1. Introduction
1. En Europe, les actes violents motivés par l’intolérance,
le racisme et la xénophobie se multiplient. Dans le même temps,
des partis véhiculant des messages à caractère raciste et xénophobe
parviennent à remporter des sièges aux parlements de nombreux Etats
membres du Conseil de l’Europe et entrent même parfois dans des
coalitions gouvernementales.
2. Cette évolution constitue une menace pour la démocratie et
pose un réel défi pour les droits de l’homme et le respect de la
dignité humaine en Europe. Bien qu’il incombe au premier chef aux
autorités et aux organes de l’Etat de lutter contre l’intolérance,
le racisme et la xénophobie, les organisations non gouvernementales (ONG)
jouent un rôle vital dans ce combat et ce, de plusieurs façons:
- en sensibilisant la société
civile à la montée de ces phénomènes et en la mobilisant pour les
prévenir et les combattre;
- en tirant la sonnette d’alarme et en poussant les autorités
à agir contre l’intolérance, le racisme et la xénophobie par des
lois et des mesures appropriées;
- en critiquant les personnalités et les institutions politiques
qui se livrent à un discours raciste ou le tolèrent, et en leur
demandant à l’inverse de montrer l’exemple;
- en veillant à l’application des mesures et de la législation
dans ce domaine;
- en offrant des conseils, une aide, une représentation
juridique et une aide matérielle aux victimes de l’intolérance,
du racisme et de la xénophobie.
3. Le présent rapport fait suite à une proposition de résolution
sur «Le rôle des ONG dans la résistance contre le nationalisme,
la haine des immigrés et la xénophobie en Europe»
.
4. Pour contribuer à la préparation de mon rapport, la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, lors de sa réunion tenue
à Paris le 4 juin 2012, a procédé à une audition avec la participation
de Mme Anna Triandafyllidou, du Centre
d’études avancées Robert Schuman de Institut universitaire européen
de Florence, et M. William Ejalu, ancien membre du bureau du Réseau
européen contre le racisme (ENAR) de Hongrie. Pour la rédaction
de ce rapport, je me suis appuyée sur des éléments exposés par les
orateurs invités lors de l’audition ainsi que sur des suggestions
apportées par des représentants des ONG membres de la Conférence des
Organisations internationales non gouvernementales du Conseil de
l’Europe (Conférence des OING), MM. Veysel Filiz et Christoph Spreng,
que je remercie pour leur conseils. L’objectif de ce rapport est
de présenter un éventail d’outils et de propositions pour encourager
et soutenir les ONG dans leur rôle prépondérant en vue d’endiguer
les fléaux que représentent l’intolérance, le racisme et la xénophobie.
2. La xénophobie
et le racisme dans le paysage politique
5. D’après une enquête réalisée en 2009 par l’Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne, les musulmans et
les Roms d’Europe font constamment l’objet d’hostilité et de discrimination
. Une multitude de rapports de la
Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
décrivent, dans une analyse approfondie par pays, à quel point les
comportements hostiles à l’encontre des minorités visibles se développent
dans la société.
6. La montée des comportements intolérants au sein de la société
s’explique en partie par les préjugés. Les médias véhiculent trop
souvent une image stéréotypée de la culture et des traditions des
minorités visibles; ils tendent à les présenter comme un bloc monolithique
et comme un corps étranger, ce qui ne correspond pas à l’histoire
et au patrimoine de l’Europe. Par ailleurs, dans la société européenne
multiculturelle, certains groupes différents vivent côte à côte,
préservant leur mode de vie, leur langue et leurs traditions mais
n’entrent pas forcément en contact avec les membres des autres communautés.
7. L’intolérance, le racisme et la xénophobie sont exacerbés
par les effets de la crise économique et le mécontentement d’un
nombre croissant d’Européens qui se sentent de plus en plus vulnérables
en matière d’emploi, de sécurité et de protection sociale. Les immigrés
et les étrangers sont perçus comme des concurrents pour les mêmes
emplois et formes d’aide publique.
8. Dans ce contexte, des organisations et des partis politiques
véhiculant des messages à caractère raciste et xénophobe se développent,
augmentent leur nombre d’adhérents, sont de plus en plus organisés
et deviennent parfois des acteurs clés de la scène politique.
9. Des exemples de cette tendance fleurissent dans le paysage
politique européen: le Front national en France, le Parti autrichien
de la liberté, l’Intérêt flamand (Vlaams Belang) en Belgique, le
Parti de la liberté aux Pays-Bas et les Démocrates suédois. En Grèce,
l’Aube dorée, à l’origine un groupe néonazi marginal, est devenue
en trois ans un parti politique et a remporté 7 % des voix lors
des deux dernières élections de 2012. En Hongrie, le Jobbik – troisième
plus grand parti au parlement – a des liens avec un groupe paramilitaire impliqué
dans des agressions de Roms. En République slovaque, le chef du
Parti national slovaque a réclamé l’an dernier la création d’un
Etat rom séparé
. Au cours de la dernière décennie,
des partis politiques qui prennent ouvertement position contre l’immigration
ou affichent des idées racistes se sont ralliés à des coalitions
au pouvoir ou ont auparavant soutenu des gouvernements minoritaires.
10. Le succès grandissant de ces partis aux élections sur tout
le continent n’est pas seulement un sujet de préoccupation en soi,
mais il a également un profond impact sur la vie politique en général.
Les thèmes de la migration et de l’intégration peuvent faire gagner
ou perdre une élection. Tous les partis doivent se prononcer sur
ces questions. Pour ne pas perdre de voix, les grands partis présentent
parfois une version édulcorée de la rhétorique des partis extrémistes.
Il en résulte que le ton du débat politique vire de plus en plus
à l’intolérance et au racisme, et que les partis véhiculant des
messages à caractère raciste et xénophobe sont légitimés en tant
qu’acteurs politiques.
11. Les ONG devraient mettre la question de l’immigration au cœur
de leur action, notamment pour aborder les thèmes de respect de
la diversité culturelle, ethnique et religieuse, du racisme et de
la xénophobie.
12. Nous sommes témoins de l’incapacité de tout le spectre politique
à rejeter et à condamner le racisme et l’intolérance. Rares sont
les partis politiques qui sont prêts à rappeler que les migrations
ont contribué à façonner l’histoire de l’Europe et à souligner les
nombreuses contributions des minorités et des migrants. De mon point
de vue, au lieu d’employer la peur pour alimenter leurs campagnes
électorales, les responsables politiques devraient engager des travaux
courageux et de longue haleine sur la diversité et la migration
en coopération avec la société civile.
13. La stratégie des partis véhiculant des messages à caractère
raciste et xénophobe est fondée sur l’instrumentalisation de la
liberté d’expression, qui ne peut être limitée à l’exception de
cas d’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse
; mais celle-ci
reste difficile à prouver légalement. A cet égard, les ONG ont un
rôle majeur à jouer dans la promotion et l’approfondissement de
la réflexion – tant au niveau juridique que politique – sur le lien
entre la liberté d’expression, en tant que droit fondamental devant
impérativement être défendu, et l’interdiction de l’incitation à
la haine nationale, raciale ou religieuse
14. Par ailleurs, il est tout aussi important de combattre le
racisme et l’intolérance sur le front intellectuel des idées et
des discours. Les ONG ont le pouvoir de lutter sur le terrain contre
la banalisation et l’instrumentalisation politique de l’intolérance,
de la xénophobie et du racisme.
3. Le rôle des ONG
dans l’évolution des mentalités
15. La montée de l’extrémisme, la xénophobie et le racisme
représentent une tendance préoccupante pour nos démocraties. La
xénophobie et le racisme se nourrissent de stéréotypes et de préjugés
qui doivent être évités et éradiqués. A cette fin, les ONG ont un
rôle décisif à jouer pour former et changer les mentalités et soutenir
la participation publique et la prise de conscience. La participation
active aux mouvements civiques et les actions des ONG permettent
souvent aux citoyens de faire l’expérience d’une coopération interculturelle qui
participe à la prévention et à la lutte contre les attitudes racistes.
16. L’une des racines de l’intolérance est le manque de connaissances
appropriées. Elle s’appuie sur un manque de compréhension et une
mauvaise perception des autres, nés d’une méconnaissance. Dans ce domaine,
tous les acteurs de la société devraient prendre des mesures clés,
et les ONG sont déjà très actives.
17. Des organisations comme le Conseil de la jeunesse pluriculturelle
international (COJEP International) ou l’Initiative européenne musulmane
pour la cohésion sociale (EMISCO) ont pour vocation de participer activement
à tous les groupes de travail et structures publiques en apportant
des idées et des propositions. Au sein du Conseil de l’Europe, on
pourrait suggérer que ces organisations créent des groupes de travail
ayant pour mission de présenter des propositions et des arguments
pour une meilleure mise en œuvre des instruments du Conseil de l’Europe.
18. En soulignant l’importance de l’éducation pour faire disparaître
la discrimination et l’exclusion, les ONG ont un rôle vital à jouer
dans la sphère éducative et dans les politiques de la jeunesse,
qu’il s’agisse de cibler directement les jeunes ou d’influer sur
les stratégies gouvernementales.
19. En donnant aux minorités la possibilité de s’exprimer, les
ONG peuvent renforcer leur capacité médiatique dans la société civile.
Les organisations de la société civile et les groupes minoritaires
peuvent se faire entendre dans les médias s’ils parviennent à concevoir
des stratégies de communication proactives et fournissent aux journalistes
des informations cohérentes et fiables. Avec les médias, les ONG
disposent d’un outil puissant pour combattre l’hostilité envers
les réfugiés et les demandeurs d’asile, l’islamophobie et l’anti-tsiganisme.
20. Les ONG ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les
stéréotypes et les préjugés. Il s’agit:
- de promouvoir la connaissance des différentes cultures
et traditions, y compris celles de groupes minoritaires, en offrant
des modèles ou des exemples de réussite qui montrent la contribution
positive des minorités à la société;
- de promouvoir la diversité et l’égalité dans la société;
- de renforcer la capacité des médias en désignant et en
formant des porte-parole spécialisés, qui peuvent produire un discours
public professionnel au nom des communautés minoritaires et des groupes
vulnérables;
- de transmettre aux journalistes des informations et des
données fiables sur les divers groupes de la société;
- de sensibiliser l’opinion et de promouvoir des campagnes
publiques à l’échelle nationale ou européenne.
4. Le rôle de représentation
des ONG
21. Il est capital que les minorités visibles et d’autres
groupes qui sont la cible de l’intolérance, du racisme et de la
xénophobie puissent intervenir sur la scène publique et exprimer
leurs intérêts et leurs inquiétudes par le biais d’associations
et d’organisations non gouvernementales. A cette fin, les ONG peuvent:
- fournir un moyen d’expression
et répondre activement aux besoins des populations victimes de discrimination;
- surveiller, prouver et dénoncer la discrimination;
- faciliter l’accès à la justice des victimes de la discrimination
en leur fournissant des conseils et une représentation juridique;
- conférer aux groupes les moyens de lancer des campagnes,
d’organiser leur propre défense et d’affirmer et de faire appliquer
leurs droits;
- informer les minorités du cadre juridique pertinent.
5. Les ONG, partenaires
des institutions publiques
22. Les ONG peuvent influer sur les institutions publiques
et le processus décisionnel:
- en
exerçant une fonction consultative auprès des institutions publiques,
en recommandant des mesures spécifiques de politiques pouvant être
efficaces dans la prévention et la lutte contre l’intolérance, le racisme
et la xénophobie;
- en participant à des structures dans lesquelles les ONG
et les institutions publiques jouissent d’une représentation égale;
- en assurant la liaison avec les collectivités territoriales;
- en renforçant les compétences et les capacités en tant
que source d’information pour les structures de suivi telles que
les défenseurs et les organismes de défense de l’égalité;
- en surveillant de façon critique les actions des institutions
publiques.
23. A titre d’exemple, citons Médecins du Monde qui travaille
notamment sur la question de l’accès aux soins des groupes vulnérables.
Une enquête de l’Observatoire de l’accès aux soins publiée en octobre
2011
, témoigne des conditions de
vie, de l’état de santé et de l’accès aux soins de santé des personnes
les plus pauvres et les plus discriminées: les migrants en situation
irrégulière. Parmi les résultats, l’enquête montre que l’accès aux
soins de santé est inégal entre les pays européens, mais il est
aussi très restrictif dans chacun d’eux. Les soins médicaux aux
sans-papiers sont largement insuffisants; 72 % de leurs problèmes
de santé sont mal ou pas du tout traités. D’ailleurs, en Espagne
la réforme de la santé entrée en vigueur le 1er septembre 2012
supprime l’accès gratuit aux soins pour les immigrés en situation
irrégulière et illustre de façon alarmante la discrimination
de facto dont sont victimes ces
populations.
24. Ces travaux sont indispensables à l’information des décisionnaires
européens et donnent lieu à des recommandations précieuses pour
les Etats membres de l’Union européenne et le Parlement européen.
Ce dialogue et le partenariat entre les ONG et les pouvoirs publics
est essentiel pour améliorer les politiques et la législation dans
le domaine du racisme et de la xénophobie, et pour veiller à ce
que dans leur élaboration, leur application et leur suivi, le point
de vue des groupes minoritaires soit pris en compte. De fait, en
participant aux mécanismes d’équilibre des pouvoirs, les ONG sont
les alliées naturelles des parlements par l’exercice de leur fonction
de surveillance des activités gouvernementales.
6. Les ONG dans le
cadre du Conseil de l’Europe
25. Le Conseil de l’Europe a mis au point plusieurs dispositifs
permettant d’associer les ONG à ses travaux.
26. La Conférence des Organisations internationales non gouvernementales
est l’un des piliers du Conseil de l’Europe. Par l’intermédiaire
de cette instance, les 370 organisations internationales non gouvernementales dotées
du statut participatif auprès de l’Organisation peuvent participer
activement au processus décisionnel et à la mise en œuvre des programmes
du Conseil de l’Europe. Cette coopération peut aller d’une simple consultation
à la participation à part entière à certains projets.
27. Le rôle des ONG dans la défense des droits de l’homme est
reconnu dans un grand nombre de conventions. Par exemple, la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») reconnaît le droit d’introduire une requête aux
ONG qui estiment être victimes d’une violation des droits reconnus
dans la convention. L’article 44 du Règlement de la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») prévoit la possibilité pour les
ONG d’intervenir en tant que tierce partie devant la Cour, sous
réserve de l’accord de son Président. La même règle s’applique pour
les protocoles à la Convention, notamment le Protocole no 12
(STE no 177) sur la non-discrimination.
De cette façon, les ONG de défense des droits de l’homme telles
qu’Amnesty International ou Liberty interviennent régulièrement
dans certaines affaires de premier plan.
28. Contrairement à la Convention européenne des droits de l’homme,
qui ne prévoit pas une telle procédure, la Charte sociale européenne
(révisée) (STE no 163) inclut la possibilité
pour les ONG de déposer des réclamations collectives. La procédure
de réclamations collectives a été adoptée en 1998 pour tenter de revitaliser
la Charte sociale européenne. Les OING dotées du statut consultatif
auprès du Conseil de l’Europe et les ONG nationales représentatives
issues de pays qui ont déposé une déclaration spéciale (aujourd’hui, uniquement
la Finlande) peuvent engager une procédure contre tout Etat lié
par la Charte. Cette procédure doit concerner une situation générale
de nature juridique ou factuelle. L’épuisement préalable des voies
de recours internes n’est pas exigé. A ce jour, des réclamations
ont concerné des Roms et/ou des Gens du voyage, qui font généralement
état de violations du droit au logement au titre de l’article 16.
29. Plusieurs conventions du Conseil de l’Europe reconnaissent
également le rôle des ONG dans le suivi de leur mise en œuvre. La
Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE
no 197) accorde une fonction clé aux
ONG, en fixant pour les parties l’obligation d’encourager la coopération
entre leurs autorités et les ONG et en reconnaissant les ONG comme
source d’information utile pour les rapports élaborés par l’organe
de suivi de la convention, le GRETA.
30. De la même façon, dans la Convention sur la prévention et
la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE no 210), le groupe d’experts
qui veille à la mise en œuvre de la convention (le GREVIO) peut
recevoir des informations d’ONG durant la préparation de ses rapports.
31. Les ONG ont également joué un rôle essentiel dans le cadre
des campagnes du Conseil de l’Europe, notamment dans les domaines
de la lutte contre l’intolérance, le racisme et la discrimination,
comme la campagne «Dosta!» sur l’intégration des Roms et la campagne
«Tous différents –Tous égaux».
33. La Conférence des OING envisage des accords de mise en œuvre
des instruments existants de lutte contre la discrimination, le
racisme et l’intolérance avec les directions et les organes compétents
du Conseil de l’Europe en vue d’apporter des solutions à des situations
concrètes et de développer la culture participative dans les Etats
membres.
7. Conclusions
34. Depuis leur création, le Conseil de l’Europe et l’Assemblée
parlementaire soutiennent la lutte contre l’intolérance, le racisme
et la xénophobie. Ils ont précisément été constitués pour éviter
le retour du nationalisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme
qui avaient conduit à la seconde guerre mondiale et à ses atrocités.
35. Lors de plusieurs discussions au sein de la commission sur
l’égalité et la non-discrimination, certaines similitudes ont été
mises en lumière entre la situation actuelle et l’avant-guerre.
D’une part, la crise économique, le chômage important, la perception
de menaces pesant sur les cultures «autochtones»; d’autre part,
l’essor des groupements racistes qui tolèrent, voire utilisent la
violence contre les personnes considérées comme «différentes», leur
légitimation politique et l’incapacité des grands partis politiques
à dénoncer fermement le racisme et la xénophobie, sous toutes leurs
formes.
36. En dépit de ces similitudes et même si la situation est alarmante,
je suis convaincue que l’une des principales différences entre l’avant-guerre
et la situation actuelle réside dans le rôle et le poids des ONG,
et dans leur capacité à mobiliser la société civile et à contribuer
à l’exercice d’un contrôle sur les pouvoirs publics. Ce rôle doit
être reconnu et mis en valeur par les institutions.