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Rapport | Doc. 13082 | 20 décembre 2012

Vers une convention du Conseil de l'Europe pour lutter contre le trafic d'organes, de tissus et de cellules d’origine humaine

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Bernard MARQUET, Monaco, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12492 rev, Renvoi 3746 du 11 mars 2011. 2013 - Première partie de session

Résumé

La convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, une fois adoptée par le Comité des Ministres, sera le premier instrument international juridiquement contraignant dédié exclusivement au trafic d’organes. Aussi se doit-elle d’être la plus complète possible afin de prévenir et combattre ce phénomène de dimension mondiale, contraire aux normes les plus élémentaires des droits humains et de la dignité de la personne.

Les recommandations faites dans le rapport ont pour objectif principal de développer les dispositions de l’avant-projet de convention relatives à la prévention du trafic d’organes, à la protection des victimes et à la coopération nationale et internationale pour combattre ce trafic ainsi que le phénomène du «tourisme de transplantation». Il est tout particulièrement nécessaire de prendre en considération la vulnérabilité particulière du donneur et du receveur, d’accorder une protection spéciale à certaines catégories de personnes et de tenir compte de l’importance d’un champ d’application géographique aussi large que possible pour la convention ainsi que de sa mise en œuvre rigoureuse et efficace. Enfin, une feuille de route pour le protocole additionnel contre le trafic de tissus et de cellules humains devrait être élaborée.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 19 novembre 2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se félicite de l’avant-projet de convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains. Associée de près aux travaux d’élaboration de la convention depuis le début, l’Assemblée considère que celle-ci représente l’aboutissement de plusieurs années d’efforts menés par le Conseil de l’Europe dans le domaine du trafic d’organes.
2. L’Assemblée note que, à ce stade, il n’a pas été considéré opportun de procéder à l’élaboration d’un protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains, du fait notamment de l’absence d’une réglementation achevée et harmonisée relative au prélèvement et à l’utilisation des tissus et des cellules, aux niveaux tant national qu’international. Elle souligne toutefois que, tout comme le trafic d’organes, le trafic de tissus et de cellules humains constitue une grave menace aux droits humains et à la santé publique et individuelle.
3. L’Assemblée souligne que, une fois adoptée, la convention sera le premier instrument international juridiquement contraignant dédié exclusivement au trafic d’organes. C’est pourquoi l’Assemblée est d’avis que la convention se doit d’être la plus complète possible afin de prévenir et combattre ce phénomène de dimension mondiale, contraire aux normes les plus élémentaires des droits humains et de la dignité de la personne.
4. A cet égard, l’Assemblée note que les questions relatives à la prévention du trafic d’organes, à la protection des victimes et à la coopération nationale et internationale pour combattre ce trafic ne sont pas suffisamment développées dans l’avant-projet de convention. Elle note également que celui-ci laisse toute latitude aux Etats pour décider si le donneur et le receveur peuvent faire l’objet de poursuites lorsqu’ils sont impliqués dans le trafic d’organes. Quel que soit la position des Etats membres à cet égard, l’Assemblée soutient que ces deux catégories de personnes, du fait de la spécificité de leur situation qui se résume parfois à une «question de vie ou de mort», pourraient se retrouver extrêmement vulnérables.
5. L’Assemblée souligne qu’il est de la plus haute importance de protéger les personnes vulnérables, en particulier les enfants (de moins de 18 ans), les personnes n’ayant pas leur (pleine) capacité juridique et les personnes privées de liberté.
6. L’Assemblée note avec inquiétude la pratique consistant, pour certains patients, à se rendre à l’étranger pour obtenir des organes moyennant un paiement et que l’on appelle communément le «tourisme de transplantation». Dans ce contexte, elle est particulièrement préoccupée par des allégations selon lesquelles certains Etats qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe feraient commerce des organes prélevés sur les prisonniers et les détenus exécutés.
7. Compte tenu du fait que le trafic d'organes est un phénomène d’envergure mondiale dépassant le territoire des Etats membres du Conseil de l'Europe, l’Assemblée plaide en faveur d’un champ d’application géographique aussi large que possible pour la future convention. Par ailleurs, elle souligne l’importance d’une mise en œuvre rigoureuse et efficace de la convention afin qu’elle puisse apporter la valeur ajoutée recherchée dans les travaux du Conseil de l’Europe.
8. Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
8.1. de compléter les dispositions de l’avant-projet de convention relatives aux mesures de prévention du trafic d’organes, à la protection des victimes et à la coopération nationale et internationale pour combattre ce trafic, avec une attention particulière donnée aux mesures susceptibles de faire face à la pénurie d’organes qui est une des raisons principales dudit trafic, notamment en établissant un système de consentement présumé pour le prélèvement d’organes sur les personnes décédées;
8.2. de prévoir une disposition dans la convention sur les «circonstances atténuantes» incluant notamment la prise en compte de la vulnérabilité particulière du donneur et/ou du receveur d’organe ayant commis les infractions établies dans la convention, ou faire référence à cette vulnérabilité particulière dans le rapport explicatif à la convention, précisant qu’elle devrait être prise en compte dans la détermination des peines susceptibles d’être appliquées à ces deux catégories de personnes;
8.3. de prévoir une disposition dans la convention éliminant la règle habituelle de la double incrimination, ce afin de combattre le phénomène du «tourisme de transplantation»;
8.4. de prévoir une disposition dans la convention interdisant le prélèvement et l’utilisation aux fins de transplantation d’organes de personnes privées de liberté, vivantes ou décédées;
8.5. de prévoir une disposition dans la convention accordant une protection spéciale, y compris en matière de consentement, aux enfants (de moins de 18 ans) et aux personnes n’ayant pas leur (pleine) capacité juridique;
8.6. de prévoir que la convention soit ouverte à la signature des Etats non membres du Conseil de l’Europe, dès son adoption;
8.7. de prévoir des obligations de communication pour les Parties tout en encourageant le comité des parties (l’organe de suivi) à exécuter ses fonctions en gardant à l’esprit l’objectif d’assurer une mise en œuvre rigoureuse et efficace de la convention;
8.8. de décider d’une feuille de route pour l’élaboration du protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains.
9. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres d'enjoindre aux Etats membres qui ne l'ont pas encore fait de signer et ratifier les deux autres conventions du Conseil de l'Europe qui concernent la lutte contre le trafic d'organes humains, à savoir:
9.1. la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (STE no 164) et son Protocole additionnel relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine (STE no 186);
9.2. la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197).

B. Exposé des motifs, par M. Marquet, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En 2008, le Conseil de l’Europe et les Nations Unies ont décidé d’élaborer conjointement une étude sur «Le trafic d'organes, de tissus et de cellules et la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d'organes». L’étude conjointe, publiée en octobre 2009, concluait à la nécessité de préparer un instrument juridique international établissant une définition du trafic d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine et énonçant les mesures à prendre pour prévenir ce trafic et protéger ses victimes ainsi que les mesures de droit pénal destinées à le réprimer.
2. Parallèlement, l’Assemblée parlementaire, alertée par les récits décrits dans les mémoires de Carla Del Ponte 
			(2) 
			Ancien procureur du
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), chargé
de juger les personnes présumées responsables de violations graves
du droit humanitaire international commises sur le territoire de
l’ex-Yougoslavie depuis 1991., a initié une enquête sur les allégations de traitement inhumain de personnes et de trafic illicite d’organes humains au Kosovo 
			(3) 
			Toute référence au
Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les
institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité
avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo.. Cette enquête a donné lieu à l’adoption de la Résolution 1782 (2011) portant le même titre, dans laquelle l’Assemblée partageait la conclusion de l’étude conjointe selon laquelle il convenait d’élaborer un instrument juridique international en la matière.
3. Aussi, lorsqu’en juillet 2011, le Comité des Ministres a décidé de mettre en place un Comité d’experts chargé de l’élaboration d’un projet de convention contre le trafic d’organes humains, cela marquait l’aboutissement de plusieurs années d’efforts menés par le Conseil de l’Europe dans ce domaine. Il convient néanmoins de rappeler que le principe selon lequel le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit fait partie de l’acquis de l’Organisation depuis déjà 1978 
			(4) 
			Résolution
(78) 29 du Comité des Ministres sur l’harmonisation des législations
des Etats membres relatives aux prélèvements, greffes et transplantations
de substance d’origine humaine.. En 1997, la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (STE no 164) dite «d’Oviedo» est venue réaffirmer ce principe dans un instrument juridiquement contraignant (article 21) et, sur cette même base, son Protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine (STE no 186) a interdit le trafic d’organes (article 22). A ce jour encore, le protocole constitue le seul instrument international juridiquement contraignant à établir une telle interdiction.
4. Le mandat du Comité d’experts sur le trafic d’organes, de tissus et de cellules humains (PC-TO) prévoyait l’élaboration d’un projet de convention de droit pénal contre le trafic d’organes humains et, si nécessaire, un projet de protocole additionnel au projet de convention précité relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains. A cette fin, le PC-TO a tenu quatre réunions 
			(5) 
			Respectivement en décembre
2011 et en mars, juin et octobre 2012.. Au nom de l’Assemblée et plus particulièrement de sa commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, j’ai eu le privilège de participer aux trois premières réunions du PC-TO. Par ailleurs, lors de la partie de session de l’Assemblée de juin 2012, notre commission a eu un échange de vues avec le Dr Hans-Holger Herrnfeld, Président du PC-TO. Ce fut l’opportunité de présenter le point de vue de l’Assemblée dans le cadre du processus d’élaboration de la convention. Dans ce même contexte, la version précédente de ce rapport où le point de vue de l’Assemblée était largement développé a été transmise au PC-TO.
5. Le 19 octobre 2012, le PC-TO a adopté la version finale de l’avant-projet de convention contre le trafic d’organes humains. Par ailleurs, il a décidé qu’à ce stade, il n’était pas opportun de procéder à l’élaboration d’un protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains. L’avant-projet de convention sera prochainement examiné par le Comité directeur pour les problèmes criminels (CDPC) à sa réunion plénière du 4 au 7 décembre 2012 
			(6) 
			Entretemps,
le CDPC a approuvé l’avant-projet de convention, mais décidé de
reporter la discussion de l’avant-projet de rapport explicatif à
une réunion ultérieure.. Le CDPC prendra position notamment sur les questions où un consensus n’a pu être trouvé au niveau du PC-TO et adoptera un projet de convention qu’il soumettra au Comité des Ministres.

2. Une convention de droit pénal

6. Le mandat du PC-TO prévoyait avant tout l’élaboration d’un projet de convention de droit pénal contre le trafic d’organes humains. Ce faisant, le PC-TO était chargé de veiller à ce que le texte apporte une valeur ajoutée, notamment sur les questions de la criminalisation et de la prévention du trafic d’organes humains, ainsi que sur l’assistance aux victimes et la coopération internationale.
7. Tel qu’il est finalisé par le PC-TO, l’avant-projet de convention est une convention de droit pénal classique avec des dispositions consacrées principalement à la définition des actes constituant le trafic d’organes (volet matériel) et aux règles relatives à la poursuite de ces actes (volet procédural). Certes, des mesures de protection des victimes, de prévention du trafic et de coopération y sont proposées, mais elles sont soit axées sur le droit pénal, soit abordées de façon succincte. Ainsi, si le texte est très développé lorsqu’il s’agit de la coopération internationale «en matière pénale» ou de la protection des droits et des intérêts des victimes dans le cadre des «procédures pénales», il l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit des mesures de prévention ou de protection des victimes en dehors du contexte pénal. A titre d’exemple, pour prévenir le trafic d’organes, il propose, entre autres, des systèmes de transplantation transparents et un accès équitable à ses services, sans pour autant souligner la nécessité de prendre les mesures qui pourraient permettre de faire face à la pénurie d’organes, alors même qu’une des raisons principales du trafic d’organes est justement cette pénurie. Le fait de préciser dans l’avant-projet de rapport explicatif que l’«accès équitable aux services de transplantation» signifie aussi que les Parties doivent s’efforcer de disposer d’une offre d’organes suffisante vient, à mon avis, à réduire la question cruciale de la pénurie à celle de l’accès, ce qui n’est pas approprié. De même, le texte prévoit que les victimes soient assistées dans leur rétablissement physique, physiologique et social sans pour autant mentionner les moyens pour assurer une telle assistance, par exemple en leur garantissant l’accès aux soins médicaux d’urgence. Par ailleurs, la seule mesure de coopération (en dehors du champ pénal) que le texte propose est celle de désigner un point de contact responsable de l’échange d’informations se rapportant au trafic d’organes humains.
8. Cette approche, qui privilégie l’aspect pénal du futur instrument juridique, semble être cohérente avec le mandat du PC-TO tel que défini par le Comité des Ministres, du moins au premier regard 
			(7) 
			Depuis le début des
travaux, je maintiens que le mandat du PC-TO était formulé de façon
assez flexible de manière à lui laisser une bonne marge de manœuvre
quant à l’étendue des dispositions relatives à la prévention, l’assistance
aux victimes et la coopération internationale. Précédemment, je
suis même allé plus loin en estimant que, dans la mesure où le mandat
exigeait que le projet de convention apporte une valeur ajoutée
sur ces questions, il était du devoir du PC-TO d’en compléter les
dispositions pertinentes.. Cependant, elle l’est moins avec la démarche adoptée pour les conventions récentes du Conseil de l’Europe dites aux «4-P», qui traitent une problématique donnée non sous le seul axe du droit pénal (poursuite des auteurs des faits), mais également sous celui de la prévention des crimes, de la protection des victimes et la promotion des politiques adaptées ainsi qu’une coopération nationale et internationale 
			(8) 
			Parmi de récents exemples
de telles conventions, citons la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»), la Convention du Conseil de l'Europe sur
la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197,
«Convention de Varsovie») et la Convention du Conseil de l'Europe
sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus
sexuels (STCE no 201, «Convention de
Lanzarote»).. Cette approche globale a, en effet, le mérite de garantir une plus grande valeur ajoutée par rapport à la question traitée. Il me paraît important d’insister sur ce décalage entre l’avant-projet de convention et les conventions dites aux «4-P». En effet, en se lançant dans l’élaboration du premier instrument international juridiquement contraignant dédié exclusivement au trafic d’organes, le Conseil de l’Europe tente de relever un défi important. Un tel défi, quel que soit les difficultés rencontrées, implique avant tout une grande responsabilité, qui est celle d’élaborer un instrument le plus complet possible afin de prévenir et combattre ce phénomène de dimension mondiale d’une extrême gravité, contraire aux normes les plus élémentaires des droits humains et de la dignité de la personne.
9. En conséquence, j’estime qu’il est essentiel de compléter les dispositions de l’avant-projet de convention relatives aux mesures de prévention du trafic d’organes, à la protection des victimes et à la coopération nationale et internationale pour combattre ce trafic. Ceci n’exige pas nécessairement l’ajout de dispositions extrêmement détaillées; on peut opter pour des formulations générales qui pourraient être complétées par des exemples qui figureront dans le rapport explicatif. Dans ce contexte, la convention devrait préconiser avant tout la mise en place de mesures susceptibles de faire face à la pénurie d’organes. A cet égard, elle pourrait suggérer notamment l’établissement d’un système de consentement présumé pour le prélèvement d’organes sur les personnes décédées. Par ailleurs, le rapport explicatif pourrait faire référence à d’autres systèmes tel le registre officiel et obligatoire des volontés (quant au souhait d’être ou non un donneur). Il pourrait également suggérer l’organisation de campagnes de sensibilisation des citoyens au don d’organes afin d’augmenter le nombre de donneurs. En matière de coopération internationale, il convient d’envisager la mise en place d’une entité interétatique et/ou régionale de transplantation centralisant les demandes d’organes et les organes disponibles, cela afin d’accroître l’efficacité des transplantations effectuées en améliorant notamment la sélection du receveur qui correspond le mieux parmi les patients de la liste d’attente 
			(9) 
			De tels mécanismes
de coopération existent déjà entre certains Etats membres. Par exemple,
l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, le Luxembourg,
les Pays-Bas et la Slovénie coopèrent dans le cadre d’Eurotransplant.. De même, des dispositifs spéciaux aux frontières pourraient être prévus en vue de détecter les cas qui pourraient relever du trafic d’organes. Enfin, au niveau national, des moyens concrets de détection du trafic d’organes pourraient être suggérés, telle l’identification des cas de patients qui «disparaissent» des listes d’attente et de ceux demandant des traitements anti-rejet.

3. La décision quant à l’élaboration d’un protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains

10. Le PC-TO a décidé que, à ce stade, il n’était pas opportun de procéder à l’élaboration d’un protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains. Cette décision est due, en grande partie, au caractère «inachevé» ou insuffisant des réglementations nationales régissant le prélèvement, la conservation, la distribution et l’utilisation ultérieure des tissus et cellules d’origine humaine, voire parfois à leur inexistence, ainsi qu’à l’extrême diversité entre les réglementations en question. Si certains instruments internationaux établissent des principes généraux en la matière, ces derniers ne couvrent pas toute la gamme d’utilisations possibles des tissus et cellules. En effet, les principes figurant dans le Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine, relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine (STE no 186), applicables également aux cellules, régissent le seul domaine de la transplantation, tandis que ceux figurant dans la Recommandation Rec(2006)4 du Comité des Ministres sur la recherche utilisant du matériel biologique (y compris cellules et tissus) se limitent au domaine de la recherche 
			(10) 
			Au niveau de l’Union
européenne, citons la Directive 2004/23/CE du Parlement européen
et du Conseil du 31 mars 2004, relative à l’établissement de normes
de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle,
la transformation, la conservation, le stockage et la distribution
des tissus et cellules humains. Les principes établis dans cet instrument
ne visent toutefois que les cas d’utilisation des tissus et cellules
à des fins thérapeutiques..
11. Tout comme le trafic d’organes, le trafic de tissus et de cellules humains constitue une grave menace aux droits humains et la santé publique et individuelle. Les cas relatés dans les médias révélant un éventuel commerce de parties de cadavres d’origine douteuse destinées à la fabrication de produits médicaux (telles des greffes osseuses) 
			(11) 
			<a href='http://www.publicintegrity.org/2012/07/17/9543/human-corpses-are-prize-global-drive-profits'>www.publicintegrity.org/2012/07/17/9543/human-corpses-are-prize-global-drive-profits</a>. et les points soulevés dans l’étude conjointe du Conseil de l’Europe et des Nations Unies ne font que confirmer ce constat et témoignent ainsi de la nécessité d’élaborer un instrument juridique international contre le trafic de tissus et de cellules humains. Toutefois, compte tenu des difficultés exposées au paragraphe précédent, il serait judicieux de procéder par étape, et de commencer par établir les principes généraux communs en matière de prélèvement, conservation, distribution et utilisation des tissus et cellules sachant que ces principes devraient couvrir l’ensemble des domaines de leur utilisation. Ensuite, sur la base de ces principes, dont le non-respect pourrait servir de base pour définir les actes constituant le trafic de tissus et de cellules, un protocole additionnel contre ce trafic pourrait être élaboré.
12. Si cette proposition est retenue, les principes généraux communs en la matière pourraient être établis dans le cadre d’un instrument contraignant, éventuellement sous la forme d’un protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, pendant la période 2014-2015. Les travaux pour l'élaboration d'un protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et cellules pourraient démarrer immédiatement après l’entrée en vigueur de ce premier texte.

4. Questions de droit et d’éthique

13. L’article 4 de l’avant-projet de convention définit le prélèvement illicite d’organes. L’article 4.1 est libellé comme suit:
«1. Chaque Partie prend les mesures législatives et autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, le prélèvement d’organes humains de donneurs vivants ou décédés:
a. si le prélèvement est réalisé sans le consentement libre, éclairé et spécifique du donneur vivant ou décédé, ou, dans le cas d’un donneur décédé, sans que le prélèvement soit autorisé en vertu du droit interne;
b. si, en échange du prélèvement d’organes, le donneur vivant, ou une tierce personne, s’est vu offrir ou a obtenu un profit ou un avantage comparable;
c. si, en échange du prélèvement d’organes sur un donneur décédé, une tierce personne s’est vu offrir ou a obtenu un profit ou un avantage comparable
14. Cet article est formulé de façon à laisser à la discrétion des Etats Parties, le soin de déterminer qui sont les personnes passibles de sanctions dans le cas d’un prélèvement illicite. Aussi, l’avant-projet de convention ne prend pas de position quant à la question difficile de savoir s’il faut sanctionner ou non le donneur et le receveur lorsqu’ils sont impliqués dans le trafic d’organes 
			(12) 
			Conformément à l’article
2.2, les activités visées à l’article 4.1 font parties des activités
qui sont considérées comme du trafic d’organes humains.. Sans préjudice d’un débat de principe sur la légitimité, voire même l’utilité de sanctionner ces deux catégories de personnes, il est nécessaire, dans la détermination des sanctions susceptibles de leur être appliquées, de prendre en compte la spécificité de leur situation. En effet, la plupart du temps, le contexte dans lequel se trouvent le donneur et/ou le receveur les rend extrêmement vulnérables; pour un donneur, le fait de vendre un organe pourrait présenter le seul moyen de sortir éventuellement de la misère, tandis que pour le receveur atteint d’une maladie potentiellement mortelle, acheter un organe pourrait être le seul moyen de survie. Ainsi, afin de garantir que le futur instrument juridique soit adapté aux réalités du phénomène du trafic d’organes et plus particulièrement pour que d’éventuelles sanctions à l’encontre des donneurs et/ou des receveurs soient équitables et proportionnées, une disposition sur les «circonstances atténuantes» devrait être ajoutée à l’avant-projet de convention. Cette disposition devrait inclure notamment la prise en compte de la vulnérabilité particulière du donneur et/ou du receveur d’organe ayant commis les infractions établies dans la convention. Alternativement, le rapport explicatif à la convention pourrait faire référence à cette vulnérabilité particulière précisant qu’elle devrait, le cas échéant, être prise en compte dans la détermination des peines susceptibles d’être appliquées aux donneurs et aux receveurs 
			(13) 
			Cela est déjà fait
dans le paragraphe 67 du rapport explicatif concernant les personnes
pouvant être considérées comme des victimes du trafic d’organes:
«De l’avis des négociateurs, la plupart des personnes pouvant être
considérées comme des victimes du trafic d’organes humains sont
par définition vulnérables, pour un certain nombre de raisons: par exemple,
parce qu’elles connaissent de graves difficultés financières (ce
qui est le cas de nombreuses personnes qui acceptent de se faire
prélever un organe en échange d’un profit ou d’un autre avantage
comparable) ou parce qu’elles souffrent d’une maladie grave, voire
sont en phase terminale et n’ont guère de chances de survie (ce
qui est le cas de nombreux receveurs d’organes).».
15. En lien avec le point ci-dessus, je note avec satisfaction que l’avant-projet de convention considère le fait de commettre les infractions qu’elle établit à l’encontre d’un enfant comme une circonstance aggravante. En effet, dans la mesure où les enfants sont particulièrement exposés à cette forme de criminalité, il est très important que la future convention consacre une telle disposition.
16. Une autre question qui mérite d’être abordée est celle du «tourisme de transplantation», à savoir la pratique consistant, pour certains patients, à se rendre à l’étranger pour obtenir des organes moyennant un paiement. Dans un contexte où cette pratique représente, selon une estimation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2004, 10 % de l’ensemble des transplantations dans le monde, il paraît essentiel de se donner les moyens pour appliquer les mesures qui sont visées dans la convention au-delà des territoires des Etats Parties. Autrement, des «zones de non-droit» risque de limiter l’impact de la convention de façon considérable. Un des moyens consiste à éliminer, en rapport avec les infractions prévues dans la convention, la règle habituelle de la double incrimination 
			(14) 
			Cette possibilité est
prévue dans la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique et constitue une importante valeur ajoutée de cette convention.. L’objectif d’une telle approche serait de combattre le phénomène du «tourisme de transplantation», ce qui correspondrait parfaitement à l’esprit et au but de la future convention. Cette possibilité était initialement prévue dans l’avant-projet de convention, avant d’être supprimée à la dernière réunion du PC-TO. Je propose donc qu’elle y soit réintégrée.
17. Toujours en lien avec le «tourisme de transplantation», la pratique consistant à se procurer des organes dans des pays qui autorisent la transplantation d’organes prélevés sur des prisonniers et/ou des détenus exécutés mérite une attention particulière 
			(15) 
			En effet, selon certaines
«allégations très sérieuses», la Chine ferait commerce des organes
prélevés sur les détenus exécutés (une lettre, intitulée Chers collègues,
de deux membres du Congrès américain demandant à leurs collègues
de la Chambre des représentants de cosigner une lettre adressée
à Hillary Clinton constate que «des allégations très sérieuses indiquent
des atrocités inimaginables» lors des prélèvements d’organes en
Chine. Cette lettre fait suite à une audience tenue le 12 septembre
2012 au Congrès américain sur les «Prélèvements forcés d’organes
sur les dissidents religieux et politiques par le Parti communiste
chinois»).. Conformément à l’article 4.1.b et c de l’avant-projet de convention, une telle pratique devrait être considérée comme un prélèvement illicite si elle implique le paiement d’une certaine somme en contrepartie de l’organe prélevé. Même en l’absence d’un tel paiement, on peut avancer que les prisonniers ne sont pas réellement en mesure de donner librement leur consentement et peuvent être soumis à des coercitions 
			(16) 
			Recommandation 1611 (2003) de l’Assemblée sur le trafic d’organes en Europe.. En réalité, cela pourrait s’appliquer de manière générale à toute personne privée de liberté. En l’absence d’un tel consentement, on tombe également sous le coup du prélèvement illicite (article 4.1.a).
18. Au regard des problèmes liés notamment au consentement des personnes privées de leur liberté, il me semble important que la convention prohibe purement et simplement le prélèvement et l’utilisation d’organes de ces personnes (vivantes ou décédées) à des fins de transplantation. Par ailleurs, sans qu’elles soient privées de leur liberté, le même type de problème pourrait exister pour les personnes n’ayant pas leur (pleine) capacité juridique, notamment les enfants, lesquels méritent une protection spéciale en la matière. Aussi, la convention pourrait prévoir une disposition accordant une protection spéciale, y compris en matière de consentement, aux enfants (de moins de 18 ans) et aux personnes n’ayant pas leur (pleine) capacité juridique.

5. Suivi de la mise en œuvre de la convention

19. Depuis le début des travaux du PC-TO, je souligne l’importance d’une mise en œuvre rigoureuse et efficace des conventions de droit pénal, notamment de celles traitant d’actes de criminalité transfrontalière comme c’est le cas en général pour le trafic d’organes. J’avance également depuis le début que le comité des parties est rarement le mécanisme de suivi le plus efficace, en particulier en l’absence d’obligations de communication. J’avais donc proposé que des obligations de communication pour les Parties soient intégrées dans la convention. Alternativement, j’avais proposé de confier aux comités compétents, à savoir le CDPC et le Comité de bioéthique (DH-BIO), un plus grand rôle dans le suivi et/ou de prévoir un mécanisme de suivi plus spécifique pour la convention, semblable par exemple à celui prévu par la Convention d’Istanbul ou la Convention de Varsovie.
20. L’avant-projet de convention établit un comité des parties, dont la tâche est de surveiller l’application de la convention ainsi que de faciliter la collecte, l’analyse et l’échange d’informations, d’expériences et de bonnes pratiques entre les Etats, l’usage et la mise en œuvre effectifs de la convention et, le cas échéant, d’exprimer un avis sur toute question relative à l’application de celle-ci ainsi qu’adresser des recommandations spécifiques aux Parties au sujet de sa mise en œuvre. Il est prévu que l’Assemblée, le CDPC, ainsi que les autres comités intergouvernementaux ou scientifiques compétents du Conseil de l’Europe désignent chacun un représentant au comité des parties. Il est également prévu que le CDPC soit tenu régulièrement informé des activités de ce dernier, qui établira lui-même son règlement intérieur.
21. Selon l’avant-projet de rapport explicatif, le règlement qu’adoptera le Comité des parties doit être rédigé de façon à ce que la mise en œuvre de la Convention fasse l’objet d’un suivi efficace. La participation d’organes autres que les Parties au mécanisme de suivi comme l’Assemblée est prévue dans le but de garantir une approche véritablement multisectorielle et multidisciplinaire.
22. En l’absence d’obligations de communication, l’efficacité d’un tel système de suivi dépendra de la bonne volonté des Etats Parties. Cela revient, à mon avis, à prendre le risque d’adopter une convention qui ne sera pas ou pas intégralement mise en œuvre. Ceci n’est pas compatible avec les efforts du Conseil de l’Europe consistant à avoir une plus grande valeur ajoutée de ses travaux. Aussi, j’invite le Comité des Ministres à intégrer des obligations de communication pour les Parties, tout en encourageant le Comité des parties à exécuter ses fonctions en gardant à l’esprit l’objectif d’assurer une mise en œuvre rigoureuse et efficace de la convention.

6. Champ d’application géographique de la convention

23. Le PC-TO a décidé de s’en remettre au CDPC concernant le champ d’application géographique de la convention. A cet égard, il existe actuellement deux propositions: celle qui prévoit l’ouverture à la signature de la convention aux Etats non membres du Conseil de l’Europe dès son adoption par le Comité des Ministres 
			(17) 
			Hormis les Etats non
membres ayant participé à l’élaboration de la convention et ceux
ayant le statut d’observateur, pour qui la convention sera ouverte
à la signature dès son adoption (article 28 de l’avant-projet de
convention). et celle qui leur prévoit la possibilité d’adhérer à la convention une fois entrée en vigueur 
			(18) 
			Hormis les Etats non
membres ayant participé à l’élaboration de la convention, pour qui
la convention sera ouverte à la signature dès son adoption (articles
28bis et 28ter de l’avant-projet de convention).. Tant l’ouverture à la signature que l’adhésion sont soumises à l’invitation du Comité des Ministres sachant que dans ce dernier cas, il est prévu que ladite invitation soit soumise à la consultation et l’assentiment unanime des Parties à la convention.
24. Compte tenu du fait que le trafic d'organes est un phénomène d’envergure mondiale dépassant le territoire des Etats membres du Conseil de l'Europe, l’Assemblée devrait plaider en faveur d’un champ d’application géographique aussi large que possible pour cette convention. A cet égard, je tiens à réitérer que la convention, une fois adoptée, sera le premier instrument international juridiquement contraignant dédié exclusivement au trafic d’organes. Ainsi, celle-ci comblera un vide flagrant au niveau international et il serait extrêmement regrettable d’exclure de son champ d’application les Etats non membres. Dans ce contexte, la possibilité pour les Etats non membres de participer à la convention devrait être rendue possible dès l’adoption du texte par le Comité des Ministres et avant même son entrée en vigueur. Cela encouragerait la participation à la convention d’un nombre le plus large possible d’Etats non membres. Reporter cette possibilité à l’entrée en vigueur de la convention et selon une procédure extrêmement alourdie (à savoir la soumission de l’invitation du Comité des Ministres à la consultation et à l’assentiment unanime des Parties à la convention) revient quasiment à supprimer une telle possibilité. A cet égard, il est important de rappeler que la convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (STCE no 211, «convention Médicrime»), qui traite également d’un problème d’envergure internationale, a opté pour la possibilité pour les Etats non membres de participer à celle-ci, avant même son entrée en vigueur, et qu’un Etat non membre du Conseil de l’Europe l’a récemment signée 
			(19) 
			Il s’agit de la Guinée
qui a signé la convention le 10 octobre 2012. (un autre Etat non membre a exprimé son souhait de le faire prochainement).
25. Toujours en lien avec ce point, je note avec satisfaction la première proposition, qui fixe au nombre de cinq les ratifications, acceptations ou approbations requises pour l’entrée en vigueur de la convention 
			(20) 
			C’était
également l’approche adoptée dans la convention Médicrime.. L’Assemblée devrait soutenir une telle proposition dont le but est de ne pas retarder inutilement l’entrée en vigueur de la convention, tout en traduisant la conviction qu’un nombre minimal de Parties est nécessaire pour pouvoir commencer à relever le défi que pose la lutte contre le trafic d’organes.

7. Conclusions

26. Elaborer un instrument juridique international contre le trafic d’organes humains est une tâche ardue. Le domaine est en effet très peu commode en raison notamment du caractère technique des questions concernant la transplantation d’organes et de la divergence des législations nationales en la matière. Le PC-TO a ainsi relevé un énorme défi et ne peut qu’être félicité pour la qualité du travail qu’il a accompli.
27. Désormais, il revient respectivement au CDPC et au Comité des Ministres de remédier aux questions exposées dans ce rapport. Les propositions que je fais à cet égard peuvent se résumer comme suit:
  • compléter les dispositions de l’avant-projet de convention relatives aux mesures de prévention du trafic d’organes, à la protection des victimes et à la coopération nationale et internationale pour combattre ce trafic;
  • prévoir une disposition dans la convention sur les «circonstances atténuantes» incluant notamment la prise en compte de la vulnérabilité particulière du donneur et/ou du receveur d’organe ayant commis les infractions établies dans la convention, ou faire référence à cette vulnérabilité particulière dans le rapport explicatif à la convention, en précisant qu’elle devrait être prise en compte dans la détermination des peines susceptibles d’être appliquées à ces deux catégories de personnes;
  • prévoir une disposition dans la convention éliminant la règle habituelle de la double incrimination;
  • prévoir une disposition dans la convention interdisant le prélèvement et l’utilisation aux fins de transplantation d’organes de personnes privées de liberté, vivantes ou décédées;
  • prévoir une disposition dans la convention accordant une protection spéciale, y compris en matière de consentement, aux enfants (de moins de 18 ans) et aux personnes n’ayant pas leur (pleine) capacité juridique;
  • intégrer des obligations de communication pour les Parties tout en encourageant le Comité des parties à exécuter ses fonctions en gardant à l’esprit l’objectif d’assurer une mise en ouvre rigoureuse et efficace de la convention;
  • opter pour l’ouverture à la signature de la convention aux Etats non membres du Conseil de l’Europe, dès son adoption par le Comité des Ministres;
  • décider d’une feuille de route pour l’élaboration du protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains.