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Résolution 1920 (2013) Version finale

L'état de la liberté des médias en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 janvier 2013 (8e séance) (voir Doc. 13078, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Johansson). Texte adopté par l’Assemblée le 24 janvier 2013 (8e séance).

1. L’Assemblée parlementaire souligne que la liberté d’expression et d’information constitue la pierre angulaire de la bonne gouvernance et d’une démocratie florissante, ainsi qu’une obligation fondamentale pour tout Etat membre en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention»). Les Etats membres ont notamment une obligation positive, au titre des articles 2 et 10 de la Convention, de protéger les journalistes de toute atteinte à leur vie et à leur liberté d’expression, et de prévenir l’impunité des auteurs d’infractions.
2. L’Assemblée condamne les nombreuses attaques à l’encontre des journalistes d’investigation ainsi que les menaces proférées à l’encontre des personnes travaillant avec les médias d’investigation, comme Sergei Magnitsky, torturé et assassiné dans une prison russe en 2009. L’Assemblée invite les autorités compétentes à enquêter véritablement sur ces cas afin de traduire en justice leurs commanditaires.
3. Concernant l’assassinat de Rafiq Tagi en Azerbaïdjan en 2011, l’Assemblée réitère sa condamnation de 2007, concernant le fait qu’une fatwa de mort ait été émise à son encontre en Iran parce qu’il avait publié les caricatures de Mahomet du Jyllands-Posten dans un quotidien azerbaïdjanais. Se félicitant de l’arrestation et du jugement au Danemark, en juin 2012, d’un groupe de criminels islamistes qui avaient prévu un attentat de grande envergure contre le bureau de Copenhague du quotidien Jyllands-Posten, l’Assemblée condamne la récente fatwa de mort iranienne contre Shahin Najafi en Allemagne et souligne que les autorités des Etats membres doivent veiller à ce que le terrorisme de nature religieuse ou autre ne puisse pas menacer des vies humaines ni la liberté d’expression.
4. Renvoyant aux paragraphes 4 et 5 de sa Recommandation 1897 (2010) sur le respect de la liberté des médias, l’Assemblée se réjouit que les assassins respectifs d’Ivo Pukanic et de Niko Franjic en Croatie, d’Anastasia Babourova et de Stanislav Markelov en Russie, ainsi que de Hrant Dink en Turquie aient été arrêtés et jugés par des tribunaux nationaux. Il est cependant nécessaire de mener des enquêtes supplémentaires concernant l’environnement personnel de ces assassins afin de retrouver d’éventuels collaborateurs et de lutter efficacement contre ces milieux hostiles à la liberté des médias.
5. Compte tenu des nombreux meurtres et atteintes graves à l’intégrité physique de journalistes en Russie, l’Assemblée prend acte de la création, en 2011, de la Commission d’enquête de la Fédération de Russie, sous la direction du Président russe. L’Assemblée exhorte cette commission à poursuivre les travaux des précédents organismes d’enquête, à publier périodiquement l’avancement de ses travaux et à créer des règles relatives à sa bonne gouvernance et à sa surveillance judiciaire. L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l'homme à élaborer un rapport sur les efforts déployés par les autorités russes pour lutter efficacement contre l’impunité de fait des nombreux meurtres de journalistes et de militants des droits de l’homme en Russie.
6. L’Assemblée est choquée par le nombre extrêmement élevé de journalistes emprisonnés, arrêtés ou poursuivis en Turquie pour avoir exprimé leurs opinions politiques et contribué au débat politique nécessaire dans une démocratie dynamique. Le très grand nombre de cas a un effet paralysant sur l’environnement médiatique et les journalistes turcs.
7. Si elle se réjouit à l’idée que le «troisième train de réformes judiciaires» adopté par le Parlement turc le 2 juillet 2012 puisse empêcher des détentions excessivement longues à l’avenir, l’Assemblée note avec préoccupation que les détentions précédemment imposées se poursuivent et que les procès en cours se déroulent toujours devant les anciens tribunaux spéciaux. L’Assemblée demande instamment que les conclusions du rapport du 12 juillet 2011 du Commissaire aux droits de l’homme soient pleinement et immédiatement mises en œuvre par le Gouvernement turc.
8. La révision législative en 2008 de l’article 301 du Code pénal turc n’a pas résolu le problème et cet article peut être appliqué de manière indue à des journalistes et autres personnes, comme l’a constaté la Cour européenne des droits de l'homme dans l’affaire Altuğ Taner Akçam c. Turquie du 25 octobre 2011. Par conséquent, l’Assemblée invite la Turquie à abroger immédiatement l’article 301.
9. Il est assez difficile pour l’Assemblée d’appréhender le nombre considérable d’investigations pénales qui ont été entamées contre des journalistes en vertu des articles 285 et 288 du Code pénal turc, de l’article 6 de la loi antiterroriste turque et de dispositions juridiques connexes, notamment parce qu’ils ont couvert les procès de masse concernant l’organisation criminelle Ergenekon. Un tel nombre de cas est en soi un signe de grave violation de la liberté des médias, à la lumière également de la Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales.
10. Saluant les projets d’assistance et de coopération mis en place par le Conseil de l'Europe avec la Turquie à l’invitation du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, en avril 2011, l’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe à évaluer l’impact de cette action, ainsi qu’à revoir – et si possible accroître – les activités de coopération dans le domaine de la liberté des médias.
11. L’Assemblée prend acte des amendements apportés en mai 2012 aux lois sur les médias adoptées en Hongrie en 2010, mais regrette que ces amendements ne portent que sur un petit nombre des préoccupations soulevées par le Commissaire aux droits de l'homme dans son avis du 25 février 2011 et n’empêchent pas d’abuser de ces lois pour restreindre la liberté des médias. En conséquence, l’Assemblée demande que les conclusions du Commissaire soient pleinement mises en œuvre par le Gouvernement hongrois.
12. L’Assemblée condamne la violation systématique et persistante de la liberté des médias au Bélarus et rappelle à son gouvernement ses obligations au titre des articles 9, 19 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Bélarus étant candidat à l'adhésion au Conseil de l'Europe et Partie à la Convention culturelle européenne (STE no 18), l’acquis du Conseil de l'Europe, y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, constitue un cadre de référence pertinent pour les autorités du Bélarus. Dans ce contexte, l’Assemblée salue la création récente, par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, d’un rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans la République du Bélarus, et invite ce rapporteur à coopérer avec les commissions compétentes de l’Assemblée.
13. L’Assemblée exhorte les autorités du Bélarus: à mener une véritable enquête sur la disparition du photojournaliste Dmitry Zavadsky, en 2000, et la mort du fondateur du site internet d’actualités «Charte 97», Aleh Byabenine, en 2010; à libérer immédiatement Ales Bialiatski de prison et Anton Souryapine de détention; à lever les peines d’Iryna Khalip, Andrzej Poczobut, Pavel Sverdlov, Ioulia Dorochkevitch et Iryna Kozlik; à abandonner les chefs d’inculpation contre Natalya Radina, Andrzej Poczobut, Pavel Yevtikheev, Andrey Tkachev, Roman Protasevich, Oleg Shramuk et Sergei Bespalov; et à mettre fin à leur pratique consistant à émettre des avertissements administratifs aux médias et associations, dans le respect des avis des 17-18 décembre 2010 et 17-18 juin 2011, adoptés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
14. La multiplication considérable des médias sur internet a fortement accru les possibilités pour chacun de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières, conformément à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. L’Assemblée condamne la poursuite, l’arrestation et l’emprisonnement des internautes pour avoir exprimé des critiques politiques vis-à-vis du gouvernement, comme en Azerbaïdjan, en Russie et en Turquie, ainsi qu’au Bélarus.
15. Se référant à sa Résolution 1577 (2007) «Vers une dépénalisation de la diffamation», l’Assemblée déplore l’application excessive des lois pénales sur la diffamation en Azerbaïdjan et en Turquie, ainsi que les procédures civiles excessives en la matière en Bulgarie et dans la République de Moldova. L’Assemblée, tout en saluant les efforts déployés par l’Arménie pour traiter les questions relatives aux actions en diffamation, encourage les autorités arméniennes à poursuivre leurs travaux dans cette direction. L’Assemblée est préoccupée par les tentatives de rétablir les poursuites pénales pour diffamation dans la législation ukrainienne. Se référant à la récente condamnation à quatorze mois de peine de prison prononcée à l'encontre d’Alessandro Sallusti en Italie, l'Assemblée demande à la Commission de Venise de préparer un avis indiquant si la législation italienne en matière de diffamation est conforme à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
16. L’Assemblée rappelle l'importance cruciale de la liberté d'expression et d’information à travers les médias avant et pendant les élections. Par conséquent, elle invite en particulier l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Fédération de Russie, la Turquie et l’Ukraine à prendre des mesures pour remédier aux lacunes identifiées dans les récents rapports d’observation des élections. Il est rappelé aux Etats membres les Recommandations CM/Rec(2007)15 et no R (99) 15 du Comité des Ministres sur des mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias. L’Assemblée est préoccupée par le nombre record d’infractions concernant des journalistes enregistrées en Ukraine ces dix dernières années, en particulier lors des élections législatives de 2012.
17. L'Assemblée regrette que l'appartenance des médias ne soit pas transparente dans tous les Etats membres et leur demande de prendre les dispositions nécessaires à cette fin. Le manque de transparence est un moyen typiquement utilisé pour masquer des intérêts politiques ou commerciaux dans le contrôle des grands groupes de médias. L'Assemblée exhorte les Etats membres à prendre les mesures appropriées pour garantir la transparence et le pluralisme des médias et promouvoir des normes journalistiques. Elle se félicite du rapport sur la transparence de la propriété des médias en Europe élaboré en octobre 2012 par Access Info Europe (Madrid) et l’Open Society Media Programme (Londres), et invite l’Observatoire européen de l'audiovisuel (Strasbourg) à poursuivre le développement de sa base de données MAVISE sur la propriété des médias ainsi qu’à aider ses membres à établir la transparence de la propriété des médias.
18. L'Assemblée note avec préoccupation les cas récents de collusion des médias et propriétaires de médias avec des responsables politiques et des fonctionnaires, ce qui porte atteinte à la confiance de l'opinion publique dans un gouvernement démocratique et dans l'indépendance des médias. Les responsables politiques et les fonctionnaires de l'Etat doivent éviter toute relation avec les médias pouvant conduire à un conflit d'intérêts, les lois anticorruption devraient être mises en œuvre et les médias et les journalistes devraient respecter la déontologie de leur profession. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de l'ouverture en 2011 par le Gouvernement britannique d'une enquête publique conduite par Lord Justice Leveson sur les pratiques et la déontologie des médias britanniques, à la suite du scandale de corruption de la police et des écoutes téléphoniques du groupe News International.
19. Malgré la multiplication des médias numériques, les services publics de radiodiffusion demeurent une source majeure d'information en Europe. L'Assemblée constate avec préoccupation les récentes informations relatives à des pressions politiques exercées sur les radiodiffuseurs publics en Espagne, en Hongrie, en Italie, en Roumanie, en Serbie et en Ukraine; elle invite l'Union européenne de radio-télévision à coopérer avec le Conseil de l'Europe en la matière. Elle rappelle aux Etats membres les paragraphes 8.20 et 8.21 de sa Résolution 1636 (2008) sur les indicateurs pour les médias dans une démocratie: “les radiodiffuseurs de service public doivent être protégés des ingérences politiques dans leur administration et leur travail éditorial quotidiens. Les postes de direction devraient être refusés aux personnes ayant des affiliations politiques claires; les radiodiffuseurs de service public devraient élaborer des codes internes de conduite des journalistes et d’indépendance éditoriale vis-à-vis des influences politiques”.
20. L'Assemblée regrette que les gouvernements de certains Etats membres aient remplacé les cadres supérieurs dans leurs radiodiffuseurs de service public après un changement de gouvernement afin d'influencer l'orientation politique de ces radiodiffuseurs. A cet égard, il est particulièrement inquiétant de constater que le Premier ministre géorgien a suggéré de fusionner le radiodiffuseur de service public géorgien avec le radiodiffuseur privé TV9 appartenant à son épouse et de modifier la loi géorgienne sur la radiodiffusion.
21. L’Assemblée est préoccupée par une série d’inspections fiscales surprises de la société géorgienne de radiodiffusion, à la suite de déclarations politiques agressives de hauts responsables gouvernementaux parallèlement à l’adoption de modifications controversées de la loi sur la radiodiffusion. Ces mesures ont précédé des déclarations du Premier ministre Bidzina Ivanichvili selon lesquelles il serait souhaitable de fusionner la société géorgienne de radiodiffusion GPB avec la chaîne TV9, qui était aux mains de sa femme, et de modifier le contrôle de médias privés géorgiens.
22. L'Assemblée regrette que de nombreux journalistes européens travaillent dans des situations précaires résultant d'une augmentation des emplois indépendants, du manque de respect des droits sociaux et de revenus généralement peu élevés. Si la profession de journaliste s'affaiblit en raison de ces circonstances, la qualité professionnelle et l'éthique sont en danger. L’Assemblée rappelle aux Etats membres la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) et invite les journalistes à faire usage de leurs droits collectifs afin d'améliorer leurs conditions de travail.
23. L'Assemblée se félicite de l'organisation réussie du séminaire interparlementaire sur l'indépendance et le financement de la radiodiffusion de service public, qui a été accueilli par le Parlement croate à Zagreb, le 15 octobre 2012, avec le soutien financier de l’Open Society Media Programme. Elle invite les parlements nationaux et les organisations partenaires à collaborer à de futurs projets similaires.