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Rapport | Doc. 12279 | 07 juin 2010

La démocratie en Europe : crises et perspectives

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 3645 du 29 janvier 2010. 2010 - Troisième partie de session

Résumé

La crise économique mondiale a accentué les symptômes de la crise de la démocratie, tels que l’absence de réglementation et de contrôle politique nécessaires sur les intérêts financiers et le manque d’intérêt dans les procédures institutionnalisées en vigueur de démocratie.

Le rapport propose un ensemble de mesures visant à renforcer la participation populaire dans la conduite des affaires publiques en améliorant ainsi la qualité de la démocratie et la promotion de l’intérêt commun. Elles comprennent l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit de participer à la conduite des affaires publiques comme un droit de l’homme et une liberté politique fondamentale.

Le rapport propose également de mettre en place le forum de la démocratie de Strasbourg en tant que structure générique fournissant un cadre de référence international dans le domaine de la démocratie, et laboratoire d’idées nouvelles. Le forum devrait être dirigé par un délégué pour la démocratie en charge de la diffusion du message du Conseil de l’Europe sur les questions d’intérêt majeur liées à la démocratie.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 1er juin
2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire note avec préoccupation que la récente crise économique mondiale a accentué les symptômes de la crise de la démocratie qui se manifestent depuis quelque temps déjà notamment sous les formes suivantes:
1.1. l’absence de réglementation et de coopération nécessaires au niveau international pour faire face aux défis de la mondialisation, ainsi que l’absence de contrôle politique des intérêts financiers;
1.2. une forte centralisation des décisions des gouvernements et des mécanismes de négociation au niveau mondial avec un contrôle limité des parlements, une transparence insuffisante et sans possibilité de participation des citoyens. Cela a entraîné un manque de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions démocratiques et de la qualité de la démocratie dans laquelle ils vivent et exacerbé leur sentiment d’impuissance et de frustration;
1.3. une concentration du pouvoir et des richesses et, dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe également une concentration excessive des médias, entre les mains de quelques-uns. Un nombre croissant de responsables politiques sont devenus dépendants de fortunes énormes ou des faveurs des patrons des médias. Tout comme l’inégalité et la concentration des richesses, la corruption des institutions démocratiques augmente;
1.4. un désintérêt pour les procédures institutionnalisées actuelles de démocratie et une crise de la représentation. Les taux de participation aux élections étaient en chute libre dans la plupart des pays européens et les taux d’abstention ont atteint jusqu’à 80 % dans certains d’entre eux aux élections européennes de 2009;
1.5. les mouvements populistes et extrémistes, les politiques identitaires et les discours nationalistes se sont trouvés renforcés au cours des dernières années du fait de la crise dans de nombreux Etats membres;
1.6. la collecte presque illimitée de données personnelles par des organismes publics, notamment la police et les services de sécurité sociale, ainsi que par des entreprises privées, fait peser une menace sur la liberté individuelle et le respect de la vie privée, qui sont des conditions préalables à la libre participation à la vie démocratique.
2. L’Assemblée considère que la crise actuelle de la représentation exige qu’en dehors des formes traditionnelles de mandat et de délégation, qui satisfont toujours moins de citoyens, le lien politique entre la société et les autorités soit aussi envisagé d’une façon différente. Ainsi, sans remettre en question la démocratie représentative, l’Assemblée souligne que la représentation ne peut plus être la seule expression de la démocratie; cette dernière doit aussi être développée au-delà de la représentation, notamment par les moyens suivants:
2.1. des formes plus durables d’interaction entre les citoyens et les autorités doivent être mises en place au-delà de l’approche représentative conventionnelle afin d’inclure, de façon soigneusement pensée, des éléments de démocratie directe dans le processus de prise de décision;
2.2. la démocratie participative doit être renforcée en tant que processus dans lequel toutes les personnes, et non pas uniquement les ressortissants nationaux, participent à la conduite des affaires publiques, aux niveaux local, régional, national et européen;
2.3. la démocratie doit être perçue non pas simplement comme un régime ou la somme de droits individuels, mais comme une forme de société qui nécessite des règles pour la justice sociale et la redistribution et suppose non seulement de déléguer et de prendre des décisions, mais aussi de discuter et de vivre ensemble dans la dignité, le respect et la solidarité. C’est une œuvre inachevée qui est mise à l’épreuve au quotidien;
2.4. le renouvellement de la politique nécessite également de développer une nouvelle culture de la responsabilité civique et politique. Cette dernière doit être envisagée en termes de réactivité et d’obligation de rendre des comptes ainsi que de transparence de la part des gouvernants. Elle doit également s’étendre aux acteurs de la société civile qui participent au débat politique. En ce qui concerne l’obligation de rendre compte et la transparence des partis politiques, l’Assemblée renvoie au Code de bonne conduite en matière de partis politiques nouvellement adopté.
3. L’Assemblée souligne que le droit de participer à la conduite des affaires publiques, que ce soit aux niveaux local, régional, national ou européen, est un droit humain et une liberté politique fondamentale et devrait, dès lors, être inscrit comme tel dans la Convention européenne des droits de l’homme.
4. Le Conseil de l’Europe a également un autre défi à relever, celui d’humaniser et de démocratiser le processus de mondialisation. Sa contribution pourrait consister à développer, aux côtés d’autres acteurs, les principes directeurs visant à réglementer la mondialisation dans le plein respect des droits de l’homme, y compris les droits des femmes et les droits sociaux, des impératifs écologiques et de la prééminence du droit.
5. Il importe d’accorder un soutien plus fort aux réseaux transnationaux constitués par les citoyens pour étudier des problèmes spécifiques, comme les questions environnementales, sociales ou même constitutionnelles, en particulier compte tenu de l’avènement de la construction de la démocratie européenne transnationale. Dans ce contexte, l’Assemblée salue l’Initiative citoyenne européenne (ICE), prévue par le Traité de Lisbonne de l’Union européenne, qui donne aux citoyens européens la possibilité de présenter des propositions législatives à la Commission européenne, constituant ainsi le premier instrument de démocratie directe et transnationale de l’Union. L’Assemblée s’attend à ce que les institutions de l’Union européenne mettent en œuvre l’ICE de façon à permettre à tous les groupes de la société civile engagés démocratiquement, et non uniquement aux groupes privilégiés, d’en faire usage dans l’intérêt commun de l’Europe.
6. Afin de contribuer à renforcer la participation de tous et de toutes à la conduite des affaires publiques, à améliorer la qualité de la démocratie et à promouvoir l’intérêt commun, l’Assemblée:
6.1. appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1.1. à mettre en place des structures participatives et délibératives, telles que l’établissement des budgets participatifs, des référendums d’initiative citoyenne et des jurys ou conférences de citoyens, ouvertes à tous ceux qui vivent dans un pays, et non pas seulement aux ressortissants nationaux;
6.1.2. à créer, renforcer et promouvoir des institutions de contrôle indépendantes, telles que des médiateurs et des autorités d’accès aux documents publics et à la protection de données, de façon à renforcer le concept de responsabilité politique et d’obligation de rendre des comptes;
6.1.3. à améliorer l’éducation à la citoyenneté démocratique et la formation politique en garantissant le respect de la nouvelle Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et en mettant en œuvre des programmes du Conseil de l’Europe dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme;
6.2. décide de poursuivre son travail de réflexion, en consultation étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit de participer à la conduite des affaires publiques en tant que droit humain et liberté fondamentale. Cela viendrait s’ajouter, d’une part, au droit de vote et d’éligibilité garanti par le Protocole no 1 à la Convention (ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à deux exceptions) et, de l’autre, à des initiatives similaires prises au niveau local;
6.3. décide d’organiser des débats publics ouverts dans le cadre du processus de rédaction du nouveau protocole, de sorte que ce processus en lui-même offre une occasion de promouvoir le débat public et la prise de conscience de la nécessité d’accroître la participation active des citoyens et d’assurer un plus grand engagement de toutes et de tous dans la conduite des affaires publiques.
7. L’Assemblée, rappelant sa proposition antérieure contenue dans la Résolution 1886 (2009) sur l’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses soixante années d’expérience et réaffirmant que, parmi les trois piliers du Conseil de l’Europe, le pilier de la démocratie doit être consolidé, davantage conceptualisé et gagner en visibilité, propose:
7.1. la création d’un forum de la démocratie de Strasbourg en tant que structure générique afin de fournir une référence internationale dans le domaine de la démocratie et un laboratoire de nouvelles idées et propositions – y compris les idées et propositions anciennes qui ont été oubliées et doivent être réinscrites à l’ordre du jour – afin de renforcer et de rétablir la démocratie. Une telle structure pourrait également servir de baromètre en ce qui concerne les nouveaux grands défis auxquels la démocratie en Europe doit faire face aujourd’hui, notamment ceux que pose la mondialisation;
7.2. qu’une personnalité de grande notoriété, sorte de délégué à la démocratie, se voit confier la tâche de diriger et d’animer le forum de la démocratie de Strasbourg, ainsi que de diffuser de façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur les questions relevant de la démocratie et présentant un intérêt d’actualité majeur.
8. L’Assemblée invite les parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe à examiner les présents rapport et résolution, et à apporter leurs commentaires de façon appropriée afin de permettre leur mise en œuvre dans le cadre des législations et politiques nationales.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 1er juin
2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2010) sur la démocratie en Europe: crise et perspectives, dans laquelle elle note avec préoccupation que la récente crise économique mondiale a accentué les symptômes de la crise de la démocratie qui se manifestent depuis quelque temps déjà, parmi lesquels l’absence de réglementation pour faire face aux défis de la mondialisation et le désintérêt croissant des citoyens pour les procédures institutionnalisées actuelles de démocratie.
2. L’Assemblée considère que la crise de la représentation qui en résulte peut être surmontée via un processus renforcé de démocratie participative et le développement d’une nouvelle culture de la responsabilité politique axée sur la réactivité et l’obligation de rendre des comptes, ainsi que la transparence de la part des gouvernants.
3. Considérant que le droit de participer à la conduite des affaires publiques, que ce soit aux niveaux local, régional, national ou européen est un droit humain et une liberté politique fondamentale, l’Assemblée a décidé de poursuivre son travail de réflexion, en consultation étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant ce droit. Elle a également décidé d’organiser des débats publics ouverts dans le cadre du processus de rédaction du nouveau protocole avant de proposer un projet de texte au Comité des Ministres, de sorte que ce processus en lui-même offre une occasion de promouvoir le débat public et la prise de conscience de la nécessité d’accroître la participation active des citoyens et d’assurer un plus grand engagement de tous et de toutes dans la conduite des affaires publiques.
4. L’Assemblée, rappelant ses propositions antérieures contenues dans la Résolution 1886 (2009) sur l’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses soixante années d’expérience et réaffirmant que, parmi les trois piliers du Conseil de l’Europe, le pilier de la démocratie doit être consolidé et gagner en visibilité, recommande au Comité des Ministres:
4.1. de créer un forum de la démocratie de Strasbourg en tant que structure générique afin de fournir une référence internationale et un laboratoire de nouvelles idées et propositions dans le domaine de la démocratie et de développer des synergies entre les différentes structures et activités concernées du Conseil de l’Europe, comme le Forum pour l’avenir de la démocratie, les débats bisannuels de l’Assemblée sur la situation de la démocratie, la Commission de Venise ainsi que l’Université d’été de la démocratie et le réseau des écoles d’études politiques;
4.2. de confier à une personnalité de grande notoriété, sorte de délégué à la démocratie, la tâche de diriger et d’animer le forum de la démocratie de Strasbourg, ainsi que de diffuser de façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur les questions relevant de la démocratie présentant un intérêt d’actualité majeur.
5. L’Assemblée invite également le Comité des Ministres à apporter sa contribution, aux côtés d’autres acteurs et en particulier l’Union européenne, à l’élaboration des principes directeurs visant à réglementer la mondialisation dans le plein respect des droits de l’homme, y compris les droits sociaux, des impératifs écologiques et de la prééminence du droit.

C. Exposé des motifs, par M. Gross, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En tant que rapporteur de la commission des questions politiques pour le débat de 2007 sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Europe et le débat de 2008 sur la situation de la démocratie en Europe, j’ai adopté une démarche normative. Il m’a semblé essentiel de commencer par identifier et définir la base normative des démocraties, base qui pourra servir de critère pour évaluer la situation de la démocratie dans les pays européens, les principaux défis auxquels elle est confrontée, ainsi que les perspectives de réforme qui pourraient être proposées.
2. Dans mon rapport de 2007, j’ai défini les dimensions constitutives de la démocratie et leur pertinence au niveau des individus, des organisations politiques et des institutions de l’Etat. La démocratie étant un processus permanent, jamais achevé, j’ai également proposé un ensemble de critères (normes) pouvant s’appliquer aux différents stades de la construction de la démocratie, de «fondamental» à «fort». Sur la base de ces critères, j’ai pu examiner la mise en œuvre des normes démocratiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et identifier les insuffisances du processus démocratique dans nos pays et sur l’ensemble du continent. Je renvoie, à ce sujet, au Doc. 11203, à la Recommandation 1791 (2007) et à la Résolution 1547 (2007) sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Europe.
3. Dans mon rapport de 2008 – la commission des questions politiques ayant décidé que celui-ci mettrait l’accent sur l’un des principaux défis auxquels la démocratie est confrontée aujourd’hui, à savoir la migration –, j’ai examiné l’immense diversité à laquelle les systèmes démocratiques de nos pays doivent de plus en plus souvent faire face au sein même de leur propre société. J’ai souligné que l’objectif ultime de tout système démocratique doit être l’élimination des privilèges politiques liés au statut de citoyen, dont sont exclus ceux qui n’ont pas la citoyenneté du pays. En outre, il ne devrait pas y avoir de différence sensible, quant à la participation au processus démocratique, entre des citoyens de différentes origines ou appartenant à des communautés culturelles différentes. Le principe fondamental de la démocratie est que toutes les personnes concernées par une décision donnée dans le cadre d’un processus démocratique doivent être impliquées dans le processus décisionnel, indépendamment de leur nationalité, de leur sexe, de leur âge, de leurs revenus ou de leur niveau d’éducation. Je renvoie, à ce sujet, au Doc. 11623, à la Recommandation 1839 (2008) et à la Résolution 1617 (2008) intitulés «La situation de la démocratie en Europe. Les défis spécifiques des démocraties européennes: le cas de la diversité et des migrations».
4. Le rapport de cette année se veut une contribution supplémentaire au débat périodique sur la situation de la démocratie en Europe. Il a pour objet d’évaluer les deux précédents rapports sur la situation de la démocratie en Europe et de vérifier, au regard de la situation actuelle, la pertinence des critères d’évaluation de la qualité de la démocratie qui y sont présentés, en particulier la véracité de l’hypothèse selon laquelle la démocratie connaît une crise en Europe. Il entend également présenter les perspectives de la démocratie ainsi que les perspectives de «démocratisation de la démocratie» à moyen et à long terme. Dans le cadre de cette évaluation, je souhaiterais également développer certains des arguments mis en avant dans les précédents rapports et préciser les réformes dont nous avons besoin pour surmonter la crise de la démocratie et regagner la confiance de tous dans le processus démocratique. Enfin, des propositions spécifiques sont avancées sur ce que le Conseil de l’Europe peut faire pour accroître la participation de tous à la conduite des affaires publiques et donc renforcer la démocratie participative, ainsi que pour consolider et améliorer la visibilité de ses propres rôle et message sur la démocratie.

2. Principales conclusions des précédents débats sur la situation de la démocratie en Europe

5. D’une part, nous avons unanimement constaté qu’il est impossible de définir un modèle parfait de démocratie. S’il est possible de dégager un consensus général sur les principes fondamentaux de la démocratie, il n’y a pas d’accord quant à un moyen unique et parfait de mettre ceux-ci en œuvre. Les variables sont trop nombreuses pour cela, que ce soit la géographie, l’histoire, les traditions, la culture, l’état de développement du pays, la manière dont les valeurs et les croyances influencent la démocratie, et la manière dont la démocratie a vu le jour.
6. Nous avons également conclu qu’aucune démocratie, parmi nos Etats membres, ne peut s’estimer à l’abri d’une crise de la démocratie. Et je le répète pour éviter tout malentendu: l’un des paradoxes de la démocratie moderne est qu’il n’y a jamais eu autant d’hommes vivant en démocratie qu’à notre époque, mais qu’ils n’ont jamais été autant à être déçus par la qualité de la démocratie dans laquelle ils vivent et dont ils font l’expérience au quotidien. Voilà ce que je considère comme une crise dans nos démocraties modernes, une crise qui doit être mieux comprise et qui nous appelle à renforcer notre action pour rechercher tous les moyens possibles de renforcer, de développer et d’améliorer nos systèmes démocratiques.
7. La démocratie, c’est aussi la promesse fondamentale de distribuer équitablement et sans exclusion les chances et les opportunités de la vie. Les modalités actuelles d’exercice de la démocratie ne lui permettent pas de tenir ces promesses. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles tant de citoyens de l’Europe d’aujourd’hui tournent le dos à la politique institutionnelle, s’abstiennent de participer aux élections ou, lorsqu’ils votent, expriment leurs tendances populistes, nationalistes, voire xénophobes, phénomène auquel nous assistons sur tout le continent, que ce soit en Europe orientale, centrale ou occidentale.
8. Le déséquilibre des pouvoirs entre l’économie et la démocratie a pour conséquence que, de plus en plus souvent, les décisions importantes sont prises en dehors des parlements et du processus démocratique dans son ensemble 
			(3) 
			Voir
Alain Touraine, Qu’est-ce que la démocratie?, éditions
Fayard, 1994, p. 20: «Nous ne pouvons plus nous contenter de garanties
constitutionnelles et juridiques tandis que la vie économique et
sociale reste dominée par des oligarchies de plus en plus hors d’atteinte.». Au contraire, de plus en plus de décisions sont provoquées par des acteurs de pouvoir et des processus décisionnels non démocratiques. La population nourrit des doutes au sujet de la démocratie, car elle estime ne pas être en mesure d’influencer le processus politique de prise de décisions de la plus haute importance pour la vie quotidienne.
9. En outre, nous avons convenu lors de nos précédents débats que, si nous voulions surmonter la crise de la démocratie, nous devions réfléchir au moyen de surmonter la réduction de la démocratie à une simple représentation («c’est toujours la démocratie, mais pas seulement représentative!») et d’établir la démocratie au niveau transnational, y compris au niveau de l’Union européenne. A ce propos, il y a eu récemment de petites évolutions positives qu’il convient de noter. Dans le même temps, pour ce qui est d’élargir la démocratie représentative par des éléments de démocratie directe, nous avons assisté à des exemples dont nous pouvons tirer des enseignements quant à la façon de concevoir ces processus de sorte que les majorités ne puissent jamais remettre en question les droits humains et les droits fondamentaux des minorités.
10. Etant donné l’impossibilité de présenter un modèle idéal de démocratie, et le caractère permanent de ce processus, nous avons reconnu qu’il était d’autant plus important d’élaborer des critères pour l’évaluation de la situation de la démocratie. Ainsi, dès mon rapport de 2007, j’ai proposé d’établir un ensemble de critères pouvant être appliqués pour qualifier et améliorer les quatre étapes de la démocratie: démocratie fondamentale, démocratie avancée, démocratie stable et démocratie forte.
11. J’ai également proposé, aux fins de l’évaluation de la qualité de la démocratie, d’en déterminer ses cinq dimensions constitutives. Ont également été définis trois niveaux où la validité de ces principes était à vérifier: le «microniveau» de l’individu/du citoyen, le niveau intermédiaire des groupes sociaux et des organisations politiques et le «macroniveau» des institutions de l’Etat et de la gouvernance. Cette approche permettait d’évaluer les réalisations et les lacunes spécifiques des démocraties en Europe, et de définir quatre stades d’avancement de la démocratie en fonction de divers critères, en tant que point de départ pour l’élaboration de programmes plus efficaces et le déploiement d’efforts de démocratisation de nos démocraties.
12. Dans mon rapport de 2008, j’ai continué à développer mes arguments, notamment au regard de l’augmentation considérable des flux migratoires, qui est aujourd’hui l’un des principaux défis posés à nos systèmes démocratiques. D’ailleurs, la pertinence des normes et des différents stades des systèmes démocratiques identifiés dans le rapport de 2007 a été vérifiée, à la lumière de la pratique et de l’expérience de nos pays, dans celui de 2008. Dans ce dernier, je proposais notamment d’ajouter au tableau pour l’évaluation de la qualité de la démocratie dans les Etats membres deux nouvelles dimensions constitutives: la diversité 
			(4) 
			Ibid., p. 25: «Le régime démocratique
est la forme de vie politique qui donne la plus grande liberté au
plus grand nombre, qui protège et reconnaît la plus grande diversité
possible.» et l’intégration, d’une part, et la culture de la citoyenneté, d’autre part. L’on obtenait ainsi une grille de 21 cases correspondant chacune à l’application des différents principes à un niveau donné; par exemple, la «liberté d’association» et la «protection des minorités» étaient l’expression du premier principe («droits fondamentaux») pour tous ceux qui agissent au niveau intermédiaire, c’est-à-dire les groupes et organisations 
			(5) 
			Afin de permettre aux
collègues d’en faire une nouvelle utilisation, j’ai reproduit en
annexe du présent rapport ce tableau de mon rapport de 2008 qui
peut servir de matrice pour une évaluation de la situation du processus
démocratique..
13. Le débat de 2008 étant axé sur la diversité et les migrations en tant que défi pour la démocratie européenne contemporaine, j’ai eu l’occasion d’examiner dans quelle mesure les migrants, qui, comme je l’ai montré, représentent une proportion importante de nos sociétés, peuvent jouir des droits découlant des normes (critères) de la démocratie de base (le premier des quatre stades d’avancement de la démocratie qui ont été décrits). Le rapport démontrait également que cette question est liée à l’évaluation de la qualité de la démocratie dans nos pays, puisqu’elle implique une représentation et une participation au processus de décision politique. J’ai également fait remarquer que, puisque la diversification de nos sociétés va se poursuivre parallèlement à leur modernisation, si nous fermons les yeux sur ce processus, si nous ne nous efforçons pas d’intégrer les groupes importants de migrants et de personnes issues de l’immigration dans nos systèmes démocratiques, nous mettrons en danger le principe même et l’avenir de la démocratie dans nos pays.
14. Les rapports de 2007 et 2008 se terminent par une série de propositions visant à combler les déficits démocratiques en Europe. Le rapport de 2007 présente un ensemble de réformes envisageables. Les mesures préconisées visent essentiellement à renforcer et à étendre les droits de participation: ces droits des citoyens européens ne devraient pas dépendre de leur nationalité, mais de leur durée de résidence dans le pays, et il faudrait les compléter par des éléments de démocratie participative. Le rapport de 2008 présente les mesures permettant de remédier à une situation dans laquelle une grande partie de la population d’un pays est exclue du processus démocratique, mesures parmi lesquelles figuraient en particulier la naturalisation et l’octroi de droits politiques aux non-ressortissants. Enfin, le rapport examinait une liste de mesures pouvant être adoptées pour améliorer et encourager la participation des migrants à la vie politique.

3. Evaluation de notre argumentation sur la crise de la démocratie

3.1. Symptômes et causes de la crise

15. Les rapports de 2007 et 2008 étudient «la crise de la démocratie en Europe» à trois niveaux.
16. Premièrement, ils constatent la distance croissante des citoyens vis-à-vis des institutions et des procédures institutionnalisées de la démocratie qu’il ne faut pas confondre avec un désintérêt pour la politique, leur résignation face à la complexité des problèmes politiques, leur perte de confiance dans l’intégrité et la compétence de la classe politique, ainsi que leurs doutes sur la fiabilité et l’efficacité des processus décisionnels et leur pouvoir réel d’influer sur leur propre vie.
17. Deuxièmement, les rapports critiquent le rôle politiquement ambivalent joué par les médias qui, préoccupés par l’audimat et leurs intérêts commerciaux, essaient de fixer les priorités politiques et de suggérer quelles personnes devraient faire acte de candidature pour occuper des fonctions publiques – au lieu de faire une analyse critique des résultats des divers partis politiques existants 
			(6) 
			Tendance générale soulignée
par un chercheur américain qui participait par liaison satellite
au 5e Forum pour l’avenir de la démocratie
à Kiev, en octobre 2009.. Ils réduisent ainsi le débat politique à des affrontements de personnes et de simples conflits personnels. De plus en plus de médias modernes se considèrent comme de simples entreprises et sources de profit plutôt que comme un service pour la démocratie et pour l’intérêt commun 
			(7) 
			Voir également le rapport
de mon collègue Hendrick Daems sur les acteurs extra-institutionnels
dans un système démocratique (Doc.
12278)..
18. Troisièmement, les rapports mettent en avant les déficits institutionnels de la démocratie, tels que l’absence de droits de participation effectifs pour les citoyens, la faiblesse des parlements par rapport au pouvoir exécutif, les insuffisances et le manque de transparence du financement des partis politiques, ou encore l’action gouvernementale trop dépendante des échéances électorales et trop peu tournée vers le long terme.
19. 19. Pour expliquer la crise ou la fragilité de la démocratie en Europe, les rapports citent les effets déstabilisants induits par la modernisation et la mondialisation des marchés en l’absence de constitution de contre-pouvoirs politiques adéquats au niveau transnational, et soulignent en particulier le rôle croissant de l’économie dans les processus décisionnels et (dans le rapport 2008) les réponses inappropriées à la dynamique des flux migratoires transnationaux et transcontinentaux. Le premier de ces facteurs a des répercussions sur le système politique de la démocratie, tandis que l’autre transforme, voire déstabilise, sa base sociétale.
20. Cette réflexion a depuis été diffusée par l’éminent historien britannique Eric Hobsbawm, qui, se référant au rôle de plus en plus prédominant joué par l’économie sur le processus de prise des décisions politiques, écrivait récemment que «le problème est précisément là: la souveraineté du marché n’est pas un complément à la démocratie libérale, mais bien une alternative à toute forme d’organisation politique. En effet, en déniant la nécessité de prendre des décisions politiques qui justement portent sur l’intérêt général ou sur celui de groupes particuliers, le marché privilégie la somme des choix, rationnels ou non, d’individus à la recherche de leur bien-être personnel […]. La participation au marché remplace la participation politique; le consommateur remplace le citoyen» 
			(8) 
			Eric J. Hobsbawm, L’empire, la démocratie, le terrorisme, 2007,
version française éditée par André Versailles éditeur, 2009; voir
le chapitre sur les perspectives de la démocratie..
21. Nous vivons ainsi un processus inverse de celui que Cornelius Castoriadis préconisait pour une société démocratique autonome, qui ne peut être instaurée que par l’activité autonome de la collectivité. Selon Castoriadis, en effet, «une telle activité présuppose que les hommes investissent fortement autre chose que la possibilité d’acheter un nouveau téléviseur en couleurs. Plus profondément, elle présuppose que la passion pour la démocratie et pour la liberté, pour les affaires communes, prend la place de la distraction, du cynisme, du conformisme, de la course à la consommation» 
			(9) 
			Voir Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, éditions du Seuil,
Paris, 1997, p. 76..
22. Dans son commentaire sur les deux rapports relatifs à la situation de la démocratie en Europe, rédigé à ma demande, le professeur Martin Schaffner 
			(10) 
			Prof.
em. Dr Martin Schaffner, «Historisches
Seminar der universität Basel». Voir le document AS/Pol/Inf (2010)
04. présente une considération supplémentaire qui permet de mieux comprendre le lien entre les processus globaux précités et la crise de la démocratie. Il propose notamment (avec plus d’insistance que ne le font les rapports) d’analyser la dynamique de génération de conflits inhérente à ces processus, et plus particulièrement leurs effets sur les principes et les procédures démocratiques 
			(11) 
			Voir l’analyse de Colin
Crouch dans Postdemokratie, Ffm..
23. Ces processus s’accompagnent d’une augmentation des inégalités économiques et sociales, par exemple sur le plan de la répartition des revenus et des richesses ou des possibilités d’emploi. Des disparités régionales majeures font leur apparition. Les antagonismes sociaux se renforcent, le débat politique se radicalise. Les groupes d’intérêts (les multinationales, par exemple) acquièrent une position dominante. Les mécanismes d’inclusion et d’exclusion se durcissent, surtout à l’égard des populations immigrées. Le système politique de la démocratie atteint les limites de son efficacité et risque de perdre sa légitimité. Le modèle démocratique qui a pris forme et s’est imposé en Europe au XIXe siècle s’érode; il est jugé obsolète et son avenir est remis en question.
24. Dans ce contexte, il est nécessaire de placer résolument la notion de «conflit» au centre de notre analyse. En effet, si l’on vise à concevoir un système démocratique moderne, il est souhaitable d’avoir réfléchi au préalable à la dimension conflictuelle, les systèmes démocratiques étant, en définitive, présentés comme un mécanisme efficace de règlement des conflits. D’une part, cette approche permet de voir dans le conflit un élément nécessaire à l’évolution de la société et à l’innovation politique, et de dépasser ainsi la connotation uniquement péjorative de cette notion. Il ne faut pas oublier que l’avènement de la démocratie en Europe est aussi le résultat d’une longue série de conflits 
			(12) 
			Voir Chantal Mouffe, Das demokratische Paradox, Vienne,
2008, p. 21 et suivantes..
25. D’autre part, cette manière d’envisager le conflit peut être très utile à l’élaboration du fondement conceptuel de l’action politique en démocratie. Il ne suffit pas d’énumérer les effets déstabilisateurs de la modernisation et de la mondialisation de l’économie. Il faut aussi identifier, décrire et analyser avec précision les crises sociales et les conflits concrets, en particulier aux niveaux local et régional. Il importe de connaître les parties en présence, les lignes de clivage et l’objet des conflits, notamment parce que cela permet d’introduire une perspective fondée sur les acteurs, qui a son utilité d’un point de vue politique.
26. Il est indispensable de disposer des constats livrés par un tel examen pour déterminer où intervenir, pour élaborer des stratégies efficaces et prendre des initiatives concrètes. Ce principe s’applique, par exemple, aux conflits actuels motivés par des considérations religieuses ou à la tendance à ethniciser les conflits.
27. Pour le professeur Schaffner, l’ajout de la dynamique de génération de conflits en tant qu’élément pour une meilleure compréhension de la crise de la démocratie permet d’améliorer encore la grille d’évaluation de la qualité de la démocratie qui a été proposée 
			(13) 
			Voir le tableau en
annexe.. Si les potentialités de ce schéma sont évidentes – elles tiennent au fait qu’il est axé sur les valeurs démocratiques, qu’il est utilisable à des fins d’analyse et de réforme démocratique, ainsi que de comparaisons entre pays –, il ne parvient qu’en partie à expliquer la crise de la démocratie en Europe.
28. «En partie», cela signifie dans les cas où cette crise est due à des déficits démocratiques du système politique, par exemple lorsque l’absence de droits de participation effectifs pour la population conduit à une attitude indifférente, voire hostile, envers la démocratie. En revanche, la grille ne suffit plus lorsque entrent en jeu les conflits mentionnés plus haut, car ceux-ci ne sont pas forcément la conséquence d’un défaut d’application des principes démocratiques, mais plutôt d’une non-reconnaissance de ces principes – sur le plan théorique ou pratique – par certains groupes sociaux (et pas seulement par les populations immigrées). En d’autres termes: il y a en Europe une crise de la démocratie qui ne peut être expliquée au moyen du schéma proposé, car elle se manifeste par une critique fondamentale des principes démocratiques sur lesquels repose ce schéma. Cette critique peut s’exprimer dans des débats sur le sens des «critères démocratiques formels», ou par une mise en doute de l’universalisme du système démocratique de gouvernement 
			(14) 
			Sur ce point, voir
Pierre Rosanvallon, «L’universalisme démocratique: histoire et problèmes», Esprit, no 341, janvier 2008,
p. 104-120.. Elle s’exprime toutefois davantage, implicitement, dans les lois et mesures concrètes au moyen desquelles, un peu partout, on restreint les droits civils et on centralise le pouvoir politique pour le concentrer dans l’appareil exécutif.
29. Une telle approche élargie nécessite également l’introduction d’une perspective historique. Si l’on veut parler de la crise de la démocratie et évaluer l’état de la démocratie, on ne peut pas fonder l’argumentation sur les seuls critères internes à la démocratie; il faut aussi prendre en considération les données historiques, c’est-à-dire tenter de comprendre dans quels contextes la démocratie s’est développée en Europe depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours 
			(15) 
			Voir,
par exemple, le modèle élaboré par Colin Crouch, qui distingue les
phases «prédémocratique», «démocratique» et «postdémocratique» (actuelle).
Crouch, op. cit., p. 41 et
suivantes. Voir aussi John Keane, The
life and death of democracy, Londres, 2009..

3.2. Exemples récents illustrant la crise de la démocratie

30. Dans son commentaire sur mes deux précédents rapports relatifs à la situation de la démocratie en Europe, rédigé à ma demande, le professeur Theo Schiller fait la synthèse des principaux événements survenus depuis 2008 qui illustrent les symptômes de la crise actuelle de la démocratie 
			(16) 
			Prof. em. Theo Schiller,
Marburg, Allemagne. Voir le document AS/Pol/Inf (2010) 04..
31. L’événement le plus marquant des deux dernières années est sûrement la récente crise économique mondiale. Les conséquences politiques de cette dernière font l’objet d’un autre rapport préparé par notre collègue Emanuelis Zingeris, mais il convient de rappeler ici certains de ses aspects principaux.

3.2.1. La récente crise économique mondiale

32. La crise a mis en évidence des mécanismes mondiaux de production d’une crise économique et l’absence générale de contrôle politique, de transparence et de stabilité du système. Cette absence de réglementation et de coopération nécessaires au niveau international a rendu le processus de mondialisation comparable à «ce qu’était le Far West» – pour reprendre les termes du Premier ministre grec M. Papandré ou lors de son discours devant notre Assemblée en janvier dernier: ceux qui survivent sont ceux qui ont le pouvoir 
			(17) 
			Voir le discours de
M. Papandré ou à l’Assemblée le 26 janvier 2010, document AS (2010)
CR 03.. Les réunions du G-20 n’ont réalisé que partiellement la nécessité de la coopération et de la réglementation mondiales 
			(18) 
			Thomas
Piketty, professeur à l’Ecole d’économie à Paris, se demande en
effet: «Par quelle folie idéologique les autorités publiques ont-elles
permis à des pans entiers de l’industrie financière de se développer
sans contrôle, sans régulation prudentielle, sans rendre des comptes
dignes de ce nom? Par quel aveuglement a-t-on laissé des dirigeants
et des traders se servir des rémunérations de dizaines de millions
d’euros, sans réagir, voir en les glorifiant?» Voir Thomas Piketty,
«Il y a urgence à penser le capitalisme au XXIe siècle», Le Monde, 29 avril 2009..
33. La crise a obligé tous les grands Etats à décider d’une action politique immédiate et à prendre des mesures financières de grande ampleur pour éviter l’effondrement du système financier et de l’ensemble des économies. Cela s’est traduit par:
  • une forte centralisation des décisions des gouvernements et des mécanismes de négociation au niveau mondial avec un contrôle limité des parlements et sans possibilité de participation des citoyens, en fait sans réel mandat découlant de précédentes élections;
  • une part extrêmement importante des budgets des Etats consacrée à sauver les banques et à stabiliser les économies, ce qui a entraîné un accroissement considérable de la dette publique;
  • une révision majeure des structures de dépenses, une réduction des services essentiels et des transferts;
  • des freins importants aux futures décisions politiques et aux possibilités de consultation et de participation démocratiques.
34. L’instabilité de l’économie et des finances mondiales va entraîner la reproduction des facteurs qui remplacent les prises de décision politiques par un «mécanisme contraignant». Les grandes entreprises mondiales voient leur influence renforcée, alors que la consultation démocratique perd du terrain. Nous assistons à une concentration massive du pouvoir et des richesses, et très souvent également à une concentration massive des médias, entre les mains de quelques-uns, de sorte que nos institutions démocratiques deviennent vulnérables. Les responsables politiques font l’objet de sollicitations de la part de ceux qui ont le pouvoir et un nombre croissant d’entre eux deviennent dépendants de budgets énormes ou des faveurs des patrons des médias s’ils veulent être élus. Il en va de même pour nombre d’autres de nos institutions qui défendent la prééminence du droit, que ce soit les juges ou la police. Ils sont également les cibles de la corruption. Tout comme l’inégalité et la concentration des richesses, la corruption des institutions démocratiques augmente. Face aux conséquences de la mondialisation et de la pire crise économique que l’on ait connue depuis les années 1930, les gens prennent de plus en plus conscience du fait que les Etats-nations, les gouvernements nationaux et les parlements nationaux ne peuvent à eux seuls résoudre ces problèmes. Cela accroît davantage leur sentiment d’impuissance, de crainte et de frustration 
			(19) 
			Voir
Alain Touraine, op. cit., p.
24: «La démocratie n’est pas seulement un ensemble de garanties
institutionnelles, une liberté négative. Elle est la lutte de sujets
dans leur culture et dans leur liberté contre la logique dominatrice
des systèmes.», engendrant aussi l’extrémisme et le défaitisme, et la tentation de chercher des solutions auprès d’un leader populiste qui promet d’apporter des solutions magiques ou de trouver des boucs émissaires – ceux qui sont différents, étrangers – responsables de nos problèmes.
35. Lorsque la démocratie est faible, on ne fait pas appel à la solidarité ou à des moyens altruistes pour résoudre les conflits. Dès lors, ceux qui ne sont en rien responsables du quasi-effondrement des systèmes financiers et des pertes qui se chiffrent en dizaines de milliards sont ceux qui doivent supporter le plus lourd fardeau du fait que la crise de l’euro, et plus généralement la crise économique, est gérée par des mesures d’austérité: en Grèce, près de 30 % des jeunes sont au chômage, en Espagne ce pourcentage dépasse 44 %. L’économiste et lauréat du prix Nobel Joseph Stieglitz répétait récemment ce qu’il écrivait déjà dans le quotidien britannique The Guardian le jour où le Premier ministre grec M. Papandré ou s’adressait à notre Assemblée: «La politique d’austérité nous mène à un désastre. Ce n’est qu’à travers la solidarité et les investissements que l’Europe trouvera réellement un moyen de sortir de la crise!» 
			(20) 
			Voir Le Monde, 23-24 mai 2010, p.11:
«L’Europe a besoin de solidarité, d’empathie. Pas d’une austérité
qui va faire bondir le chômage et amener la dépression (…). C’est
d’abord et avant tout le manque de solidarité qui menace la viabilité du
projet européen (…). Oui, je prône une sorte de fédéralisme de cohésion.»
36. L’une des conséquences immédiates de cette situation est une grave érosion de la confiance dans la démocratie au sein des institutions représentatives, comme l’ont montré les exemples de la Grèce, de l’Irlande, de l’Islande, de la Lettonie et de la Lituanie. En Hongrie, cette chute de la confiance avait même commencé avant la crise financière mondiale. Cela aura pour conséquence un affaiblissement des partis politiques établis et le risque de voir apparaître davantage de réactions nationalistes et violentes.

3.2.2. L’apathie politique

37. Le désintérêt croissant des citoyens pour les affaires institutionnalisées et les procédures démocratiques, une forme particulière d’apathie politique que j’ai déjà mise en évidence dans mes précédents rapports, est devenu de plus en plus visible ces deux dernières années.
38. La fracture entre les citoyens et la politique s’est creusée et la participation électorale est en chute libre dans la plupart des pays démocratiques. Cependant, si les élections sont le premier critère de représentativité démocratique, dans quelle mesure peut-on encore parler de légitimité démocratique pour des dirigeants élus par un tiers de l’électoral potentiel?
39. Un exemple évident est celui des dernières élections européennes, qui ont connu le plus faible taux de participation jamais enregistré, en particulier dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne. Le taux de participation global était de 43 % (contre 45,5 % en 2004). L’abstention a atteint 80,4 % en Slovaquie, 79 % en Lituanie et 75,5 % en Pologne 
			(21) 
			Voir
aussi le rapport élaboré par M. Zingeris sur les conséquences politiques
de la crise économique (Doc.
12282)..
40. Toutefois, notons bien que l’indifférence n’est qu’une des nombreuses raisons de l’abstention. Pour la plupart des citoyens, l’abstention est une décision politique positive qui se traduit par un geste négatif, mais qui n’est pas de l’indifférence. Ce serait donc une grande erreur de faire du taux d’abstention un indicateur de la participation démocratique 
			(22) 
			Voir également ci-dessous.. Comme Daniel Cohn-Bendit, leader des Verts au Parlement européen, l’a récemment déclaré à propos de l’intérêt général – qui, comme Jean-Jacques Rousseau l’avait déjà souligné – n’est pas nécessairement l’intérêt de la majorité, il vaut peut-être mieux que les gens s’abstiennent plutôt que de doubler le vote pour le Front national ou d’autres partis ou mouvements nationalistes agressifs.

3.2.3. La fatigue démocratique vingt ans après la chute du communisme et les leçons à tirer du cas hongrois

41. Le 20e anniversaire de la chute du communisme, moment fondateur pour la démocratie en Europe centrale et orientale et l’une des principales raisons pour lesquelles aujourd’hui plus de personnes que jamais dans l’histoire de l’humanité vivent dans des Etats démocratiques, a été marqué par un manque notable de ferveur populaire et un léger sentiment de gêne dans les pays concernés. Quelques mois plus tôt, à un moment où la crise économique mondiale était à son paroxysme, un sondage publié en juin 2009 indiquait que près de la moitié des jeunes Hongrois pensait que la vie était meilleure sous ce que l’on appelait le «communisme goulasch» 
			(23) 
			Ce sondage hongrois
est cité dans le quotidien Hospodarske
Noviny (Prague), 29 juin 2009. Voir également Jacques Rupnic,
«In Search of A New Model»(«A la recherche d’un nouveau modèle»), Journal of Democracy, volume 21,
no 1, janvier 2010, p. 105.. Un autre sondage publié en mars 2009 révélait qu’une majorité d’habitants de ce qui était autrefois l’Allemagne de l’Est pensait que la vie était meilleure du temps de l’ancienne République démocratique allemande (RDA) 
			(24) 
			Julia Bonstein,
«Homesick for a dictatorship: majority of eastern Germans feel life
was better under communism» (Nostalgie d’une dictature: une majorité
d’Allemands de l’Est considèrent que la vie était meilleure sous
le régime communiste), 7 mars 2009, Der
Spiegel.. En République tchèque, le terme de «révolution de velours» est utilisé avec prudence, voire défiance.
42. Comme le souligne Jacques Rupnic 
			(25) 
			Voir Jacques Rupnic, op. cit., p. 105-112., nonobstant une telle «nostalgie» – répandue parmi une nouvelle génération qui n’a que de vagues souvenirs des régimes communistes –, en réalité, personne, en Europe centrale et orientale, ne souhaite revenir à la dictature. Cependant, il est incontestable qu’il y a une «crise des attentes», voire un sentiment de «révolution trahie» qui s’exprime sous la forme d’un désenchantement à l’égard de la démocratie libérale et représentative après deux décennies d’expérience de ce régime. La démocratie ne peut plus tirer sa légitimité de 1989 et du rejet massif de l’ancien régime qui s’est produit alors.
43. Rupnic dresse la liste des éléments nouveaux dans les anciens pays du Pacte de Varsovie pour expliquer l’absence du «triomphalisme de 1989»: la bulle immobilière qui a éclaté dans les Etats baltes et l’agitation sociale qui touche en particulier pour la première fois la Lettonie; la guerre des paroles et des nerfs entre la Hongrie et la Slovaquie au sujet des questions des minorités; le fait qu’en République tchèque les toutes dernières élections aient été reportées en raison d’une vive controverse politique autour d’une décision de la Cour constitutionnelle maintenant en fonction un gouvernement provisoire non issu des urnes, dirigé par un statisticien ex-communiste. Rajoutons qu’en Albanie et en Moldova, pays cités comme des exemples positifs dans le rapport de 2007 sur la situation de la démocratie en Europe, le fonctionnement des institutions démocratiques est paralysé depuis l’année dernière, bloquant des réformes absolument nécessaires et la poursuite de l’intégration européenne. Dans les deux pays, bien que sans doute pour des raisons différentes, le développement d’une culture de la citoyenneté démocratique commune et le respect des valeurs démocratiques fondamentales n’ont aucunement suivi le rythme de la mise en œuvre de l’économie de marché.
44. Certes les élections sont mécaniquement organisées de façon plus ou moins correcte 
			(26) 
			J’aimerais
mettre en cause la tendance de la communauté internationale à qualifier
trop facilement de «libres et équitables» des élections relativement
bien organisées mécaniquement, alors que les citoyens n’ont pas
réellement le choix dans tout le spectre politique et qu’un nombre
toujours trop important d’oligarques instrumentalisent les partis
et les parlements aux seules fins d’obtenir l’immunité dont ils
ont besoin pour masquer des affaires liées à leurs activités plus que
douteuses., mais la participation est en baisse. Les institutions appropriées existent, mais, après examen approfondi, elles apparaissent comme des «coquilles vides». Il n’y a aucune alternative à la démocratie, mais ses institutions inspirent très peu confiance et les élites politiques qui ont présidé à deux décennies de transition semblent totalement à bout de souffle. Et ce, malgré l’intégration européenne et la croissance économique, tout au moins dans une région de l’Europe centrale allant des Etats baltes à la Slovénie. Comme Rupnic le fait observer, il règne d’un pays à l’autre une atmosphère d’épuisement autour du processus de transition vers la démocratie, les marchés et l’intégration européenne.
45. En Hongrie, les récentes élections générales ont confirmé ce processus dans un pays où une propagande d’extrême droite agressive et violente se développe depuis quelques années, notamment depuis le discours et le comportement irresponsables de l’ex-Premier ministre socialiste 
			(27) 
			L’ancien
dirigeant du parti communiste, Ferenc Gyurcsany, est devenu, après
1989, propriétaire de l’industrie de l’aluminium en Hongrie, et
ainsi l’une des personnes les plus riches du pays. Et ce, avant
qu’il accède à la tête du parti socialiste et au poste de Premier
ministre. Après les élections de 2006, ses propos lors d’un meeting
du parti ont été rapportés: «J’ai dû mentir aux gens afin de remporter
les élections.». Les résultats des élections font écho au sondage de l’année dernière: les forces nationales/conservatrices possèdent à présent près de 80 % des sièges au parlement hongrois; un quart d’entre elles sont ouvertement autoritaires et nationalistes. Le commentaire de Michael Frank dans le Süddeutsche Zeitung est pertinent: «La Hongrie est en ce sens exemplaire pour l’ensemble de l’espace postsoviétique: avec l’économie de marché, seule la faible spiritualité de l’argent est entrée dans le pays. Cela ne vous mène pas très loin. D’autres valeurs anciennes et parfois réellement mises à mal n’ont pas été remplacées. Une mentalité démocratique et un enthousiasme vis-à-vis d’une démocratie parlementaire n’ont pas été insufflés. Pas même la plus grave crise financière n’a été capable de rassembler toutes les forces au service du bien commun. L’absence essentielle de valeurs a créé un espace pour ceux qui soutiennent que la nation et le folklore sont les seules valeurs transmises par Dieu.» 
			(28) 
			Manfred
Frank, «Der Sieg der Masslosen» («La victoire des “sans mesure”»),
in Süddeutsche Zeitung, Munich,
13 avril 2010, p. 4.
46. Quelques mois plus tôt, dans une lettre adressée au rédacteur en chef du Neue Zürcher Zeitung en réaction à un essai «sensible» – selon ses termes – sur la situation politique en Hongrie par l’écrivain György Dalos, la lectrice allemande Ilse Bindseil écrivait: «Ne devrions-nous pas dire que la transformation pacifique en Hongrie n’a peut-être pas fait des Hongrois des démocrates? A l’inverse, les “critères nationaux” ont donné le ton avec lequel ils expliquent leur désastre. Ne devrions-nous pas souligner que ceux qui veulent la démocratie doivent surmonter le nationalisme en tant que part douteuse de la nation (Auf das Völkische am Volk verzichten)
			(29) 
			Ilse Bindseil, Berlin:
«Hungary’s Democracy» («La démocratie hongroise»), in Neue Zürcher Zeitung, 4 juin 2009.
47. Plusieurs intellectuels notent que la Hongrie a besoin plus que de toute autre chose de véritables débats publics, de réelles délibérations sociétales qui aideraient les citoyens à comprendre qu’il n’est pas possible de surmonter la plus grave crise économique que l’on ait connue depuis les années 1930 en créant des attentes qui nécessitent encore plus de fonds publics, à un moment où l’économie ne connaît pas de croissance et où le taux de chômage est extrêmement élevé. Or, au lieu de délibérations publiques, la société hongroise est marquée par une extrême polarisation, des discours de haine et l’absence de volonté de la part de nombreux responsables politiques de réfléchir et de débattre ouvertement en faisant leur autocritique 
			(30) 
			La sociologue Maria
Varsahelyi, citée dans Die Zeit, hebdomadaire
de Hambourg, 8 avril 2010.. L’écrivain György Dalos appelle donc à une nouvelle «table ronde publique» en Hongrie, sur le modèle du mouvement polonais Solidarnosc il y a vingt et un ans, pour surmonter «l’atmosphère dominante de haine et de peur» qui tend à dégénérer en une névrose collective de peur et qui pourrait conduire à des mouvements d’extrême droite encore plus virulents 
			(31) 
			György Dalos, également
cité dans le même article du Zeit du
8 avril 2010, p. 10..
48. En tentant de comprendre pourquoi «l’invention démocratique» de 1989 a été si vite écartée, Rupnic met en cause l’imitation rapide et fidèle des modèles occidentaux dans toute l’Europe centrale et orientale qui a eu lieu après 1989. Cette imitation a été dans l’ensemble réussie, du moins pour ce qui est du cadre constitutionnel et institutionnel. Mais elle a consisté à suivre un modèle «qui montrait déjà des symptômes de lassitude, voire de crise». L’Europe centrale et orientale a ainsi hérité, en même temps que des fondamentaux, des maux de la démocratie occidentale, notamment: des taux de participation politique en baisse constante, un abîme entre les citoyens et les élites politiques, une faible confiance dans les institutions parlementaires et étatiques, et la montée de mouvements populistes et nationalistes mettant en question la démocratie libérale.
49. Václav Havel déclarait récemment: «(…) nous nous sommes battus pour un système politique différent de celui [avec lequel] nous nous retrouvons.» Les déceptions de la vie postrévolutionnaire «auraient pu dans une certaine mesure être anticipées, mais [elles] se sont révélées bien pires qu’on ne le craignait» 
			(32) 
			Voir Peter S. Green
et Andrea Dudikova, «Havel Laments as ’Consumer Palaces’ Occupy
Nation» («Havel déplore l’occupation de la nation par les temples
de la consommation»), Bloomberg News, 18
juin 2009, sur le site www.bloomberg.com/apps/news?pid=20601088&sid=aQcul87qcNNgc..
50. Et il n’y a que quelques mois, en mars 2010, parlant de «La perestroïka, vingt-cinq ans plus tard», Mikhaïl Gorbatchev écrivait: «Le processus démocratique s’essouffle; dans plus d’un domaine, il recule. Les décisions majeures sont toutes prises par le pouvoir exécutif; le parlement se contente de donner son autorisation formelle. L’indépendance des tribunaux est remise en question. Nous ne disposons pas d’un système de partis qui permettrait à une nette majorité de l’emporter, tout en tenant compte de l’opinion minoritaire et en accordant une place à une opposition active. De plus en plus, les gens ont le sentiment que le gouvernement a peur de la société civile et voudrait tout maîtriser. Nous avons vécu cela, nous l’avons fait! Voulons-nous retourner en arrière?» 
			(33) 
			Mikhaïl Gorbatchev,
«La perestroïka, 25 ans plus tard», International
Herald Tribune, 13-14 mars 2010.
51. L’appel de György Dalos à organiser une «table ronde» nationale délibérative en Hongrie pour surmonter au moins en partie la crise de la démocratie que connaît le pays est bien fondé. En fait, l’un des résultats les plus notables d’une démocratie forte et saine est qu’elle produit une société apprenante et intégrée, par des efforts de communication de tous les partenaires au conflit, dans une sphère publique ouverte – beaucoup plus large que l’espace dont les médias ont besoin pour eux-mêmes. Le philosophe politique allemand Jürgen Habermas affirmait récemment au sujet de la sphère publique: «La démocratie est blessée lorsque la sphère publique est dominée par les médias qui ont un monopole de l’opinion, manipulé par les lobbyistes et dirigé par les responsables politiques. La démocratie échoue lorsque les sociétés, aveuglément, sans aucune délibération et formulation d’une volonté commune, comprennent et suivent le progrès comme un mouvement en lui-même; pour elles, la science et la technologie deviennent finalement une idéologie.» 
			(34) 
			Die
Zeit, Hambourg, 4 juin 2009. Le philosophe français Edgar Morin a mis en avant une idée similaire dans le récent article où il écrit sur la nécessité «de réformer la démocratie» 
			(35) 
			Le
Monde, 23-24 mai 2010, p. 15..

3.2.4. De nombreux signes du déraillement de la démocratie en Europe: montée de l’extrême droite, des politiques et discours xénophobes et identitaires

52. Il faut éviter de tomber dans le piège d’une certaine arrogance occidentale qui considérerait que les pays occidentaux savent parfaitement ce qu’est la démocratie et l’ont réalisée 
			(36) 
			Voir Pierre Rosanvallon,
«Les pays occidentaux devraient reconnaître qu’ils sont aussi des
apprentis en démocratie», Le Monde, 6
mai 2009.. Les mouvements populistes et extrémistes, les politiques identitaires et celles relatives aux symboles ainsi que les discours nationalistes se manifestent également depuis quelque temps dans les pays d’Europe occidentale et se sont trouvés renforcés du fait de la crise. En voici quelques exemples.
53. En Italie, l’agressivité de responsables politiques, notamment ceux qui occupent des fonctions de l’Etat, à l’encontre de divers groupes d’étrangers et de réfugiés est devenue chose courante. Les attaques régulières du gouvernement de M. Berlusconi contre les autorités judiciaires mettent en danger le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire. Par ailleurs, les médias subissent de fortes pressions de la part du gouvernement. A la suite des récentes interventions concernant l’organisation, les agents et même les émissions des chaînes publiques de la RAI, les mécanismes de base du contrôle démocratique par des médias libres ne sont plus garantis dans le pays.
54. Le politologue italien Gian Enrico Rusconi a tenté de comprendre le «phénomène Berlusconi» et l’explique de trois façons 
			(37) 
			Voir le commentaire
rédactionnel ouvert de Gian Enrico Rusconi intitulé «D’abord un
clown», dans le Süddeutsche Zeitung du
13 et 14 juin 2009, p. 2.: «Premièrement: le populisme démocratique tel que le pratique Berlusconi est en train de générer une mutation de la démocratie. Deuxièmement: cette mutation est l’expression d’une société civile profondément mécontente, minée par les conflits et moralement dénuée de scrupules. Troisièmement: Berlusconi est devenu un vrai système, bien plus qu’un personnage. Derrière lui et son système, toute une classe politique fait bloc et défend ses propres intérêts. (…) Le Berlusconisme est l’expression de la profonde désorientation de la société civile. Nombre de pathologies sociales en Italie ne proviennent pas du dehors, mais du sein même de la société: absence généralisée de sens civique et de respect pour l’Etat, collusion endémique de nombreuses administrations régionales et de nombreux groupes sociaux avec la mafia, absence de solidarité et racisme latent… On peut dire qu’il s’agit d’une société profondément divisée, socialement désagrégée et démoralisée…»
55. En Autriche, le parti d’extrême droite FPÖ pourrait se consolider et rassembler ses différents courants. Il a présenté un candidat aux élections présidentielles mais a clairement échoué, ce qui a fait dire au leader du mouvement d’extrême droite que ce dernier devrait s’abstenir de faire des références au passé nazi et tenter de se rapprocher d’une position centriste.
56. Aux Pays-Bas, le soutien croissant des électeurs au parti xénophobe et anti-islamique dirigé par Geert Wilders menace d’affaiblir considérablement la structure du système des partis néerlandais. Un ancien ambassadeur néerlandais du Conseil de l’Europe, M. Henk Wagenmakers, qui a vécu presque dix ans en Suisse après sa retraite, a récemment écrit, dans un texte comparatif: «En Suisse, l’initiative contre les minarets a concentré les tendances islamophobes en un référendum; aux Pays-Bas, l’islamophobie est devenue un élément du débat tant général que politique dans son ensemble (…). A l’aube des élections du 9 juin prochain, le centre se délite et se décompose. La naissance d’une nouvelle coalition gouvernementale réunissant pas moins de quatre partis ne peut plus être exclue. Une explosion politique le jour de l’élection non plus… (…). Aux Pays-Bas, nous allons peut-être au-devant d’un processus de transformation profonde, dont les conséquences ne pourront être ni ignorées ni minimisées.» 
			(38) 
			Voir Henk Wagenmakers,
«Islamophobias in Switzerland and the Netherlands: Parallels and
differences» («Islamophobies en Suisse et aux Pays-Bas: parallèles
et différences»), in Gross,
Krebs, Schaffner, Stohler (dir.), Von
der Provokation zum Irrtum, Menschenrechte und Demokratie nach dem
Minarettbauverbot, St-Ursanne, mai 2010, p. 180-188.
57. En France, où un «ministère de l’Identité nationale» a, pour la première fois, été créé, on a assisté lors des récentes élections régionales à une montée des voix pour l’extrême droite (qui a quelquefois joué un rôle déterminant dans le résultat de l’élection), par rapport au score qu’elle a obtenu lors des élections au Parlement européen de 2009.
58. En Grèce, aux élections nationales de 2009, un parti nationaliste d’extrême droite relativement récent a obtenu le plus grand score jamais atteint, avec 15 sièges sur les 300 que compte le parlement.
59. En Suisse, le référendum contre les minarets islamistes a montré comment des défaillances dans la conception constitutionnelle de la démocratie directe pouvaient conduire à des résultats non démocratiques. La majorité des Suisses considèrent encore la démocratie comme un privilège des citoyens helvétiques et non pas comme un droit humain fondamental. Le fait que tout être humain dispose de droits fondamentaux, qui ne sauraient faire l’objet de décisions d’une majorité, est moins ancré dans l’inconscient politique des Suisses que la règle de la majorité. C’est pourquoi le Parlement suisse n’a pas le pouvoir d’empêcher que toute initiative populaire irrespectueuse des droits de l’homme soit soumise à référendum, contrairement à ce qu’exige la Convention européenne des droits de l’homme; et il n’existe aucune Cour constitutionnelle ayant cette compétence. Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles le référendum du 29 novembre 2009 s’est soldé par des résultats où presque 60 % des 53,4 % des électeurs suisses ayant pris part au référendum ont, de façon discriminatoire et contraire à la liberté de religion, décidé d’interdire la construction de nouveaux minarets 
			(39) 
			Voir Alain Touraine, op. cit., p. 20: «Méfiante à l’égard
de la démocratie participative, inquiète de toutes les formes d’emprise
des pouvoirs centraux sur les individus, est l’opinion publique,
hostile aux appels au peuple… Jem’interroge sur le contenu social
et culturel de la démocratie aujourd’hui.».
60. La démocratie directe en tant que principe n’est pas à blâmer pour ces lacunes, mais bien la façon suisse de l’appliquer et notamment les modalités servant d’interface entre elle et les droits de l’homme. Pour empêcher que la démocratie directe ne devienne «la tyrannie de la majorité», selon les mots de Tocqueville, il convient de protéger les droits et libertés fondamentaux de manière qu’il soit impossible de les soumettre à référendum. De nombreux Suisses ont compris la leçon du vote de novembre dernier et un débat a été lancé en Suisse sur la manière d’inscrire les réformes nécessaires dans la Constitution fédérale. Parce que la démocratie en général et la démocratie directe en particulier perdent leur dignité lorsqu’une majorité est invitée à restreindre les droits et libertés fondamentaux d’une minorité. La démocratie est indissociable du respect des droits de l’homme.

3.2.5. La collecte illimitée de données personnelles par des agences de l’Etat

61. La collecte presque illimitée de données à caractère personnel par des agences de l’Etat représente une grave menace pour la liberté individuelle et le respect de la vie privée, qui sont des conditions préalables importantes à la libre participation à la vie démocratique.
62. En particulier, les banques de données de la police mais aussi celles des agences de la sécurité sociale (ELENA en Allemagne) représentent un tel danger. Plusieurs technologies servent de sources de données. On notera que:
  • les données des télécommunications et les coordonnées internet des personnes soupçonnées d’infractions, mais également du reste de la population, sont conservées pendant de longues périodes;
  • la vidéosurveillance dans les espaces publics et les magasins s’est considérablement développée;
  • l’augmentation des possibilités de surveillance par les moteurs de recherche sur internet et les réseaux sociaux ouvre de nouvelles possibilités d’utilisation, légitime et abusive, de données;
  • les données concernant les clients des banques sont également accessibles à des fins de sécurité publique. L’accord SWIFT entre l’Union européenne et les Etats-Unis offre même aux agences de sécurité américaines un accès illimité (l’accord sera prochainement révisé). Mais les données des banques collectées par SWIFT peuvent aussi être mises à la disposition des agences de sécurité des Etats membres européens et au niveau de l’Union européenne. Heureusement, le Parlement européen a mis fin à cet accord avec les Etats-Unis, bien que certains Etats membres du Conseil de l’Europe, non membres de l’Union européenne, semblent s’y soumettre encore.

4. Perspectives de la démocratie et nouveaux défis

4.1. Vers une démocratie plus participative et délibérative

63. La crise de la représentation d’aujourd’hui, accentuée récemment par la crise économique et sociale, nous oblige à penser le lien politique entre société et pouvoir autrement que sous les formes traditionnelles du mandat et de la délégation, dont les citoyens ne se contentent plus 
			(40) 
			Voir
Pierre Rosanvallon, «Les pays occidentaux devraient reconnaître
qu’ils sont aussi des apprentis en démocratie», op. cit... Les limites du système électoral et les ratés de la démocratie représentative ont nourri la défiance des citoyens, en particulier les plus jeunes 
			(41) 
			Loïc Blondiaux, «Les
invisibles de la représentation», Le
Monde, 29 avril 2009.. Ces derniers se sentent impuissants face aux défis politiques, et frustrés.
64. Il convient en effet de rappeler que, pour Montesquieu, Rousseau, Tom Paine ou Ferguson, la véritable démocratie signifie la participation de la communauté tout entière aux affaires communes 
			(42) 
			Voir Alain Touraine, op. cit., p. 21, où il a même revendiqué:
«Nous ne pouvons pas nous contenter d’une démocratie de délibérations,
nous avons besoin d’une démocratie de libération.». Mais à partir du moment où une théorie libérale de la constitution politique est élaborée et prévaut vers la fin du XVIIIe siècle, elle s’appuie sur l’affirmation explicite de l’impossibilité de cette participation dans les sociétés contemporaines et sur l’acceptation de l’Etat comme distinct de la communauté politique 
			(43) 
			«On maintient ainsi
un Etat séparé dont on essaie de limiter le pouvoir, on tient pour
acquis que les citoyens ne peuvent ou ne veulent pas, sauf exception
passagère, s’occuper des affaires publiques, et en même temps on
prétend fonder là-dessus un régime qui se réclame de la souveraineté
du peuple et qui se donne le nom de démocratie»: c’est ce qu’écrit
Cornelius Castoriadis, dans La Cité et
les Lois, éditions du Seuil, avril 2008, p. 218..
65. Ce n’est pas pure coïncidence si John Keane, professeur britannique d’origine australienne et biographe de Tom Paine, a écrit il y a un an un article dans The Guardian intitulé «Tom Paine, nous avons besoin de toi» 
			(44) 
			The
Guardian, 10 juin 2009.. Keane s’interroge: «Face à une crise politique de plus en plus profonde, à une nouvelle gangrène croissant sur la désaffection du public pour la politique, à des parlementaires affairistes et à un gouvernement à la dérive, où nous tourner pour trouver de nouveaux souffles?» Et il répond: «Etant donné la façon dont Tom Paine a contribué à l’édification d’idéaux démocratiques visionnaires, il convient de se souvenir de ce champion britannique – peut-être le plus grand de tous – de la probité, de l’ouverture et de l’humilité en matière de gouvernement, décédé à New York il y a deux cents ans cette semaine. Dans son livre Le sens commun, devenu best-seller, Tom Paine affirme que les citoyens n’ont pas besoin de rois pour gouverner et défendre la cause commune. Il tire du principe que la Terre appartient à tout le monde la conclusion que les membres les plus vulnérables de la société, notamment les enfants et les vieillards, devraient se voir garantir une part équitable de ses richesses.» Et Keane conclut: «Le débat public sur la réforme parlementaire doit se poursuivre et s’intensifier, soutenu par la compréhension de l’importance de l’histoire.»
66. L’éditorialiste du Guardian, Polly Toynbee, conclut de la crise parlementaire britannique et de la perte de confiance du public dans le parlement qu’il convient de «laisser le peuple décider d’insuffler un nouvel élan à la vie politique du pays» 
			(45) 
			The Guardian, 19 mai 2009.. Et même le ministre britannique de la Justice, M. Michael Wills, s’est exprimé en faveur de réformes démocratiques radicales: «La classe politique est sur la sellette et des réformes essentielles doivent être opérées. (…) La démocratie représentative – et donc le parlement – doit rester au cœur de la gouvernance de ce pays. (…) Mais les gens sont de plus en plus détachés du processus démocratique. Certains considèrent la politique comme incapable d’exercer des effets directs sur leur vie, d’autres souhaitent s’impliquer davantage et peser tant sur les périodes entre les élections que sur les élections elles-mêmes. (…) La démocratie directe devrait avoir sa place dans nos dispositions constitutionnelles; en revanche, elle peut aussi être l’instrument qui livrera le contrôle de notre démocratie aux mains des riches et des puissants.» 
			(46) 
			The Guardian, 19 juin 2009. Cela revient donc à souligner ce que nous avons mentionné ci-dessus au sujet de la Suisse, à savoir que ceux qui prônent l’intégration d’éléments de démocratie directe dans la démocratie représentative doivent veiller à réaliser cette intégration de manière à en éviter tout effet pervers.
67. Aujourd’hui, il faudrait redonner à nos démocraties une assise élargie. A la place de la représentation classique, il y a un besoin de mettre en place des formes d’interaction beaucoup plus permanentes entre gouvernés et gouvernants. Politiser la société ne repose pas uniquement sur une réflexion sur le bon usage du suffrage universel. Il faut trouver des structures participatives et délibératives qui intègrent les citoyens. Il faut élire les représentants, mais aussi en permanence les surveiller, leur demander des comptes. Il faut abandonner l’idée d’une politique qui consiste à choisir un champion pour quatre ou cinq ans. Réduire l’espace décisionnel aux seuls suffrages empêche la politique de fonctionner. Les rythmes de la vie sociale se sont accélérés alors que le temps parlementaire est resté inchangé. Ainsi, la solution à la crise de la représentation est de passer d’une «démocratie intermittente» à une «démocratie continue ou permanente» 
			(47) 
			Voir Pierre Rosanvallon,
«Les pays occidentaux devraient reconnaître qu’ils sont aussi des
apprentis en démocratie», Le Monde, 6
mai 2009; voir aussi Loïc Blondiaux, op.
cit..
68. Notons qu’il ne faudrait pas confondre la démocratie directe avec la démocratie du plébiscite. La démocratie directe, à condition d’être bien conçue et réglementée 
			(48) 
			Voir ci-dessus les
détails sur le manque de respect de la démocratie directe en Suisse
à l’égard des droits de l’homme fondamentaux en tant que conséquence
des défaillances dans les dispositions constitutionnelles relatives
à l’initiative populaire., permet aux citoyens de s’impliquer plus efficacement par le biais de référendums et de projets d’initiative populaire, et constitue ainsi une forme de «correction» de la démocratie représentative. Lorsque la démocratie directe est entachée d’«abus plébiscitaires», que le Président, le gouvernement ou la majorité du parlement peuvent trancher de questions par voie référendaire, cela entraîne un risque élevé de manipulation et de renforcement des hégémonies, et non un progrès de la démocratisation.
69. Une démocratie directe fondée sur les citoyens ne comporte aucun élément plébiscitaire, mais en tant que segment développé d’une démocratie participative doit être perçue comme processus d’implication et d’intéressement de tous à la chose publique. Les citoyens créent ensemble un «pouvoir de communication» qui influence le «pouvoir d’administration» et oblige le pouvoir économique à respecter les besoins des forces des marchés pauvres ainsi que les exigences écologiques. Le professeur Volkmann appelle cela «le cœur de la vie démocratique» 
			(49) 
			Uwe
Volkmann, «Die Privatisierung der Demokratie», dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, 26 février
2010.. La démocratie participative est ainsi beaucoup plus liée à l’idée d’association, à la délibération, à l’information, à la reddition des comptes et à la transparence de la part des gouvernants. Dans une démocratie authentiquement participative et délibérative, le point de vue et les intérêts des groupes défavorisés ou vulnérables pourraient eux aussi être intégrés au processus de prise de décision, issu lui-même d’un débat public ouvert. Si tous sont considérés aptes à payer des impôts, tous devraient aussi être considérés aptes à participer aux affaires communes et à la prise de décisions, et à exiger des comptes de la part de leurs représentants ou des gouvernants!
70. Une infrastructure démocratique très forte est nécessaire pour garantir que la démocratie directe ne soit pas manipulée par les pouvoirs traditionnels tels que les grandes sociétés ou la finance, comme il en va souvent en Suisse et en Californie, les deux endroits au monde où la démocratie directe est le plus pratiquée. L’infrastructure nécessaire pour une démocratie directe «libre et équitable» doit comprendre les éléments suivants: le financement légal des partis politiques et des comités «d’actions/questions»; un degré élevé de transparence et une répartition équitable des ressources disponibles entre les différents acteurs de la campagne référendaire; des organisations civiles puissantes, susceptibles de participer au débat public; une contention réelle du lobbying commercial; et des médias non inféodés au seul marché mais capables de servir – en tant que piliers de la démocratie – la cause commune, ainsi que des institutions publiques en mesure d’offrir une éducation civique à tous 
			(50) 
			Voir aussi Helena Kennedy,
«Disillusion made rage» («De la désillusion à la colère»), article
du Guardian du 20 mai 2009,
et Michael Th. Greven, «Bildung und Demokratie – zwischen Utopie
und Praxis», dans Vorgänge, Heft
4/2009, p. 4-18..
71. Sieyès disait que la démocratie ne se fait pas simplement avec des institutions mais en construisant des places publiques, des trottoirs, des lieux de rencontres. La démocratie, ce n’est pas uniquement déléguer, décider, mais également discuter, vivre ensemble dans la dignité, le respect et la solidarité 
			(51) 
			Voir Pierre Rosanvallon,
«Les controverses du progrès», Le Monde, 30
avril 2010.. Il n’y a pas à tergiverser, le modèle de la démocratie reste celui de la redistribution, de l’invention d’une vie commune. La démocratie est ainsi une forme de société, nécessitant des règles de justice sociale et de répartition, et pas seulement un régime ou l’addition des droits des individus. Elle est une œuvre inachevée qui est mise à l’épreuve au quotidien.
72. De fait, la démocratie est bien plus qu’un moyen de défendre les intérêts personnels et privés 
			(52) 
			Voir Alain Touraine, op. cit., 1994, p. 28, où il a déjà
précisé: «Ceux qui sont guidés par leurs intérêts ne défendent pas
toujours la société démocratique où ils vivent; ils préfèrent souvent
sauver leurs biens par la fuite ou simplement par la recherche des
stratégies les plus efficaces sans prendre la défense de principes
et d’institutions.». Le but sous-jacent de la démocratie est de permettre à tous les citoyens de travailler à un projet commun sur un pied d’égalité – de travailler à notre avenir commun. Pour le professeur Volkmann, «les gens se voient et se comprennent comme des participants et coauteurs égaux face à l’ordre juridique qu’il leur faut à tous respecter. Comme dans tout bon orchestre, dont les concerts sont plus que la somme des instruments particuliers juxtaposés» 
			(53) 
			Voir Uwe Volkmann, op. cit. Volkmann nous rappelle
que même la Cour constitutionnelle fédérale allemande avait déjà
défini la démocratie en 1956 comme «le système permettant aux personnes
se déterminer elles-mêmes leurs aspirations par les décisions prises
en commun».. Le professeur Volkmann note ce paradoxe que, les liens traditionnels entre citoyens (religion, sens de l’appartenance à une classe sociale, style de vie) continuant à se déliter, des attentes d’autant plus grandes risquent de surgir à l’égard de l’identité communautaire démocratique, attentes auxquelles cette dernière, de la manière dont elle a fonctionné jusqu’à maintenant, ne saura pas répondre.
73. Le renouvellement du politique passe aussi par le développement d’une nouvelle culture de la responsabilité politique. Il faudrait en effet penser à la responsabilité politique également en termes de responsabilité-réactivité (responsiveness) ou responsabilité-reddition de comptes (accountability). Des institutions de contrôle indépendantes, comme les médiateurs ou les autorités régissant l’accès aux documents publics ou à la protection des données, ainsi que les cours constitutionnelles peuvent contribuer à développer cette notion de responsabilité politique sous la condition que leurs propres composition et fonctionnement soient démocratiques et soient perçus en tant que tels 
			(54) 
			Voir
Rosanvallon, «Les controverses du progrès», op.
cit., et aussi, «Réinventer la démocratie», Le Monde, 29 avril 2009. .
74. Comment rendre nos démocraties plus participatives et plus délibératives? Le budget participatif ou les conférences ou jurys de citoyens sont quelques exemples, issus notamment de l’Europe du Nord, du Canada et même de l’Amérique latine. Des tels forums publics ne devraient néanmoins pas se limiter aux seuls citoyens. Tous ceux qui vivent dans un pays, et pas seulement les citoyens, devraient participer aux affaires communes aux niveaux local, régional et national.
75. Récemment, les possibilités de participation à la vie politique ont progressé de manière remarquable, ce dont il faut se féliciter. Les réseaux et les blogs sur internet offrent à des millions de personnes la possibilité de s’exprimer et peuvent notamment servir à la communication politique 
			(55) 
			Dans ce contexte, il
convient de souligner que l’internet ne représente qu’un outil en
tant que grand forum ouvert et permanent, accessible presque à tous,
et peut ainsi intervenir utilement dans la vie démocratique. Il
ne suffit pas pour renforcer la démocratie participative et cette
dernière ne peut être réduite à un «presse-bouton». aux niveaux local et national ainsi qu’au niveau transnational. En outre, de nouveaux concepts sont mis en pratique pour développer des innovations, résoudre des conflits et trouver des compromis. Ces moyens peuvent faciliter le développement de groupes de la société civile et de l’autonomie locale. Toutefois, les chances de profiter de ces possibilités sont compromises par la situation générale de la démocratie à l’heure de la crise économique mondiale.
76. Il est à noter qu’en Lettonie le congrès du parti de centre gauche nouvellement créé, qui a des chances d’arriver au pouvoir, s’est prononcé récemment en faveur d’un renforcement de la démocratie participative.

4.2. Renforcer l’éducation en vue des affaires communes

77. Dans la démocratie athénienne, la participation effective des citoyens n’était pas un droit abstrait, mais une pratique effective; elle n’était pas laissée au hasard ou au bon vouloir des citoyens. C’était toute la vie de la cité, toute l’éducation des citoyens, la paideia pros ta koina, l’éducation en vue des affaires communes, qui conditionnait cette participation effective 
			(56) 
			Voir
Cornelius Castoriadis, 2008, op. cit.,p.
217..
78. En réinventant aujourd’hui la démocratie, nous devrons également mettre à nouveau l’accent sur l’éducation en vue des affaires communes et renforcer l’éducation civique des citoyens. Mais pas seulement. En effet, aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les citoyens mais toutes les personnes qui vivent dans un pays qui devraient bénéficier de cette éducation en vue des affaires communes, tant aux niveaux local et régional qu’au niveau national.

4.3. Intégrer le souci du long terme et faire face au «court-termisme» ou à la myopie des démocraties 
			(57) 
			Voir Pierre Rosanvallon,
«Sortir de la myopie des démocraties», Le
Monde, 8 décembre 2009.

79. Les régimes démocratiques ont du mal à intégrer le souci du long terme dans leur fonctionnement. Cette difficulté est d’autant plus préoccupante à l’heure des crises économique et environnementale actuelles, qui exigent toutes les deux une réflexion à long terme et pour les générations futures. En effet, les politiques économiques et budgétaires de nos gouvernements jusqu’ici montrent que l’on n’a cessé de faire porter le poids des dettes publiques aux générations futures. L’environnement a été sacrifié à des impératifs économiques et sociaux.
80. Une telle «myopie des démocraties» s’explique sans doute par les rythmes électoraux et l’influence des sondages qui déterminent les comportements des femmes et hommes politiques d’aujourd’hui. Comment la corriger?
81. Personnellement, je ne suis pas en faveur des solutions qui viendraient «de l’intérieur» du système électoral représentatif. C’est plutôt en pensant la démocratie au-delà de cet ordre électoral représentatif que nous pourrions espérer répondre au défi et revigorer la vie politique 
			(58) 
			Ibid. Même si Rosanvallon traite
du «court-termisme» des démocraties dans le contexte spécifique
de la lutte contre le réchauffement climatique, une partie des propositions
qu’il avance est valable dans un contexte plus général, notamment:
la formation d’«académies du futur», composées de scientifiques,
de philosophes, d’experts reconnus et de représentants de la société
civile; le lancement de «forums de l’avenir», c’est-à-dire des forums
publics mobilisant l’attention et la participation de tous et leur
permettant de s’approprier des questions du long terme. .
82. Citons l’exemple du Conseil économique, social et environnemental en France qui pourrait jouer un rôle clé dans un tel processus. Des structures similaires dans d’autres Etats membres devraient être créées ou renforcées.

4.4. Humaniser et démocratiser la mondialisation

83. Comme le disait le Premier ministre grec, M. Georges Papandré ou, lors de son discours devant notre Assemblée quelques mois plus tôt, à un moment où ses partenaires européens n’avaient pas encore pris totalement la mesure de l’ampleur et des conséquences de la crise économique en Grèce, aujourd’hui, «le Conseil de l’Europe tout comme l’Union européenne ont à accomplir une tâche renouvelée d’une ampleur considérable: défendre la démocratie dans le contexte de la mondialisation, et humaniser et démocratiser le processus de mondialisation» 
			(59) 
			Voir
le compte rendu des débats, AS (2010) CR 03..
84. En effet, aujourd’hui, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, la mondialisation fournit une occasion formidable et de grandes richesses, mais elle est soumise à quelques règles seulement, le cas échéant. Qu’il s’agisse de la crise financière, de la lutte pour les ressources énergétiques, de la menace du changement climatique ou de la pauvreté et des inégalités, ce qui nous fait défaut au niveau mondial, ce sont les règles nécessaires, l’entente et les valeurs communes nécessaires, et les institutions nécessaires pour aborder ces défis importants collectivement, de façon juste et efficace. Le rassemblement à Copenhague de si nombreux chefs d’Etat et de gouvernement en décembre 2009 a mis en évidence le manque de processus et d’institutions, et même la volonté de réglementer et d’humaniser notre modèle de croissance et de développement face à la menace du changement climatique.
85. Si nous ne relevons pas les défis de la mondialisation et si nous n’y faisons pas face d’une manière qui renforce les droits de l’homme, la prééminence du droit et le sens de la justice et de la sécurité pour tous, en particulier pour les plus faibles, nous assisterons à une concurrence exacerbée sur toute la planète entre les intérêts géopolitiques opposés, que ce soit en matière d’énergie, de ressources en eau ou n'importe quelle autre chose, et à une peur et une insécurité croissantes au sein de nos sociétés. Il est donc indispensable d’humaniser et de démocratiser la mondialisation, sinon elle deviendra synonyme de violence et de barbarisme.
86. Aujourd’hui, nous avons séparé le marché et l’économie des structures politiques d’une façon qui permet au marché, plutôt qu’à nos institutions démocratiques et à nos citoyens, de prendre des orientations politiques. Nous devons rétablir la place de la politique pour que les décisions que nous prenons concernant nos systèmes économiques soient prises en connaissance de cause et régies par la volonté démocratique de nos peuples.
87. J’aimerais citer la conclusion de M. Papandré ou, que je partage totalement: «Dans ce monde qui se globalise, le monde a besoin de plus et non pas de moins d’Europe. Si l’Europe a été un projet de paix après la première et la seconde guerres mondiales, aujourd’hui c’est aussi un projet permettant d’aborder un monde globalisé. Nous pouvons et devons devenir un modèle pour une société mondialisée – une société qui prévoit que différentes nations, différentes cultures et différentes langues et traditions peuvent partager les mêmes valeurs fondamentales et les mêmes pratiques de base et, ce faisant, garantir la prééminence du droit et une mondialisation démocratique et humaine.»

4.5. Vers une démocratie transnationale

88. C’est également au-delà des élections qu’il faut aussi commencer à activer une démocratie transnationale 
			(60) 
			Pierre Rosanvallon
utilise le terme «démocratie-monde» dans «Sortir du désenchantement
démocratique», Le Monde, 2008.. C’est en effet par le biais d’une appropriation citoyenne qu’elle devrait pratiquement prendre forme. Et c’est par le biais d’une opinion publique en faveur d’une coopération plus active entre les Etats et de plus de solidarité – plutôt qu’en faveur du repli – que les Etats eux-mêmes seront plus ouverts à une telle coopération interétatique.
89. Des avancées pourraient peut-être se réaliser en soutenant et en coordonnant les mouvements créés par les citoyens pour traiter des questions spécifiques. Dans la mesure où les problèmes qui doivent être résolus aux niveaux local et régional dépassent souvent les frontières nationales (les problèmes environnementaux, par exemple), des réseaux transnationaux se développent déjà à ces niveaux en Europe. Il est donc primordial de renforcer le soutien à ce type d’initiatives, par la mise à disposition de compétences techniques et des ressources financières, en particulier dans la perspective d’une future démocratie transnationale européenne, comme l’a déjà noté le rapport de 2008 
			(61) 
			Doc. 11203, paragraphe 148..
90. A cet égard, il serait déjà important que les mouvements et les groupes œuvrant aux niveaux local et transnational échangent leurs expériences.
91. J’aimerais aussi remarquer que, alors que la démocratie en tant que mécanisme de redistribution et de production de services publics reste structurellement nationale, la démocratie en termes de régulation et de reconnaissance des droits, elle, n’a pas besoin d’Etat-nation, elle peut être nationale aussi bien qu’internationale ou transnationale 
			(62) 
			Voir
Alain Touraine, op. cit., p.
103, le chapitre sur le déclin de l’état national en Europe..
92. Le Traité de Lisbonne de l’Union européenne est entré en vigueur en décembre 2009. Pour diverses raisons, c’est un événement important pour l’avenir de la démocratie dans les 27 Etats membres de l’Union, qui représentent une grande partie des Etats membres du Conseil de l’Europe. L’intégration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans le traité et un développement important des principes de la démocratie dans plusieurs articles du traité renforceront les normes fondamentales en matière de liberté et de démocratie dans tous les Etats membres.
93. Il convient de citer particulièrement l’Initiative citoyenne européenne (ICE), premier droit civil transnational de l’Histoire, qui offre à un million de citoyens européens issus d’un nombre significatif d’Etats membres la possibilité de présenter des propositions de loi à la Commission européenne (article 11.4).
94. En soutenant ce nouveau droit civil, le Parlement européen a suivi un principe central de la démocratie directe et montré qu’il était disposé à partager son pouvoir avec un certain nombre de citoyens. Ceux qui voient dans cette initiative une avancée mineure ne doivent pas oublier que le Parlement européen n’a pas le pouvoir d’initier une loi européenne et qu’il ne peut que proposer à la Commission la révision d’une loi européenne ou l’élaboration d’une nouvelle loi.
95. Pour empêcher que ce nouvel instrument ne soit utilisé que par les organisations européennes ayant déjà une influence importante à Bruxelles et permettre à des organisations plus petites ou nouvelles de la société civile de s’en servir, la Commission et le Parlement européen doivent mettre en œuvre l’ICE de manière que ceux qui commencent à l’utiliser de manière crédible disposent des ressources nécessaires en matière de communication, de transport et de traduction 
			(63) 
			Par exemple, Johannes
Pichler et Bruno Kaufmann ont – dans de nombreux ouvrages et autres
publications pour la faculté de droit international de l’université
de Salzbourg, et pour l’Initiative and Referendum Institute Europe
– formulé un certain nombre de suggestions utiles et intéressantes
dans ce contexte..

5. La contribution du Conseil de l’Europe

5.1. Garantir le droit de participer à la conduite des affaires publiques en tant que droit humain et liberté politique fondamentale

96. L’article 3 du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe sauf deux (Monaco et la Suisse), garantit le droit de vote et d’éligibilité 
			(64) 
			Les cinq principes
consacrés dans cette disposition, tels qu’ils ont été interprétés
ultérieurement par la Cour de Strasbourg, sont le suffrage universel,
égal, libre, secret et direct. Ces principes sont également énoncés
dans le Code de bonne conduite en matière électorale, document de
référence en la matière, adopté par la Commission de Venise et approuvé
par l’Assemblée et le Comité des Ministres. Comme la jurisprudence
de Strasbourg et le code le précisent, le droit au suffrage universel
peut être subordonné à certaines conditions, liées notamment à l’âge,
à la nationalité et à la résidence..
97. Toutefois, il ne comporte aucune garantie du droit de participer à la conduite des affaires publiques. A ce propos, l’article 3 du Protocole no 1 est en retrait par rapport à l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce dernier, s’il consacre, dans son troisième paragraphe, le droit au suffrage universel égal et la liberté du vote, garantit dans son tout premier paragraphe que «Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis».
98. De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans son article 25, garantit «le droit et la possibilité» pour chaque citoyen «de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis».
99. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, un travail considérable a été effectué pour consacrer le droit de participer à la direction des affaires publiques au niveau local.
100. Dès 1992, le Conseil de l’Europe adoptait la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local. Bien qu’elle soit entrée en vigueur en 1997, le nombre de ratifications est très faible: elle n’a été ratifiée que par trois Etats membres et signée par huit autres.
101. Des travaux ont donc été engagés pour concevoir un nouvel instrument destiné à garantir le droit de participer aux affaires publiques au niveau local pour tous, qu’ils soient étrangers ou ressortissants nationaux. Ces travaux ont conduit à l’élaboration d’un protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale sur «le droit de participer aux affaires des collectivités locales» qui n’a été ouvert à la signature que l’année dernière, le 16 novembre 2009, à Utrecht. Le nouveau protocole a déjà été signé par 12 Etats membres et ratifié par deux (la Norvège et la Suède).
102. Le Protocole d’Utrecht garantit le droit de participer aux affaires d’une collectivité locale à «toute personne relevant de la juridiction» d’un Etat partie, même si certains droits spécifiques sont réservés uniquement aux citoyens. Il définit ce droit comme «le droit de s’efforcer de déterminer ou d’influencer l’exercice des compétences de la collectivité locale».
103. Il est assez intéressant de noter que le Préambule du Protocole d’Utrecht énonce:
«Considérant que le droit de participer à la gestion des affaires publiques fait partie des principes démocratiques communs à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe».
104. La question se pose donc: pourquoi ne pas consacrer le droit de participer à la conduite des affaires publiques, que ce soit au niveau local, régional ou national, en tant que droit humain fondamental dans un nouveau protocole à la Convention européenne des droits de l’homme?
105. Cela viendrait s’ajouter, d’une part, au droit de voter et de se présenter à des élections et, de l’autre, aux initiatives antérieures prises au niveau local. En outre, comme nous l’avons dit précédemment, dans le contexte de mondialisation dans lequel nous vivons, les questions locales deviennent des questions mondiales. Par exemple, les effets du changement climatique peuvent se sentir autour de nous, mais il s’agit d’une question globale. Et la plupart des gens, et en particulier les jeunes, ont tendance à être beaucoup plus intéressés par la direction des affaires publiques au niveau national, voire international, que par les problèmes locaux.
106. L’élaboration, au sein du Conseil de l’Europe, d’un nouvel instrument juridique, sous la forme d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme, sur le droit de participer à la conduite des affaires publiques (sans restriction au niveau local) établirait clairement qu’il s’agit d’un droit humain fondamental dont le contenu va au-delà du droit d’élire tous les quatre ou cinq ans les membres du parlement ou les chefs d’Etats, ou même de se présenter aux élections. Cela constituerait une contribution concrète et à fort retentissement de notre Organisation pour promouvoir la démocratie participative sur tout le continent. Le processus de rédaction en lui-même offrirait une occasion unique d’animer le débat sur la nécessité d’accroître la participation active et d’associer davantage les citoyens à la direction des affaires publiques.
107. Il va sans dire qu’un certain nombre de questions doivent être examinées dans le cadre d’un tel processus, notamment en ce qui concerne les bénéficiaires et l’étendue précise de ce droit. A mon sens, il ne serait pas très logique d’établir aujourd’hui un nouvel instrument juridique sur la participation s’il doit se limiter aux seuls citoyens. Alors qu’en principe le droit de participer à la conduite des affaires publiques devrait être accordé à «toute personne relevant de la juridiction d’un Etat», certains attributs de ce droit devraient peut-être se voir réservés aux ressortissants nationaux ou aux résidents. De plus, la question se pose de savoir si une personne devrait avoir le droit de participer à la conduite des affaires publiques à la fois de son Etat d’origine et de son Etat de résidence. Toutes ces questions requièrent plus ample réflexion et un débat public.
108. La Commission de Venise pourrait être un excellent partenaire qui assisterait l’Assemblée dans l’élaboration d’un projet de protocole sur le droit à la participation aux affaires publiques. La commission des questions politiques de l’Assemblée, en collaboration avec la Commission de Venise, pourrait de fait organiser en commun des audiences et des débats ouverts au public sur la question, et proposer un projet de texte au Comité des Ministres pour examen. D’autres parties intéressées pourraient également être invitées à participer au processus de réflexion en fonction des besoins.
109. Je propose donc que l’Assemblée décide de poursuivre son travail de réflexion, en consultation étroite avec la Commission de Venise, afin d’élaborer un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit de participer aux affaires publiques.

5.2. Renforcer l’éducation à la citoyenneté démocratique

110. Le Conseil de l’Europe a une expertise de longue date dans le domaine de la citoyenneté démocratique. Cette dernière est définie comme «l’éducation, la formation, la sensibilisation, l’information, les pratiques et les activités qui visent, en apportant aux apprenants des connaissances, des compétences et une compréhension, et en développant leurs attitudes et leurs comportements, à leur donner les moyens d’exercer et de défendre leurs droits et leurs responsabilités démocratiques dans la société, d’apprécier la diversité et de jouer un rôle actif dans la vie démocratique, afin de promouvoir et de protéger la démocratie et la primauté du droit» 
			(65) 
			Article 2.a de la Charte du Conseil de l’Europe
sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux
droits de l’homme..
111. La Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme constitue une contribution majeure de notre Organisation. Son élaboration a nécessité plusieurs années de vastes consultations et elle a été finalisée en 2010. Cet instrument non contraignant est un outil de la promotion de la citoyenneté démocratique dans le cadre de l’éducation formelle et de l’enseignement et de la formation professionnels, et prévoit la participation active des apprenants et des parents à la gouvernance des institutions éducatives. Elle encourage également les activités multilatérales et transfrontalières, dont le réseau existant de coordinateurs chargés de l’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme.
112. Il y a quelques semaines à peine, lors de sa session ministérielle à Strasbourg, le 11 mai 2010, le Comité des Ministres a adopté une recommandation appelant les Etats membres à respecter cette charte 
			(66) 
			Voir la Recommandation
CM/Rec(2010)7 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la Charte
du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique
et l’éducation aux droits de l’homme, adoptée le 11 mai 2010 lors de
sa 120e session..
113. Je propose que l’Assemblée se joigne au Comité des Ministres pour recommander le respect de la nouvelle charte qui servira également de base au futur travail du Conseil de l’Europe dans ce domaine dans les années à venir.

5.3. Mettre en place un forum de la démocratie de Strasbourg

114. L’Assemblée a maintes fois affirmé, dans ses rapports comme au cours de ses débats, que le pilier de la démocratie de l’Organisation doit être consolidé et gagner en visibilité.
115. Les deux autres piliers du Conseil de l’Europe, les droits de l’homme et la prééminence du droit, sont solidement consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, et sont donc également visibles. Le rôle du Conseil de l’Europe en tant que garant des droits de l’homme en Europe a été largement reconnu et sera encore renforcé avec le processus d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme à la suite de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
116. Mais en matière de démocratie, le message et le rôle du Conseil de l’Europe ne sont pas encore tout à fait visibles, malgré un renforcement progressif depuis le Sommet de Varsovie de 2005. Plusieurs mécanismes et structures existent aujourd’hui et d’importantes activités sont régulièrement menées dans le domaine, notamment le Forum pour l’avenir de la démocratie, les débats bisannuels de l’Assemblée sur la situation de la démocratie en Europe, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et l’Université d’été de la démocratie qui rassemble chaque année à Strasbourg de jeunes dirigeants participant au réseau des écoles d’études politiques – initiative de la société civile destinée à former les nouvelles générations de dirigeants démocratiques d’Europe de l’Est aux grands problèmes de la société européenne, l’accent étant mis plus particulièrement sur les institutions démocratiques et la coopération européenne.
117. Toutefois, ce qui semble manquer c’est une structure générique garantissant des synergies entre ces diverses structures et activités, et une visibilité accrue du message paneuropéen du Conseil de l’Europe sur la démocratie.
118. Le Forum pour l’avenir de la démocratie, mis en place au Sommet de Varsovie, à l’instigation de l’Assemblée, présente en fait l’avantage de réunir l’ensemble des partenaires du processus démocratique dans son Quadrilogue: des représentants de l’Assemblée, du Congrès, du Comité des Ministres et de la Conférence des OING, c’est-à-dire des représentants des organes élus aux niveaux local et national, des gouvernements et de la société civile.
119. Toutefois, en raison de la très forte influence du pays hôte et des liens institutionnels limités avec les organes décisionnels de l’Organisation, son incidence sur les activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie est réduite et sa visibilité très limitée en dehors du pays hôte. Il lui manque également une direction et une structure d’encadrement d’envergure dotée d’un statut permanent.
120. Une réforme du Forum pour l’avenir de la démocratie est en cours en ce moment, à laquelle l’Assemblée participe activement en tant que partenaire du Quadrilogue. Les propositions de réforme présentées actuellement doivent être accueillies favorablement, en particulier l’idée de transformer l’ancien organe «consultatif» en organe «directeur» auquel seraient confiées des responsabilités accrues, celle d’associer des experts externes à la préparation d’événements dans un cycle du forum, la décision d’organiser une session du forum tous les deux ans plutôt que chaque année, etc.
121. La réforme en cours du forum entraînera certainement une amélioration de son fonctionnement mais ne résoudra pas les problèmes mentionnés plus haut, à savoir se doter d’une structure dirigeante d’envergure et accroître la visibilité du Conseil de l’Europe en tant qu’acteur majeur dans le domaine de la démocratie, puisque les sessions du forum continueront d’être organisées dans différents Etats membres.
122. D’autre part, l’Université d’été de la démocratie, qui regroupe les 16 écoles d’études politiques existant dans l’ensemble de l’Europe de l’Est (y compris le Caucase du Sud) et du Sud-Est et auxquelles la ville de Strasbourg est étroitement associée, est en phase de devenir un événement politique majeur qui suscite un intérêt croissant de la part des médias. Des personnalités de premier plan ont participé à l’université d’été depuis qu’elle a été mise en place en 2006.
123. Toutefois, comme aucune école d’études politiques ne fonctionne dans les pays d’Europe occidentale, l’Université d’été de la démocratie représente moins de la moitié des Etats membres du Conseil de l’Europe.
124. C’est pourquoi, afin de combiner les avantages et d’éviter les inconvénients des deux structures existantes – le Forum pour l’avenir de la démocratie, d’une part, et l’Université d’été de la démocratie, de l’autre –, une solution éventuelle consisterait à les réunir et organiser à Strasbourg une manifestation majeure consacrée à la démocratie, manifestation qui pourrait conférer une plus grande importance et davantage de visibilité au message du Conseil de l’Europe sur la démocratie et qui pourrait s’appeler le forum de la démocratie de Strasbourg.
125. L’idée de mettre en place un «Davos de la démocratie» sur la base des mécanismes et structures du Conseil de l’Europe existants, en tant que véritable laboratoire d’idées, de réflexion et d’expertise, a récemment été lancée dans le rapport de M. Mignon sur l’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses soixante années d’expérience. Toutefois, le terme «Davos de la démocratie» n’a pas reçu un accueil favorable auprès des membres de l’Assemblée et des Délégués des Ministres, ce qui – je pense – a influencé les discussions sur le fond. Personnellement, je ne suis pas non plus favorable à l’idée d’établir un lien entre «Davos» et toute initiative à venir dans le domaine de la démocratie, alors que je partage pleinement la proposition de M. Mignon dans sa substance. Je pense également qu’il est important de donner à la ville de Strasbourg l’opportunité d’être étroitement associée à une manifestation majeure du Conseil de l’Europe consacrée à la démocratie, de sorte que la ville qui accueille notre Organisation puisse être connue de plus en plus non seulement comme le siège de la Cour européenne des droits de l’homme et du Parlement européen, mais aussi comme une «Maison de la démocratie».
126. Le forum de Strasbourg non seulement développerait des synergies entre les diverses structures et activités existantes du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie, mais, surtout, il fournirait un laboratoire d’idées, de propositions et d’expertise très médiatisé, dans le respect des propositions faites par M. Mignon dans son précédent rapport et de ce que l’Assemblée a approuvé dans sa Résolution 1886 (2009). Il pourrait également servir de baromètre en ce qui concerne les grands défis qui se posent à la démocratie en Europe, y compris ceux de la globalisation, du réchauffement climatique, du développement durable, du terrorisme et de la violence, du crime organisé, de la migration et du racisme. Il pourrait de ce fait devenir une référence internationale dans le domaine de la démocratie.
127. Conçu sur le modèle du Conseil directeur Forum pour l’avenir de la démocratie, le forum de la démocratie de Strasbourg pourrait être organisé comme une structure associant des représentants des partenaires du Quadrilogue (Comité des Ministres, Assemblée, Congrès, Conférence des OING) et la Commission de Venise, ainsi que des représentants de l’Association des écoles d’études politiques récemment créée. Les participants seraient issus des mêmes organes afin de veiller à ce que tous les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe y participent.
128. Pour en assurer la nécessaire coordination et renforcer sa visibilité, une personnalité de grande notoriété, sorte de délégué à la démocratie, pourrait diriger et animer le forum de la démocratie de Strasbourg. Il ou elle pourrait réagir en permanence sur des questions relevant de la démocratie présentant un intérêt majeur/d’actualité de façon similaire – mais sans doute plus modeste en raison des contraintes financières – à ce que le Commissaire aux droits de l’homme fait en matière de droits de l’homme. On pourrait également envisager qu’il ou elle préside le Comité consultatif du Forum pour l’avenir de la démocratie.
129. Je crois que les propositions mentionnées ci-dessus seraient parfaitement conformes aux priorités du Secrétaire général pour l’Organisation, qui veut faire du Conseil de l’Europe «l’organisation de référence en Europe – et au-delà de ses frontières – en matière de droits de l’homme, de prééminence du droit et de démocratie».

6. Conclusions

130. En conclusion, le rapport démontre que la récente crise économique mondiale a accentué les symptômes de la crise de la démocratie, qui se manifestent depuis quelque temps déjà notamment sous les formes suivantes:
  • l’absence de réglementation et de coopération nécessaires au niveau international pour faire face aux défis de la mondialisation, ainsi que l’absence de contrôle politique des intérêts financiers;
  • une forte centralisation des décisions des gouvernements et des mécanismes de négociation au niveau mondial avec un contrôle limité des parlements, une transparence insuffisante et sans possibilité de participation des citoyens. Cela a entraîné un manque de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions démocratiques et de la qualité de la démocratie dans laquelle ils vivent et exacerbé leur sentiment d’impuissance et de frustration;
  • une concentration du pouvoir et des richesses, et dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe également une concentration excessive des médias, entre les mains de quelques-uns. Un nombre croissant de responsables politiques sont devenus dépendants de fortunes énormes ou des faveurs des patrons des médias. Tout comme l’inégalité et la concentration des richesses, la corruption des institutions démocratiques augmente;
  • un désintérêt pour les procédures institutionnalisées actuelles de démocratie et une crise de la représentation. Les taux de participation aux élections étaient en chute libre dans la plupart des pays européens et les taux d’abstention ont atteint jusqu’à 80 % dans certains d’entre eux aux élections européennes de 2009;
  • les mouvements populistes et extrémistes, les politiques identitaires et les discours nationalistes se sont trouvés renforcés au cours des dernières années du fait de la crise dans de nombreux Etats membres;
  • la collecte presque illimitée de données personnelles par des organismes publics, notamment la police et les services de sécurité sociale, ainsi que par des entreprises privées, fait peser une menace sur la liberté individuelle et le respect de la vie privée, qui sont des conditions préalables à la libre participation à la vie démocratique.
131. Par conséquent, la crise actuelle de la représentation exige qu’en dehors des formes traditionnelles de mandat et de délégation, qui satisfont toujours moins de citoyens, le lien politique entre la société et les autorités soit aussi envisagé d’une façon différente. Ainsi, sans remettre en question la démocratie représentative, il convient de souligner que la représentation ne peut plus être la seule expression de la démocratie; cette dernière doit aussi être développée au-delà de la représentation, notamment par les moyens suivants:
  • des formes plus durables d’interaction entre les citoyens et les autorités doivent être mises en place au-delà de l’approche représentative conventionnelle afin d’inclure, de façon soigneusement pensée, des éléments de démocratie directe dans le processus de prise de décision;
  • la démocratie participative doit être renforcée en tant que processus dans lequel tous les citoyens, et non pas uniquement les ressortissants nationaux, participent à la conduite des affaires publiques, au niveau tant local que régional et national;
  • la démocratie doit être perçue non pas simplement comme un régime ou la somme de droits individuels, mais comme une forme de société qui nécessite des règles pour la justice sociale et la redistribution, et suppose non seulement de déléguer et de prendre des décisions, mais aussi de discuter et de vivre ensemble dans la dignité, le respect et la solidarité. C’est une œuvre inachevée qui est mise à l’épreuve au quotidien;
  • le renouvellement de la politique nécessite également de développer une nouvelle culture de la responsabilité politique. Cette dernière doit être envisagée en termes de réactivité et d’obligation de rendre des comptes ainsi que de transparence de la part des gouvernants.
132. Le droit de participer à la conduite des affaires publiques, que ce soit au niveau local, régional ou national, est un droit humain et une liberté politique fondamentale, et doit dès lors être inscrit comme tel dans la Convention européenne des droits de l’homme.
133. Le Conseil de l’Europe a également un autre défi à relever, celui d’humaniser et démocratiser le processus de mondialisation. Sa contribution pourrait consister à développer, parallèlement à d’autres acteurs, les principes directeurs visant à réglementer la mondialisation dans le plein respect des droits de l’homme – y compris les droits sociaux –, des impératifs écologiques et de la prééminence du droit.
134. Il importe d’accorder un soutien plus fort aux réseaux transnationaux constitués par des personnes pour étudier des problèmes spécifiques, comme les questions environnementales, sociales ou même constitutionnelles, en particulier compte tenu de l’avènement de la construction de la démocratie européenne transnationale. Dans ce contexte, je salue l’Initiative citoyenne européenne (ICE) prévue par le Traité de Lisbonne de l’Union européenne, qui donne aux citoyens européens la possibilité de présenter des propositions législatives à la Commission européenne, constituant ainsi le premier instrument de démocratie directe et transnationale de l’Union. Les institutions de l’Union européenne devraient mettre en œuvre l’ICE de façon à permettre à tous les groupes de la société civile engagés démocratiquement, et non uniquement aux groupes privilégiés, d’en faire usage dans l’intérêt commun de l’Europe.
135. Afin de contribuer à renforcer la participation de tous et de toutes à la conduite des affaires publiques, améliorer la qualité de la démocratie et promouvoir l’intérêt commun, je propose que l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
  • à mettre en place des structures participatives et délibératives, telles que des budgets participatifs, des référendums d’initiative citoyenne et des jurys ou conférences de citoyens, ouvertes à tous ceux qui vivent dans un pays, et non pas seulement aux ressortissants nationaux;
  • à créer, renforcer et promouvoir des institutions de contrôle indépendantes, telles que des médiateurs et des autorités d’accès aux documents publics et à la protection de données, de façon à renforcer le concept de responsabilité politique et d’obligation de rendre des comptes;
  • à améliorer l’éducation à la citoyenneté démocratique et la formation politique en garantissant le respect de la nouvelle Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
136. Je propose également que l’Assemblée poursuive son travail de réflexion, en consultation étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit de participer à la conduite des affaires publiques en tant que droit humain et liberté fondamentale. Cela viendrait s’ajouter d’une part, au droit de vote et d’éligibilité, garanti par le Protocole no 1 à la Convention (ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à l’exception de deux), et, de l’autre, à des initiatives similaires prises au niveau local.
137. Des débats publics ouverts devraient être organisés dans le cadre du processus de rédaction du nouveau protocole de sorte que ce processus en lui-même offre une occasion de promouvoir le débat public et la prise de conscience de la nécessité d’accroître la participation active des citoyens et d’assurer un plus grand engagement des tous et de toutes dans la conduite des affaires publiques.
138. Parmi les trois piliers du Conseil de l’Europe, le pilier de la démocratie doit être consolidé, davantage conceptualisé et gagner en visibilité. Je propose ainsi:
  • la création d’un forum de la démocratie de Strasbourg en tant que structure générique, afin de fournir une référence internationale dans le domaine de la démocratie et un laboratoire de nouvelles idées et propositions – y compris les idées et propositions anciennes qui ont été oubliées et doivent être réinscrites à l’ordre du jour – dans l’objectif de renforcer et rétablir la démocratie. Une telle structure pourrait également servir de baromètre en ce qui concerne les nouveaux grands défis auxquels la démocratie en Europe doit faire face aujourd’hui, notamment ceux que pose la mondialisation;
  • qu’une personnalité de grande notoriété, sorte de délégué à la démocratie, se voit confier la tâche de diriger et d’animer le forum de la démocratie de Strasbourg, ainsi que de diffuser de façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur les questions relevant de la démocratie et présentant un intérêt d’actualité majeur.
139. Enfin, l’Assemblée invite les parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe à examiner les présents rapport et résolution, et à apporter leurs commentaires de façon appropriée afin de permettre leur mise en œuvre dans le cadre des législations et politiques nationales.

Annexe – Les principes de la démocratie et leur expression à trois niveaux

(open)

Niveaux

Principes

1er niveau

Individu/citoyen

2e niveau

Groupes sociaux/organisations politiques (partis, ONG)

3e niveau

Système de gouvernance, institutions de l’Etat

1. Droits fondamentaux

Droits individuels, protection juridique, liberté d’expression

Liberté d’association, protection des minorités

Limitation du pouvoir de l’Etat, Constitution fondée sur la prééminence du droit, indépendance du pouvoir judiciaire

2. Ouverture des structures du pouvoir

Accès à la communication et au pouvoir politiques, droit de contrôler le pouvoir

Pluralisme des associations/élites/médias indépendants

Séparation des pouvoirs, limitation des mandats, compétition politique, contrôle du pouvoir

3. Egalité politique

Suffrage universel, plus grande égalité des droits de participation

Egalité des chances d’accéder aux ressources organisationnelles et d’exercer une influence

Egalité des chances dans les systèmes électoraux et les processus de décision

4. Diversité et intégration

Egalité des droits politiques, économiques et sociaux; possibilité de développer sa langue, sa culture et ses traditions dans le respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques; multiplication des possibilités d’intégration, et remplir les obligations en particulier: apprentissage de la langue du pays hôte

Respect de la diversité, soutien public et financier, ressources organisationnelles, engagement dans le processus de décision concernant leurs intérêts

Egalité des chances pour les migrants et les minorités dans le système électoral et le processus de décision. La conception des institutions politiques devrait servir ce but

5. Transparence et rationalité

Pluralisme des sources d’information, possibilités diverses d’éducation/d’acquisition de compétences politiques, efficacité de la participation individuelle

Pluralisme dans les médias, sphère publique ouverte au débat et à la critique, pluralité des intérêts

Procédures de décision transparentes, différentiation des responsabilités, efficacité et procédures fondées sur le dialogue

6. Efficacité politique, capacité d’agir et d’orienter la société

Intérêt politique, volonté de participer, être prêt à prendre des responsabilités, esprit critique, être prêt à accepter des décisions

Recherche d’intérêts communs, mobilisation d’un soutien politique

Principe de la majorité, capacité de trouver des compromis, ressources pour la mise en œuvre des décisions (droits, ressources financières, etc.), confiance dans les institutions et les systèmes

7. Culture de la citoyenneté

Confiance, sentiment d’appartenance, idée d’être concerné par le jeu politique

Reconnaissance et soutien d’associations, d’organisations civiques et d’ONG

Participation citoyenne à tous les niveaux