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Rapport | Doc. 12441 | 29 novembre 2010

Le suivi des engagements concernant les droits sociaux

Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Bernard MARQUET, Monaco, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11875, Renvoi 3553 du 29 mai 2009. 2011 - Première partie de session

Résumé

Cette période où la Charte sociale européenne de 1961 (STE no 35) et la Charte sociale européenne révisée de 1996 (STE no 163) vont bientôt célébrer respectivement leurs 50e et 15e anniversaires (le 18 octobre 2011 à Strasbourg) semble particulièrement propice pour faire le point sur la mise en œuvre de cet instrument et sur ses mécanismes de suivi. Il serait nécessaire d’augmenter l’impact de la Charte sur les processus législatifs et politiques nationaux, d’asseoir ses mécanismes de suivi sur des bases plus démocratiques et de dynamiser le débat sur les droits sociaux, afin de présenter des propositions substantielles quant à leur évolution future.

A cet égard, le rôle de l’Assemblée parlementaire dans le suivi de la Charte devrait être renforcé en lui accordant le droit d’élire 9 des 15 membres du Comité européen des Droits sociaux, tel qu’il est stipulé dans le Protocole de 1991 portant amendement à la Charte (STE no 142, «Protocole de Turin»). Par ailleurs, il est proposé que l’Assemblée tienne des débats bisannuels sur l’état des droits sociaux conjointement avec ceux sur l’état des droits de l’homme, avec un premier débat en juin 2011.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 novembre
2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est convaincue que dans le contexte actuel toujours marqué par la crise économique et par la mondialisation en cours, il est encore plus important de défendre les droits sociaux face à une multitude de menaces. Elle considère qu’un instrument contraignant tel que la Charte sociale européenne (STE no 163), ouverte à la signature en 1961 (STE no 35) et révisée en 1996, reste un moyen très important à cet égard afin de stimuler les processus législatifs nationaux, et en complément de diverses mesures politiques prises aux niveaux européen et national.
2. L’Assemblée se réfère à sa Résolution 1559 (2007) sur la dimension sociale de l’Europe: mise en œuvre intégrale de la Charte sociale européenne révisée et évaluation des nouvelles conditions d’emploi et de salaire minimum et à sa Recommandation 1795 (2007) sur le suivi des engagements concernant les droits sociaux. Elle se félicite du grand soutien de la Charte sociale par les Etats membres comme le montre le grand nombre de ratifications des différents traités de la Charte. Malgré le progrès en la matière ces dernières années, l’Assemblée considère que la promotion de cet instrument devrait se poursuivre avec toujours autant de vigueur à tous les niveaux. Les objectifs principaux d’un tel engagement devraient être de renforcer la mise en œuvre des droits sociaux, de rendre plus accessibles les procédures de réclamations collectives prévues, d’asseoir les mécanismes de suivi sur des bases plus démocratiques et d’assurer que les Etats acceptent de nouvelles dispositions de la Charte.
3. L’Assemblée considère la période actuelle particulièrement propice pour faire le point sur la mise en œuvre de la Charte sociale et ses mécanismes de suivi ainsi que pour revoir le rôle de l’Assemblée par rapport à ces derniers. Le 50e anniversaire de la Charte sociale européenne de 1961 et le 15e anniversaire de la Charte sociale européenne révisée, qui seront célébrés à Strasbourg le 18 octobre 2011, seront précédés d’une série de conférences destinées à préparer des décisions stratégiques relatives à la Charte sociale et aux mécanismes connexes. L’année 2011 est donc le moment idéal pour insister sur l’indivisibilité des droits sociaux et des droits civils et politiques, sur l’importance de la Charte sociale européenne pour la défense de cet ensemble de droits, et sur un rôle renforcé pour l’Assemblée dans les mécanismes de suivi de la Charte.
4. L’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
4.1. à continuer de promouvoir, aux niveaux européen et national, la signature, la ratification et la mise en œuvre de la Charte sociale européenne, et plus particulièrement du Protocole d’amendement de 1991 (STE no 142) (dit «Protocole de Turin») et du Protocole additionnel de 1995 (STE no 158) prévoyant un système de réclamations collectives;
4.2. à ratifier la Charte sociale européenne révisée ou, au cas où ils adhèrent encore à la Charte de 1961, le Protocole de Turin, s’ils ne l’ont pas encore fait, afin de permettre que toutes les dispositions de la Charte sociale prennent pleinement effet, y compris l’élection de 9 des 15 membres du Comité européen des Droits sociaux par l’Assemblée;
4.3. à soutenir vis-à-vis du Comité des Ministres l’idée d’un renforcement du rôle de l’Assemblée dans le cadre des mécanismes de suivi de la Charte.
5. A la lumière de la situation actuelle de la Charte sociale européenne, et dans le but d’apporter une contribution substantielle à sa promotion continue, l’Assemblée parlementaire décide par ailleurs:
5.1. d’organiser des débats joints sur la situation des droits sociaux et la situation des droits de l’homme tous les deux ans, et la prochaine fois en juin 2011 lors de la troisième partie de session de l’Assemblée;
5.2. d’entreprendre le suivi politique de la mise en œuvre de la Charte sociale européenne et des droits sociaux en collaboration étroite avec d’autres organisations internationales et européennes, notamment l’Organisation internationale du travail et les organes de l’Union européenne;
5.3. de promouvoir au sein du Conseil de l’Europe et parmi ses partenaires externes une approche large des droits sociaux comme faisant partie intégrante et indivisible des droits de l’homme.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 15 novembre
2010.

(open)
1. En 2011 seront célébrés le 50e anniversaire de la Charte sociale européenne (STE no 35) et le 15e anniversaire de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163). A ce moment «phare» des droits sociaux en Europe, l’Assemblée parlementaire salue le fort soutien pour ces instruments significatifs par les Etats membres dont une grande majorité a adhéré à une partie ou à l’ensemble des traités constituant la Charte sociale européenne.
2. L’Assemblée rappelle que, lors du Sommet de Varsovie (2005), les chefs d’Etat et de gouvernement ont estimé que la Charte sociale européenne révisée devrait être considérée comme le socle minimal des droits sociaux que tous les Etats membres devraient garantir. En dépit de ce large soutien à la Charte sociale, la promotion de la ratification de la Charte révisée et de certains des protocoles de la Charte de 1961 doit se poursuivre à tous les niveaux possibles. Par ailleurs, le mécanisme de suivi de la Charte sociale doit être renforcé davantage, notamment en ce qui concerne l’application rigoureuse de certaines règles stipulées par les traités. La Charte elle-même doit continuer d’évoluer substantiellement afin de rester, à moyen et à long termes, une véritable référence en matière de droits sociaux pour les Etats membres.
3. L’Assemblée considère l’année 2011 comme une année charnière et un moment propice pour rappeler, à toutes les Parties et organes impliqués, l’importance du dispositif de la Charte sociale en matière de défense des droits sociaux. Par ailleurs, il convient de rappeler le rôle essentiel dans le cadre des mécanismes de suivi pertinents qui est attribué à l’Assemblée par la Charte sociale, et le besoin de renforcer sa contribution réelle en la matière par des démarches proactives.
4. Rappelant ses engagements pris par la Résolution … sur le suivi des engagements concernant les droits sociaux, l’Assemblée fait donc appel au Comité des Ministres:
4.1. pour reconnaître les droits sociaux sont indivisibles des droits de l’homme et continuer de promouvoir leur mise en œuvre par le biais de recommandations fermes adressées aux Etats membres dans le cadre des mécanismes de contrôle liés à la Charte sociale européenne;
4.2. pour continuer de promouvoir la promotion de la Charte sociale européenne révisée parmi les Etats membres n’ayant pas encore ratifié cet instrument de référence en matière de droits sociaux modernes;
4.3. pour continuer d’inciter les Etats membres n’ayant pas ratifié le Protocole additionnel de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158), à le faire et de les inviter à reconnaître aux organisations non gouvernementales nationales le droit de soumettre de telles réclamations à l’instar de la bonne pratique de la Finlande;
4.4. pour exhorter les quatre Parties à la Charte sociale européenne n’ayant pas encore ratifié le Protocole d’amendement de 1991 (STE no 142) (dit «Protocole de Turin») le fassent dans les meilleurs délais afin de permettre que le mécanisme de suivi prévu par la Charte puisse être pleinement mis en œuvre et que 9 des 15 membres du Comité européen des Droits sociaux puissent enfin être élus par l’Assemblée;
4.5. si le Protocole de Turin n’entre pas en vigueur avant juin 2012, pour faire en sorte que l’Assemblée puisse pleinement remplir sa fonction prévue dans le mécanisme de suivi de la Charte à partir de 2013 en adoptant une décision unanime en ce sens, tel que cela a été pratiqué dans le passé pour s’assurer de la mise en œuvre d’autres dispositions du Protocole de Turin.
5. Enfin, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres de prendre en compte les résultats du suivi politique que l’Assemblée assurera, dans les années à venir, par rapport à l’application de la Charte sociale dans les Etats membres, y compris un suivi général de l’évolution des droits sociaux dans les Etats membres et un suivi des réponses données aux réclamations collectives soumises au Comité européen des Droits sociaux.

C. Exposé des motifs, par M. Marquet, rapporteur

(open)

1. Introduction 

1. En cette période de crise économique, et plus généralement dans le contexte de la mondialisation en cours qui peut entraîner des menaces sur les droits sociaux, il paraît particulièrement important d’établir l’état des lieux des instruments juridiques concernant les droits sociaux en Europe et de continuer à assurer leur promotion. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, lors du Sommet de Varsovie (16 et 17 mai 2005), les chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe ont estimé que la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) devrait être considérée comme le socle minimal des droits sociaux que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent garantir à leurs citoyens, en particulier aux plus vulnérables, et qu’elle est également un instrument de coordination des politiques sociales.
2. Dans le but d’assurer un suivi continu des engagements concernant les droits sociaux et de renforcer la promotion de la Charte sociale européenne en tant qu’outil central des droits sociaux européens, le présent rapport fait suite aux travaux antérieurs de l’Assemblée parlementaire en la matière, et notamment à sa Résolution 1559 (2007) sur la dimension sociale de l’Europe: mise en œuvre intégrale de la Charte sociale européenne révisée et évaluation des nouvelles réglementations sur l’emploi et le salaire minimum, et à sa Recommandation 1795 (2007) sur le suivi des engagements concernant les droits sociaux. Le rapporteur s’appuie sur ces travaux précédents pour réitérer et souligner certains points, tels que le rôle de l’Assemblée dans les mécanismes de suivi de la Charte, tout en apportant un regard nouveau sur la Charte et son évolution future.
3. Le rapporteur considère que la période actuelle est particulièrement propice pour élargir l’appui des Etats membres à la Charte sociale européenne, pour renforcer la contribution de l’Assemblée à la promotion des droits sociaux et aux mécanismes entourant la Charte, et pour donner davantage de visibilité à l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de droits sociaux. Tout effort entrepris en ce sens en cette période contribuera à souligner l’importance d’un tel ensemble d’instruments européens et à les honorer, puisque, dans le cadre des festivités qui seront organisées à Strasbourg le 18 octobre 2011, deux anniversaires seront célébrés: le 50e anniversaire de la Charte sociale européenne et le 15e anniversaire de la Charte sociale européenne révisée.

2. La Charte sociale européenne et les divers traités qui la complètent: état des lieux

2.1. Textes de base, mécanisme de suivi et importance de la Charte

4. La Charte sociale européenne est le complément de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) en matière de droits économiques et sociaux fondamentaux. Elle comprend un ensemble de traités dont les premières pierres constituent la Charte sociale européenne a été ouverte à la signature en 1961 (STE no 35; entrée en vigueur en 1965) et son Protocole additionnel de 1988 (STE no 128; entré en vigueur en 1992) a élargi les droits garantis par la Charte. Ces instruments sont complétés par le Protocole de 1991 portant amendement à la Charte (STE no 142), qui entrera en vigueur après signature de toutes les Parties à la Charte, et par le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (1995, STE no 158; entré en vigueur en 1998).
5. La Charte sociale européenne révisée de 1996 (STE no 163; entrée en vigueur en 1999) réunit en un seul instrument les droits garantis par la Charte de 1961 ainsi que les nouveaux droits et amendements adoptés par les Parties. Elle se substitue progressivement au traité initial de 1961. La Charte révisée tient compte de l’évolution de la société européenne en incluant un certain nombre de droits nouveaux, tels que le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, au logement, à la protection en cas de licenciement, et à la protection contre le harcèlement sexuel et moral.
6. Comme la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale européenne est accompagnée d’un système de contrôle qui garantit le respect de ces droits par les Etats parties. Le mécanisme de suivi en vigueur est établi par la Charte de 1961 et renforcé par le Protocole de 1991 portant amendement à la Charte et par le Protocole additionnel de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives. C’est également le Protocole de 1991 qui prévoit les deux organes principaux liés à la Charte: le Comité d’experts indépendants, ensuite nommé Comité européen des Droits sociaux (CEDS), et le Comité gouvernemental de la Charte sociale européenne; leurs rôles spécifiques sont précisés dans leurs règlements respectifs.
7. Le CEDS a notamment la responsabilité de statuer sur la conformité des situations nationales avec la Charte sociale européenne, le Protocole additionnel de 1988 et la Charte sociale européenne révisée, et d’adopter des «conclusions» – dans le cadre de la procédure des rapports – et des «décisions» – dans le cadre de la procédure des réclamations collectives; il est donc un organe quasi judiciaire. La procédure de contrôle de l’application de la Charte repose sur les rapports nationaux soumis par les Etats parties et sur la procédure de réclamations collectives introduite par le Protocole additionnel de 1995. Les Etats parties soumettent chaque année un rapport sur la mise en œuvre de la Charte (en droit et en pratique) en ce qui concerne une partie des dispositions qu’ils ont acceptées de la Charte. Le CEDS examine les rapports et décide de la conformité ou non des situations nationales avec la Charte.
8. La fonction du comité gouvernemental, de son côté, est de préparer les décisions du Comité des Ministres. En particulier, à la lumière des rapports du CEDS et des Parties, il sélectionne, de manière motivée, sur la base de considérations de politique sociale et économique, les situations qui devraient, à son avis, faire l’objet de recommandations à l’adresse de l'Etat concerné. Il présente au Comité des Ministres un rapport qui est rendu public. Le Comité des Ministres pourra ensuite adresser une recommandation à cet Etat, lui demandant de modifier la situation en droit ou en pratique 
			(3) 
			Selon
le règlement arrêté le 29 mars 2004 par le Comité européen des Droits
sociaux, lui-même instauré par la Charte sociale européenne, et
le règlement intérieur du Comité gouvernemental de la Charte sociale
européenne adopté par le Comité le 16 mai 2008..

2.2. Progrès faits par les Etats membres au niveau des ratifications et de l’application de la Charte ainsi que des traités y relatifs depuis 2007

9. Un état des lieux très complet des signatures et ratifications de la Charte sociale européenne révisée a été entrepris dans le cadre du rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, menant à la Recommandation 1795 (2007). Aujourd’hui, il ne s’agit donc pas de reproduire le même exercice, mais de rappeler brièvement l’état des signatures et ratifications et de le mettre à jour à la lumière des changements intervenus depuis 2007.
10. Dans sa Recommandation 1795 (2007), l’Assemblée note que la Charte sociale européenne révisée était alors signée par 40 des 46 Etats membres du Conseil de l’Europe et ratifiée par 23 Etats membres, mais que seuls la France, les Pays-Bas et le Portugal avaient accepté l’ensemble de ses dispositions. En 2010, se référant à 47 Etats membres (depuis l’adhésion du Monténégro en 2007), les chiffres ont été portés à 45 signatures et 30 ratifications, grâce à sept nouvelles ratifications par la Bosnie-Herzégovine (2008), la Hongrie (2009), le Monténégro (2010), la Fédération de Russie (2009), la Serbie (2009), la République slovaque (2009) et la Turquie (2007). Le rapporteur se félicite de cette évolution vers un nombre de plus en plus conséquent de pays ayant souscrit aux droits sociaux ancrés dans la Charte sociale européenne révisée. Malgré ce progrès important, 13 Etats membres ne restent liés que par la Charte de 1961, dont sept également par le Protocole additionnel de 1988 destiné à actualiser son contenu matériel.
11. Le rapporteur considère qu’un large soutien des droits sociaux européens est assuré par le fait que la plupart des Etats membres sont parties à l’un des deux instruments principaux – la Charte sociale européenne de 1961 ou la Charte sociale européenne révisée. Seulement quatre Etats – le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin et la Suisse – n’ont ratifé ni l’un ni l’autre de ces traités principaux. Il souhaite néanmoins insister sur la nécessité de poursuivre les progrès en la matière: seule la Charte révisée répond aux grandes questions sociales qui se posent en Europe actuellement (égalité des sexes, conciliation de la vie professionnelle et familiale, vieillissement de la population, pauvreté et exclusion); elle devrait en conséquence être le principal document de référence pour tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
12. La plupart des Etats membres ayant signé récemment la Charte révisée, alors que la ratification de la Charte de 1961 reste possible, ont bien perçu le fait qu’il s’agit de l’instrument le plus adapté à la situation sociale actuelle en Europe. Par une ratification la plus large possible de la Charte révisée, les Etats membres devraient, enfin, reconnaître et afficher ouvertement que les droits sociaux sont une composante importante des droits de l’homme – qui constituent l’un des piliers principaux du Conseil de l’Europe et de son action. Lors d’un échange récent avec le Comité européen des Droits sociaux, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a souligné la nature indivisible des droits de l’homme et la complémentarité de la Charte sociale et de la Convention européenne des droits de l’homme.
13. Un suivi régulier de la Charte sociale doit également porter sur le Protocole d’amendement de 1991 (dit «Protocole de Turin») ainsi que sur le Protocole additionnel de 1995. Le rapporteur rappelle que, dans le Protocole de Turin, il avait été décidé que les membres du Comité européen des Droits sociaux seraient soumis aux mêmes règles d’élection que les juges de la Cour européenne des droits de l’homme. L’article 3 du Protocole d’amendement stipule que le nouveau paragraphe 25 de la Charte doit se lire comme suit: «Le Comité d’experts indépendants sera composé d’au moins neuf membres élus par l’Assemblée parlementaire à la majorité des voix exprimées sur une liste d’experts de la plus haute intégrité et d’une compétence reconnue dans les matières sociales nationales et internationales (…).» Alors que la plupart des Etats parties à la Charte de 1961 ou à la Charte révisée sont déjà liés par le Protocole de Turin, il manque toujours la ratification par quatre Etats pour son entrée en vigueur (Danemark, Allemagne, Luxembourg, Royaume-Uni).
14. Le rapporteur regrette que, malgré les efforts déployés par différents organes du Conseil de l’Europe y compris l’Assemblée elle-même, ces quatre Etats ne semblent pas être prêts à ratifier le protocole dans un futur proche, et qu’à l’heure actuelle aucune autre mesure concrète n’ait été prise pour mettre en place le mécanisme de suivi prévu par la Charte.
15. Le Protocole additionnel de 1995, quant à lui, reconnaît le droit de faire des réclamations aux organisations internationales et nationales d’employeurs et de travailleurs, ainsi qu’à certaines organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe. A ce jour, seulement 14 Etats ont accepté la procédure des réclamations collectives stipulée par ce protocole (dont deux par une déclaration selon l’article D, paragraphe 2, de la Charte révisée, et 12 par ratification du protocole), et seule la Finlande a reconnu ce droit aux ONG nationales, alors que ce sont les ONG qui sont les plus actives dans la défense des droits consacrés dans la Charte. Le rapporteur considère que les efforts pour remédier à ces situations devraient également être poursuivis.
16. Le dispositif de la Charte sociale – vue globale:

Traité

Substance

Nombre de ratifications 
			(4) 
			A
la date du 15 novembre 2010.

Charte sociale européenne de 1961 (STE no 35)

Droits sociaux fondamentaux

43 Etats membres

Protocole additionnel de 1988

(STE no 128)

Elargissement des droits couverts par la Charte

13 Etats membres

Protocole d’amendement de 1991 (STE no 142) («Protocole de Turin»)

Définition des mécanismes de suivi de la Charte (et autres dispositions)

23 Etats membres

Protocole additionnel de 1995

(STE no 158)

Introduction des réclamations collectives

12 Etats membres

Charte sociale européenne révisée de 1996 (STE no 163)

Introduction de nouveaux droits par rapport aux traités précédents

30 Etats membres

2.3. Obstacles restants à l’entrée en vigueur et à la mise en œuvre de tous les instruments

17. Dans sa réponse à la Recommandation 1795 (2007) 
			(5) 
			Réponse
du Comité des Ministres, adoptée à la 1027e réunion des Délégués
des Ministres (21 mai 2008). de l’Assemblée, le Comité des Ministres confirme qu’il subsiste des zones où il serait possible d’augmenter le nombre de ratifications relatives aux instruments sociaux existants. Il s’agirait notamment: 1. du Protocole d’amendement de 1991 («Protocole de Turin»), mis en œuvre dans sa quasi-totalité par décision des Délégués des Ministres, mais pour lequel quatre ratifications manquent encore pour qu’il entre formellement en vigueur; 2. de la procédure de réclamations collectives qui n’est actuellement acceptée que par 14 Etats; et 3. de l’acceptation du droit des ONG nationales de présenter des réclamations. A cet égard, le Comité des Ministres invite les Etats membres à ratifier les différents instruments, mais rappelle en même temps, notamment en ce qui concerne l’élection des membres du Comité européen des Droits sociaux, qu’il appartient aux Etats membres d’examiner la question au préalable.
18. Le rapporteur considère que les démarches entreprises jusqu’à ce jour en faveur de la promotion des différents instruments en matière de droits sociaux manquent de cohérence, à la fois au niveau du Conseil de l’Europe et de ses organes principaux, notamment le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire, et au niveau national. Il regrette que, malgré le fait qu’une majorité des Etats membres aient exprimé leurs préférences au sujet des mécanismes s’appliquant à la Charte sociale européenne révisée, tous les Etats membres ne soient pas encore clairement unis autour des mêmes instruments en faveur des droits sociaux. Il déplore que l’Assemblée, qui assure le suivi régulier de la Charte sociale européenne et de ses différents textes, soit ainsi obligée de relever les mêmes lacunes d’un exercice à l’autre sans qu’un réel progrès soit fait depuis de nombreuses années.
19. Le rapporteur comprend que le Comité des Ministres soit tenu de respecter la volonté de certains Etats membres de s’abstenir de certaines ratifications, mais rappelle qu’il est également habilité à proposer et à prendre d’autres mesures pour s’assurer de l’application à part entière des instruments contraignants du Conseil de l’Europe, telles que des décisions unanimes du Comité des Ministres sur des aspects de l’un ou l’autre instrument. En ce qui concerne le Protocole de Turin plus particulièrement, le Comité des Ministres pourrait ainsi proposer que le mécanisme de suivi de la Charte sociale prévoyant l’élection de neuf membres du Comité européen des Droits sociaux par l’Assemblée soit pleinement mis en œuvre par le biais d’une décision unanime de son organe, permettant ainsi aux Etats membres réticents de ne pas adhérer à d’autres dispositions de ce protocole.

2.4. Evolution future de la Charte sociale européenne révisée: prise en compte des défis actuels

20. En dehors des lacunes qui continuent à exister au niveau des signatures et des ratifications, ainsi qu’au niveau de la mise en œuvre intégrale des dispositions relatives au mécanisme de suivi, le rapporteur est convaincu qu’à l’avenir, et afin de rester un instrument de référence européen, la Charte doit continuer à évoluer. Ainsi que cela a déjà été proposé par l’Assemblée dans sa Résolution 1559 (2007), la Charte sociale européenne devrait davantage prendre en compte la libéralisation croissante des marchés (notamment la libre circulation des travailleurs et des services, ainsi que la liberté d’établissement) et encadrer ces processus. Des évolutions bien plus récentes devraient amener les organes compétents à examiner la prise en compte d’autres thématiques encore, telles que le droit à la santé, y compris à un environnement sain, par exemple – thème régulièrement débattu au sein de l’Assemblée. Le suivi de la mise en œuvre devrait être renforcé concernant d’autres droits, comme les droits des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté.
21. Comme cela a déjà été suggéré, ,, , les développements observés à l’échelle mondiale devraient être davantage pris en compte dans les débats qui entourent les instruments relatifs aux droits sociaux. Le rapporteur réitère l’idée que les Etats membres devraient considérer avec plus d'attention les défis de la mondialisation, renforcer le débat européen à ce sujet et porter ce débat au niveau mondial afin de donner une véritable impulsion sociale à la mondialisation. Il est convaincu que, dans ce genre de débat, la Charte sociale européenne pourra devenir le document de référence.
22. Au-delà des défis cités ci-dessus, le rapporteur rappelle que l’Assemblée a également déjà proposé une évolution de la Charte vers un instrument de référence pour des réclamations individuelles. Selon sa Recommandation 1354 (1998) relative à l’avenir de la Charte sociale européenne et sa Recommandation 1415 (1999) sur un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif aux droits sociaux fondamentaux, cela pourrait se faire en apportant des modifications aux deux instruments en question. Le rapporteur souhaiterait inviter tous les Etats membres à garder à l’esprit la possibilité d’une telle évolution ambitieuse des mécanismes entourant la Charte sociale européenne dans les années à venir, mais serait déjà pleinement satisfait si des progrès pouvaient être faits au regard des autres lacunes relevées dans le présent rapport.

3. Le rôle de l’Assemblée parlementaire par rapport au suivi des engagements concernant les droits sociaux

23. Dans le contexte actuel de mondialisation croissante et de crise économique que nos sociétés affrontent, le rapporteur est clairement partisan d’un rôle plus important de l’Assemblée pour ce qui concerne la promotion, le suivi et l’évolution future de la Charte sociale dans son ensemble. Une telle évolution du rôle de l’Assemblée est clairement soutenue par une majorité des Etats membres.
24. Un rôle fort pour les parlements nationaux, représentés par l’Assemblée, a d’abord été reconnu par les Etats membres ayant ratifié le Protocole de Turin (23 Etats), donnant ainsi leur accord pour une implication directe de l’Assemblée dans l’élection des 15 membres du Comité européen des Droits sociaux, aujourd’hui tous élus par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ainsi, le Protocole de Turin stipule (article 3), faisant référence au nouvel article 25 de la Charte sociale: «Le Comité d’experts indépendants sera composé d’au moins neuf membres élus par l’Assemblée à la majorité des voix exprimées sur une liste d’experts de la plus haute intégrité et d’une compétence reconnue dans les matières sociales nationales et internationales, qui seront proposés par les Parties contractantes.» Cette fonction de l’Assemblée, formellement prévue dans le mécanisme de suivi de la Charte sociale devrait, enfin, être mise en œuvre dans les meilleurs délais possibles afin d’asseoir le contrôle de cet instrument central en matière de droits sociaux sur des bases plus démocratiques et ainsi renforcer sa légitimité.
25. En ratifiant la Charte sociale européenne révisée, une majorité claire des Etats membres (30) a également souscrit à l’idée de continuer à faire évoluer la Charte et de s’assurer qu’elle reste un instrument moderne et vivant. Toute évolution future de la Charte sociale, par exemple par le biais de l’introduction de nouveaux droits, nécessite forcément la contribution substantielle des parlements nationaux. L’Assemblée devrait donc systématiquement développer sa fonction de lieu d’incitation à la réflexion et d’animation de débats sur les droits sociaux.
26. Les débats de l’Assemblée devraient notamment se fonder sur des rapports substantiels concernant le respect des droits sociaux dans les Etats membres et pourraient aborder le thème sous différents angles: par exemple, analyser la mise en œuvre des normes européennes dans les législations nationales et dans les politiques nationales visant à appliquer le droit européen ou national pertinent (échange de bonnes pratiques), ou alors examiner le suivi de réclamations collectives précises et leur réception par le Comité des Ministres et les Etats membres. En proposant de tels débats d’actualité sur les droits sociaux et en faisant en sorte, ensuite, qu’un compte rendu rigoureux soit transmis aux parlements et aux gouvernements nationaux, l’Assemblée continuerait de son côté à promouvoir la ratification et la mise en œuvre de la Charte sociale au niveau européen. Elle aurait ainsi, par ailleurs, la possibilité d’avoir un impact réel sur l’évolution future des droits sociaux et sur l’élargissement de l’acquis du Conseil de l’Europe à de nouveaux droits, tel le droit à la santé – sujet régulièrement abordé par l’Assemblée depuis quelques années –, ou bien d’autres droits qui attendent d’être pris en considération. En abordant les droits sociaux à partir d’une telle perspective politique plutôt que juridique, l’Assemblée se distinguerait clairement des mécanismes de suivi juridique déjà appliqués par le CEDS et le Comité des Ministres, et les compléterait.
27. De tels débats substantiels sur les droits sociaux européens devraient, par ailleurs, se tenir en étroite coopération avec les organes compétents du Conseil de l’Europe, le CEDS et le comité gouvernemental, dont les représentants ont indiqué à plusieurs reprises qu’ils étaient prêts à un échange avec l’Assemblée, propos qu’ils ont aussitôt mis en pratique: rien qu’en 2010, un vice-président du CEDS a tenu un échange de vues avec la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, et la présidente de cette même commission a été invitée à intervenir devant les membres du CEDS, un organe qui se réunit à huis clos normalement. Au-delà des organes du Conseil de l’Europe, la coopération devrait aussi être renforcée avec d’autres organisations internationales ou européennes, telles que le Parlement européen qui aborde régulièrement les droits sociaux dans le cadre de son «Dialogue social européen».
28. De manière très concrète et en ce qui concerne l’organisation des débats au sein de l’Assemblée, les rapports réguliers sur les droits sociaux devraient idéalement venir compléter les débats bisannuels sur la situation des droits de l’homme préparés par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, sans trop se chevaucher avec eux – à l’instar des rapports présentés par la commission de suivi –, mais plutôt en apportant un regard politique complémentaire. Une telle démarche pourrait également contribuer à ce que les droits sociaux soient perçus à leur juste valeur parmi les droits fondamentaux défendus par le Conseil de l’Europe.
29. Le rapporteur souhaite rappeler que, trop souvent, les droits économiques et sociaux sont encore considérés comme des «ambitions» plutôt que des droits de l’homme bien qu’ils soient inclus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et qu’ils fassent partie de nombreux traités internationaux largement acceptés relatifs aux droits de l’homme. Cette confusion initiale explique en partie pourquoi, au Conseil de l’Europe, deux traités distincts ont été adoptés: la Convention européenne des droits de l’homme pour les droits civils et politiques et la Charte sociale européenne pour les droits sociaux et économiques. Toutefois, l’interdépendance entre ces droits a été reconnue par leurs organes de contrôle respectifs, et l’Assemblée, de son côté, ne devrait laisser passer aucune occasion de bien insister sur cette indivisibilité des droits de l’homme.
30. A cet égard, le rapporteur rappelle également que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré très tôt dans sa jurisprudence qu’il n’y avait pas de cloison étanche entre la sphère des droits sociaux et le domaine de la Convention. Le Comité européen des Droits sociaux a affirmé que la Charte sociale complète la Convention européenne des droits de l’homme et que les droits garantis par la Charte ne constituent pas une fin en soi mais viennent en complément des droits de la Convention. Cette approche pourrait également être adoptée par l’Assemblée et reflétée dans ses propres débats afin d’assurer une cohérence entre ces derniers et les autres travaux du Conseil de l’Europe. Enfin, et du point de vue de l’indivisibilité des droits de l’homme et des droits sociaux, le rapporteur reste convaincu qu’il est illogique que les normes du Conseil de l’Europe relatives aux droits sociaux ne soient pas ratifiées par tous les Etats membres à l’instar de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(6) 
			Point
de vue aussi communiqué par Thomas Hammarberg le 16 octobre 2006:
«Les droits sociaux nécessitent une protection adéquate, aussi en
Europe.».. Le présent rapport devrait, une nouvelle fois, être l’occasion de transmettre cette idée essentielle à toutes les parties concernées par la Charte sociale: le Comité des Ministres et ses organes, les Etats membres, les parlements nationaux et les experts en matière de droits sociaux.

4. Conclusions

31. En conclusion, le rapporteur considère que, comme elle l’avait déjà entrepris dans le cadre de la Recommandation 1795 (2007), l’Assemblée devrait encore une fois encourager les Etats parties à la Charte sociale européenne à faire en sorte que cet instrument devienne un véritable cadre de référence pour la politique sociale européenne et puisse ainsi également contribuer au développement des législations et des politiques sociales au niveau national. Le rapporteur se félicite de l’état d’avancement des signatures et des ratifications en 2010, qui a enregistré un net progrès depuis le dernier rapport de l’Assemblée en 2007, mais considère que les Parties à la Charte sociale européenne révisée devraient davantage renforcer leurs efforts pour respecter au niveau national les dispositions qu’elles ont acceptées.
32. S’agissant des mécanismes entourant la Charte sociale européenne, l’Assemblée devrait rappeler au Comité des Ministres de prendre les mesures nécessaires pour que des membres du Comité européen des Droits sociaux soient élus par l’Assemblée dans le prochain renouvellement partiel du comité, tout en demandant aux parlements nationaux de soutenir cette démarche au sein de leurs gouvernements respectifs. Outre sa propre implication dans les mécanismes de décision, l’Assemblée devrait à nouveau réclamer la reconnaissance de tous les droits inscrits dans la Charte par les Etats membres, tel que le droit pour les ONG nationales de présenter des réclamations collectives.
33. Au-delà des questions plus formelles relatives à la ratification et la mise en œuvre des divers instruments, l’Assemblée devrait elle-même faire des démarches lui permettant de renforcer son rôle en tant que tribune d’incitation à la réflexion et d’animation de débats autour des droits sociaux. Dans ce contexte, le rapporteur souligne l’importance d’un dialogue renforcé à différents niveaux, à la fois au sein du Conseil de l’Europe – avec le Comité européen des Droits sociaux et le comité gouvernemental – et, en ce qui concerne les partenaires externes, avec l’Organisation internationale du travail et les organes de l’Union européenne (Parlement européen, etc.), notamment. Cela pourrait également servir à accroître la visibilité de la Charte sociale européenne et à renforcer le rôle et l’impact du Conseil de l’Europe en matière de droits sociaux.