Mikhail

Gorbatchev

Président du Soviet suprême de l'Union soviétique

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 6 juillet 1989

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous suis reconnaissant de l’invitation d’intervenir dans cette enceinte qui est l’un des épicentres de la politique européenne et de la réflexion européenne.

Cette rencontre, nous pouvons probablement l’envisager également comme un témoignage de la réalité et de la progression du processus européen.

Aujourd’hui, alors que le vingtième siècle entre dans sa phase finale, alors que la période d’après-guerre et la guerre froide s’estompent dans le passé, une chance unique est offerte aux Européens: celle de jouer dans l’édification d’un nouveau monde un rôle qui soit digne de leur passé, de leur potentiel économique et spirituel.

Dorénavant, tous ceux qui participent au processus européen sont appelés à mettre à contribution le plus complètement possible les prémisses créées grâce à notre œuvre commune.

Aujourd’hui plus que jamais, la communauté mondiale connaît des mutations profondes. Plusieurs de ses composantes traversent une période décisive pour leur destin.

La base matérielle de la vie, ses paramètres spirituels subissent une transformation radicale. Des facteurs de progrès nouveaux et toujours plus puissants apparaissent.

Mais à leur côté, et dans leur sillage, continuent à exister, et même s’accentuent, les dangers inhérents à ce progrès.

Il est absolument indispensable de faire tout ce qui est dans le pouvoir de la pensée moderne pour que l’homme puisse continuer à s’acquitter de la mission qui lui appartient sur cette terre et peut-être dans l’univers afin qu’il puisse s’adapter aux nouveaux stress de la vie moderne et sortir vainqueur de la lutte pour la survie des générations présentes et futures.

Cette considération concerne l’humanité tout entière. Quant à l’Europe, ceci est trois fois plus vrai, qu’il s’agisse de la responsabilité historique, de l’urgence et de l’acuité des problèmes et des objectifs ou encore des potentialités.

La situation en Europe a également cela de particulier qu’elle ne pourra être à la hauteur de cette mission, répondre aux espoirs de ses peuples et accomplir son devoir international à cette nouvelle étape de l’histoire mondiale qu’en reconnaissant son indivisibilité et en débouchant sur des conclusions adéquates.

Dans les années 20 était largement répandue la théorie du «déclin de l’Europe». Aujourd’hui encore, dans certains milieux, elle est à la mode. Nous ne partageons pas ce pessimisme au sujet de l’avenir de l’Europe.

L’Europe a été la première à ressentir les incidences de l’internationalisation économique, d’abord, et, ensuite, de toute la vie sociale.

Ici, l’interdépendance des pays, en tant qu’étape plus élevée du processus d’internationalisation, s’est fait sentir plus tôt que dans d’autres régions de la planète.

A plus d’une reprise, l’Europe a été l’objet de tentatives de l’union par la force. Mais elle connaît tout aussi bien les espoirs nobles d’une association bénévole et démocratique des peuples européens.

Victor Hugo disait: «Un jour viendra où vous, France, vous, Russie, vous, Italie, vous, Angleterre, vous, Allemagne, vous, toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne... Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées.»

Il ne suffit plus, aujourd’hui, de constater la communauté des destinées et l’interdépendance des États européens.

L’idée de l’union européenne doit être réexaminée et concertée par toutes les nations – grandes, moyennes ou petites.

Serait-il réaliste de formuler ainsi la question? Je suis conscient que nombreux sont ceux en Occident qui estiment que la difficulté principale réside dans l’existence de deux systèmes sociaux.

Or, la difficulté se présente plutôt sur un autre plan: il s’agit d’une conviction fort répandue (voire d’une prise de position politique) selon laquelle surmonter la scission de l’Europe signifie surmonter le socialisme.

Cette politique est pour le moins celle orientée à la confrontation. Aucune union ne pourra être faite à partir de ces approches.

L’appartenance des États européens aux systèmes sociaux différents est une réalité. La reconnaissance de ce fait historique, le respect du droit souverain de chaque peuple de choisir librement le régime social constituent une prémisse primordiale d’un processus européen normal.

L’organisation sociale et politique des différents pays a subi par le passé des modifications, et ce processus peut continuer. Toutefois, c’est aux peuples d’en décider et de faire leur choix.

Toute ingérence dans les affaires intérieures, toute tentative de limiter la souveraineté des États, qu’il s’agisse des amis et alliés ou de n’importe quel autre État, sont inadmissibles.

Les différences entre les États ne peuvent pas être effacées. Comme il a été souligné à plusieurs reprises, elles sont même bénéfiques, à condition, bien entendu, que la compétition entre les différents types de sociétés soit orientée vers l’amélioration des conditions de vie matérielles et spirituelles de l’homme.

Grâce à la perestroïka, l’URSS pourra participer à part entière à cette compétition honnête, égale et constructive. Malgré toutes les insuffisances et tous les retards, nous sommes conscients des avantages que présente notre système social et qui découlent de ses facultés naturelles.

Aussi sommes-nous convaincus de pouvoir les mettre à contribution à notre propre avantage et à l’avantage de l’Europe.

Le temps est venu de mettre aux archives les postulats de la guerre froide, quand l’Europe a été considérée comme une arène de confrontation divisée en zones d’influence et en zones tampons, comme site de confrontation militaire, théâtre de guerre.

Dans notre monde interdépendant, les notions géopolitiques nées dans une autre époque se révèlent aussi impuissantes du point de vue de la politique que les lois de la mécanique classique appliquées à la théorie des quanta.

Cependant, c’est précisément à partir de ces stéréotypes obsolètes que l’on continue – certes moins que dans le passé – à suspecter l’Union Soviétique d’avoir des plans hégémonistes, de vouloir dissocier les États-Unis de l’Europe.

Certains voudraient même placer l’URSS en dehors de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, en limitant celle-ci dans un espace «de Brest à Brest». L’URSS serait trop grande pour la cohabitation, les autres, à côté d’elle, seraient mal à l’aise.

Les réalités du présent et les perspectives pour un avenir prévisible sont évidentes: l’URSS et les États-Unis sont des composantes naturelles de la structure internationale et politique de l’Europe.

Leur participation à son évolution est non seulement justifiée, mais aussi prédéterminée par l’Histoire même. Aucune autre approche ne peut être acceptée. D’ailleurs, elle ne servira à rien.

Depuis des siècles, l’Europe apporte sa contribution irremplaçable à la politique, à l’économie, à la culture mondiales, au développement de la civilisation tout entière.

Son rôle dans l’histoire mondiale est universellement reconnu et apprécié.

Pourtant, n’oublions pas que les métastases de l’esclavage colonial se sont propagées dans le monde à partir de l’Europe. C’est ici qu’est né le fascisme. C’est ici que les guerres les plus destructrices ont commencé.

Alors, l’Europe, qui a toutes les raisons d’être fière de ses réalisations, est encore très loin de s’acquitter de sa dette face à l’humanité. Ceci reste toujours à faire.

Elle devra le faire en cherchant à transformer les relations internationales dans l’esprit d’humanisme, d’égalité, de justice, en donnant l’exemple de démocratie et des réussites sociales dans ses propres pays.

Le processus d’Helsinki a déjà entamé cette grande œuvre de portée globale.

Après Vienne et Stockholm, ce processus a été porté jusqu’à une étape fondamentalement nouvelle. Les documents qui ont été adoptés constituent aujourd’hui l’incarnation optimale de la culture politique et des traditions morales des peuples européens.

Dorénavant, tous ceux qui participent au processus européen sont appelés à mettre à contribution le plus complètement possible les prémisses créées grâce à notre œuvre commune. Notre idée de la maison européenne commune est, elle aussi, mise au service de cette cause.

Cette idée est née de la prise de conscience des nouvelles réalités, de la compréhension du fait que l’évolution linéaire des relations intereuropéennes, qui s’est poursuivie jusqu’au dernier quart du vingtième siècle, ne correspond plus à ces réalités.

Elle est liée à la refonte économique et politique dans notre pays, pour laquelle il était indispensable que de nouveaux rapports soient établis en premier lieu dans la partie du monde dont fait partie l’Union Soviétique et à laquelle nous sommes liés plus que quiconque depuis des siècles.

Nous avons également pris en considération que le fardeau colossal des armements et le climat de confrontation ont non seulement entravé le développement normal de l’Europe, mais ont en même temps empêché – en termes économiques, politiques et psychologiques – notre pays de s’associer à part entière au processus européen et engendré des impulsions déformatrices dans son développement.

Tels sont les motifs qui nous ont poussé à donner un nouvel essor à notre politique européenne qui, d’ailleurs, a depuis toujours pour nous une valeur intrinsèque.

Au cours des rencontres qui ont eu lieu ces derniers temps avec des leaders européens, il a été question, notamment, de l’architecture de la maison commune ainsi que des techniques de sa construction et même de son «ameublement».

Les entretiens à ce sujet à Moscou et à Paris, avec le Président François Mitterrand, ont été fructueux et d’une grande envergure.

Néanmoins, même aujourd’hui, je ne prétends pas avoir dans ma poche un projet tout prêt de cette maison. J’évoquerai un seul élément, le plus important, à mon avis.

En fait, il s’agit d’une restructuration de l’ordre international établi en Europe, qui pourrait faire avancer résolument au premier plan les valeurs européennes et substituer l’équilibre des intérêts à l’équilibre traditionnel.

Que pourrait-on dire concrètement à ce sujet?

Au premier plan viennent les questions de sécurité.

Dans le contexte du nouveau mode d’idées, nous avons commencé par un réexamen critique des idées que nous avions du face à face militaire en Europe, de l’importance du danger extérieur et du rôle du facteur de la force dans le renforcement de la sécurité.

C’est une œuvre difficile, parfois douloureuse. Mais, en fin de compte, on est arrivé à des décisions permettant de rompre le cercle vicieux «action-contre-action» des rapports entre l’Est et l’Ouest.

Sans aucun doute, le départ a été donné grâce aux efforts conjugués soviéto-américains dans le domaine du désarmement nucléaire et leur rôle a été considérable.

Le traité sur les missiles à moyenne et à plus courte portée n’a pas été tout simplement approuvé par les Européens. Nombreux étaient ceux qui ont contribué à sa conclusion.

Les négociations de Vienne ont ouvert une étape fondamentalement nouvelle du processus de réduction des armements.

Ce ne sont plus deux puissances, mais vingt- trois États qui participent. Et les trente-cinq participants au processus européen continuent à élaborer les mesures de confiance dans le domaine militaire. Ces deux négociations ont lieu dans des locaux différents, et, pourtant, elles sont intimement liées.

Personne ne saurait être étranger à l’œuvre de l’édification de la paix en Europe. Tous les partenaires de cette entreprise sont égaux, et chacun, y compris les pays neutres et non alignés, assume sa part de responsabilité face à son peuple et face à l’Europe.

La philosophie du concept de la maison européenne commune exclut toute probabilité d’un affrontement armé, toute possibilité de recourir à la force ou à la menace de la force, notamment la force militaire employée par une alliance contre une autre, à l’intérieur des alliances, où que ce soit.

Elle propose de substituer la doctrine de modération à celle de dissuasion. Et ce n’est pas un jeu de notions mais la logique même du développement européen dictée par la vie.

Nos objectifs aux négociations de Vienne sont notoires. Nous estimons qu’il est tout à fait possible – d’ailleurs, le Président des États-Unis se prononce dans le même sens – d’abaisser considérablement, dans les deux ou trois ans à venir, le niveau des armements en Europe, à condition, bien entendu, que toutes les asymétries et tous les déséquilibres soient supprimés.

Je souligne qu’il s’agit de toutes les asymétries et de tous les déséquilibres. Aucun double standard ne peut être accepté dans ce contexte.

Nous sommes convaincus qu’il est temps de commencer également des négociations sur les moyens nucléaires tactiques entre toutes les parties concernées. Ici, l’ultime objectif consiste à éliminer complètement cette arme. Elle menace uniquement les Européens et ces derniers n’ont pas du tout l’intention de se battre entre eux. Alors qui aurait besoin de cette arme et pourquoi?

Liquider les arsenaux nucléaires ou les conserver à tout prix? Est-ce que la stratégie de dissuasion nucléaire renforce la stabilité ou la sape?

Sur ces questions, les positions de l’OTAN et du Pacte de Varsovie se présentent comme étant diamétralement opposées.

Toutefois, nous ne dramatisons pas les divergences. Nous-mêmes, nous cherchons des issues et nous y invitons nos partenaires.

Nous estimons en effet, que l’élimination des armes nucléaires est un processus qui se déroule par étapes. Une partie du chemin qui nous sépare de l’élimination complète des armes nucléaires, les Européens peuvent la parcourir tous ensemble, sans renoncer à leurs positions respectives: l’URSS peut rester fidèle aux idéaux d’un monde sans armes nucléaires et l’Occident au concept de «dissuasion minimale».

Pourtant, il faut bien comprendre ce que cache le terme «minimal» et par où passe la limite au-delà de laquelle le potentiel de riposte nucléaire se transforme en potentiel offensif. Dans ce domaine, les ambiguïtés ne manquent pas et tout ce qui n’est pas explicite ne peut que générer la méfiance.

Alors, pourquoi ne pourrait-on pas se réunir avec des experts de l’URSS, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, ainsi que des États qui ont sur leurs territoires des armes nucléaires, et procéder à un examen approfondi de ces problèmes?

Si ces experts arrivaient à des évaluations communes au niveau politique, le problème serait également simplifié.

S’il devient apparent que les pays de l’OTAN sont disposés à entrer avec nous en négociations sur les armes nucléaires tactiques, nous pourrions, naturellement, après avoir consulté nos alliés, procéder sans retard à la poursuite des réductions unilatérales de nos missiles nucléaires tactiques en Europe.

L’Union Soviétique et les autres pays du Pacte de Varsovie ont déjà commencé unilatéralement et sans rapports aux négociations de Vienne à réduire leurs forces armées et armements sur le territoire de l’Europe.

Leur structure et leur composition sont en train de se transformer en conformité avec la doctrine défensive de suffisance raisonnable.

Du point de vue du volume des armements et des effectifs et du point de vue de leur stationnement, formation et activité militaire, cette doctrine exclut la possibilité physique de lancer une offensive et de mener des opérations militaires d’envergure.

Dès cette année nous procédons à la réduction des dépenses nucléaires. De toute façon, comme l’a déclaré le Soviet suprême de l’URSS, nous avons l’intention, si la situation est favorable, de diminuer sensiblement – de une fois et demie à deux fois – la part de nos investissements de défense dans le revenu national d’ici l’an 1995.

Nous apportons une attention soutenue à la conversion de l’industrie militaire. Tous les pays qui participent au processus européen devront faire face, d’une manière ou d’une autre, à ce problème. Nous sommes prêts à échanger nos points de vue et nos expériences.

Nous supposons qu’il est également possible d’engager le potentiel des Nations Unies, d’instituer, par exemple, dans le cadre de la Commission économique pour l’Europe un groupe de travail conjoint en vue d’étudier des problèmes de conversion.

Devant les parlementaires européens, en d’autres termes, devant l’Europe tout entière, je voudrais réitérer nos positions claires et simples sur les problèmes du désarmement. Elles sont le fruit d’une nouvelle pensée et trouvent leur expression législative, étant consacrées au nom de tout notre peuple, dans la résolution du Congrès des députés du peuple de l’URSS, aux termes de laquelle: nous nous prononçons pour un monde dénucléarisé, pour l’élimination de toute arme nucléaire d’ici au début du prochain siècle; nous sommes pour l’élimination complète des armes chimiques dans l’immédiat et pour la destruction définitive de la base industrielle de la production de ces armes; nous sommes pour les réductions radicales des armements et des forces armées conventionnels jusqu’aux niveaux de la suffisance défensive raisonnable qui exclut l’emploi de la force militaire contre les autres États à des fins offensives; nous sommes pour le retrait total de toutes les troupes étrangères du territoire des autres pays; nous sommes résolument contre la création de toute arme spatiale; nous sommes pour la dissolution des blocs militaires et l’ouverture immédiate, à cet effet, d’un dialogue politique entre eux, pour la création du climat de confiance excluant toutes les actions de surprise; nous sommes pour un contrôle en profondeur, continu et efficace, de tous les traités et accords qui peuvent être conclus dans le domaine du désarmement.

Je suis convaincu qu’il est grand temps pour les Européens de mettre leur politique et leur comportement en conformité avec le nouveau raisonnement, non de se préparer à la guerre, de s’intimider, de rivaliser dans le perfectionnement des armes, et surtout pas dans les tentatives de compenser des réductions effectuées, mais d’apprendre à créer ensemble la paix et de construire ensemble une base solide pour cette paix.

Si la sécurité constitue les fondements de la maison européenne commune, son ossature, c’est la coopération multiforme.

Le dialogue intense entre les États, au niveau bilatéral et multilatéral est le signe de l’avènement d’une nouvelle situation en Europe et, d’ailleurs, dans le monde entier. L’éventail des accords, des traités, des autres arrangements est devenu plus vaste. Les consultations officielles sur différents problèmes sont devenues aujourd’hui chose courante.

Pour la première fois, des contacts ont été établis entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, la Communauté européenne et le Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM), sans parler de nombreuses organisations politiques et sociales des deux parties de l’Europe.

Nous avons noté avec satisfaction la décision de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe concernant l’octroi à l’Union Soviétique du statut d’invité spécial. Nous sommes disposés à coopérer. Mais nous croyons, néanmoins, qu’il est possible d’aller encore plus loin.

Nous serions prêts à adhérer à certaines conventions internationales du Conseil de l’Europe, ouvertes à d’autres États dans le domaine de l’écologie, de la culture, de l’enseignement, de la télédiffusion. Nous exprimons notre volonté de coopérer avec des institutions spécialisées du Conseil de l’Europe.

C’est à Strasbourg que se trouvent l’Assemblée parlementaire, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen. Si nos relations s’intensifient, si elles prennent un caractère régulier, nous serions prêts – certes, avec le consentement du Gouvernement français – à ouvrir ici notre consulat général.

Il va sans dire que les relations interparlementaires sont d’une grande portée pour la dynamisation du processus européen. Un pas important a déjà été fait: à la fin de l’année dernière, une première rencontre des présidents des parlements des trente-cinq États a eu lieu à Varsovie.

Nous avons apprécié à sa juste valeur la visite en URSS de la délégation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dirigée par M. Björck, son Président.

J’espère qu’elle a pu tâter le pouls, fort et bien prononcé, de la perestroïka soviétique.

Nous croyons que les premiers contacts établis avec le Parlement européen sont très importants.

D’ailleurs, nous avons pris note de ses résolutions relatives aux problèmes militaro-politiques qui représentent, selon sa propre estimation, «le noyau du consensus des pays de l’Europe occidentale dans le domaine de la sécurité».

A cette occasion, je ne peux pas ne pas mentionner les plans de défense de l’Europe occidentale. Naturellement, chaque État et chaque association d’États ont droit de prendre soin de leur sécurité sous des formes qu’ils estiment appropriées.

Seulement, il importe que ces formes n’entrent pas en contradiction avec les tendances positives de notre époque, celles de la détente militaire, qu’elles ne conduisent pas à l’accentuation des poussées vers la confrontation dans la politique européenne et, par là même, vers une nouvelle course aux armements.

L’inclusion à l’ordre du jour de la convocation, dans un an et demi ou deux ans, d’une deuxième réunion du type d’Helsinki reste une nécessité pressante. Il est temps que la présente génération des dirigeants des pays européens, des États-Unis et du Canada, examinent, à part les questions d’actualité, le problème concernant leur conception des prochaines étapes de la progression vers une communauté européenne du vingt et unième siècle.

En ce qui concerne le contenu économique de la maison européenne commune nous considérons comme réelle, quoique éloignée, la perspective de la création d’un large espace économique s’étendant de l’Atlantique à l’Oural et caractérisé par une forte interdépendance de ces parties orientale et occidentale.

La transition qui s’opère en Union Soviétique vers une économie plus ouverte a, dans ce sens, une importance fondamentale, d’ailleurs pas uniquement pour nous-mêmes, pour accroître l’efficacité de l’économie nationale et pour satisfaire aux demandes des consommateurs.

Cela renforcera l’interdépendance des économies de l’Est et de l’Ouest et, par conséquent, aura une influence favorable sur l’ensemble des relations européennes.

Des traits similaires du fonctionnement pratique des mécanismes économiques, la consolidation des liens et un plus grand intérêt économique, l’adaptation réciproque, la formation de spécialistes dans les domaines appropriés sont autant de facteurs qui ont une action à long terme dans la voie de la coopération, autant de gages de stabilité de l’ensemble du processus européen et international.

Les contacts que j’ai eus avec les responsables du monde d’affaires du Royaume-Uni, de la République Fédérale d’Allemagne, de la France, de l’Italie, des États-Unis, au cours de mes visites à l’étranger et, plus d’une fois, à Moscou, témoignent de l’intérêt accru de traiter avec nous dans les conditions de la perestroïka.

Nombreux sont ceux qui ne dramatisent pas nos difficultés, qui tiennent compte des particularités du moment, où la réforme détruit les mécanismes obsolètes plus vite qu’elle n’en construit de nouveaux.

J’ai remarqué également la ferme volonté des gens d’affaires expérimentés et possédant une mentalité politique ouverte d’accepter des risques justifiés, de faire preuve d’audace, d’agir en regardant l’avenir.

Cela servira d’ailleurs, non seulement les intérêts du business, mais aussi les intérêts de progrès et de paix, de l’humanité tout entière.

Il semble que l’on réalise davantage que limiter les relations avec nous à un profit commercial immédiat, signifie laisser échapper la chance d’une coopération économique d’envergure et à long terme – beaucoup plus avantageuse – en tant que composante du processus européen.

J’estime que cette auguste Assemblée sera d’accord de constater qu’il serait peu normal d’envisager à notre époque les relations économiques en dehors des liens scientifiques et techniques. Or, dans les relations Est-Ouest, ces derniers sont dans une large mesure affaiblis par le COCOM.

Et si, en pleine guerre froide, une pareille pratique pouvait se justifier d’une manière ou d’une autre, aujourd’hui, plusieurs prohibitions n’ont pas l’air simplement dérisoires.

Certes, chez nous aussi, il y a trop de choses qui passent pour être confidentielles. Mais nous avons déjà commencé à y remédier. Nous commençons à nous débarrasser de notre «COCOM intérieur» – le cloisonnement qui existe entre les industries militaire et civile.

Alors, faudrait-il peut-être, que les spécialistes et les représentants des gouvernements appropriés se réunissent et déblaient cet encombrement créé par la guerre froide.

Faudrait-il établir des limites raisonnables, dictées vraiment par la sécurité, pour ce qui est secret, et libérer le flot, dans les deux sens, du savoir scientifique et de l’art technologique?

L’Est comme l’Ouest de l’Europe porte le même intérêt pour des projets d’actualité tels que: la construction d’une ligne ferroviaire transeuropéenne à grande vitesse; le programme européen concernant l’élaboration de nouvelles technologies et du nouvel équipement, l’utilisation de l’énergie solaire, l’élaboration des procédés de traitement et de l’enterrement des déchets nucléaires et l’accroissement de la sécurité des centrales atomiques; l’ouverture des chaînes additionnelles de transmission de l’information avec l’utilisation des fibres optiques; la mise sur pied du système européen de transmission par satellite.

La mise au point du système de télévision à haute définition est extrêmement intéressante. Les recherches sont menées dans plusieurs pays et ce système a un grand avenir pour être installé dans la maison européenne. Naturellement, le modèle le plus perfectionné et le moins coûteux sera préférable.

En 1985, nous avons avancé à Paris avec le Président François Mitterrand, l’idée de création à titre expérimental d’un réacteur thermonucléaire international. Il sera une source intarissable d’énergie non polluante.

Ce projet qui est le résultat de l’utilisation des potentiels scientifiques réunis de l’URSS, des pays de l’Europe occidentale, des États-Unis, du Japon, des autres États, a atteint actuellement sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l’étape des recherches pratiques.

Selon les prévisions des savants, la construction d’un tel réacteur peut être effectuée vers la fin du siècle. Il s’agit d’une réalisation grandiose de la pensée scientifique et de l’art technologique qui contribuera à l’avenir de l’Europe et du monde entier.

Le modèle du rapprochement économique entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest sera déterminé, non pas en dernier lieu, par des rapports entre les associations régionales occidentales, la Communauté européenne, l’AELE et le CAEM. Chacune d’elles possède sa propre dynamique du développement et ses propres problèmes.

Nous ne doutons pas que les processus d’intégration en Europe occidentale prennent une qualité nouvelle. Nous n’avons pas, non plus, tendance à sous-estimer l’apparition, ces prochaines années, d’un marché européen unique.

Le Conseil de l’assistance économique mutuelle s’est également orienté vers la construction d’un marché unifié, quoique là, nous sommes très en retard.

La marche de la restructuration du CAEM déterminera pour beaucoup ce qui sera développé plus vite dans les années à venir – les rapports entre la CAEM et la Communauté européenne, en tant que groupements, ou bien les liens entre les pays socialistes isolés et la Communauté européenne.

Il est fort possible que l’une ou l’autre forme s’avance au premier plan aux différentes étapes. Il est important que toutes les deux s’inscrivent dans la logique de la construction de l’espace économique européen.

Pour ce qui est de l’URSS, nous avons à l’ordre du jour l’accord commercial et économique entre notre pays et la Communauté européenne. Nous attribuons à cet acte une importance substantielle également du point de vue des intérêts européens.

Naturellement, nous sommes loin d’opposer nos liens avec la Communauté européenne à ceux que nous avons avec d’autres associations ou États. Les pays membres de l’AELE sont nos bons partenaires de vieille date.

Il serait peut-être raisonnable de parler du développement des relations entre le CAEM et l’AELE, d’utiliser cette direction de la coopération multilatérale dans l’édification d’une nouvelle Europe.

La maison européenne doit être écologiquement propre. La vie a donné des leçons bien pénibles. Depuis longtemps, les grands problèmes écologiques en Europe ont débordé le cadre national. Il est donc urgent de créer un système régional de la sécurité écologique.

Il est tout à fait possible que cela soit précisément dans cette direction prioritaire que le processus européen se développe le plus vite.

L’élaboration d’un programme écologique continental à long terme pourrait représenter un premier pas.

Notre proposition concernant la création d’un centre de l’assistance écologique urgente auprès de l’ONU est connue.

L’Europe a l’extrême besoin d’un tel centre ou d’une agence dotée du système d’avertissement.

Peut-être faudra-t-il réfléchir à la fondation d’un institut européen de recherches écologiques et d’expertise, et – le temps venu – à la création d’un organisme aux pouvoirs d’adopter les décisions exécutoires.

La réunion de Vienne a statué sur la convocation, cet automne à Sofia, du forum de trente- cinq pays sur les questions d’écologie. On pourrait y examiner ces problèmes sur le plan pratique.

Des catastrophes naturelles et technologiques causent à l’humanité des pertes de plus en plus lourdes. Des dizaines et même des centaines de milliers de vies sont emportées chaque année. Des moyens énormes sont dépensés pour réparer les dégâts. Les savants sonnent l’alarme: la vulnérabilité des villes les plus grandes face aux calamités naturelles ne cesse de s’accentuer.

Nous sommes au courant des projets d’envergure concernant la lutte contre ce danger global grandissant.

L’Académie des sciences de l’URSS a fondé l’Institut international de la théorie de pronostics des séismes et invite les scientifiques de tous les pays à participer à l’établissement d’une base scientifique relative aux problèmes de sécurité des grandes villes, à la prévision des sécheresses, de l’éventualité des catastrophes climatiques.

L’Union Soviétique est prête à fournir, à ces fins, des satellites, des navires océaniques, des technologies de pointe. Il serait sans doute utile d’associer aux activités internationales de sauvetage et de restauration les organismes militaires de divers pays, avant tout les services médicaux et de génie.

Le contenu humanitaire du processus européen est un des éléments primordiaux.

On ne peut pas se sentir en sécurité dans un monde où il est possible de réduire les arsenaux de guerre, mais où, en même temps, les droits de l’homme sont lésés.

Cette conclusion, nous l’avons faite une fois pour toutes.

A cet égard, les décisions adoptées à la rencontre de Vienne marquent une véritable percée. Est dressé tout un programme d’actions conjuguées des pays européens prévoyant des activités les plus variées. Un accord existe sur plusieurs questions qui étaient tout récemment encore une pierre d’achoppement dans les relations entre l’Est et l’Ouest.

Nous sommes convaincus que le processus européen doit avoir des fondements juridiques solides. Telle que nous la concevons, la maison européenne commune est une communauté de droit. Et nous avons déjà pris, quant à nous, cette direction.

D’ailleurs, voici ce que dit la décision du Congrès des députés du peuple de l’URSS:

«En s’appuyant sur les règles et les principes internationaux, y compris ceux de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des arrangements et des accords d’Helsinki, en concordant avec eux sa législation interne, l’URSS contribuera à la création d’une communauté mondiale des États de droit.»

Là aussi l’Europe pourrait servir d’exemple. Il est évident que son intégrité du point de vue du droit international se compose de particularités nationales et sociales des États. Chaque pays européen, les États-Unis et le Canada ont leurs propres lois et traditions dans la sphère humanitaire, mais il existe aussi des principes et des règles universellement reconnus.

Il serait probablement utile de comparer les législations dans le domaine des droits de l’homme en instituant à cette fin soit un groupe de travail ad hoc, soit un institut européen de droit humanitaire comparatif.

Étant donné la différence des systèmes sociaux, il est peu probable que nous arrivions à faire totalement coïncider nos points de vue. Toutefois, la rencontre de Vienne et les récentes conférences de Londres et de Paris ont montré qu’il existait des opinions et des approches communes et qu’il était possible de les multiplier.

Ceci nous autorise à évoquer l’éventualité de la création d’un espace juridique européen.

L’Union Soviétique et la France ont avancé au Forum humanitaire de Paris une initiative à cet effet en se portant coauteurs. Elle a été appuyée par la République Fédérale d’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie.

Il convient d’élargir sensiblement la coopération dans la culture, d’assurer une interaction plus profonde dans le domaine des sciences humaines, et les échanges des informations doivent être placés à un niveau plus élevé. Bref, il faut intensifier le processus permettant aux Européens de se connaître mieux. Un rôle particulier pourrait revenir, à cet égard, à la télévision, grâce à laquelle non pas des centaines et des milliers, mais des dizaines et des centaines de millions de personnes pourraient se contacter.

Toutefois, là aussi des dangers existent. Il importe d’en être conscient. La scène théâtrale, les écrans, les salles d’exposition, les maisons d’édition sont envahis par la pseudo-culture, étrangère à l’Europe. Une attitude dédaigneuse à l’égard de la langue nationale se manifeste. Tout ceci doit mobiliser notre attention et nos efforts concertés dans l’esprit du respect des valeurs nationales authentiques de chaque pays.

On peut parler des échanges d’expérience dans le domaine de la préservation du patrimoine culturel, des activités relatives à l’initiation mutuelle des peuples européens aux particularités de leurs cultures réciproques, de la promotion en commun de l’étude des langues.

Il pourrait également s’agir de la coopération dans le domaine de la conservation des monuments de l’histoire et de la culture, de la coproduction cinématographique, des émissions de télévision et des films vidéo, popularisant les acquis des cultures nationales et les meilleurs échantillons d’œuvres d’art du passé et du présent.

Mesdames, Messieurs, c’est seulement en unissant leurs efforts que les Européens sauront relever les défis du siècle à venir.

Nous sommes animés par la conviction qu’ils ont besoin d’une Europe unie, pacifique et démocratique, gardant tout son caractère hétérogène et fidèle aux idéaux humanistes universels, une Europe prospère, tendant la main à toutes les autres parties du monde. Une Europe qui progresse avec assurance vers son avenir.

C’est dans cette Europe que nous situons notre propre avenir.

La perestroïka qui a pour objectif une rénovation profonde de la société soviétique prédétermine, de ce fait, notre politique visant à favoriser cette direction particulière de l’évolution de l’Europe.

La perestroïka change notre pays, l’emmène vers de nouvelles frontières. Ce processus ira en s’approfondissant, en transformant la société soviétique sous tous les rapports – dans les domaines économique, social, politique, moral, dans toutes les affaires intérieures et dans les rapports humains.

Nous avons entamé cette voie d’une manière ferme et résolue. La preuve en est donnée par la décision du Congrès des députés du peuple de l’URSS, intitulée «Les orientations principales de la politique intérieure et extérieure de l’Union Soviétique», document qui, au nom du peuple, a consacré notre choix, notre voie de la perestroïka.

J’attire votre attention sur cette décision. Elle a une importance substantielle et révolutionnaire pour les destinées du pays que vous- mêmes appelez «superpuissance».

A la suite de sa mise en œuvre, vos gouvernements, parlements et peuples auront prochainement affaire à un État socialiste tout à fait différent de ce qu’il était jusqu’à présent.

Et ceci ne manquera pas d’avoir un impact favorable – peut-il être autrement? – sur tout le processus mondial.

Je vous remercie de votre attention.