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Rapport | Doc. 12058 | 06 novembre 2009

La corruption judiciaire

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Kimmo SASI, Finlande, PPE/DC

Résumé

La corruption judiciaire porte atteinte à l’Etat de droit, favorise l’impunité, entraîne l’iniquité des procès et rend bien plus difficile la lutte contre la corruption en général. Pourtant, selon la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, cette corruption est «profondément ancrée» dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. Il est inquiétant de constater que dans certains pays – l’Arménie, la Bulgarie, la Croatie, la Géorgie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine», ainsi qu’au Kosovo 
			(1) 
			 Cette mention doit
rigoureusement s’interpréter conformément à la Résolution 1244 du
Conseil de sécurité des Nations Unies. (qui n’est pas un Etat membre du Conseil de l’Europe) – l’opinion publique considère la justice elle-même comme l’institution la plus corrompue.

Les autorités concernées devraient prendre «des mesures rigoureuses et exceptionnelles» pour remédier à cette situation, mais il existe par ailleurs tout un éventail de dispositions que les Etats membres pourraient adopter pour préserver l’intégrité de leur système judiciaire. Il convient, notamment, de rémunérer de façon raisonnable les juges, les procureurs et les fonctionnaires de police et de mettre à leur disposition des moyens matériels et humains suffisants. Les juges et les procureurs devraient élaborer et appliquer leurs propres normes éthiques, tout en insufflant dans la société une culture du respect des magistrats. Enfin, il importe que les procédures de recrutement, de promotion et de révocation des juges soient claires, transparentes et uniquement fondées sur le mérite des intéressés. Des unités spécialisées devraient être chargées d’enquêter sur les affaires de corruption et les décisions de justice partiales et de poursuivre les juges auteurs de ces actes, sans toutefois porter atteinte à leur indépendance.

Pour sa part, le Comité des Ministres pourrait établir un modèle de code de conduite à l’attention des acteurs du système judiciaire, qui définirait précisément les comportements professionnels et éthiques attendus d’eux, et recueillir des statistiques sur le nombre d’acteurs du judiciaire à l’encontre desquels ont été engagées des poursuites dans les différents Etats membres.

A. Projet de résolution

(open)
1. L’Assemblée parlementaire constate qu’un système judiciaire corrompu affaiblit l’Etat de droit – pilier de toute démocratie pluraliste; il met en question l’égalité de traitement devant la loi et le droit à un procès équitable et sape la légitimité de l’ensemble des pouvoirs publics.
2. La corruption judiciaire favorise l’impunité dont l’Assemblée a revendiqué l’éradication, en tant que priorité, dans sa Résolution 1675 (2009) sur la situation des droits de l’homme en Europe: la nécessité d’éradiquer l’impunité.
3. La corruption judiciaire et celle des autres institutions publiques ainsi que du secteur privé se nourrissent et se renforcent mutuellement. L’éradication de la corruption, une fois entrée dans les mœurs, est beaucoup plus difficile que sa prévention, d’où l’importance de lutter contre les premiers signes de corruption notamment dans les pays épargnés par ce fléau.
4. La lutte contre la corruption en général passe par son éradication dans les tribunaux. Ceux-ci sont chargés de sanctionner tous les corrompus de manière égale et objective, et de protéger les «donneurs d’alerte», indispensables pour une lutte efficace contre toutes les formes de la corruption.
5. L’Assemblée souligne l’importance d’une réelle volonté politique qui doit se manifester par des mesures concrètes et musclées et pas seulement à travers des discours et des lois largement symboliques. Une justice propre et indépendante favorise un climat politique dans lequel la corruption et le clientélisme deviennent moins fréquents, car plus risqués pour tous les participants.
6. L’Assemblée déplore que la corruption judiciaire soit profondément ancrée dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, qui souffrent également de graves problèmes de corruption au sein d’autres institutions publiques et privées. Selon le Baromètre mondial 2009 de la corruption publié par Transparency International, certains d’entre eux – l’Arménie, la Bulgarie, la Croatie, la Géorgie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine» –, se distinguent de manière particulièrement alarmante car c’est la justice elle-même qui y est perçue par la population comme l’institution la plus corrompue. C’est également le cas du Kosovo 
			(2) 
			 Cette référence doit
se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité des Nations Unies., qui n’est pas un Etat membre du Conseil de l’Europe.
7. L’Assemblée demande instamment aux autorités de tous les Etats visés ci-dessus de prendre des mesures rigoureuses et exceptionnelles pour restaurer la confiance du public dans le système judiciaire.
8. L’Assemblée s’inquiète d’une tendance dans certains Etats à nier a priori l’existence de toute corruption judiciaire en leur sein. Aucun Etat n’étantcomplètement à l’abri de la corruption, notamment par ce temps de crise économique, l’Assemblée invite tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à faire preuve d’autocritique et à entreprendre – à l’instar de l’Allemagne – une étude en profondeur du niveau de corruption dans leurs systèmes judiciaires et de prendre des mesures préventives et correctives au premier signe de danger.
9. En matière de prévention, l’Assemblée encourage tous les Etats membres à mettre en place un cadre minimisant les risques de corruption judiciaire:
9.1. en s’assurant que les juges, les procureurs, tous les acteurs du processus de justice – et notamment les représentants des forces de l’ordre – soient conscients de l’importance et de la dignité de leur rôle, notamment en assurant une rémunération en rapport et en mettant à leur disposition des ressources humaines et matérielles suffisantes;
9.2. en développant des standards professionnels et éthiques pour les juges et les procureurs ainsi que des mécanismes de suivi efficaces;
9.3. en soumettant la situation patrimoniale des juges et procureurs à un mécanisme de contrôle adapté à la situation dans chaque pays qui doit respecter l’indépendance et la dignité des acteurs de la justice;
9.4. en s’assurant que les procédures de recrutement, de promotion et de révocation des juges et des procureurs soient claires et transparentes, basées uniquement sur la qualification et le mérite, prenant en compte la Charte européenne sur le statut des juges et la recommandation de la Commission de Venise selon laquelle tous les Etats membres devraient disposer de conseils judiciaires indépendants regroupant des membres élus principalement par les magistrats;
9.5. en s’assurant que les mandats des juges et des procureurs soient suffisamment longs et pas liés à une évaluation externe de leurs décisions;
9.6. en assurant une formation spécifique de tous les juges et procureurs sur les questions de corruption et d’éthique;
9.7. en menant des campagnes publiques et/ou en mettant en place des programmes en vue d’accroître le respect du judiciaire en général et d’améliorer la compréhension par les citoyens de l’importance et des implications de l’indépendance du judiciaire et de la séparation des pouvoirs.
10. Pour être efficace la lutte contre la corruption doit comporter des enquêtes, des poursuites et, in fine, des condamnations. Pour ce faire, l’Assemblée invite les Etats membres:
10.1. à développer des mécanismes spécifiques permettant d’assurer la responsabilité, y compris pénale, des juges et procureurs sans mettre à mal leur indépendance et leur impartialité;
10.2. à assurer que les immunités des membres du judiciaire ne fassent pas obstacle à des poursuites effectives à leur encontre;
10.3. à assurer la formation adéquate d’enquêteurs spécialisés, et à mettre à leur disposition des ressources suffisantes.
11. En tant que mesure à la fois préventive et répressive, l’Assemblée invite tous les Etats membres à signer et ratifier, le cas échéant, la Convention pénale sur la corruption (STE no 173) et la Convention civile sur la corruption (STE no 174) et à coopérer efficacement avec les mécanismes de surveillance et de conseil prévus par ces instruments.
12. Le Conseil de l’Europe se doit de participer activement à la lutte contre la corruption judiciaire sous toutes ses formes, y compris les abus du système judiciaire motivés par des considérations politiques. L’Assemblée encourage notamment sa commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) à préparer des rapports thématiques à ce sujet ou au moins à y consacrer un chapitre substantiel dans ses rapports pour tous les pays sous procédure de suivi et dans le contexte du dialogue postsuivi.

B. Projet de recommandation

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, rappelant sa Résolution … (2009) sur la corruption judiciaire, considère l’éradication de la corruption judiciaire comme une priorité de l’action du Conseil de l’Europe, en tant qu’elle affaiblit l’Etat de droit, pilier de toute démocratie pluraliste, et favorise l’impunité.
2. Elle félicite le Comité des Ministres d’avoir mandaté un groupe de spécialistes sur le pouvoir judiciaire (CJ-S-JUD) afin de réviser la Recommandation no R (94) 12 du Comité des Ministres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, au niveau des tribunaux nationaux. Elle suggère que ce groupe de spécialistes prenne en compte les conclusions des Résolutions … (2009) et 1685 (2009) de l’Assemblée respectivement relatives à la corruption judiciaire et aux allégations d’utilisation abusive du système judiciaire répressif, motivée par des considérations politiques, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, et fasse une référence explicite au combat contre la corruption des juges dans le rapport explicatif du projet de recommandation révisée.
3. Elle encourage le Comité consultatif de procureurs européens (CCPE) à poursuivre son rôle de gardien de la bonne application de la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, notamment en ayant à l’esprit l’indépendance des procureurs et au vu des réformes ayant eu lieu dans les Etats membres depuis l’adoption de la recommandation. L’Assemblée encourage le CCPE à revoir cette recommandation de façon analogue à la révision en cours de la Recommandation no R (94) 12.
4. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à élaborer un modèle de code de conduite à l’attention des acteurs du système judiciaire, à l’instar du modèle de code de conduite pour les agents publics figurant en annexe à la Recommandation no R (2000) 10 du Comité des Ministres pour les agents publics. Dans ce contexte, il serait utile de se référer à l’Avis 3 du Conseil consultatif des juges européens (CCJE) sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l’impartialité.
5. Constatant que la Communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne du 10 juin 2009 concernant le Programme de Stockholm préconise une évaluation périodique des efforts menés par l’Union européenne et par les Etats membres pour lutter contre la corruption, et considérant qu’une telle initiative risque de dupliquer le travail du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), l’Assemblée invite le Comité des Ministres à œuvrer pour une coopération plus étroite entre le GRECO et les institutions pertinentes de l’Union européenne, y compris par le biais d’une participation de l’Union européenne au GRECO, telle que prévue par le statut du GRECO, afin d’éviter des duplications et de promouvoir des synergies.
6. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à entreprendre une collecte d’informations chiffrées sur les poursuites et les condamnations des acteurs du judiciaire dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Pour garantir l’utilité d’une telle étude, elle devrait être mise à jour sur une base régulière.
7. L’Assemblée invite enfin le Comité des Ministres à assurer une plus grande publicité de la Charte européenne sur le statut des juges qui, quoique n’ayant qu’un caractère purement déclaratif, devrait être une référence de fait pour les Etats membres.

C. Exposé des motifs, par M. Sasi, rapporteur

(open)

«Aucun système de gouvernement ou d’administration n’est à l’abri de la corruption exercée par ceux que l’abus de pouvoir attire.» 
			(3) 
			 Programme
d’action contre la corruption (adopté par le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe), Groupe multidisciplinaire sur la corruption
(GMC), GMC(96)95.

1. Introduction

1. Le 2 octobre 2007, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme m’a nommé rapporteur pour préparer un rapport relatif à la corruption judiciaire (Doc. 11330).
2. Lors de sa réunion des 10 et 11 novembre 2008 à Moscou, la commission a tenu une audition à ce sujet avec la participation des experts suivants: M. Piercamillo Davigo, juge à la Cour suprême de cassation (Rome), M. Dragos Kos, président du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), et Mme Elena A. Panfilova, directrice générale, Centre pour la recherche et l’initiative anticorruption, Transparency International (Moscou). Il sera fait référence à leurs contributions à plusieurs reprises dans ce rapport.
3. Le Préambule de la Convention pénale sur la corruption (STE no 173) dispose que «la corruption constitue une menace pour la prééminence du droit, la démocratie et les droits de l’homme, sape les principes de bonne administration, d’équité et de justice sociale, fausse la concurrence, entrave le développement économique et met en danger la stabilité des institutions démocratiques et les fondements moraux de la société», et insiste sur le fait que «l’efficacité de la lutte contre la corruption passe par une coopération internationale pénale intensifiée, rapide et adaptée en matière pénale».

2. Terminologie

4. Comme en ont témoigné les experts invités devant la commission, il n’existe pas, aujourd’hui, de définition universelle du terme «corruption». Toutes les tentatives de s’accorder au niveau international sur une définition ont échoué.
5. Si la Convention pénale sur la corruption ne donne effectivement aucune définition de la corruption, la Convention civile sur la corruption la définit cependant comme «le fait de solliciter, d’offrir, de donner ou d’accepter, directement ou indirectement, une commission illicite, ou un autre avantage indu ou la promesse d’un tel avantage indu qui affecte l’exercice normal d’une fonction ou le comportement requis du bénéficiaire de la commission illicite, ou de l’avantage indu ou de la promesse d’un tel avantage indu» (article 2).
6. Transparency International (TI) définit la corruption comme «l’abus d’une position publique en vue d’un intérêt privé». TI ajoute qu’il peut aussi bien s’agir d’intérêts matériels ou financiers que d’intérêts immatériels, comme la poursuite d’ambitions politiques ou professionnelles. TI définit plus précisément la corruption judiciaire comme «toute influence indue sur l’impartialité du processus judiciaire, par tout acteur du système judiciaire».
7. Le rapporteur n’entend pas comprendre le terme « judiciaire » en son sens le plus restreint, c’est-à-dire uniquement la magistrature. Dans ce rapport, ce terme inclut tous les acteurs du processus de justice (ce qui inclut notamment la police) 
			(4) 
			 M. Davigo a précisé
qu’en Italie, la corruption du judiciaire est comprise comme concernant
toutes les personnes impliquées dans les poursuites, y compris les
témoins..
8. TI identifie deux types principaux de corruption judiciaire: l’ingérence politique du pouvoir exécutif 
			(5) 
			 Sur ce point, voir
également le rapport de Mme Leutheusser-Schnarrenberger relatif
aux «allégations d’utilisation abusive du système judiciaire répressif,
motivée par des considérations politiques, dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe», Doc.
11993. ou législatif dans les procédures judiciaires et le recours aux pots-de-vin.
9. Comme le fait remarquer TI, l’ingérence politique peut s’exprimer par la manipulation des nominations judiciaires, des salaires et des conditions d’emploi, mais également sous la forme de menaces et d’intimidation des juges. TI cite notamment la Russie comme un exemple de pays dans lequel le pouvoir politique a récemment accru son influence sur le judiciaire.

3. Constat: la corruption visible n’est que la partie émergée de l’iceberg

10. Dans son rapport mondial de 2007 sur la corruption, consacré à la justice et la lutte contre la corruption, TI constate que «la corruption fragilise la justice dans de nombreuses régions du monde, refusant aux victimes et aux accusés le droit fondamental à un procès juste et impartial» 
			(6) 
			 Voir le site <a href='www.transparency.org/publications/gcr/gcr_2007/gcr_french_2007'>www.transparency.org/publications/gcr/gcr_2007/gcr_french_2007</a>. . De plus en plus d’éléments font apparaître une corruption généralisée au sein de l’appareil judiciaire dans de nombreuses parties du monde. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe fait remarquer que «la croyance selon laquelle le système judiciaire est corrompu et les tribunaux ont tendance à favoriser les personnes qui ont de l’argent et des relations est très répandue» et, «pire encore, certains signes laissent à penser que les soupçons des gens sont parfois justifiés» 
			(7) 
			 Voir
le point de vue du Commissaire aux droits de l’homme, 24 juin 2008: 
			(7) 
			<a href='www.coe.int/t/commissioner/Viewpoints/080624_fr.asp'>www.coe.int/t/commissioner/Viewpoints/080624_fr.asp</a>. .
11. Une société démocratique ne saurait fonctionner alors que son système judiciaire est gangrené par une corruption systémique, qui bien souvent s’accompagne d’une corruption systémique de toute l’administration. La corruption judiciaire porte atteinte à l’Etat de droit, à la légitimité des pouvoirs publics, nuit à la société dans son ensemble et représente un danger imminent pour le principe fondateur de la démocratie qu’est l’égalité de traitement devant la loi.
12. En effet, selon le Programme d’action contre la corruption adopté par le Comité des Ministres en novembre 1996, «les professions juridiques tiennent une place importante dans la lutte contre la corruption. La confiance de l’opinion dans les fonctions publiques exige ainsi – c’est capital – que les juges soient indépendants et impartiaux, qu’ils ne soient d’aucune façon impliqués dans des affaires de corruption et qu’ils n’apparaissent pas comme les défenseurs d’intérêts catégoriels» 
			(8) 
			 Groupe
multidisciplinaire sur la corruption (GMC), GMC(96)95..
13. Un système judiciaire corrompu empêche, dans la pratique, tout effort de lutte contre la corruption dans d’autres domaines, et sert ainsi de terreau fertile à la criminalité organisée, voire au terrorisme.
14. Dans certains Etats membres, le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) a constaté une faible confiance du public dans le judiciaire assortie de la perception que la corruption judiciaire est largement répandue. Dans ce contexte, le groupe a clairement dit que, entre autres, la restauration de la confiance du public dans les juges et dans le processus juridique dans son ensemble nécessite des réformes institutionnelles déterminées et le renforcement de l’indépendance du judiciaire face à toute influence abusive.
15. Le fait que les législations nationales prévoient généralement des sanctions à l’encontre des acteurs du judiciaire qui, dans le cadre de leurs fonctions, demandent ou reçoivent une rémunération pour effectuer un acte particulier ne semble pas suffire à endiguer cette dérive.
16. Comme l’a fait remarquer à juste titre M. Davigo, lors de son intervention devant la commission en novembre 2008, il est extrêmement difficile de sanctionner la corruption, avant tout parce qu’il est difficile d’obtenir des informations sur son existence 
			(9) 
			 Le Comité des Ministres
fait le même constat: «Le principal problème que posent toutes les
formes de la corruption vient de ce qu’elle tire sa force du secret
et du silence qui l’entourent.» Programme d’action contre la corruption
précité, document GMC(96)95..
17. Il a ajouté qu’il existe une inconnue de taille dans les statistiques relatives à la corruption, à savoir la différence entre les infractions commises et les infractions effectivement démasquées. Selon lui, c’est principalement dû au fait que l’infraction de corruption n’a pas de victime spécifique, n’est généralement pas perpétrée devant témoins et n’est connue que de la personne corrompant et de la personne corrompue (dont l’intérêt commun est manifestement de rester discrètes). Il ajoute que la police est principalement organisée en vue de traiter des infractions visibles.
18. Davigo a mis en évidence une caractéristique spécifique de la corruption du judiciaire. En effet, elle apparaît notamment dans les affaires juridiques complexes. Cela a pour conséquence que les affaires de corruption du judiciaire sont traitées par des instances judiciaires inférieures à celles impliquées dans les affaires concernées (il a cité l’exemple d’un tribunal de première instance saisi d’une affaire de corruption présumée dans le contexte d’un procès devant la Cour de cassation).
19. Cette particularité génère certaines difficultés pour la personne chargée de mener les poursuites. A titre d’exemple de difficultés rencontrées, il a exposé le cas d’une allégation de corruption d’un membre de la Cour de cassation italienne soupçonné d’être lié à un groupe de type mafieux. La Cour de cassation a décidé qu’il serait illégal de demander à un juge ayant participé à des délibérations à huis clos de témoigner sur le processus de décision en question concernant les avis et votes exprimés par des membres individuels de la formation judiciaire 
			(10) 
			 Décision
no 22327 du 30 octobre 2002 (dep. 21 mai 2003, rv 224182).. Ce faisant, elle a donc empêché le tribunal en charge des poursuites sur l’allégation de corruption d’entendre des témoignages essentiels.

4. Principaux instruments juridiques internationaux pertinents

20. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à un procès équitable «par un tribunal indépendant et impartial».
21. La Convention pénale sur la corruption (STE no 173) prévoit en son article 2 que «chaque Partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, le fait de proposer, d’offrir ou de donner, directement ou indirectement, tout avantage indu à l’un de ses agents publics, pour lui-même ou pour quelqu’un d’autre, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions». Son article 3 prévoit une disposition similaire pour les cas de corruption passive d’agents publics nationaux.
22. L’article 11 de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUC) dispose que, «compte tenu de l’indépendance des magistrats et de leur rôle crucial dans la lutte contre la corruption, chaque Etat partie prend, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, des mesures pour renforcer leur intégrité et prévenir les possibilités de les corrompre, sans préjudice de leur indépendance».
23. La Résolution (97) 24 du Comité des Ministres portant les 20 principes directeurs pour la lutte contre la corruption définit deux principes qui sont particulièrement pertinents dans la lutte contre la corruption du judiciaire. Le principe directeur no 3 prévoit d’«assurer que les personnes chargées de la prévention, des enquêtes, des poursuites et de la sanction des infractions de corruption bénéficient de l’indépendance et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, soient libres de toute influence incompatible avec leur statut et disposent de moyens adéquats pour l’obtention de preuves; assurer la protection des personnes qui aident les autorités à lutter contre la corruption et sauvegarder le secret de l’instruction». Le principe directeur no 6 prévoit de «veiller à limiter toute immunité à l’égard des enquêtes, des poursuites et des sanctions relatives aux infractions de corruption à ce qui est nécessaire dans une société démocratique». Dans son premier cycle d’évaluation (2000-2002), le GRECO a évalué les mesures prises par les Etats membres pour mettre en œuvre ces principes.
24. Un modèle de code de conduite pour les agents publics figure en annexe à la Recommandation no R (2000) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les codes de conduite pour les agents publics. Il y est cependant précisé à l’article 1 que «les dispositions du présent code ne concernent pas les représentants publics élus, les membres du gouvernement ni les personnes exerçant des fonctions judiciaires». Il pourrait être opportun d’élaborer un modèle de code de conduite à l’attention des acteurs du système judiciaire. Dans ce contexte, il serait bon de se référer à l’Avis 3 du Conseil consultatif des juges européens (CCJE) sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l’impartialité 
			(11) 
			 Voir
le site <a href='www.coe.int/t/dghl/cooperation/ccje/default_fr.asp'>www.coe.int/t/dghl/cooperation/ccje/default_fr.asp</a>. .
25. Par ailleurs, le Comité des Ministres a mandaté un groupe de spécialistes sur le pouvoir judiciaire (CJ-S-JUD) afin d’«élaborer une recommandation et un rapport explicatif modernisant entre autres la Recommandation no R (94) 12 relative à l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, au niveau des tribunaux nationaux, à la lumière des développements survenus depuis l’adoption de cette dernière et renforçant et enrichissant la portée de cette recommandation» 
			(12) 
			 Voir le mandat du
CJ-S-JUD sous: <a href='www.coe.int/t/f/affaires_juridiques/coop%E9ration_juridique/comit%E9s_directeurs/cdcj/cj_s_just/CJ-S-JUD%20_2009_%202_F_Mandat.pdf'>www.coe.int/t/f/affaires_juridiques/coop%E9ration_juridique/comit%E9s_directeurs/cdcj/cj_s_just/CJ-S-JUD%20_2009_%202_F_Mandat.pdf</a>. . Le rapporteur suggère que ce groupe de spécialistes prenne en compte les conclusions de son rapport et celles du rapport préparé par Sabine Leutheusser-Schnarrenberger relatif aux « allégations d’utilisation abusive du système judiciaire répressif, motivée par des considérations politiques, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe » précité, et fasse éventuellement une référence explicite au combat contre la corruption des juges dans le rapport explicatif du projet de recommandation révisée. Les travaux du CJ-S-JUD devraient aboutir en décembre 2009.
26. Toutes les mesures recommandées dans le rapport visant à assurer l’indépendance pleine et entière des tribunaux par rapport au pouvoir politique valent aussi pour la lutte contre la corruption judiciaire: les mécanismes pernicieux permettant d’influencer des procédures judiciaires à des fins politiques peuvent aussi servir, et servent peut-être même plus souvent, à des fins de corruption pure et simple.
27. Il pourrait également être intéressant d’examiner les questions relatives à l’indépendance et au rôle des procureurs, y compris celui des procureurs généraux. En effet, dans son rapport, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger note que, par exemple dans le système anglais de justice pénale, «il existe une autre voie possible pour exercer éventuellement une influence politique sur des affaires particulières: le procureur général» 
			(13) 
			 Doc. 11993 précité, paragraphe 15..
28. Il existe déjà la Recommandation Rec(2000)19 
			(14) 
			 Voir le site 
			(14) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec(2000)19&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=9999CC&BackColorIntranet=FFBB55&BackColorLogged=FFAC75'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec(2000)19&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=9999CC&BackColorIntranet=FFBB55&BackColorLogged=FFAC75</a>.du Comité des Ministres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale. Le Comité consultatif de procureurs européens (CCPE), créé en juillet 2005 par le Comité des Ministres, est chargé de rédiger des avis à l’attention du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) sur les difficultés liées à la mise en œuvre de cette recommandation, de promouvoir la mise en œuvre de celle-ci et de recueillir des informations sur le fonctionnement des services du ministère public en Europe. Le rapporteur se demande si cette recommandation, qui a bientôt 10 ans, est encore suffisamment à jour pour couvrir les nombreuses réformes qui ont eu lieu dans les Etats membres. En ce sens, le rapporteur encourage le CCPE à poursuivre son rôle de gardien de la bonne application de la Recommandation Rec(2000)19, notamment en ayant à l’esprit l’indépendance des procureurs et au vu des réformes ayant eu lieu depuis l’adoption de la recommandation. S’il le juge et quand il le jugera opportun, le rapporteur l’encourage à réviser cette recommandation de façon analogue à la révision en cours de la Recommandation no R (94) 12.
29. La recommandation dans le rapport précité de l’Assemblée 
			(15) 
			 Doc. 11993. visant à couper le «cordon ombilical» du droit des ministres de la justice à donner des instructions concernant des affaires individuelles serait aussi une mesure qui réduirait d’autant le risque d’un abus de telles instructions à des fins de corruption.
30. Enfin, le rapporteur attire l’attention sur la Charte européenne sur le statut des juges 
			(16) 
			 DAJ/DOC(98)23. qui, quoique n’ayant qu’un caractère purement déclaratif, devrait être une référence pour les Etats membres. Comme il est indiqué dans son rapport explicatif, la charte «entend définir le statut des juges par rapport à des objectifs qu’il s’agit d’atteindre: assurer la compétence, l’indépendance et l’impartialité que toute personne est en droit d’attendre des juridictions et de chacun et chacune des juges». Une plus grande publicité devrait être accordée à ce texte qui définit tous les principes autour du statut des juges, notamment en matière de recrutement, nomination, déroulement de la carrière (promotion), responsabilité, rémunération et cessation des fonctions.
31. Une autre voie qui peut aider à combattre la corruption, y compris dans le domaine judiciaire, peut être la protection des « donneurs d’alerte » (whistle-blowers). Une protection efficace des personnes qui ont le courage de dénoncer des actes de corruption contre des représailles de leurs employeurs ou d’autres acteurs rendrait la corruption plus «risquée» pour les acteurs, car plus susceptible d’être démasquée. Mon collègue Pieter Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC) a préparé un rapport au sujet de la protection des donneurs d’alerte, approuvé par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme en juin 2009 
			(17) 
			 Voir Doc. 12006., qui propose des mesures de protection concrètes aux niveaux national et européen.
32. Le Conseil de l’Europe a d’ores et déjà mis en place un ensemble normatif important pour lutter contre la corruption. Mais la simple ratification des conventions pertinentes ne peut pas éradiquer la corruption; il faut une réelle volonté politique, suivie d’actes concrets en vue de la combattre.

5. Situation dans certains Etats membres 
			(18) 
			 Les exemples sont
présentés dans l’ordre alphabétique en anglais. Le rapporteur a
choisi de mentionner ces pays car les informations pertinentes disponibles
sont les plus récentes. Le fait que certains pays ne soient pas
mentionnés ne signifie pas qu’il n’y existe aucun problème.

33. Selon le Baromètre mondial 2009 de la corruption 
			(19) 
			 Voir le site <a href='www.transparency.org/news_room/in_focus/2009/gcb2009#dnld'>www.transparency.org/news_room/in_focus/2009/gcb2009#dnld</a>. publié par TI, la justice est considérée comme l’institution la plus corrompue en Arménie, en Bulgarie, en Croatie, en Géorgie, au Kosovo 
			(20) 
			 Cette référence doit
se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité des Nations Unies. et dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine». Ces pays se distinguent donc de manière particulièrement inquiétante de ceux, encore plus nombreux, dans lesquels la corruption est généralement perçue comme un problème touchant toutes les institutions publiques: comme c’est la justice qui est chargée de poursuivre les corrompus et de protéger les «donneurs d’alerte» (whistle-blowers), c’est très décourageant pour la population si la justice elle-même est perçue comme étant encore plus corrompue que d’autres institutions.
34. Par ailleurs, un rapport préparé en 2008 dans le contexte de l’Eurobaromètre relatif à l’attitude des Européens à l’égard de la corruption 
			(21) 
			 Voir
le site <a href='http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_291_en.pdf'>http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_291_en.pdf</a>,
avril 2008. apporte des données intéressantes sur la perception de la corruption dans les Etats membres de l’Union européenne dans différents secteurs. Il est frappant de constater que, en moyenne, 45 % des personnes sondées dans les 12 nouveaux Etats membres de l’Union européenne pensent que donner ou recevoir des pots-de-vin est une pratique étendue parmi les personnes qui travaillent dans les services judiciaires et 52 % parmi les personnes qui travaillent dans les services de police, alors que la moyenne dans l’Union européenne des 15 est respectivement de 22 % et de 25 % pour les mêmes questions. A titre d’exemples, 65 % des Slovaques et 60 % des Lettons interrogés pensent que ces pratiques existent dans les services judiciaires, contre 8 % en Finlande, 12 % au Danemark et 14 % au Royaume-Uni; 77 % des personnes interrogées en Estonie et 98 % en Roumanie pensent que ces pratiques existent dans les services de police, contre 7 % en Finlande et 16 % en Allemagne. Ces chiffres sont relativisés par le fait que, en moyenne, seuls 8 % des personnes interrogées ont déclaré qu’on leur a demandé de payer un pot-de-vin au cours des douze derniers mois.
35. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (ci-après «le commissaire») a constaté que «le climat politisé [a] un effet négatif sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire» en Albanie. Il note en effet qu’«à cet égard, certains [lui] ont signalé (…) que les pressions politiques empêchaient le fonctionnement efficace et en toute indépendance de la justice» 
			(22) 
			 Rapport par le Commissaire
aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur sa visite en Albanie
(27 octobre-2 novembre 2007), <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1309819&Site=CommDH&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679'>CommDH(2008)8</a>, 18 juin 2008.. Les corapporteurs de la commission de suivi de l’Assemblée se montrent préoccupés par «la faiblesse du système judiciaire, qui est doté d’un personnel mal payé et partiellement corrompu» 
			(23) 
			 AS/Mon (2008) 30 rév.,
20 novembre 2008, corapporteurs: M. J. Laakso et M. D. Wilshire.. Le gouvernement a adopté une stratégie de lutte contre la corruption pour 2007-2013. Il s’en est suivi une augmentation notable du nombre de poursuites pour corruption à l’encontre des fonctionnaires de moyen et haut rangs. Le commissaire constate cependant que la corruption dans le système judiciaire reste très répandue et souligne que «des études nationales et internationales font état d’un haut niveau de perception de corruption du système judiciaire, ce qui entrave gravement le fonctionnement de la justice et affaiblit la confiance du public envers les institutions». Selon plusieurs observateurs internationaux, beaucoup reste à faire dans ce domaine, les réformes visant à renforcer le système judiciaire ayant pris du retard.
36. Concernant l’Arménie, le commissaire a constaté que «la justice est encore loin d’être indépendante», en particulier en raison de pressions et d’intimidation sur les membres de la magistrature, «notamment de la part des autorités centrales et locales, ainsi que des procureurs» qui exercent une influence «abusive» 
			(24) 
			 Rapport par le Commissaire
aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur sa visite en Arménie
du 7 au 11 octobre 2007, <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1283853&Site=CommDH&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679'>CommDH(2008)4</a>, 30 avril 2008. La commission de suivi de l’Assemblée
a fait le même constat; voir Doc.
11628, 9 juin 2008.. Si des mesures ont été prises pour permettre le «bon exercice des fonctions d’un juge», le commissaire insiste sur le fait que «beaucoup reste à faire pour assurer la mise en œuvre appropriée des nouvelles dispositions et améliorer la confiance du public envers le système judiciaire». Le rôle décisif dans la sélection des juges attribué par la Constitution révisée au Conseil de la justice, dont la majorité des membres sont des juges élus par leurs pairs et non plus par le président, est considéré par le commissaire comme une «avancée positive vers une réelle indépendance de la magistrature». Le commissaire a encouragé l’adoption de mesures visant à rendre le processus de sélection des juges plus transparent et équitable, des augmentations de leurs rémunérations (la modicité desquelles les rend vulnérables à la corruption), ainsi que la mise en place de dispositifs en vue de la promotion et de la formation des juges à la déontologie (notamment en s’appuyant sur le Code de déontologie judiciaire entré en vigueur en décembre 2005).
37. Lors de sa visite en Azerbaïdjan, le commissaire a constaté que dans ce pays «la corruption est perçue comme imprégnant la quasi-totalité de la société», mais qu’«il semblerait que le cadre législatif visant à garantir l’indépendance des juges soit en place» 
			(25) 
			 Cette impression est
confirmée par les études réalisées par de grandes organisations
internationales ou des mécanismes spécialisés, tels que l’OCDE (Organisation
pour la coopération et le développement économique) et le GRECO
(Groupe d’Etats contre la corruption du Conseil de l’Europe).. Par ailleurs, afin de renforcer l’indépendance des juges et de les rendre moins vulnérables à la corruption, leurs salaires ont été multipliés par 25 entre 2000 et fin 2007. Le commissaire précise néanmoins que «malgré toutes ces récentes améliorations – davantage de juges, mieux sélectionnés et qualifiés, plus au fait des normes internationales en matière de droits de l’homme –, l’indépendance réelle du système judiciaire semble malheureusement loin d’être assurée, aussi bien dans les esprits que dans les faits». «Le pouvoir judiciaire semble être particulièrement exposé à la corruption et affecté par celle-ci. En dépit des efforts déployés pour réformer le système judiciaire (…), une grande partie de l’administration judiciaire semble être influencée par des intérêts pécuniaires. A l’instar de nombreux pays en transition rapide issus de l’ancien système soviétique, la justice azerbaïdjanaise est marquée par la corruption et la dépendance à l’égard du pouvoir exécutif.»
38. Les autorités ont adopté des mesures qui témoignent de leur volonté de combattre la corruption (notamment en multipliant les poursuites et les sanctions en cas de corruption), mais le commissaire «tient à mettre en garde contre le risque de stratégies partisanes dans la mise en cause de personnes, le moment choisi pour engager des poursuites et la sévérité des sanctions» 
			(26) 
			 Rapport par le Commissaire
aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur sa visite en Azerbaïdjan,
du 3 au 7 septembre 2007, <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1251585&Site=CommDH&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679'>CommDH(2008)2</a>, 20 février 2008. . TI note effectivement dans son rapport que, malgré des améliorations sur le plan législatif, aucun changement radical n’est survenu et qu’il existe un décalage entre la lettre de la loi et sa mise en œuvre.
39. Dans leur rapport, les corapporteurs de la commission de suivi de l’Assemblée sur la Bosnie-Herzégovine notent que «la corruption est omniprésente dans tout le pays» 
			(27) 
			 Doc. 11700, 15 septembre 2008.. Une restructuration de fond en comble du système des tribunaux du pays a été recommandée dès 2002. Depuis, nombre de réformes ont été entreprises mais le fonctionnement du système judiciaire fait encore l’objet de critiques sévères.
40. A l’issue de sa visite en Bulgarie, le président de la commission de suivi de l’Assemblée constate qu’il s’agit d’un pays «avec une corruption endémique qui a atteint les rangs de l’administration et du système judiciaire» 
			(28) 
			 AS/Mon
(2008) 35 rév., 7 avril 2009, note d’information du président de
la commission, Serhiy Holovaty, sur sa visite à Sofia (5-7 novembre
2008).. L’affaire «Borilski» est considérée comme un exemple édifiant de cette corruption. Dans cette affaire de meurtre (d’un Bulgare en France), les meurtriers présumés ont été acquittés malgré les preuves scientifiques accumulées par la police française et transmises à la justice bulgare. L’un des deux accusés n’est autre que le fils d’un ancien haut responsable du service des enquêtes criminelles bulgare, par la suite devenu un avocat d’affaires très influent 
			(29) 
			 «Une
imposture bulgare? La justice est minée par la criminalisation rampante
de l’Etat et la corruption», Le Monde, 15-16
février 2009..
41. Selon la Commission européenne, la corruption a atteint une telle échelle dans ce pays qu’elle influence et dénature le processus politique et démocratique. On rapporte que seulement 20 % de la population bulgare aurait confiance dans le judiciaire, lequel est perçu comme corrompu et inefficace (contre 48 % en moyenne dans les pays de l’Union européenne) 
			(30) 
			 «Safeguarding the
Rule of Law in an Enlarged EU – The cases of Bulgaria and Romania»,
CEPS Special Report, avril 2009, Susie Alegre, Ivanka Ivanova et
Dana Denis-Smith, voir le site: <a href='http://shop.ceps.eu/BookDetail.php?item_id=1833'>http://shop.ceps.eu/BookDetail.php?item_id=1833</a>. . On rapporte qu’en 2007, avant l’adhésion à l’Union européenne, des efforts avaient été entrepris pour endiguer la corruption, par exemple dans l’administration fiscale ou au sein de la police en charge de la circulation, mais qu’au contraire le gouvernement aurait toléré une augmentation graduelle de la corruption, notamment dans le judiciaire 
			(31) 
			Ibid.. A la suite de l’adhésion à l’Union européenne, un travail en étroite coopération a été instauré entre la Commission européenne, les Etats membres et la Bulgarie, notamment en vue de renforcer le système judiciaire et de lutter contre la corruption 
			(32) 
			 Mécanisme de coopération
et de vérification (MCV), voir notamment le dernier rapport de février
2009 sur le site: <a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2009:0069:FIN:EN:PDF'>http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2009:0069:FIN:EN:PDF</a>. . Dans ce contexte, la Commission européenne a bloqué en novembre 2008 l’accès de la Bulgarie à près de 500 millions d’euros de financement européen pour sa négligence à lutter contre la corruption et le crime organisé. Le président de la commission de suivi de l’Assemblée note que la réforme du judiciaire a entraîné de nombreux changements de «pure forme» 
			(33) 
			 Par exemple, alors
que la large immunité dont bénéficiaient les juges a été remplacée
par une immunité fonctionnelle, le problème de la corruption du
judiciaire demeure. qui ont donné aux réformes «une orientation indésirable». L’indépendance du judiciaire n’est pas encore assurée, notamment en raison du fait que le ministre de la Justice préside le Conseil judiciaire supérieur et y dispose d’un droit d’initiative 
			(34) 
			 CDL(2008)009.. Dans sa note, le président de la commission de suivi sous-entend également qu’au sein du Conseil judiciaire supérieur, juges, procureurs et magistrats instructeurs s’immiscent dans des activités qui ne les concernent pas. Il relève également que la nouvelle période probatoire de cinq ans imposée aux nouveaux juges est «un obstacle de taille à l’indépendance de la justice». Il conclut enfin avoir été «surpris d’apprendre que [les juges] sont formés uniquement après leur nomination et qu’il n’existe aucun système d’évaluation de leurs compétences. (…) cela, ajouté à l’idée répandue de corruption, engendre (…) de la méfiance à l’égard du système judiciaire». Par ailleurs, les avocats, les juges, procureurs et magistrats instructeurs sont tous représentés au sein du Conseil judiciaire supérieur. Les procureurs membres de ce Conseil participent aussi aux votes pour les nominations et les promotions des juges.
42. Pour répondre à ces problèmes graves, la Bulgarie a adopté deux stratégies nationales contre la corruption et deux stratégies additionnelles (adoptées en 2004 et en 2009) pour combattre la corruption du judiciaire. Mais ces mesures sont réputées plus déclaratives qu’effectives 
			(35) 
			 «Safeguarding
the Rule of Law in an Enlarged EU – The cases of Bulgaria and Romania»,
CEPS Special Report, op. cit.. En 2008, une nouvelle agence a été créée pour enquêter sur le crime organisé et sur la corruption de haut niveau (Agence étatique pour la sécurité nationale). Une section spécialisée sur les cas de corruption de haut niveau a été mise en place au sein du bureau du procureur général. Enfin, une inspection nouvellement créée au sein du Conseil judiciaire suprême surveille les affaires criminelles de haut profil et analyse les raisons des délais des procédures devant les tribunaux. Ces nouveautés semblent indiquer que les autorités bulgares ont désormais pris conscience de la nécessité de mettre un terme à la corruption de haut niveau, y compris au sein du judiciaire, et que la volonté politique nécessaire existerait. Cependant, seuls des résultats concrets – à ce jour inexistants – prouveront que c’est le cas. Il conviendrait, par exemple, que des poursuites menant à des condamnations pénales soient engagées à l’encontre des juges ou procureurs sur lesquels pèsent des allégations graves de corruption. Début 2009, selon Freedom House, les problèmes de corruption persistent 
			(36) 
			 Freedom House, Nations
in transit report 2008, <a href='http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=17&year=2008'>www.freedomhouse.org/template.cfm?page=17&year=2008</a>. . Le rapporteur suggère que la commission de suivi de l’Assemblée surveille de près l’évolution en la matière, éventuellement en y consacrant une note thématique spécifique.
43. Concernant la Croatie, TI constate que le système judiciaire manque de transparence et que des cas de corruption existent. L’état du judiciaire dans ce pays est considéré par la Commission européenne comme l’un des obstacles les plus importants à l’adhésion à l’Union européenne. Selon des études d’opinion, le judiciaire est considéré par la population en Croatie comme l’un des secteurs les plus corrompus du pays. A ce jour, très peu de membres du judiciaire ont été condamnés pour corruption 
			(37) 
			 Un
seul à la date à laquelle TI a finalisé son rapport..
44. Bien que reconnaissant avoir des difficultés à évaluer la corruption du judiciaire en République tchèque(faute de données précises), TI considère que le système judiciaire de ce pays n’est pas suffisamment indépendant, pas suffisamment cohérent, ni suffisamment efficace. TI note également que le système judiciaire est largement susceptible de subir des interférences du pouvoir politique.
45. Les corapporteurs de la commission de suivi de l’Assemblée sur la Géorgie ont récemment noté que «les autorités ont lancé un vaste ensemble de réformes du système et du pouvoir judiciaire, dans le but de renforcer l’indépendance du judiciaire». Ils ont signalé leur intention «de fournir [ultérieurement] une analyse détaillée de ces réformes» 
			(38) 
			 AS/Mon
(2009)16 rév., 30 avril 2009, corapporteurs: MM. M. Eörsi et K.
Islami.. Le rapporteur les encourage à analyser dans ce contexte spécifiquement la question de la corruption du judiciaire et note avec intérêt que, dans leur rapport précédent, les corapporteurs avaient indiqué que des progrès significatifs avaient été accomplis «dans la transformation d’une bureaucratie judiciaire corrompue en un appareil judiciaire européen moderne», et que la réforme du judiciaire en Géorgie «a progressé plus rapidement et avec des objectifs plus clairs que dans de nombreuses autres sociétés en mutation d’Europe centrale et orientale» 
			(39) 
			 Doc. 11502 rév., 23 janvier 2008.. En effet, depuis 2004, plusieurs mesures ont été entreprises en Géorgie pour s’attaquer aux sources de la corruption du judiciaire, notamment via une augmentation substantielle de la rémunération des juges, le renforcement des contrôles sur les pots-de-vin (plusieurs juges ont été démis de leurs fonctions pour en avoir accepté). Cependant, si la pratique des pots-de-vin a diminué, selon TI le judiciaire subit toujours l’influence de l’exécutif. L’actuelle réforme du judiciaire offre l’opportunité d’en renforcer l’indépendance.
46. Malgré la négation quasi systématique de l’existence d’une quelconque corruption du judiciaire au sein de leurs tribunaux par les pays d’Europe de l’Ouest, ces pays ne sont pas immunes à ce phénomène. Dans ces pays également, la transparence du système judiciaire au sens large devrait être renforcée. En Allemagne, l’affaire «Pirate-Bay» illustre le cas d’une allégation de corruption en raison de la partialité du juge. En l’espèce, alors qu’il s’agit d’une affaire sur les droits d’auteur, le juge en charge de l’affaire est un membre actif de plusieurs associations et fondations prônant le renforcement des droits d’auteur (et même membre du directoire de l’une d’entre elles). Dans cette affaire, dans laquelle des millions d’euros de dommages et intérêts étaient en jeu, la peine de prison ferme prononcée à l’encontre des accusés a surpris tous les observateurs du procès. Les juges doivent avoir le droit de participer aux activités de la société, et notamment aux activités syndicales, mais il faut garantir que les processus de décision ne sont pas biaisés.
47. L’absence, dans la plupart des Länder en Allemagne, d’une structure d’autogestion de la justice à l’instar des conseils supérieurs de la magistrature qui existent dans presque tous les pays européens, ainsi que la possibilité pour les ministres de la Justice dans la plupart des Länder et au niveau fédéral de donner des instructions à des procureurs concernant des affaires individuelles ont donné lieu à des propositions de réforme dans le rapport de Mme Leutheusser-Schnarrenberger précité, que le rapporteur soutient pleinement: l’Allemagne devrait donner le bon exemple et mettre en place des structures participatives qui protègent le judiciaire au mieux contre toute ingérence politique qui peut, comme on l’a vu dans d’autres pays, aussi servir comme porte d’entrée pour la corruption.
48. Sur une note positive, le rapporteur remarque que, contrairement à la plupart des Etats d’Europe de l’Ouest, l’Allemagne n’a pas eu peur de briser le tabou, et le Bundeskriminalamt (BKA) a mené en 2000 une étude substantielle évaluant le niveau de corruption dans la police, la justice et les douanes 
			(40) 
			 Voir le site 
			(40) 
			<a href='http://www.bka.de/kriminalwissenschaften/veroeff/inh/forschungsreihe_pdf/2_46_einschaetzungen_zur_korruption_in_polizei_justiz_und_zoll.pdf'>www.bka.de/kriminalwissenschaften/veroeff/inh/forschungsreihe_pdf/2_46_einschaetzungen_zur_korruption_in_polizei_justiz_und_zoll.pdf</a>. . Il s’agit d’un exemple à suivre; le rapporteur encourage tous les Etats membres à mener une étude de ce type.
49. En Italie, il existe des scandales politico-judiciaires (qualifiés de «guerre des toges» par la presse) impliquant de lourdes suspicions de corruption de certains juges en vue de protéger entrepreneurs et politiques. Lors de l’audition devant la commission en novembre 2008 à Moscou, l’un des experts invités, M. Davigo, a précisé que la justice italienne a été très sévère avec la corruption au sein du judiciaire. Il a ajouté qu’il est pourtant problématique que, bien que l’article 319 du Code pénal punisse la corruption du judiciaire, le délit de trafic d’influence n’existe pas en Italie. Si les cas de corruption du judiciaire sont certes très rares en Italie, ils sont cependant très graves. Il a cité succinctement un exemple impliquant un homme politique (ancien ministre), qui avait invoqué ses obligations de parlementaire pour ne pas apparaître au procès. Après avoir obtenu de nombreux renvois, il avait finalement été condamné. Cette affaire avait engendré un conflit entre autorités judiciaires et politiques, le Sénat italien ayant, en 2001, critiqué les juges pour leur décision.
50. Une affaire récente a également fait largement polémique. Elle implique le déplacement vers une autre juridiction du procureur de Catanzaro, Luigi di Magistris, à la demande de ses supérieurs et du ministre de la Justice de l’époque, Clemente Mastella. Le juge di Magistris a porté plainte contre ce déplacement et les juges ayant eu à traiter de sa requête ont soupçonné que son déplacement ait eu pour but de nuire à sa réputation et de l’écarter d’une enquête dont il fallait gêner le développement (le juge di Magistris avait notamment mis en évidence dans son enquête des liens entre des entrepreneurs locaux, des politiques de gauche comme de droite, des juges, ainsi que l’ex-ministre de la Justice lui-même).
51. En Italie, certaines interventions politiques pour empêcher des poursuites par des lois «sur mesure» sont à peine masquées. En 2006, le parquet de Milan réclame un procès contre Silvio Berlusconi, ainsi que contre son avocat David Mills, pour corruption en actes judiciaires (notamment du fait de faux témoignages présumés de l’avocat). Le 23 juillet 2008, une loi est votée qui accorde l’immunité judiciaire au Président du Conseil dans l’exercice de ses fonctions. David Mills, quant à lui, a été condamné à quatre ans et demi de prison pour avoir fourni «un faux témoignage afin de concéder à Silvio Berlusconi et à [son] groupe Fininvest l’impunité ou, au moins, de conserver les profits considérables réalisés» (selon un tribunal de Milan). Dans ce contexte, le rapport préparé en 2004 par notre collègue Sabine Leutheusser-Schnarrenberger sur la loi italienne sur la suspicion légitime est également pertinent 
			(41) 
			 Doc. 10124, 2 avril 2004.. Dans ce rapport, elle constatait en effet que cette loi avait pour effet de ralentir indûment certains procès, de faire peser la défiance des justiciables sur l’ensemble des magistrats, et était donc contraire au principe de l’égalité de tous devant la loi.
52. La commission de suivi de l’Assemblée a également exprimé son inquiétude quant à la corruption du judiciaire en Moldova (il a notamment été allégué que certains juges accorderaient des faveurs politiques contre de l’argent) et a recommandé de «garantir l’indépendance de l’appareil judiciaire et [de] renforcer l’efficacité et le professionnalisme des juges» 
			(42) 
			 Doc. 11374, 14 septembre
2007.. Les corapporteurs de la commission de suivi remarquent que quelques affaires notoires «pourraient facilement être interprétées comme une instrumentalisation politique de la justice». Il existe actuellement un Plan d’action 2007-2009 de mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la corruption en Moldova.
53. Lors de sa visite au Monténégro en 2008, le commissaire a relevé que «la corruption est un problème intersectoriel qui touche tous les domaines de la vie publique et est le principal obstacle à une mise en œuvre effective des normes en matière de droits de l’homme» 
			(43) 
			 Rapport
par le Commissaire aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur
sa visite au Monténégro (2-6 juin 2008), <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1351099&Site=CommDH&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679'>CommDH(2008)25</a>, 8 octobre 2008.. Il constate même que «le sentiment général est que la corruption noyaute la vie politique, le système judiciaire et l’administration publique au Monténégro» 
			(44) 
			 Ibid.,
paragraphe 28.. Une loi sur la prévention des conflits d’intérêts – visant à limiter les fonctions incompatibles ou multiples en demandant aux fonctionnaires de déclarer leurs revenus, fonctions et primes – a certes été adoptée, mais semble peu ou mal appliquée. Le commissaire note toutefois que des changements importants dans la structure judiciaire, avec notamment le transfert du parlement au Haut Conseil judiciaire du pouvoir de désigner et de démettre les juges, ont été introduits par la nouvelle Constitution. Il considère que, «en retirant au parlement le pouvoir de nommer et de démettre les juges pour en investir le Haut Conseil judiciaire réformé, la nouvelle Constitution a en partie résolu le problème du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire ressenti par le grand public. Seule exception à cette règle: le président de la Cour suprême reste élu par le parlement». Cependant, certaines inquiétudes ont été soulevées quant à la composition du Haut Conseil judiciaire, laquelle ne garantirait pas sa totale indépendance et autonomie, ni ne le mettrait à l’abri des influences politiques 
			(45) 
			 «Sur
les dix membres du Haut Conseil judiciaire, seulement quatre sont
des juges élus par leurs pairs, les autres membres étant: le président
de la Cour suprême, deux parlementaires, le ministre de la Justice,
ainsi que deux juristes proposés par le chef de l’Etat. En outre,
le fait que la présidence ex officio du Haut Conseil judiciaire
soit confiée au président de la Cour suprême pose problème, car
cela risque de compromettre la mission de surveillance de la Cour suprême
par le HCJ», <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1351099&Site=CommDH&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679'>CommDH(2008)25</a>..
54. Il existe en Roumanie des problèmes similaires à ceux rencontrés en Bulgarie et le même mécanisme de suivi des progrès effectués a été mis en place par la Commission européenne après l’adhésion 
			(46) 
			 Lire notamment le
dernier rapport: 
			(46) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2009:0070:FIN:EN:PDF'>http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2009:0070:FIN:EN:PDF</a>. . La confiance du public dans le judiciaire a encoredécliné ces dernières années 
			(47) 
			 «Safeguarding
the Rule of Law in an Enlarged EU – The cases of Bulgaria and Romania»,
CEPS Special Report, avril 2009, Susie Alegre, Ivanka Ivanova et
Dana Denis-Smith, voir: <a href='http://shop.ceps.eu/BookDetail.php?item_id=1833'>http://shop.ceps.eu/BookDetail.php?item_id=1833</a>.. On rapporte que le Conseil supérieur de la magistrature agirait comme un syndicat cherchant à contourner les exigences de transparence 
			(48) 
			 Ibid.. Depuis la seconde moitié de 2008, des efforts ont été entrepris pour renforcer la transparence de la justice, mais ils se sont limités à un niveau technique (publication de la jurisprudence). Afin de renforcer l’indépendance de la justice, les procédures de recrutement et de promotion des juges et personnels du système judiciaire ont été rendues plus transparentes.
55. Le rapporteur constate avec beaucoup d’inquiétude que, bien que la loi l’interdise, il est fréquent que des juges, voire des jurys entiers, soient remplacés sans raison apparente 
			(49) 
			 Ibid.. Cela remet en question l’attribution aléatoire des affaires soumises aux tribunaux et laisse penser que ces derniers sont soumis à certaines influences 
			(50) 
			 L’attribution
des affaires aux juges par des procédures objectives quasi automatiques
est aussi préconisée dans le rapport précité de Sabine Leutheusser-Schnarrenberger
comme une mesure visant à endiguer des abus de procédures judiciaires
à des fins politiques..
56. Il est indispensable non seulement que les outils visant à combattre la corruption existent, mais aussi et surtout que la volonté politique de le faire soit réelle et déterminée. Il faut que cette volonté politique soit affirmée et suivie d’actes. Dans ce contexte, il est intéressant de remarquer qu’une ancienne ministre de la Justice, Mme Monica Macovei, a quitté ses fonctions en partie en raison de la chute de la coalition au pouvoir, mais aussi en raison de son opposition très vive à toute corruption 
			(51) 
			 «Safeguarding the
Rule of Law in an Enlarged EU – The cases of Bulgaria and Romania», <a href='http://shop.ceps.eu/BookDetail.php?item_id=1833op'>op</a>. cit. : «Le remplacement de Monica Macovei en 2007 par
un juriste inexpérimenté, Tudor Chiuariu, a été largement considéré comme
une décision politique résultant en partie de la chute de la coalition
au pouvoir mais aussi de son opposition très vive à toute corruption»
(traduction non officielle)..
57. Concernant la Russie, le rapporteur note que les corapporteurs de la commission de suivi envisagent «de faire de la lutte contre la corruption (…) un des thèmes majeurs» de leur prochaine visite 
			(52) 
			 AS/Mon (2009) 09 rév.,
30 mars 2009, corapporteurs: MM. L. Van den Brande et T. Pangalos.. C’est une excellente idée. TI considère d’ailleurs que la Russie est un exemple de pays dans lequel le pouvoir politique a récemment accru son influence sur le judiciaire 
			(53) 
			 Tendance déjà dénoncée
dans le rapport du GRECO de 2008 sur la Fédération de Russie, paragraphes
147 et 149, <a href='www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round2/GrecoEval1-2(2008)2_RussianFederation_FR.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round2/GrecoEval1-2(2008)2_RussianFederation_FR.pdf</a>.. La mise en œuvre des peines dans les affaires relevant du droit civil et en matière d’impôts est également soumise à une forte influence du politique. Le rapporteur se réfère au rapport préparé par Sabine Leutheusser-Schnarrenberger sur les circonstances entourant l’arrestation et l’inculpation de hauts dirigeants de loukos 
			(54) 
			 Doc. 10368, 29 novembre 2004. et à la Résolution 1418 (2005) adoptée sur la base de ce rapport. Dans cette résolution, l’Assemblée déclare que les poursuites engagées contre Mikhail Khodorkovski et deux autres anciens dirigeants de Ioukos vont au-delà de la simple poursuite de la justice. Elles visent notamment «l’affaiblissement d’un adversaire politique déclaré, l’intimidation d’autres personnes riches et la reprise du contrôle d’actifs économiques stratégiques» et qui ont été «arbitrairement pris pour cibles» par les autorités russes. L’affaire Ioukos est aussi un exemple pour la proximité entre les motifs «politiques» et la corruption strictu sensu: ce sont notamment les circonstances de la vente aux enchères et de la revente de Yougansneftegaz, principale filiale de production de Ioukos, décrites dans le rapport précité qui laissent planer un doute à cet égard. Le rapporteur note d’ailleurs avec autant d’inquiétude que Mme Leutheusser-Schnarrenberger «le fait que deux hommes soient à nouveau jugés pour des faits qui semblent être pour l’essentiel les mêmes que ceux pour lesquels ils ont été condamnés en 2005» 
			(55) 
			 Voir le site <a href='http://assembly.coe.int/ASP/NewsManager/FMB_NewsManagerView.asp?ID=4532'>http://assembly.coe.int/ASP/NewsManager/FMB_NewsManagerView.asp?ID=4532</a>. . Il semblerait que le nouveau procès n’ait été initié que pour empêcher la libération des anciens dirigeants de Ioukos, dont les peines initiales viendront bientôt à échéance.
58. Dans l’affaire Koudechkina contre Russie 
			(56) 
			 Requête
no 29492/05, 26 février 2009; jugement encore en appel devant la
Grande Chambre., la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que la révocation de la magistrature de la requérante pour avoir critiqué publiquement de hauts magistrats était constitutive d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. En l’occurrence, la requérante avait accusé publiquement des hauts magistrats d’exercer des pressions sur elle au sujet d’une affaire pénale importante concernant une affaire de corruption à grande échelle mettant en cause un enquêteur de police pour abus de pouvoir. Dans ses déclarations, elle laissa par ailleurs entendre que ce n’était pas la première fois que les tribunaux russes étaient utilisés à des fins de manipulation commerciale, politique ou personnelle. La Cour note dans ce contexte que la sanction en question, à savoir la révocation de la requérante, est de nature à avoir un «effet inhibiteur» sur les juges souhaitant participer au débat public sur l’efficacité des organes judiciaires.
59. Dans son nouveau rapport, Mme Leutheusser-Schnarrenberger atteste de fortes pressions exercées sur les juges en vue d’obtenir des condamnations 
			(57) 
			 Voir Doc. 11993, paragraphe 69 et suivants.. L’affaire du juge V. P. Savelyuk semble montrer que la lutte contre la corruption judiciaire elle-même peut donner lieu à des violations de l’indépendance des juges. Cet exemple montre qu’une sensibilité particulière et le respect pointilleux des droits de la défense sont nécessaires dans les poursuites à l’encontre de juges accusés de corruption. La condamnation, à grand fracas, mais selon une procédure douteuse, d’un juge qui pourrait très bien être innocent n’est pas de nature à résoudre le problème de la corruption judiciaire, ni même à rassurer le public de manière durable.
60. L’affaire HSBC/Hermitage, présentée en détail dans le rapport précité 
			(58) 
			 Idem, paragraphes 87-91 et 108-112., fournit une illustration impressionnante des conséquences dramatiques, même pour d’importants investisseurs étrangers, de la collusion présumée de différents représentants des forces de l’ordre, des autorités fiscales et de différents tribunaux qui aurait donné lieu aussi à de fortes pressions contre des avocats 
			(59) 
			 Idem,
paragraphe 87 et suivants et 108 et suivants.. De telles affaires démontrent l’importance primordiale d’une justice propre et efficace, apte à protéger les victimes de machinations criminelles et à poursuivre leurs auteurs, et non l’inverse.
61. Dans son rapport de 2009 sur la Serbie, le commissaire constate que «les procédures de nomination des juges et procureurs doivent être plus transparentes et libres de toute influence politique, afin de commencer à rétablir la confiance du public dans le pouvoir judiciaire et le ministère public» 
			(60) 
			 Rapport par le Commissaire
aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur sa visite en Serbie
(13-17 octobre 2008), <a href='http://www.coe.int/t/commissioner/WCD/visitreports_fr.asp'>CommDH(2009)8</a>, 11 mars 2009, paragraphe 65.. La Commission de Venise avait d’ores et déjà dénoncé «un risque majeur de politisation» du judiciaire en raison du rôle du parlement dans l’élection des juges 
			(61) 
			 CDL-AD(2008)006;
voir également Doc. 11701 Addendum.. Une loi sur l’Agence de lutte contre la corruption a été adoptée en octobre 2008, reste à voir si cette agence sera dotée des ressources humaines et financières adéquates.
62. Eu égard à «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le commissaire a constaté lors de sa visite en 2008 que «les parties prenantes tant nationales qu’internationales ont souvent décrit le pouvoir judiciaire du pays comme étant faible et inefficace; de plus, il est largement perçu comme étant entaché de corruption et comme étant soumis à l’influence des politiques» 
			(62) 
			 Rapport par le Commissaire
aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur sa visite dans «L’ex-République yougoslave
de Macédoine», 25-29 février 2008, <a href='http://www.coe.int/t/commissioner/WCD/visitreports_fr.asp'>CommDH(2008)21</a>, 11 septembre 2008, paragraphe 30.. Le commissaire précise que «pour remédier aux faiblesses du judiciaire, le gouvernement a adopté, en 2004, une stratégie et un plan d’action en vue de le réformer, l’objectif étant d’en renforcer l’indépendance et l’efficacité». Un certain nombre de réformes ont suivi (clarification des procédures disciplinaires, formation et nomination des juges, etc.). Ces réformes sont qualifiées de «progrès substantiels» 
			(63) 
			 AS/Mon (2008) 31 rév,
20 novembre 2008, note du président de la commission de suivi sur
sa visite d’information (2-5 novembre 2008). par le président de la commission de suivi de l’Assemblée et de «démarches importantes» par le commissaire, qui relève cependant que «le niveau de confiance de l’opinion dans le judiciaire reste très faible». 
			(64) 
			 Rapport par le Commissaire
aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, sur sa visite dans «l’ex-République yougoslave
de Macédoine», op. cit. :
«Des études effectuées par Transparency International ont montré
que c’était l’un des pays d’Europe les plus touchés par la corruption
mineure. Le manque de confiance dans le pouvoir judiciaire constitue
un grave problème. Près de 85 % de la population estime que le système
juridique et le système judiciaire sont corrompus.» 
63. Le président de la commission de suivi de l’Assemblée a soulevé certaines interrogations quant à l’indépendance du judiciaire en Turquie. Il remarque en effet que le Conseil supérieur de la magistrature «ne peut pas initier des poursuites contre un juge ou un procureur sans l’aval du ministre de la Justice» 
			(65) 
			 AS/Mon (2009)10 rév.,
7 avril 2009, note d’information du président de la commission de
suivi sur sa visite en Turquie (24-26 novembre 2008) dans le cadre
du dialogue postsuivi avec la Turquie.. Sur cette base, le risque existe que si des intérêts politiques sont en jeu, aucune poursuite ne puisse être engagée. Par ailleurs, une récente étude menée par la TESEV 
			(66) 
			 Turkish
Economic and Social Studies Foundation, «Justice can be bypassed
sometimes: Judges and Prosecutors in the Democratization Process»,
mai 2009. conclut que le judiciaire n’est pas objectif et tranche souvent en faveur de l’Etat. TI note que la méfiance des citoyens envers le système judiciaire s’est accrue ces dernières années. L’immunité protège les juges de façon disproportionnée puisqu’elle les protège même dans des cas de pots-de-vin perçus et qu’elle n’est quasiment jamais levée. TI dénonce également le recours fréquent à des rapports d’experts privés, lesquels sont susceptibles de recevoir des pots-de-vin de l’une ou l’autre des parties au procès. Les décisions des juges sont souvent basées sur les rapports de ces experts. Mais depuis quelques années, des efforts ont été entrepris en vue de combattre la corruption dans le judiciaire. Des juges et des procureurs ont été emprisonnés ou démis de leurs fonctions pour avoir accepté des pots-de-vin. TI suggère que la composition du Conseil supérieur de la magistrature soit modifiée, notamment en supprimant les sièges du ministre de la Justice et de son sous-secrétaire. Cela permettrait de réduire substantiellement l’influence du gouvernement dans les procédures de nomination et de promotion des magistrats.
64. Dans leur dernière note d’information, les corapporteurs de la commission de suivi sur l’Ukraine se sont inquiétés de projets remettant en cause l’indépendance de la justice, notamment en ce qui concerne l’intention du ministre de la Justice de placer l’administration judiciaire et l’Ecole de la magistrature sous son autorité 
			(67) 
			 AS/Mon (2008) 06 rév.,
18 mars 2008, corapporteurs: Mmes H. Severinsen et R. Wohlwend.. Sous cette autorité, les juges seraient naturellement plus sensibles à d’éventuelles pressions de la part du gouvernement. Dans cette même note, les corapporteurs poursuivent en précisant que «la majorité de la population est convaincue que l’appareil judiciaire est l’institution la plus corrompue d’Ukraine» (selon l’étude de 2007 de Transparency International).
65. L’Agence sur le crime organisé sérieux (Serious Organised Crime Agency), instituée au Royaume-Uni, a constaté que le crime organisé a recours à la corruption pour ses activités et que, à plusieurs reprises, des officiers de police chargés de l’application de la loi ont été corrompus et ont agi de concert avec des criminels 
			(68) 
			 Voir le site <a href='http://www.soca.gov.uk/'>www.soca.gov.uk/</a>.. Le système judiciaire a fait l’objet ces dernières années d’une importante réforme en vue d’en garantir formellement l’indépendance vis-à-vis de l’exécutif, notamment via la réforme des procédures de nomination dans toutes les juridictions du pays. En effet, selon notre collègue Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, «la création en 2006 de la Commission des nominations judiciaires (Judicial Appointments Commission) (…) renforce encore le principe de l’indépendance du judiciaire à l’égard de toute influence politique». Par contre, le rôle de l’avocat général (Attorney General), qui a donné lieu à des débats controversés, notamment à l’occasion des affaires British Aerospace (BAE) and «cash for honours» 
			(69) 
			 Doc. 11993, paragraphes
16-34., reste encore à clarifier.

6. Mesures à prendre pour lutter efficacement contre la corruption judiciaire

6.1. La prévention

66. En premier lieu, le rapporteur insiste sur la mise en place de mesures visant à prévenir la corruption des membres du judiciaire, notamment dans les Etats membres dans lesquels ce phénomène reste marginal. Il est en effet plus facile de prévenir l’apparition de la corruption judiciaire que de la guérir une fois que le système est gangréné.
67. Le développement de codes d’éthique pour les acteurs du système judiciaire, ainsi que des mécanismes pour assurer leur mise en œuvre permettraient de développer cet aspect préventif. Comme l’indique le CCJE dans son Avis 3 (précité), «la confiance et le respect portés à la magistrature sont les garanties de l’efficacité du système juridictionnel: la conduite du juge dans son activité professionnelle est logiquement perçue par les justiciables comme un facteur essentiel de crédibilité de la justice». Cet avis devrait servir de référence dans la rédaction de codes d’éthique.

6.2. La nécessité de collecter des informations fiables

68. Il est également indispensable de mieux définir les contours de la corruption du judiciaire afin de mieux lutter contre ce phénomène. Le rapporteur estime qu’il serait nécessaire d’obtenir des informations fiables par le biais de statistiques détaillées.
69. Il existe, certes, un nombre important de sources statistiques, notamment celles collectées tous les ans par Transparency International dans son Baromètre mondial de la corruption. Cependant elles restent assez générales, ne mesurent que l’impression, le ressenti des personnes interrogées, et n’ont pas un caractère officiel.
70. Il serait utile de collecter des informations chiffrées sur les poursuites et les condamnations des acteurs du judiciaire dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Mises en corrélation avec les statistiques ressenties, elles donneraient une idée de l’énergie (ou de l’absence d’énergie) avec laquelle les Etats membres s’attaquent à la racine du problème. Il faut donc qu’il soit clair d’emblée que ce sont justement les pays qui ont fait les plus grands progrès en termes de transparence qui auront les statistiques les plus «négatives». Leur évaluation politique doit tenir compte de cet aspect pour ne pas pénaliser justement les pays qui font les plus grands efforts de lutte contre la corruption judiciaire.
71. Le rapporteur se demande si une instance existante au sein du Conseil de l’Europe pourrait préparer une étude en ce sens. Pour garantir l’utilité d’une telle étude, elle devrait être mise à jour sur une base biennale. De telles informations seraient certainement utiles aux travaux du GRECO, lequel, dans le cadre de ses évaluations du premier et du deuxième cycles, attache une importance particulière à l’indépendance du judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique et d’autres sources d’influence.
72. Dans ce contexte, le rapporteur observe avec une certaine inquiétude une initiative en cours au niveau de la Commission européenne. A la suite de la décision du Conseil européen de 2008 relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de la Convention des Nations Unies contre la corruption (2008/801/CE), la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 10 juin 2009 concernant le Programme de Stockholm préconise «une évaluation périodique des efforts menés par l’Union et par les Etats membres» pour lutter contre la corruption. Le rapporteur estime qu’une telle initiative, si elle était soutenue par les Etats membres de l’Union européenne, conduirait inévitablement à une duplication du travail du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO).
73. Le rapporteur invite le Comité des Ministres à encourager une coopération plus étroite entre le GRECO et les institutions pertinentes de l’Union européenne, y compris par le biais d’une «participation de la Communauté européenne» au GRECO, telle que prévue par le statut du GRECO, afin d’éviter des duplications et de promouvoir des synergies.
74. Parmi les mesures de prévention devrait aussi figurer une protection efficace des «donneurs d’alerte» (whistle-blowers), qui constituent un facteur de risque et donc de dissuasion pour tous les corrompus. Notre collègue Pieter Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC) a fait des propositions en ce sens, que le rapporteur soutient pleinement.

6.3. Les poursuites

75. Selon le rapport préparé en 2008 dans le contexte de l’Eurobaromètre relatif à l’attitude des européens à l’égard de la corruption 
			(70) 
			 Voir
le site <a href='http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_291_en.pdf'>http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_291_en.pdf</a>, avril 2008., la majorité des citoyens de l’Union européenne ne considère pas qu’il existe suffisamment de poursuites judiciaires couronnées de succès dans leur pays pour dissuader les gens de donner ou de recevoir des pots-de-vin (58 %). En Finlande, 49 % des personnes interrogées pensent qu’il y en a suffisamment, alors qu’en Slovénie, seuls 17 % partagent cet avis.
76. Comme l’a indiqué le GRECO dans certains de ses rapports, «la justice doit non seulement être – mais aussi être perçue comme étant – correctement exercée, afin de changer l’opinion de la population» 
			(71) 
			 Voir notamment le
rapport du GRECO de 2008 sur la Fédération de Russie, paragraphe
148, <a href='www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round2/GrecoEval1-2(2008)2_RussianFederation_FR.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round2/GrecoEval1-2(2008)2_RussianFederation_FR.pdf</a> ;
et le rapport du GRECO sur l’Ukraine, paragraphe 88, <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round2/GrecoEval1-2(2006)2_Ukraine_FR.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round2/GrecoEval1-2(2006)2_Ukraine_FR.pdf</a>., notamment dans les pays dans lesquels la population ne fait pas confiance au système judiciaire.

6.4. Propositions concrètes

77. Le GRECO a ainsi mis en évidence plusieurs domaines ayant une influence importante sur l’indépendance et donc sur l’éventuelle corruption du judiciaire:
  • les procédures de sélection et de nomination des juges;
  • les systèmes de promotion ou d’évaluation des juges;
  • les conditions de travail déficientes (entre autres, rémunération insuffisante 
			(72) 
			 L’étude
de la Commission européenne sur l’efficacité du système judiciaire
(CEPEJ) en Europe est un excellent outil permettant d’évaluer les
rémunérations des juges, garantes de leur indépendance (rapport
de la CEPEJ intitulé «Systèmes judiciaires européens – Edition 2008»,
publié en septembre 2008).);
  • les procédures de sélection et de nomination des procureurs;
  • les systèmes de promotion ou d’évaluation des procureurs; et
  • les procédures de révocation des procureurs.
78. Le rapport de TI met en évidence quatre problèmes récurrents dans les pays étudiés: 1. la nomination des membres du judiciaire; 2. les mandats et les conditions de travail et salariales; 3. la responsabilité et les mesures disciplinaires; et 4. la transparence.
79. TI constate d’ailleurs que ces éléments n’ont pas été suffisamment pris en compte dans les diverses réformes judiciaires de ces deux dernières décennies, qui se sont largement concentrées sur les aspects administratifs des tribunaux.
80. Lors de l’audition devant la Commission, le président du GRECO, M. Drago Kos, a présenté les moyens suivants à mettre en place afin de lutter efficacement contre la corruption du judiciaire:
  • les membres du judiciaire doivent recevoir une rémunération appropriée par rapport à leur travail en vue de minimiser les risques de tentations d’obtenir des revenus supplémentaires;
  • les procédures de recrutement, de promotion et de révocation des juges et des procureurs doivent être claires, transparentes, apolitiques et non partisanes – à cet égard la Charte européenne sur le statut des juges prévoit l’intervention d’une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d’un ou d’une juge;
  • le mandat des juges et procureurs doit être suffisamment long et pas lié à une évaluation externe de leur travail;
  • l’indépendance absolue du travail des juges et des procureurs de toute interférence indue doit être garantie;
  • des mécanismes de contrôle impartiaux doivent être mis en place afin d’assurer la gestion adéquate des tribunaux et des services du parquet;
  • des mécanismes précis et objectifs de responsabilité des juges et des procureurs doivent être développés, sans interférence indue à l’encontre de leur indépendance et de leur impartialité, tout en assurant la protection des plaignants contre les représailles et en prévoyant des sanctions efficaces;
  • des standards professionnels et éthiques pour les juges et les procureurs doivent être développés et accompagnés de mécanismes de suivi efficaces;
  • les immunités du judiciaire ne devraient pas représenter des obstacles excessifs à des poursuites effectives de membres corrompus du judiciaire;
  • les autorités judiciaires doivent avoir des ressources humaines et matérielles suffisantes;
  • un certain degré de spécialisation du judiciaire est requis;
  • il est indispensable de former le judiciaire spécifiquement sur les questions de corruption et d’éthique;
  • les autorités judiciaires doivent avoir un accès aisé à l’expertise dont elles ont besoin;
  • les juges et les procureurs devraient toujours être conscients de l’importance de leur rôle dans une société moderne.
81. Pour être efficace la lutte contre la corruption doit comporter des enquêtes, des poursuites et, in fine, des condamnations. Car s’il y a des criminels, ils doivent être punis selon la loi.
82. En ce sens, la Charte européenne sur le statut des juges consacre le «droit au recours» du juge. Tout juge estimant ses droits ou son indépendance (ou celle de la justice) menacés doit pouvoir saisir une instance indépendante.
83. Les traditions jouent également un rôle important. Dans une culture dans laquelle la corruption n’est pas du tout acceptée, il est plus difficile d’avoir un comportement déviant. Un tel comportement est aussi plus risqué, et donc moins fréquent, quand les «donneurs d’alerte» (whistle-blowers) sont dûment respectés et protégés.
84. Il est nécessaire d’avoir des forces de police spécialisées, des juges d’instruction, des experts, tous ayant reçu la formation adéquate et disposant de ressources suffisantes afin d’assurer que des enquêtes efficaces sont menées.
85. Or, si les lois existent pour poursuivre les criminels, encore faut-il que la volonté politique de les poursuivre existe. En matière de corruption, a fortiori de corruption du judiciaire, c’est la volonté politique au plus haut niveau qui est indispensable.

7. Conclusions

86. Il est d’une importance capitale que le phénomène de la corruption du judiciaire – terreau fertile de l’impunité 
			(73) 
			 Voir en ce sens le
rapport de Mme Herta Däubler-Gmelin sur «La situation des droits
de l’homme en Europe: la nécessité d’éradiquer l’impunité», Doc. 11934. – soit éradiqué.
87. La clé réside dans une réelle volonté politique. Trêve de plans d’action vides de sens et autres promesses déclaratives, la corruption du judiciaire et la corruption politique se nourrissent et se renforcent mutuellement. Dès lors que le système judiciaire est corrompu, il est improbable que les politiques usant de menaces ou de pots-de-vin pour échapper à la justice soient jamais condamnés. Un tel système exclut de facto les candidats honnêtes qui pourraient vouloir s’attaquer aux racines profondes du problème. Dès lors que l’on est fier de sa profession et de ses hauts standards, la tentation de fraude s’affaiblit.
88. Il faut voir la réalité en face, les rapports sont accablants: la corruption judiciaire est profondément ancrée dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe et ce, avec l’aval d’acteurs de premier plan des organes exécutifs de ces Etats (qui en profitent).
89. Le Conseil de l’Europe peut – et doit – jouer un rôle en exerçant un contrôle accru de ce phénomène dans ses Etats membres, et l’Assemblée parlementaire en particulier doit exercer la pression politique nécessaire sur les organes politiques des pays concernés. L’Assemblée devrait accroître ses activités de surveillance en la matière car, par définition, les cas de corruption connus ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
90. Il faut également ne pas fermer les yeux sur la corruption du judiciaire dans les pays membres qui ne se sentent pas concernés par ce phénomène a priori. La corruption peut prendre des formes très variées, très pernicieuses, mais aussi apparemment très inoffensives et quotidiennes. Le rapporteur encourage tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à faire preuve d’autocritique et à dépasser un tabou en entreprenant une large étude de la corruption dans leur propre système judiciaire.
91. Enfin, lorsque le système judiciaire est corrompu, c’est tout le système démocratique qui est gangréné. Comme le conclut Transparency International dans son rapport, «il est difficile d’exagérer les conséquences négatives d’un système judiciaire corrompu» tant sa capacité d’érosion sur tout un Etat est phénoménale.

***

Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Renvoi en commission: Doc. 11330, Renvoi 3368 du 1er octobre 2007

Projet de résolution et projet de recommandation adoptés à l’unanimité par la commission le 11 septembre 2009

Membres de la commission: Mme Herta Däubler-Gmelin (Présidente), M. Christos Pourgourides, M. Pietro Marcenaro, M. Rafael Huseynov (Vice-Présidents), M. José Luis Arnaut, Mme Meritxell Batet Lamaña, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, Mme Anna Benaki-Psarouda, M. Petru Călian, M. Erol Aslan Cebeci (remplaçant: M. Mevlüt Çavuşoğlu), Mme Ingrida Circene, Mme Ann Clwyd, Mme Alma Čolo, M. Joe Costello, Mme Lydie Err, M. Renato Farina, M. Valeriy Fedorov, M.Joseph Fenech Adami, Mme Mirjana Ferić-Vac, M. György Frunda, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, Mme Svetlana Goryacheva, Mme Carina Hägg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajibayli, M. Serhiy Holovaty, M. Johannes Hübner, M. Michel Hunault, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot Islami, M. Željko Ivanji, Mme Iglica Ivanova, Mme Kateřina Jacques, M. András Kelemen, Mme Kateřina Konečná, M. Franz Eduard Kühnel, Mme Darja Lavtižar-Bebler, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Aleksei Lotman, M. Humfrey Malins, M. Andrija Mandić, M. Alberto Martins, M. Dick Marty, Mme Ermira Mehmeti, M. Morten Messerschmidt, M. Akaki Minashvili, M. Philippe Monfils, M. AlejandroMuñoz Alonso, M. Felix Müri, M. Philippe Nachbar, M. Adrian Năstase, Mme Steinunn Valdís Óskarsdóttir, Mme Elsa Papadimitriou, M. Valery Parfenov, M. Peter Pelegrini, Mme Maria Postoico, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Valeriy Pysarenko (remplaçant: M. Hryhoriy Omelchenko), M. Janusz Rachoń, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. Paul Rowen, M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, M. Fiorenzo Stolfi, M. Christoph Strässer, Lord John Tomlinson, M. Joan Torres Puig, M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, M. Viktor Tykhonov (remplaçant: M. Ivan Popescu), M. Øyvind Vaksdal, M. Giuseppe Valentino, M. Hugo Vandenberghe, M. Egidijus Vareikis, M. Luigi Vitali, M. Klaas de Vries,Mme Nataša Vučković,M. Dmitry Vyatkin, Mme Renate Wohlwend, M. Jordi Xuclà i Costa

N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: M. Drzemczewski, M. Schirmer, Mlle Szklanna, Mlle Heurtin