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Résolution 1535 (2007)

Menaces contre la vie et la liberté d'expression des journalistes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 janvier 2007 (7e séance) (voir Doc. 11143, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. McIntosh). Texte adopté par l’Assemblée le 25 janvier 2007 (7e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par le nombre d’agressions et de menaces contre la vie et la liberté d’expression des journalistes en Europe en 2006 et en janvier 2007. Elle condamne avec la plus grande fermeté les meurtres de Hrant Dink en Turquie et d’Anna Politkovskaïa en Fédération de Russie, ainsi que les violentes agressions contre Fikret Huseynli, Bahaddin Khaziyev et Nijat Huseynov en Azerbaïdjan, Ion Robu en Moldova et Ihor Mosiyshuck, Sergueï Yanovski et Lilia Budjurova en Ukraine. Elle s’indigne aussi des appels au meurtre lancés récemment par des chefs religieux iraniens contre Rafiq Tagi et Samir Sedagetoglu en Azerbaïdjan, et contre Robert Redeker en France, ainsi que des menaces de mort proférées contre Mubarak Asani en Bosnie-Herzégovine, Drago Hedl et Ladislav Tomicic en Croatie, Slavica Jovanovic et Jahja Fehratovic en Serbie, et Vassil Ivanov en Bulgarie en raison de leur travail de journalistes. D’autres agressions contre des journalistes se sont peut-être produites en Europe sans éveiller l’attention du grand public. L’Assemblée déplore au plus haut point le fait qu’en Europe des journalistes doivent travailler en craignant pour leur vie et leur sécurité physique.
2. L’Assemblée rend hommage à tous les journalistes et à tous les médias qui font avancer la démocratie et l’Etat de droit par leur travail d’investigation sur des questions politiques et sociales d’intérêt général dans le respect des normes éthiques du journalisme. Le journalisme de haine, qui confond propagande et reportage, diffame les individus et enflamme le débat public au lieu de l’éclairer, est également en progression et doit être combattu.
3. La liberté d’expression et d’information dans les médias comprend le droit d’exprimer des opinions politiques et de critiquer les pouvoirs publics et la société, de dénoncer les erreurs des gouvernements, la corruption et la criminalité organisée, et de mettre en cause les pratiques et les dogmes religieux. Cette liberté, un des piliers de toute société démocratique, est garantie par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) (STE no 5). Les Etats membres du Conseil de l’Europe se sont engagés à défendre les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit; ils sont suivis dans cette voie par l’immense majorité des citoyens européens qui ont adhéré à ces valeurs dont l’Histoire les a parfois longuement et souvent douloureusement privés. La démocratie est en danger si les journalistes doivent craindre pour leur vie et leur sécurité. La liberté d’expression est une des pierres angulaires de la démocratie en Europe.
4. L’Assemblée estime que, pour que la démocratie soit effective, liberté d’expression et liberté de religion doivent aller de pair. Les agressions violentes et les menaces, auxquelles tel ou tel groupe se livre – au nom de sa religion – contre l’expression d’une opinion par l’écrit, la parole ou l’image, n’ont pas la moindre place dans la démocratie européenne.
5. L’Assemblée rappelle que, selon les termes des articles 2 et 10 de la CEDH, les Etats membres ont l’obligation légale d’enquêter sur tous les meurtres, violences physiques graves ou menaces de mort sur la personne de journalistes. Cette obligation découle des droits individuels du journaliste prévus par la Convention; elle résulte aussi de la nécessité, pour toute démocratie, de permettre aux médias de travailler sans subir d’intimidation ou de menaces politiques. La démocratie et l’Etat de droit sont mis à mal lorsque les journalistes peuvent être attaqués en toute impunité.
6. Les pouvoirs publics doivent faire preuve de retenue et de mesure lorsqu’ils appliquent des restrictions juridiques à la liberté d’expression. Les actes administratifs, tels que la délivrance d’autorisations pour les médias électroniques ou l’octroi de subventions aux médias, doivent être équitables et respecter l’égalité de traitement à l’égard de tous les journalistes et des entreprises médiatiques. La liberté de la presse est violée lorsque journalistes et médias font l’objet d’une discrimination arbitraire ou d’ordre politique.
7. Consciente de l’importance de l’article 10 de la CEDH pour la protection de la liberté des médias dans toute l’Europe, l’Assemblée estime que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour protéger concrètement la vie et la liberté d’expression des journalistes en Europe. Les requêtes auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme ne sont possibles qu’une fois l’infraction commise et après épuisement de toutes les voies de recours au niveau national; les jugements sont donc rendus très longtemps après les faits.
8. L’Assemblée est sensible aux plusieurs milliers de signatures recueillies et transmises à son Président par Reporters sans frontières (Paris) pour demander une enquête sur le meurtre d’Anna Politkovskaïa. Par ailleurs, elle apprécie les initiatives de l’Institut international de la presse (Vienne), d’ARTICLE 19 (Londres), de la Fondation pour la défense de la glasnost (Moscou), de l’Organisation des médias du sud-est de l’Europe (SEEMO, Vienne) et d’autres organisations, qui visent à informer le public de tous les meurtres de journalistes et des agressions que leur vaut leur métier. Les organisations professionnelles de journalistes et les médias peuvent soutenir leurs membres lorsqu’ils sont menacés ou agressés en leur proposant une aide et des formations, d’une part, et en sensibilisant les responsables politiques et le grand public à ce problème, d’autre part. Le travail de ces organisations professionnelles est protégé par les articles 10 et 11 de la CEDH, qui interdisent aux autorités étatiques d’imposer des restrictions injustifiées.
9. L’Assemblée n’a cessé de défendre la liberté des médias en Europe. Dans ce contexte, elle rappelle qu’elle a adopté la Recommandation 1506 (2001) sur la liberté d’expression et d’information dans les médias en Europe, la Recommandation 1589 (2003) sur la liberté d’expression dans les médias en Europe, la Résolution 1372 (2004) et la Recommandation 1658 (2004) sur la persécution de la presse dans la République du Bélarus, la Résolution 1438 (2005) et la Recommandation 1702 (2005) sur la liberté de la presse et les conditions de travail des journalistes dans les zones de conflit, la Recommandation 1706 (2005) sur les médias et le terrorisme et, enfin, la Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses.
10. L’Assemblée appelle les parlements nationaux:
10.1. à suivre de près l’avancement des enquêtes criminelles de ce type et à tenir les autorités responsables de toute absence d’enquête ou de poursuites – par exemple le Parlement russe en ce qui concerne le meurtre d’Anna Politkovskaïa;
10.2. à abolir les lois qui imposent des restrictions disproportionnées à la liberté d’expression et qui sont susceptibles d’être utilisées à mauvais escient pour inciter au nationalisme extrême et à l’intolérance – par exemple le Parlement turc en ce qui concerne l’article 301 du Code pénal turc relatif au «dénigrement de l’identité turque».
11. L’Assemblée invite tous les parlements concernés à ouvrir des enquêtes parlementaires sur les meurtres non élucidés, les agressions et les menaces de mort dont des journalistes ont été victimes, afin de faire la lumière sur ces affaires et d’élaborer en urgence des politiques efficaces visant à mieux protéger les journalistes et leur droit de faire leur travail sans subir de menaces.
12. L’Assemblée a condamné la disparition, en 2000, et le meurtre du journaliste ukrainien Georgiy Gongadze et a demandé aux autorités compétentes d’enquêter sur cette affaire. Elle est préoccupée par le manque de résultats de l’enquête et souligne le besoin d’assurer un environnement propice à un jugement indépendant.
13. Après l’arrestation de l’assassin supposé de Hrant Dink, l’Assemblée est unanime pour demander la suppression de l’article 301 du Code pénal turc, en vertu duquel Dink et d’autres journalistes ont été poursuivis. L’existence de cette disposition juridique limitant la liberté d’expression ne fait que valider les attaques légales et autres contre les journalistes.
14. L’Assemblée est déterminée à mettre en place un dispositif spécifique de suivi pour identifier et analyser les attentats contre la vie et la liberté d’expression des journalistes en Europe ainsi que l’avancée des enquêtes des autorités judiciaires et des parlements nationaux sur ces attentats, et invite par conséquent Reporters sans frontières, l’Institut international de la presse, la Fédération internationale des journalistes et d’autres organisations à lui signaler de tels attentats. L’Assemblée considère que des organisations et syndicats de journalistes indépendants et pleinement représentatifs offrent une protection importante à la liberté d’expression, et elle rejette toute idée d’agrément ou de contrôle par l’Etat quant à l’exercice de la profession de journaliste.