1. Introduction
1. Au cours de la période de session d’octobre 2012
de l’Assemblée, le conflit au Mali et les problèmes graves qui en
découlent pour les droits de l’homme et la sécurité dans le Sahel
et les régions nord-africaines ont été examinés par la commission
des questions politiques et de la démocratie, sur proposition notamment de
la délégation de partenaire pour la démocratie marocaine. Celle-ci
a insisté sur la gravité de la situation et les conséquences qu’elle
pourrait avoir pour toute la région méditerranéenne, ainsi que sur
la nécessité d’une participation plus active de la communauté internationale.
2. Suite à ce débat et comme convenu par la commission, le Président
de la Commission, M. Pietro Marcenaro, a fait une déclaration dans
laquelle il condamnait «les violations choquantes des droits de l’homme,
notamment les exécutions extrajudiciaires, les flagellations, les
amputations et les lapidations à mort» infligées à des personnes
accusées de crimes, en dehors de tout cadre juridique, par des groupes islamistes
radicaux armés qui sévissaient dans le nord du Mali, profitant apparemment
de la déstabilisation causée par des événements survenus récemment
dans la région, en particulier la guerre en Libye. Evoquant des
témoignages faisant état non seulement de châtiments corporels horribles
mais aussi de violences sexuelles contre des femmes et du recours
à des enfants soldats, il a exhorté «tous les groupes présents dans la
région à mettre fin à ces pratiques barbares qui sont inacceptables
au XXIe siècle». Il a également attiré l’attention
sur le fait que la situation au Mali constituait une menace réelle
pour la stabilité de la région, y compris les pays du Maghreb. Il
s’est félicité des efforts déployés par le gouvernement provisoire
d’union nationale au Mali pour préserver l’intégrité territoriale
et organiser des élections démocratiques et libres dans les plus
brefs délais.
3. Certains membres de la commission s’étaient alors demandé
si l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe était compétente
pour débattre du conflit au Mali, notant que notre action devrait
avoir certaines limites géographiques.
4. Aujourd’hui, la dégradation de la situation relative à la
sécurité et aux droits de l’homme, les menaces croissantes pour
la stabilité de tout le continent africain et de la région méditerranéenne
que représente le risque bien réel de voir un régime fondé sur le
trafic de drogues et le terrorisme s’établir dans le Sahel et les régions
nord-africaines – risque qui a poussé la France à intervenir militairement
–, ainsi que la propagation de la crise en Algérie, pays situé dans
le voisinage immédiat du Conseil de l’Europe où des centaines de ressortissants
algériens et étrangers ont été pris en otage par des groupes terroristes
islamistes radicaux, ne laissent plus aucun doute, je pense, sur
la pertinence et l’importance de ce débat pour notre Assemblée.
5. La mort de dizaines d’otages en Algérie la semaine dernière,
notamment des ressortissants d’Etats membres et observateurs du
Conseil de l’Europe, est une tragédie qui rappelle à la communauté
internationale les menaces que pose en permanence le fléau du terrorisme,
ainsi que la nécessité de les contrer en apportant une réponse internationale
efficace, notamment en supprimant les sources de financement des
groupes terroristes.
6. Là encore, le Conseil de l’Europe a élaboré un ensemble complet
d’instruments juridiques pouvant être utilisés dans la lutte contre
le terrorisme et son financement, ce qui illustre une fois de plus
la pertinence de notre Organisation dans ce domaine.
2. Evénements
récents au Mali
7. Le conflit qui a éclaté dans le nord du Mali en janvier 2012
vient du fait que le peuple touareg, qui est un peuple nomade traditionnel
vivant dans la région saharienne du nord du Mali, ainsi que dans
le sud de l’Algérie et le nord du Niger, aspire depuis longtemps
à l’indépendance. Ces aspirations ont déclenché une première rébellion
touareg en 1962, à la fin du régime colonial français, et d’autres
rébellions qui ont eu lieu au début des années 1990 et en 2007.
8. En 2011, pendant la guerre civile libyenne, de nombreux Touaregs
se sont installés en Libye ou ont été recrutés comme mercenaires
au service de Kadhafi. Après la défaite de celui-ci, les combattants
touaregs sont revenus dans le nord du Mali lourdement armés et formés
militairement. Ils ont alors commencé à lutter contre le gouvernement
malien en exigeant l’indépendance de l’«Azawad» (terme utilisé pour
désigner un territoire englobant les régions maliennes de Tombouctou,
de Kidal, de Gao et une partie de la région de Mopti). Le Mouvement
national de libération de l’Azawad (MNLA), dominé par les Touaregs,
s’est d’abord allié au groupe islamiste Ansar Dine avant de déclencher
une rébellion dans le nord du pays en 2012.
9. L’utilisation d’armes lourdes provenant de la guerre en Libye
a apparemment surpris les responsables maliens et les observateurs
étrangers.
10. A la fin de mars 2012, mécontents de la manière dont le Président
Touré contrait la rébellion dans le nord du Mali et de la médiocrité
des équipements fournis à l’armée, un groupe de jeunes soldats dirigés
par le capitaine Amadou Sanogo a pris le contrôle du palais présidentiel,
déclaré la dissolution du gouvernement et suspendu la constitution
du pays. Sanogo s’est autoproclamé Président du Comité pour le redressement
de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDR), et annoncé
qu’il exercerait le pouvoir par intérim jusqu’à la désignation d’un
nouveau gouvernement démocratiquement élu.
11. Le coup d’Etat a été unanimement condamné par la communauté
internationale, notamment le Conseil de sécurité des Nations Unies,
l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO), et le Mali a fait l’objet de sanctions. Ce
coup d’Etat a aggravé l’instabilité politique, démoralisé l’armée
malienne et appauvri encore davantage la population.
12. Un accord a été finalement conclu le 6 avril 2012 entre la
junte et les négociateurs de la CEDEAO, prévoyant la démission de
Sanogo et Touré, la levée des sanctions, l’amnistie des mutins,
et le transfert du pouvoir à M. Diouncounda Traoré, Président de
l’Assemblée nationale malienne. Suite à cette inauguration, le Président
Traoré s’est engagé à mener une «guerre impitoyable et totale» contre
les rebelles touaregs jusqu’à leur retrait des villes du nord du
Mali.
13. Cependant, profitant de la situation chaotique sur le plan
politique, aggravée par la pauvreté croissante et la pénurie alimentaire
résultant des sanctions, les groupes rebelles ont entre-temps pris
le contrôle des principales villes du nord, notamment Tombouctou.
14. Le 6 avril 2012, les rebelles du MNLA ont proclamé leur indépendance
par rapport au Mali et annoncé la sécession d’un nouvel Etat, l’«Azawad».
La proclamation d’indépendance a été considérée comme non valable
par l’Union africaine et l’Union européenne, qui l’ont rejetée.
15. Peu de temps après, le MNLA a été marginalisé par des groupes
islamistes radicaux associés à Al Qaida, qui voulaient imposer une
application stricte de la loi de la charia (loi islamique).
16. Incapable de concilier sa vision d’un nouvel Etat indépendant
avec celle des islamistes radicaux, le MNLA a renoncé à ses exigences
de sécession et commencé à lutter contre ses anciens alliés, Ansar
Dine et d’autres groupes islamistes radicaux, notamment le Mouvement
pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), un groupe
lié à Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
17. Au cours de la deuxième moitié de 2012, des groupes d’islamistes
radicaux liés à Al Qaida ont progressivement pris le contrôle des
principales villes du nord du Mali, commettant des violations choquantes des
droits de l’homme, notamment contre la population locale.
18. En décembre 2012, le MNLA, désormais déplacé, a engagé des
pourparlers de paix avec le Gouvernement malien et renoncé à l’indépendance
de l’Azawad en échange d’une autonomie au sein du Mali. Il s’est
également déclaré prêt à aider ses anciens adversaires dans leur
lutte contre les islamistes. Le MNLA n’est fortement implanté que
dans les régions rurales et désertiques proches des frontières avec
la Mauritanie, l’Algérie et le Niger, car il a été chassé de la
plus grande partie du territoire qu’il revendique, par des groupes islamistes.
3. Intervention militaire
étrangère
19. Pour donner suite aux demandes des autorités provisoires
maliennes et de la CEDEAO de déploiement d’une force militaire étrangère,
la Résolution 2071 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée
à l’unanimité le 12 octobre 2012, a approuvé, en vertu du Chapitre VII
de la Charte des Nations Unies, le déploiement d’une force internationale
sous conduite africaine pour aider l’armée du Mali à combattre les militants
islamistes. Cette résolution, qui autorisait la planification des
forces et prévoyait la fourniture de ressources des Nations Unies
à cet effet, ne permettait pas que des forces soient déployées sur
le terrain.
20. La Résolution 2085 du Conseil de sécurité, adoptée deux mois
plus tard, le 20 décembre 2012, autorisait le déploiement d’une
Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine
(MISMA) pour une durée initiale d’une année, en coordination avec
d’autres partenaires, notamment une mission de formation conduite
par l’Union européenne. Il apparaissait clairement cependant que
tant la MISMA que la mission conduite par l’Union européenne ne
pourraient pas être mises sur pied en quelques jours.
21. Le 10 janvier 2013, des forces islamistes radicales s’emparaient
de la ville stratégique de Konna, située à 600 kilomètres de la
capitale. Près de 1 200 combattants islamistes se sont rapprochés
ensuite de Mopti, une ville de garnison militaire malienne.
22. Les groupes armés d’islamistes radicaux liés à Al Qaida progressant
rapidement vers la capitale, il est devenu clair que l’existence
même du Mali était menacée et que la stabilité de tout le continent
africain et de la région méditerranéenne était menacée par l’établissement
d’un régime fondé sur le trafic de drogues et le terrorisme au Sahel.
Cette menace a poussé les autorités françaises à intervenir militairement
au Mali.
23. Le 11 janvier 2013, les militaires français lançaient l’«Opération Serval» au Mali, comprenant
des frappes aériennes et le déploiement de près de 2 000 soldats
français sur le terrain. Selon les autorités françaises, le nombre
de soldats déployés au Mali sera bientôt de 2 500.
24. Le Conseil de sécurité des Nations Unies et de nombreux Etats
membres des Nations Unies ont approuvé l’intervention française,
qui a été accueillie avec enthousiasme et soulagement par les autorités maliennes.
La France espère néanmoins que les pays africains en prendront la
direction.
25. Le Royaume-Uni fournit deux avions cargos C17 de la Royal
Air Force pour aider les forces françaises. La Belgique, le Canada
et le Danemark envoient également des avions de transport. Le Gouvernement espagnol
a approuvé l’envoi d’un avion de transport au Mali à des fins de
logistique et de formation, et le Gouvernement allemand a autorisé
l’envoi de deux avions de transport Transall C-160 pour acheminer
des troupes africaines à Bamako, la capitale du Mali. De même, le
Gouvernement italien a promis un soutien logistique fondé sur le
transport aérien. L’Union européenne a déclaré qu’elle avait intensifié
ses préparatifs en vue d’envoyer des troupes pour une mission de
formation au Mali.
26. En outre, des troupes venant du Tchad, du Nigéria, du Togo
et du Bénin sont arrivées au Mali. Le nombre total de soldats africains
qui devraient arriver au Mali inclut 2 000 soldats du Tchad, 1 200
soldats du Nigéria et 650 soldats du Bénin. Le Sénégal, le Burkina
Faso, le Niger et le Togo devraient envoyer 500 soldats chacun,
et le Ghana et la Guinée devraient également envoyer des troupes.
27. Près de 100 instructeurs américains ont été déployés au Niger,
au Nigéria, au Burkina Faso, au Sénégal, au Togo et au Ghana pour
examiner les besoins de formation, d’équipements et de déploiement
de ces pays afin de les préparer à intervenir au Mali. Les Etats-Unis
fournissent également un soutien en matière de communications.
28. Il est nécessaire que d’autres Etats européens et africains,
l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique renforcent leur
participation et leur solidarité à l’égard des forces maliennes
et françaises sur le terrain afin de mettre un terme à la constitution
d’un régime fondé sur le trafic de drogues et le terrorisme au Sahel
et dans la région nord-africaine – avec toutes les conséquences
que cela pourrait avoir pour la région méditerranéenne, l’Europe
voisine et l’ensemble de la communauté internationale – et de rétablir
l’ordre constitutionnel et l’intégrité territoriale du Mali.
4. Crise des otages
et morts tragiques en Algérie
29. Le 16 janvier 2013, un groupe de terroristes armés
d’armes lourdes a attaqué un autobus transportant des travailleurs
algériens et étrangers du site gazier de Tigantourine au terrain
d’aviation proche d’In Amenas, tuant deux personnes et en blessant
six. Les terroristes ont ensuite attaqué le complexe gazier, où
ils ont pris en otages plus de 100 travailleurs étrangers et environ
700 travailleurs algériens.
30. Un terroriste algérien très connu, qui dirige un groupe qui
s’est récemment séparé d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a
déclaré qu’il avait organisé l’attaque en représailles à l’intervention
française au Mali et à la décision de l’Algérie d’autoriser les
Français à utiliser son espace aérien au cours de leur intervention.
31. Cela étant, les analystes estiment qu’une prise d’otages d’une
telle ampleur exige une préparation minutieuse qui n’est guère compatible
avec le laps de temps très court qui s’est écoulé entre l’intervention française
au Mali et l’attaque, et que celle-ci a très probablement été préparée
de longue date.
32. Peu après leur prise de contrôle du complexe gazier, les terroristes
ont été cernés par l’armée et les forces spéciales algériennes.
33. Le 17 janvier 2013, l’armée algérienne a attaqué un convoi
de véhicules formé par les terroristes qui essayaient d’emmener
les otages dans un lieu plus sûr. Plusieurs otages et la plupart
des terroristes auraient été tués, certains auraient survécu.
34. Selon les médias algériens, le 19 janvier, les terroristes
survivants auraient commencé à exécuter des otages (on parle de
sept exécutions), ce qui a déclenché l’assaut des forces algériennes.
35. Le 21 janvier, le Premier ministre algérien a annoncé que
38 otages avaient été tués, dont 37 ressortissants étrangers de
huit nationalités différentes et un Algérien. Parmi ceux dont la
mort a été confirmée figurent un Français, un Américain, trois Britanniques
et sept Japonais. Cinq employés de la société Norwegian Statoil
sont encore portés disparus. Parmi eux se trouve le beau-père du
ministre norvégien du développement international, Heikki Holmas.
36. Au moment de la rédaction du présent rapport, près de 20 otages
étaient encore manquants. Selon des sources algériennes, 685 travailleurs
algériens et 107 travailleurs étrangers ont été libérés.
37. Malgré les appels des gouvernements étrangers dont les ressortissants
figuraient parmi les otages, il semble que les forces algériennes
aient agi sans avoir consulté ou informé préalablement les gouvernements étrangers
concernés, peut-être à cause de l’urgence de la situation. Cependant,
de nombreux analystes considèrent qu’en ripostant ainsi, l’Algérie
voulait marquer son indépendance, défendre le prestige de son armée
et montrer comment elle combat le terrorisme islamique.
38. Pour mieux comprendre les événements de la semaine dernière,
il est important de rappeler la guerre que l’armée algérienne et
les forces spéciales ont menée contre les groupes islamistes dans
les années 1990, guerre déclenchée par le Front islamique du salut
(FIS), qui avait presque remporté les élections générales. Cette
«sale guerre» avait obligé les islamistes à faire mouvement du nord
vers le sud, puis à traverser la frontière en direction du nord
du Mali, où ils ont utilisé le problème touareg, qui dure depuis
longtemps, à leurs propres fins. Dans cette région, ils ont vécu
de prises d’otages et de trafic de drogues. Les Algériens représenteraient
une majorité écrasante de la direction des groupes djihadistes actifs
dans le nord du Mali.
39. La mort tragique de tant de personnes en Algérie la semaine
dernière rappelle à la communauté internationale les menaces que
pose en permanence le fléau du terrorisme, et la nécessité de les
contrer en apportant une réponse internationale efficace, notamment
en supprimant les sources de financement des groupes terroristes.
40. A cet égard, je tiens à rappeler que le Conseil de l’Europe
a élaboré un ensemble complet d’instruments juridiques pouvant être
utilisés dans la lutte contre le terrorisme et son financement,
en particulier la Convention européenne révisée pour la répression
du terrorisme (STE n° 90 telle que révisée par STE n° 190), la Convention
du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n°
196), la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (STCE n° 198), ainsi que les Lignes
directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme.
41. Les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe doivent
utiliser pleinement ces instruments lorsqu’ils coordonnent leurs
actions contre le terrorisme et s’efforcent d’apporter une réponse
ferme et efficace aux menaces actuelles.
5. Violations graves
des droits de l’homme et préoccupations humanitaires
42. Le 18 janvier 2013, le Bureau du Haut-Commissaire
des Nations Unies pour les droits de l’homme a publié un rapport
dénonçant des violations graves des droits de l’homme, notamment
des exécutions extrajudiciaires, des viols et des tortures, qui
ont caractérisé le conflit qui a sévi dans le nord du Mali tout
au long de 2012. Le rapport, préparé par une mission déployée au
Mali et dans les pays voisins en novembre 2012, décrit en détail
la manière dont les violations des droits de l’homme ont été commises
depuis janvier 2012, lorsque les combats entre les forces gouvernementales
et les rebelles touaregs ont éclaté dans le nord du pays, et la
prise de contrôle ultérieure de cette région par les islamistes
radicaux.
43. Le rapport montre que la situation actuelle des droits de
l’homme est liée à des problèmes qui ne sont pas résolus depuis
longtemps, et que les violations de ces droits ont été commises
dans le nord ainsi que dans la région qui est contrôlée par le gouvernement.
Il signale également que les tensions ethniques croissantes pourraient
avoir des conséquences alarmantes sur ce pays d’Afrique du Nord.
44. Les membres du MNLA auraient utilisé des étudiants comme boucliers
humains pour obliger les forces militaires à se rendre, et ils auraient
exécuté ensuite 94 des 153 soldats capturés. Plusieurs soldats touaregs ont
été également victimes de représailles menées par des membres de
l’armée malienne dans le nord, qui auraient tué neuf soldats à Tombouctou
en février 2012.
45. Le rapport souligne que les femmes, en particulier, ont subi
des traitements dégradants infligés par des groupes d’islamistes
radicaux qui appliquent une forme extrême de la charia (loi islamique).
Ces femmes ont été victimes de harcèlements, d’abus et de violences
sexuelles parce qu’elles étaient voilées ou vêtues de façon incorrecte
ou qu’elles conduisaient une moto. Selon le rapport et le porte-parole
du HCR, Rupert Colville, le viol des femmes et des jeunes filles,
parfois commis en présence de membres de la famille et souvent, apparemment,
pour des motifs ethniques, a été utilisé à maintes reprises dans
le nord afin d’intimider les populations et de briser toute forme
de résistance, dans une culture où le viol est tabou et où les personnes qui
en sont victimes sont frappées d’exclusion sociale. Des mineures
de 12 à 13 ans auraient été mariées de force à des islamistes radicaux
et abusées sexuellement.
46. Le rapport fait état d’autres violations des droits de l’homme,
notamment les amputations, les détentions arbitraires, la torture,
les disparitions forcées et le recrutement d’enfants soldats.
47. La mission du HCDH a également insisté sur la présence croissante
de milices d’autodéfense et a jugé alarmantes les tensions ethniques
croissantes observées au Mali, qui pourraient également déclencher
des représailles contre les communautés touareg et arabe, qui sont
considérées comme liées aux groupes armés.
48. Un rapport publié en mai 2012 par Amnesty International indiquait
que la situation des droits de l’homme résultant du conflit était
la pire qu’ait connu le Mali depuis 1960. Le rapport citait des
exemples de viols collectifs, d’exécutions extrajudiciaires et d’utilisation
d’enfants soldats tant par les Touaregs que par les groupes islamistes.
49. Citons ne serait-ce que deux exemples de violations choquantes
des droits de l’homme commises par des groupes d’islamistes radicaux
dans le nord du Mali: le 29 juillet 2012, un couple a été lapidé
à mort à Aguelhok car ses enfants étaient nés hors mariage, et le
9 août, des militants islamistes ont tranché la main d’un voleur
présumé dans la ville d’Ansongo, malgré la foule qui demandait aux
militants de le gracier.
50. En outre, pendant le conflit, des islamistes radicaux ont
endommagé et détruit un certain nombre de lieux historiques, en
particulier un site de Tombouctou figurant sur la liste du patrimoine
mondial de l’UNESCO, parce qu’ils les considéraient comme lieux
d’idolâtrie. A la fin de juin 2012, des islamistes radicaux ont
dégradé plusieurs sites de Tombouctou avec des pioches et des pelles.
51. Je ne peux que condamner fermement les violations continues
et choquantes des droits de l’homme commises par les rebelles islamistes
radicaux dans le nord du Mali. Notant que des violations des droits
de l’homme ont aussi été commises dans des régions contrôlées par
le gouvernement, y compris des exécutions sommaires, nous devrions
également demander instamment à l’armée malienne et à ses alliés
de s’abstenir de toutes représailles lorsqu’ils commenceront à reprendre
le contrôle du nord du pays.
52. J’approuve également la décision récente du Procureur de la
Cour pénale internationale d’ouvrir officiellement une enquête sur
les crimes présumés commis sur le territoire du Mali – notamment
les meurtres, les viols et les tortures – en particulier dans le
nord du pays. Le Procureur est parvenu à la conclusion que certains
de ces actes de brutalité et de destruction peuvent constituer des
crimes de guerre. Au terme d’une enquête approfondie et impartiale,
les auteurs doivent être traduits en justice et tenus pour responsables
des crimes qu’ils ont commis. La justice peut incontestablement
offrir une certaine forme de soulagement aux victimes et à leurs
familles.
53. Les affrontements militaires dans la région ont provoqué des
déplacements de population à la fois à l’intérieur du Mali et vers
les pays voisins. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés (HCR) a indiqué qu’au cours des deux dernières semaines,
450 personnes d’origine malienne se sont réfugiées au Niger, 309
au Burkina Faso et 471 en Mauritanie. Toutes ces personnes sont
allées dans des camps existants. En janvier 2013, le nombre de réfugiés
maliens dans la région était estimé à 143 791, dont 54 100 en Mauritanie,
50 000 au Niger, 38 800 au Burkina Faso et 1 500 en Algérie. Des
petits groupes se trouvent également en Guinée et au Togo. Le nombre
de personnes déplacées à l’intérieur du territoire malien, y compris
celles qui ont été déplacées l’année dernière et, plus récemment,
en janvier 2013, est estimé à 228 918 par la Commission malienne
sur les déplacements de population.
54. Les réfugiés font état de l’insécurité générale, de la dégradation
de la situation des droits de l’homme, de l’absence de moyens de
subsistance et de services de base, et de l’application de la charia.
Le HCR continue à les aider en fournissant de l’eau potable, des
sanitaires, des conditions d’hygiène, des soins de santé et une
formation. Il n’a reçu que 63 % des 123 millions de dollars nécessaires
pour aider les réfugiés maliens et prévoit qu’il faudra 195,6 millions
de dollars supplémentaires pour couvrir les besoins en 2013
. L’Assemblée appelle ses Etats
membres et observateurs à fournir un soutien concret aux opérations
de secours déployées par le HCR au Mali et dans les pays voisins.
6. Conclusions
55. La dégradation de la situation relative à la sécurité
et aux droits de l’homme au Mali au cours de ces derniers mois,
et le risque réel de voir se constituer au Sahel un régime fondé
sur le trafic de drogues et le terrorisme – risque qui a poussé
la France à intervenir – représentent clairement une menace grave
pour la stabilité de la région méditerranéenne, de toute l’Europe
et de l’ensemble de la communauté internationale. La mort tragique
de dizaines d’otages la semaine dernière en Algérie, notamment des
ressortissants d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe,
est une nouvelle preuve du risque de contagion. La communauté internationale
doit donc s’engager davantage et se montrer encore plus solidaire
pour stopper les islamistes radicaux dans le nord du Mali.
56. Le fait que des cellules de terroristes venant apparemment
du monde entier aient infiltré le Mali au cours des derniers mois
est un autre élément préoccupant. Là encore, il est clair que la
lutte contre le terrorisme a besoin d’une réponse internationale
coordonnée et efficace, et les instruments juridiques élaborés par
le Conseil de l’Europe dans ce domaine peuvent être très utiles.
57. Dans le projet de résolution, j’ai brièvement présenté d’autres
sujets de préoccupation, comme les violations graves des droits
de l’homme commises tout au long de 2012 au Mali et les problèmes
humanitaires résultant du conflit.
58. En conclusion, je tiens à souligner que le conflit au Mali
s’est intensifié suite au coup d’Etat militaire et l’effondrement
des institutions démocratiques. Il est essentiel que les autorités
provisoires du Mali finalisent une feuille de route de transition,
dans le cadre d’un dialogue politique ouvert, afin de rétablir l’ordre constitutionnel
et l’unité nationale du pays, notamment en organisant des élections
législatives et présidentielles pacifiques, crédibles et sans exclusive,
dès que cela est viable sur le plan technique. J’estime que seul
un processus de réconciliation permettra de fournir, à terme, les
réponses non seulement aux enjeux actuels que représentent la sécurité,
la crise humanitaire et les droits de l’homme au Mali, mais aussi
aux problèmes de longue date qui ne sont toujours pas résolus dans
la région.