doit se fonder sur la nouvelle réalité de la région: l’ex-Yougoslavie s’est disloquée et les anciennes républiques sont devenues des Etats indépendants et souverains aux frontières internationalement reconnues. Tous les anciens pays membres de la Fédération de Yougoslavie ont le droit d’assurer la continuité juridique de l’ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie dont ils sont tous les successeurs légitimes. C’est pourquoi il faut battre en brèche toute tentative visant à imposer ou à empêcher manu militari la création de quelque nouvelle entité étatique que ce soit dans la région. Chacun de ces pays a ses propres problèmes et ses propres perspectives d’avenir, et l’approche adoptée en matière de démocratisation, de privatisation et de droits de l’homme diffère parfois radicalement de l’un à l’autre. C’est pourquoi il est grand temps d’abandonner l’emploi du terme «ex-Yougoslavie» dans les documents et les réunions des forums internationaux, car cette entité n’existe pas. Si l’on néglige cette réalité, toute entreprise et tout projet sera très certainement voué à l’échec.

La seule solution possible est de soutenir le mouvement d’indépendance de ces pays et de favoriser leur intégration dans les structures économiques, politiques et militaires de l’Europe. La mise en œuvre pleine et entière des accords de Dayton et du Traité de Paris pour la paix en Bosnie-Herzégovine, la normalisation des relations entre tous les pays des Balkans, le succès du processus de démocratisation, la défense et la protection des droits de l’homme et des minorités joueront un rôle essentiel à cet égard. Voilà la seule voie possible pour que la poudrière des Balkans cesse de n’être qu’une entité purement géographique, pour devenir une région stable et sûre.

En s’engageant à édifier un Etat de droit et une société civile, et à travailler à l’intégration européenne, la République de Macédoine a choisi de coopérer pleinement avec le Conseil de l’Europe; elle a choisi de participer au processus qui lui permettra d’adapter son système politique et juridique aux principes et aux normes européennes. Dès le début de la procédure d’obtention du statut d’invité spécial auprès de l’Assemblée parlementaire, la République de Macédoine s’est efforcée, en coopération avec le Conseil de l’Europe dont l’expertise s’est révélée fort utile, de revoir sa législation et de procéder aux ajustements et aux réformes nécessaires.

De plus, dès la phase d’élaboration des lois destinées à combler certaines lacunes – minimes au demeurant – de son système législatif, elle a fait appel à l’expérience des experts du Conseil de l’Europe. C’est ainsi qu’en 1995 et 1996, toujours avec l’aide des experts de l’Organisation, elle adoptait un certain nombre de lois intégrant les principes du Conseil de l’Europe. Nous espérons que, grâce à votre assistance juridique, d’autres lois pourront être mises en place avant la fin de l’année. Nous sommes convaincus qu’à ce moment-là notre législation répondra aux critères de qualité requis pour l’achèvement de la première phase de la transition, ce qui nous permettra d’asseoir la position de la Macédoine en tant qu’Etat européen moderne.

La République de Macédoine s’attache à respecter les obligations qu’elle a contractées en devenant membre à part entière du Conseil de l’Europe. Au mois de septembre, elle procédera à la ratification de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de ses protocoles additionnels, de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et de la Charte européenne de l’autonomie locale, toutes ratifications auxquelles nous travaillons activement.

A cet égard, j’aimerais vous exposer notre point de vue sur le système de contrôle instauré sous les auspices du Conseil de l’Europe. La Macédoine a, dès le début, accepté le principe d’un contrôle international. Ce système lui a d’ailleurs été d’une grande aide, car il lui a permis de présenter sa situation sous un jour réaliste et de résoudre certains problèmes de façon rationnelle. C’est pourquoi elle estime qu’à l’avenir il convient de l’exclure des mandats destinés à l’ex-Yougoslavie. Elle doit faire l’objet d’un mandat spécifique, conforme à son statut d’Etat membre du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et de certaines missions des Nations Unies.

Dans ce contexte, nous attachons une grande importance au succès des négociations que nous avons engagées avec l’Union européenne en vue de la signature d’un accord de coopération commerciale, qui marquera les premiers pas de notre association avec l’Union.

La République de Macédoine accorde une attention toute particulière à la défense, à la protection et au respect des droits de l’homme. Il existe dans mon pays un proverbe qui dit que chaque homme en vaut un autre, et peut-être même un peu plus. Mieux qu’un discours politique, ce proverbe reflète pour moi l’essence de nos traditions et le prix que notre peuple attache au respect et à la défense des droits de l’homme, de la cohabitation, de la compréhension et de la tolérance. Il explique également la volonté authentique de l’Etat de Macédoine de se doter d’une législation interne répondant aux normes élevées du Conseil de l’Europe. Et, sur ce plan, il a déjà bien progressé en peu de temps.

J’aimerais profiter de cette occasion pour aborder la question de la protection et du développement des droits des minorités nationales. En Macédoine, les droits des minorités se fondent à la fois sur le modèle traditionnel de cohabitation des Macédoniens avec les autres peuples de la région et sur les normes et les pratiques juridiques internationales en la matière. Ainsi, la protection des droits des minorités s’inscrit-elle dans un cadre juridique clair et complet, définissant, au niveau de la Constitution, un traitement spécifique pour les minorités et constituant la base sur laquelle viendront se greffer des aménagements ultérieurs destinés à le perfectionner.

En outre, une politique d’action positive est actuellement mise en œuvre afin de faciliter la réalisation de nos objectifs et de favoriser l’intégration des minorités dans toutes les sphères de la vie sociale. Cette initiative confirme ce que je disais tout à l’heure, à savoir que le cas de la République de Macédoine est atypique dans cette région des Balkans, en des temps où la purification ethnique, le génocide, les discriminations ethnique et religieuse font partie de la réalité quotidienne et constituent l’une des plus grandes menaces pour la sécurité de notre continent.

Je tiens ici à souligner le rôle éminent qu’ont joué dans ce processus les experts du Conseil de l’Europe et des Nations Unies ainsi que le Haut Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales.

Le respect des droits des minorités est essentiel à la paix et à la stabilité, non seulement dans la République de Macédoine, mais aussi dans toute la région; en effet, il n’existe pas, dans les Balkans, de pays sans minorités nationales. Elles ont contribué à enrichir nos sociétés; leur existence constitue une base saine pour le rapprochement des peuples, pour l’instauration de bonnes relations bilatérales et régionales, et d’une coopération constructive entre les pays de la région.

Ces considérations nous ont amenés à proposer que soit entreprise une étude comparative sur la situation des minorités nationales dans les Balkans. Cette initiative a trouvé l’appui de Mme Rehn, rapporteur de la Commission des Nations Unies sur les droits de l’homme, ainsi que de M. Max van der Stoel, Haut Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales. La question est délicate et exige l’instauration d’un dialogue permanent afin le but de renforcer la compréhension mutuelle, la confiance réciproque, les relations de bon voisinage et, enfin, de préserver la stabilité dans l’ensemble de la région. Nous sommes convaincus que l’étude que nous proposons constituera un excellent point de départ pour un tel dialogue et qu’elle permettra aux pays des Balkans de collaborer plus étroitement sur des questions d’intérêt commun et d’élaborer des recommandations pour leur développement futur.

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, permettez-moi de vous redire combien j’ai été heureux d’avoir eu l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui dans le cadre de ce forum ouvert et démocratique réunissant les pays et les peuples d’Europe.

Je reste bien entendu à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser au sujet de la République de Macédoine et de notre politique. Je vous remercie.

LA PRÉSIDENTE (traduction)

Merci, Monsieur Gligorov, de cet exposé fort intéressant. Je rappelle aux parlementaires qui souhaitent poser des questions à M. Gligorov qu’ils ont trente secondes pour ce faire. La parole est à M. Ruffy, pour poser la première question.

M. RUFFY (Suisse)

Monsieur le Président, ce n’est pas sans une certaine émotion que je m’adresse à vous, puisque la dernière fois que j’ai eu le privilège de vous rencontrer, c’était avant l’acte de terrorisme dont vous avez été victime.

Je suis très heureux de vous voir parmi nous aujourd’hui, car je suis de ceux qui connaissent vos différents combats et qui sont pleins d’admiration pour votre sang-froid, votre sagesse politique et votre détermination à faire respecter les principes que nous partageons tous ici et que nous tentons de défendre avec la même conviction que vous.

Cela dit, Monsieur le Président, vous avez parlé de la stabilité et de la paix dans les Balkans et vous avez laissé entendre que l’adhésion des différents pays des Balkans aux conventions du Conseil de l’Europe serait un élément de stabilité.

Est-ce suffisant et ne devons-nous pas imaginer que les pays balkaniques pourraient s’engager mutuellement sur un certain nombre d’éléments fondamentaux?

Par ailleurs, quel est le périmètre géographique à l’intérieur duquel les Etats balkaniques devraient s’engager mutuellement?

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

rappelle que la division des Balkans a eu une influence considérable sur la division de l’Europe entière. Pour assurer la stabilité, il faut aujourd’hui permettre à cette région de redevenir membre de la communauté internationale et lui permettre d’utiliser pour cela l’expérience du Conseil de l’Europe. Si cet organisme refuse trop longtemps l’adhésion de certains pays, il faut craindre que cette attitude négative n’aboutisse à une perte d’influence. C’est donc un appel que le Président lance en faveur d’une adhésion de tous les pays des Balkans.

Il reconnaît, cependant, que les principes du Conseil de l’Europe doivent être respectés. Il convient de conseiller au mieux les différents pays afin de leur permettre de remplir ces obligations. L’orateur pense toutefois qu’on ne peut attendre que toutes les conditions soient pleinement réunies. L’important est de constater l’évolution rapide des pays qui souhaitent faire partie de la Communauté européenne et de les aider dans ce sens, notamment grâce à l’expertise et au monitorage.

M. ABOUT (France)

Monsieur le Président, je tiens dans un premier temps à vous remercier pour votre action et pour votre diplomatie en faveur de la paix et de la réconciliation dans la région des Balkans.

Malgré de nombreuses concessions, comme la suppression de l’étoile de Virginia sur votre drapeau, vous n’avez toujours pas le droit d’utiliser les termes «République de Macédoine» pour nommer votre pays. La France, pour sa part, apprécie l’usage par l’un de ses voisins du nom de l’une de ses régions, la Bretagne.

Vous faudra-t-il qualifier votre pays de «grand» pour éviter les querelles? Peut-être pourriez-vous l’appeler «la République de la Grande Macédoine»?

Plus sérieusement, Monsieur le Président, est-il permis d’espérer une issue rapide à cette querelle de mots?

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

rappelle que le Conseil de l’Europe et les Nations Unies ont adopté une résolution demandant à la République de Macédoine de trouver un accord avec ses voisins.

Il est arrivé que certains pays changent de nom, mais il s’agissait alors d’une décision souveraine. Dans le cas de la Macédoine, il y a exception à cette pratique traditionnelle puisque le changement serait imposé de l’extérieur. On se trouve donc dans une impasse, car il n’est pas question pour les Macédoniens de renoncer à leur souveraineté, c’est-à-dire à leur dignité. On conviendra que, sur un point aussi fondamental; il ne puisse être question d’aller trop vite. C’est pourquoi les autorités macédoniennes cherchent une solution conciliant les intérêts communs de deux peuples unis par l’Histoire.

M. Gligorov se dit fier qu’en dépit de l’embargo qui a durement éprouvé son pays le peuple macédonien n’éprouve pas de ressentiment à l’égard des Grecs. Des échanges, notamment commerciaux, se multiplient entre les deux nations. Il convient donc de se donner le temps de résoudre ces difficultés, ce qui ne pourra se faire que si chaque pays surmonte ses aspirations nationalistes. Chacun doit comprendre que la Macédoine ne peut renoncer à son nom. L’accepter signifierait pour elle accepter la perte de son identité, avec le risque de conflit et peut-être de guerre généralisée qu’une telle frustration engendrerait.

M. LANDSBERGIS (Lituanie) (traduction)

Je continue de me demander quelles autres dénominations le «Pickwick Club» politique se mettra encore en tête d’inventer. Nous avons déjà un certain nombre de noms officiels étranges: l’ex-République soviétique de Russie, par exemple, ou bien l’actuelle Yougoslavie, ou encore l’ancienne Serbie-Monténégro. Tout cela devient d’une insupportable absurdité. Mais je connais déjà votre réponse. Merci beaucoup.

M. PAVLIDIS (Grèce) (traduction)

Je suis grec et je partage votre point de vue sur la stabilité de la région. Je salue également les efforts entrepris en vue de résoudre certains de nos problèmes – je fais allusion ici aux problèmes entre la Grèce et «l’ex-République yougoslave de Macédoine» -, mais la question de la dénomination du pays est encore officiellement pendante aux Nations Unies. Me référant à la réponse que vous avez faite à M. About, je me demande si vous avez véritablement l’intention de continuer les discussions en cours à New York.

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

répond que ces discussions doivent absolument se poursuivre: elles sont indispensables si l’on souhaite trouver une solution acceptable par les deux parties et parvenir à un accord dans un, trois ou six mois. Tout dépendra de la bonne volonté des négociateurs, qui doivent faire montre d’une capacité suffisante d’écoute et de réflexion. Pour autant, être convaincu de la nécessité du dialogue et du compromis ne signifie pas que ce compromis doive se traduire par une perte d’identité.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, répondant à l’une des questions précédentes, vous évoquiez l’embargo intolérable et néfaste que votre voisin, la Grèce, avait décrété à l’encontre de votre pays et qui a pris fin l’année dernière; vous saluiez également les progrès enregistrés depuis la levée de cet embargo. J’aimerais savoir quelles sont les difficultés qui persistent dans les relations entre vos deux pays, abstraction faite de celle qui consiste, pour vous, à ne pas pouvoir user du nom de Macédoine librement et de plein droit.

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

répond qu’il n’y a pas d’autre problème à proprement parler, exception faite de celui des réfugiés, qui devra être réglé avec l’aide du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

M. SOLÉ TURA (Espagne) (traduction)

Lors de la visite que j’ai effectuée dans l’«ex-République yougoslave de Macédoine» il y a quelque temps en tant que membre du Conseil de l’Europe, j’ai pu pleinement apprécier les efforts que vous avez déployés pour surmonter les grands problèmes que connaît votre pays. Vous avez particulièrement à coeur de résoudre la question des minorités, qui se pose dans une vaste aire géographique dépassant vos frontières nationales. Comment évaluez-vous l’évolution que l’on observe à cet égard chez certains de vos voisins, comme l’Albanie et le Kosovo? Quelles pourraient être les répercussions de cette évolution sur la situation de la minorité albanaise de Macédoine?

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

répond que la question du Kosovo est fondamentale et que là réside peut-être la cause première du déclenchement de la guerre que l’on connaît. Nul n’ignore que le Kosovo est peuplé d’une majorité d’Albanais, qui souhaitent légitimement voir leurs droits respectés. Comme ce n’est pas le cas, ils ont constitué des institutions parallèles, si bien que, sur un même territoire, les Albanais vivent d’un côté et les Serbes de l’autre.

Cette situation est intenable et M. Gligorov répète à M. Rugova, chaque fois qu’il est amené à le rencontrer, qu’il lui faut prendre l’initiative d’une négociation avec Belgrade pour régler cette question. M. Gligorov se dit persuadé, une fois de plus, que seul le dialogue permettra de résoudre ces difficultés. Si, toutefois, un conflit militaire se déclenchait – ce que, bien entendu, il ne souhaite pas – un tel événement ne pourrait rester sans conséquence pour son pays, car des centaines de milliers de réfugiés traverseraient la frontière, ce qui modifierait la carte ethnique de ce pays. Le conflit serait alors inévitable et il est à craindre que l’on assiste rait à un nouvel embrasement des Balkans.

M. DIAZ de MERA (Espagne) (interprétation)

observe que la population d’origine albanaise de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» croît trois fois plus vite que la population macédonienne de souche. Cependant, 22 % seulement des enfants albanais sont scolarisés. Il y a là un facteur d’instabilité évident. Que compte faire le Gouvernement macédonien à ce sujet?

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

rappelle avoir souligné, dans son allocution, que les droits des minorités de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» devaient être respectés. Les chiffres avancés par l’honorable parlementaire ressortent du recensement que «l’ex-République yougoslave de Macédoine» a entrepris avec l’agrément du Conseil de l’Europe. Il est apparu que la population de ce pays est constituée pour deux tiers de Macédoniens et que 22,9 % des habitants sont d’origine albanaise, le reste se répartissant entre diverses autres minorités, dont la minorité turque et la minorité serbe.

Telle est la répartition ethnique actuelle du pays. Des mesures ont été prises pour répondre aux demandes de la minorité albanaise, qui portaient principalement sur l’enseignement. Pour l’heure, la minorité albanaise dispose d’un enseignement primaire et secondaire entièrement dispensé dans sa langue. Le nombre d’étudiants en littérature et en histoire albanaises a doublé et deux facultés ont été ouvertes, qui devraient former des professeurs et des instituteurs de langue albanaise. C’est ainsi que l’on parviendra, à terme, à régler ce problème compliqué. Il se trouve en effet que le niveau de l’enseignement dispensé dans les établissements de la minorité albanaise est assez faible. Il faut donc faire porter l’effort sur la formation des maîtres pour éviter qu’en raison de la différence des niveaux d’enseignement l’accès à l’université ne soit rendu plus difficile pour les membres de la minorité albanaise.

Mme AYTAMAN (Turquie) (traduction)

Monsieur le Président, j’ai apprécié les efforts que vous avez déployés pour instaurer la paix et l’harmonie entre les différents groupes ethniques vivant sur le territoire de la Macédoine. Il est un fait qu’en donnant, en 1994, votre consentement à l’organisation d’un recensement sous l’égide du Conseil de l’Europe vous avez fourni un instrument qui pourrait constituer une base solide pour le développement d’une démocratie saine fondée sur l’harmonie sociale. Pourtant, l’un de vos voisins orientaux, tout en s’intéressant de près à la composition ethnique d’autres pays, répugne à reconnaître sur son territoire l’existence de groupes ethniques tels que les Macédoniens et les Turcs de Thrace orientale, qui bénéficient pourtant du statut de minorités nationales.

Monsieur le Président, quel jugement portez-vous sur une telle approche que je me vois dans l’obligation de qualifier de double? Comment pouvons-nous garantir la paix et la stabilité dans cette région et appuyer l’approche paneuropéenne alors que certains suivent encore de telles politiques ethnocentristes?

LA PRÉSIDENTE (traduction)

Monsieur le Président, avant de vous donner la parole, j’aimerais vous demander d’entendre les autres questions. Je rappelle aux parlementaires que je les arrêterai au bout de trente secondes.

Monsieur Bokov, vous connaissez le Règlement, vous êtes parmi nous depuis un certain temps déjà.

M. BOKOV (Bulgarie) (traduction)

Merci. Dans deux semaines, Sofia accueillera une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays des Balkans, à laquelle doit participer la Macédoine. J’aimerais vous demander ce que vous attendez de cette réunion et quelles en seront, d’après vous, les conclusions.

D’autre part, j’aimerais savoir si la Macédoine a l’intention de participer à la réunion des ministres de la Défense des pays balkaniques qui doit se tenir vers la fin de Tannée.

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

fait observer que la question des minorités se pose dans tous les pays des Balkans, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, et pas seulement dans «Tex-République yougoslave de Macédoine». La règle d’or selon lui doit être que les personnes qui vivent sur un même territoire doivent être traitées de la même manière. En ce qui la concerne, la Macédoine a une attitude tout à fait ouverte, mais elle considère que la question des minorités est de la compétence de chaque pays. Il ne faut pas, par des comparaisons dangereuses, exagérer l’importance de ce problème. L’essentiel est que chaque citoyen ait le droit de s’exprimer.

S’agissant de la réunion de Sofia, M. Gligorov indique que le ministre des Affaires étrangères a accepté d’y participer et il souligne que son pays est prêt à se rendre à toute réunion de ce type, portant sur des problèmes communs. Même s’il ne faut pas en attendre des résultats spectaculaires, une telle réunion constitue un pas en avant.

M. SZYMANSKI (Pologne) (traduction)

A ce jour, les conventions du Conseil de l’Europe sont au nombre de 163 et la plupart d’entre elles ont pour objectif d’harmoniser les législations nationales. Monsieur le Président, hormis la Convention européenne des Droits de l’Homme, j’aimerais savoir combien de conventions du Conseil de l’Europe votre pays a ratifiées ou signées et quelles mesures ont été prises pour leur mise en œuvre.

Sir Russell JOHNSTON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, comme beaucoup d’autres, j’aimerais rendre hommage au courage et à la résistance extraordinaires dont vous avez fait preuve. Vous avez mentionné un dialogue entre le Président Rugova et le Président Milosevic. Le problème réside très certainement dans le fait que les Albanais souhaitent un calendrier ouvert, alors que les Serbes de Belgrade refusent toute proposition ou tout débat sur une sécession. Selon vous, Monsieur le Président, comment l’Assemblée parlementaire pourrait-elle contribuer à sortir de l’impasse?

LA PRÉSIDENTE (traduction)

Je vous remercie de vous en être tenu à trente secondes.

Sir Russell JOHNSTON (traduction)

Je suis britannique.

M. Gligorov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)

estime que, quelles que soient les divergences, le dialogue est absolument nécessaire si Ton veut parvenir à un rapprochement, à une compréhension mutuelle favorables à la paix. M. Gligorov lance donc un appel pour un dialogue sans conditions préalables, avec éventuellement la présence d’un tiers ou d’un médiateur; il suffirait que les deux parties fassent preuve de bonne volonté.

M. Gligorov a évoqué dans son intervention des conventions très importantes qui seront signées en septembre, et par la suite ratifiées. D’autres suivront selon la procédure prévue par les statuts du Conseil de l’Europe.

LA PRÉSIDENTE (traduction)

Monsieur le Président, je vous remercie de votre allocution fort intéressante et des réponses très complètes que vous avez apportées aux questions que les parlementaires ont eu le plaisir de vous poser. Vous serez, j’en suis convaincue, conscient du profond intérêt qu’ils ne cessent de porter à tous les points que vous avez évoqués. Soyez assuré, Monsieur le Président, qu’il ne décroîtra pas.