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Résolution 1754 (2010) Version finale
Lutte contre l'extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs
1. L’Assemblée parlementaire exprime
son inquiétude face à la résurgence de certaines formes d’extrémisme
en Europe qui, tirant avantage du cadre des droits et libertés garantis
par les démocraties européennes, poursuivent des objectifs contraires
aux valeurs européennes de la démocratie et des droits de l’homme,
et qui, dans le pire des cas, admettent, voire prônent, le recours
à la violence.
2. Parmi ces formes d’extrémisme, le racisme et la xénophobie
représentent une source de préoccupation majeure, compte tenu du
soutien électoral croissant recueilli par des partis qui s’inspirent d’idées
racistes – comme cela a été le cas lors de différents scrutins nationaux
récents et des élections au Parlement européen – et du risque non
négligeable de voir des partis politiques traditionnels s’appuyer
sur un discours raciste pour ne pas perdre une partie de leur électorat.
Il y a également lieu de s’inquiéter des discours de plus en plus
hostiles tenus par certaines personnalités publiques, qui frôlent
le discours de haine, voire relèvent bel et bien de cette catégorie.
3. Par ailleurs, l’opinion publique et les gouvernements européens
sont de plus en plus conscients de l’ampleur de la menace que représente
l’intégrisme islamique, une idéologie qui, bien qu’elle reste marginale en
Europe, exerce un attrait croissant sur les jeunes musulmans, trouvant
un terrain fertile dans leurs frustrations causées par le racisme,
la discrimination, l’exclusion sociale et le chômage, dont ils tendent
à souffrir davantage que le reste de la population. Cette forme
d’extrémisme a conduit à la perpétration de plusieurs attentats
terroristes meurtriers, dont certains sur le sol européen, comme
ceux de Moscou en 2002 et 2010, d’Istanbul en 2003, de Beslan et
de Madrid en 2004, et de Londres en 2005.
4. Les pays européens accueillent également un certain nombre
de groupes extrémistes, constitués de ressortissants étrangers qui
ne cherchent pas à nuire à leur pays de résidence, mais qui mènent
des activités de propagande et de collecte de fonds dans le but
de commettre des actes extrémistes dans leur pays d’origine, comme
renverser un régime par des moyens violents, déstabiliser le pouvoir
politique par des attentats terroristes ou par la guérilla, ou faire
sécession. Il est urgent d’élaborer un mécanisme juridique international
pour mettre un terme à toutes les formes de soutien financier aux
groupes extrémistes.
5. A titre d’exemple, on peut citer les Moudjahiddines du peuple
iranienet l’organisation terroriste
du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisations présentes
dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, et Euskadi
ta Askatasuna (ETA), qui possède des bases en France. Dans ce contexte,
l’Assemblée fait part de sa profonde inquiétude face à la résurgence
en Europe d’actes de violence commis par des groupes séparatistes,
comme récemment en Espagne et en Turquie où plusieurs attentats
meurtriers ont été perpétrés respectivement par les organisations
terroristes ETA et PKK.
6. L’Assemblée est consciente de la complexité du problème de
l’extrémisme, qui peut prendre différentes formes, et de sa nature
en constante évolution. Toutefois, malgré ces différences, toutes
les formes d’extrémisme qui prônent ou admettent la violence sont
contraires aux valeurs et aux principes du Conseil de l’Europe,
et doivent être combattues avec détermination, tout en respectant
pleinement les garanties et les sauvegardes consacrées par les Constitutions
des Etats membres et les instruments de protection des droits de
l’homme, notamment la Convention européenne des droits de l’homme
(STCE no 5 – la Convention).
7. A cet égard, l’Assemblée rappelle les articles 10 et 11 de
la Convention dédiés respectivement à la liberté d’expression, à
la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. Bien
que ces libertés soient les piliers d’une démocratie pluraliste,
leur exercice peut faire l’objet de restrictions. Ces restrictions
devraient toujours être prévues par la loi, constituer des mesures
nécessaires dans une société démocratique et viser les objectifs
légitimes énoncés dans la Convention, notamment la défense de l’ordre
et la prévention du crime, la protection de la morale et la protection
des droits d’autrui. L’article 17 de la Convention ajoute qu’aucun
Etat, groupement ou individu n’est en droit de se livrer à une activité
ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés
reconnus par la Convention ou à des limitations plus amples de ces
droits et libertés que celles prévues par la Convention elle-même.
8. Dans le même temps, l’Assemblée exprime ses doutes quant à
la conformité des législations contre l’extrémisme adoptées par
certains Etats membres du Conseil de l’Europe avec les instruments
internationaux de protection des droits de l’homme – tels que la
Convention – et rappelle qu’une définition trop générale ou vague
des infractions prévues par ces législations peut renforcer le risque
d’une application arbitraire de ces textes.
9. D’un point de vue politique, dans leur lutte contre l’extrémisme,
les Etats membres du Conseil de l’Europe sont confrontés à plusieurs
enjeux redoutables, dont, en premier lieu, celui de s’attaquer aux
causes profondes de l’extrémisme. Prendre des mesures fermes contre
la discrimination, mettre l’accent sur l’éducation civique et le
dialogue interculturel et interreligieux, associer la société civile
et les organisations non gouvernementales – en particulier celles
qui représentent des catégories de la société exclues, de droit
ou de fait, des voies de participation
ordinaires – aux processus de consultation ou de prise des décisions
constituent les principaux moyens de réduire l’attrait potentiel
des groupes et des mouvements extrémistes.
10. En ce qui concerne l’extrémisme islamiste, les Etats membres
du Conseil de l’Europe se doivent de répondre efficacement à cette
menace, tout en évitant de stigmatiser l’islam en tant que religion.
Des efforts supplémentaires doivent être faits pour lutter contre
l’islamophobie et la diffusion de stéréotypes négatifs sur l’islam
et les musulmans dans la société, dans l’esprit de la Recommandation
de politique générale no 5 de la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la lutte
contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans.
11. L’organisation des groupes islamistes extrémistes en cellules
indépendantes dormantes ou actives, dont les liens avec d’autres
groupes internationaux sont mal définis, pose des problèmes considérables
aux forces de l’ordre et aux services de renseignements nationaux,et à la coopération transnationale,
tant sur le plan de la prévention que sur celui de la détection.
L’exigence d’assurer l’efficacité d’action de ces organes ne doit
cependant pas servir de prétexte pour priver les parlements de leur
droit et de leur devoir de contrôle démocratique.
12. Enfin, l’Assemblée déplore que le défi consistant à instaurer
plus d’éthique en politique en ce qui concerne le traitement des
questions touchant à la race, à l’origine ethnique et nationale,
et à la religion soit encore à relever. A cet égard, elle rappelle
la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste,
signée par son Président et le Président du Parlement européen en
2003, et la Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes,
antisémites et xénophobes dans le discours politique, adoptée par
l’ECRI en 2005, textes dont l’Assemblée reconnaît toute la pertinence.
13. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats
membres du Conseil de l’Europe:
13.1. à
s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme en tant que priorité
dans la lutte contre ce phénomène, en prenant les mesures suivantes:
13.1.1. continuer d’agir résolument
contre la discrimination, dans tous les domaines;
13.1.2. mettre en place des processus de consultation, associant
la société civile et les organisations non gouvernementales représentant
des tendances très diverses de la société, y compris les catégories
qui courent le plus le risque de se radicaliser, et s’assurer ainsi
de la participation de la société civile dans l’élaboration et la
mise en œuvre de politiques anti-extrémismes;
13.1.3. mettre l’accent sur l’éducation à la citoyenneté démocratique;
13.1.4. concevoir des politiques d’immigration claires et durables,
assorties de politiques d’intégration appropriées;
13.1.5. renforcer leurs activités dans le domaine du dialogue
interculturel et interreligieux, également en souscrivant au Livre
blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel;
13.1.6. élaborer un mécanisme juridique international pour mettre
un terme à toutes les formes de soutien financier aux groupes extrémistes;
13.1.7. mettre en œuvre des politiques socio-économiques destinées
à contribuer aux efforts visant à éradiquer le racisme, la xénophobie
et l’intolérance dans la société, et notamment à éliminer toute
discrimination fondée sur les convictions religieuses en matière
d’accès à l’éducation et à l’emploi ainsi que sur le lieu de travail,
en matière d’accès au logement dans des zones de mixité, dans les
services publics et en matière de participation démocratique par
la citoyenneté;
13.2. à continuer à lutter contre le terrorisme et d’autres
formes d’extrémisme violent, tout en veillant au respect le plus
strict des droits de l’homme et de la prééminence du droit, en conformité
avec les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les droits
de l’homme et la lutte contre le terrorisme, adoptées par le Comité
des Ministres en 2002, et la Recommandation de politique générale
no 8 de l’ECRI pour lutter contre le
racisme tout en combattant le terrorisme;
13.3. à s’assurer que la législation anti-extrémisme est appliquée
de manière systématique et cohérente à toutes les formes d’extrémisme,
et à éviter tout risque d’une mise en œuvre arbitraire;
13.4. à s’assurer que les mesures de limitation ou d’interdiction
des activités des partis politiques extrémistes respectent la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme et les Lignes directrices
de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) de 1999 sur l’interdiction et la dissolution des partis
politiques et les mesures analogues, en particulier eu égard au
caractère exceptionnel de la dissolution des partis et à l’obligation
de rechercher d’autres sanctions avant d’appliquer une telle mesure;
13.5. à infliger les sanctions pénales prévues par leur législation
contre l’incitation publique à la violence, la discrimination raciale
et l’intolérance, y compris l’islamophobie;
13.6. à introduire dans leur législation pénale des dispositions
contre l’incitation à la haine raciale ou le discours de haine,
à mettre en œuvre, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Recommandation
no R (97) 20 du Comité des Ministres
sur le discours de haine, et à souscrire aux bonnes pratiques et recommandations
énoncées dans la publication du Conseil de l’Europe Manuel sur le discours de haine (2009);
13.7. à intensifier des mesures d’information appropriées afin
d’encourager les victimes d’actes extrémistes à les dénoncer aux
autorités compétentes;
13.8. à renforcer le contrôle par les parlements nationaux des
activités des services de renseignements, conformément à la Recommandation 1713 (2005) de l’Assemblée sur le contrôle démocratique du secteur
de la sécurité dans les Etats membres;
13.9. à améliorer l’analyse du phénomène de l’extrémisme ainsi
que la collecte et la comparabilité des données s’y rapportant;
13.10. à renforcer la coopération internationale afin d’empêcher
la diffusion de la propagande extrémiste sur internet;
13.11. à mettre en place une coopération étroite avec l’ECRI
et à soutenir ses activités.
14. En outre, l’Assemblée demande à ses membres, aux partis politiques
qu’ils représentent et à ses groupes politiques:
14.1. de promouvoir ou d’adhérer à
la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste;
14.2. de suivre les suggestions formulées par l’ECRI dans sa
Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes, antisémites
et xénophobes dans le discours politiqueet
dans saRecommandation de
politique générale no 5 sur la lutte
contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans;
14.3. de promouvoir la création de comités d’éthique au sein
des partis politiques et des parlements, dotés du droit de sanctionner
leurs membres en cas de comportements ou de discours racistes, antisémites,
xénophobes ou islamophobes.
15. Enfin, l’Assemblée encourage le Commissaire aux droits de
l’homme à consacrer davantage d’attention à toutes les formes d’extrémisme,
notamment l’islamophobie.