1. Introduction
1. Un enfant est d’abord, uniquement et avant tout un
enfant.
2. Tel est le point de départ de toute discussion sur les enfants
migrants sans-papiers. Le statut de l’enfant est secondaire, voire
hors de propos.
3. Comme indiqué dans la Convention relative aux droits de l’enfant
signée par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, un «enfant,
en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle,
a besoin d'une protection spéciale»
et
doit être «protégé contre toutes formes de discrimination ou de
sanction motivées par la situation juridique (…) de ses parents,
de ses représentants légaux ou des membres de sa famille»
.
4. Comme l’a déclaré le Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe, «les enfants migrants sont d’abord et avant
tout des enfants. A ce titre, ils ont comme les autres le droit
de jouir de tous les droits accordés aux enfants. Selon le principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant, chaque enfant doit être considéré comme
un individu et son cas particulier doit être pris en compte»
.
5. En réalité, les enfants migrants sans-papiers ne jouissent
pas de ce niveau de protection. Ils sont triplement vulnérables:
en tant que migrants, en tant que personnes en situation irrégulière
et en tant qu’enfants. Les lois applicables abordent généralement
leur situation en termes de migration et de statut, sans considérer
qu’ils sont des enfants.
6. Même lorsqu’il existe une législation prévoyant des droits
et une protection en faveur des enfants migrants sans-papiers, dans
la pratique ceux-ci se heurtent souvent à d’énormes obstacles les
empêchant de jouir de ces droits et de cette protection. Parmi ces
entraves, citons, entre autres, l’obstacle administratif, les barrières
linguistiques, la complexité des systèmes administratifs, judiciaires
et autres, la discrimination, le manque d’information, la peur d’être
repéré, etc. A ces obstacles s’ajoute le fait que la jouissance
de la majorité des droits est étroitement liée à d’autres droits,
si bien que, par exemple, le droit à l’éducation restera plus ou moins
lettre morte en l’absence de logement ou de soins de santé.
7. Dans le présent rapport, le rapporteur examine cinq domaines
essentiels où les droits des enfants migrants sans-papiers posent
gravement problème, à savoir l’éducation, les soins de santé et
le logement, ainsi que d’autres questions concernant la détention
et l’exploitation par le travail. D’autres secteurs posent également
problème, mais du fait de leur complexité ou parce qu’ils font déjà
l’objet de rapports de l’Assemblée ou d’autres organisations, ils
ne sont pas traités ici
.
8. Dans le présent rapport, par «enfants migrants sans-papiers»,
il faut entendre les enfants qui, en raison de leur statut, sont
dépourvus de papiers d’identité.
Ils
peuvent être accompagnés de leurs parents ou d’autres membres de
leur famille. Ils peuvent être nés en Europe ou ailleurs. Le rapporteur
a choisi de ne pas aborder la question des enfants non accompagnés
qui, une fois sous le contrôle des autorités, sont généralement
traités différemment par celles-ci
.
9. Le rapporteur est incapable d’estimer le nombre des enfants
migrants sans-papiers en Europe. En supposant que l’Union européenne
compte environ 4 millions de migrants en situation irrégulière (et
plusieurs millions de plus en Fédération de Russie et dans des Etats
non membres de l'Union européenne, l’on peut estimer qu’au moins
10% d’entre eux sont des enfants.
Même selon une estimation prudente,
le nombre de ces enfants en Europe reste important.
10. Pour élaborer ce rapport, le rapporteur a organisé une audition
à Bruxelles le 15 mars 2011, et recueilli des informations auprès
d’un vaste éventail de sources. Il est particulièrement reconnaissant
aux participants de cette audition et à la Plate-forme pour la coopération
internationale sur les sans-papiers (PICUM) des conseils, documents
et commentaires fournis tout au long de la préparation de ce rapport.
2. Education
11. Le droit à l’éducation est moins controversé que
certains autres droits examinés dans ce rapport. En vertu de la
Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et,
notamment, de son article 28, «les Etats parties reconnaissent le
droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer
l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de l'égalité
des chances: a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et
gratuit pour tous»
.
12. La Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») (Protocole no 1, article 2) stipule que «nul ne
peut se voir refuser le droit à l’instruction». La Cour européenne
des droits de l’homme, par exemple, dans l’affaire
Timishev c. Russie, a jugé comme
violation de la Convention le fait d’exclure de l’école deux enfants
de sept et neuf ans au prétexte que leur père tchétchène ne possédait
plus de carte d’immigration
.
13. La Charte sociale européenne révisée (STE no 163), en vertu
de l’article 17, oblige les Etats à assurer aux enfants «l’éducation
et la formation dont ils ont besoin». Bien que la portée de la Charte
n’englobe pas les migrants en situation irrégulière, le Comité européen
des Droits sociaux a déclaré qu’une égalité d’accès à l’éducation
doit être garantie à tous les enfants et que, à cet égard, il convient
d’accorder une attention particulière aux groupes vulnérables
.
A ce jour, le comité n’a jamais expressément déclaré que les enfants migrants
sans-papiers devaient bénéficier d’une égalité d’accès à l'éducation.
Toutefois, bien que la portée de la Charte n'englobe pas les migrants
en situation irrégulière, le Comité européen des Droits sociaux
a jugé que les enfants de migrants en situation irrégulière devaient
jouir de certains droits, tels que celui à un hébergement et à la
gratuité des soins médicaux
. Si
ce raisonnement est poursuivi, il se peut que le Comité européen
des Droits sociaux estime que la Charte révisée protège le droit
à l’éducation de tous les enfants présents dans une juridiction.
14. Malgré la clarté du droit international et le respect général
de ce droit par les Etats membres, son degré de protection officielle
varie selon les pays, et les divergences sont encore plus grandes
en ce qui concerne la protection assurée dans la pratique.
15. En termes de protection officielle, des pays tels que la Belgique,
l’Italie et les Pays-Bas font clairement et expressément référence
dans leur législation au droit à l’éducation des enfants migrants
sans-papiers. Dans d’autres pays, tels que l’Espagne, la France,
la Pologne et le Royaume-Uni, ce droit est implicite. Un troisième groupe
de pays ne prévoit aucune législation en matière de protection;
ainsi Malte et la Hongrie, où le droit à l’éducation est uniquement
réservé aux personnes munies d’un permis de séjour
.
16. Le rapporteur estime qu’il est essentiel que dans chaque pays
une loi prévoie un droit légal à l’éducation; autrement dit, que
«les portes de l’école soient ouvertes»
pour
que les enfants sans-papiers jouissent du droit à l’éducation.
2.1. Obstacles à l’accès
à l’éducation
17. La législation ne suffit cependant pas car, dans
la pratique, une myriade d’obstacles interdit la jouissance de ce
droit. Le rapporteur entend mettre ces obstacles en lumière dans
les paragraphes qui suivent
.
18. Obstacles administratifs pour l’enfant et pour l’école. Un
problème récurrent est le manque de documents pouvant servir à l’enfant
pour prouver qu’il ou elle vit dans le secteur. L’école elle-même,
même si elle est prête à accepter l'enfant, peut rencontrer des
difficultés à obtenir un financement et, ainsi, se trouver découragée
d'accepter cet enfant.
19. Discrimination et pouvoir discrétionnaire. L’admission scolaire
est souvent laissée à la discrétion du chef d’établissement et,
donc, dépend de son bon vouloir. Une école peut hésiter à prendre
ces enfants parce qu’elle a déjà un grand nombre d’élèves sans-papiers,
ou par peur de devenir une «école ghetto», ou pour ne pas risquer
de voir son niveau tomber
, ou par crainte de tensions
sociales ou, enfin, pour ne pas investir dans des enfants qui partiront
peut-être rapidement. La discrimination surgit à l’évidence sur
tous les fronts et certains enfants sans-papiers, en particulier
les Roms, se heurtent à des problèmes encore plus graves. A plusieurs
reprises, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) s’est inquiétée de la représentation disproportionnée dans
des «écoles spéciales», craignant aussi que les enfants d’origine immigrée
ne soient systématiquement orientés vers des écoles professionnelles
.
20. Peur d’être arrêté. La peur de retenir l’attention des autorités
et de se faire arrêter est une préoccupation majeure de la plupart
des familles migrantes sans-papiers. Devoir fournir à l’établissement
scolaire des informations obligatoires, notamment une adresse, pose
un problème, car les parents craignent qu'elles ne soient transmises
à la police ou à d’autres autorités. La peur que les enfants ou
les parents eux-mêmes ne soient arrêtés à la sortie de l’établissement
est aussi un facteur qui dissuade les parents d’envoyer leurs enfants
à l’école
.
21. Problèmes pratiques. La fréquentation scolaire peut être entravée
par toutes sortes de problèmes pratiques. Les familles et leurs
enfants peuvent avoir à se déplacer régulièrement. Même si la scolarité
est gratuite, il faut trouver l’argent pour les déplacements, les
livres, les fournitures, la nourriture, etc. Sans compter que, parfois,
certains enfants doivent aider leur famille en travaillant ou en
gardant de jeunes frères ou sœurs pendant que les parents travaillent.
Cela touche généralement davantage les filles que les garçons. Une
foule d’autres facteurs entrent aussi en jeu; par exemple l’accès
à d’autres droits, tels que le logement (notamment l’intimité, l’espace
réservé aux enfants, l’espace pour faire les devoirs et leçons,
etc.) et la santé (qui peut affecter la capacité de l’enfant à étudier
et à fréquenter l’école).
22. Intégration et motivation. Les enfants se trouvent confrontés
à une série de problèmes d’intégration, à commencer par les difficultés
linguistiques et le manque d’aide pour rattraper le niveau des classes.
En outre, les enseignants sont bien rarement formés ou équipés pour
s’occuper d’enfants issus de cultures et d’origines différentes.
Qui plus est, certains enfants sont traumatisés par ce qu’ils vivent
et/ou ont vécu. Trop souvent aussi, on laisse l’enfant patauger
voire se noyer. Et, même si les enfants sont motivés, obtenir un
diplôme peut se révéler difficile en raison de leur statut. Cette
situation, discriminatoire, peut finir par fortement démotiver l’enfant
.
23. Pré- et postscolarité obligatoire. Ces périodes (école maternelle
et entre 16 et 18 ans) n’étant pas obligatoires dans bon nombre
de pays, le fait d’accueillir les enfants migrants sans-papiers
de cet âge en établissement scolaire est souvent contesté, Sans
compter que pour les plus âgés peuvent s’ajouter des obstacles aux
stages à effectuer dans le cadre de cet enseignement. Ces points
soulèvent tous des questions de discrimination
étant
donné le caractère public de cet enseignement et sa disponibilité
générale pour tous les autres enfants
.
2.2. La voie à suivre
24. En tenant compte des différents obstacles qui existent,
le rapporteur peut faire une série de recommandations pour rendre
la jouissance de ce droit plus effectif:
25. Une législation claire et non équivoque exprimant le droit
à l’éducation, voilà un bon point de départ. Cette législation doit
être appliquée et publiée par le biais de documents d’orientation,
de circulaires pédagogiques ou autres méthodes assurant une mise
en œuvre.
26. L’inscription et la fréquentation scolaires doivent être dissociées
de tout signalement concernant le statut et ne doivent pas servir
de piège, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'école, pas plus que
ne doivent être utilisées les informations concernant l’enfant ou
sa famille.
27. Les obstacles administratifs (absence d’adresse fixe, manque
de documents, etc.) ne doivent pas porter tort à l’enfant ni à l’école.
Des directives administratives doivent venir les assouplir. Quant
aux écoles qui accueillent des enfants migrants sans-papiers, elles
ne doivent pas être pénalisées, directement ou indirectement; au
contraire, elles doivent être correctement financées pour leurs
responsabilités supplémentaires.
28. Il convient de prendre des mesures pour encourager l’intégration
des enfants migrants sans-papiers. Une aide linguistique pour faciliter
l’apprentissage de la langue du pays d’accueil est un point de départ primordial.
Quant aux enseignants, ils bénéficieront d’une formation spécifique
pour s'occuper de ces enfants d'autres origines culturelles, aux
besoins complexes liés à leur situation passée et présente.
29. Il faut également s’attaquer aux risques de discrimination
pouvant se présenter lors de l’inscription et durant la scolarité.
A cet égard, la solidarité entre écoles est également nécessaire
pour éviter non seulement la discrimination mais aussi la création
d’«écoles ghettos».
30. La société civile joue un rôle déterminant à toutes les étapes,
que ce soit pour sensibiliser les migrants au droit à l’éducation
et à l'obligation de scolarisation, pour les aider à accomplir les
formalités, ou même pour les aider à assumer certaines charges financières.
Bien que le rôle de la société civile soit essentiel et exige l’appui
des autorités, il ne doit pas exonérer les gouvernements de leurs
propres responsabilités.
3. Soins de santé
31. Le droit de l’enfant aux soins de santé doit aller
de soi. Dans l’ensemble, c’est le cas, tout au moins pour l’aide
médicale d’urgence, généralement accessible, même pour les adultes.
En revanche, l’aide médicale complète pose bien davantage problème,
et elle est assurée avec beaucoup plus de parcimonie.
32. Lors de la 8e Conférence des ministres européens de la Santé
des pays membres du Conseil de l’Europe, à Bratislava les 22 et
23 novembre 2007, dans leur déclaration, les ministres ont indiqué:
«Les Etats membres s’assureront que les migrants irréguliers puissent
accéder à des services de soins conformément aux traités internationaux
en vigueur, ainsi qu’au droit et aux politiques nationales.» D’autre
part, les ministres ont fait savoir que les Etats membres devaient
œuvrer à l’élimination des barrières et obstacles qui empêchent en
pratique d’accéder à la protection de la santé, y compris pour les
personnes qui sont en situation irrégulière en ce qui concerne les
soins d’urgence. Les ministres ont également souligné la nécessité
d’une protection particulière pour les enfants. Il s’agit là d’un
message sans équivoque, tout au moins concernant les soins d’urgence,
de la part du Comité des Ministres.
33. Selon un récent rapport de juillet 2010, sur «les politiques
en matière de protection de la santé pour les migrants sans-papiers
dans l’UE27: vers un cadre comparatif», le droit aux soins de santé
pour les migrants sans-papiers dans l’Union européenne des 27 se
divise en trois catégories. Le premier groupe de pays est classé
comme n'accordant «aucun droit». Dans ces pays, la protection sanitaire
est tellement restreinte que même les soins d’urgence sont inaccessibles.
Le deuxième groupe de pays accorde des droits minimaux, à savoir
uniquement les soins d'urgence (ou les soins dits immédiats, urgents
ou similaires), tandis que le troisième groupe de pays accorde des
droits allant au-delà de l’aide médicale d’urgence, tels que soins
de santé primaires et secondaires
.
34. Lors de l’audition organisée par la commission des migrations,
des réfugiés et de la population, à Bruxelles, ont été passées en
revue plusieurs études de cas qui mettaient graphiquement en contexte
les problèmes et les conséquences de la non-garantie du droit aux
soins de santé, en dehors d’une aide médicale d’urgence. A partir
de ces études de cas, le rapporteur a regroupé les questions suivantes
pour replacer les problèmes dans une perspective purement pratique:
acceptons-nous de refouler un enfant atteint d’une forte fièvre
au prétexte que les parents se trouvent en situation irrégulière
et que sa vie n’est pas encore en danger ? Est-ce que le mal dont
souffre l’enfant risque de s’aggraver ? Si la maladie n’est pas
traitée, y a-t-il risque de traitement ou d’hospitalisation d’urgence,
et quel est le coût (humain et financier) de l’absence de traitement des
premiers symptômes? L’enfant pourrait-il être contagieux et, en
l’absence de traitement, constitue-t-il une menace pour la santé
du public, notamment pour les autres élèves?
35. Selon le droit international, la Convention relative aux droits
de l’enfant est sans ambiguïté quant aux soins de santé. L’article 24
prévoit que les «Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant
de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de
services médicaux et de rééducation. Ils s'efforcent de garantir qu'aucun
enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services». Cela
vaut pour tous les enfants, avec ou sans papiers.
36. Le droit international prévoit beaucoup d’autres dispositions
. La Convention
européenne des droits de l’homme a lié le déni des soins de santé
à son article 3 et, dans une réclamation collective (
FIDH c. France ), le Comité
européen des Droits sociaux a déclaré que les soins de santé en
faveur des enfants migrants sans-papiers ne peuvent se limiter aux
situations médicales où la vie est en danger.
37. Alors que la législation nationale devrait refléter le droit
international et, par conséquent, clairement établir le droit aux
soins de santé au-delà d’une aide médicale d’urgence, il n’en est
rien. Dans un rapport sur les enfants sans-papiers en Europe
, l’ONG PICUM identifie au niveau national
quatre différents types de protection: certains pays accordent le
droit à tous les enfants (l’Espagne est particulièrement saluée
à cet égard), d'autres font la distinction entre enfants séparés
et enfants sans-papiers (Belgique, France et Italie), un autre groupe
assure les soins de santé à la discrétion du médecin local (Pays-Bas
et Royaume-Uni), tandis qu’un dernier groupe de pays ne prévoit
aucune législation spécifique (Hongrie, Malte et Pologne).
38. Ce qui apparaît clairement, c’est un grand manque de cohérence
à travers l’Europe. Certains pays sont dotés de dispositions législatives
spécifiques alors que d’autres non, les niveaux de prise en charge
médicale varient considérablement, le pouvoir discrétionnaire prévaut
largement, sans compter une discrimination manifeste, non seulement
entre ressortissants, immigrés légaux et immigrés clandestins, mais
aussi entre mineurs non accompagnés et enfants migrants sans-papiers
accompagnés.
39. Reste qu’il ne s’agit pas seulement d’une question d’accès
légal mais aussi d’accès pratique aux soins médicaux, comme en témoignent
les statistiques suivantes: dans une récente publication intitulée
«L’Accès aux soins des personnes sans autorisation de séjour dans
11 pays d’Europe»
,
l’Observatoire européen de Médecins du Monde a constaté que 70%
des personnes interrogées pouvaient bénéficier théoriquement d’un accès
à une forme minimale de soins médicaux, avec des variations allant
de 3% en Grèce à 98% en Belgique. Toutefois, un quart des personnes
concernées ne le savaient pas – avec de larges différences entre
les pays (par exemple, 52% au Royaume-Uni contre 6% en Espagne).
Selon les conclusions de l’enquête, dans la pratique, 80% des personnes
interrogées n’ont pas eu vraiment accès à une couverture de santé
lors du dernier épisode de maladie
.
40. D’autres statistiques indiquent l’étendue du problème révélé
par cette enquête. Ainsi, 29% des personnes concernées avaient renoncé
à des soins (principalement des consultations médicales et des vaccinations)
pour leurs enfants au cours des douze derniers mois
. D’autres statistiques indiquent les dangers
du point de vue de la contagion. Ainsi, seul un tiers des personnes
concernées savait avoir le droit à des tests HIV gratuits, ce qui
révèle un déficit manifeste d’information
.
3.1. Obstacles à l’accès
aux soins de santé
41. Voici, selon l’enquête menée par l’Observatoire européen
de Médecins du Monde
,
les cinq principaux obstacles à l’accès aux soins, par ordre décroissant:
problèmes administratifs, coût des consultations médicales, complexité
du système, dépenses de traitement et peur d’être signalé. Il existe
d’autres obstacles, en termes de pouvoirs discrétionnaires des travailleurs
de santé, de discrimination, de barrières de la langue, etc. Voici
les plus importants.
42. Problèmes administratifs et complexité du système. Prenons
un exemple national: en France, pour obtenir l’aide médicale publique,
les autorités exigent une adresse, des photos des enfants et une
preuve de séjour de plus de trois mois, le tout renouvelable chaque
année. Ces obligations ont un effet dissuasif pour beaucoup de migrants
et leurs enfants.
43. Autre exemple, en Belgique cette fois, où les enfants migrants
sans-papiers ont en théorie le droit à une aide médicale (depuis
1996) au même titre que les ressortissants du pays. Pour simplifier,
disons que cette procédure oblige un médecin à remplir un formulaire,
le patient à se présenter devant des services sociaux municipaux
pour obtenir l’accès aux soins de santé, les services sociaux à
vérifier que personne d’autre n’est responsable; enfin, une carte
de santé ou une autorisation spécifique est délivrée pour une durée
maximale de trois mois. Ce processus doit être répété tous les trois
mois
.
Comme le rapporteur l’a entendu lors de l’audition à Bruxelles,
les professionnels de santé ne connaissent pas toujours la législation
ni les procédures. Même le nom de la législation («Aide médicale
urgente») est ambigu, car n’oublions pas qu’il couvre aussi bien l’aide
curative que préventive. Les procédures diffèrent selon que le patient
est ou non muni de papiers ou est un demandeur d’asile débouté.
Sans compter que, durant leur séjour en Belgique, les personnes
peuvent avoir différents statuts administratifs successifs (sans-papiers,
avec permis provisoire, demandeurs d’asile déboutés, etc.) Chaque
fois qu’un patient change de catégorie ou de lieu de résidence,
une nouvelle procédure est exigée. Le rapporteur a entendu dire
que beaucoup de professionnels de santé refusent purement et simplement
de se laisser embarquer dans les complications administratives,
jugeant les procédures trop lourdes et complexes
.
44. L’on peut dire que souvent les procédures sont tellement longues
qu’elles en deviennent inutiles, l’examen, le traitement et la médication
étant généralement nécessaires dans l’immédiat.
45. Consultations et soins médicaux trop onéreux: c’est là pour
beaucoup un véritable obstacle. Le rapporteur a eu connaissance
de cas montrant combien il peut être difficile pour des familles
de trouver les fonds nécessaires au financement des consultations
puis les médicaments nécessaires au traitement. Un exemple illustre
la fausse économie réalisée en ne proposant pas d’aide médicale
gratuite tant que la vie n’était pas mise en danger. Un enfant apathique
et fiévreux est emmené chez le médecin mais, la famille ayant épuisé son
argent pour la consultation, elle n’a pas les moyens d'acheter les
médicaments nécessaires. L’enfant allant de plus en plus mal, les
parents doivent l’amener aux urgences à l’hôpital, lequel n’a finalement
pas d’autre choix que d’admettre l’enfant. Certes, l’hôpital aurait
pu prescrire le traitement nécessaire à domicile, mais les parents
de l’enfant n’auraient pas eu les moyens de se le procurer. Résultat:
ce sont les deniers publics qui ont dû prendre en charge le coût
comparativement élevé de l’hospitalisation de l’enfant durant plusieurs
jours.
46. En raison des dépenses et des difficultés inhérentes à l’accès
au traitement médical, il arrive que, lorsque des soins de santé
sont proposés, ils soient acceptés même s’ils ne sont pas nécessaires.
Comme l’a constaté le rapporteur lors de l’audition à Bruxelles,
l’une des rares choses généralement accessibles est la vaccination.
De ce fait, l'on trouve des cas d'enfants plusieurs fois vaccinés
au fil des déplacements des familles à travers l’Europe. Comme elles
ne détiennent aucune carte médicale où inscrire cette vaccination
et que celle-ci est l’unique chose offerte gratuitement, ils la
prennent, par mesure de sûreté; ce qui est loin d’être «plus sûr»
et représente une utilisation navrante des ressources.
47. Une solution pratique consisterait à introduire une carte
médicale européenne itinérante pour aider les immigrés clandestins
et leurs enfants à suivre leurs vaccinations et leur traitement,
mais aussi les professionnels de santé tout au long du parcours
médical.
48. Peur d’être signalé ou arrêté. Bien que cette peur soit parfois
plus imaginaire que réelle, elle demeure un important obstacle psychologique
à surmonter par les familles d’immigrés en situation irrégulière.
Dans les faits, il ne semble pas y avoir d’arrestations intervenant
dans les hôpitaux ni dans les cabinets de consultation médicale.
Pour autant, il faut clairement établir auprès des autorités et
des immigrés clandestins que, en aucun cas, les professionnels de
santé ne sont tenus de signaler les personnes en situation irrégulière.
49. Discrétion et discrimination. Discrétion et bon vouloir semblent
jouer un rôle important dans un certain nombre de pays. Ce pouvoir
discrétionnaire peut, cependant, poser problème car il risque aussi
de conduire à une discrimination. Les soins de santé ne doivent
pas être livrés à un pouvoir discrétionnaire, de même que la société
civile n’a pas à pallier le manque d’aide médicale. Prenons l’exemple
du Royaume-Uni, où les enfants migrants sans-papiers n'ont, en principe,
droit qu'aux soins de santé considérés comme «urgents» et «immédiatement
nécessaires», les parents étant redevables des frais occasionnés
par tout traitement secondaire. Toutefois, les médecins généralistes
disposent du pouvoir discrétionnaire d’inscrire des personnes au
service national de santé (National Health Service System, NHSS)
même si elles font partie de groupes exclus
.
50. Le rapporteur note combien il est difficile de fournir des
services de santé dans une société de plus en plus multiculturelle,
et la multitude de défis que cela engendre pour les Etats membres
qui organisent ces services. La situation des enfants migrants sans-papiers
n’est que l’un des aspects à absolument prendre en compte, et les
Etats membres sont encouragés à le faire. Cela doit être le cas,
en particulier, pour mettre en application la Recommandation Rec(2006)18
du Comité des Ministres sur les services de santé dans une société
multiculturelle. Le rapporteur espère voir bientôt finalisé le texte
d’une recommandation sur la mobilité, les migrations et l’accès
aux soins de santé, aujourd’hui en cours d’adoption au sein du Comité
des Ministres.
3.2. La voie à suivre
51. La voie à suivre devient moins compliquée dès lors
qu’un enfant malade est considéré, tout simplement, comme un enfant
malade, qui a besoin d’attention et de soins médicaux quel que soit
son statut.
52. Pour commencer, il faut une base législative dissociant clairement
soins de santé et statut pour les enfants migrants sans-papiers.
Ces soins doivent couvrir, bien au-delà d’une aide médicale d’urgence,
tous les soins de santé sans discrimination, au même titre que pour
les autres enfants.
53. Dans le cadre d’une législation nationale non discriminatoire
et de sa mise en application, la discrimination dans l’accès des
enfants migrants sans-papiers aux soins de santé doit être contrôlée
en priorité.
54. D’autre part, il est essentiel de réduire les obligations
administratives au minimum et de simplifier le système autant que
faire se peut, tant dans l’intérêt des patients que dans celui des
travailleurs de santé.
55. Il convient d’améliorer la circulation des informations destinées
aux travailleurs de santé afin qu’ils connaissent leurs obligations
juridiques et sachent comment s’acquitter des formalités nécessaires.
Même chose pour les patients et leurs familles, qui doivent être
dûment informés de leurs droits.
56. Le coût des consultations et des traitements sanitaires ne
doit pas être dissuasif, afin de permettre aux personnes d’obtenir
une aide médicale sans avoir à recourir à des mesures d’urgence
qui, au final, peuvent s’avérer plus onéreuses pour les autorités.
57. Aucun devoir de dénonciation aux autorités ne doit être imposé
aux travailleurs de santé, qui, de même que leurs patients, doivent
en être parfaitement conscients.
58. En fonction des obstacles linguistiques existants, des services
d’interprétariat adéquats seront mis à disposition, par voie téléphonique
ou autre.
59. Chaque enfant doit être doté d’un dossier médical individuel,
qui le suivra dans les déplacements de sa famille.
60. L’Organisation mondiale de la santé doit être encouragée à
examiner la problématique du droit des enfants migrants sans-papiers
aux soins de santé en vue de superviser la situation et de publier
de nouvelles recommandations.
61. Enfin, lors de la mise en application de la Recommandation
Rec(2006)18 du Comité des Ministres sur les services de santé dans
une société multiculturelle, les Etats membres doivent prendre en
compte les besoins spécifiques des enfants migrants sans-papiers.
4. Logement
62. L’accès au logement compte parmi les questions les
plus difficiles à aborder. Les migrants en situation irrégulière
se trouvent complètement en marge de la société et, généralement,
sans filet de secours pour empêcher leurs familles et leurs enfants
de sombrer dans une totale indigence. Ils peuvent rarement prétendre au
logement public et sont majoritairement exclus du marché privé du
logement, soit pour cause de racisme et de discrimination, soit
peut-être en raison de leur statut ou, simplement, de leur instabilité
financière. Exposés aux pratiques abusives, souvent ils ne trouvent
d’hébergement que sur le marché non réglementé du logement et finissent
par vivre dans des conditions de saleté, de surnombre et d’insalubrité
dangereuses.
63. Selon l’enquête réalisée par l’Observatoire européen de Médecins
du Monde
,
seulement 46% des personnes interrogées disposaient d’un logement
stable. Parmi celles se trouvant dans des conditions de logement
précaires, 78% vivaient chez leur famille ou des amis, et 14% occupaient
une propriété sans bail ni contrat légal. 86% des personnes vivaient
avec des enfants dans un logement surpeuplé.
64. Il ne faut pas sous-estimer l’effet que ce surpeuplement peut
avoir sur les enfants en termes de manque d’intimité et d’espace
séparé des adultes – par exemple, sans espace où jouer seul ou avec
d’autres enfants et sans espace pour faire les devoirs scolaires
ou autres activités.
65. Des conventions internationales couvrent le droit à un niveau
de vie adéquat, notamment au logement
.
Dans son article 27.3, la Convention relative aux droits de l’enfant
stipule: «Les Etats parties adoptent les mesures appropriées, compte
tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour
aider les parents et autres personnes ayant la charge de l'enfant
à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance
matérielle et des programmes d'appui, notamment en ce qui concerne l'alimentation,
le vêtement et le logement.»
66. Au niveau européen, en vertu de la Convention européenne des
droits de l’homme, les articles 8 (Droit au respect de la vie privée
et familiale) et 3 (Interdiction des traitements dégradants) sont
les articles les plus pertinents
.
67. S’appuyant sur la Charte sociale européenne, le Comité européen
des Droits sociaux a adopté une position ferme sur la question.
Dans la réclamation
Defence for Children
International (DCI) c. Pays-Bas (no 7/2008), le comité
a conclu que les Etats parties sont tenus, en vertu des articles 17
et 31, paragraphe 2, de la Charte révisée, de fournir un hébergement
adéquat aux enfants illégalement présents sur leur territoire aussi longtemps
que ceux-ci se trouvent dans leur juridiction. Toute autre solution
serait une atteinte au respect de leur dignité humaine et ne prendrait
pas en compte la situation particulièrement vulnérable de ces enfants.
En outre, le comité a déclaré qu'il convenait de trouver des alternatives
à la détention afin de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant.
Même chose pour des propositions ultérieures faites par les autorités
néerlandaises pour séparer les enfants et les placer dans des établissements
de protection sociale, jugées par les tribunaux comme une violation
du droit à la vie familiale
.
4.1. Problèmes dans
la pratique
68. La situation prévalant au niveau international ne
reflète pas ce qui se passe au niveau national. Comme le constate
l’enquête PICUM, déjà citée, il ne semble pas exister de législation
nationale protégeant ou garantissant aux enfants de migrants en
situation irrégulière le droit à un logement décent
.
69. Etant donné l’absence de législation, il n’existe pas grand-chose
dans la pratique, sans parler de bonnes pratiques, pour fournir
un logement aux enfants de migrants en situation irrégulière. Seule
exception à la règle: les enfants non accompagnés que, en général,
les autorités ont le devoir de loger – ce qui, toutefois, peut poser
le problème de la discrimination vis-à-vis des enfants migrants
sans-papiers et d’autres enfants.
70. Autre problème: si une famille de migrants en situation irrégulière
s’adresse aux autorités pour réclamer un logement, la demande risque
fort d’être rejetée; or, les autorités peuvent alors êtres tenues
de placer les enfants dans un centre si la famille ne peut leur
assurer un toit. Cette possibilité de placement des enfants dans un
centre entraîne toute une série de problèmes touchant essentiellement
au droit à la vie familiale.
71. Parfois, les mères de jeunes enfants peuvent obtenir un hébergement
de courte durée, mais le plus souvent dans des conditions insatisfaisantes
et dans des centres accueillant aussi des hommes. Autre groupe particulièrement
vulnérable: les enfants non accompagnés ne vivant pas en centre
d’hébergement – soit parce que les autorités ne connaissent pas
leur existence, soit parce qu’ils ont quitté ou fui le centre d’hébergement pour
une raison quelconque. Ces enfants se trouvent confrontés dans la
rue à toutes sortes de problèmes et de formes d’exploitation, notamment
au trafic existant.
72. Au lieu de s’améliorer, la situation semble s’aggraver. L’on
assiste à un durcissement des comportements à l’égard des migrants
en situation irrégulière en général, ainsi qu’à un durcissement
de ce type d’aide aux familles. Cette réaction est en partie politique
mais aussi, compte tenu de la crise, économique. Résultat: le fardeau
retombe sur la société civile, qui doit jouer un rôle sans cesse
grandissant pour fournir hébergement, conseils et aide matérielle
et juridique. Face à la multiplication des mesures visant à criminaliser les
migrants en situation irrégulière, ces organisations doivent prendre
garde à ne pas se mettre en porte à faux avec telle ou telle législation.
4.2. La voie à suivre
73. Une législation s’impose pour réglementer la situation
des enfants migrants sans-papiers en matière de logement, notamment
à la lumière de la décision prise par le Comité européen des Droits
sociaux dans le cadre de la réclamation collective contre les Pays-Bas.
74. Les autorités locales ne peuvent pas fermer les yeux sur la
situation critique de ces enfants, mais la solution ne peut pas
se limiter à un placement en foyer d’accueil. Ce type de mesure
susciterait des craintes, notamment s’agissant du droit à la vie
familiale défendu par la Convention européenne des droits de l’homme.
75. Les autorités doivent prêter une attention particulière à
la vulnérabilité des parents isolés accompagnés de jeunes enfants,
ainsi qu’aux enfants non accompagnés livrés à eux-mêmes.
76. La société civile n’est pas censée apporter toutes les solutions,
même si elle peut en fournir quelques-unes avec l’appui des autorités.
Sans pour autant exonérer les autorités de leurs propres responsabilités,
il faut davantage soutenir ces organisations de la société civile
pour leur permettre de fournir une aide aux personnes qui, autrement,
se verraient privées de toute ressource.
5. Détention
77. Comme l’a déclaré le rapporteur spécial sur les droits
de l’homme des migrants, la détention n’est jamais dans l’intérêt
supérieur de l’enfant.
78. Selon le droit international et, notamment, la Convention
relative aux droits de l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant
doit prévaloir. Il sera rarement dans l’intérêt supérieur de l’enfant
d’être placé en centre de rétention, où il risque de vivre dans
des conditions de confort insuffisantes, privé d’éducation, d’activités
et de loisirs et victime potentielle de toutes sortes de préjudices
psychologiques.
79. Outre l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit international
prévoit trois principaux dispositifs de protection contre la rétention
des enfants migrants en situation irrégulière. D’une part, la privation
de liberté doit être une mesure prise en dernier ressort (autrement
dit, toutes les autres solutions doivent avoir été épuisées); d’autre part,
la rétention doit durer le moins longtemps possible (dans la pratique,
pas plus de quelques jours); enfin, l’enfant ne doit être détenu
que si les conditions de rétention sont adéquates (en termes d'hébergement
sûr, d’hygiène, d’accès à des activités, d’éducation, etc.). Si
ces conditions ne sont pas remplies, la détention, qui doit toujours
faire l’objet d’un examen judiciaire, ne sera pas autorisée.
80. A cet égard, il convient de se référer à l’article 37 de la
Convention relative aux droits de l’enfant (qui exige que la détention
soit «une mesure de dernier ressort» et «d’une durée aussi brève
que possible»). Dans un cadre européen, l’on peut se référer aux
vingt principes directeurs adoptés par le Comité des Ministres sur le
retour forcé, qui définissent non seulement la détention comme une
mesure de dernier ressort et devant être aussi brève que possible,
mais impose aussi à la détention une longue liste de conditions
bien précises.
81. Un grand nombre d’autres références peut être fourni aussi
bien au niveau du Conseil de l’Europe que de l’Union européenne.
82. Au niveau national, selon l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, la plupart des pays de l’Union autorisent
la détention des enfants de migrants en situation irrégulière pour
des motifs liés à l’immigration, à l’exception de trois pays dotés
de dispositions interdisant la détention de ces enfants (Hongrie, Irlande
et Italie) et de quelques autres pays, tels la Belgique, Chypre
et Malte, dont la politique est de ne pas détenir ces enfants – bien
que, dans le cas de Malte, les enfants puissent être placés en détention
pendant la procédure de vérification de l’âge et que, à Chypre,
l’on relève des exemples de détention de l’enfant pendant la préparation
de son éloignement
.
83. Il semble que, de plus en plus, les Etats admettent le principe
de non-détention des enfants migrants sans-papiers, qu’ils soient
accompagnés ou non
. Ainsi, les Pays-Bas et le Royaume-Uni
ont tous deux récemment modifié leurs politiques sur cette question
et s’abstiennent, dans la mesure du possible, de placer des enfants
en détention. Aux Pays-Bas, par exemple, 300 mineurs se trouvaient
en détention en 2009. Le 10 mars 2011, le ministre des Migrations
a annoncé une nouvelle politique de dispense de détention des enfants,
sauf en cas de doute sur l’âge, de disparition antérieure, de délit
ou de procédure d’expulsion dans un délai de 14 jours.
5.1. Problèmes dans
la pratique
84. Dans la pratique, un certain nombre de problèmes
se posent dans l’application des normes internationales au niveau
national.
85. Quand faut-il appliquer le principe de l’intérêt supérieur
de l’enfant pour répondre à la question: «être ou ne pas être détenu?»
86. A quelle étape appliquer l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le problème avec les enfants migrants sans-papiers accompagnés,
c’est que trop souvent l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant
intervient après la décision de placer les parents en détention.
Cette démarche conduit à une décision qui, finalement, fait fi de l’intérêt
supérieur de l’enfant. Cela revient à choisir entre deux maux le
moindre: soit placer l’enfant en détention, soit le séparer de ses
parents.
87. Le rapporteur estime que, avant toute décision concernant
un parent et/ou un autre membre de la famille, un examen doit prendre
en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.
88. Décisions de séparer un enfant d’un parent. Dans le cadre
de la détention, ce type de décision pose un problème particulier
étant donné la contradiction entre les droits – le droit de ne pas
être détenu et le droit à la vie familiale et à ne pas être séparé
(voir, par exemple, le droit à la vie familiale mentionné à l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’homme, et le droit à
ne pas être séparé d’un parent, spécifiquement garanti par l’article 9.1
de la Convention relative aux droits de l’enfant).
89. Dans une étude sur la détention
, l’Agence des droits fondamentaux note
que la Suède est le seul pays à interdire expressément la séparation
d’un enfant de son/ses parents, soulignant aussi les différentes pratiques
nationales. Certains pays, tels que la France, la Lettonie et le
Portugal, préfèrent maintenir l’enfant avec les parents, alors que
d’autres, au contraire, s’abstiennent de placer les enfants en détention
mais n’hésitent pas à les séparer des parents – du moins en général
car, souvent, ils font aussi exception à cette règle. Autre option
(et manière d’esquiver la question) pratiquée dans certains pays:
placer le père en rétention mais libérer ou placer ailleurs le reste
de la famille.
90. Détention et séparation des enfants migrants sans-papiers
sont toutes deux à éviter. Aussi est-il impératif d’examiner toutes
les alternatives à la détention avant de décider d'incarcérer un
membre de la famille. Toute décision doit prendre en compte l’intérêt
supérieur et les vœux de l’enfant.
91. Conditions de détention. Les exemples ne manquent pas pour
montrer que, dans la réalité, les conditions de détention appliquées
dans de nombreux Etats membres devraient conduire à l’interdiction
de la détention des enfants de migrants en situation irrégulière.
A cet égard, l’on pourra se référer aux travaux et au suivi que
réalisent le CPT, le Commissaire aux droits de l’homme mais aussi
l’Assemblée parlementaire elle-même.
92. Le rapporteur rappelle que, parmi les vingt principes directeurs
du Comité des Ministres, celui concernant le retour forcé (principe 11)
stipule non seulement que la détention doit intervenir en dernier
ressort et aussi brièvement que possible, mais également que les
enfants doivent disposer de lieux d’hébergement séparés afin de
préserver leur intimité. Ils ont un droit à l’éducation (selon la
durée de leur séjour) et aux loisirs. En outre, le personnel et
les installations doivent être adaptés à l’âge de l’enfant.
93. De surcroît, il existe une jurisprudence à ce sujet à la Cour
européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire
Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique ,
la Cour a jugé que la détention d’enfants tchétchènes préalablement
à leur éloignement était irrégulière et leurs conditions de détention
inacceptables. Dans une autre affaire,
Mubilanzila
Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique , la Cour a jugé qu’il
y avait eu violation des articles 3 et 8 de la Convention s’agissant
de détention et du refoulement de l’enfant. L’enfant avait séjourné dans
un centre pour adultes pendant près de deux mois sans programme
d’accueil ni assistance adaptée, et n’avait pas été rapidement rapprochée
de sa mère.
94. L’âge de l’enfant. La détermination de l’âge de l’enfant pour
décider s’il peut ou non être mis en rétention soulève des difficultés
particulières. Les marges d’erreur peuvent être importantes (par
exemple, jusqu’à deux ans avec des radiographies du poignet) et
le bénéfice du doute doit toujours être accordé à l’enfant. L’Assemblée
a déjà donné des indications sur ce point dans la
Résolution 1810 (2011) sur les enfants non accompagnés en Europe et les problèmes
liés à l’arrivée, au séjour et au retour, où il est dit au paragraphe 5.10:
«La détermination de l’âge doit être uniquement entreprise en cas
de doutes raisonnables laissant penser que la personne n'est pas
mineure. Cette démarche doit être fondée sur la présomption de minorité
par une autorité indépendante qui procédera dans un certain délai
à une évaluation multidisciplinaire. Elle ne peut reposer uniquement
sur un avis médical. Les examens doivent seulement être réalisés
avec l’accord de l’enfant et de son tuteur. Ils ne doivent pas être
intrusifs ou contraires aux règles d’éthique médicale, et la marge
d’erreur des examens médicaux et autres doit être clairement indiquée
et prise en compte. Si la minorité de l’intéressé reste incertaine,
celui-ci doit avoir le bénéfice du doute. Les décisions liées à
l’évaluation doivent être susceptibles de recours administratifs
ou judiciaires.»
5.2. La voie à suivre
95. Dans un certain nombre de textes récents, l’Assemblée
a déjà fait part de ses inquiétudes concernant la détention des
enfants migrants sans-papiers, notamment pour les mineurs non accompagnés.
96. Sur cette question, le rapporteur souhaite néanmoins mettre
en lumière les principes suivants, à inscrire dans les législations
et dans les pratiques.
97. Pour commencer, il convient de prendre en compte l’intérêt
supérieur de l’enfant et de rechercher des alternatives à la détention.
98. Lorsque, à titre exceptionnel, la détention s’avère nécessaire,
elle doit être prévue par la loi et assortie de toutes les mesures
de protection et de recours judiciaire nécessaires.
99. En cas de placement en détention, celle-ci ne doit pas durer
longtemps et les installations, de même que les activités et l’assistance
éducative disponibles, doivent être adaptées à l’âge de l’enfant.
100. Si la détention a tout de même lieu, elle doit s’effectuer
dans des installations autres que celles des adultes, et l’enfant
ne doit pas être séparé d’un parent, sauf circonstances exceptionnelles.
101. Rappelons que, en aucun cas, un enfant ne doit être privé
de liberté au seul motif de son statut de migrant, et jamais à titre
de sanction.
102. Si un doute subsiste quant à l’âge de l’enfant, ce dernier
doit se voir accorder le bénéfice du doute.
6. Exploitation du
travail des enfants
103. Tout en gardant à l’esprit que l’Assemblée prépare
un rapport sur le thème «Il est temps d’examiner de plus près la
traite des travailleurs migrants aux fins d’exploitation de leur
travail» (voir doc. 12411), dans lequel cette question sera examinée
de manière plus approfondie, le rapporteur souhaite insister sur
un certain nombre de problèmes qui concernent les enfants migrants
sans-papiers. Compte tenu de leur précarité et de celle de leurs
familles, ces enfants risquent d’être amenés à mendier ou à voler,
ou d’être utilisés pour travailler dans des conditions dangereuses,
pour effectuer un travail illégal ou être exploités sexuellement.
Bien que ce problème concerne plus particulièrement les mineurs
non accompagnés, qui sont souvent victimes de la traite à ces fins
mais aussi à des fins d’exploitation sexuelle, il ne se limite pas
à ces derniers.
104. Ces enfants ont besoin d’une protection et leur place est
à l’école. Ils ne doivent pas se retrouver dans la rue ou dans des
ateliers clandestins ou d’autres lieux de travail. Le rapporteur
souligne l’existence d’un lien étroit entre les différents droits
examinés dans le présent rapport et l'exploitation à des fins de
travail, ce qui justifie une approche globale de la question des
droits des enfants migrants en situation irrégulière.
105. Pour obtenir quelques exemples d’exploitation des enfants
par le travail en Europe, on se référera à un rapport de l’UNICEF
Royaume-Uni qui met en évidence plusieurs problèmes: l’exploitation
économique et sexuelle d’enfants mendiants albanais en Grèce, les
enfants roumains amenés en France, en Italie et ailleurs pour prendre
part à des activités criminelles, les enfants d’Europe de l’Est
forcés à se prostituer, et les enfants d'Afrique de l'Ouest amenés
au Royaume-Uni et en France pour y travailler comme employés de
maison logés
.
106. La mendicité et les vols commis par des gangs de rue sont
un problème grandissant en Europe, les enfants étant utilisés pour
leur rapidité et leur agilité. Il est alors difficile de les arrêter
et de les garder, même lorsqu'ils font l'objet d'un placement. Selon
certains rapports, les gains en jeu peuvent être substantiels, ce
qui rehausse encore l'attrait de cette solution pour les gangs et
les réseaux criminels.
107. Le rapporteur a cru comprendre que certains pays ont essayé
de résoudre le problème en proposant d’interdire la mendicité. Malheureusement,
cette solution n’a fait que criminaliser à la fois certains groupes
et des enfants, ce qui a suscité des protestations parmi des associations
de droits de l’homme
.
108. La question est de celles qui méritent un examen approfondi
par l’Assemblée. Cela pourrait se faire dans le cadre du prochain
rapport sur la traite des travailleurs migrants aux fins d’exploitation
de leur travail, ou dans le cadre d’un rapport plus général sur
la question de l’exploitation des enfants par le travail en Europe.
6.1. La voie à suivre
109. Davantage d’informations sont nécessaires, notamment
sur les différentes formes d’exploitation, leur prévalence, les
personnes les plus exposées et les personnes ou groupes à l’origine
de l’exploitation.
110. Plusieurs questions spécifiques méritent un examen plus poussé:
l’exploitation sexuelle, l’utilisation des enfants pour mendier
et commettre des actes criminels, ainsi que les enfants employés
de maison, les ateliers clandestins et les autres formes d’exploitation
de la main-d’œuvre enfantine.
111. La question de la mendicité doit également être étudiée de
manière plus précise, à la fois sous l’angle de l’exploitation et
de la traite et sous l’angle de la discrimination et de la criminalisation.
7. Conclusions
112. «Un enfant est et reste un enfant.» C’est peut-être
là le principe le plus important à poser avant de s’intéresser de
plus près à la question des enfants migrants sans-papiers. L’enfant
n’est pas responsable de son statut de migrant; il doit pouvoir
bénéficier de tous les droits qui lui sont reconnus dans la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, avec comme point
de départ le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. De plus,
il ne doit pas être victime de discrimination en raison de son statut.
113. Partant, les Etats membres sont invités à réexaminer leur
législation et leur pratique pour veiller à ce que les enfants migrants
sans-papiers puissent jouir des droits et de la protection que leur
assure le droit international. Cette question ne doit pas être traitée
dans le contexte des migrations, mais dans la perspective de l’enfant.
Les questions de migration restent importantes, mais elles viennent
au second plan.
114. Le rapporteur est conscient que bien souvent la législation
des Etats membres reconnaît la nécessité de protéger les droits
de ces enfants, notamment dans le domaine de l’éducation et de l’aide
médicale d'urgence, ce dont il se félicite. Toutefois, la protection
offerte par la législation est loin d’être la même partout en Europe,
ce qui crée une différence de traitement regrettable d’un pays à
l’autre. La situation est encore plus préoccupante du point de vue
de l’application de la loi et des droits dans la pratique.
115. L’Assemblée et le Conseil de l’Europe dans son ensemble ont
un rôle important à jouer dans la protection de ce groupe vulnérable.
L’Organisation dispose des instruments juridiques et de droits de
l’homme nécessaires pour renforcer les droits de ces enfants et
a acquis, grâce à ses campagnes et activités de coopération, les
outils permettant de veiller à ce que cela soit fait dans la pratique.
Le rapporteur est d’avis que le Conseil de l’Europe et son Assemblée
peuvent et se doivent de relever ce défi.