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Résolution 1689 (2009)

L’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses 60 années d’expérience

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 1er octobre 2009 (34e séance) (voir Doc. 12017, rapport de la commission des questions politiques, rapporteurs: M. Mignon). Texte adopté par l’Assemblée le 1er octobre 2009 (34e séance). Voir également la Recommandation 1886 (2009).

1. Il y a soixante ans, les Etats fondateurs du Conseil de l’Europe lui ont confié la mission de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, qui sont leur patrimoine commun et sur lesquels se fonde toute démocratie véritable.
2. Dans l’Europe actuelle, la démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit font partie intégrante de la vie quotidienne des Européens. La contribution de notre Organisation à ce qu’il en soit ainsi a été décisive. Elle reste le principal garant de la pérennité de ces valeurs. C’est vers le Conseil de l’Europe, en particulier vers la Cour européenne des droits de l’homme, que les Européens se tournent en dernier ressort lorsqu’ils estiment que leurs droits sont violés.
3. Pour que le Conseil de l’Europe puisse rester l’institution clé de promotion et de protection efficaces des principes et valeurs fondamentaux au service de tous les Européens, sa pertinence, son fonctionnement et son efficacité doivent être constamment améliorés. A cette fin, une analyse critique et honnête des orientations stratégiques de l’Organisation, de ses atouts et potentialités, mais aussi de ses défaillances, points faibles et limites, est indispensable.
4. En soixante ans, la situation géopolitique globale et européenne a connu des transformations bouleversantes. La fin de la guerre froide et l’effondrement des anciens régimes communistes ont rendu possible la réunification de l’Europe sur la base des idéaux et principes que défend le Conseil de l’Europe. Il est tout à fait naturel que notre Organisation ait été la première à accueillir en son sein les Etats de l’Europe centrale et orientale qui se sont engagés à respecter ces valeurs et à mettre à leur disposition son expérience.
5. Aujourd’hui, avec 47 Etats membres, le Conseil de l’Europe représente l’organisation paneuropéenne la plus large. Son rôle se décline en trois volets: institution-cadre pour la défense et la promotion de la démocratie pluraliste, des droits de l’homme et de la prééminence du droit; cadre d’activités normatives et espace juridique européen; laboratoire d’idées et forum large et inclusif de dialogue et de coopération politiques. L’acquis du Conseil de l’Europe dans ces domaines est unique et constitue une contribution indispensable à l’Europe d’aujourd’hui. Il doit être précieusement gardé et renforcé.
6. En soixante ans, le paysage institutionnel européen a également profondément changé. Pionnier de l’unité européenne – qui est son but statutaire –, le Conseil de l’Europe s’est spécialisé dans la défense des valeurs fondamentales et a partagé avec d’autres organisations son rôle en matière d’intégration européenne. En effet, un nombre croissant d’Etats membres du Conseil de l’Europe a décidé de s’engager dans une coopération plus avancée et approfondie dans d’autres enceintes, surtout au sein de l’Union européenne.
7. Cependant, le projet politique qui vise l’unité européenne dépasse les limites de l’Union européenne. Dans de nombreux domaines, la coopération européenne ne peut être efficace que si elle englobe le continent tout entier.
8. Le Statut du Conseil de l’Europe, ses instruments juridiques, son expérience et sa compétence en font un cadre approprié pour développer la coopération paneuropéenne sur un pied d’égalité. Il est donc primordial, pour l’avenir du Conseil de l’Europe, que son rôle d’organisation politique paneuropéenne soit réaffirmé et revitalisé, et qu’il continue à offrir aux Etats européens qui n’adhéreront pas à l’Union européenne la possibilité de participer à la construction d’une Europe unie.
9. En même temps, il est nécessaire de parvenir à une complémentarité accrue entre l’action du Conseil de l’Europe et celles de l’Union européenne et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), basée sur leurs compétences et domaines d’excellence respectifs, ainsi que sur les accords de coopération (mémorandum d’accord) signés avec ces organisations. Sur ce point, l’Assemblée estime qu’un partenariat plus avancé serait souhaitable avec l’OSCE, compte tenu des compétences de cette institution en matière de sécurité.
10. L’un des avantages comparatifs du Conseil de l’Europe est sa fonction traditionnelle de «réservoir d’idées», sa force de s’attaquer aux problèmes de société, à moyen et à long terme, et d’œuvrer à l’élaboration de normes et de politiques. Combinée avec le rôle de l’Organisation dans le suivi de la mise en œuvre des normes et du respect des obligations, cette qualité a été le gage de la pertinence du Conseil de l’Europe pour ses Etats membres.
11. Pour qu’il continue d’en être ainsi, le Conseil de l’Europe doit rester ferme dans la défense de ses valeurs fondamentales, tout en étant ouvert au dialogue et prêt à fournir son assistance. Il doit rester vigilant aux transformations de la société européenne sans chercher à éviter des sujets controversés, évaluer leur impact sur les valeurs essentielles et proposer des réponses adaptées. Il doit veiller à la mise en œuvre et au suivi efficaces de ses travaux. Il doit surtout renforcer ses canaux de communication avec les différents niveaux de la société européenne.
12. Les réussites indéniables de l’action du Conseil de l’Europe ne doivent pas empêcher le constat et la réflexion sur certains problèmes et difficultés dans son fonctionnement. A ce propos, l’Assemblée est préoccupée par certaines tendances qui pourraient signifier la baisse de l’engagement des Etats membres en faveur du Conseil de l’Europe: le faible niveau de participation des ministres des Affaires étrangères aux sessions ministérielles du Comité des Ministres; le contrôle insuffisant de l’application des résolutions et recommandations de l’Assemblée parlementaire; la croissance zéro en termes réels du budget ordinaire de l’Organisation; la réticence parmi les Etats membres à signer et à ratifier les instruments juridiques du Conseil de l’Europe; les tentatives de minimiser l’importance des différents mécanismes indépendants du monitoring, voire de les mettre en cause. Ces tendances doivent être renversées pour que l’engagement des Etats à la cause du Conseil de l’Europe soit confirmé par des actes concrets.
13. L’Assemblée est également préoccupée par une tendance dangereuse dans les activités du Conseil de l’Europe, y compris dans ses propres travaux, de privilégier une approche des problèmes à travers le prisme d’opportunité politique, au détriment des principes et valeurs fondamentaux dont ces problèmes relèvent. Cette tendance est particulièrement nuisible à la crédibilité de l’Organisation censée incarner la conscience démocratique de l’Europe.
14. L’Assemblée estime que la tenue régulière de sommets des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe permet de donner l’impulsion nécessaire à l’Organisation et de maintenir un degré élevé de responsabilité des Etats vis-à-vis de leurs obligations envers elle.
15. En matière budgétaire, l’Assemblée se réfère à son Avis 272 (2009) relatif aux budgets du Conseil de l’Europe pour l’exercice 2010. Les déclarations des Etats membres en faveur du Conseil de l’Europe doivent être traduites en un soutien réel et accru de son action, matérialisé en décisions budgétaires qui permettent à l’Organisation de s’acquitter pleinement de sa mission statutaire.
16. L’Assemblée estime également nécessaire d’attirer l’attention sur le fait que, de plus en plus souvent, les Etats membres de l’Union européenne soutiennent en bloc au Comité des Ministres les positions élaborées entre eux et présentées par la présidence de l’Union. Cette situation officialise en fait un nouveau clivage à l’intérieur même du Conseil de l’Europe et est préjudiciable à son unité et son avenir.
17. L’Assemblée se déclare en faveur du renforcement du rôle des conférences des ministres spécialisés du Conseil de l’Europe et de leur impact sur les travaux quotidiens de l’Organisation. Elle estime qu’il faudrait envisager des arrangements pour que les différents ministères spécialisés nationaux puissent intervenir dans le choix des priorités pour des actions intergouvernementales et contribuer au financement de certaines activités du Conseil de l’Europe.
18. Par ailleurs, l’Assemblée considère que le fonctionnement interne du Conseil de l’Europe, en particulier en ce qui concerne les relations entre ses organes statutaires, doit être mis davantage en conformité avec les principes et valeurs démocratiques qu’il défend. Elle regrette que, jusqu’à présent, ses propositions formulées dans la Recommandation 1763 (2006) sur l’équilibre institutionnel au Conseil de l’Europe n’aient eu que peu de suivi de la part du Comité des Ministres.
19. L’Assemblée est convaincue qu’un bon fonctionnement du Conseil de l’Europe n’est possible qu’avec un dialogue véritable, substantiel et permanent entre ses deux organes statutaires. Les canaux de dialogue et de consultation entre l’Assemblée et le Comité des Ministres doivent être revitalisés. Dans ce contexte, l’Assemblée salue l’esprit positif dans lequel se sont déroulées les récentes réunions informelles entre son Comité des présidents et le Bureau du Comité des Ministres.
20. Concernant les activités futures du Conseil de l’Europe, en plus des orientations énoncées dans la Déclaration du Comité des Ministres à l’occasion du 60e anniversaire de l’Organisation (CM(2009)50 final), une attention particulière devrait être réservée à certains autres domaines tels que la prévention des crises, en particulier dans les zones de conflits gelés, l’analyse des causes et la prévention du terrorisme et de l’extrémisme politique, la violence urbaine, le renforcement de la participation des citoyens à la vie politique, et l’impact de la crise économique sur la démocratie et les droits de l’homme.
21. L’Assemblée estime que les différents travaux du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie méritent d’être davantage mis en valeur, et qu’il faut créer sur la base de différents mécanismes et structures existant en la matière – tels que le Forum annuel sur l’avenir de la démocratie, les débats bisannuels de l’Assemblée sur l’état de la démocratie en Europe, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), l’Université d’été de la démocratie et le réseau des écoles des études politiques du Conseil de l’Europe – un «Davos de la démocratie», un véritable laboratoire d’idées, de réflexion et d’expertise qui pourrait devenir un pôle d’excellence et de référence à haute visibilité internationale.
22. Par ailleurs, compte tenu des effets de la mondialisation, la dimension extra-européenne de tous les problèmes traités au Conseil de l’Europe devrait être prise en compte. De ce point de vue, il conviendrait d’exploiter pleinement le potentiel offert par le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud), qui joue un rôle essentiel pour rapprocher le Conseil de l’Europe du reste du monde.
23. Concernant la situation de la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée réaffirme son soutien au rôle unique de cette juridiction et sa ferme position sur la nécessité de l’entrée en vigueur du Protocole no 14 à la Convention européenne des droits de l’homme (STCE no 194), et espère que, en attendant, l’entrée en vigueur rapide du Protocole no 14 bis (STCE no 204) permettra d’améliorer partiellement la situation. Elle rappelle l’obligation de tous les Etats membres de se conformer pleinement aux arrêts de la Cour. Ce faisant, elle se réfère à son Avis 272 (2009) relatif aux budgets du Conseil de l’Europe pour l’exercice 2010, et réitère sa position énoncée aux paragraphes 6 à 16 dudit avis. Elle attend de la conférence sur le fonctionnement de la Cour prévue au début de 2010 des initiatives fortes afin de trouver une solution politique à l’impasse actuelle qui met en danger la pérennité du système de justice européen en matière de protection des droits de l’homme.
24. L’Assemblée appelle tous les Etats membres:
24.1. à jouer pleinement leur rôle et à assumer leur responsabilité en tant que membres individuels et à part entière du Conseil de l’Europe, quelle que soit leur position par rapport à d’autres organisations;
24.2. à concrétiser leur attachement au Conseil de l’Europe par une participation plus active à ses activités, le renforcement du financement de celles-ci, une adhésion accrue à ses instruments juridiques et un respect plus strict de leurs obligations;
24.3. à éviter la politisation, la relativisation ou l’instrumentalisation des questions qui relèvent du domaine des principes et valeurs fondamentaux, au détriment de l’intégrité et du respect de ceux-ci;
24.4. à ne pas considérer les critiques qui peuvent être faites à leur égard dans le cadre du Conseil de l’Europe comme une action adverse ou un moyen de pression, mais comme une démarche ayant pour but d’éliminer des défaillances et d’améliorer le fonctionnement de la démocratie et le respect des droits de l’homme;
24.5. à veiller au strict respect et à la mise en œuvre complète et efficace des instruments juridiques du Conseil de l’Europe, et à garantir un fonctionnement sans entrave des mécanismes indépendants de suivi de l’Organisation et la mise en œuvre complète de leurs recommandations.
25. L’Assemblée appelle les responsables politiques européens de tous les niveaux à faire preuve de volonté politique pour assurer un soutien sans faille du Conseil de l’Europe dans l’accomplissement de ses missions statutaires.
26. L’Assemblée est consciente que ses propres activités et méthodes de travail doivent faire constamment l’objet d’une analyse critique et objective. En particulier, il faut résister aux tentations d’instrumentaliser ou de relativiser, en fonction de l’opportunité politique, des problèmes qui relèvent du domaine des principes et valeurs essentiels, au détriment de ceux-ci, et faire preuve de courage politique pour sanctionner des comportements incompatibles avec ces principes et valeurs. L’engagement individuel des membres de l’Assemblée à sa cause et la participation à ses activités sont essentiels. La tendance négative de baisse de participation des membres aux travaux de l’Assemblée, qui traduit en fait un désengagement politique, doit absolument être renversée.
27. L’Assemblée exprime sa ferme intention de contribuer encore davantage, par toutes ses activités, à ce que le Conseil de l’Europe reste un élément clé de l’architecture institutionnelle européenne, une institution de référence dans les domaines de ses compétences de base et un moteur de coopération paneuropéenne pluridimensionnelle dans d’autres secteurs de ses activités.
28. En ce qui concerne ses propres activités, l’Assemblée décide:
28.1. d’appeler instamment ses membres à faire plein usage de leurs mandats législatifs nationaux afin de promouvoir les valeurs du Conseil de l’Europe, d’assurer un plein soutien à ses activités, y compris en ce qui concerne son budget, et de faire connaître ses propres travaux;
28.2. de renforcer ses activités en ce qui concerne le développement de la base normative de la démocratie;
28.3. d’étudier, dans l’esprit positif des récentes réunions informelles entre le Comité des présidents de l’Assemblée et le Bureau du Comité des Ministres, les moyens de redynamiser le dialogue et de revitaliser les canaux de consultation avec le Comité des Ministres, ainsi que d’améliorer la coopération entre les différentes instances du Conseil de l’Europe sur les questions cruciales relevant de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit;
28.4. d’envisager la mise en place de mécanismes de coopération avec le Comité des Ministres et, le cas échéant, avec d’autres instances du Conseil de l’Europe, pour assurer une exécution plus complète des résolutions et recommandations de l’Assemblée parlementaire, et une réponse coordonnée en matière de prévention des crises et de règlement des conflits;
28.5. d’inviter plus souvent différents ministres spécialisés des Etats membres à intervenir au cours de ses débats;
28.6. de renforcer sa coopération et de viser à établir des relations de véritable partenariat avec les parlements nationaux des Etats membres;
28.7. d’envisager, en coopération avec les délégations nationales concernées, les moyens pour établir un dialogue préalable avec des représentants des Etats qui assumeront la présidence au Comité des Ministres, afin de contribuer à l’élaboration des programmes et à la définition des priorités des futures présidences;
28.8. d’examiner l’opportunité d’associer ex officio à son Bureau les présidents des délégations parlementaires des pays de la troïka (présidences sortante, courante et à venir du Comité des Ministres) afin de renforcer l’influence parlementaire sur les présidences du Comité des Ministres et d’assurer une plus grande continuité dans l’action de l’Assemblée;
28.9. de veiller à une plus grande pertinence de ses travaux et à une sélection plus rigoureuse des sujets à traiter, de manière à ne pas se laisser instrumentaliser par des intérêts nationaux ou partisans;
28.10. d’envisager des moyens pour renforcer les activités ciblées sur des groupes sociaux spécifiques et, en particulier, d’examiner la possibilité d’organiser régulièrement à Strasbourg des réunions d’une assemblée européenne des jeunes;
28.11. d’examiner l’opportunité de revenir à des mandats d’une durée de trois ans pour son Président et les présidents des commissions afin d’assurer une plus grande continuité de ses travaux et de faire rapport à l’Assemblée parlementaire sur la question. Tout changement apporté devra entrer en vigueur après l’élection du nouveau Président de l’Assemblée parlementaire, en janvier 2010;
28.12. d’intensifier la coopération avec le Parlement européen sur la base de l’accord sur le renforcement de la coopération entre les deux institutions;
28.13. de renforcer ses relations avec des partenaires extérieurs et, en particulier, de promouvoir les liens avec les parlements des Etats voisins de l’Europe dans le cadre du statut de «partenaire pour la démocratie».