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Résolution 1754 (2010) Version finale

Lutte contre l'extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 5 octobre 2010 (30e séance) (voir Doc. 12265, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Agramunt Font de Mora; et Doc. 12337, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Marcenaro). Texte adopté par l’Assemblée le 5 octobre 2010 (30e séance). Voir également la Recommandation 1933 (2010).

1. L’Assemblée parlementaire exprime son inquiétude face à la résurgence de certaines formes d’extrémisme en Europe qui, tirant avantage du cadre des droits et libertés garantis par les démocraties européennes, poursuivent des objectifs contraires aux valeurs européennes de la démocratie et des droits de l’homme, et qui, dans le pire des cas, admettent, voire prônent, le recours à la violence.
2. Parmi ces formes d’extrémisme, le racisme et la xénophobie représentent une source de préoccupation majeure, compte tenu du soutien électoral croissant recueilli par des partis qui s’inspirent d’idées racistes – comme cela a été le cas lors de différents scrutins nationaux récents et des élections au Parlement européen – et du risque non négligeable de voir des partis politiques traditionnels s’appuyer sur un discours raciste pour ne pas perdre une partie de leur électorat. Il y a également lieu de s’inquiéter des discours de plus en plus hostiles tenus par certaines personnalités publiques, qui frôlent le discours de haine, voire relèvent bel et bien de cette catégorie.
3. Par ailleurs, l’opinion publique et les gouvernements européens sont de plus en plus conscients de l’ampleur de la menace que représente l’intégrisme islamique, une idéologie qui, bien qu’elle reste marginale en Europe, exerce un attrait croissant sur les jeunes musulmans, trouvant un terrain fertile dans leurs frustrations causées par le racisme, la discrimination, l’exclusion sociale et le chômage, dont ils tendent à souffrir davantage que le reste de la population. Cette forme d’extrémisme a conduit à la perpétration de plusieurs attentats terroristes meurtriers, dont certains sur le sol européen, comme ceux de Moscou en 2002 et 2010, d’Istanbul en 2003, de Beslan et de Madrid en 2004, et de Londres en 2005.
4. Les pays européens accueillent également un certain nombre de groupes extrémistes, constitués de ressortissants étrangers qui ne cherchent pas à nuire à leur pays de résidence, mais qui mènent des activités de propagande et de collecte de fonds dans le but de commettre des actes extrémistes dans leur pays d’origine, comme renverser un régime par des moyens violents, déstabiliser le pouvoir politique par des attentats terroristes ou par la guérilla, ou faire sécession. Il est urgent d’élaborer un mécanisme juridique international pour mettre un terme à toutes les formes de soutien financier aux groupes extrémistes.
5. A titre d’exemple, on peut citer les Moudjahiddines du peuple iranienet l’organisation terroriste du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisations présentes dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, et Euskadi ta Askatasuna (ETA), qui possède des bases en France. Dans ce contexte, l’Assemblée fait part de sa profonde inquiétude face à la résurgence en Europe d’actes de violence commis par des groupes séparatistes, comme récemment en Espagne et en Turquie où plusieurs attentats meurtriers ont été perpétrés respectivement par les organisations terroristes ETA et PKK.
6. L’Assemblée est consciente de la complexité du problème de l’extrémisme, qui peut prendre différentes formes, et de sa nature en constante évolution. Toutefois, malgré ces différences, toutes les formes d’extrémisme qui prônent ou admettent la violence sont contraires aux valeurs et aux principes du Conseil de l’Europe, et doivent être combattues avec détermination, tout en respectant pleinement les garanties et les sauvegardes consacrées par les Constitutions des Etats membres et les instruments de protection des droits de l’homme, notamment la Convention européenne des droits de l’homme (STCE no 5 – la Convention).
7. A cet égard, l’Assemblée rappelle les articles 10 et 11 de la Convention dédiés respectivement à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. Bien que ces libertés soient les piliers d’une démocratie pluraliste, leur exercice peut faire l’objet de restrictions. Ces restrictions devraient toujours être prévues par la loi, constituer des mesures nécessaires dans une société démocratique et viser les objectifs légitimes énoncés dans la Convention, notamment la défense de l’ordre et la prévention du crime, la protection de la morale et la protection des droits d’autrui. L’article 17 de la Convention ajoute qu’aucun Etat, groupement ou individu n’est en droit de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus par la Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues par la Convention elle-même.
8. Dans le même temps, l’Assemblée exprime ses doutes quant à la conformité des législations contre l’extrémisme adoptées par certains Etats membres du Conseil de l’Europe avec les instruments internationaux de protection des droits de l’homme – tels que la Convention – et rappelle qu’une définition trop générale ou vague des infractions prévues par ces législations peut renforcer le risque d’une application arbitraire de ces textes.
9. D’un point de vue politique, dans leur lutte contre l’extrémisme, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont confrontés à plusieurs enjeux redoutables, dont, en premier lieu, celui de s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme. Prendre des mesures fermes contre la discrimination, mettre l’accent sur l’éducation civique et le dialogue interculturel et interreligieux, associer la société civile et les organisations non gouvernementales – en particulier celles qui représentent des catégories de la société exclues, de droit ou de fait, des voies de participation ordinaires – aux processus de consultation ou de prise des décisions constituent les principaux moyens de réduire l’attrait potentiel des groupes et des mouvements extrémistes.
10. En ce qui concerne l’extrémisme islamiste, les Etats membres du Conseil de l’Europe se doivent de répondre efficacement à cette menace, tout en évitant de stigmatiser l’islam en tant que religion. Des efforts supplémentaires doivent être faits pour lutter contre l’islamophobie et la diffusion de stéréotypes négatifs sur l’islam et les musulmans dans la société, dans l’esprit de la Recommandation de politique générale no 5 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans.
11. L’organisation des groupes islamistes extrémistes en cellules indépendantes dormantes ou actives, dont les liens avec d’autres groupes internationaux sont mal définis, pose des problèmes considérables aux forces de l’ordre et aux services de renseignements nationaux,et à la coopération transnationale, tant sur le plan de la prévention que sur celui de la détection. L’exigence d’assurer l’efficacité d’action de ces organes ne doit cependant pas servir de prétexte pour priver les parlements de leur droit et de leur devoir de contrôle démocratique.
12. Enfin, l’Assemblée déplore que le défi consistant à instaurer plus d’éthique en politique en ce qui concerne le traitement des questions touchant à la race, à l’origine ethnique et nationale, et à la religion soit encore à relever. A cet égard, elle rappelle la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, signée par son Président et le Président du Parlement européen en 2003, et la Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique, adoptée par l’ECRI en 2005, textes dont l’Assemblée reconnaît toute la pertinence.
13. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
13.1. à s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme en tant que priorité dans la lutte contre ce phénomène, en prenant les mesures suivantes:
13.1.1. continuer d’agir résolument contre la discrimination, dans tous les domaines;
13.1.2. mettre en place des processus de consultation, associant la société civile et les organisations non gouvernementales représentant des tendances très diverses de la société, y compris les catégories qui courent le plus le risque de se radicaliser, et s’assurer ainsi de la participation de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques anti-extrémismes;
13.1.3. mettre l’accent sur l’éducation à la citoyenneté démocratique;
13.1.4. concevoir des politiques d’immigration claires et durables, assorties de politiques d’intégration appropriées;
13.1.5. renforcer leurs activités dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux, également en souscrivant au Livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel;
13.1.6. élaborer un mécanisme juridique international pour mettre un terme à toutes les formes de soutien financier aux groupes extrémistes;
13.1.7. mettre en œuvre des politiques socio-économiques destinées à contribuer aux efforts visant à éradiquer le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans la société, et notamment à éliminer toute discrimination fondée sur les convictions religieuses en matière d’accès à l’éducation et à l’emploi ainsi que sur le lieu de travail, en matière d’accès au logement dans des zones de mixité, dans les services publics et en matière de participation démocratique par la citoyenneté;
13.2. à continuer à lutter contre le terrorisme et d’autres formes d’extrémisme violent, tout en veillant au respect le plus strict des droits de l’homme et de la prééminence du droit, en conformité avec les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, adoptées par le Comité des Ministres en 2002, et la Recommandation de politique générale no 8 de l’ECRI pour lutter contre le racisme tout en combattant le terrorisme;
13.3. à s’assurer que la législation anti-extrémisme est appliquée de manière systématique et cohérente à toutes les formes d’extrémisme, et à éviter tout risque d’une mise en œuvre arbitraire;
13.4. à s’assurer que les mesures de limitation ou d’interdiction des activités des partis politiques extrémistes respectent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les Lignes directrices de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) de 1999 sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues, en particulier eu égard au caractère exceptionnel de la dissolution des partis et à l’obligation de rechercher d’autres sanctions avant d’appliquer une telle mesure;
13.5. à infliger les sanctions pénales prévues par leur législation contre l’incitation publique à la violence, la discrimination raciale et l’intolérance, y compris l’islamophobie;
13.6. à introduire dans leur législation pénale des dispositions contre l’incitation à la haine raciale ou le discours de haine, à mettre en œuvre, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Recommandation no R (97) 20 du Comité des Ministres sur le discours de haine, et à souscrire aux bonnes pratiques et recommandations énoncées dans la publication du Conseil de l’Europe Manuel sur le discours de haine (2009);
13.7. à intensifier des mesures d’information appropriées afin d’encourager les victimes d’actes extrémistes à les dénoncer aux autorités compétentes;
13.8. à renforcer le contrôle par les parlements nationaux des activités des services de renseignements, conformément à la Recommandation 1713 (2005) de l’Assemblée sur le contrôle démocratique du secteur de la sécurité dans les Etats membres;
13.9. à améliorer l’analyse du phénomène de l’extrémisme ainsi que la collecte et la comparabilité des données s’y rapportant;
13.10. à renforcer la coopération internationale afin d’empêcher la diffusion de la propagande extrémiste sur internet;
13.11. à mettre en place une coopération étroite avec l’ECRI et à soutenir ses activités.
14. En outre, l’Assemblée demande à ses membres, aux partis politiques qu’ils représentent et à ses groupes politiques:
14.1. de promouvoir ou d’adhérer à la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste;
14.2. de suivre les suggestions formulées par l’ECRI dans sa Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politiqueet dans saRecommandation de politique générale no 5 sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans;
14.3. de promouvoir la création de comités d’éthique au sein des partis politiques et des parlements, dotés du droit de sanctionner leurs membres en cas de comportements ou de discours racistes, antisémites, xénophobes ou islamophobes.
15. Enfin, l’Assemblée encourage le Commissaire aux droits de l’homme à consacrer davantage d’attention à toutes les formes d’extrémisme, notamment l’islamophobie.