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Rapport | Doc. 11305 | 25 juin 2007

Vers une dépénalisation de la diffamation

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Jaume BARTUMEU CASSANY, Andorre

Résumé

La liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des Droits de l’Homme, est une des pierres angulaires de toute démocratie, dont elle garantit la vitalité.

Or, si les législations antidiffamation peuvent poursuivre des buts légitimes, les sanctions pénales peuvent être porteuses d’un chilling effect (effet dissuasif) et restreindre le débat libre. Un recours abusif à ces législations – qu’elles relèvent du droit pénal ou du droit civil – fait peser une épée de Damoclès sur toute personne souhaitant faire usage de sa liberté d’expression, et en particulier sur les médias. In fine, c’est la société tout entière qui pâtit des pressions qui peuvent être exercées sur les journalistes.

C’est la raison pour laquelle l’Assemblée a jugé nécessaire de mener une réflexion à ce sujet. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme l’invite à prendre une position claire en faveur de l’abolition pure et simple des peines de prison pour diffamation et contre l’usage immodéré des dommages-intérêts.

Le Comité des Ministres est également invité à demander à tous les Etats membres de réviser leurs législations antidiffamation; à préparer une recommandation en vue d’éradiquer l’usage abusif des poursuites pénales; et à réviser sa Recommandation no R (97) 20 sur le discours de haine en prenant en compte les nouvelles évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

A. Projet de résolution

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, rappelant sa Recommandation 1589 (2003) et sa Résolution 1535 (2007), réaffirme avec vigueur que la liberté d’expression est une pierre angulaire de la démocratie. En l’absence de réelle liberté d’expression, on ne saurait parler de véritable démocratie.
2. L’Assemblée souligne d’emblée que la presse joue un rôle fondamental en promouvant des débats sur des questions d’intérêt public, et c’est précisément de tels débats – les plus ouverts possible – que se nourrit la démocratie.
3. L’Assemblée rappelle sa Résolution 1003 (1993) relative à l’éthique du journalisme et souligne que ceux qui font usage du droit à la liberté d’expression ont aussi des devoirs et des obligations. Ils doivent agir de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique.
4. Selon les termes consacrés par la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantit la liberté d’expression en son article 10 non seulement pour «les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi (…) celles qui heurtent, choquent ou inquiètent».
5. L’Assemblée constate que la liberté d’expression n’est pas illimitée et qu’une intervention de l’Etat peut s’avérer nécessaire dans une société démocratique dans le cadre d’une base légale solide et dès lors qu’elle répond à un intérêt général évident, selon l’esprit de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
6. Les législations antidiffamation poursuivent le but légitime de la protection de la réputation et des droits d’autrui. L’Assemblée exhorte cependant les Etats membres à y recourir avec la plus grande modération, car de telles lois peuvent porter gravement atteinte à la liberté d’expression. Pour cette raison, l’Assemblée exige des garanties procédurales permettant notamment à tous ceux qui sont poursuivis pour diffamation d’apporter la preuve de la véracité de leurs déclarations et de s’exonérer ainsi d’une éventuelle responsabilité pénale.
7. Par ailleurs, des déclarations ou allégations présentant un intérêt public, même quand elles s’avèrent inexactes, ne devraient pas être passibles de sanctions à condition qu’elles aient été faites sans connaissance de leur caractère inexact, sans intention de nuire, et si la véracité a été vérifiée avec la diligence nécessaire.
8. L’Assemblée déplore que dans un certain nombre d’Etats membres un usage abusif soit fait des poursuites pour diffamation dans ce qui pourrait s’apparenter à des tentatives des autorités de réduire les médias critiques au silence. De tels abus – qui aboutissent à une véritable autocensure de la part des médias et peuvent réduire à une peau de chagrin le débat démocratique et la circulation des informations d’intérêt général – ont été dénoncés par la société civile, notamment en Albanie, en Azerbaïdjan ou encore en Fédération de Russie.
9. L’Assemblée rejoint la position claire du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe qui a dénoncé les menaces de poursuites pour diffamation comme une «une forme particulièrement insidieuse d’intimidation». L’Assemblée considère qu’une telle dérive dans le recours aux législations antidiffamation est inacceptable.
10. Par ailleurs, l’Assemblée salue les efforts déployés par le représentant sur la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en faveur de la dépénalisation de la diffamation et son engagement constant pour la liberté des médias.
11. Elle constate avec une vive inquiétude que de nombreux Etats membres prévoient des peines d’emprisonnement en cas de diffamation et que certains persistent à y recourir en pratique, par exemple l’Azerbaïdjan et la Turquie.
12. Chaque cas d’emprisonnement d’un professionnel de la presse est une entrave inacceptable à la liberté d’expression et fait peser une épée de Damoclès sur les journalistes dans l’exercice de leur travail d’intérêt public. C’est la société tout entière qui pâtit des conséquences des pressions que peuvent ainsi subir des journalistes, muselés dans l’exercice de leur métier.
13. Par conséquent, l’Assemblée considère que les peines carcérales pour diffamation devraient être abrogées sans plus de délai. Elle exhorte notamment les Etats dont les législations prévoient encore des peines de prison sans que celles-ci soient infligées en pratique, à les abroger sans délais, pour ne pas donner une excuse, quoique injustifiée, à certains Etats qui continuent d’y recourir entraînant ainsi une dégradation des libertés publiques.
14. L’Assemblée dénonce également le recours abusif à des dommages-intérêts démesurés en matière de diffamation et rappelle qu’une indemnité d’une ampleur disproportionnée peut aussi violer l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
15. L’Assemblée est consciente que l’abus de la liberté d’expression peut être dangereux; l’histoire en est témoin. Les discours appelant à la violence, négationnistes, ou d’incitation à la haine raciale, intrinsèquement destructeurs des valeurs de pluralisme, de tolérance et d’ouverture d’esprit promues par le Conseil de l’Europe et la Convention européenne des Droits de l’Homme, doivent pouvoir faire l’objet de poursuites, comme il a été récemment reconnu dans une décisioncadre applicable aux pays membres de l’Union européenne.
16. Enfin, l’Assemblée souhaite réaffirmer que la protection des sources journalistiques relève d’un intérêt public capital. Un journaliste poursuivi pour diffamation doit pouvoir taire ses sources ou encore produire un document à sa défense sans pour autant devoir justifier l’avoir obtenu par des voies licites.
17. En conséquence, l’Assemblée invite les Etats membres:
17.1. à abolir sans attendre les peines d’emprisonnement pour diffamation;
17.2. à garantir qu’il n’y a pas de recours abusif aux poursuites pénales et à garantir l’indépendance du ministère public dans ces cas;
17.3. à définir plus précisément dans leurs législations le concept de diffamation dans le but d’éviter une application arbitraire de la loi et à garantir que le droit civil apporte une protection effective de la dignité de la personne affectée par la diffamation;
17.4. à ériger en infractions pénales l’incitation publique à la violence, à la haine ou à la discrimination, les menaces à l’égard d’une personne ou d’un ensemble de personnes, en raison de leur race, leur couleur, leur langue, leur religion, leur nationalité ou leur origine nationale ou ethnique, dès lors qu’il s’agit de comportements intentionnels, conformément à la Recommandation de politique générale no 7 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI);
17.5. à ériger en infractions pénales passibles d’emprisonnement uniquement les appels à la violence, le discours de haine ainsi que le discours négationniste;
17.6. à bannir de leurs législations relatives à la diffamation toute protection renforcée des personnalités publiques conformément à la jurisprudence de la Cour et invite en particulier:
17.6.1. la Turquie à amender l’article 125.3 de son Code pénal en conséquence;
17.6.2. la France à réviser sa loi du 29 juillet 1881 à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme;
17.7. à garantir dans leurs législations des moyens de défense appropriés aux personnes poursuivies pour diffamation, et en particulier des moyens reposant sur l’exceptio veritatis et l’intérêt général, et invite notamment la France à amender, ou à abroger, l’article 35 de sa loi du 29 juillet 1881 qui prévoit des exceptions injustifiées interdisant à la partie poursuivie d’apporter la preuve de la véracité du fait diffamatoire;
17.8. à instaurer des plafonds raisonnables et proportionnés en matière de montants de dommages-intérêts dans les affaires de diffamation, de telle sorte qu’ils ne soient pas susceptibles de mettre en péril la viabilité même du média poursuivi;
17.9. à prévoir des garanties législatives adéquates contre des montants de dommages-intérêts disproportionnés par rapport au préjudice réel subi;
17.10. à mettre leurs législations en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne en matière de protection des sources journalistiques.
18. L’Assemblée invite les organisations professionnelles de journalistes à se doter, s’ils n’en ont pas encore, de codes de déontologie journalistique.
19. Elle se félicite par ailleurs des démarches entreprises par les autorités turques en vue de l’amendement de l’article 301 du Code pénal turc relatif au «dénigrement de l’identité turque» et les encourage fortement à poursuivre sans attendre sur cette voie.

B. Projet de recommandation

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2007) intitulée «Vers une dépénalisation de la diffamation», invite le Comité des Ministres à exhorter tous les Etats membres à examiner leurs législations en vigueur relatives à la diffamation et à procéder, si nécessaire, à des amendements afin de les mettre en conformité avec la jurisprudence développée par la Cour européenne des Droits de l’Homme, en vue d’éliminer tout risque d’abus ou de poursuites injustifiées.
2. L’Assemblée prie instamment le Comité des Ministres de charger son comité intergouvernemental compétent, le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication (CDMC), d’élaborer, à la suite de ses importants travaux sur la question et à la lumière de la jurisprudence de la Cour, un projet de recommandation à l’attention des Etats membres définissant des règles précises en matière de diffamation en vue d’éradiquer l’usage abusif des poursuites pénales.
3. Par ailleurs, considérant les travaux importants sur la question du discours de haine menés par le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), et notamment par son Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV), l’Assemblée suggère au Comité des Ministres de charger le CDDH de réviser sa Recommandation no R (97) 20, ou de préparer des lignes directrices, pour prendre en compte des nouvelles évolutions en la matière, notamment dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

C. Exposé des motifs, par M. Bartumeu Cassany

(open)

1. Interprétation du mandat

1. Le 6 juin 2005, le Bureau a soumis la proposition contenue dans le Doc. 10531 à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport (Renvoi no 3087). Celle-ci m’a nommé rapporteur le 7 novembre 2005 (en remplacement de l’ancien rapporteur, M. Holovaty).
2. La sous-commission sur les problèmes criminels et la lutte contre le terrorisme, dont le rapporteur est le président, a tenu le 5 octobre 2006 un échange de vues consacré à cette question. Mme Akcay (Turquie), vice-présidente du Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), et Mme Zankova (Bulgarie), membre du bureau du Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication (CDMC), ont été invitées à s’exprimer 
			(1) 
			Les échanges de cette réunion sont
consignés dans le procès-verbal de la sous-commission..
3. Le rapporteur constate d’emblée qu’il existe des divergences de point de vue quant à l’opportunité ou non de dépénaliser la diffamation.
4. Comme le rapporteur va l’exposer, les législations actuelles des Etats membres du Conseil de l’Europe prévoient majoritairement que la diffamation relève du droit pénal et qu’il s’agit d’une infraction susceptible d’être punie, au moins en théorie, par une peine de prison.
5. Or, s’il s’agit là d’un état de la législation; force est de constater que rares sont les Etats ayant recours à de telles sanctions dans la pratique, pourtant prévues par la loi.
6. Il semble donc nécessaire de soulever la question de savoir si le caractère pénal des peines encourues en cas de diffamation est réellement adéquat et sert de manière appropriée son but: garantir la protection de la réputation et des droits d’autrui.
7. D’une manière générale, et dans le souci d’éviter les répétitions, le rapporteur renvoie le lecteur pour de plus amples informations au rapport très complet préparé par le CDMC publié en mars 2006 
			(2) 
			CDMC(2005)007;
le CDMC (alors encore appelé CDMM, Comité directeur sur les moyens
de communication de masse) a été chargé par une décision du 24 novembre
2004 du Comité des Ministres d’examiner 
			(2) 
			«l’adaptation
des lois relatives à la diffamation avec la jurisprudence pertinente
de la Cour européenne des Droits de l’Homme, y compris la question
de la dépénalisation de la diffamation»; lire également la réponse
du CDMC au Comité des Ministres, CDMC(2006)028.. C’est la raison pour laquelle l’aperçu des législations sera présenté de façon assez succincte, cette question étant particulièrement développée dans le rapport du CDMC.

2. Définition des concepts

8. La diffamation peut être une affirmation de faits sous forme écrite ou autre, ou s’exprimer oralement ou gestuellement, ce que l’on taxe de «calomnie». Pour être considérée comme diffamatoire, une affirmation de fait doit être publique, porter atteinte à la réputation et être fausse. L’injure, au contraire de la diffamation, ne suppose pas l’imputation d’un fait précis.
9. Dans son rapport, le CDMC constate que les distinctions théoriques entre la diffamation et l’insulte ne sont pas toujours visibles dans la pratique et rappelle ceci: «Les législations relatives à la diffamation sont souvent appliquées aux insultes en raison du caractère flou de leur libellé ou de l’interprétation qui en est donnée.»
10. C’est la raison pour laquelle il considère que «le terme “diffamation” désigne les affirmations de faits, qu’elles soient exactes ou non, et l’expression d’opinions qui portent atteinte à la réputation d’autrui et/ou sont blessantes; il peut également s’appliquer à des symboles particuliers de l’Etat (drapeau ou hymnes nationaux, par exemple)» 
			(3) 
			Idem..
11. Par ailleurs, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) se sont également penchées sur la question en traitant à la fois de la diffamation et de l’insulte pour dénoncer l’abus qui peut être fait des législations y afférant 
			(4) 
			Voir,
entre autres, «Rights vs Reputations – Campaign against the abuse
of defamation and insult laws», article 19, 2003 (en anglais uniquement)..
12. Le rapporteur entend également adopter ici cette approche large afin de prendre en compte tous les cas de figures rencontrés dans la pratique, tout en maintenant la distinction entre les deux types d’atteintes à l’honneur et à la réputation. Il est d’avis que les Etats membres devraient procéder à une révision de leur législations afin de mieux définir les termes utilisés de manière à éviter toute confusion, et donc tout risque d’arbitraire dans l’application de la loi.

3. Aperçu des législations dans les Etats membres: l’absence d’harmonisation

13. Les législations en matière de diffamation ont pour objet de garantir la protection de la réputation d’autrui.
14. Il n’existe à ce jour aucune harmonisation législative dans les Etats membres du Conseil de l’Europe sur la question du caractère pénal ou civil des sanctions à l’égard de la diffamation. Cependant, la majorité des Etats membres prévoient encore des sanctions pénales.
15. Les peines d’emprisonnement maximales encourues varient de un an (en Croatie, en Islande, en Lettonie, à Saint-Marin) à cinq ans (en Arménie, en Azerbaïdjan, en Allemagne, en Italie, en Slovaquie). On relève dans plusieurs cas des peines plus importantes encourues en cas de diffamation du chef de l’Etat (entre autres Italie, Portugal et Turquie) ou, le cas échéant, de la famille royale (Pays-Bas, Norvège). On note une disposition spécifique à la Pologne qui prévoit une peine maximale d’emprisonnement de dix ans en cas d’insulte publique et par un moyen de communication de masse de la nation polonaise, son système politique ou ses organes principaux. Ce dernier cas fait figure d’exception tant par la lourdeur de la peine prévue que par la nature de l’infraction en tant que telle.
16. Il convient de remarquer que, si la majorité des Etats membres prévoit des sanctions à caractère pénal – y compris l’emprisonnement – en cas de diffamation, rares sont ceux qui ont recours à l’incarcération dans la pratique.
17. Cependant, un nombre significatif d’Etats membres a récemment procédé à la dépénalisation de la diffamation, ne prévoyant donc plus que des recours relevant du droit civil 
			(5) 
			C’est,
par exemple, le cas de la Bosnie-Herzégovine, de Chypre, de l’Estonie,
de la Géorgie, de Moldova, de «l’ex-République yougoslave de Macédoine»,
de la Roumanie, de l’Ukraine.. Les procédures civiles peuvent déboucher sur d’importantes sommes en termes de dommages-intérêts.
18. Un nombre assez important d’Etats membres prévoit dans leurs législations respectives différents moyens qui peuvent être évoqués par la défense. Au nombre de ceux-là, on compte la vérité, l’intérêt général et, parfois, la bonne foi.

4. Contexte: la liberté d’expression, pierre angulaire de la démocratie

19. 19. On se contentera ici de rappeler brièvement certains éléments du cadre normatif défini par la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg (ci-après «la Cour»).
20. L’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) garantit le droit à la liberté d’expression. Cette disposition fait l’objet d’une jurisprudence abondante par la Cour, qui l’interprète d’une manière particulièrement large.
21. Le pluralisme, la tolérance et l’ouverture d’esprit – et par là même une société démocratique – ne peuvent exister que si un débat public libre est possible.
22. C’est la raison pour laquelle les restrictions prévues à l’alinéa 2 de l’article 10 de la CEDH sont interprétées de manière particulièrement restrictive par la Cour 
			(6) 
			La Cour a ainsi indiqué
que, dans le contexte du «débat politique portant sur des questions
d’intérêt général, (…) les restrictions à la liberté d’expression
appellent une interprétation étroite»; voir Lopes
Gomes da Silva c. Portugal, 28 septembre 2000, paragraphe
33.et celle-ci ne reconnaît qu’une marge de manœuvre très restreinte aux Etats dans les limitations à la liberté d’expression.
23. Rappelons l’arrêt Handyside dans lequel la Cour déclare que la liberté d’expression est «l’un des fondements essentiels» de la société démocratique. La protection apportée à cette liberté couvre «les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi (…) celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population» 
			(7) 
			Handyside
c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, paragraphe
49..
24. Le débat sur la diffamation se situe clairement dans le contexte de la liberté d’expression de la presse, bien plus que des particuliers. Ce sont évidemment les journalistes qui sont le plus souvent l’objet de poursuites judiciaires pour diffamation, et quasi systématiquement en raison de leurs propos sur des personnes publiques et/ou politiques.
25. Or la presse est détentrice du rôle bien affirmé dans la jurisprudence de «chien de garde» qui lui a été reconnu à maintes reprises par la Cour 
			(8) 
			La Cour a statué que la marge d’appréciation
des autorités nationales se trouve circonscrite par l’intérêt d’une société
démocratique à permettre à la presse de jouer son rôle indispensable
de «chien de garde» en fournissant des informations sur des questions
sérieuses d’intérêt général; voir l’arrêt Goodwin
c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, 
			(8) 
			p.
500, paragraphe 39., qui met en évidence le rôle essentiel joué par les médias dans les sociétés démocratiques.
26. Il est nécessaire que la distinction soit faite entre les faits et l’opinion (y compris le jugement de valeur, la critique et la satire). Dans le second cas, la possibilité d’ingérence de l’Etat est encore plus réduite, afin d’éviter un effet d’autocensure dans l’expression d’opinions par crainte de poursuites judiciaires. L’Assemblée a d’ailleurs très clairement procédé à cette distinction dans sa Résolution 1003 (1993) en affirmant: «Le principe de base de toute réflexion morale sur le journalisme doit partir d’une claire différenciation entre nouvelles et opinions, en évitant toute confusion. Les nouvelles sont des informations, des faits et des données, et les opinions sont l’expression de pensées, d’idées, de croyances ou de jugements de valeur par les médias, les éditeurs ou les journalistes.» 
			(9) 
			Résolution 1003 (1993) de
l’Assemblée parlementaire relative à l’éthique du journalisme.
27. Enfin, et c’est primordial, toute ingérence de l’Etat dans la liberté d’expression doit être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire répondre à un «besoin social impérieux» 
			(10) 
			Comme
cela est défini par la Cour dans sa jurisprudence constante..

5. Appels en faveur de la dépénalisation de la diffamation

28. Le représentant sur la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’est engagé avec détermination en faveur de la dépénalisation de la diffamation. Il multiplie les actions et les prises de position en ce sens, non sans un certain succès.
29. Le représentant sur la liberté des médias s’engage non seulement en dénonçant les cas d’emprisonnement de journalistes sur la base des législations relatives à la diffamation, en appelant les autorités des Etats concernés à dépénaliser la diffamation, mais également en organisant et en participant à des tables rondes consacrées à cette question. Une table ronde a, par exemple, été organisée en Azerbaïdjan, à laquelle ont été invités tant des membres du gouvernement que des représentants de la société civile. Il apporte également son soutien dans la préparation et la rédaction de projets de lois relatifs à la diffamation.
30. En 2003, l’OSCE et Reporters sans frontières (RSF) ont conjointement organisé une Table ronde sur la diffamation dans les pays de l’OSCE, à l’issue de laquelle ont été adoptées des recommandations qui préconisent, entre autres, d’abroger les lois pénales concernant les délits de diffamation et d’insulte ainsi que celles sur l’offense conférant une protection excessive aux pouvoirs constitués. Elles insistent également sur l’interprétation restrictive à appliquer à ce qui peut être considéré comme diffamatoire, en le limitant aux déclarations de faits et non à l’expression d’opinions 
			(11) 
			Voir les
recommandations du 25 novembre 2003 adoptées à l’issue de la Conférence
sur les lois en matière de diffamation et d’offense, organisée par
le représentant pour la liberté des médias de l’OSCE et RSF à Paris
les 24 et 25 novembre 2003..
31. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe s’est prononcé, en mai 2006, sans ambiguïté en faveur de la dépénalisation de la diffamation, considérant que «les menaces de poursuites pour diffamation constituent une forme particulièrement insidieuse d’intimidation» 
			(12) 
			Voir
le communiqué de presse du Secrétaire Général en date du 2 mai 2006..
32. L’Assemblée a également adopté plusieurs textes pertinents. Dans certains d’entre eux, elle est allée assez loin dans ses conclusions relatives à la dépénalisation de la diffamation en recommandant dans des cas précis, par exemple à l’Albanie, «d’abroger ou (…) revoir en profondeur la législation pénale relative à la diffamation et de réformer la législation civile s’y rapportant, pour empêcher toute application abusive 
			(13) 
			Résolution 1377 (2004) relative
au respect des obligations et engagements de l’Albanie; voir également
la Recommandation 1589
(2003) relative à la liberté d’expression dans les médias
en Europe.».

6. Des situations à différencier

33. Le rapporteur souhaite distinguer différentes situations afin d’essayer de cerner si la législation pénale peut être une réponse appropriée dans des cas particuliers.

6.1. Personnalités politiques et chefs d’Etat

34. Parmi les arrêts fondateurs de la jurisprudence en matière de liberté d’expression, on retiendra particulièrement l’arrêt Lingens c. Autriche qui précise que «la liberté de la presse fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants. (…) Les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier: à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance» 
			(14) 
			Voir
l’arrêt Lingens c. Autriche,
8 juillet 1986, paragraphe 42..
35. La Cour estime donc, et l’a répété à de nombreuses reprises 
			(15) 
			Ibid., voir également l’arrêt Oberschlick c. Autriche, 1er juillet
1997, paragraphe 29., que les personnes publiques, et surtout les hommes politiques, qui sont le plus souvent les cibles de ce qui est susceptible de relever de la diffamation, doivent accepter une critique plus grande que les particuliers du fait même de leurs fonctions.
36. Toute disposition juridique qui apporterait une protection contre la diffamation renforcée aux hommes politiques, aux membres du gouvernement, et aux hauts fonctionnaires se révèle donc incompatible avec l’article 10 de la CEDH 
			(16) 
			Lire également dans
ce contexte Article 19, «Putting Expression Behind Bars: Criminal
Defamation and Freedom of Expression», Background Paper for EU NGO
Forum, 8-9 décembre 2005 (en anglais uniquement)..
37. On notera également la Déclaration sur la liberté du discours politique dans les médias adoptée le 12 février 2004 par le Comité des Ministres, qui déclare que «l’Etat, le gouvernement ou tout autre organe des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire peuvent faire l’objet de critiques dans les médias. En raison de leur position dominante, ces institutions ne devraient pas être protégées en tant que telles par le droit pénal contre les déclarations diffamatoires ou insultantes. Lorsque ces institutions bénéficient toutefois d’une telle protection, cette protection devrait être appliquée de façon très restrictive en évitant, dans tous les cas, qu’elle puisse être utilisée pour restreindre la liberté de critique. Les personnes représentant ces institutions restent par ailleurs protégées en tant qu’individus».
38. Par ailleurs, la Cour a appliqué la même jurisprudence dans les cas d’allégations de diffamation à l’encontre de chefs de gouvernements et de chefs d’Etat étrangers 
			(17) 
			Voir l’arrêt Colombani et autres c. France, 25
juin 2002, paragraphes 68 et 69; lire à ce sujet «L’inconventionnalité
du délit d’offense envers les chefs d’Etat étrangers», Bernard Beignier
et Bertrand de Lamy, in Dalloz,
2003, no 11, pp. 715-719..
39. A la suite de sa condamnation par la Cour 
			(18) 
			Ibid., la France a modifié sa législation et, par la loi du 9 mars 2004, a abrogé l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 qui punissait le délit d’offense commis publiquement envers les chefs d’Etats étrangers, les chefs de gouvernements étrangers et les ministres des Affaires étrangères d’un gouvernement étranger de un an d’emprisonnement et/ou d’une amende d’environ 45 000 euros. Des observateurs notent que plusieurs dispositions de la loi française sur la liberté de la presse ont été abrogées à la suite de leur censure répétée de la part des juges de Strasbourg et que ces abrogations ponctuelles ont entraînées certaines incohérences dans cette loi 
			(19) 
			Il semble
en résulter, par exemple, que désormais la loi française réduise
les chefs d’Etat étrangers au rang de simple particulier, et qu’ils
bénéficient ainsi d’une protection moindre que les maires de France
(qui eux bénéficient d’une protection au titre de l’article 31 de
la loi de 1881); lire également, entre autres, «Le délit d’offense
envers un chef d’Etat étranger à l’épreuve de la Convention européenne
des Droits de l’Homme», Patrick Wachsmann, in RTDH (55/2003),
pp. 975-997.. Ainsi donc l’on pourrait penser qu’il serait utile que la législation française relative à la presse fasse l’objet d’une refonte globale visant à la mettre en conformité, de manière cohérente, avec la jurisprudence développée par la Cour 
			(20) 
			Lire
à ce sujet «L’inconventionnalité du délit d’offense envers les chefs
d’Etat étrangers», Bernard Beignier et Bertrand de Lamy, op. cit., p. 719, et «Le délit d’offense
envers un chef d’Etat étranger à l’épreuve de la Convention européenne
des Droits de l’Homme», Patrick Wachsmann, in RTDH (55/2003),
pp. 996-997; dans cet article l’auteur qualifie le droit français
de la presse d’«archaïque».. Dans ce contexte, le rapporteur note que la législation irlandaise fait actuellement l’objet d’une refonte complète et qu’un projet de loi sur la diffamation a été publié en juin 2006. Cette réforme très attendue, tant par les professionnels des médias que par la doctrine, a pour but de réviser la législation afin de la mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour 
			(21) 
			Voir «Reforming media law in Ireland»,
Mary Mac Gonagle, Communications Law
Journal, août 2006; lire également le rapport explicatif
du projet de loi..
40. L’OSCE a mis en exergue la nécessité d’amender certaines dispositions du nouveau Code pénal turc afin de le mettre en conformité avec les normes internationales en matière de liberté d’expression, y compris son article 125.3. Cet article prévoit des sanctions alourdies pour des calomnies à l’égard de personnalités publiques officielles (assorties d’une peine d’emprisonnement) 
			(22) 
			Le nouveau
Code pénal turc a été adopté le 27 septembre 2004 et est entré en
vigueur le 1er juin 2005; voir OSCE «Review
of the Draft Turkish Penal Code: Freedom of Media Concerns», mai
2005 (en anglais uniquement).. Une telle disposition semble aller à l’encontre de la jurisprudence de la Cour susmentionnée.

6.2. Atteintes aux symboles de l’Etat

41. Il semblerait qu’un consensus existe et que cette question ne soit pas considérée sous l’angle de la diffamation. Cependant, un abus des dispositions légales spécifiques garantissant, dans certains Etats membres, la protection des symboles de l’Etat, est susceptible d’apporter une restriction à la liberté d’expression très proche de celles issues de l’abus des lois antidiffamation. C’est la raison pour laquelle le rapporteur a choisi d’évoquer cette question ici. Le rapporteur constate que le représentant sur la liberté des médias a demandé aux autorités turques d’abolir les dispositions prévues à l’article 301 du Code pénal turc relatives au «dénigrement de l’identité turque» 
			(23) 
			Voir, par
exemple, son communiqué de presse du 17 octobre 2006. En Turquie,
selon Human Rights Watch, plus de 50 individus ont été condamnés
en raison de prises de position ou de discours remettant en question
les politiques des autorités sur des sujets controversés tels que
la religion, l’ethnicité ou le rôle de l’armée. Voir Human Rights
Watch, Country Summary Turkey, janvier 2007 (en anglais seulement).. Le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’OSCE ont également exprimé de vives inquiétudes eu égard à cette disposition, allant jusqu’à en demander l’abrogation 
			(24) 
			Voir la Résolution 1535 (2007) de
l’Assemblée parlementaire relative aux menaces contre la vie et
la liberté d’expression des journalistes qui appelle «à abolir les
lois qui imposent des restrictions disproportionnées à la liberté d’expression
et sont susceptibles d’être utilisées à mauvais escient pour inciter
au nationalisme extrême et à l’intolérance – par exemple le Parlement
turc pour ce qui concerne l’article 301 du Code pénal turc relatif
au «dénigrement de la turquitude»; voir également OSCE, «Review
of the Draft Turkish Penal Code: Freedom of Media Concerns», mai
2005 (en anglais uniquement).. A la fin de l’année 2006, le Premier ministre turc, Recep Erdog˘ an, s’est dit prêt à amender cette loi limitant la liberté d’expression 
			(25) 
			Voir
l’article du International Herald Tribune,
«Ankara may amend law on free speech», 5 novembre 2006 (en anglais seulement).. On rapporte que le gouvernement aurait initié des discussions en ce sens avec la société civile. Le rapporteur se félicite de cette initiative et espère que des résultats concrets seront très prochainement réalisés 
			(26) 
			Le rapporteur remarque que seule une réforme
d’envergure de la législation, et de son application, serait en
mesure de garantir adéquatement la liberté d’expression, car le
droit turc permet de nombreuses possibilités de restriction dans une
multitude de textes (voir à ce sujet le rapport de la commission
de suivi [Doc. 1011],
17 mars 2004, paragraphe 167). 
			(26) 
			M. Jurgens note d’ailleurs
dans son rapport relatif à la mise en œuvre des arrêts de la Cour
européenne des Droits de l’Homme que, certes, «de vastes réformes
ont été adoptées» mais doute «que les autorités interprètent les
nouvelles dispositions conformément à la CEDH» (voir le rapport
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
à ce sujet [Doc. 11020],
18 septembre 2006, paragraphe 71 et l’annexe y afférant)..

6.3. Caractère pénal de la sanction

42. Concernant les restrictions à la liberté d’expression, un élément prévaut dans l’argumentation de la Cour européenne des Droits de l’Homme: celui du respect de la proportionnalité. Ainsi, elle s’exprime en ces termes: «Il reste certes loisible aux autorités compétentes de l’Etat d’adopter, en leur qualité de garantes de l’ordre public, des mesures même pénales, destinées à réagir de manière adéquate et non excessive à de pareils propos.» 
			(27) 
			Okçuog˘ lu c. Turquie, 8 juillet
1999, paragraphe 46.La Déclaration sur la liberté du discours politique dans les médias du Comité des Ministres soutient clairement cette position 
			(28) 
			«Les
dommages-intérêts et amendes imposés en cas de diffamation ou d’insulte
doivent présenter un rapport raisonnable de proportionnalité avec
la violation des droits ou de la réputation d’autrui»..
43. Si la Cour n’a encore jamais considéré le recours aux sanctions à caractère pénal en tant que tel comme une violation de l’article 10 de la CEDH, elle a cependant statué que «la position dominante que [le gouvernement] occupe lui commande de témoigner de la retenue dans l’usage de la voie pénale, surtout s’il a d’autres moyens de répondre aux attaques et critiques injustifiées de ses adversaires ou des médias» 
			(29) 
			Castells
c. Espagne, 23 avril 1992, paragraphe 46..
44. La voie civile peut-elle être actuellement toujours considérée comme un moyen autre plus approprié pour répondre aux attaques et critiques injustifiées susceptibles de provenir des médias?
45. On notera avec intérêt la jurisprudence de la Cour de cassation française en assemblée plénière qui affirme que «les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil» 
			(30) 
			Voir deux arrêts en date du 12 juillet
2000, pourvois nos 98-10160 et 98-11155.. La Cour de cassation a en effet considéré qu’un tel recours fondé sur le Code civil permettrait aux personnes se prétendant diffamées d’échapper aux rigueurs procédurales de la loi de 1881 destinées à protéger la presse. La Cour de cassation considère donc en l’occurrence que la loi de 1881, quoique prévoyant des sanctions en vertu du Code pénal, accorde une plus grande protection à la liberté de la presse que les dispositions du Code civil.
46. Cet exemple témoigne que, en l’état actuel des législations civiles, la liberté de la presse et la liberté d’expression pourraient en fait pâtir d’une dépénalisation de la diffamation. Une refonte complète des dispositions législatives serait nécessaire, voire une redéfinition de certains concepts juridiques.
47. Cependant, n’oublions pas qu’une sanction pénale, même sans incarcération, entraîne son inscription au casier judiciaire de la personne responsable. Ce fait peut être lourd de conséquences, tant sur le plan symbolique que sur le plan pratique.
48. Le rapporteur relève avec inquiétude que certains Etats membres ne font pas preuve de la modération nécessaire en termes de sanctions en cas de diffamation, qu’elles relèvent du droit pénal ou du droit civil. On retiendra l’exemple de l’Albanie qui a déjà été dénoncé par l’Assemblée parlementaire dans sa Résolution 1377 (2004) 
			(31) 
			Résolution 1377 (2004) relative
au respect des obligations et engagements de l’Albanie.. Dans cette résolution, l’Assemblée appelle les autorités à réformer tant les dispositions du Code pénal que celles du Code civil eu égard à la diffamation «pour empêcher toute application abusive» 
			(32) 
			Ibid., 16.iv.. Dans son rapport relatif à l’Albanie, la Commission européenne note des tentatives de la part des autorités d’influencer les informations diffusées par les médias, entre autres «par le recours systématique à des plaintes en diffamation 
			(33) 
			Document de travail
des services de la Commission – Albanie – Stabilisation et d’association
– Rapport 2004, COM(2004)374/SEC (2004)374; voir également la lettre
d’Article 19 au ministre de la Justice d’Albanie en date du 25 octobre
2006.». Article 19 a également dénoncé des recours abusif à la législation anti diffamation en Fédération de Russie 
			(34) 
			Voir
la lettre d’Article 19 à Vladimir Poutine en date du 28 septembre
2006 (en anglais uniquement); voir également Human Rights Watch, 
			(34) 
			«The
pen put to the sword», 7 mars 2007 (en anglais uniquement)..

6.4. Peines d’emprisonnement pour diffamation

49. Dans sa Déclaration sur la liberté du discours politique dans les médias adoptée le 12 février 2004, le Comité des Ministres affirme ceci: «La diffamation ou l’insulte par les médias ne devrait pas entraîner de peine de prison, sauf si cette peine est strictement nécessaire et proportionnée au regard de la gravité de la violation des droits ou de la réputation d’autrui, en particulier si d’autres droits fondamentaux ont été sérieusement violés à travers des déclarations diffamatoires ou insultantes dans les médias, comme le discours de haine.»
50. La Cour a récemment statué de la sorte: «Si la fixation des peines est en principe l’apanage des juridictions nationales, la Cour considère qu’une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine de la presse n’est compatible avec la liberté d’expression journalistique garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence.» 
			(35) 
			Voir l’arrêt Cumpa˘
na˘ et Maza˘ re c. Roumanie, 17 décembre 2004, paragraphe
115, et lire également à ce sujet Nicolas Riou, «L’interdiction
de la peine de prison comme sanction de l’usage de la liberté d’expression»,
CourEDH, Gde Ch., Cumpa˘ na˘ et Maza˘
re c. Roumanie, 17 décembre 2004, in L’Europe des libertés, 4e année,
no 16 (juin 2005), p. 17.
51. La Cour se positionne ainsi clairement en faveur de l’abrogation des peines de prison en cas de diffamation, dès lors qu’il n’y pas eu atteinte grave à d’autres droits fondamentaux.
52. En 2003 l’Assemblée s’est prononcée contre les peines d’emprisonnement des journalistes, les considérant inacceptables 
			(36) 
			Voir
la Recommandation 1589
(2003) de l’Assemblée parlementaire relative à la liberté
d’expression dans les médias en Europe..
53. Un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe ont d’ores et déjà procédé à la suppression des peines de prison en cas de diffamation 
			(37) 
			C’est par exemple le cas de la
Serbie – depuis le 1er janvier 2006 –,
de 
			(37) 
			«l’ex-République yougoslave de Macédoine», etc.. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’opportunité et la légalité de la peine de prison prononcée en appel à l’encontre d’un journaliste, Slavko Savic, en Serbie quelques mois après l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal ayant supprimé la peine d’emprisonnement en cas de diffamation. Grâce aux efforts entrepris en ce sens par le représentant pour la liberté des médias le procureur a soulevé la question de la légalité de cette sentence en demandant à la Cour suprême de réexaminer l’affaire 
			(38) 
			Voir le rapport
régulier du représentant pour la liberté des médias au Conseil permanent
de l’OSCE le 25 octobre 2006 (<a href='http://www.osce.org/documents/rfm/2006/10/21890_en.pdf'>http://www.osce.org/documents/rfm/2006/10/21890_en.pdf</a>,
en anglais uniquement)..
54. Des cas d’emprisonnements subsistent dans plusieurs pays, comme la Turquie et l’Azerbaïdjan. De nombreux cas de poursuites à l’encontre de journalistes ont été relevés en Azerbaïdjan par le représentant pour la liberté des médias. Nombre de ces poursuites ont été initiées par des officiels du gouvernement. On compte plusieurs journalistes actuellement emprisonnés à l’issue de telles procédures. Le représentant pour la liberté des médias regrette que cette tendance aille à l’encontre de l’appel lancé en mars 2005 par le Président Ilham Aliyev, à la suite du meurtre d’Elmar Huseynov, demandant aux officiels azéris de ne pas initier de poursuites pour diffamation à l’encontre des journalistes et des médias 
			(39) 
			Voir
le rapport régulier du représentant pour la liberté des médias au
Conseil permanent de l’OSCE le 25 octobre 2006 (<a href='http://www.osce.org/documents/rfm/2006/10/21890_en.pdf'>http://www.osce.org/documents/rfm/2006/10/21890_en.pdf</a>,
en anglais uniquement).. Dans le même sens, deux éditeurs, emprisonnés pour diffamation et insulte envers des personnalités publiques, ont bénéficié d’un pardon via un décret présidentiel en octobre 2006 
			(40) 
			Il s’agit de Shahin Agabayli et
de Samir Adigozalov.. Ces pardons ont été qualifiés d’avancées positives par le représentant pour la liberté des médias 
			(41) 
			Voir
le rapport régulier du représentant pour la liberté des médias au
Conseil permanent de l’OSCE le 25 octobre 2006 (<a href='http://www.osce.org/documents/rfm/2006/10/21890_en.pdf'>http://www.osce.org/documents/rfm/2006/10/21890_en.pdf</a>,
en anglais uniquement).. Malgré ces avancées, le rapporteur relève avec inquiétude qu’un éditeur a été condamné le 20 avril 2007 à deux ans et demi de prison pour diffamation. On rapporte que cette condamnation se situerait dans le contexte de la volonté des autorités de réduire au silence les médias critiques 
			(42) 
			Lire Editor convicted of Libel, AP, 23
avril 2007 (en anglais uniquement); voir également le communiqué
de presse no 274 (2007) du Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe, 3 mai 2007..
55. Les journalistes ne sont pas les seules victimes de peines de prison pour avoir usé de leur liberté d’expression, le rapport de M. Pourgourides relatif à «l’équité des procédures judiciaires dans les affaires criminelles d’espionnage ou de divulgation de secrets d’Etat» est suffisamment éloquent et démontre l’injustice de l’emprisonnement de scientifiques, MM. Soutiaguine et Danilov, pour avoir «révélé» des informations qui faisaient pourtant déjà partie du domaine public 
			(43) 
			Voir la Résolution 1551 (2007) de l’Assemblée
parlementaire et le Doc. 11031..
56. Chacun de ces cas d’emprisonnement est une entrave inacceptable à la liberté d’expression et fait peser une réelle épée de Damoclès sur les journalistes dans l’exercice de leur travail dans l’intérêt public. C’est la société tout entière qui pâtit des conséquences des pressions que peuvent ainsi subir des journalistes muselés dans l’exercice de leur métier. Le rapporteur est d’avis que les peines carcérales pour diffamation doivent être abrogées sans délais. Il exhorte urgemment les Etats membres du Conseil de l’Europe dont les législations prévoient encore des peines de prisons, mais qui n’y ont jamais recours, de les abroger sans délais afin de ne plus offrir une excuse trop évidente, quoique injustifiée, aux Etats y ayant encore recours pour refuser d’abolir des dispositions similaires de leurs législations 
			(44) 
			On lira avec intérêt à cet
égard l’article de E. Derieux qui s’exprime en ces termes: «Il n’est
cependant pas juridiquement ou intellectuellement satisfaisant de
conserver, dans notre arsenal juridique national, des dispositions
que l’on sait ne pas pouvoir ou ne pas vouloir appliquer. Cela constitue
une grave atteinte à l’idée de droit. La loi française sert cependant
de référence ou de modèle et de justification à des pays où l’on
n’hésite pas à mettre en prison ceux, journalistes ou non, qui sont
reconnus coupables 
			(44) 
			– et pas toujours avec les mêmes
garanties d’une procédure judiciaire complexe! – de telles infractions.
Il y a là, de notre part, une lourde responsabilité!»; «Justice
pénale et droits des médias», in Justices,
no 10, avril/juin 1998, p. 148..

6.5. Moyens de défense et charge de la preuve pour des allégations ayant un caractère d’intérêt public

57. Au vu de la jurisprudence de la Cour, en l’absence de besoin social impérieux, les personnes accusées de diffamation doivent avoir la possibilité d’invoquer l’intérêt général pour se défendre. La protection de la réputation d’autrui ne devrait pas l’emporter, dans ce cas, sur la communication de bonne foi d’informations et d’opinions sur des questions d’intérêt général.
58. La Cour a d’ailleurs clairement statué qu’en cas de procédure pénale les journalistes doivent avoir la possibilité de prouver la véracité de leurs déclarations de fait (exceptio veritatis) et de s’exonérer ainsi de leur responsabilité pénale 
			(45) 
			Voir l’arrêt Fressoz
et Roire c. France, 21 janvier 1999, paragraphe 54..
59. L’effet dissuasif d’une sanction pénale, aussi minime soit-elle, fait peser un risque sur la liberté d’expression. Il est donc d’autant plus important que les dispositions procédurales apportent une protection appropriée aux journalistes et aux particuliers étant poursuivis pour s’être exprimés.
60. Par ailleurs, si l’accusé est en mesure de prouver avoir fait preuve de la diligence nécessaire dans la publication et s’il peut prouver qu’il était donc raisonnable de publier les allégations en question, même si elles se révèlent fausses a posteriori, l’accusé devrait être relaxé. Cette revendication repose sur la constatation faite par la Cour que «l’information est un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt» 
			(46) 
			Sunday Times c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991,
paragraphe 51.. La Cour a par ailleurs considéré que «la presse doit en principe pouvoir s’appuyer sur des rapports officiels sans avoir à entreprendre des recherches indépendantes» 
			(47) 
			Voir
l’arrêt Bladet Tromsø et Stensaas c.
Norvège, 20 mai 1999, paragraphe 68.. Le fait justificatif de bonne foi 
			(48) 
			C’est-à-dire à
la fois la légitimité du but visé, la sincérité, la prudence et
l’objectivité.garantit que l’expression de la liberté d’expression, qui autorise l’expression d’opinions critiques, se fait légitimement sur la base d’un fondement solide même s’il n’est pas possible d’en prouver entièrement la véracité. La Cour considère donc dans sa jurisprudence que des allégations qui ne sont pas dépourvues de toute base factuelle relèvent de l’exercice de la liberté d’expression 
			(49) 
			Il semblerait que le
projet de loi irlandais sur la diffamation ne soit pas en complète
conformité avec cette jurisprudence de la Cour; lire à ce sujet 
			(49) 
			«Reforming
media law in Ireland», Mary Mac Gonagle, Communications
Law Journal, août 2006..
61. Dans ce contexte, le rapporteur s’étonne des dispositions de l’article 35 de la loi française sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 qui prévoit de nombreuses exceptions, pour lesquelles apporter la preuve de la vérité de faits diffamatoires en vue de mettre fin aux poursuites n’est pas autorisé. Ainsi, l’article 35 de cette loi dispose ce qui suit:
«La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf:
a. lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne;
b. lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années;
c. lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision; (…)»
62. Le rapporteur pense qu’il est injustifié de ne pas permettre à l’inculpé de prouver la véracité de faits diffamatoires dès lors que l’imputation se réfère à des faits vieux de plus de dix ans. Bien au contraire, c’est souvent à l’issue de délais assez longs que les témoignages font surface ou que les documents sont accessibles et permettent de faire toute la lumière sur certains faits. On peut s’avancer à faire une analogie avec la jurisprudence développée par la Cour dans l’arrêt Colombani et penser que la Cour de Strasbourg considérerait cette disposition non conforme à la Convention 
			(50) 
			Voir
dans ce contexte «Le délit d’offense envers un chef d’Etat étranger
à l’épreuve de la Convention européenne des Droits de l’Homme»,
Patrick Wachsmann, in RTDH (55/2003),
p. 993.. En effet, dans cette affaire, la Cour a considéré que le régime exorbitant applicable aux offenses à l’égard des chefs d’Etat étrangers, qui à l’inverse du droit commun interdisait de prouver la véracité des faits, était non conforme avec les dispositions de l’article 10 de la CEDH 
			(51) 
			Voir l’arrêt Colombani et autres c. France, 25
juin 2002..

6.5.1. Charge de la preuve pour des allégations ayant un caractère d’intérêt public

63. Au Royaume-Uni, on notera avec intérêt une décision porteuse d’importantes conséquences en termes jurisprudentiels. Il s’agit de l’affaire Jameel c. Wall Street Journal Europe dans laquelle la Chambre des Lords a statué qu’un journal est en droit de publier des allégations non prouvées dès lors qu’elles relèvent de l’intérêt général, à la condition d’avoir fait tout ce qui était possible pour établir les faits 
			(52) 
			Voir
le jugement, en date du 11 octobre 2006..
64. Les législations des Etats membres ne sont pas toutes conformes à cette jurisprudence et prévoient au contraire que la charge de la preuve de la véracité des faits repose sur le journaliste 
			(53) 
			On
note, par exemple, l’article 186 du Code pénal allemand.. Le rapporteur est d’avis que, afin de garantir la liberté d’expression et en considérant que la société a intérêt à ce que les sujets d’intérêt général fassent l’objet d’un débat ouvert, il conviendrait de reprendre la jurisprudence de la Chambre des Lords précitée afin d’établir une meilleure protection de la liberté d’expression des journalistes quand il est manifeste qu’ils ont fait tout ce qui était possible pour établir les faits.

6.6. Protection des sources journalistiques

65. Une question assez délicate quant à l’apport de la preuve de la véracité des faits réputés diffamatoires se pose. En effet, le respect de la protection des sources journalistiques interdit parfois aux journalistes de révéler l’origine de leurs informations 
			(54) 
			Le
rapporteur renvoie pour de plus amples informations à la Déclaration
du Comité des Ministres sur la diffusion d’informations par les
médias en relation avec les procédures pénales (10 juillet 2003),
à la Résolution sur les libertés journalistiques et les droits de
l’homme, adoptée à la 4e Conférence ministérielle
européenne sur la politique des communications de masse (Prague,
7 et 8 décembre 1994), ainsi qu’à la Résolution du Parlement européen
sur la non-divulgation des sources journalistiques du 18 janvier
1994, parue au Journal officiel des Communautés
européennes, no C 44/34..
66. A plusieurs reprises, la Cour a affirmé que «la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse» et qualifie cette protection «d’intérêt public capital» 
			(55) 
			Voir l’arrêt Goodwin
c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, paragraphes 39 et 45; voir
également l’arrêt Roemen et Schmit c.
Luxembourg, 25 février 2003, paragraphe 46.. La Cour est même allée jusqu’à considérer que l’obligation de divulguer la source journalistique violait le droit à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention, même si l’information était confidentielle et que l’informateur se l’était procurée par des moyens déloyaux.
67. Des évolutions en droit national sous l’effet de la jurisprudence de la Cour ont été particulièrement visibles sur cette question. On retiendra l’exemple français, dont les instances judiciaires nationales avaient développé un délit de «recel de violation du secret professionnel ou de l’instruction» pour des cas dans lesquels des journalistes publiaient des informations sur la base de documents obtenus à la suite d’une infraction (commise par leurs sources et provenant, par exemple, de la violation du secret professionnel ou d’un vol par celles-ci). La Cour a considéré que le délit de recel ainsi défini était constitutif d’une violation de l’article 10 de la CEDH 
			(56) 
			Arrêt Fressoz
et Roire c. France, 21 janvier 1999.. De plus, le délit de recel peut empêcher le journaliste poursuivi de s’exonérer de sa responsabilité pénale, ce qui porte atteinte aux droits de la défense de ce dernier 
			(57) 
			Lire à ce
sujet «Le droit de la presse et la diffamation devant la Cour européenne
des Droits de l’Homme», Lyn François, in Revue
du droit public, no 3-2005,
p. 693 et en particulier p. 699..
68. A travers cette jurisprudence, la Cour a créé ce qui a été qualifié par la doctrine de «véritable immunité de défense» au profit du journaliste poursuivi pour diffamation, lui permettant de taire ses sources ou encore de produire un document à la base de la défense sans pour autant devoir justifier l’avoir reçu par des voies prévues dans le Code pénal, c’est-à-dire licites 
			(58) 
			Ibid., p. 699. Cette jurisprudence
a été perçue par la doctrine comme très, voire trop, libérale et
a fait l’objet de nombreuses critiques allant jusqu’à qualifier
d’«aveugle» la protection des sources journalistiques par la Cour
de Strasbourg. (Lire à ce sujet «Le droit de la presse et la diffamation
devant la Cour européenne des Droits de l’Homme», Lyn François,
in Revue du droit public,
no 3-2005, p. 693 et en particulier p.
699.). Ce faisant, la Cour a renforcé le droit à l’information car «l’absence d’une protection [des sources journalistiques] pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général» 
			(59) 
			Voir
l’arrêt Goodwin c. Royaume-Uni,
27 mars 1996, paragraphe 39..
69. On remarque que la législation d’un certain nombre d’Etats membres ne semble pas être en conformité avec la jurisprudence de la Cour. On retiendra l’exemple de l’Azerbaïdjan: Article 19 rapporte que la loi sur la diffamation peut être interprétée de manière que le refus de révéler ses sources puisse être pris en considération comme un élément retenu à charge en matière de diffamation. Article 19 exhorte les autorités à préciser les dispositions de l’article 7.2 de la loi sur la diffamation afin qu’une telle interprétation en soit clairement exclue 
			(60) 
			Article 19, «Memorandum
on the Law of the Republic of Azerbaijan on Defamation», octobre
2006 (en anglais uniquement).. Dans ce contexte, on note avec intérêt la récente décision du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle allemande) en date du 27 février 2007. Cette décision a sensiblement renforcé la protection des sources journalistiques, car la perquisition des locaux d’un journal (Cicero), dans le but principal de découvrir l’identité de la source, a été déclarée anticonstitutionnelle. Le journal avait publié des documents secrets du Service fédéral des renseignements allemand (BND) 
			(61) 
			Voir
Spiegel Online, 27 février 2007, «Cicero –
Durchsuchung war verfassungswidrig» et <a href='http://www.bundesverfassungsgericht.de/entscheidungen/rs20070227_1bvr053806.html'>http://www.bundesverfassungsgericht.de/entscheidungen/rs20070227_1bvr053806.html</a>..

6.7. Diffamation/Discours de haine et négationnisme

70. Le rapporteur est d’avis que l’on ne peut pas amalgamer ces situations. Certes la diffamation – affirmation inexacte de faits – et les insultes peuvent se révéler, par nature, blessantes. Mais le discours de haine a une tout autre intensité intentionnelle et est largement plus lourd de conséquences du fait de son caractère incitatif.
71. Dans sa Recommandation no R (97) 20, le Comité des Ministres définit le discours de haine en ces termes: «Le terme de “discours de haine” doit être compris comme couvrant toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration.» 
			(62) 
			Voir
la Recommandation no R (97) 20 du Comité
des Ministres sur le 
			(62) 
			«discours de haine».En revanche, le Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV), au sein du Comité directeur pour les droits de l’homme, constate qu’il n’existe pas de définition universellement reconnue du discours de haine et que les législations des Etats membres n’appréhendent pas ce concept de façon uniforme 
			(63) 
			Lire, sur la question
du discours de haine en général, le rapport du Comité d’experts
pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV) relatif au
discours de haine (GT-DH-DEV A(2006)008)..
72. 72. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) recommande que soient érigées en infractions pénales l’incitation publique à la violence, à la haine ou à la discrimination; les injures ou la diffamation; les menaces à l’égard d’une personne ou d’un ensemble de personnes, en raison de leur race, leur couleur, leur langue, leur religion, leur nationalité ou leur origine nationale ou ethnique, dès lors qu’il s’agit de comportements intentionnels 
			(64) 
			Voir
la Recommandation de politique générale no 7
de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et
la discrimination raciale, CRI(2003)8, 13 décembre 2002..
73. La jurisprudence de la Cour opère également une distinction entre différentes catégories de diffamation. En effet, à l’inverse de sa position dans les autres cas de diffamation, il est arrivé que la Cour ne constate pas de violation de la Convention même dans le cas d’imposition d’une peine de prison dans des affaires de diffamation comportant une incitation à la violence ou la diffusion d’un discours de haine 
			(65) 
			Voir l’arrêt Cumpa˘
na˘ et Maza˘ re c. Roumanie, 17 décembre 2004, paragraphe
115; voir également dans ce contexte les travaux du Comité d’experts
pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV) relatifs au
discours de haine (GT-DH-DEV A(2006)008)..
74. Elle va même beaucoup plus loin en excluant du champ d’application de la Convention un discours clairement raciste, xénophobe ou négationniste. Elle se fonde sur l’article 17 de la Convention dont le but est de «retirer à ceux qui veulent utiliser les garanties conventionnelles le bénéfice de ces droits puisque leur objectif est de remettre en cause les valeurs que la Convention protège» 
			(66) 
			Mario
Oetheimer, «La Cour européenne des Droits de l’Homme face au discours
de haine», Revue trimestrielle des droits
de l’homme, janvier 2007, no 69,
pp. 63-80; voir, en ce qui concerne le discours raciste, le principe
posé dès l’affaire Jersild c. Danemark,
23 septembre 1994, paragraphe 35, et, en ce qui concerne le négationnisme,
voir l’arrêt Lehideux et Isorni c. France,
23 septembre 1998, paragraphe 53.. La Cour a, par la suite, statué que «la négation ou la révision de faits historiques [en l’occurrence les exactions du régime national-socialiste] remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public» 
			(67) 
			Voir
l’arrêt Garaudy c. France,
24 juin 2003.. La Cour a finalement statué de façon on ne peut plus claire: «il ne fait aucun doute que des expressions concrètes constituant un “discours de haine”, qui pourrait être insultant pour des individus ou groupes spécifiques, ne bénéficient pas de la protection de l’article 10 de la Convention 
			(68) 
			Voir
l’arrêt Gündüz c. Turquie,
4 décembre 2003, paragraphe 40.».
75. En France, un projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale a suscité une inquiétude particulière en ce sens qu’il prévoit la pénalisation de la contestation du génocide arménien 
			(69) 
			Voir le texte adopté no 610,
le 12 octobre 2006, et renvoyé au Sénat à la même date.. Il s’agirait d’une évolution en sens inverse de la tendance constatée à la dépénalisation qui viserait à soumettre à une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, ou 45 000 euros d’amende, la contestation du génocide arménien. Le représentant pour la liberté des médias a immédiatement réagi et a appelé le Sénat français à rejeter ce projet de loi 
			(70) 
			Voir son communiqué de presse du
17 octobre 2006.. Les réactions en ce sens n’ont d’ailleurs pas manqué, entre autres le groupe des Verts du Parlement européen a demandé aux parlementaires français de renoncer à cette loi qui représente «une sérieuse menace pour la liberté d’expression» 
			(71) 
			<a href='http://verts-europe-sinople.net/article754.html'>http://verts-europe-sinople.net/article754.html</a>.. Le Gouvernement français a, pour sa part, exprimé son désaccord avec la décision de l’Assemblée nationale 
			(72) 
			«Génocide
arménien: les députés votent la pénalisation du négationnisme», Le Figaro, 12 octobre 2006.. Le Sénat n’a pas encore examiné le projet de loi. Le rapporteur remarque qu’une telle loi lui semble a priori conforme à la jurisprudence de la Cour eu égard à ce qu’elle a statué dans l’affaire Garaudy. La Cour considère en effet que «la négation ou la révision de faits historiques de ce type [en l’occurrence la contestation de l’Holocauste] remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public. Portant atteinte aux droits de l’autrui, de tels actes sont incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme et leurs auteurs visent incontestablement des objectifs du type de ceux prohibés par l’article 17 de la Convention» 
			(73) 
			Voir
la décision d’irrecevabilité dans l’affaire Garaudy
c. France, 24 juin 2003; voir également l’arrêt Lehideux et Isorni c. France, 23
septembre 1998, paragraphes 53 et 47, dans lequel la Cour a statué
qu’il existe 
			(73) 
			«une catégorie [de] faits historiques
clairement établis – tels que l’Holocauste – dont la négation ou
la révision se verrait soustraite par l’article 17 à la protection
de l’article 10»..
76. Dans ce contexte, le rapporteur note avec intérêt que les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne viennent de décider d’ériger en crime, dans tous les pays membres de l’Union européenne, l’incitation au racisme 
			(74) 
			Lire «EU agrees new racial
hatred law», BBC News, 19 avril 2007 (en anglais uniquement).. Il n’a cependant pas été aisé de parvenir à cet accord, plus de six années de discussions ont été nécessaires et la pénalisation pure et simple de la négation de l’Holocauste n’a pas pu faire l’objet d’un consensus.
77. Malgré cette absence de consensus, et malgré le fait qu’un tel consensus n’existe sans doute pas non plus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, la position de la Cour semble permettre la pénalisation de la négation de l’Holocauste et éventuellement d’autres génocides.
78. Enfin, le rapporteur attire l’attention sur la liste d’exemples et d’initiatives nationales axées sur la prévention du «discours de haine» et sur la promotion de la tolérance incluse dans le rapport du DH-DEV. Cette liste devrait pouvoir servir de source d’inspiration aux Etats membres 
			(75) 
			Voir le rapport du DH-DEV relatif
au discours de haine, p. 29 et suivantes (GT-DH-DEV A(2006)008)..

6.8. Montant des dommages-intérêts

79. Là encore, la Cour a développé une jurisprudence qui prône le respect de la proportionnalité dans l’usage des amendes au titre des dommages-intérêts, et considère qu’une indemnité d’une ampleur disproportionnée est constitutive d’une violation de l’article 10 de la CEDH 
			(76) 
			Tolstoy
Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, paragraphe
51.. La loi doit par ailleurs offrir des garanties adéquates et effectives contre les indemnités disproportionnées. En effet, des montant disproportionnés, et parfois arbitraires, d’indemnités revêtent un aspect de sanction dépassant de loin la réparation qu’elles sont censées apporter. Il s’agit là d’un détournement de la procédure judiciaire à caractère civil vers une sentence proche de la procédure devant les tribunaux criminels, à l’effet dissuasif certain et tout aussi lourde de conséquences que cette dernière sur l’exercice de la liberté d’expression et de la profession de journaliste.
80. Par ailleurs, la Cour considère que la loi doit prévoir des garanties adéquates et effectives contre des montants de dommages-intérêts disproportionnés par rapport au préjudice réel subi 
			(77) 
			Ibid., paragraphe 51..
81. Il est clair que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, les sanctions prononcées par les tribunaux – qu’elles soient pénales ou civiles – en cas de diffamation avérée doivent être proportionnées afin d’éviter un effet d’autocensure sur les médias. Un tel effet ne peut qu’être dommageable dans une société démocratique en annihilant les discussions et les débats sur des thèmes d’intérêt public.
82. Le Comité des Ministres s’est d’ailleurs exprimé en ce sens dans sa Déclaration sur la liberté du discours politique dans les médias: «Les dommages-intérêts et amendes imposés en cas de diffamation ou d’insulte doivent présenter un rapport raisonnable de proportionnalité avec la violation des droits ou de la réputation d’autrui, en prenant en considération les éventuels remèdes volontaires effectifs et adéquats qui ont été accordés par les médias et acceptés par les personnes concernées.»

6.9. Offenses aux sensibilités religieuses

83. Le rapporteur fait remarquer qu’il convient d’éviter de mélanger les questions relevant de la conscience morale et celles relevant de la légalité. Si certaines prises de position ou choix éditorialistes peuvent choquer les valeurs morales d’une partie des lecteurs, cela ne signifie pas pour autant que ces choix sont répréhensibles devant la loi.
84. Le rapporteur rappelle la Résolution 1510 (2006) de l’Assemblée relative à la liberté d’expression et au respect des croyances religieuses qui précise qu’«une société doit (…) autoriser, au nom de la liberté de pensée et d’expression, un débat ouvert sur les sujets relatifs à la religion et aux croyances» et dans laquelle elle émet l’avis que «la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
85. Comme l’a statué la Cour, «la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire de provocation» 
			(78) 
			Prager
et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, paragraphe
38, voir aussi Dichand et autres c. Autriche,
26 février 2002, paragraphe 41.. Dans l’affaire Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège, la Cour rappelle sa jurisprudence constante en ces termes: «Les méthodes permettant de faire des reportages objectifs et équilibrés peuvent varier considérablement, en fonction notamment du moyen de communication dont il s’agit; il n’appartient pas à la Cour, ni aux juridictions nationales d’ailleurs, de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte rendu les journalistes doivent adopter» 
			(79) 
			Bladet
Tromsø et Stensaas c. Norvège, 20 mai 1999, paragraphe
57.. La satire fait indéniablement partie de ces techniques.
86. Force est pourtant de constater que la liberté satirique est durement remise en cause ces derniers temps.
87. Elle doit pourtant évidemment, de par sa nature même, faire l’objet d’une plus grande tolérance, sans quoi elle serait certainement l’objet de poursuites et de condamnations continues – ou deviendrait ennuyeuse et dénuée de tout intérêt. Deux raisons peuvent étayer cette souplesse: d’une part, la satire joue un rôle utile dans toute société démocratique en tant qu’acteur à part entière de la société civile et du débat démocratique; d’autre part, la satire est, par sa nature même, emprunte d’une dose d’humour clairement identifiable; or, le genre humoristique doit bénéficier d’une liberté d’expression particulièrement large.
88. Mais il est clair que le mode humoristique ne saurait être prétexte à des atteintes à la dignité humaine, ni même permettre un outrage délibéré destiné exclusivement à ridiculiser ou à blesser.
89. Dans sa Déclaration sur la liberté du discours politique dans les médias, le Comité des Ministres s’exprime en ces termes: «Le genre humoristique et satirique, tel que protégé par l’article 10 de la Convention, autorise un plus grand degré d’exagération et même de provocation, pour autant qu’il n’induise pas le public en erreur sur les faits.»
90. Dans ce contexte, on ne peut rester silencieux sur l’affaire des caricatures danoises. Il est rassurant de constater que, au nom de la liberté d’expression et en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, la procureure chargée du dossier en France a estimé que le délit d’injures publiques n’était pas constitué et a requis la relaxe du directeur de publication du journal satirique Charlie Hebdo qui avait reproduit ces caricatures 
			(80) 
			La procureure s’est
exprimée en ces termes: «La Cour européenne des Droits de l’Homme
admet le principe selon lequel la liberté d’expression peut dépasser
la liberté de croyance quand il n’y a pas d’attaques contre des
convictions religieuses et qu’il s’agit d’un débat de société»;
voir Le Monde du 9 février
2007, <a href='http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-865591@51-862973,0.html'>http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-865591@51-862973,0.html</a>.. La justice française a finalement relaxé le journal et c’est un signe encourageant du respect de la liberté d’expression 
			(81) 
			Voir
OSCE, «OSCE Media Freedom Representative welcomes French acquittal
in cartoons row», 22 mars 2007 (en anglais uniquement)..
91. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler, comme le relève le Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme, que la Cour «a énoncé de façon répétée que les membres d’une communauté religieuse devaient tolérer le fait que d’autres personnes contestent leurs croyances religieuses» 
			(82) 
			Voir le rapport du
Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV)
relatif au discours de haine (GT-DH-DEV A(2006)008) et l’arrêt Nilsen et Johnsen c. Norvège, 25
novembre 1999, paragraphe 52.. Cependant, la Cour accorde une large marge d’appréciation aux Etats membres qui peuvent restreindre la liberté d’expression dans le cas d’attaques insultantes gratuites à l’encontre d’objets du culte. Le rapporteur est d’avis que les contours de cette marge d’appréciation sont encore trop flous et mériteraient d’être définis plus avant par la jurisprudence.

6.10. Voies alternatives – mécanismes d’autorégulation

92. Les codes de conduite adoptés dans certains Etats membres énoncent bon nombre de principes de déontologie auxquels les journalistes devraient se tenir 
			(83) 
			Le rapport du
DH-DEV précité (GT-DH-DEV A(2006)008, p. 31) énumère un certain
nombre d’exemples de pays ayant adopté des codes de bonne conduite.. En outre, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a adopté une déclaration de principe sur la conduite des journalistes qui fait partie des textes de référence en la matière 
			(84) 
			La
Déclaration de principe de la FEJ/FIJ sur la conduite des journalistes,
adoptée pour la première fois en 1954, précise les règles de conduite
des journalistes adoptées par toutes les organisations nationales
de représentants de journalistes en Europe.. Le rapporteur encourage les organismes professionnels de la presse dans les Etats membres ne disposant pas encore d’un code de bonne conduite des journalistes à en rédiger en s’inspirant de la jurisprudence de la Cour en matière de liberté d’expression.
93. Le rapporteur rappelle, par ailleurs, qu’un recours approprié au droit de réponse, ou de rectification, peut parfois offrir une réponse adéquate à des allégations diffamatoires, particulièrement dans les médias électroniques. Dans ce contexte, il rappelle la Recommandation Rec(2004)16 du Comité des Ministres sur cette question dans laquelle ce dernier recommande aux gouvernements des Etats membres «d’examiner et, si nécessaire, d’introduire dans leur droit ou leur pratique interne un droit de réponse ou toute mesure équivalente, permettant une correction rapide des informations inexactes diffusées dans les médias en ligne ou hors ligne selon les principes minimaux présentés [dans cette recommandation], sans préjudice de la possibilité d’ajuster leur exercice selon les spécificités de chaque type de média».

7. Conclusions

94. Malgré des prises de positions assez nombreuses, et parfois très tranchées, il est difficile de dégager une position commune susceptible de faire l’unanimité. Les efforts continus du représentant pour la liberté des médias en faveur de la dépénalisation de la diffamation ont, certes, des conséquences réelles en termes de modification des législations, mais ces conséquences restent limitées et ne concernent pas les pays d’Europe occidentale, qui, bien que ne prononçant pas de peines d’emprisonnement, n’abrogent pas leur législation pénale en matière de diffamation.
95. Par ailleurs, la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui s’est illustrée dans bien des domaines par une jurisprudence que l’on pourrait qualifier d’audacieuse et d’avant-gardiste, se contente, en l’occurrence, de souligner la nécessité de respecter le principe de la proportionnalité de la restriction, sans considérer le caractère pénal de la peine encourue en cas de diffamation comme problématique en lui-même.
96. Le caractère pénal de la diffamation a une finalité tout autre qu’une procédure devant les instances civiles. On a recours au droit pénal à la fois pour son effet dissuasif et pour sa dimension symbolique en tant qu’il exprime la désapprobation d’un acte par la société.
97. Par la voie de déclarations et d’allégations fausses, et de manière intentionnelle, il est possible de faire un tort important à la réputation d’autrui. Les conséquences peuvent se révéler irréparables, et peuvent, par exemple, ruiner la carrière d’une personne. S’il est avéré que ce tort a été causé en connaissance de cause et avec l’intention de nuire, il appelle alors une sanction pénale, et pas seulement une réparation civile.
98. Evidemment, il convient de ne pas sanctionner des déclarations ou allégations présentant un intérêt public, y compris fausses, si elles ont été faites sans connaissance de leur caractère inexact, en ayant fait preuve de la diligence nécessaire pour en vérifier la véracité et sans intention de nuire.
99. Si le caractère pénal de la peine encourue en cas de diffamation avérée peut être acceptable en soi, les peines de prison apparaissent en revanche disproportionnées. Certains cas évoqués dans ce rapport sont suffisamment éloquents pour démontrer qu’il s’agit là d’une mesure trop restrictive eu égard à la liberté d’expression et de la presse. La simple menace du risque d’incarcération peut conduire les journalistes à pratiquer l’autocensure et donc les empêcher d’exercer leur profession librement. Une telle entrave, réel muselage de la liberté d’expression et de la presse, est inacceptable.
100. Cependant, certaines formes de diffamation peuvent se révéler plus lourdes de conséquences que d’autres. Il en va ainsi des insultes à caractère raciste et du discours de haine. Le rapporteur préconise d’adopter une approche nuancée et de maintenir la possibilité de prononcer des peines de prison dans des cas de ce type. En effet, la dimension incitative à la haine raciale d’un discours de haine doit être prise en compte, ainsi que le cas particulier du négationnisme.
101. En ce qui concerne les poursuites en dommagesintérêts dans le cadre de plaintes relevant du droit civil, le rapporteur appelle les Etats membres à la modération et à veiller à ce que leurs législations soient appliquées en conformité avec la jurisprudence de la Cour. Des dommages-intérêts très élevés se révèlent être une ingérence tout aussi grave et inacceptable à l’encontre de la liberté d’expression.
102. Le rapporteur pense qu’il est judicieux de différencier certaines situations et de proposer en conséquences des adaptations législatives qui seraient à même de mieux protéger la liberté d’expression tout en présentant un degré d’acceptation potentiel plus élevé. Préconiser purement et simplement la dépénalisation de la diffamation ne lui semble pas, à ce stade, être la meilleure solution pour renforcer les garanties et la protection de la liberté d’expression.

8. Recommandations

103. Au vu des développements exposés ci-dessus, le rapporteur formule les propositions suivantes:

8.1. Personnalités politiques et chefs d’Etat

104. Au vu de la jurisprudence de la Cour, le rapporteur considère que les personnalités politiques et les chefs Etat ne devraient pas jouir d’une protection renforcée en matière de diffamation par rapport aux citoyens ordinaires. Il appelle les législateurs des Etats membres à réviser leurs législations respectives le cas échéant.

8.2. Abolition des peines d’emprisonnement pour diffamation

105. Le rapporteur est d’avis que les peines d’emprisonnement doivent être exclues en cas de diffamation. Une telle sentence apparaît trop restrictive eu égard à l’article 10 de la Convention. A l’appui de cette proposition, le rapporteur constate que si la Cour n’a jamais condamné en soi le caractère pénal de la sanction en cas de diffamation, elle a le plus souvent constaté une violation de l’article 10 de la Convention dans les affaires impliquant une peine de prison.

8.3. Distinction entre diffamation et discours de haine

106. Il semble nécessaire et justifié d’opérer une distinction entre la diffamation et le discours de haine. On pourrait donc préconiser qu’une distinction claire entre le discours de haine et la diffamation soit faite et que le discours de haine, pour sa part, demeure passible de prison.

8.4. Charge de la preuve des allégations et intérêt public

107. Comme il a été exposé au paragraphe 64, il faut œuvrer pour établir une meilleure protection des journalistes quand il est manifeste qu’ils ont fait tout ce qui était possible afin d’établir les faits. Sans aller jusqu’au renversement de la charge de la preuve, qui supposerait un bouleversement qui pourrait nuire aux droits à la vie privée des personnes publiques, il faut confirmer dans les textes législatifs la jurisprudence de la Cour visant à donner aux journalistes la possibilité de prouver la véracité de leurs informations et commentaires, et de s’exonérer ainsi de leur responsabilité pénale 
			(85) 
			Voir l’arrêt Fressoz
et Roire c. France, 21 janvier 1999, paragraphe 54..
108. Cette confirmation dans les législations nationales de la jurisprudence de la Cour devrait aussi se référer à l’arrêt récent de la Chambre des Lords 
			(86) 
			Voir le jugement dans l’affaire
Jameel, en date du 11 octobre 2006.. Il s’agit, en définitive, de réduire sensiblement l’effet d’autocensure qu’exercent les journalistes dans leur travail lorsqu’ils se savent menacés de poursuites judiciaires alors qu’il peut se révéler très difficile de prouver la véracité des faits, sans pour autant que les allégations soient fausses.

8.5. Montant des dommages-intérêts

109. Le montant des dommages-intérêts fixé par les instances judiciaires dans le cadre de procédures civiles doit être raisonnable et proportionné au dommage subi. Les dommages-intérêts ne doivent en aucun cas être d’une nature à inclure, en raison de leur montant élevé, un élément disproportionné de sanction (impropre au droit civil) 
			(87) 
			Tolstoy Miloslavsky
c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, paragraphe 51.et se borner à atteindre le but de la réparation qui est le leur. Les législations devraient prévoir des garanties en ce sens.
110. De plus, le rapporteur pense que l’Assemblée devrait inviter les Etats membres:
  • à faire preuve de prudence et de retenue en recourant à des poursuites pénales pour diffamation;
  • à définir plus précisément dans leurs législations le concept de diffamation dans le but d’éviter une application arbitraire de la loi;
  • à garantir dans leurs législations des moyens de défense appropriés aux personnes poursuivies pour diffamation, et en particulier des moyens reposant sur l’exceptio veritatis et l’intérêt général;
  • à mettre leurs législations en conformité avec la jurisprudence de la Cour en matière de protection des sources journalistiques;
  • à se doter, s’ils n’en ont pas encore, de codes de déontologie journalistique.
111. Finalement, le rapporteur est convaincu qu’une action urgente du Conseil de l’Europe est nécessaire pour promouvoir le strict alignement des lois nationales relatives à la diffamation et de leur application sur la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et propose de suggérer au Comité des Ministres:
  • de charger son comité intergouvernemental compétent, le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication (CDMC), d’élaborer, à la suite de ses importants travaux sur la question et à la lumière de la jurisprudence de la Cour, un projet de recommandation à l’attention des Etats membres définissant des règles précises en matière de diffamation en vue d’éradiquer l’usage abusif des poursuites pénales; et
  • par ailleurs, considérant les travaux importants sur la question du discours de haine menés par le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), et notamment par son Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV), de suggérer au Comité des Ministres de charger le CDDH de réviser sa Recommandation no R (97) 20, ou de préparer des lignes directrices, pour prendre en compte de nouvelles évolutions en la matière, notamment dans la jurisprudence de la Cour.

* * *

Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

Renvoi en commission: Doc. 10531 et Renvoi no 3087 du 6 juin 2005.

Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à l’unanimité par la commission le 14 mai 2007.

Membres de la commission: M. Dick Marty (Président),

M. Erik Jurgens (remplaçant: M. Frans Weekers), M. György Frunda (remplaçant: M. Vasile Ungureanu), Mme Herta Däubler-Gmelin (Vice-Présidents), M. Athanasios Alevras, M. Miguel Arias, M. Birgir Ármannsson, Mme Aneliya Atanasova, M. Abdülkadir Ates¸, M. Jaume Bartumeu Cassany, Mme Meritxell Batet, Mme Soledad Becerril, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, M. Erol Aslan Cebeci, Mme Pia Christmas-Møller, Mme Ingr-ıda Circene, Mme Lydie Err, M. Valeriy Fedorov, M. Aniello Formisano, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Stef Goris, M. Valery Grebennikov, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, Mme Karin Hakl, M. Nick Harvey (remplaçant: M. Christopher Chope), M. Andres Herkel, M. Serhiy Holovaty, M. Michel Hunault, M. Rafael Huseynov, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot Islami, M. Zˇ eljko Ivanji, M. Sergei Ivanov (remplaçant: M. Andres Herkel), Mme Katerˇina Jacques, M. Antti Kaikkonen (remplaçant: M. Kimmo Sasi), M. Karol Karski, M. Hans Kaufmann (remplaçant: M. Andreas Gross), M. András Kelemen, Mme Katerˇina Konecˇná, M. Nikolay Kovalev, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Eduard Kukan, Mme Darja Lavtizˇar-Bebler, M. Andrzej Lepper, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Tony Lloyd, M. Humfrey Malins, M. Pietro Marcenaro, M. Alberto Martins, M. Andrew McIntosh, M. Murat Mercan, Mme Ilinka Mitreva, M. Philippe Monfils, M. João Bosco Mota Amaral, M. Philippe Nachbar, Mme Nino Nakashidzé, M. Tomislav Nikoli´c, Mme Carina Ohlsson, Mme Ann Ormonde, M. Claudio Podeschi, M. Ivan Popescu, Mme Maria Postoico, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Christos Pourgourides, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Valeriy Pysarenko, M. François Rochebloine, M. Francesco Saverio Romano, M. Armen Rustamyan, M. Christoph Strässer, M. Mihai Tudose (remplaçante: Mme Florentina Toma), M. Øyvind Vaksdal, M. Egidijus Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis (remplaçant: M. Theodoros Pangalos), Mme Renate Wohlwend, M. Marco Zacchera, M. Krzysztof Zaremba, M. Vladimir Zhirinovsky, M. Miomir Zˇ uzˇul.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.

Ces textes seront débattus ultérieurement.