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Résolution 1920 (2013) Version finale
L'état de la liberté des médias en Europe
1. L’Assemblée parlementaire souligne
que la liberté d’expression et d’information constitue la pierre angulaire
de la bonne gouvernance et d’une démocratie florissante, ainsi qu’une
obligation fondamentale pour tout Etat membre en vertu de l’article
10 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5,
«la Convention»). Les Etats membres ont notamment une obligation
positive, au titre des articles 2 et 10 de la Convention, de protéger
les journalistes de toute atteinte à leur vie et à leur liberté
d’expression, et de prévenir l’impunité des auteurs d’infractions.
2. L’Assemblée condamne les nombreuses attaques à l’encontre
des journalistes d’investigation ainsi que les menaces proférées
à l’encontre des personnes travaillant avec les médias d’investigation,
comme Sergei Magnitsky, torturé et assassiné dans une prison russe
en 2009. L’Assemblée invite les autorités compétentes à enquêter
véritablement sur ces cas afin de traduire en justice leurs commanditaires.
3. Concernant l’assassinat de Rafiq Tagi en Azerbaïdjan en 2011,
l’Assemblée réitère sa condamnation de 2007, concernant le fait
qu’une fatwa de mort ait été émise à son encontre en Iran parce
qu’il avait publié les caricatures de Mahomet du Jyllands-Posten dans un quotidien
azerbaïdjanais. Se félicitant de l’arrestation et du jugement au
Danemark, en juin 2012, d’un groupe de criminels islamistes qui
avaient prévu un attentat de grande envergure contre le bureau de
Copenhague du quotidien Jyllands-Posten,
l’Assemblée condamne la récente fatwa de mort iranienne contre Shahin
Najafi en Allemagne et souligne que les autorités des Etats membres
doivent veiller à ce que le terrorisme de nature religieuse ou autre
ne puisse pas menacer des vies humaines ni la liberté d’expression.
4. Renvoyant aux paragraphes 4 et 5 de sa Recommandation 1897 (2010) sur le respect de la liberté des médias, l’Assemblée
se réjouit que les assassins respectifs d’Ivo Pukanic et de Niko
Franjic en Croatie, d’Anastasia Babourova et de Stanislav Markelov
en Russie, ainsi que de Hrant Dink en Turquie aient été arrêtés
et jugés par des tribunaux nationaux. Il est cependant nécessaire
de mener des enquêtes supplémentaires concernant l’environnement
personnel de ces assassins afin de retrouver d’éventuels collaborateurs
et de lutter efficacement contre ces milieux hostiles à la liberté
des médias.
5. Compte tenu des nombreux meurtres et atteintes graves à l’intégrité
physique de journalistes en Russie, l’Assemblée prend acte de la
création, en 2011, de la Commission d’enquête de la Fédération de
Russie, sous la direction du Président russe. L’Assemblée exhorte
cette commission à poursuivre les travaux des précédents organismes
d’enquête, à publier périodiquement l’avancement de ses travaux
et à créer des règles relatives à sa bonne gouvernance et à sa surveillance
judiciaire. L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l'homme
à élaborer un rapport sur les efforts déployés par les autorités
russes pour lutter efficacement contre l’impunité de fait des nombreux
meurtres de journalistes et de militants des droits de l’homme en
Russie.
6. L’Assemblée est choquée par le nombre extrêmement élevé de
journalistes emprisonnés, arrêtés ou poursuivis en Turquie pour
avoir exprimé leurs opinions politiques et contribué au débat politique
nécessaire dans une démocratie dynamique. Le très grand nombre de
cas a un effet paralysant sur l’environnement médiatique et les
journalistes turcs.
7. Si elle se réjouit à l’idée que le «troisième train de réformes
judiciaires» adopté par le Parlement turc le 2 juillet 2012 puisse
empêcher des détentions excessivement longues à l’avenir, l’Assemblée
note avec préoccupation que les détentions précédemment imposées
se poursuivent et que les procès en cours se déroulent toujours
devant les anciens tribunaux spéciaux. L’Assemblée demande instamment
que les conclusions du rapport du 12 juillet 2011 du Commissaire
aux droits de l’homme soient pleinement et immédiatement mises en
œuvre par le Gouvernement turc.
8. La révision législative en 2008 de l’article 301 du Code pénal
turc n’a pas résolu le problème et cet article peut être appliqué
de manière indue à des journalistes et autres personnes, comme l’a
constaté la Cour européenne des droits de l'homme dans l’affaire Altuğ Taner Akçam c. Turquie du
25 octobre 2011. Par conséquent, l’Assemblée invite la Turquie à
abroger immédiatement l’article 301.
9. Il est assez difficile pour l’Assemblée d’appréhender le nombre
considérable d’investigations pénales qui ont été entamées contre
des journalistes en vertu des articles 285 et 288 du Code pénal
turc, de l’article 6 de la loi antiterroriste turque et de dispositions
juridiques connexes, notamment parce qu’ils ont couvert les procès de
masse concernant l’organisation criminelle Ergenekon. Un tel nombre
de cas est en soi un signe de grave violation de la liberté des
médias, à la lumière également de la Recommandation Rec(2003)13
du Comité des Ministres aux Etats membres sur la diffusion d’informations
par les médias en relation avec les procédures pénales.
10. Saluant les projets d’assistance et de coopération mis en
place par le Conseil de l'Europe avec la Turquie à l’invitation
du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, en avril 2011, l’Assemblée
invite le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe à évaluer l’impact
de cette action, ainsi qu’à revoir – et si possible accroître –
les activités de coopération dans le domaine de la liberté des médias.
11. L’Assemblée prend acte des amendements apportés en mai 2012
aux lois sur les médias adoptées en Hongrie en 2010, mais regrette
que ces amendements ne portent que sur un petit nombre des préoccupations soulevées
par le Commissaire aux droits de l'homme dans son avis du 25 février
2011 et n’empêchent pas d’abuser de ces lois pour restreindre la
liberté des médias. En conséquence, l’Assemblée demande que les conclusions
du Commissaire soient pleinement mises en œuvre par le Gouvernement
hongrois.
12. L’Assemblée condamne la violation systématique et persistante
de la liberté des médias au Bélarus et rappelle à son gouvernement
ses obligations au titre des articles 9, 19 et 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Le Bélarus étant candidat
à l'adhésion au Conseil de l'Europe et Partie à la Convention culturelle
européenne (STE no 18), l’acquis du Conseil
de l'Europe, y compris la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme, constitue un cadre de référence pertinent pour
les autorités du Bélarus. Dans ce contexte, l’Assemblée salue la
création récente, par le Conseil des droits de l’homme des Nations
Unies, d’un rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme
dans la République du Bélarus, et invite ce rapporteur à coopérer
avec les commissions compétentes de l’Assemblée.
13. L’Assemblée exhorte les autorités du Bélarus: à mener une
véritable enquête sur la disparition du photojournaliste Dmitry
Zavadsky, en 2000, et la mort du fondateur du site internet d’actualités
«Charte 97», Aleh Byabenine, en 2010; à libérer immédiatement Ales
Bialiatski de prison et Anton Souryapine de détention; à lever les
peines d’Iryna Khalip, Andrzej Poczobut, Pavel Sverdlov, Ioulia
Dorochkevitch et Iryna Kozlik; à abandonner les chefs d’inculpation
contre Natalya Radina, Andrzej Poczobut, Pavel Yevtikheev, Andrey Tkachev,
Roman Protasevich, Oleg Shramuk et Sergei Bespalov; et à mettre
fin à leur pratique consistant à émettre des avertissements administratifs
aux médias et associations, dans le respect des avis des 17-18 décembre
2010 et 17-18 juin 2011, adoptés par la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise).
14. La multiplication considérable des médias sur internet a fortement
accru les possibilités pour chacun de recevoir ou de communiquer
des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de frontières, conformément
à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
L’Assemblée condamne la poursuite, l’arrestation et l’emprisonnement
des internautes pour avoir exprimé des critiques politiques vis-à-vis
du gouvernement, comme en Azerbaïdjan, en Russie et en Turquie,
ainsi qu’au Bélarus.
15. Se référant à sa Résolution
1577 (2007) «Vers une dépénalisation de la diffamation», l’Assemblée déplore
l’application excessive des lois pénales sur la diffamation en Azerbaïdjan
et en Turquie, ainsi que les procédures civiles excessives en la
matière en Bulgarie et dans la République de Moldova. L’Assemblée,
tout en saluant les efforts déployés par l’Arménie pour traiter
les questions relatives aux actions en diffamation, encourage les
autorités arméniennes à poursuivre leurs travaux dans cette direction.
L’Assemblée est préoccupée par les tentatives de rétablir les poursuites
pénales pour diffamation dans la législation ukrainienne. Se référant
à la récente condamnation à quatorze mois de peine de prison prononcée
à l'encontre d’Alessandro Sallusti en Italie, l'Assemblée demande
à la Commission de Venise de préparer un avis indiquant si la législation
italienne en matière de diffamation est conforme à l'article 10
de la Convention européenne des droits de l'homme.
16. L’Assemblée rappelle l'importance cruciale de la liberté d'expression
et d’information à travers les médias avant et pendant les élections.
Par conséquent, elle invite en particulier l’Arménie, l’Azerbaïdjan,
la Fédération de Russie, la Turquie et l’Ukraine à prendre des mesures
pour remédier aux lacunes identifiées dans les récents rapports
d’observation des élections. Il est rappelé aux Etats membres les
Recommandations CM/Rec(2007)15 et no R
(99) 15 du Comité des Ministres sur des mesures concernant la couverture
des campagnes électorales par les médias. L’Assemblée est préoccupée
par le nombre record d’infractions concernant des journalistes enregistrées
en Ukraine ces dix dernières années, en particulier lors des élections législatives
de 2012.
17. L'Assemblée regrette que l'appartenance des médias ne soit
pas transparente dans tous les Etats membres et leur demande de
prendre les dispositions nécessaires à cette fin. Le manque de transparence
est un moyen typiquement utilisé pour masquer des intérêts politiques
ou commerciaux dans le contrôle des grands groupes de médias. L'Assemblée
exhorte les Etats membres à prendre les mesures appropriées pour garantir
la transparence et le pluralisme des médias et promouvoir des normes
journalistiques. Elle se félicite du rapport sur la transparence
de la propriété des médias en Europe élaboré en octobre 2012 par
Access Info Europe (Madrid) et l’Open Society Media Programme (Londres),
et invite l’Observatoire européen de l'audiovisuel (Strasbourg)
à poursuivre le développement de sa base de données MAVISE sur la
propriété des médias ainsi qu’à aider ses membres à établir la transparence
de la propriété des médias.
18. L'Assemblée note avec préoccupation les cas récents de collusion
des médias et propriétaires de médias avec des responsables politiques
et des fonctionnaires, ce qui porte atteinte à la confiance de l'opinion publique
dans un gouvernement démocratique et dans l'indépendance des médias.
Les responsables politiques et les fonctionnaires de l'Etat doivent
éviter toute relation avec les médias pouvant conduire à un conflit
d'intérêts, les lois anticorruption devraient être mises en œuvre
et les médias et les journalistes devraient respecter la déontologie
de leur profession. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de
l'ouverture en 2011 par le Gouvernement britannique d'une enquête
publique conduite par Lord Justice Leveson sur les pratiques et
la déontologie des médias britanniques, à la suite du scandale de
corruption de la police et des écoutes téléphoniques du groupe News
International.
19. Malgré la multiplication des médias numériques, les services
publics de radiodiffusion demeurent une source majeure d'information
en Europe. L'Assemblée constate avec préoccupation les récentes
informations relatives à des pressions politiques exercées sur les
radiodiffuseurs publics en Espagne, en Hongrie, en Italie, en Roumanie,
en Serbie et en Ukraine; elle invite l'Union européenne de radio-télévision
à coopérer avec le Conseil de l'Europe en la matière. Elle rappelle
aux Etats membres les paragraphes 8.20 et 8.21 de sa Résolution 1636 (2008) sur les indicateurs pour les médias dans une démocratie:
“les radiodiffuseurs de service public doivent être protégés des
ingérences politiques dans leur administration et leur travail éditorial quotidiens. Les
postes de direction devraient être refusés aux personnes ayant des
affiliations politiques claires; les radiodiffuseurs de service
public devraient élaborer des codes internes de conduite des journalistes et
d’indépendance éditoriale vis-à-vis des influences politiques”.
20. L'Assemblée regrette que les gouvernements de certains Etats
membres aient remplacé les cadres supérieurs dans leurs radiodiffuseurs
de service public après un changement de gouvernement afin d'influencer
l'orientation politique de ces radiodiffuseurs. A cet égard, il
est particulièrement inquiétant de constater que le Premier ministre
géorgien a suggéré de fusionner le radiodiffuseur de service public
géorgien avec le radiodiffuseur privé TV9 appartenant à son épouse
et de modifier la loi géorgienne sur la radiodiffusion.
21. L’Assemblée est préoccupée par une série d’inspections fiscales
surprises de la société géorgienne de radiodiffusion, à la suite
de déclarations politiques agressives de hauts responsables gouvernementaux parallèlement
à l’adoption de modifications controversées de la loi sur la radiodiffusion.
Ces mesures ont précédé des déclarations du Premier ministre Bidzina
Ivanichvili selon lesquelles il serait souhaitable de fusionner
la société géorgienne de radiodiffusion GPB avec la chaîne TV9,
qui était aux mains de sa femme, et de modifier le contrôle de médias
privés géorgiens.
22. L'Assemblée regrette que de nombreux journalistes européens
travaillent dans des situations précaires résultant d'une augmentation
des emplois indépendants, du manque de respect des droits sociaux
et de revenus généralement peu élevés. Si la profession de journaliste
s'affaiblit en raison de ces circonstances, la qualité professionnelle
et l'éthique sont en danger. L’Assemblée rappelle aux Etats membres
la Charte sociale européenne révisée (STE no 163)
et invite les journalistes à faire usage de leurs droits collectifs
afin d'améliorer leurs conditions de travail.
23. L'Assemblée se félicite de l'organisation réussie du séminaire
interparlementaire sur l'indépendance et le financement de la radiodiffusion
de service public, qui a été accueilli par le Parlement croate à
Zagreb, le 15 octobre 2012, avec le soutien financier de l’Open
Society Media Programme. Elle invite les parlements nationaux et
les organisations partenaires à collaborer à de futurs projets similaires.