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Rapport | Doc. 12278 | 04 juin 2010

Les acteurs extra-institutionnels dans un régime démocratique

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Hendrik DAEMS, Belgique

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 3628 du 25 janvier 2010. 2010 - Troisième partie de session

Résumé

Dans les sociétés démocratiques modernes, il existe toute une série d’acteurs qui n’émanent pas de l’Etat traditionnel et des institutions politiques, mais qui exercent une influence sur le processus de décision politique. Ils peuvent inclure les syndicats, les organes consultatifs constitués, les milieux d’affaires, les groupes d’intérêts et de pression, les groupes de sensibilisation, les lobbys, les réseaux d’influence ainsi que les médias.

Les activités des acteurs extra-institutionnels peuvent se révéler bénéfiques pour le fonctionnement du système politique démocratique, si tant est qu’ils contribuent au pluralisme politique qui est l’un des principes clés d’une démocratie véritable.

En même temps, certaines activités des acteurs extra-institutionnels visant à influencer les décisions politiques peuvent soulever des préoccupations en relation avec la légitimité, la représentativité, la transparence et l’obligation de rendre compte, qui sont des principes fondamentaux de la démocratie. De plus, en cherchant à influencer les décisions politiques conformément aux intérêts sectoriels qu’ils représentent, les acteurs extra-institutionnels visent à altérer l’équilibre des intérêts exprimés par le biais des processus politiques ordinaires.

Le rapport conclut que l’influence des acteurs extra-institutionnels sur les décisions politiques doit faire l’objet d’un examen plus approfondi et propose d’inviter la Commission de Venise à se pencher sur cette question, notamment en ce qui concerne l’ampleur de l’implication des acteurs extra-institutionnels dans le processus politique, leur impact sur le fonctionnement des institutions démocratiques, le cadre juridique en place pour de telles activités dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et l’opportunité de prendre d’éventuelles mesures normatives complémentaires aux plans national et européen.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 1er juin
2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle le rôle capital joué par le Conseil de l’Europe et en particulier sa responsabilité dans la sauvegarde et la promotion de la démocratie pluraliste en Europe. L’Organisation doit continuer de suivre avec attention les nouveaux développements et anticiper les tendances dans l’évolution de nos sociétés afin d’identifier et de remédier aux déficiences et d’améliorer la qualité de la démocratie, valeur essentielle pour l’ensemble des Européens.
2. Comme déjà exprimé dans ses précédentes résolutions, l’Assemblée reste préoccupée par le déclin de l’intérêt et de l’engagement du public dans la vie politique ainsi que par la perte de confiance des citoyens dans les institutions étatiques et politiques.
3. Elle note cependant que les institutions étatiques et politiques traditionnelles – les parlements, les gouvernements, le système judiciaire ainsi que les partis politiques – ne sont pas seules à participer au processus politique démocratique. Dans les sociétés démocratiques modernes, il existe toute une série d’autres acteurs qui n’émanent pas des branches traditionnelles du pouvoir institutionnel, mais qui exercent une influence sur le processus de formation de ces institutions et sur le processus de décision politique en leur sein.
4. Ces acteurs extra-institutionnels peuvent inclure les syndicats, les organes consultatifs constitués, les milieux d’affaires, les groupes d’intérêts et de pression, les groupes de sensibilisation, les lobbys et les réseaux d’influence. Par ailleurs, les médias jouent un rôle important dans le processus politique. Enfin, il convient de ne pas sous-estimer les tentatives de groupes impliqués dans des activités illicites pour influer sur les décisions politiques.
5. Certes, ce phénomène n’est pas nouveau, mais l’influence d’acteurs extra-institutionnels en politique semble avoir pris de l’ampleur et gagné en visibilité ces dernières années, en particulier avec le développement des technologies de l’information et de la communication. C’est pourquoi l’Assemblée considère que l’impact des acteurs extra-institutionnels sur les institutions et procédures démocratiques doit être mieux compris et davantage pris en compte dans les efforts pour renforcer et améliorer la démocratie.
6. L’Assemblée soutient fermement le pluralisme politique, qu’elle considère comme l’un des principes clés d’une démocratie véritable. C’est pourquoi elle note que, sous certaines conditions, les activités des acteurs extra-institutionnels peuvent s’avérer bénéfiques pour le fonctionnement du système politique démocratique, si tant est que ces acteurs:
6.1. offrent un cadre permettant aux individus de se rassembler, pour conjointement exprimer leurs opinions et défendre leurs intérêts;
6.2. favorisent une plus large participation à la vie publique et offrent des opportunités de s’engager dans le processus politique;
6.3. établissent un lien entre le peuple et les institutions politiques;
6.4. permettent une meilleure représentation des intérêts et besoins spécifiques, y compris ceux des minorités;
6.5. fournissent des informations spécialisées relevant de leur domaine d’activité, indispensables pour une prise de décision politique éclairée;
6.6. offrent des canaux supplémentaires pour le contrôle du public sur les décisions politiques.
7. Parallèlement, l’Assemblée estime que certains aspects des activités des acteurs extra-institutionnels visant à influencer les décisions politiques soulèvent des préoccupations en relation avec les principes fondamentaux de la démocratie.
8. En particulier, la légitimité des acteurs extra-institutionnels est souvent douteuse car leur mandat n’émane pas de l’ensemble de la société; leur représentativité est limitée et difficile à évaluer. Dans le même temps, l’influence réelle et l’autorité de ces acteurs peuvent s’étendre bien au-delà de leur légitimité et représentativité.
9. Le manque de transparence du fonctionnement interne des acteurs extra-institutionnels et leurs relations avec des institutions et des responsables publics peuvent être source de suspicions de corruption politique et porter encore davantage atteinte à l’image des institutions politiques et à la confiance qui leur est accordée par le public. De plus, les acteurs extra-institutionnels ne sont soumis à aucune véritable obligation démocratique de rendre compte.
10. En cherchant à influencer les décisions politiques conformément aux intérêts sectoriels qu’ils représentent, les acteurs extra-institutionnels visent à altérer l’équilibre des intérêts exprimés par le biais des processus politiques ordinaires. De ce fait, la volonté du peuple peut s’en trouver déformée, le principe d’égalité politique des citoyens est mis en danger et la confiance du public dans le processus décisionnel démocratique encore davantage compromise.
11. Même si les médias ne font pas partie des institutions d’Etat, ils sont souvent désignés comme le «quatrième pouvoir» du fait de leur influence sur l’opinion publique et donc, sur le processus politique. Les médias pluralistes libres sont l’une des clés de voûte d’une société démocratique dans la mesure où ils permettent la communication d’informations précises, nécessaires pour la prise des décisions.
12. Dans le même temps, les médias en tant qu’instrument d’influence politique peuvent être exploités de manière impropre et abusive pour faire circuler des informations sélectives ou biaisées et erronées dans le but de manipuler l’opinion publique ou de poursuivre des intérêts partisans ou économiques privés.
13. A cet égard, l’Assemblée réitère ses préoccupations, déjà exprimées dans sa Résolution 1547 (2007), devant la tendance fréquente des médias à se substituer aux partis politiques en déterminant les priorités politiques, en monopolisant le débat politique et en créant et choisissant les personnalités politiques. Elle estime par ailleurs que le rôle auto-assumé de juge ultime joué parfois par certains médias risque de nuire gravement au processus politique.
14. L’Assemblée est d’avis que les institutions étatiques et politiques doivent impliquer plus activement divers acteurs extra-institutionnels et les citoyens au processus décisionnel. Cependant, pour améliorer la confiance de la population dans les institutions publiques gouvernementales et renforcer ainsi la démocratie et l’Etat de droit, le processus de prise de décision doit être plus transparent.
15. Le peuple a un droit démocratique de connaître les acteurs qui ont accès au processus décisionnel du gouvernement dans le but de l’influencer. Toutes les formes d’influence qui ne sont pas exercées en pleine transparence devraient être considérées comme suspectes et nuisibles pour la démocratie.
16. C’est pourquoi les institutions démocratiques devraient rejeter toute tentative d’influence sur les décisions politiques menée de manière non transparente.
17. L’Assemblée rappelle sa Recommandation 1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique (Code européen de bonne conduite en matière de lobbying), et réitère les suggestions qu’elle contient.
18. Cela étant, elle considère que l’influence des acteurs extra-institutionnels sur les décisions politiques doit faire l’objet d’un examen plus approfondi, y compris dans le cadre du Forum pour l’avenir de la démocratie du Conseil de l’Europe.
19. En conséquence, l’Assemblée invite la Commission de Venise à se pencher sur cette question, notamment en ce qui concerne:
19.1. l’ampleur de l’implication des acteurs extra-institutionnels dans le processus politique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’au plan international;
19.2. l’impact de ces acteurs sur le fonctionnement des institutions démocratiques et sur la légitimité du processus politique démocratique;
19.3. le cadre juridique en place pour de telles activités dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et l’opportunité de prendre d’éventuelles mesures normatives complémentaires aux plans national et européen.
20. L’Assemblée décide d’examiner à nouveau la question du rôle des acteurs extra-institutionnels dans un système démocratique sur la base des conclusions de la Commission de Venise.

B. Exposé des motifs, par M. Daems, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Origine du rapport

1. En marge du Forum pour l’avenir de la démocratie, tenu à Kiev en octobre 2009, sur les systèmes électoraux, j’ai échangé, sur une base informelle, avec plusieurs collègues, des opinions sur l’influence grandissante dans la politique contemporaine de différents acteurs qui n’appartiennent pas aux institutions politiques traditionnelles.
2. Certes, ce phénomène n’est pas nouveau, mais il semble qu’il se soit largement répandu et que sa visibilité se soit considérablement accrue ces dernières années, en particulier avec le développement des technologies de l’information et de la communication. C’est pourquoi nous estimons que son impact sur les institutions et les procédures démocratiques gagnerait à être mieux compris; nous devrions aussi le garder à l’esprit dans nos réflexions communes sur les moyens de renforcer et d’améliorer la démocratie.
3. J’ai ainsi écrit au président de la commission des questions politiques pour proposer qu’un rapport soit élaboré sur cette question pour le prochain débat sur la situation de la démocratie en Europe, qui aura lieu à l’Assemblée en juin 2010.
4. Depuis le début, j’ai souligné que le rapport ne visait ni à fournir une analyse purement théorique sur les acteurs extra-institutionnels ni à apporter des réponses standards. Mon objectif est plutôt de provoquer un débat pour donner aux membres de l’Assemblée l’occasion de partager leurs expériences, leurs préoccupations et leurs idées, et d’identifier des sujets qui nécessiteraient d’être examinés et, si possible, réglementés du point de vue institutionnel.
5. Je souhaite également faire référence à la Recommandation 1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique (code européen de bonne conduite en matière de lobbying), adoptée par notre Assemblée en avril 2010 sur la base du rapport élaboré par notre collègue, José Mendes Bota, pour la commission des questions économiques et du développement. La recommandation et le rapport offrent tous deux une analyse intéressante du lobbying européen et international.

1.2. Définition du sujet, limitation de la portée

6. Par acteurs extra-institutionnels du pouvoir, j’entends les acteurs qui n’émanent pas des trois branches du pouvoir institutionnel (législatif, exécutif, judiciaire), mais qui exercent une influence sur le processus de formation de ces institutions et/ou sur le processus de décision en leur sein. A mon sens, ces acteurs sont essentiellement les médias, les lobbys et les groupes d’intérêts, les opérateurs économiques et les réseaux informels d’influence mais aussi, malheureusement, certains cercles de moins bonne réputation, voire de nature illicite (criminalité organisée…).
7. Par souci de clarté, je n’insisterai pas sur les acteurs plus ou moins institutionnels qui exercent ouvertement leur influence politique et dans un cadre établi (par exemple les syndicats, les organes consultatifs formels, etc.). J’ai choisi également de ne pas traiter spécifiquement des organisations non gouvernementales (ONG).
8. Enfin, s’il est vrai que les partis politiques n’appartiennent pas aux institutions étatiques «classiques», leur rôle premier est précisément d’intervenir dans la politique; ils sont l’épine dorsale de la démocratie moderne. Par conséquent, je ne les compte pas parmi les acteurs extra-institutionnels.

1.3. Le phénomène de l’intérêt général opposé à l’intérêt d’un groupe

9. Dans un régime démocratique, où le pouvoir émane du peuple, les décisions politiques doivent être prises et les politiques publiques conduites dans l’intérêt «général» ou «public», c’est-à-dire pour le bien de l’ensemble de la population et de la société en général.
10. Toutefois, si l’intérêt commun «à l’état pur» est sans doute une notion abstraite, dans la pratique, c’est le résultat d’une interaction complexe entre une variété d’intérêts particuliers: ceux d’individus, de groupes sociaux, d’acteurs économiques et d’autres éléments constitutifs du tissu social. Certains de ces intérêts peuvent être en évidente contradiction entre eux et avec ce qui est perçu comme les intérêts de la majorité.
11. Un des défis majeurs pour un régime politique démocratique est de trouver le juste équilibre entre les intérêts de différents individus et groupes, d’une part, et l’intérêt général de l’ensemble de la société, d’autre part. Ce juste équilibre est également un facteur essentiel à prendre en considération pour évaluer l’appui du public à la démocratie (ou pour essayer de comprendre les raisons du manque de soutien à celle-ci); c’est aussi une condition fondamentale pour la pérennisation et la stabilité de la démocratie.

2. Classification des acteurs dans le processus de décision politique

2.1. Acteurs principaux dans le processus de décision politique

12. La prise de décision est l’essence de l’exercice du pouvoir. La manière dont les décisions sont prises est l’un des indicateurs clés de la nature d’un régime politique donné.
13. Les sociétés modernes sont organisées en Etats; les décisions concernant l’ensemble ou la majeure partie de la société sont prises au niveau de l’Etat, qui est censé garantir la sauvegarde des intérêts communs.
14. Dans les démocraties représentatives, le pouvoir politique est investi dans le peuple et exercé par le biais de l’élection populaire de représentants du peuple qui ont autorité pour prendre des décisions au nom et dans le meilleur intérêt de leurs électeurs.
15. Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, les institutions centrales d’un Etat forment une trias politica (gouvernement, parlement et système judiciaire) dans laquelle chacun est doté de pouvoirs distincts et indépendants avec ses domaines de responsabilité respectifs. Il s’agit là des principales instances de prise de décision. Bien que leurs structures, modalités d’élection/de désignation et prérogatives diffèrent d’un régime politique à l’autre, ces institutions sont généralement composées de décideurs proprement dits (Président, ministres, membres du parlement et juges) qui portent la responsabilité des décisions, et de personnels administratifs (fonctionnaires non élus et sans obédience politique) qui participent à l’élaboration des décisions.
16. En plus de ces trois institutions traditionnelles qui correspondent aux trois branches du pouvoir, des institutions étatiques ou quasi étatiques d’un autre type peuvent exister dans les démocraties modernes, à savoir des organes d’audit indépendants, des instances chargées des élections, différentes institutions de supervision et organes de régulation, etc. Même si leurs compétences sont parfois limitées, le statut dont elles jouissent est fixé par la loi et elles exercent des pouvoirs et prennent des décisions (ou interviennent dans la prise de décision) pour le compte et dans l’intérêt du peuple dans son ensemble.
17. En outre, dans les démocraties modernes, beaucoup d’institutions agissent pour le compte de l’ensemble du peuple, mais en mettant un accent particulier sur les intérêts spécifiques de certaines catégories de la population (personnes handicapées, femmes, enfants, minorités, etc.), étant entendu que le fait de s’occuper des besoins particuliers de ces groupes sociaux équivaut à rechercher le meilleur intérêt de la société dans son ensemble.
18. Bien que les partis politiques n’appartiennent pas aux institutions étatiques et qu’ils n’agissent pas pour le compte de toute la population, il est incontestable qu’ils comptent parmi les acteurs les plus influents du système politique. L’objectif fondamental d’un parti politique est d’acquérir le pouvoir politique et permettre à ses représentants désignés d’exercer des fonctions officielles. Dans une démocratie, les partis politiques interviennent dans la désignation de candidats appropriés pour conduire des fonctions électives, mènent des campagnes électorales et désignent des candidats devant être nommés à des postes politiques, une fois les élections remportées; et une fois au pouvoir, ils coordonnent les décisions politiques des personnes qui détiennent les fonctions officielles. Par toutes ces activités, les partis sont très impliqués dans le processus de prise de décision politique.
19. La dernière catégorie, mais non la moindre, qu’il me faut mentionner est le groupe le plus nombreux des décideurs majeurs dans une démocratie, à savoir les citoyens qui, en votant pour les candidats qu’ils estiment les meilleurs, définissent la composition des institutions politiques et l’orientation des décisions politiques.
20. Dans le même temps, la participation dans la formation des institutions démocratiques par le processus électoral n’est pas la seule – et sans doute pas la principale – manière pour les citoyens d’exprimer et de défendre leurs intérêts. Les sociétés démocratiques modernes offrent une variété de formes qui permettent aux citoyens de se faire entendre et d’être, d’une manière ou d’une autre, écoutés.

2.2. Acteurs institutionnels

21. Dans cette catégorie, j’inscris, d’une part, les grandes organisations autonomes (telles que les syndicats) et, d’autre part, les organes consultatifs officiellement établis.
22. Les syndicats sont des organisations socioprofessionnelles de travailleurs et d’employés créées par eux-mêmes pour atteindre des objectifs communs tels que de meilleures conditions de travail. Même si leurs objectifs principaux ne sont pas de nature politique, les syndicats sont généralement impliqués dans l’activité politique et défendent souvent les lois favorables aux intérêts de leurs membres ou de l’ensemble des travailleurs. Pour ce faire, ils peuvent mener des campagnes, entreprendre du lobbying ou soutenir des candidats ou des partis pour leur permettre d’occuper des fonctions officielles.
23. Bien que les syndicats ne soient pas représentatifs de l’ensemble de la population, la légitimité de leur action politique n’est généralement pas remise en question, même si leurs actions, notamment certaines formes particulières d’activités, sont diversement accueillies par le public.
24. Les conseils d’Etat et autres organes consultatifs constitués ne sont pas directement impliqués dans la politique publique, mais ils contribuent à la prise de décision en formulant des opinions sur différentes questions politiques, permettant ainsi aux groupes sociaux représentés d’exprimer légalement leurs préférences politiques et d’influencer les choix politiques.

2.3. Acteurs moins officiels ou informels

2.3.1. Acteurs économiques

25. Pour leur part, les milieux d’affaires tentent d’influer sur les politiques publiques en leur faveur, à la fois collectivement (sous la forme d’associations ou de fédérations d’employeurs, de groupes commerciaux et industriels ou d’associations commerciales) et individuellement. Ces actions prennent parfois la forme de contributions aux campagnes de candidats et de partis politiques, de contribution à des campagnes «thématiques», non liées à un candidat ou à un parti; les milieux d’affaires agissent aussi en faisant pression sur les législateurs pour soutenir une loi particulière ou s’y opposer.
26. Les entreprises financent souvent également les activités de différents groupes de réflexion et de sensibilisation, et utilisent les services des agences de relations publiques des entreprises et des organismes gouvernementaux.

2.3.2. Groupe d’intérêts

27. Un groupe d’intérêts est un groupe de personnes qui partagent les mêmes attitudes et/ou objectifs et qui créent une organisation formelle pour servir des intérêts communs particuliers. Ces groupes d’intérêts s’engagent parfois dans certaines formes de lobbying ou autres activités politiques pour défendre des questions d’intérêt direct pour leurs membres.
28. Les groupes d’intérêts qui sont créés essentiellement pour exercer une pression politique en vue d’influencer les politiques et la législation publiques sont souvent appelés groupes de pression.
29. Contrairement aux partis politiques, les groupes d’intérêts ou de pression ne présentent généralement pas des candidats à des fonctions officielles en leur propre nom (en revanche, il leur arrive de soutenir des candidats particuliers), mais leur but est d’influencer ceux qui sont déjà au pouvoir.

2.3.3. Médias

30. Même si les médias ne font pas partie des institutions étatiques, ils sont souvent désignés comme le «quatrième pouvoir» du fait de leur influence sur l’opinion publique et, donc, sur le processus politique. Les médias pluralistes libres sont la clé de voûte d’une société démocratique dans la mesure où ils permettent la communication d’informations précises, nécessaires pour la prise des décisions.
31. Dans le même temps, les médias en tant qu’instrument d’influence politique peuvent être exploités de manière impropre et abusive pour faire circuler des informations sélectives ou partiales et erronées dans le but de manipuler l’opinion publique ou de poursuivre les intérêts de conglomérats. Pour une réflexion plus approfondie sur les risques pour la démocratie d’une concentration excessive des médias, je renvoie les collègues au rapport sur la démocratie en Europe: crises et perspectives, préparé par M. Andreas Gross (Doc. 12279, paragraphe 34 de l’exposé des motifs).

2.3.4. Activités de sensibilisation, lobbys et réseaux d’influence

32. La sensibilisation est un terme général désignant toute activité qu’une personne ou une organisation entreprend pour influer sur les politiques. Ces activités peuvent être motivées par des principes moraux, éthiques ou par des convictions, ou encore cibler la protection d’intérêts; elles comprennent, entre autres, les campagnes des médias, les conférences publiques, l’initiation et la publication de recherches, les consultations ou la diffusion de bulletins d’information.
33. Le lobbying est une forme de sensibilisation qui permet d’approcher directement les législateurs ou les responsables publics pour une question particulière dans le but de favoriser (ou de prévenir) des modifications particulières de la législation dans l’intérêt d’une entité donnée. En ce qui concerne le lobbying, je renvoie mes collègues au rapport de M. Mendes Bota sur le lobbying dans une société démocratique (code européen de bonne conduite en matière de lobbying), élaboré au sein de la commission des questions économiques et du développement, et à la Recommandation 1908 (2010), de même titre, adoptée par l’Assemblée au cours de sa partie de session d’avril 2010.
34. Tandis que les groupes de sensibilisation agissent au grand jour et qu’ils sont organisés, les réseaux d’influence sont pour la plupart invisibles du grand public. Ils sont perçus comme des groupes informels d’individus plus ou moins influents qui communiquent entre eux en leur propre nom et établissent des relations personnelles qui peuvent se révéler utiles pour influencer des décisions.

2.3.5. Acteurs douteux et/ou inacceptables

35. J’inclurai dans cette dernière catégorie les acteurs qui servent les intérêts de groupes impliqués dans des activités illicites (criminalité organisée, trafics de toutes sortes…) ou qui sont liés à de tels groupes. Etant donné que la réelle nature de ces activités ne peut pas être ouvertement exposée, ces groupes peuvent influer sur le processus de décision par procuration en se servant d’entités (fondations, par exemple), de consultants ou d’avocats. Cependant, ils sont la source principale de la corruption en politique.

3. Canaux d’influence politique

3.1. Canaux institutionnels

36. Les canaux institutionnels d’influence politique sont les canaux par lesquels des individus, des groupes et autres acteurs peuvent exercer leur influence sur la formation des institutions politiques, et participer à leur fonctionnement conformément aux procédures propres à ces institutions, telles que prévues par les dispositions de la loi.
37. Le cadre légal diffère considérablement selon les pays; ces canaux institutionnels peuvent inclure:
  • la participation au processus électoral (par exemple, en présentant des candidats indépendants, en menant des campagnes, en finançant les campagnes électorales de candidats particuliers, en observant les élections, en introduisant des recours auprès des tribunaux, etc.);
  • la participation au processus législatif (par exemple en initiant des lois, en prenant part aux auditions publiques au parlement, en donnant des opinions à la demande ou de leurs propres initiatives, etc.);
  • les pétitions et requêtes collectives.

3.2. Canaux informels

38. Il s’agit là d’une grande variété de canaux qui exercent une influence sur les décisions institutionnelles par des moyens qui ne sont pas prévus par les procédures et réglementations régissant ces institutions.
39. Dans un pays donné, ces canaux peuvent aller des canaux non «institutionnalisés» (y compris certains des précités) à ceux qui ne sont pas expressément interdits par la loi (et parfois même au-delà): campagnes des médias, établissement de programmes politiques par le biais de rapports politiques, manifestations publiques, grèves, lobbying direct, etc.

4. Conséquences sur le fonctionnement du régime politique

40. Les activités de certaines catégories d’acteurs extra-institutionnels peuvent être bénéfiques pour le fonctionnement d’un régime politique démocratique:
  • elles peuvent fournir un cadre permettant aux individus de se rassembler et d’exprimer leurs opinions;
  • elles peuvent favoriser une plus large participation à la vie publique et offrir des opportunités de s’engager dans le processus politique;
  • elles peuvent créer un lien plus étroit entre le peuple et les institutions politiques;
  • elles peuvent permettre une meilleure représentation des intérêts particuliers;
  • elles peuvent mieux défendre les minorités et mieux faire connaître leurs besoins particuliers, mieux les faire entendre par la société et prendre en considération au niveau de la prise de décision dans les institutions;
  • elles peuvent être une source d’informations spécialisées pour les institutions politiques sur la base de leurs connaissances spécifiques dans leur domaine d’activité;
  • elles peuvent offrir des canaux supplémentaires pour le contrôle du public sur les décisions politiques et servir «d’équilibre des pouvoirs» extra-institutionnel.
41. Cependant, les activités des acteurs et des groupes extra-institutionnels peuvent soulever un certain nombre de questions en relation avec les principes fondamentaux de la démocratie.
42. Légitimité et représentativité. Les acteurs institutionnels sont censés être des représentants de la société dans son ensemble (grâce aux élections générales) et leur légitimité découle de leur acceptation en tant qu’entités qui exercent le pouvoir dans l’intérêt général. A l’inverse, outre le fait qu’ils ne sont pas issus d’élections générales, les acteurs extra-institutionnels représentent, par définition, une partie de la société et, par conséquent, ne jouissent pas d’une pleine légitimité. Dans le même temps, les acteurs extra-institutionnels se positionnent souvent comme des représentants et des défenseurs autoproclamés de l’intérêt général. De plus, les opinions que les dirigeants d’un groupe d’intérêts présentent aux décideurs politiques et au grand public peuvent ne pas être représentatives de ce groupe, auquel cas la légitimité de ces dirigeants et de ces groupes serait contestable, même au niveau interne. A l’opposé, les groupes qui jouissent d’un soutien considérable de la part du public et d’une couverture médiatique positive, et disposent de la capacité à mobiliser leurs partisans, sont souvent considérés comme des partenaires par les institutions étatiques, bénéficiant ainsi d’une légitimité et d’une autorité supplémentaires susceptibles même de dépasser le cadre de leur représentativité effective.
43. Transparence et obligation de rendre compte. L’on observe diverses situations dans ce domaine mais, en règle générale, les acteurs extra-institutionnels sont moins transparents que les acteurs institutionnels (connaissance par le grand public du fonctionnement interne de ces acteurs et des méthodes qu’ils utilisent pour atteindre leurs objectifs); il en est de même pour l’obligation de rendre compte au niveau à la fois externe et interne. De plus, le manque de transparence peut être source de suspicion de corruption politique.
44. Interférence dans la prise de décision et distorsion de l’équilibre du pouvoir. Par définition, les acteurs extra-institutionnels, en intervenant dans le processus politique, tentent d’influer sur les décisions politiques des institutions en fonction de leurs intérêts sectoriels. Ce faisant, ils cherchent à modifier la répartition des pouvoirs, à changer l’ordre des priorités politiques et à altérer l’équilibre des intérêts exprimés par le biais des élections générales, au profit des intérêts particuliers qu’ils représentent. En conséquence, le principe de l’égalité politique du peuple est mis en danger dans la mesure où ces groupes d’intérêts – qui sont mieux organisés au plan structurel et qui bénéficient d’un soutien financier considérable et d’une couverture médiatique positive – ont plus de chances que d’autres de voir leurs préférences politiques prises en considération.

5. Conclusions

45. La démocratie est un système de gouvernement par le peuple et dans l’intérêt du peuple. La sensibilisation des individus à leur responsabilité dans la maîtrise de leur destin et leur implication dans la gestion des affaires publiques renforcent la démocratie. Il est donc pleinement légitime et bienvenu pour les citoyens d’une société démocratique de chercher à influencer, conformément à leurs intérêts et/ou convictions, les décisions qui sont prises au niveau des institutions étatiques.
46. Cependant, une telle influence doit être exercée conformément à la loi, en totale transparence et dans le respect plein et entier des intérêts des autres personnes et des intérêts communs de la société.
47. Les institutions politiques et étatiques devraient impliquer plus activement divers acteurs extra-institutionnels et les citoyens dans le processus de prise de décision. En même temps, afin d’améliorer la confiance du public dans les institutions publiques gouvernementales, et ainsi renforcer la démocratie et l’Etat de droit, le processus de prise de décision doit être plus transparent.
48. Le peuple dispose du droit démocratique de connaître les acteurs qui ont accès au processus décisionnel du gouvernement dans le but de l’influencer. Toutes les formes d’influence qui ne sont pas exercées en pleine transparence devraient être considérées comme suspectes et nuisibles pour la démocratie.
49. C’est pourquoi les institutions démocratiques devraient rejeter toute tentative d’influence sur les décisions politiques menée de manière non transparente.
50. L’influence des acteurs extra-institutionnels sur les décisions politiques doit faire l’objet d’un examen plus approfondi, en portant une attention particulière:
  • à l’ampleur de l’implication des acteurs extra-institutionnels dans le processus politique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’au plan international;
  • à l’impact de ces acteurs sur le fonctionnement des institutions démocratiques et sur la légitimité du processus politique démocratique;
  • au cadre juridique en place pour ces activités dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et à l’opportunité d’éventuelles mesures normatives complémentaires aux plans national et européen.
51. L’Assemblée doit examiner à nouveau cette question, d’une façon plus détaillée, sur la base d’une telle étude, qui pourrait être confiée à la Commission de Venise.